Ode I. 37

À LA MORT DE CLÉOPÂTRE

 

Nunc est bibendum, nunc pede libero
pulsanda tellus; nunc Saliaribus
ornare puluinar deorum
tempus erat dapibus, sodales.

Antehac nefas depromere Caecubum
cellis auitis, dum Capitolio
regina dementis ruinas
funus imperio parabat,

contaminato cum grege turpium
morbo uirorum, quidlibet impotens
sperare fortunaque dulci
ebria. Sed minuit furorem

uix una sospes nauis ab ignibus,
mentemque lymphatam Mareotico
redegit in ueros timores
Caesar, ab Italia uolantem

remis adurgens, accipiter uelut
molles columbas aut leporem citus
uenator in campis niualis
Haemoniae, daret ut catenis

fatale monstrum. Quae generosius
perire quaerens, nec muliebriter
expauit ensem nec latentis
classe cita reparauit oras.

Ausa et iacentem uisere regiam
uoltu sereno, fortis et asperas
tractare serpentes, ut atrum
corpore conbiberet uenenum,

deliberata morte ferocior,
saeuis Liburnis scilicet inuidens
priuata deduci superbo,
non humilis mulier, triumpho.

 

 

1. Introduction

2. Vocabulaire

3. Explications grammaticales

4. Au fil du texte

5. Commentaire intégré

6. Traduction

 

1. INTRODUCTION

 

Écrite sans doute peu après 31 av. J-C., cette ode chante la victoire d'Actium et la mort de Cléopâtre. Lors de la bataille d'Actium, Octave affronte Antoine et Cléopâtre qui menacent Rome. Les deux grandes forces de l'époque sont alors en présence: l'Occident et l'Orient. Une véritable propagande s’était instaurée autour de cette bataille: Antoine et l’Égypte avaient été présentés comme des barbares, des gens efféminés aux mœurs débauchées face à la Rome raisonnable incarnant la uirtus et la sobriété. L'Orient a cependant toujours attiré par son luxe et son exotisme. Pour Rome, il est donc à la fois attrait et refus: les Romains refuseront le luxe exagéré, Auguste instaurera un retour à des valeurs "pures"… Pourtant en art, par exemple, Rome ne cessera de s’inspirer de l’Orient. Pour rester fidèle à sa propagande, Auguste se présentera comme le vainqueur des monstres du Nil et de la barbarie orientale.La victoire d’Actium restera gravée dans les mémoires comme le triomphe de Rome et d'Octave-Auguste sur l'Égypte et sa reine. Le personnage de Cléopâtre a de tout temps fasciné par sa beauté, par la richesse qu'elle dominait, par la puissance qu'elle incarnait alors qu'elle était une femme. Les Romains devaient être impressionnés par cette femme émancipée. Il est intéressant de voir comment Cléopâtre fut représentée par les poètes latins et entre autres par Horace.

 

Versification

 

L’ode est composée de strophes alcaïques. Une strophe alcaïque est formée de deux vers alcaïques de 11 syllabes, d'un vers de 9 syllabes et d'un vers de 10 syllabes:

 

- - U - - // - UU - U ~

- - U - - // - UU - U ~

- - U - - - // U - ~

- U U - // U U - U - ~

 

2. VOCABULAIRE

 

tellus. uris (f.) : la terre.

pulsare : fréquentatif de pello: frapper, heurter.

Saliaris. is. e : des Saliens (prêtres de Mars, voir Au fil du texte).

puluinar. aris (n.) : lit de parade, coussin sur lequel on plaçait les effigies des dieux pour un festin appelé lectisternium (repas offert aux dieux).

sodalis. is (m.) : compagnon, confrère, membre de club politique.

nefas (n. indéclinable) : ce qui est contraire à la volonté divine ; ce qui est impie, sacrilège.

depromere. o. is. deprompsi. depromptum : (tr.) tirer de.

cella. ae (f.) : endroit où l’on serre quelque chose, grenier, magasin ; dans ce contexte, cellier.

auitus. a. um : ancestral.

dum +ind. : aussi longtemps que, jusqu’à ce que.

demens. entis : privé de raison, insensé, fou, dément.

funus. eris (n.) : les funérailles, la cérémonie funèbre ; (fig.) l’anéantissement, la ruine, la perte.

contaminatus. a. um : participe de contaminare, souillé, impur.

grex. gregis (m.) : le troupeau, la troupe, la bande.

turpis. is. e : laid, vilain ; (au sens moral) infâme, honteux.

morbus. i (m.) : la maladie, le désordre physique ; la maladie de l’âme, ici nous proposons de traduire morbus par ‘vice’.

quilibet. quaelibet. quidlibet : n’importe lequel, n’importe quoi.

ebrius. a. um : ivre.

minuere. o. is. minui. minutum : (tr.) rendre plus petit, diminuer.

furor. oris (f.) : le délire, l’égarement.

sospes. itis (adj.): sauf, indemne, sauvé, échappé au danger.

ignis. is (m.) : le feu.

lymphare. o. as. aui. atum : I. (tr.) arroser, mélanger à de l’eau ; rendre fou, jeter dans le délire. II. (int.) être en proie au délire.

