Virgile
Didon et Énée
Énéide, IV, 54-89
Traduction du passage (J. Poucet A.-M. Boxus)
Du vers 30 au vers 53, Anna répond à Didon et joue son rôle de confidente : elle dit clairement ce que n'ose pas se dire l'héroïne. Elle se montre pleine de compréhension pour sa sur et lui donne des arguments en faveur de cet amour naissant : Didon a un sentiment de frustration, elle est tombée veuve trop tôt, elle a un désir refoulé de maternité. Anna rappelle également à sa sur combien la situation de Carthage est encore précaire, menacée par ses voisins et par les intrigues de son frère ; ce royaume riche attire la convoitise des souverains africains et il serait souhaitable qu'il y ait un homme à la tête de la ville pour mieux assurer sa protection ; l'arrivée d'Énée est donc un signe divin dont il faut profiter.
Forte de ces encouragements, Didon cède définitivement à la passion qu'elle a vainement essayé de combattre. Par des rites et des sacrifices sans cesse recommencés, elle cherche à se rendre les dieux favorables à son projet et à apaiser la passion douloureuse qui l'obsède. Cette passion ignore totalement la sérénité, la sécurité, la joie : c'est une passion qui use et qui déprime, une passion maladive qui entraîne un dégoût de l'effort et un renoncement au travail. Didon devient incapable de se livrer aux activités normales de sa charge. Toute la construction de la ville nouvelle s'arrête. Didon ne vit plus que la nuit pour écouter à nouveau le récit des aventures d'Énée ; au matin, elle est sans force ; pendant la journée, elle se laisse emporter par un souffle redoutable par quoi elle cherche à calmer sa passion, mais qui la conduit, errante, à travers les rues de la ville en construction, en compagnie d'Énée qu'elle cherche à convaincre de rester à Carthage. C'est un amour sombre, dément, sans espoir, comme on peut encore le rencontrer dans le théâtre de Racine.
54 His dictis impenso animum inflammauit amore
55 spemque dedit dubiae menti soluitque pudorem.
Principio delubra adeunt pacemque per aras
exquirunt ; mactant lectas de more bidentis
legiferae Cereri Phoeboque patrique Lyaeo,
Iunoni ante omnis, cui uincla iugalia curae.
60 Ipsa tenens dextra pateram pulcherrima Dido
candentis uaccae media inter cornua fundit,
aut ante ora deum pinguis spatiatur ad aras,
instauratque diem donis, pecudumque reclusis
pectoribus inhians spirantia consulit exta.
65 Heu, uatum ignarae mentes ! quid uota furentem,
quid delubra iuuant ? est mollis flamma medullas
interea et tacitum uiuit sub pectore uolnus.
68 Vritur infelix Dido totaque uagatur
urbe furens, qualis coniecta cerua sagitta,
70 quam procul incautam nemora inter Cresia fixit
pastor agens telis liquitque uolatile ferrum
nescius ; illa fuga siluas saltusque peragrat
73 Dictaeos ; haeret lateri letalis harundo.
Nunc media Aenean secum per moenia ducit
75 Sidoniasque ostentat opes urbemque paratam,
incipit effari mediaque in uoce resistit ;
nunc eadem labente die conuiuia quaerit,
Iliacosque iterum demens audire labores
exposcit pendetque iterum narrantis ab ore.
80 Post ubi digressi, lumenque obscura uicissim
luna premit suadentque cadentia sidera somnos,
82 sola domo maeret uacua stratisque relictis
83 incubat : illum absens absentem auditque uidetque,
aut gremio Ascanium genitoris imagine capta
85 detinet, infandum si fallere possit amorem.
86 Non coeptae adsurgunt turres, non arma iuuentus
exercet portusue aut propugnacula bello
tuta parant ; pendent opera interrupta minaeque
89 murorum ingentes aequataque machina caelo.
Responsable académique : Paul-Augustin Deproost Analyse : Jean Schumacher Design & réalisation inf. : Boris MaroutaeffDernière mise à jour : 5 décembre 2019