Notice : 1. ITINERA ELECTRONICA - HODOI ELEKTRONIKAI : environnements hypertextes préparés :
Cette semaine-ci, il n'y a pas eu de constitution d'environnements hypertextes: Christian RUELL, maître-artisan pour la confection de ces réalisations, a dû, en effet, s'absenter du service, de façon inopinée, pour raison de santé. Nous lui souhaitons un prompt rétablissement.
De notre côté, nous avons poursuivi la préparation d'environnements hypertextes. Nous pouvons, dès lors, présenter ci-dessous les textes bruts ainsi que les traductions françaises déjà disponibles et versés dans les Dépôts ITINERA ELECTRONICA et HODOI ELEKTRONIKAI:
- LATIN :
- Boccace (1313-1375), De la généalogie des Dieux, livre I : texte latin uniquement
- Érasme,Correspondance, lettre n° 999 à Ulrich Hutten (date : 1519) : texte latin
- Valère Maxime, Des faits et des paroles mémorables, livre VII : texte latin - traduction française [traduction reprise au site de Philippe Remacle]
- GREC :
Remarque méthodologique :
Nous rappelons, une nouvelle fois, que les traductions françaises que nous incorporons aux environnements hypertextes sont libres de droits. De ce fait, elles datent souvent de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe siècle. Ces traductions, bien des fois, sont des belles infidèles en ce sens qu'elles se préoccupent surtout de communiquer une idée globale des récits sans veiller, nécessairement, au respect du texte même. Notre objectif, en les plaçant à côté des versions originales en latin, est justement de donner l'opportunité à l'apprenant ou à l'étudiant de se faire une idée du contenu, du déroulement de l'intrigue ou de l'avancée du récit. Les connaissances linguistiques acquises ou tirées de ces oeuvres devant autoriser une compréhension plus "intime", plus proche de la réalité textuelle et de la pensée de l'auteur.
Enfin, pour rendre possible la mise en correspondance des textes avec les traductions françaises, nous avons dû délimiter des tranches ou blocs de textes qui, pour les oeuvres en prose, correspondent en règle génerale à la division en livres, chapitres (2 niveaux de ruptures) et paragraphes (3 niveaux de ruptures) , alors que pour les oeuvres en vers, ce sont des tranches de 50 vers qui, finalement, ont été pris en considération (sauf pour les premières oeuvres traitées où d'autres systèmes ont prévalu : des découpes logiques (acte, scène, ... ou épisode, thématique, ...), des blocs de 5 en 5 vers, puis, de 10 en 10 vers, enfin, des tranches de 50 vers). Le manque de ressources huamines disponibles nous a forcés à évoluer vers un système de références simple et en rapport avec l'espace temps imparti à ces productions.
Il découle du système actuel de mise en parallèle que, dans les justapositions, le terme ou la phrase française ne se trouve pas nécessairement juste en face du correspondant latin mais souvent apparaît plus bas - si le traducteur n'a pas "omis" de tradure précisément ce terme ou ce bout de phrase -; une meilleure approche aurait pu être la correspondance phrase par phrase. Mais pour obtenir cela, il aurait fallu s'atteler à la tâche colossale d'aligner, pour chaque texte, la découpe en phrases d'un système linguistique sur celui de l'autre langue. Nous l'avons pratiquée dans le cadre d'autres activités pédagogiques : dès lors, nous savons par expérience ce qu'il en côute de vouloir réaliser un tel type de correspondance.
Notre oeuvre est un opus imperfectum, d'autres artisans peuvent l'affiner à leur guise.
