VIRGILE

Didon et Énée

 

Énéide I, 695-756

 

Au fil Au fil du texte texte

 


 

v. 695 : inversion dans l'ordre des mots, qui met en évidence l'imparfait de la durée ibat, en début de vers, et Cupido, le nom du dieu, à la fin du vers. D'autre part, le premier hémistiche est exclusivement composé de spondées et semble traduire la résolution du dieu dans la manœuvre de séduction qu'il entreprend sur l'ordre de sa mère.

regia : rejet de l'adj. épithète de dona : Cupidon connaît les règles de l'hospitalité : on ne remercie pas une reine avec des cadeaux de pacotille, surtout si, de surcroît, il s'agit de la séduire !

pater : le mot est ambigu :  s'agit-il ici d'Énée, le « père » d'Ascagne, ou du « vénérable » Énée. En toute hypothèse, Énée perdra l'un et l'autre titres dans la suite de l'aventure carthaginoise : en tombant dans la tentation de l'amour, il oubliera les destins de son propre fils, comme le lui reprochera bientôt Mercure (IV, 272-276), et il se rendra indigne de sa mission de fondateur.

Cererem : Céres (Ceres, Cereris) est la déesse de la moisson, fille de Saturne et Cybèle, mère de Proserpine. Son nom est employé ici comme métonymie mythologique du pain ou des gâteaux : moisson > blé > farine > pain, produit fini de la moisson (fr. céréales).

ordine longam penum : hypallage : longam se rapporte grammaticalement à penum, mais selon le sens à ordine.

penatis : (< penus : provisions de bouche, garde-manger : voir début du vers) : vers érudit où le poète se livre au jeu de l'explication étymologique par le biais de la description poétique (cfr. Aen. VII, 181 : ab origine reges = Aborigènes ; voir J. MAROUZEAU, Virgile linguiste, dans Mélanges A. Ernout, Paris, 1940, p. 259-265). Métonymie : il ne s'agit évidemment pas de brûler les dieux pénates ; les dieux désignent ici le foyer qu'ils protègent et la fonction religieuse qui est évoquée est de brûler des substances aromatiques, de l'encens sur l'autel qui leur est consacré dans l'atrium de la maison pour qu'ils ne manquent de rien. Cela dit, l'étymologie penus/penates, rappelée par Virgile lui-même, et la présence d'un si grand nombre de servantes invitent à interpréter aussi l'expression dans un sens plus commun : au-delà de la signification religieuse, penates est, sans doute, une métaphore pour culina, la cuisine : voir SERVIVS, in Aen. II, 469 : singula enim domus sacrata sunt diis ut culina penatibus : « chacune des parties de la maison est consacrée à des divinités, comme la cuisine aux Pénates », même si ces dieux avaient leur chapelle dans l'atrium. Comme l'explique G. DUMÉZIL, La religion romaine archaïque, Paris, 1987, p. 359, « Virgile, avec rappel de penus, emploie métonymiquement penates pour focus ». L'expression, certes un peu précieuse, ne signifierait donc pas autre chose qu'embraser la cuisine de flammes, faire grand feu dans la cuisine. La connotation religieuse du festin offert aux Troyens est cependant bien présente et très marquée, comme on le voit dans la suite du passage (v. 728 sq).

pares aetate : usage romain et sans doute inconnu à Carthage au moment du récit : c'était l'un des luxes des maisons romaines riches que d'avoir des serviteurs du même âge ou des serviteurs assortis par la taille, la couleur des cheveux ou d'autres ressemblances (voir SEN., epist., 119, 13 : paribus ministeriis). L'abondance particulièrement prolifique du personnel de maison confirme ce luxe ostentatoire.

laeta frequentes conuenere : le vocabulaire, le pluriel poétique, le rejet contribuent à souligner l'atmosphère festive d'abondance, d'opulence, de nombreuse fréquentation, de rassemblement joyeux, d'où émergera bientôt, en contraste, la figure de Didon, victime malheureuse d'un amour irréversible et tragique. On peut également observer le parallélisme avec conueniunt du v. 700 : dans tout cet épisode, Virgile multiplie les occasions de souligner l'étroite connivence entre les Troyens et leurs hôtes (voir aussi infra v. 732 et v. 747).

mirantur : l'anaphore traduit en tête de chaque hémistiche une rumeur mondaine qui envahit le palais d'admiration.

