Sénèque, Médée
< Premier chœur : Épithalame >
v. 56-115
Grammaire et langue
< Chorus Corinthiorum in orchestra choream dans >
CHORVS
56 Ad regum thalamos numine prospero
qui caelum superi quique regunt fretum
adsint cum populis rite fauentibus.
Primum sceptriferis colla Tonantibus
60 taurus celsa ferat tergore candido ;
Lucinam niuei femina corporis
intemptata iugo placet et asperi
Martis sanguineas quae cohibet manus,
quae dat belligeris foedera gentibus
65 et cornu retinet diuite copiam,
donetur tenera mitior hostia.
Et tu, qui facibus legitimis ades,
noctem discutiens auspice dextera,
huc incede, gradu marcidus ebrio,
70 praecingens roseo tempora uinculo.
Et tu quae, gemini praeuia temporis,
tarde, stella, redis semper amantibus :
te matres, auide te cupiunt nurus
quamprimum radios spargere lucidos.75 Vincit uirgineus decor
longe Cecropias nurus,
et quas Taygeti iugis
exercet iuuenum modo
muris quod caret oppidum,
80 et quas Aonius latex
Alpheosque sacer lauat.
Si forma uelit aspici,
cedent Aesonio duci
proles fulminis improbi
85 aptat qui iuga tigribus,
nec non, qui tripodas mouet,
frater uirginis asperae ;
cedet Castore cum suo
Pollux caestibus aptior.
90 Sic, sic, caelicolae, precor,
uincat femina coniuges,
uir longe superet uiros.Haec cum femineo constitit in choro,
unius facies praenitet omnibus.
95 Sic cum sole perit sidereus decor,
et densi latitant Pleiadum greges
cum Phoebe solidum lumine non suo
orbem circuitis cornibus alligat.
Ostro sic niueus puniceo color
100 perfusus rubuit, sic nitidum iubar
pastor luce noua roscidus aspicit.
Ereptus thalamis Phasidis horridi,
effrenae solitus pectora coniugis
inuita trepidus prendere dextera,
105 felix Aeoliam corripe uirginem
nunc primum soceris, sponse, uolentibus.
Concesso, iuuenes, ludite iurgio ;
hinc, illinc, iuuenes, mittite carmina :
rara est in dominos iusta licentia.110 Candida thyrsigeri proles generosa Lyaei,
multifidam iam tempus erat succendere pinum :
excute sollemnem digitis marcentibus ignem.
113 Festa dicax fundat conuicia fescenninus,
soluat turba iocos, – tacitis eat illa tenebris,
115 si qua peregrino nubit furtiua marito.
numine prospero : abl. modalité.
tergore candido : abl. de qualité.
placet : (/a/ long) 3e pers. sg. subj. présent actif de placare : subj. d’exhortation en proposition principale (comme adsint, ferat, donetur).
et…quae : = et (illa) quae…cohibet, quae dat…et…retinet : sujet de donetur (66).
donetur : 3e pers. sg. subj. prés. passif de donare. Subj. d’exhortation comme ferat et placet.
tenera…hostia : abl. de modalité complément de donetur.
mitior : n. f. sg. du comparatif de mitis, épithète détachée de quae, à valeur proleptique. Omission du deuxième terme de comparaison, comme dans HOR., carm. I, 19, 16 : (Venus) mactata ueniet lenior hostia. La Paix est " plus douce " parce qu’elle reçoit une " tendre victime ".
facibus : les torches sont ici une métonymie du mariage.
muris : abl. de privation complément du verbe caret.
forma : abl. de cause.
uelit : (i.e. Iason) 3e pers. sg. subj. pr. actif de uelle : subj. dans une conditionnelle potentielle que Gronovius commente de la façon suivante : " quasi dubitans : nam fortes pulchritudinis laudem dedignantur ".
cedent : a pour sujets proles du v. 84 et frater du v. 87.
unius : mot molosse, composé de trois longues : la règle de prosodie " uocalis ante uocalem corripitur " ne s'applique pas obligatoirement au génitif singulier, de formation ancienne, des démonstratifs et des adjectifs " un, tout, autre, seul " : ainsi, pour le gén. sg. de unus, on rencontre tantôt la scansion /i/ bref, tantôt la scansion /i/ long comme ici (cfr. /i/ long en VERG., Aen. I, 251 ; /i/ bref en VERG., Aen. I, 41).