Mareoticum (uinum) : le (vin) Maréotique.

redigere. o. is. redegi. redactum : ici on prend le sens du verbe qui garde toute la valeur du préfixe : ramener, pousser pour faire revenir.

timor. oris (m.) : la crainte, la peur.

remus. i (m.) : la rame.

adurgere. eo. es. ursi : (tr.) presser, poursuivre.

accipiter. tris (m.) : l’épervier, le faucon.

mollis. is. e : doux, tendre, délicat, efféminé.

lepus. oris (m.) : le lièvre.

uenator. oris (m.) : le chasseur.

citus. a. um : rapide, prompt.

niualis. is. e : couvert de neige, enneigé.

catena. ae (f.) : la chaîne.

generose (adverbe) : noblement, dignement.

muliebriter (adverbe) : comme une femme.

expauescere. o. is. aui : (int.) s’effrayer ; (tr.) redouter, avoir peur.

ensis. is (m.) : l’épée, le glaive.

latere. eo. es. latui : (int.) être caché, se cacher.

classis. is. (f.) : dans ce contexte-ci, la flotte.

reparare : acquérir quelque chose en échange , en retour, à la place d’autre chose.

audere. eo. es. ausus sum : (tr.) oser.

iacere. eo. es. iacui : (int.) être couché, étendu, à terre.

uisere. o. is. uisi. uisum : (tr.) voir attentivement, examiner, contempler.

regia. ae (f.) : le palais, la résidence royale.

ater. atra. atrum : noir, sombre.

conbibere. o. is. bibi. bitum : (int.) boire avec d’autres ; (tr.) boire, absorber, s’imbiber de.

deliberatus. a. um : participe de delibero (int. et tr.) : réfléchir mûrement, délibérer, prendre une décision.

ferox. cis : impétueux, hardi, fougueux, intrépide ; fier, hautain.

saeuus. a. um : (en parlant des humains) cruel, sauvage, inhumain, furieux ; (fig.) furieux, cruel.

inuidere. eo. es. uidi. uisum : alicui, alicui rei jalouser, envier qqn, qqch ; alicui aliqua re priver jalousement qqn de qqch; alicui et prop. inf.: refuser à qqun de faire qqch; priver (empêcher) qqun de faire qqch.

 

3. EXPLICATIONS GRAMMATICALES

 

pulsanda : nom. fém. sg. de l'adj. verbal de pulsare, attribut du sujet tellus.

pede : abl. de modalité.

erat : ind. impft. 3ème sg., base principale. Indicatif latin au lieu du conditionnel français dans une expression marquant la convenance ou la nécessité pour indiquer une action qu'il serait ou qu'il aurait été convenable de faire; l'imparfait indique que l'action n'a pas été faite, mais qu'elle est encore possible, et il renferme ici une nuance d'impatience: cela aurait déjà dû être fait (voir VSVS, 336: ici le verbe de convenance est l'expression "tempus est" + inf.).

dapibus : abl. de modalité.

nefas : ss-entendre erat, attribut de depromere Caecubum.

cellis : abl. d'origine avec depromere.

Capitolio, imperio : datifs de désavantage, compléments de parabat.

dementis = dementes : vu la métrique, épithète de ruinas.

impotens : épithète de regina.

sperare : inf. présent A., complément de impotens.

fortuna : abl. de cause.

ebria : épithète de regina.

Mareotico : abl. de cause par rapport à lymphatam.

accipiter, uenator : nom. masc. sg. sur le même pied que Caesar, termes de la comparaison.

columbas, leporem : CD de adurgens ss-entendu.

daret : subj. impft A. 3ème sg., base de la proposition de but introduite par ut.

latentis = latentes : épithète de oras.

classe : abl. de modalité.

uisere, tractare : infinitif complément de ausa (est).

uoltu : ablatif de modalité.

conbiberet : subj. impft A. 3ème sg de combibere, base de la proposition de but introduite par ut.

corpore : abl. de situation.

morte : abl. de modalité.

Liburnis : datif complément de inuidens.

priuata : attribut du sujet.

deduci : inf. présent. P., complétif de inuidens

mulier : apposition au sujet.

triumpho : abl. de modalité.

 

4. AU FIL DU TEXTE

 

1° strophe :

Le début de l'ode est une invitation à la danse, à la réjouissance : les monstres du Nil sont battus, Rome ne doit plus craindre. Horace imite Alcée (fr. 332 LP) célébrant la mort du tyran Myrsilos : "C'est maintenant qu'il faut s'enivrer, maintenant qu'il faut boire à outrance, puisque Myrsilos est mort." La première strophe pose la mise en situation : la triple répétition du nunc, adverbe horatien par excellence, insiste sur le présent. Cette insistance est d'autant plus marquée par le premier mot de la deuxième strophe : antehac. De plus, le verbe bibere est connoté chez Horace : on comprendra dans la deuxième strophe qu’il s’agit bien sûr de boire du vin. Dans plusieurs odes d’Horace, l’invitation à boire du vin est à entendre comme une injonction à profiter de la vie actuelle, du moment qui nous est donné. La suite de l'ode est située dans le passé. Horace relate des faits antérieurs dont on ne doit plus s’inquiéter : profitons du temps présent !

