OVIDE

Métamorphoses

Dédale et Icare

VIII, 183-235

 

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Creten perosus : Dédale est enfermé dans le Labyrinthe qu’il a lui-même construit pour Minos, le roi de Crète, pour avoir inspiré à Ariane la ruse qui a permis à Thésée de sortir indemne de l’édifice après avoir tué le Minotaure.

exilium : Dédale s’est lui-même exilé en Crète après avoir tué son apprenti, le jeune Talos, le fils de sa sœur Perdix, dont il avait pris ombrage du talent d’inventeur. Le mot est mis en évidence par le rejet et la césure 3.

loci natalis : Dédale était originaire d’Athènes.

pelago…caelum : ces deux mots s’opposent sur deux vers consécutifs, juste avant la césure. De plus, le jeu des coupes sur ces deux vers met en évidence les différents éléments : ceux qui sont interdits à Dédale au v. 185, la mer et la terre, soulignés par les trois coupes 3, 5 et 7 ; celui qui reste ouvert au v. 186, le ciel : les trois mots caelum certe patet sont soulignés par l’allitération et la présence d’une triple coupe possible : 3, 5 et ponctuation bucolique après le quatrième pied.

ibimus illac : la décision de Dédale est mise en évidence par la ponctuation bucolique.

possideatpossidet : polyptote.

aera Minos : reprend le même schéma verbo-métrique que les deux derniers pieds du vers précédent : la décision de Dédale est une provocation contre Minos.

naturamque nouat : toute l’audace et l’hybris de l’inventeur sont résumées dans ce rejet allitérant : il bouleverse les lois de la nature et menace donc l’équilibre des choses dans un acte qualifié ici de « révolutionnaire ».

fistula : singulier métonymique pour désigner la syrinx ou flûte de Pan, dont les tuyaux juxtaposés vont en rétrécissant. La flûte de Pan est fabriquée d'une succession de tuyaux de roseau creux, fermés à leur extrémité et proportionnellement dimensionnés selon les notes de la gamme.

paulatim : l’adverbe est souligné au centre du vers, après la césure, sous un molosse entouré de rythmes plus rapides. Toute l’habileté de l’inventeur est précisément dans le lent dégradé de la taille des plumes, qu’exprime l’adverbe dans la comparaison avec la syrinx.

ut ueras imitetur aues : le rejet souligne le paradoxe de l’entreprise de Dédale : en voulant imiter de vrais oiseaux, il entraînera son fils dans la mort, alors que cette légende est entourée d’autres histoires qui racontent précisément des métamorphoses en oiseaux ou en constellations : Scylla, changée en oiseau de mer ; la couronne d’Ariane métamorphosée en constellation ; le jeune artisan Perdix changé en perdrix. Mais ces métamorphoses sont l’œuvre des dieux ; en revanche, Dédale n’est qu’un humain qui, en l’occurrence, a voulu rivaliser avec les dieux par son invention et il en a été puni. Le jeune Perdix est métamorphosé en oiseau lorsqu’il est tué par Dédale ; le jeune Icare est victime de son incapacité à se transformer en oiseau malgré l’art de son père.

imitetur : la précision de la description du travail de Dédale vise sans doute à une représentation naturaliste de l’aile, mais elle illustre aussi un des traits constants des créations de Dédale, la recherche de l’imitation et de l’illusion.

ignarus : cf. ignotas au v. 188, au même endroit du vers et sous le même schéma métrique. Dédale ose des arts « inédits » ; Icare en « ignore » les dangers : le mélange ne pouvait qu’entraîner au désastre.

sua se : au centre du vers, Ovide souligne la responsabilité personnelle d’Icare dans le sort qui l’attend.

pericla : « l’instrument de sa perte » : l’interdit fait de ces ailes des objets dangereux.

ore renidenti : alors que tous les commentateurs anciens ont attribué l’hybris d’Icare à son extrême jeunesse, Ovide fait de la démesure du puer une euphorie, une jouissance qui sera plus explicite encore au moment de la transgression (v. 223-225). Observer la lecture verticale du début des vers 197-200 ore renidenti… captabatmollibat, où l’insouciance de l’enfant est résumée dans le rejet expressif impediebat opus, après qu’Ovide nous a montré la légèreté d’Icare à l’œuvre sur les deux éléments majeurs de l’invention de son père : les plumes et la cire.

mirabile : dans le langage de l’épopée, cet adjectif signifie le saisissement du héros devant la manifestation d’un prodige qui s’impose à lui. La disposition des césures donne au vers une valeur oxymorique qui oppose le « jeu » d’Icare, isolé par les coupes 3 et 7 (lusuque suo), et la grandeur de l’œuvre de son père (mirabile patris).

librauit in alas… pependit in aura : les deux moments de l’essai d’envol de Dédale sont alignés sous le même schéma rythmique de deux vers consécutifs.