2. Lectures :
- Le portrait de Thomas More :
Érasme, dans sa lettre n° 999, adressée à Ulrich Hutten, et datée de 1519 - année de la parution de l'Utopia - dresse un portrait complet de son ami Thomas More (1478-1535) dont voici un extrait :
[999,18] Sed ad studiorum commemorationem redeo, quae me Moro mihique
Morum potissimum conciliarunt. Primam aetatem carmine potissimum
exercuit, mox diu luctatus est ut prosam orationem redderet
molliorem, per omne scripti genus stilum exercens. Qui cuiusmodi
sit, quid attinet commemorare ? tibi praesertim qui libros eius semper
habeas in manibus. Declamationibus praecipue delectatus est, et,
in his, materiis adoxis, quod in his acrior sit ingeniorum exercitatio.
Vnde adolescens etiamnum dialogum moliebatur, in quo Platonis
communitatem ad uxores usque defendit. Luciani Tyrannicidae
respondit ; quo in argumento me uoluit antagonistam habere, quo
certius periculum faceret ecquid profecisset in hoc genere. Vtopiam
hoc consilio aedidit, ut indicaret quibus rebus fiat ut minus commode
habeant respublicae ; sed Britannicam potissimum effinxit, quam
habet penitus perspectam cognitamque. Secundum librum prius
scripserat per ocium, mox per occasionem primum adiecit ex tempore.
Atque hinc nonnulla dictionis inaequalitas. ...
[999,18] Mais j'en viens aux travaux qui m'ont surtout lié à More, et lié More à moi. Durant sa première jeunesse, il a principalement cultivé la poésie; mais bientôt après, il fit de longs efforts pour assouplir sa prose, exerçant sa plume à tous genres d'écrits. À quoi bon te rappeler son style, à toi surtout qui as toujours ses livres entre les mains? Il prit surtout plaisir aux exercices oratoires et, parmi eux, aux thèmes paradoxaux parce que la gymnastique de l'esprit y est plus dure. C'est pourquoi, adolescent, il méditait un dialogue pour défendre l'idée de communauté selon Platon, y compris celle des femmes. Il répondit au "Tyrannicide" de Lucien ; il désira m'avoir pour rival sur le même sujet, afin de mieux essayer ses forces et devoir s'il avait fait des progrès dans ce genre.
Il publia l' "Utopie" dans le but de montrer pour quelles raisons les États sont en difficulté; mais il decrivit surtout l'État anglais qu'il avait bien observé et qu'il connaissait à fond. Il écrivit d'abord le deuxième livre à loisir; puis, improvisant, il y ajouta à l'occasion le premier livre. D'où une certian inégalité de style. ...
- Archimède dans sa baignoire :
Plutarque, dans son Oeuvre morale "Qu'il n'est pas même possible de vivre agréablement selon la doctrine d'Épicure", raconte à sa façon cet épisode célèbre au chap. XI :
Ἀρχιμήδην δὲ βίᾳ τῶν διαγραμμάτων ἀποσπῶντες
ὑπήλειφον οἱ θεράποντες· ὁ δ´ ἐπὶ τῆς κοιλίας
ἔγραφε τὰ σχήματα τῇ στλεγγίδι, καὶ λουόμενος ὥς
φασιν ἐκ τῆς ὑπερχύσεως ἐννοήσας τὴν τοῦ στεφάνου
μέτρησιν οἷον ἔκ τινος κατοχῆς ἢ ἐπιπνοίας ἐξήλατο βοῶν
’εὕρηκα‘, καὶ τοῦτο πολλάκις φθεγγόμενος ἐβάδιζεν.
Quant à ce qui est d'Archimède, ses serviteurs l'arrachaient de force
à ses figures de géométrie pour le frotter d'huile, et lui pendant ce
temps-là en traçait d'autres sur son ventre avec l'étrille. Un jour
qu'on le mettait au bain, l'eau qui se répandit hors de la baignoire
quand il y entrait lui révéla le moyen de déterminer l'alliage de la
couronne du roi. Aussitôt, comme saisi d'une sorte de vertige ou
d'inspiration, il s'élança en criant : "J'ai trouvé" , et répétant ce mot à plusieurs reprises, il marchait toujours devant lui.