omnibus : sc. faciebus. D. complément de prae-nitet. Le vers est tout entier enfermé dans l’opposition unius / omnibus.
circuitis cornibus : soit abl. de modalité (cfr. Thy., 161 : inclusisque famem dentibus alligat), mais il y a déjà un abl. de qualité (ou de modalité) lumine ; soit abl. absolu (cfr. Phae., 745 : coeunte cornu) ; soit D. complément du verbe composé ad-ligat. Circuitus, a, um : part. parf. de circu(m)ire, à sens actif : le part. pft. en —(t)us n’est pas strictement lié à la voix passive : voir l’exemple du part. pft. des verbes déponents, mais aussi de quelques verbes actifs : cenatus, pransus, scitus, iuratus, conspiratus, etc. (ERNOUT-THOMAS, Syntaxe latine, Paris, Klincksieck, 1972, p. 276 § 288).
inuita… dextera : abl. abs. sans verbe exprimé, ou abl. de modalité.
soceris uolentibus : abl. abs.
sponse : vocatif " attiré " par l’impératif corripe, alors que les épithètes qui s’y rapportent sont au nominatif : ereptus, solitus, trepidus, felix.
v. 110-115 : la dernière partie de l’hyménée est écrite en hexamètres dactyliques, très rarement employés dans les tragédies (chez Sénèque, à part ce passage, on ne trouve ce mètre que dans Oed., 233-238, à l’occasion d’un oracle, traditionnellement écrit dans ce rythme, et, par intervalles, dans le long dithyrambe choral de la même pièce, v. 403-404, 429-431, 445-448, 466-471, 504-508). L’emploi de ce rythme, exceptionnel dans la tragédie, explique le vocabulaire particulier de ces six vers, dont plusieurs mots n’apparaissent nulle part ailleurs dans les pièces de Sénèque : multifidam, dicax, conuicia, fescenninus, peregrino, fugitiua.
tempus erat : emploi particulier de l’indicatif imparfait qui correspond à un conditionnel en français pour exprimer le désir impatient de réaliser quelque chose qui n’a que trop duré, qui aurait déjà dû être fait : " il serait temps " : l’imparfait désigne alors, comme dans la règle des verbes de " devoir, possibilité, convenance ", ce qu’ " il était temps de faire " depuis longtemps, avec l’idée qu’on ne l’a pas encore fait, mais qu’on peut encore le faire, l’expression " tempus est + inf. " marquant une convenance non encore réalisée (voir ERNOUT-THOMAS, p. 248 §264). Voir HOR., carm. I, 37, 2-4 nunc Saliaribus/ ornare puluinar deorum/ tempus erat dapibus (dans l’ode qui célèbre la mort de Cléopâtre tant attendue) ; OV., am. III, 1, 23-24 : tempus erat thyrso pulsum grauiore moueri ;/ cessatum satis est : incipe maius opus.
v. 113 : uersus aureus : le verbe est placé au centre du vers, suivi de deux substantifs et précédé de deux adjectifs qui s’y rapportent de façon symétrique ; de plus, l'équilibre rythmique de ce vers est particulièrement remarquable : le schéma 1 D + 2 S est reproduit deux fois et le vers spondaïque met en évidence le long mot fescenninus pour donner le signal des réjouissances auxquelles le chœur appelle la jeunesse de Corinthe.
tacitis…tenebris : hypallage (= qu’elle s’en aille en silence dans les ténèbres).
si qua : = si aliqua (= quae). L’emphatique illa est repris par l’indéfini si qua : il y a peut-être là une indication de mise en scène : s’apercevant soudain que Médée n’est pas loin, le chœur termine habilement sa phrase sur le mode indéfini et général, après l’avoir commencée par une adresse à peine voilée à cette " fameuse " épouse. Par ailleurs, Sénèque aime émailler les interventions de ses personnages et de ses chœurs, particulièrement en finale, par des sentences ou des considérations d’ordre général (e.g. 109, 153-154, etc.).
peregrino : mot rarement employé en poésie dactylique : on le trouve une seule fois chez Virgile (Aen. XI, 772), au même endroit du vers avec le même allongement par position de la deuxième syllabe.
Responsable
académique : Paul-Augustin
Deproost
Analyse :
Jean
Schumacher (†)
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& réalisation inf. :
Boris Maroutaeff
Dernière
mise à jour : 2 novembre 2020 |