Iulum : au centre de cette admiration, le fils d'Énée sous les traits duquel se cache Cupidon, le dieu impitoyable de l'amour.

flagrantis uoltus : l'éclat du regard est un signe de divinité : voir Aen. V, 647-649 : diuini signa decoris/ ardentisque notate oculos, qui spiritus illi, quis uoltus uocisque sonus uel gressus eunti : les yeux, l'assurance, le visage, la voix, la démarche sont autant de signes divins (cfr. démarche de Vénus en I, 405), mais aussi la voix et la richesse du vêtement.

praecipue : au fur et à mesure que grandit l'ambiance de la fête, la tragédie s'installe dans le cœur de Didon : à la joie, à la rumeur, au bonheur collectifs, Virgile oppose un gros plan sur le visage ravagé de Didon. Le génie du poète est d'avoir su articuler le topos épique de l'hospitalité héroïque et la naissance d'un roman d'amour, qui va bientôt prendre toute la place de l'épopée. À la fin du livre IV, les valeurs épiques reprendront leurs droits sur l'aventure amoureuse, mais celle-ci aura imprimé des traces irrémédiables dans le destin héroïque, puisque les malédictions de l'amante abandonnée se dilateront en une prophétie politique : le refus d'Énée d'accepter l'hospitalité de Didon est à l'origine de l'hostilité durable entre les deux peuples.

infelix : mise en évidence du malheur de Didon avant même que ne soit prononcé le nom de la personne ainsi décrite ; ce nom n'apparaît que deux vers plus loin dans un rejet expressif : Phoenissa. Dès cet instant, infelix devient comme une épithète de nature qui collera définitivement au nom de Didon (voir I, 749, etc.)

deuota : comme en une consécration divine, Didon est destinée par les dieux à un véritable sacrifice pour la grandeur d'Énée : elle sera l'instrument de sa faute, mais aussi de sa purification. Cette consécration rituelle et solennelle fait d'elle une véritable victime offerte en sacrifice au malheur présent et futur pour qu'Énée puisse grandir en héroïsme. L'emploi du verbe rappelle ici le rite militaire de la deuotio, où un soldat se sacrifie volontairement, contrairement à Didon, aux dieux pour la victoire des siens avant que le combat ne s'engage.

mouetur : dès cet instant, Didon n'est plus qu'émotion et passivité : elle a perdu sa dignité de reine, maîtresse d'elle-même, et elle est entièrement envahie par la présence divine dont les vers suivants soulignent l'activité et l'initiative ; elle ne reprendra un rôle actif que plus tard, pour maudire l'amant infidèle et prendre la décision de son suicide.

Phoenissa… ille : outre l'accent qu'il met sur le personnage de Didon, le rejet permet d'associer en tête de deux vers consécutifs la Phénicienne et son bourreau, l'enfant Ascagne/Cupidon, réunis dans un gros plan particulièrement expressif.

v. 715-716 : ces deux vers visualisent, dans une syntaxe enveloppante et concentrique, l'embrassement, le cercle des bras de l'enfant qui s'enroulent autour du cou d'Énée : au vers 715, l'hendiadys place Énée au centre du vers ; au v. 716, le verbe est au centre d'un chiasme qui sépare les deux adjectifs et les deux substantifs en inversant les rapports syntaxiques qui les unissent.

reginam petit : rejet expressif qui met l'accent sur la réalité de la manÏuvre de Cupidon, présentée comme une véritable agression contre la reine. D'autre part, la brutalité du rejet est d'autant plus expressive qu'il constitue la brève apodose d'une longue phrase, où la protase étirée souligne, en contraste, toute la séduction du redoutable enfant. Didon est entièrement livrée aux entreprises belliqueuses de Cupidon.

v. 717 : la musique du vers répète le son /ae/ deux fois dans le vers et une fois à l'intonation du vers suivant dans le rejet haeret, qui exprime toute l'impuissance de Didon désormais prise au piège d'une émotion qui la pétrifie : sonorité plaintive qui semble traduire la fébrilité des sentiments de Didon, totalement investie par le mal d'amour qui causera son malheur (cfr. l'interjection uae !). Sur le procédé de l'allitération dans l'Énéide, voir A. CORDIER.

v. 718-719 : mise en évidence de Didon en fin de vers ; extraction de la relative du verbe insidat, qui en souligne le sens militaire ; rapprochement expressif quantus miserae deus au centre du vers, avant la coupe, qui oppose la grandeur du dieu et la misère de sa victime humaine, enfermée à l'intérieur de l'adjectif et de son substantif. Au v. 719, après que miserae a été isolé entre la césure 3 et la césure 5, la phrase s'achève sur le mot terrible deus, isolé entre la césure 7 et la ponctuation bucolique : ce mot suffit à condamner à l'échec toute tentative de résistance de Didon. La reine est totalement assiégée, prise au piège d'un amour destructeur dont elle se rend complice dans son inconscience.