- Le besoin d'immortalité :
Plutarque, dans la même oeuvre, mais au chap. XXVIII, indique que la croyance à l'immortalité est une nécessité vitale pour les êtres humains :
[28] XXVIII. Διὸ τῇ δόξῃ τῆς ἀθανασίας συναναιροῦσι τὰς ἡδίστας
ἐλπίδας καὶ μεγίστας τῶν πολλῶν. τί δῆτα τῶν
ἀγαθῶν οἰόμεθα καὶ βεβιωκότων ὁσίως καὶ δικαίως, - - -
κακὸν μὲν οὐθὲν ἐκεῖ τὰ δὲ κάλλιστα καὶ θειότατα προσδοκῶσι;
πρῶτον μὲν γάρ, ἀθληταὶ στέφανον οὐκ
ἀγωνιζόμενοι λαμβάνουσιν ἀλλ´ ἀγωνισάμενοι καὶ νικήσαντες,
οὕτως ἡγούμενοι τοῖς ἀγαθοῖς τὰ νικητήρια τοῦ
βίου μετὰ τὸν βίον ὑπάρχειν θαυμάσιον οἷον φρονοῦσι τῇ
ἀρετῇ πρὸς ἐκείνας τὰς ἐλπίδας· ἐν αἷς ἐστι καὶ τοὺς νῦν
ὑβρίζοντας ὑπὸ πλούτου καὶ δυνάμεως καὶ καταγελῶντας
ἀνοήτως τῶν κρειττόνων ἐπιδεῖν ἀξίαν δίκην τίνοντας.
ἔπειτα τῆς ἀληθείας καὶ θέας τοῦ ὄντος οὐδεὶς ἐνταῦθα
τῶν ἐρώντων ἐνέπλησεν ἑαυτὸν ἱκανῶς, οἷον δι´ ὁμίχλης
ἢ νέφους τοῦ σώματος ὑγρῷ καὶ ταραττομένῳ τῷ λογισμῷ
χρώμενος, ἀλλ´ ὄρνιθος δίκην ἄνω βλέποντες ὡς
ἐκπτησόμενοι τοῦ σώματος εἰς μέγα τι καὶ λαμπρόν,
εὐσταλῆ καὶ ἐλαφρὰν ποιοῦσι τὴν ψυχὴν ἀπὸ τῶν θνητῶν,
τῷ φιλοσοφεῖν μελέτῃ χρώμενοι τοῦ ἀποθνήσκειν. οὕτως
μέγα τι καὶ τέλεον ὄντως ἀγαθὸν ἡγοῦνται τὴν τελευτήν,
ὡς βίον ἀληθῆ βιωσομένην ἐκεῖ τὴν ψυχήν, οὐχ ὕπαρ νῦν
ζῶσαν ἀλλ´ ὀνείρασιν ὅμοια πάσχουσαν.
[28] Ainsi en supprimant la croyance de l'immortalité on enlève
les plus agréables et les plus précieuses espérances à la majorité des
hommes. Que sera-ce, réfléchissons-y, que sera-ce pour les justes
qui ont mené une existence irréprochable et sainte, et qui loin de voir
au delà du tombeau rien de terrible, y contemplent des perspectives
délicieuses et toutes divines !
En effet, d'abord les athlètes ne reçoivent pas la couronne pendant
qu'ils combattent : ce n'est qu'après avoir combattu, qu'après avoir
mérité le prix. De même les gens de bien, persuadés que c'est
après la vie que les palmes en sont décernées, se complaisent dans les
espérances, merveilleusement douces, que leur inspire la
conscience de leurs vertus. Au nombre de leurs espérances
est celle-ci, que les mortels fiers aujourd'hui de leurs richesses
et de leur puissance jusqu'à en être insolents et jusqu'à
se moquer stupidement de ceux qui valent mieux qu'eux
seront punis comme ils le méritent, et que les gens de bien
seront témoins de cette expiation.