Saliaribus : prêtres de Mars au rituel particulier. Ils portaient une tunique semblable à l'ancienne tenue de guerre des peuples italiques, un glaive ou un bâton, un bouclier, et avaient une coiffure à aigrette. Ils jouaient un rôle en mars (début des campagnes militaires) et en octobre (fin des campagnes militaires). Ils formaient alors des processions lors desquelles ils exécutaient des danses (Saliens < salire qui signifie sauter) frappant leur bouclier et chantant le "Carmen Saliorum", très vieux chant en vers saturniens. Le luxe des Saliens au cours de leurs repas était proverbial.

sodales : mot fréquent pour désigner les compagnons de table, on peut aussi le prendre au sens de "confrères" en tant que membres d'une même confrérie religieuse (la strophe évoque en effet les festins religieux). Ce terme désigne des gens "civilisés" que l’on doit peut-être mettre en opposition au grex (v. 9) composé des sujets de Cléopâtre.

2° strophe :

Caecubum : vin italien récolté au sud des Marins Pontins, il s’agit d’un cru fameux.

Capitolio : Cléopâtre était une menace réelle pour les Romains; la tradition rapporte qu'elle se serait vantée de rendre bientôt la justice sur le Capitole qui jusqu’à Auguste symbolisait la puissance de Rome. Ce qui explique peut-être le rapprochement de Capitolio et de regina,au passage du vers.

v. 7 : regina dementis ruinas : Horace fait une utilisation magistrale de l’hypallage : le terme dementis placé entre deux mots de sonorités semblables (regina, ruinas) s’accorde grammaticalement avec ruinas mais se rapporte sémantiquement à regina. En effet, la reine est folle (et elle est présentée ainsi dans la première moitié de l’ode) et prépare des ruines pour le Capitole, des funérailles pour l’empire.

 

Le début de l'ode est donc très patriotique :

-Saliaribus : les Saliens sont des prêtres de Mars, père du fondateur légendaire de Rome.

-Caecubum : le Cécube est un vin italien. Horace ne mentionne pas un vin importé de l'étranger.

-Capitolio : symbolisant par excellence la puissance de Rome.

3° strophe :

contaminato, turpium, morbo : trois termes péjoratifs pour indiquer que les mœurs des Orientaux semblaient débauchées aux Romains. En Orient, la tradition des rois de type hellénistique était en vigueur. Mais il faut savoir que pour les Romains, il n'était de pire crime que vouloir être roi depuis l'expulsion de Tarquin le Superbe. Or Antoine, ayant goûté aux plaisirs de l'Orient, s'était pris pour un roi, et cette ambition n'a pas plu aux Romains. On sent ici une volonté d’Horace de taxer négativement Cléopâtre et son peuple. Le poète parle de cette femme comme d’une insensée (quidlibet impotens sperare) saoûlée par son succès (ebria fortuna).

ebria introduit déjà la notion de vin et d'ivresse qui apparaîtra à la strophe suivante.

furorem : le sens de ce mot ici est celui de "folie, délire, égarement" et renforce le portrait négatif de Cléopâtre : les traits de caractère de cette femme (impotens, furor) sont tout à fait opposés à la potentia et l’équilibre de Rome.

La strophe se termine sur sed, il va donc y avoir un renversement de situation.

On constate dans cette strophe (et dans celles qui suivront) qu’Horace joue sur le contraste entre le rythme strophique et le rythme syntaxique : lorsque la strophe ne constitue pas une unité de sens en elle-même, il y a un rebondissement, peut-être suggéré par l'image de la danse introduite au début. Il était temps de frapper la cadence de son pied, Horace rythme donc son ode…

4° strophe :

La défaite fut rapide, la bataille n’est même pas évoquée; un vers (v. 13) suffit à Horace pour dépeindre la déroute de Cléopâtre : à peine (uix) un seul (una) bateau sort de cet enfer, ce n’est même pas un bateau mais "à peine un" bateau, et Horace insiste en rapprochant les deux termes dès les premiers mots de la strophe. Horace ironise, le tableau s’aggrave : Cléopâtre aurait l'esprit complètement embué par les brumes de l'alcool et, vaincue à Actium, elle reviendrait à la réalité (in ueros timores). Il y a effectivement une opposition nettement marquée entre lymphata et ueros.

Maereotico : le vin de Maréa, près d’Alexandrie qui provoque selon Pline (Histoires naturelles, 14, 22) des rêves furieux et des nuits d’insomnies.

v. 14 mentemque lymphatam Mareotico présente des allitérations en m reflétant l’état brumeux ou pâteux de l’esprit imbibé de vin.

Caesar : il s’agit bien sûr d’Octave. Les rêves de la regina de tout à l’heure se transforment en cauchemar; Octave (en rejet) s’étend dressé devant elle.