At : après la ponctuation bucolique, la conjonction marque une violente opposition entre la brûlure de Didon et le froid cynisme du dieu qui entreprend un véritable travail de sape dans le cÏur de la reine pour effacer le souvenir de son ancien mari.

Acidalia, ae : l'Acidalienne est un surnom de Vénus, tiré de la source Acidalie en Béotie, où la déesse avait l'habitude de se baigner avec tout son cortège de Grâces.

uiuo… amore : mise en évidence de l'adjectif : Cupidon entreprend de réveiller la vie sentimentale et sensuelle de Didon, qui était morte avec Sychée ; il lui faut réveiller un cÏur « déshabitué à l'amour ».

resides : semble répondre à insidat, pour opposer les deux attitudes, respectivement passive et active, de Didon et de Cupidon.

Postquam : après cette série de gros plans qui nous ont introduit au plus profond de la psychologie de Didon, Virgile retourne au déroulement du festin.

mensae remotae : après le « premier service » ou le repas proprement dit, on marquait une pause pour desservir les tables et retirer les plateaux sur lesquels on avait apporté les mets. Commence alors la deuxième partie du repas, la comissatio ou beuverie en commun, caractérisée par l'usage plus ou moins immodéré du vin et la succession des divertissements ; cette deuxième partie du festin est précédée des libations d'usage et du chant du péan à Bacchus.

uina coronant : acte rituel qui consiste à couronner de fleurs les cratères de vin avant l'invocation aux dieux qui précède la deuxième partie du repas, consacrée aux rites de l'ivresse : cfr. georg. II, 528 ; Aen. III, 525 sq, qui attestent la fonction rituelle du geste avant une libation aux dieux, mais dans des contextes différents d'un repas.

v. 725 : contraste musical entre le premier hémistiche, marqué par des sonorités pointues et sifflantes qui traduisent le bruit du service des tables (dentales, sifflantes et /i/), et le deuxième hémistiche, où les sonorités plus sourdes semblent faire entendre les rumeurs confuses du palais.

v. 727 : la féerie lumineuse de la fête est notamment soulignée par le rapprochement contrasté noctem flammis de part et d'autre de la coupe du vers, préparé par le premier hémistiche incensi et noctem.

Belus : fondateur de la race et de la dynastie, père de Didon (voir Aen. I, 621), roi de Tyr, auquel succéda Pygmalion, le frère de Didon, qui fit assassiner Sychée. À moins qu'il ne s'agisse d'un lointain ancêtre, puisque Virgile évoque aussi tous ceux qui « sont issus de lui ». Servius commente ainsi ce vers : primus rex Assyriorum, quos constat Saturnum, quem et Solem dicunt, Iunonemque coluisse, quae numina etiam apud Afros postea culta sunt. Vnde et lingua Punica Bal deus dicitur. Apud Assyrios autem Bel dicitur quadam sacrorum ratione et Saturnus et Sol. Le Deutéro-Servius ajoute : alii hunc Belum Saturni temporibus regnasse eiusdemque dei hospitem fuisse tradunt. Cfr. STAT., Theb. VI, 61 : ab antiquo durantia cinnama Belo, dans une liste de parfums orientaux. Servius confond ainsi le père de Didon et le premier roi des Assyriens, père de Ninus et fondateur de Ninive.

v. 730 : le deuxième hémistiche de ce vers s'oppose au premier hémistiche du vers 725 : fit - strepitus - tectis >< facta [est] - silentia - tectis.

silentia : pluriel poétique pour signifier la propagation du silence de chacun.