En second lieu, la jouissance et la contemplation de la vérité n'a jamais
satisfait complétement ici-bas ceux qui sont passionnés pour elle. Il
semble qu'ils la voient à travers un brouillard : le corps est
un nuage qui l'intercepte, et la raison procède en eux sans
consistance et sans certitude. Comme les habitants de l'air,
ils portent les yeux en haut. Il leur semble qu'ils vont s'envoler
du corps pour aller dans des espaces immenses, lumineux.
Ils donnent par avance à leur âme, loin des misères humaines,
un essor rapide et dégagé, et la philosophie est pour
eux une préparation à la mort. De cette manière, ils regardent
la fin de la vie comme un bien important et véritablement parfait.
Alors, se disent-ils, l'âme vivra de sa vie véritable: aujourd'hui elle
sommeille, aujourd'hui elle ressemble à un être qui rêve.
3. A propos de :
- Les apologies de Socrate (Platon, Xénophon) :
A l'occasion de la préparation d'environnements hypertetxes pour les apologies, nous pouvons livrer ci-dessous, tout d'abord, les présentations, puis, une comparaison de ces deux oeuvres :
Platon, l'Apologie de Socrate :
L'Apologie peut être divisée en trois parties, dont
chacune a son objet.
Dans la première partie, celle qui précède la délibération des juges
sur l'innocence ou la culpabilité de l'accusé, Socrate repond en général
à tous les adversaires que lui avaient faits sa manière de vivre loin des
affaires de la cité et ses conversations de tous les jours
sur les places publiques, les carrefours et les promenades d'Athènes.
Socrate, disait-on, était un homme dangereux, cherchant à pénétrer
les mystéres du ciel et de la terre, habile à rendre bonne la plus méchante
cause, et en enseignant publiquement le secret. Socrate
répond qu'il ne s'est jamais mêlé des choses divines;
qu'il n'a pas enseigné à la façon des sophistes, qui se faisaient
payer; mais qu'importe? on ne lui reprochait pas
d'exiger un salaire. Enfin, il invoque, à l'appui de cet
enseignement populaire, par lequel il s'efforçait de démontrer
aux uns leur fausse sagesse, aux autres leur
ignorance, une mission sacrée reçue du dieu de Delphes.
Était-ce là de quoi trouver grâce devant les ressentiments
profonds qu'avait dès longtemps excités sa
perçante ironie? Non, toute cette justification, qui élude
les griefs, plutôt qu'elle ne les repousse, n'était propre
qu'à augmenter les défiances de juges prévenus.
Aussi sa véritable valeur et son intérêt sont-ils tout
entiers dans la conséquence morale que Socrate ne
manque pas d'en tirer avec autant de profondeur que
d'ironie.
Il a conversé tour à tour avec les poètes, les
politiques, les artistes et les orateurs, c'est-à-dire avec
les hommes qui passent pour être les plus habiles et les
plus sages de tous; et comme il a reconnu chez les uns
et chez les autres, avec l'excessive prétention à une
sagesse et à une habileté universelles, l'égale incapacité
à les justifier, même dans le domaine borné de leur art,
il déclare qu'à ses yeux la sagesse humaine est bien peu
de chose, ou plutôt qu'elle n'est rien, si elle ne s'inspire
de la seule véritable sagesse qui réside en Dieu, et qui
ne se révèle à l'homme que par les lumières de la raison.
Mais les ennemis de Socrate ne s'en étaient pas tenus
à des accusations générales; ils avaient formulé, par la
bouche de Mélitus, ces deux accusations précises : 1) de
corrompre les jeunes gens ; 2) de ne pas croire aux
dieux de l'État, et de mettre à leur' place des extravagances
démoniaques. Ces deux griefs se tenaient et s'appelaient
l'un l'autre, car ils avaient pour fondement
commun le crime d'outrage à la religion.