Bootes, ae : m. constellation du Bouvier, à proximité de la Grande Ourse, bien visible d’avril à août dans le ciel de l’est-nord-est. Ces trois constellations n'indiquent pas ici une direction de vol, mais elles sont les points de repère favoris du navigateur lorsqu'il calcule sa route, ceux qu’Ulysse ne quitte pas des yeux à son retour de l’île de Calypso (Od. V, 272 sq) ; si Dédale invite Icare à ne pas les regarder, c’est qu’il les prendra lui-même pour guides vers la Grèce, Icare devant se contenter de suivre son père. L’origine mythologique de cette constellation, née du catastérisme du vigneron athénien Icarius, a peut-être donné à Ovide l’idée d’un rapprochement avec la légende d'Icare.

Helice, es : f. la « Spirale » est un des noms que les poètes donnaient à la constellation de la Grande Ourse, qui semble s’enrouler autour du pôle, toujours visible, en haut du ciel boréal. Hélicè est le nom d’une des deux nymphes qui ont nourri Zeus enfant en Crète. Ces trois constellations n'indiquent pas ici une direction de vol, mais elles sont les points de repère favoris du navigateur lorsqu'il calcule sa route, ceux qu’Ulysse ne quitte pas des yeux à son retour de l’île de Calypso (Od. V, 272 sq) ; si Dédale invite Icare à ne pas les regarder, c’est qu’il les prendra lui-même pour guides vers la Grèce, Icare devant se contenter de suivre son père.

Orion, onis : m. constellation d’Orion, visible surtout l’hiver dans le ciel boréal, qui apparaît encore dans le ciel du sud-ouest à la fin du mois de mars, mais de plus en plus tôt le soir. Si Dédale a vu Orion et le Bouvier en même temps, c'est qu'il a observé le ciel au printemps, au moment où la navigation redevient possible. Orion était un chasseur nomade qui a surpris Diane en train de se baigner. Après sa mort, il fut mis au nombre des constellations sous la forme d’un homme tenant une épée nue à la main (strictum ensem) et portant un baudrier d’étoiles brillantes. Ces trois constellations n'indiquent pas ici une direction de vol, mais elles sont les points de repère favoris du navigateur lorsqu'il calcule sa route, ceux qu’Ulysse ne quitte pas des yeux à son retour de l’île de Calypso (Od. V, 272 sq) ; si Dédale invite Icare à ne pas les regarder, c’est qu’il les prendra lui-même pour guides vers la Grèce, Icare devant se contenter de suivre son père.

carpere : ce verbe, que l’on retrouve à deux endroits (v. 208 et 219) exprime la transgression à laquelle se livrent Dédale et Icare, en empruntant la route des airs qui est le domaine des dieux. C’est la même transgression que celle à laquelle se sont livrés les Argonautes en mettant pour la première fois un bateau à la mer. La navigation par eau et par air empruntent des territoires interdits aux hommes, qui encourent dès lors la colère des dieux. En filigrane de ces mythes apparaît toute une part de la réflexion antique sur la légitimité et les risques du progrès technique, dont l’artisan Dédale est une des figures majeures (voir aussi la première ode argonautique dans la tragédie Medée de Sénèque). Dans la version de la légende que l’on trouve dans l’Art d’aimer, Dédale lui-même a conscience du risque qu’il prend et il demande par avance à Jupiter de l’en excuser (ars am., II, 37 sq).

ignotas : cfr. ignotas (v. 188), ignarus (v. 196). À chaque fois, l’adjectif est placé au même endroit du vers, après un premier dactyle composé d’un verbe à la troisième personne et de la conjonction et. Le vers 209 peut être compris de deux manières selon que l'on considère l'adjectif ignotas (umeris alas) dans un sens passif ou actif : « il ajuste sur ses épaules les ailes inconnues - il ajuste les ailes inconnues de ses épaules » ou « il ajuste les ailes sur les épaules qui ne les connaissent pas », supposant alors une hypallage sur la séquence ignotas alas.