Iuppiter : Didon n'invoque pas du tout les dieux carthaginois, mais bien des divinités du panthéon romain : Jupiter, Junon, Bacchus, contribuant ainsi à renforcer le sentiment d'une Carthage romanisée. De plus, Didon invoque des divinités olympiennes, alors que dans les usages de la table, les Romains invoquent plutôt les dieux lares.

nam : explique le fait que la reine invoque d'abord Jupiter dont elle appelle la protection sur les Troyens. Cela dit, Didon invoque ici moins le Jupiter latin que le Jupiter grec, protecteur des hôtes ou Zeus xenios (voir OV., met. X, 224 : Iuppiter hospes ; CIC., ad Quint. II, 10, 3 : Iuppiter hospitalis). « C'est de la part de Zeus, dit Homère, que viennent tous les étrangers et tous les mendiants » (Od. VI, 207-208) et, lorsque Eumée accueille Ulysse sans le reconnaître, il lui dit : « Si j'ai pitié de ta misère, c'est parce que je redoute Zeus hospitalier ».

v. 735 : pour souligner la solennité religieuse de la prière de Didon, Virgile bouleverse l'ordre des mots de la phrase, comme en un rappel des oracles exprimés de manière ambiguë ou désordonnée. L'ordre des mots est ici purement rythmique et n'est plus rationnel : la séparation de /o/ et du vocatif correspondant Tyrii induit une distorsion exceptionnelle de la syntaxe.

summo ore : les femmes n'avaient pas le droit de boire dans les festins. Par ce geste, Didon accomplit sa fonction de reine et d'hôtesse en donnant le signal du début de la comissatio, mais elle ne boit pas le vin qu'elle se contente de toucher des lèvres.

increpitans : ce verbe traduit la fébrilité de Didon : après ce moment solennel, un trouble certain l'envahit ; elle ne maîtrise plus ses gestes ou propos. Elle presse son voisin de boire avec une impatience joyeuse ; elle est manifestement nerveuse. D'autre part, ce verbe est ironique, car Bitias n'avait visiblement pas besoin qu'on l'excitât à boire. Sa « hâte » à vider la coupe (impiger), renforcée par l'asyndète à la césure 7, et sa façon de s'y « plonger » (hausit, proluit) le prouvent à suffisance.

Iopas : d'après Servius, il s'agirait d'un roi africain, un des prétendants de Didon. Ce chanteur rappelle en tout cas ceux qui animaient les repas homériques : Démodocos, chantant à la cour d'Alkinoos, roi des Phéaciens ; Phémios, que les prétendants de Pénélope forçaient à chanter dans leurs festins. L'usage d'introduire, à la fin du repas, des chanteurs, des mimes ou des diseurs de bonne aventure était fréquent à Rome (voir HORACE, carm. I, 11, 1-2).

Atlas : roi de Mauritanie, fils du Titan Japet et de l'Océanide Clymène, frère des Titans Prométhée et Épiméthée ; il prit part à la guerre des Titans contre Jupiter, et fut condamné à porter le ciel sur ses épaules, et à en faire tourner l'axe (voir Aen. IV, 482 ; VIII, 137, où il est toujours désigné par l'expression maximus Atlas). Voulant soulager Atlas de son fardeau, Hercule prit un jour sa place, mais il faillit laisser tomber le monde, ouvrant ainsi à l'extrémité occidentale de la Méditerranée le détroit de Gibraltar, placé entre les colonnes d'Hercule. Selon Homère (Od. I, 52), Atlas connaît tous les abîmes de la mer. Porteur de la sphère céleste et fils de la Lybie, les doxographes avaient fait du géant Atlas le premier des astronomes ; à ce titre, il enseigna, dit-on, l'astronomie à Hercule, qui avait délivré ses filles, les Hespérides. C'est lui, dit Pline (H.N. II, 6, 3), qui découvrit que la terre était ronde. Formé à l'école d'Atlas, Iopas va chanter un grand poème cosmique, aux sujets grandioses, austères, en harmonie avec les sentiments de Didon : il y a comme une convenance secrète entre les chants d'Iopas et les états de l'âme de Didon, entre la poésie cosmique et les purs élans d'une passion à ses débuts ; les paroles de cet austère poème ouvrent au cÏur de Didon, à la rêverie amoureuse de la reine bercée par la musique, les portes de l'infini. À la sérénité philosophique de ces chants s'opposeront bientôt les événements tumultueux du prochain récit d'Énée puis du drame amoureux du livre IV.

labores : les souffrances du soleil sont ses éclipses, car le soleil s'attriste lorsqu'il ne peut plus briller (voir georg. II, 478).

Arcturus, i : Arcture est la plus grande étoile de la constellation du Bouvier ; elle est voisine de la grande Ourse.

Hyades, um : (Hyadas : forme grecque de l'acc. plur.) les Hyades, ou filles du géant Atlas, sont une constellation qui annonce la pluie : elles moururent de chagrin à la mort de leur frère Hyas, tué à la chasse, et furent changées en constellation pluvieuse (< húein : pleuvoir) ; leur lever (entre le 16 mai et le 9 juin) et leur coucher (entre le 2 et le 14 novembre) marquent un changement de saison.