Sur le premier point, Socrate répond seulement que son
propre intérêt devait lui interdire de corrompre les jeunes
gens, parce que les hommes ont plus de mal que de
bien à attendre de ceux auxquels ils nuisent. Sa défense
n'est pas plus catégorique sur le second point. Car, au
lieu de prouver à Mélitus qu'il croit aux dieux de l'État,
Socrate change les termes de l'accusation, et prouve
qu'il croit aux dieux, puisqu'il fait profession de croire
aux démons, enfants des dieux. Mais ces dieux sont-ils
ceux de la république? il ne s'explique pas là-dessus.
La plaidoirie prend un caractère soudain d'élévation
et de force, lorsque Socrate, invoquant son amour profond
de la vérité et l'énergie de sa foi dans la mission
dont il s'est cru chargé, révèle devant ses juges le secret
de toute sa vie. S'il n'a pas vécu comme les autres Athéniens,
s'il n'a pas exercé les fonctions publiques, ce
n'est ni par caprice, ni par misanthropie. Il obéissait
courageusement à la volonté d'un dieu qui le pressait,
dès sa jeunesse, de se consacrer à l'éducation morale de
ses concitoyens. Volontairement, et contre ses intérêts
les plus chers, il s'est fait l'instrument docile de la Divinité.
Prévoyait-il les luttes et les haines qui devaient
l'accabler? sans doute ; mais il avait fait le sacrifice
même de sa vie. Cette confiance admirable, qui relève
et domine le débat, marque bien que Socrate s'inquiétait
moins du succès de sa cause que du triomphe de
ses doctrines morales. ll ne voit dans ce dernier discours
qui lui est permis que l'occasion d'un suprême
enseignement, le plus frappant et le plus efficace de tous.
Il reste néanmoins une grande obscurité sur la nature
de ce démon familier que Socrate invoque si souvent.
N'était-ce en lui que la voix de la conscience, rendue
singulièrement forte et claire par la méditation et par
une sorte d'exaltation mystique? On peut le croire. Mais
il est permis de penser aussi, en se fondant sur quelques
passages du Timée et du Banquet, que Socrate admettait
comme tous les anciens l'existence d'êtres intermédiaires
entre Dieu et l'homme, comblant l'immense distance
que met entre eux la différence de nature, et exerçant
un ministère analogue à celui des anges dans la théologie chrétienne.
Les Grecs les appelaient démons, c'est-à-dire êtres divins.
Était-ce quelqu'un de ces génies
dont Socrate entendait la voix? Quoi qu'on en pense, le
doute n'ôte rien à l'effet moral des pages les plus originales de l'Apologie.
Dans la seconde partie, comprise entre la première
décision des juges et leur délibération sur l'application
de la peine, Socrate, reconnu coupable, déclare sans
trouble qu'il s'attendait à sa condamnation. Mais sa fermeté
semble se changer en une sorte d'orgueil qui dut
blesser les juges, lorsque, se refusant à exercer le droit
que lui donnait la loi de fixer lui-même sa peine, il se
juge digne d'être nourri dans le Prytanée aux frais de
l'État, ce qui était à Athènes la plus grande récompense
publique accordée à un citoyen. Moralement, il a raison;
mais au point de vue de la défense, on ne peut
nier que cette attitude hautaine n'ait grossi le nombre
des voix qui le condamnèrent à la mort.
C'était là d'ailleurs le voeu secret de l'accusé, qui, dans
la dernière partie de l'Apologie, une fois la peine prononcée,
laisse voir une joie qui n'était pas jouée. Son
démon familier l'avait averti en quelque sorte de l'issue
du procès en ne lui inspirant pas de se défendre; et sa
mort était à ses yeux la suprême sanction de ses doctrines
et le dernier acte nécessaire de sa destinée. Aussi
son unique préoccupation est-elle de prouver qu'il la
regarde comme un bien. De deux choses l'une : ou la
mort est un anéantissement absolu, et alors quel avantage
c'est pour lui d'échapper par l'insensibilité à tous
les maux de la vie ! ou elle est le passage d'un lieu à un
autre; et, dans ce cas, n'est-ce pas le plus grand des bonheurs
que d'être sitôt transporté dans le séjour des justes?