5° strophe :

v. 17 remis adurgens accipiter uelut : sonorités dures qui reflètent peut-être la violence fracassante et fulgurante de la bataille.

Comparaison d'Octave à un faucon et à un chasseur rapide, deux belles images suggestives : elles montrent César qui presse Cléopâtre comparée, peut-être ironiquement, à des douces colombes et à un lièvre qui détale (// à Cléopâtre qui fuit uolantem).

accipiter uelut (adurgens) molles columbas

aut leporem (adurgens) citus uenator

La comparaison est construite en chiasme jusqu’à faire varier les mots munis d'une épithète : d'un côté le CD, de l'autre le sujet. En comparant Octave à un épervier, Horace lui donne le statut de héros. La comparaison d’un héros à un rapace est en effet un lieu commun de la convention épique : on se souviendra d’Achille dans l’Iliade XXII, 139 sq. La comparaison d’Octave à un chasseur fait écho à un vers des Satires : leporem uenator ut alta in niue sectetur (Satire I, 2, 105-106). Il peut être intéressant de regarder de plus près le contexte dans lequel Horace place ce vers dans sa satire. Le poète fait référence à une épigramme de Callimaque (Anthol. Palat. XII, 102) dont voici la traduction : "Le chasseur Epikydès, cherche partout le lièvre dans les montagnes, partout les traces du chevreuil, et fait sa joie de la gelée blanche et de la neige ; mais que quelqu’un lui dise : ‘Tiens, voici une bête frappée’, il ne la prend pas. Mon amour est comme lui ; ce qui fuit, il est instruit à le poursuivre ; ce qui est à sa portée, son vol le dépasse." Horace, dans sa satire dont les thèmes sont l’amour et la recherche de femmes, résume le texte de Callimaque :

Leporem uenator ut alta

in niue sectetur, positum sic tangere nolit,

cantat, et apponit : "Meus est amor huic similis ; nam

transuolat in medio posita et fugientia captat".

Certains commentateurs voient dès lors dans l'ode une fine allusion d’Horace à la force érotique dégagée par Cléopâtre, femme souvent présentée comme celle à qui peu d’hommes résistent. Ils proposent de comprendre qu’Octave la poursuit comme un amant poursuit un objet de désir. L’image serait quelque peu subversive. On peut aussi comprendre la comparaison comme une prédiction de la suite, en ce sens que le chasseur poursuivant ce qu’il n’a pas, Octave n’obtiendra pas Cléopâtre. Une chose est sûre, Horace a soigné cette comparaison : dans sa structure syntaxique et dans le choix des termes.

Haemoniae : nom poétique ancien de la Thessalie. Il provient d’Hémon, père du héros éponyme Thessalus.

N’exagérons rien : la flotte égyptienne réussit à fuir et non uniquement un bateau, celle d'Antoine en revanche fut brûlée.

6° strophe :

fatale monstrum : Horace ne lésine pas sur les mots, Cléopâtre est qualifiée de fatale monstrum, mis en valeur par le rejet et dégagé par la coupe. Peut-on y voir en filigrane l’expression femme fatale, femme dangereuse mais exceptionnelle ? La suite semble le confirmer, quae pronom relatif féminin est juxtaposé à monstrum qu’il humanise et féminise. Une seule solution pour arrêter un tel monstre: les chaînes, à la fin de la strophe précédente. Le rejet de fatale monstrum donne à ces mots une position qui marque davantage le ton péjoratif utilisé jusqu’ici pour évoquer Cléopâtre. Mais brusquement l’expression se modifie : le faux relatif quae désigne une femme et non plus un monstre. C’est en effet un éloge de Cléopâtre qui prend désormais le relais. Elle va chercher à mourir noblement (generosius perire quaerens) à la manière des héros Romains.

nec muliebriter : le courage, les valeurs héroïques sont des qualités masculines et cette femme les possède. Un tout autre portrait de Cléopâtre prend forme.

v. 22 perire quaerens nec muliebriter : Horace utilise des allitérations en r et c derrière lesquelles on peut voir se déployer la force de caractère de Cléopâtre (en écho aux mêmes allitérations du v. 17).

nec expauit ensem : Plutarque (Antoine, 79) rapporte que Cléopâtre allait se percer d'une épée lorsqu'un Romain envoyé par Octave, l'en empêcha. Mais le vers a peut-être un sens tout à fait général : entendons que Cléopâtre continue à résister et attend sans trembler les armes romaines.

nec reparauit : reparare signifie proprement ‘acquérir quelque chose en échange , en retour, à la place d’autre chose’. Cléopâtre ne songe pas à s'assurer une cachette en utilisant la vitesse de ses navires. Ces mots confirment qu’il faut voir dans les termes précédents un sens général et non une allusion à l’anecdote rapportée par Plutarque : Cléopâtre, dans la défaite, est une femme forte, qui désire rester maître de son destin et ne pas laisser son adversaire décider de son issue.