Triones, um : les « deux bÏufs » (trio, trionis) désignent les constellations jumelles des deux Chariots (Plaustra) aussi appelées les Ourses (gr. árktoi). Elles forment deux figures symétriques de sept étoiles, appelées septemtrio(nes) (fr. septentrion) : les quatre premières étoiles forment un rectangle, et les trois autres une courbe, appelée queue (cauda).

v. 745-746 : citation de georg. II, 481-482.

v. 747 : le chiasme rapproche les deux peuples Tyrii/Troes au centre du vers (cfr. le polysyndète du v. 732).

infelix : cfr. v. 712 ; rejet expressif.

longumque bibebat amorem : « elle buvait l'amour à longs traits », où longum a une valeur adverbiale. Employé de manière figurée, bibere rappelle ici le contexte concret du festin : alors que les convives « boivent » du vin en se livrant au rite de l'ivresse qui prolonge le repas proprement dit, Didon « boit » une autre boisson, celle de l'amour, s'abandonnant progressivement au trouble d'une ivresse plus destructrice que celle de la boisson. Longus amor pourrait aussi signifier un amour qui s'enracine dans l'âme pour durer (cfr. Aen. III, 487 : longue tendresse d'Andromaque) ; longus serait alors une épithète pathétique, car cet amour « fait pour durer » sera bientôt brisé par le destin.

rogitans : la construction en zeugma rappelle celle de canit au v. 742 : après le long poème cosmique d'Iopas, Didon prend aussi longuement la parole, mais pour interroger Énée et avec une fébrilité et une redondance (anaphore de multa, nunc) qui contrastent avec la rêverie sereine du chant de l'aède.

Aurorae filius : Memnon, fils du roi d'Éthiopie Tithon et de l'Aurore ; il fut envoyé par son père au secours de Priam et des Troyens ; il tua Antiloque (Od. IV, 187-188) et fut tué à son tour par Achille (cfr. I, 489).

Diomedis equi : chevaux des Troyens Rhésus, Darès et Chromios volés par le grec Diomède (voir Il. V, 25. 163 ; aux v. 166 sq, Homère chante également le combat qui a opposé Diomède à Énée précisément).

insidias Danaum : il s'agit du cheval de Troie, dans lequel les Grecs se sont cachés pour entrer dans la ville. Avec les casus tuorum, ce sera le sujet du chant II.

Danaum : les Danaens (Danai, Dana[or]um) sont les descendants de Danaus, roi et fondateur mythique d'Argos ; le mot désigne donc les Argiens ou, plus globalement, les Grecs.

errores tuos :  les errances d’Énée seront le sujet du chant III ; le rejet semble souligner que c’est surtout ce récit-là que Didon souhaite entendre. Les errances d’Énée apparaissent comme le contrepoint de celles de la lune (errantem lunam) dans le chant de Iopas : le participe errantem des v. 742 et 756 est au même endroit du vers ; de la même manière, les labores solis du chant de Iopas, où Virgile désigne les éclipses du soleil par le mot qui signifie les épreuves du héros épique, semblent annoncer ceux d’Énée et des siens (casusque tuorum).

septima… aestas : faut-il comprendre qu'il s'agit de la septième année ou de la septième saison ? Dans le récit même d'Énée, L. CONSTANS (p. 408-421) a cru reconnaître les éléments d'une chronologie précise qui répartit les événements du livre III sur un peu plus de trois ans, alors qu'il est impossible de les étendre sur sept années. Dès lors, aestas ne signifierait pas ici « saison chaude » ou « été », mais simplement « saison », désignant ainsi une moitié d'année, conformément au calendrier romain qui divise souvent l'année en deux « saisons ». Cette interprétation est confirmée par SIL., III, 383 : septimaque his stabulis longissima ducitur aestas, où Silius Italicus évoque une légende selon laquelle les cavales des bords du Tage, fécondées par le vent, engendraient des poulains dont la vie ne dépassait pas la septima aestas, soit une courte existence de trois ans, selon les témoignages convergents de Varron, Pline et Columelle.

 
Responsable académique : Paul-Augustin Deproost
Analyse : Jean Schumacher
Design & réalisation inf. : Boris Maroutaeff

Dernière mise à jour : 15 novembre 2019