Cet adieu à la vie, plein de sérénité et d'espérance, laisse
reposer la pensée sur la croyance consolante et sublime
à l'immortalité, croyance qu'une bouche païenne n'avait
pas encore avouée en ces termes exprès. Elle implique
certainement la distinction absolue de l'âme et
du corps, et la spiritualité de l'âme.
On le voit, l'Apologie de Socrate, bien qu'elle soit écrite
dans la forme ordinaire des plaidoyers prononcés devant
les tribunaux, est au fond moins politique que philosophique;
et Platon ne la livrait pas tant à l'examen des
citoyens d'Athènes qu'à celui des philosophes et des moralistes
de tous les pays. Si son but principal avait été de
justifier civilement la conduite de son maître, il l'aurait
mal atteint; car il n'a réussi à prouver ni la fausseté des
accusations intentées à Socrate, ni son innocence devant
les lois athéniennes. Socrate avait-il réellement attaqué
la religion et les institutions religieuses d'Athènes? Toute
la question est là.
La religion étant, comme les lois elles-mêmes, une
partie essentielle de la constitution, l'attaquer, soit par
l'ironie, soit par une polémique avouée, c'était un crime
d'État. De plus, c'était non seulement le droit, mais le
devoir d'un citoyen de poursuivre publiquement l'auteur
de telles attaques. Or, il faut l'avouer, l'homme qui,
dans l'Euthyphron, se moque des dieux de l'Olympe,
traite de contes insensés les traditions mythologiques
et de trafic ridicule les cérémonies du culte, l'homme
en guerre ouverte avec le polythéisme ne pouvait pas se
soustraire à l'accusation d'impiété. Voilà pourquoi Platon
l'en défend mal. Mais, à vrai dire, il importe peu à ses
yeux , et même il entrait peut-être dans son dessein de
sacrifier la défense légale, afin de prouver la supériorité
morale de son maître sur les hommes de son temps par
la profonde incompatibilité de ses croyances avec les
leurs. Socrate serait moins grand philosophe s'il eût pu
être absous. Entre autres caractères, son originalité n'est-elle
pas d'avoir cru à un seul Dieu en plein polythéisme,
et sa grandeur, de l'avoir dit et d'être mort pour l'avoir osé dire ?
[tiré de : E. SAISSET, Oeuvres complètes de Platon.
Traduction DACIER et GROU revisée par E. CHAUVET et A. SAISSET.
t. I, Paris, Charpentier, 1885]
Xénophon, l'Apologie de Socrate :
Comparée au livre admirable de Platon, l'Apologie de
Socrate de Xénophon semble froide et décolorée. On n'y
trouve qu'un léger souvenir, une image lointaine de
cette ironie vive, amère, mais toujours contenue, dont
Platon arme la défense éloquente de son maître.
L'Apologie de Platon, ainsi que le fait remarquer Denys d'Halicarnasse
dans sa Rhétorique, se divise en trois parties
distinctes , qui forment comme les trois actes de ce dramatique monologue.
Suivant l'ordre usité dans les jugements athéniens, la première partie
contient la réfutation que Socrate oppose à ses accusateurs ; dans la seconde,
reconnu coupable par les juges , il discute la peine qui doit
lui être infligée; dans la troisième , condamné à mort, il
expose ses idées sur le passage de l'âme à une vie meilleure.
L'Apologie de Xénophon n'offre rien de semblable;
l'auteur le dit lui-même. "Je ne me suis point préoccupé
de rapporter tous les détails du procès : il m'a suffi de
faire voir que Socrate avait attaché la plus grande importance
à démontrer qu'il n'avait jamais été impie envers
les dieux, ni injuste envers les hommes, mais qu'il ne
pensait pas devoir s'abaisser à des supplications pour
échapper à la mort; qu'au contraire il était persuadé, dès
lors, que le temps était venu de mourir."