7° strophe :

L’éloge de Cléopâtre continue : ausa, sereno uoltu, fortis. Horace lui attribue les qualités d’un véritable héros. C’est en stoïcienne qu’elle contemple son palais effondré et la voici prête à se donner la mort (repris au v. 29 deliberata morte ferocior). Après la destruction d'Alexandrie par Octave en 30, Antoine se suicidera. Sa tentative de signer un traité de paix avec Octave fut un échec. Cléopâtre aurait tenté alors de séduire Octave, mais le futur empereur aurait refusé ses avances. Elle se suicidera aussi, mordue par un aspic selon la tradition (Dion Cassius, LX, 14) mais les historiens sont prudents. La construction des deux actions de Cléopâtre est quasiment identique : adj. — infinitif — substantif — description qualificative (iacentem uisere regiam uoltu sereno) / description qualificative — adj. — infinitif — substantif (fortis asperas tractare serpentes).

fortis et asperas tractare serpentes : allitération des -s pour décrire le sifflement des serpents que Cléopâtre manipule (cf. le célèbre vers de Racine, Andromaque, V, 5: "Pour qui sont ces serpents qui soufflent sur vos têtes").

atrum uenenum : les deux termes sont placés en fin de vers, en lecture verticale.

corpore conbiberet : allitérations; après les vins qui l'ont rendue folle, voici la dernière boisson qui en fait une héroïne.

8° strophe :

deliberata morte ferocior : Cléopâtre préfère se suicider plutôt que d'être humiliée lors du cortège triomphal d’Octave. Et Horace admire ce suicide: Cléopâtre a agi en véritable héros romain en commettant cet acte héroïque; elle est semblable à Caton, Brutus, Regulus et Antoine. On constate à nouveau des allitérations des r reflétant une fois encore la force de caractère dont Cléopâtre fait preuve.

Liburnis : les Liburnes sont un peuple de pirates d’Illyrie; Octave avait fait construire ses bateaux sur le modèle léger de ceux des pirates liburniens, ce qui les rendait plus rapides que les galères d’Antoine.

non humilis : litote. Horace joue sur l’opposition entre priuata et non humilis mulier, placés en tête de vers : Cléopâtre n’était pas une simple particulière mais une femme exceptionnelle; elle ne veut pas paraître dans un cortège triomphal, dépossédée de sa dignité de reine. Les derniers mots de chaque vers de cette strophe soulignent l'orgueil: ferocior, inuidens, superbo, triumpho. On observera aussi l'opposition superbo / non humilis au passage des v. 31-32: c'est justement parce qu'elle est une femme de qualité qu'elle refuse de se laisser traîner dans un orgueilleux triomphe et qu'elle préfère, en mourant, ne pas laisser ce plaisir à Octave.

 

5. COMMENTAIRE INTÉGRÉ

1. Analyse de la structure linéaire de l’ode

En analysant l’ode de façon linéaire, la structure en est la suivante :

  1. l’envoi, adressé aux compagnons d’Horace, à tout Romain en fait ;
  2. 3 strophes décrivant Cléopâtre de façon négative ;
  3. 1 strophe décrivant Octave (curieusement encadré par les strophes consacrées à Cléopâtre ;
  4. à nouveau 3 strophes qui décrivent Cléopâtre mais positivement jusqu’à terminer sur une belle épitaphe non humilis mulier.

Le mouvement donné à l’ode est régulier : 1 strophe, 3 strophes, 1 strophe, 3 strophes. Mais il n’y a aucune monotonie grâce au rythme syntaxique installé par Horace. La première strophe forme une phrase complète, la seconde une unité sémantique mais la phrase continue à la strophe suivante dont la fin annonce un rebondissement. La troisième strophe se termine en effet par un début de phrase contenant sed. Cette façon de ‘casser’ la construction syntaxique rappelle sans doute la danse du début de l’ode. Horace narre des événements historiques dont on connaît l’issue : la joie peut continuer à éclater durant toute l’ode. Pourtant, comme à son habitude, Horace va nous surprendre : on aurait pu s’attendre à une glorification d’Octave; or, une seule strophe lui est consacrée et l’allusion érotique qui y est faite peut paraître douteuse. Un nouveau rebondissement apparaît en effet à la strophe VI où se déploie un tout autre portrait de Cléopâtre : elle n’est plus la femme dépravée de tantôt mais une fière Romaine aux qualités masculines. Horace aurait pu revenir vers le Capitole d’où il était parti au début de son ode et y décrire le triomphe d’Octave. Il préfère suivre Cléopâtre en Égypte et loue son courage et sa fierté.

Il y a donc deux mouvements opposés dans l’ode qui marquent cette dichotomie ‘attrait-refus’ caractéristique de l’Orient dans la mentalité romaine.

  1. L’un est ironique et décrit Cléopâtre comme une orientale aux mœurs débauchées, à l’esprit faible et saoûl. On relève les mots suivants : dementis, turpium, morbo, impotens, ebria (en rejet qui marque une insistance), furorem, lymphatam, fatale monstrum (en rejet également et nous en avons souligné plus haut le sous-entendu ingénieux qui s’y trouve si l’on constate la juxtaposition du quae). En ce sens, Horace participe à la propagande impériale : refus de l’Orient.
  2. Le deuxième mouvement présente une Cléopâtre quasi romaine : ce qui vient d’Orient n’est donc pas toujours si négatif et son attrait est bien réel. On relève les termes generosius, nec muliebriter, nec expauit, ausa, uoltu sereno, fortis, ferocior, non humilis mulier. On pourrait rappeler ici que l'expression uoltu sereno apparaît dans la poésie virgilienne pour désigner le visage de Jupiter; conscient ou non, le transfert de l'expression à Cléopâtre ne manque pas de piquant.

