Virgile

Didon et Énée

Énéide, IV, 1-30

 

            


Plan et résumé du livre IV

Traduction du passage (J. Poucet — A.-M. Boxus)

 

Le chant IV joue un rôle important dans la formation d'Énée et dans la conception virgilienne du héros épique. Si Énée n'est pas l'auteur de son destin ni de celui de sa race, il n'en est pas moins l'instrument essentiel sans lequel ce destin ne peut se réaliser ; il appartient aux causes secondes du destin et doit donc collaborer à sa mise en œuvre. Or Énée n'est pas doté dès le début des qualités traditionnelles du héros épique qui doivent lui permettre de mener à bien cette mission. Contrairement au héros homérique, Énée ne possède pas ces qualités de naissance ; il doit les acquérir. Il lui manque l'énergie, la maîtrise des événements, l'espoir. Dans la première partie de l'Énéide, Virgile souligne plusieurs fois cette misère du personnage toujours au bord de l'effondrement moral. Le chant IV, en particulier, est l'occasion de la plus grande épreuve que doit affronter Énée dans cette initiation à l'héroïsme : alors qu'il croit être arrivé au bout de ses errances, il y connaît la plus grande souffrance de sa quête en même temps qu'une humiliation particulièrement pénible dans l'affrontement qui l'oppose à Didon abandonnée. Pour devenir un héros, Énée devra littéralement s'arracher à la séduction de l'amour qui est décidément une valeur étrangère à l'univers de l'épopée.

L'action du chant IV est intimement mêlée à celle du chant I, à la fête nocturne dans le palais de Didon. Quand le jour se lève, le destin de Didon est scellé, la passion l'habite inexorablement. À la fin du chant I, Vénus a substitué son fils Cupidon au fils d'Énée, Ascagne, et rendu ainsi Didon passionnément amoureuse d'Énée. Pendant une grande partie de la nuit, la reine a écouté les récits de son hôte, qui forment la matière des livres II (la chute de Troie) et III (les errances d'Énée). À mesure qu'Énée parlait, le poison de l'amour s'insinuait dans le cœur de Didon.

Les événements sont ramassés dans un temps assez court ; entre l'arrivée d'Énée à Carthage et la mort de Didon s'écoule une durée de trois mois d'hiver. Ce trait apparente l'action du chant IV à celle d'une tragédie, mais aussi la progression des sentiments, les péripéties, le coup de théâtre qui ramène Énée à l'ordre de sa mission et le dénouement sanglant. Au début du chant, nous avons comme la scène d'exposition de la tragédie, où Anna, la sœur de Didon, joue le rôle de la confidente : elle est le double du personnage central ; elle en révèle les sentiments ; elle l'aide à dire les paroles inavouables. Dès l'ouverture du chant, nous sommes en plein drame : l'aveu pathétique de Didon à sa sœur donne le spectacle d'une âme déchirée entre des sentiments contraires ; elle lui confie son amour pour Énée, tout en affirmant son désir de rester fidèle au souvenir de Sychée, son premier époux.

 

1            At regina graui iamdudum saucia cura

2            uolnus alit uenis et caeco carpitur igni.

3            Multa uiri uirtus animo multusque recursat

              gentis honos ; haerent infixi pectore uoltus

5            uerbaque nec placidam membris dat cura quietem.

6            Postera Phoebea lustrabat lampade terras

              umentemque Aurora polo dimouerat umbram,

8            cum sic unanimam adloquitur male sana sororem :

              « Anna soror, quae me suspensam insomnia terrent !

10          quis nouos hic nostris successit sedibus hospes,

11          quem sese ore ferens, quam forti pectore et armis !

              Credo equidem, nec uana fides, genus esse deorum.

              Degeneres animos timor arguit. Heu, quibus ille

              iactatus fatis ! quae bella exhausta canebat !

15          Si mihi non animo fixum immotumque sederet

16          ne cui me uinclo uellem sociare iugali,

              postquam primus amor deceptam morte fefellit ;

              si non pertaesum thalami taedaeque fuisset,

19          huic uni forsan potui succumbere culpae.

20          Anna, fatebor enim, miseri post fata Sychaei

              coniugis et sparsos fraterna caede penatis

22          solus hic inflexit sensus animumque labantem

23          impulit. Agnosco ueteris uestigia flammae.

24          Sed mihi uel tellus optem prius ima dehiscat

25          uel pater omnipotens adigat me fulmine ad umbras,

              pallentis umbras Erebo noctemque profundam,

27          ante, pudor, quam te uiolo aut tua iura resoluo.

28          Ille meos, primus qui me sibi iunxit, amores

              abstulit ; ille habeat secum seruetque sepulcro. »

30          Sic effata sinum lacrimis impleuit obortis.

 

 

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Dernière mise à jour : 3 décembre 2019