Tout le plaidoyer de Xénophon est subordonné à cette idée. Aussi,
nul déploiement d'éloquence : rien de passionné et de
saisissant; quelques paroles brèves, nettes, dédaigneuses,
mais dépourvues de ce persiflage mesuré, dont Platon
flagelle l'iniquité des juges de Socrate, en leur imprimant
un stigmate indélébile : point de mouvements entraînants,
point de traits oratoires. Par exemple, la dernière phrase de
l'Apologie de Platon est un admirable résumé de toute son
oeuvre, une opposition noble et frappante de la situation
morale de Socrate et de celle de ses juges : « Mais il est
temps de nous séparer, moi, pour aller mourir, et vous,
pour aller vivre : à qui de nous est réservé le meilleur
sort , c'est un secret pour tous, excepté pour Dieu. »
Dans Xénophon, rien de pareil. Disons pourtant que le silence
même de Socrate a je ne sais quoi de digne, d'imposant,
de flétrissant pour ses ennemis. «Après avoir ainsi parlé,
il sortit sans que rien en lui démentît son langage ; ses
yeux, son attitude, sa démarche, conservant la même
sérénité. » Cette majesté, cet inaltérable sang-froid dans
le maintien d'un homme déclaré coupable et frappé d'une
sentence de mort, n'est-elle pas comme la condamnation
vivante de ceux qui l'ont condamné ?
[tiré de : Eugène TALBOT, Oeuvres complètes de Xénophon; t. I, Paris, Hachette, 1859]
Comparaison des deux apologies :
PLATON, Apologie de Socrate :
" ... Son Apologie a l'air d'une improvisation familière; c'est,
en fait, une composition très réfléchie. Après un exorde où
Socrate s'excuse de ne pas parler avec art, il répond d'abord
aux accusations des poètes comiques, d'Aristophane en particulier,
qui l'avaient représenté comme adonné aux sciences
de la nature; il déclare y être absolument étranger. Mais
alors,-dit-il, s'il ne prétend à aucune supériorité de connaissance,
s'il n'y a rien en lui d'exceptionnel, d'où est venue sa
notoriété? d'où sont nés tant de soupçons malveillants? Il
l'explique par le fait que, depuis longtemps, s'étant mis à
interroger tous ceux que l'on croyait savants, ou qui d'eux-mêmes
se croyaient tels, il a été amené à les convaincre qu'ils
n'en savaient pas plus que lui-même sur les choses qu'ils
croyaient savoir. Et cette enquête, il ne l'a faite, ajoute-t-il,
que pour contrôler une déclaration du dieu de Delphes, qui
l'avait désigné, lui, Socrate, comme le plus savant des hommes.
Telle est la première partie de l'Apologie. Elle caractérise à
grands traits, mais avec justesse, le rôle de Socrate ainsi que
sa philosophie, résolument indifférente aux recherches sur la
nature, et toute attachée à la connaissance de l'homme, à la
définition de son bien; elle le met en scène, elle le fait revivre
sous nos yeux. Qu'il y ait quelque artifice dans l'importance
attribuée à l'oracle, cela n'est pas douteux. Non pas qu'on en
doive mettre en doute la réalité. Mais en le donnant comme
la raison première et décisive de l'enquête qui avait occupé
toute la vie de son maître, Platon a cédé visiblement à un
instinct de simplification dramatique, qui était d'un poète
plus que d'un historien. Il y trouvait d'ailleurs l'avantage de
marquer plus fortement le caractère divin du rôle joué par
Socrate; il transformait effectivement en une investiture formelle
ce qui avait été d'abord une simple suggestion de sa
nature et ce qu'il avait considéré ensuite comme l'ordre d'une
voix intérieure, l'ordre d'un dieu.