On constate qu’Horace utilise exactement le même nombre de termes négatifs et positifs (à savoir huit, qui est aussi le nombre de strophes de l’ode), comme pour équilibrer parfaitement les deux portraits.

Ce que l’on a dit à propos du rythme syntaxique et sémantique des strophes se trouve également dans les premiers vers de chaque strophe : certains constituent en soi une unité sémantique (v. 5, 13, 25, 29), d’autres débordent du vers (v. 1, 9, 17, 21).

On peut suivre également un thème transversal à toute l'ode, celui de la boisson, qui permettrait de résumer le poème de la façon suivante: "Maintenant il faut boire (du vin) parce que Cléopâtre a bu (son poison)". Les trois mots qui désignent la boisson sont notés en fin de vers: Caecubum(v. 5), Mareotico (v. 14), uenenum (v. 28): vin de la joie, vin de la folie furieuse, poison de l'héroïsme: de nunc est bibendum à corpore conbiberet, il y a tout l'espace du poème et de ses ambiguïtés.

2. Analyse métrique

Examinons attentivement l’ode d’un point de vue métrique. Les deux vers hendécasyllabiques des strophes présentent tous une coupe régulière excepté les vers 5 et 14 qui n’en présentent aucune. Ces deux vers présentent un point commun : il s’agit des deux seuls vers où l’on parle explicitement de vin, dont le nom est, du reste, mentionné à la fin du vers (au v. 28, uenenum se trouve également en fin de vers pour désigner la dernière boisson de Cléopâtre).

Une seconde observation porte sur le terme central des troisièmes vers des strophes. Les deux premières strophes possèdent un terme central composé d’un seul mot : puluinar, dementis. Il en va de même dans les deux dernières strophes : serpentes, deduci. Les strophes 3 et 6 ont respectivement fortunaque et ensem nec tandis que les strophes 4 et 5 présentent in ueros et in campis.

Les coupes dégagent des éléments pertinents dont certains sont à mettre en rapport :

  1. nunc est bibendum (3 mots) — uix una sospes (3 mots) : il convient de boire pour fêter la victoire qui est totale : à peine un navire ennemi fut sauvé ;
  2. contaminato (renforcé par les éléments dégagés par la coupe au vers suivant : morbo uirorum) — deliberata : ce n’est qu’à ces deux endroits que la coupe dégage un mot unique et ces termes présentent une forte opposition à l'intonation de la strophe. La reine était ‘contaminée’, la voici ‘libre’ et redevenue maîtresse de son sort (deliberata).

 

3. Place de l’ode dans l’œuvre d’Horace

La place de l’ode au sein du livre I est significative de l’ambition d’Horace. L’ode est censée chanter la victoire d’Actium, le triomphe d’Octave sur Cléopâtre : il s’agit d’un grand thème donc. Pourtant, Horace lui refuse la dernière place mais lui accorde la pénultième. On peut se demander pourquoi. Le thème premier de l’ode I, 38 est sans doute à comprendre comme l’explication par Horace de sa vocation : il est un poète lyrique qui veut dire le plaisir, le vin, la jouissance de l’instant présent (tous les verbes de l’ode sont au présent), de l’amour aussi (discrète allusion par le myrte). La fin de cette ode (sub arta uite bibentem) est significative et répond au début de l’ode I, 37; mais c’est un uite bibentem dilettante (où le participe présent marque l’instant) qui fait écho au nunc est bibendum de l’ode I, 37. Horace loue dans l’ode I, 38 les plaisirs simples. Le thème de l’ode (rejet du luxe oriental pour la simplicité romaine) participe donc de l’idéologie impériale et de la propagande contre le luxe et le raffinement de l’Orient (persicos odi), rachetant ainsi peut-être sa précédente ode (qui, dans une analyse linéaire, comme nous l’avons vu, semble accorder toute l’attention à Cléopâtre), et annonçant les thèmes romains de l’ode II, 1.

Le début de l’ode I, 37 est une réponse parfaite à la question de l’épode IX, 1-6 : Quando repositum Caecubum ad festas dapes / uictore laetus Caesare / tecum sub alta (sic Ioui gratum) domo,/ beate Maecenas, bibam / sonante mixtum tibiis carmen lyra,/ hac Dorium, illis barbarum ? Pour certains commentateurs, l’ode I, 37 aurait donc dû décrire nettement le triomphe d’Octave qu’Horace attendait dans l’épode IX, 21-22 : Io Triumphe, tu moraris aureos/ currus et intactas boues ? Ces commentateurs voient dans l’ode I, 37 un simple panégyrique de Cléopâtre et le titre qu’ils lui assignent (À Cléopâtre) le prouve. Mais est-ce réellement le cas ?…

 

4. Analyse circulaire de l’ode : structure mésodique

Car, comme pour la plupart des odes d’Horace, une analyse circulaire du poème permet de mettre en valeur un sens différent de celui qui émane de la structure linéaire. Il va de soi que la structure circulaire n’aboutit pas à découvrir un sens radicalement opposé au sens que tous les commentateurs ont dégagé par l’analyse traditionnelle. Mais il faut tenir compte de ces deux axes de lecture.