genae… manus : organisation en chiasme des deux hémistiches : N-V-A / A-V-N. Depuis Inter opus (v. 210) jusqu’à ab alto (v. 213), le mètre est exclusivement dactylique à l’exception du spondée quatrième (su)o pen(nisque) du v. 212, comme pour marquer l’extraordinaire fluidité des sentiments du père pour son fils, la dernière fois qu’il a l’occasion de les lui manifester, avec une hésitation sur le mot qui cristallise toutes ses inquiétudes : pennis. Le jeu des coupes 7 met en évidence les joues (genae) et les mains (manus) du vieux père qui traduisent son intense émotion au milieu de son travail et de ses recommandations.

suo : mis en évidence par l’hyperbate et l’accent à la césure du vers, en réponse à nato à la fin du v. 211, comme si Dédale avait le pressentiment d'avoir déjà perdu son fils qu'il ne pourra désormais plus embrasser.

aethera : dans la division du ciel, l’« éther » est précisément le lieu réservé aux immortels, alors que l’« air » reste accessible aux oiseaux (voir supra v. 214).

credidit esse deos : le rejet souligne la gravité de la transgression : Dédale et Icare parcourent effectivement des espaces interdits aux hommes et violent donc le territoire des dieux.

Iunonia Samos : cette île de la Mer Égée abritait un temple célèbre consacré à Junon (ou Héra).

fecunda melle Calymne : la richesse de cette île en miel est inexpliquée ; elle est peut-être le fait d’une étymologie fantaisiste : kálymma peut, en effet, désigner un « rayon de miel » en grec. Dans la version de L’art d’aimer, Calymné est « ombragée de forêts » (siluis umbrosa : ars am. II, 81). Dédale et Icare tentent de rejoindre la côte de Milet en Asie Mineure en longeant successivement les îles de Paros et Delos dans les Cyclades, Lebinthos dans les Sporades, Calymne (act. Kalymnos) dans l'archipel du Dodécanèse et Samos dans la mer Égée, comme l’aurait fait un bateau, en longeant les côtes.

v. 223-225 : alors que la plupart des auteurs attribuent la désobéissance d’Icare à sa jeunesse, Ovide souligne plutôt le plaisir qu’éprouve le garçon à l’occasion de ce vol « audacieux » (audaci gaudere uolatu, caeli cupidine tractus), soit la jouissance de l’interdit.

mollit : rappelle mollibat du v. 208 : le soleil « amollit » la cire des ailes d’Icare, en réponse à l’insouciance du garçon, qui, tout à l’heure, entravait le travail de son père en jouant lui-même avec cette même cire.

nomen : il s’agit de la mer icarienne, partie de la mer Égée située entre les îles de Chios et de Cos. Observer l’anaphore de nomen dans les vers 229-230, mais pour désigner deux personnages différents dans le chiasme patrium nomen… nomen ab illo.

Icare : la triple anaphore du nom d’Icare évoque le rite funèbre de la conclamatio où l’on criait trois fois le nom du défunt après lui avoir fermé les yeux et avant de procéder aux funérailles, pour s’assurer de son décès, retenir quelques instants encore l’âme sur terre et lui dire un ultime adieu (voir Ovide, fast. III, 563 ; Servius, in Aen. VI, 218). La version de L’art d’aimer renvoie plus clairement à ce rituel en préférant le verbe clamare au verbe dicere (ars am. II, 93-95).

deuouit : la deuotio est une consécration aux dieux infernaux, qui retiennent à présent Icare ; Dédale leur dédicace les ailes et surtout les artes qui les ont fabriquées : il veut ainsi se débarrasser définitivement de cet objet infernal et du métier qui l’a construit, renonçant, du même coup, à la transgression religieuse qu'ils ont induite. À l’occasion du décès tragique de son fils, Dédale manifeste une sorte de conversion qui l’amène à renier son art pour s’acquitter désormais de ses devoirs de piété.

tellus : = l'île Ikaria (Mer Égée orientale).

 

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Dernière mise à jour : 7 décembre 2017