La seconde partie est la réponse directe aux griefs positifs
formulés par Mélétos. A vrai dire, cette réponse semble plutôt
destinée à faire ressortir la légèreté de l'accusateur qu'à
démontrer l'inanité de l'accusation. Socrate ne discute pas
réellement la question de l'influence excercée par lui sur la
jeunesse. Il s'amuse à faire dire par Mélétos cette sottise, que
tout Athénien, quel qu'il soit, est capable de bien élever les
jeunes gens, hormis un seul, qui est Socrate. Puis, il l'amène
à convenir que tout homme sensé doit aimer mieux, dans son
propre intérêt, vivre avec d'honnêtes gens qu'avec ceux qui
ne le sont pas ; d'où il suit qu'il aurait été dénué de sens,
s'il avait volontairement perverti ceux dont il faisait sa société
habituelle. Il est trop clair que ni l'un ni l'autre de ces raisonnements
ne démontre ce qui était vraiment en question,
c'est-à-dire que l'influence de Socrate ne s'exerçait pas au
détriment de l'autorité des parents ni contrairement à l'esprit
de la démocratie athénienne. Ils prouvent simplement, l'un
et l'autre, que Mélétos était un sot qui ne comprenait rien au
rôle dont il s'était chargé. C'est sans doute ce que Socrate
avait voulu faire éclater aux yeux du tribunal, ne pouvant
guère présenter sur ce point une justification directe, qui
n'eût été ni admise ni comprise. Platon est donc probablement
en ceci un témoin assez fidèle.
Le reproche d'innover en matière religieuse est traité d'une manière analogue.
Mélétos, pressé de s'expliquer nettement, ne fait pas difficulté
de dire qu'en fait il tient l'accusé pour un athée. Cette accusation,
Socrate la tourne en ridicule, en montrant qu'elle se
contredit elle-même, puisque le même homme prétend d'autre
part le faire condamner comme croyant à des divinités nouvelles.
Pour la seconde fois, l'auteur de la plainte est convaincu
de ne pas savoir ce qu'il dit. Socrate explique alors ce
qu'est cet esprit divin qu'on lui reproche d'adorer : simple
avertissement intérieur que les dieux lui donnent, comme ils
en donnent à d'autres sous d'autres formes. Ici encore, la
vraie question est à peine effleurée. On a vu plus haut pourquoi
Socrate n'avait pas pu apporter sa profession de foi devant
le tribunal. Les mêmes raisons s'imposaient à son apologiste.
Exposer la croyance religieuse de Socrate, c'eût été
s'obliger à dire en quoi elle s'écartait de celle de la foule.
Platon ne se sentit pas en droit de le faire, surtout dans une
composition qui était censée reproduire ce que Socrate avait dit réellement.
Mais si cette seconde partie nous fait un peu l'effet d'un
intermède satirique, où l'auteur se joue aux dépens d'un
personnage méchant et ridicule, il en est tout autrement de
celle qui suit, où Socrate expose sa mission. C'est bien en
effet comme une mission divine qu'il représente son rôle; et
voilà certainement ce que Platon a surtout voulu imprimer
dans l'esprit de ses lecteurs. On sent ici combien il tient à
leur persuader que si son maître a passé sa vie à interroger,
à raisonner, à exhorter, ce n'était ni pour le malin plaisir de
déconcerter ses interlocuteurs, ni pour la satisfaction de déployer
son esprit, ni par une sorte d'indiscrétion naturelle,
mais parce qu'il croyait fermement qu'en agissant ainsi il
rendait à ses concitoyens le plus grand service, parce qu'il
accomplissait un devoir qui lui avait été spécialement prescrit
par une volonté divine. Semblable au soldat à qui un poste
a été assigné, il ne pouvait s'y soustraire sans déshonneur.
C est ce que Platon lui fait déclarer expressément, en un langage
éloquent. Et c'est par là qu'il explique aussi son refus
absolu de changer de conduite. Si Socrate a semblé braver
ses juges, s'il a déclaré qu'acquitté par eux, il continuerait
à faire ce qu'il avait toujours fait, l'Apologie en donne la raison,
à la fois très simple et très belle. C'est qu'en renonçant
à parler, il aurait fait acte de lâcheté par peur d |