L’analyse circulaire de l’ode I, 37 dégage au centre les deux protagonistes : Caesar, ab Italia uolantem remis adurgens. Octave, ici, encadre Cléopâtre. Quand on examine le centre du poème, la situation est donc inverse au résultat de l’analyse du contenu thématique des strophes qui montrait la strophe dédiée à Octave encadrée par celles consacrées à Cléopâtre. L’ambiguïté est certainement voulue par Horace : qui est le véritable héros de l’histoire ? La réponse n’est pas claire mais placer Octave au centre enserrant Cléopâtre est révélateur. Le centre de l’ode prédit la suite : Cléopâtre est à deux doigts d’être capturée par les serres de l’épervier. La seule fuite possible sera de se donner la mort, solution possible pour quelqu’un qui sort de l’ordinaire car cet acte requiert une énergie et une fierté que tous n’ont pas.

Examinons à présent les strophes en rayonnant à partir du centre :

Strophes 4 et 5 (parallélisme thématique et stylistique):

  1. Du point de vue thématique, la strophe 4 présente le début de la fin pour Cléopâtre : uix una sospes, in ueros timores et surtout l’apparition de Caesar ; la strophe 5 prolonge la description d’Octave. Les termes ignibus (fin du premier vers de la strophe 4) et catenis (fin du dernier vers de la strophe 5) marquent bien la fin de Cléopâtre, elle a peut-être échappé au feu mais les chaînes l’attendent.
  2. Ces deux strophes qui prédisent la victoire d’Octave présentent des similitudes stylistiques :

Strophes 3 et 6 (en opposition thématique) :

  1. Les strophes s’opposent quant au portrait de Cléopâtre : la strophe 3 présente Cléopâtre comme une folle, la strophe 6 comme une femme forte.
  2. Du point de vue syntaxique, les strophes présentent des enjambements : la strophe 3 se termine par une phrase qui commence, la strophe 6 commence par une phrase qui se termine.
  3. Les deux strophes présentent un rebondissement : sed (strophe 3) et quae (annonçant le début du panégyrique de Cléopâtre, strophe 6).

 

Strophes 2 et 7 (en opposition thématique) :

  1. La strophe 2 décrit le rêve de Cléopâtre de ruiner Rome tandis que la strophe 7 présente la réalité : la ruine de son royaume : on relève les termes ruina // iacentem, funus // atrum uenenum qui révèlent des parallélismes au niveau des idées. Cléopâtre préparait la ruine de Rome dans la strophe 2, elle prépare sa mort dans la strophe 7.
  2. Au niveau des reprises stylistiques, on peut relever la reprise de regiam (v. 25) par rapport à regina (v. 7), et un parallélisme de la construction syntaxique : les deux strophes ont une subordonnée (il n’y en a que trois dans toute l’ode) : proposition temporelle dans la strophe 2 (dum) et proposition de but dans la strophe 7 (ut). En opposition par contre, on relève les termes nefas et ausa au début de chacune des strophes.

    Strophes 1 et 8 (en parallélisme thématique) :

  3. La strophe 1 décrit une grande joie à l’occasion du triomphe d’Octave. L’événement que l’on fête n’est pas explicitement mentionné à ce niveau-ci de l’ode mais on comprend de quoi il s’agit car cette strophe est une réponse parfaite à la question de l’épode IX ainsi que nous l’avons expliqué. La strophe 8 décrit la grandeur morale de Cléopâtre et fait également référence au triomphe d’Octave, c’est d’ailleurs son dernier mot. Certains commentateurs estiment que, par sa place, le triumpho (juxtaposé à mulier) se rapporte à Cléopâtre. Il est clair qu’Horace a voulu cette ambiguïté. Il n’en reste pas moins que le triumpho par rapprochement avec la strophe 1 se réfère également à Octave et à sa victoire à Actium. De plus, c’est en acceptant sa défaite que Cléopâtre triomphe. Le triomphe rapproché de Cléopâtre contient sa défaite et par conséquent la victoire d’Octave.
  4. Du point de vue stylistique, on constate que la strophe 1 compte deux verbes conjugués (nombre maximum de verbes conjugués dans les strophes de cette ode) tandis que la dernière strophe n’en compte aucun.
  5. La liberté joyeuse des Romains n'exclut pas la liberté de Cléopâtre, mais sous une forme inattendue: celle du choix de sa mort. À libero, dernier mot du vers 1 (premier vers de la première strophe) correspond deliberata, premier mot du premier vers de la dernière strophe.

    Outre les correspondances évoquées pour les strophes en rayonnant à partir du centre, on remarque d’autres liens entre les strophes. Horace construit toutes ses odes de manière subtile et complexe, rien n’y est monotone.

    • Nous avons constaté des correspondances entre les strophes 5 et 6 : ces strophes sont liées : remis (premier mot du premier vers de la strophe 5) — classe (premier mot du dernier vers de la strophe 6) désignent une même réalité ; la reprise du terme citus — cita l’un attribué à Octave, l’autre à la flotte de Cléopâtre les place en quelque sorte sur le même pied : tous deux sont des héros.

    Les strophes 6 et 7 manifestent également des correspondances :

    1. elles décrivent chacune deux actions : nec expauit, nec reparauituisere, tractare ;
    2. latentes oras est en même position que atrum uenenum ;
    3. les strophes ont deux verbes conjugués alors que toutes les autres (sauf la première) ont un seul verbe conjugué ou aucun.

    • On remarque aussi des correspondances entre les strophes 6 et 8 :

    1. le vers 2 de la strophe 6 et le vers 1 de la strophe 8 présentent des allitérations en [r] marquant la force de caractère de Cléopâtre ;
    2. ces strophes sont les seules où il y des négations : nec — non ;
    3. la strophe 8 reprend le terme mulier contenu dans le muliebriter de la strophe 6 ;
    4. perire quaerens // deduci inuidens : la même construction syntaxique est présente, à savoir infinitif + participe, mais Horace varie sur la voix des infinitifs, d’un côté un infinitif actif, de l’autre un infinitif passif. Le parallélisme syntaxique est également flagrant entre deduci inuidens (inf. P.) et sperare impotens (v. 10, inf. A.) : les deux participes sont à la même place dans la strophe (fin du deuxième vers). Mais ce parallélisme syntaxique se double d’une opposition thématique : par son acte, Cléopâtre montre qu’elle est maintenant en pleine possession d’elle-même, qu’elle n’est donc plus impotens.

       

    Conclusion.

    L’analyse circulaire prouve que, malgré certaines ambiguïtés, le sujet de l’ode est bel et bien la victoire d’Octave sur une femme qui, en fin de compte, ne manquait pas de fierté ni de caractère. Présenter Cléopâtre comme une femme héroïque, c’est en même temps, mais sans le dire explicitement (certaines allusions que nous ne reprenons plus ont été relevées au long de l’analyse), présenter son vainqueur comme un héros. La dichotomie ‘attrait-refus’ de l’Orient est présente dans l’ode, mais cette caractéristique de l’Orient est indéniable. En se permettant de louer Cléopâtre comme il l’a fait (c’est-à-dire en la romanisant), Horace donne du crédit à son œuvre. Il joue davantage dans les nuances : il ne présente pas uniquement, comme Virgile par exemple, une lutte entre la civilisation romaine et la barbarie orientale, entre l’ouest et l’est, entre la uirtus et l’impotentia, entre la raison et la passion, entre un homme et une femme (souvenons-nous du nec muliebriter : il y a un homme en Cléopâtre ; Horace la dote de qualités masculines). C’est un récit plus réel qu’il nous livre, rien n’y est tranché : la barbare se romanise, tandis que les Romains, en fêtant ainsi leur triomphe, se "barbarisent", s’égyptianisent : ils vont boire, danser et se relaxer, bref en un sens se permettre de vivre ce que l’on reprochait aux orientaux de faire. Avant ce n’était pas permis car les Romains auraient alors détruit la distinction entre la sobre Rome et l’Égypte ivre. Mais maintenant, on peut entrer dans le présent égyptien puisque Cléopâtre a disparu dans le passé romain !

     

6. TRADUCTION

Maintenant il faut boire, maintenant il faut frapper la terre d'un pied libre ; maintenant il serait temps d'orner le lit des dieux avec un festin digne des Saliens, compagnons.

Auparavant, c'était un sacrilège de tirer le Cécube des celliers ancestraux, tant que la reine préparait des ruines démentes pour le Capitole et le deuil pour l'empire,

avec un troupeau d'hommes infâmes contaminé par le vice, incapable de s'empêcher de tout espérer, ivre des douceurs de la fortune. Mais son délire,

un seul navire, à peine, sauvé des flammes le diminua, et César ramena son esprit égaré par le Maréotique à des craintes bien réelles, la poursuivant de ses rames elle qui s'envolait loin d'Italie,

comme le faucon poursuit les tendres colombes ou le chasseur rapide le lièvre dans les plaines de l'Hémonie enneigée, pour livrer aux chaînes

le monstre funeste. Mais celle-ci cherchant à périr plus noblement ne redouta pas l'épée comme une femme et ne gagna pas, sur sa flotte rapide, des rivages cachés.

Elle a osé regarder d'un visage serein son palais en ruine, et, courageuse, manipuler des serpents redoutables pour absorber dans son corps leur venin noir;

rendue plus intrépide par cette mort délibérée, refusant bien sûr aux cruelles Liburnes d'être conduite, privée de son titre de reine, dans un triomphe orgueilleux, elle, une femme au cœur élevé.