Sénèque, Médée
< Deuxième acte : Scène I >
v. 116-178
Grammaire et langue
MEDEA (= M)
Occidimus : aures pepulit
hymenaeus meas.
Vix ipsa
tantum, uix adhuc credo malum.
Hoc
facere Iason potuit, erepto patre
patria
atque regno sedibus solam exteris
120 deserere durus ? Merita contempsit mea
qui
scelere flammas uiderat uinci et mare ?
Adeone
credit omne consumptum nefas ?
Incerta,
uaecors, mente uaesana feror
partes
in omnes ; unde me ulcisci queam ?
125 Vtinam esset illi
frater ! Est coniunx : in hanc
ferrum
exigatur. Hoc meis satis est malis ?
Si quod
Pelasgae, si quod urbes barbarae
nouere
facinus quod tuae ignorent manus,
nunc est
parandum. Scelera te hortentur tua
130 et cuncta redeant : inclitum regni decus
raptum
et nefandae uirginis paruus comes
diuisus
ense, funus ingestum patri
sparsumque ponto corpus et Peliae senis
decocta
aeno membra ; funestum impie
135 quam saepe fudi sanguinem et nullum scelus
irata
feci : saeuit infelix amor.
Quid
tamen Iason potuit, alieni
arbitri
iurisque
factus ? Debuit ferro obuium
offerre
pectus : – melius, a melius, dolor
140 furiose, loquere. Si
potest, uiuat meus,
ut fuit
Iason ; si minus, uiuat tamen
memorque
nostri muneri parcat meo.
Culpa
est Creontis tota, qui sceptro impotens
coniugia
soluit quique genetricem abstrahit
145 (g)natis et arto pignore astrictam fidem
dirimit : petatur solus hic, poenas luat
quas
debet. Alto cinere cumulabo domum ;
uidebit
atrum uerticem flammis agi
Malea
longas nauibus flectens moras.
NVTRIX (= N)
150
Sile, obsecro, questusque secreto abditos
manda
dolori. Grauia quisquis uulnera
patiente
et aequo mutus animo pertulit,
referre
potuit : ira quae tegitur nocet ;
professa
perdunt odia uindictae locum.
M
155 Leuis est dolor qui capere consilium
potest
et
clepere sese : magna non latitant mala.
Libet
ire contra.
N
Siste furialem impetum,
alumna : uix te tacita defendit quies.
M Fortuna fortes
metuit, ignauos premit.
N160 Tunc est probanda, si locum
uirtus habet.
M Numquam
potest non esse uirtuti locus.
N Spes nulla
rebus monstrat adflictis uiam.
M Qui nil potest
sperare, desperet nihil.
N Abiere
Colchi, coniugis nulla est fides
165 nihilque superest opibus e tantis tibi.
M Medea superest,
hic mare et terras uides
ferrumque et
ignes et deos et fulmina.
N Rex est
timendus.
M
Rex meus fuerat
pater.
N Non metuis
arma ?
M
Sint licet terra
edita.
N170 Moriere.
M
Cupio.
N
Profuge.
M
Paenituit
fugae.
N Medea…
M
Fiam.
N
Mater es.
M
Cui sim
uides.
N Profugere
dubitas ?
M
Fugiam,
at ulciscar prius.
N Vindex
sequetur.
M
Forsan inueniam
moras.
N Compesce
uerba, parce iam, demens, minis
175 animosque minue : tempori aptari decet.
MEDEA
Fortuna
opes auferre, non animum potest ;
sed cuius
ictu regius cardo strepit ?
Ipse est
Pelasgo tumidus imperio Creo.
hoc : acc. neutre du démonstratif, expliqué par l’infinitif deserere au v. 120.
solam : i.e. me, COD de deserere.
uaesana : abl. épithète de mente.
queam : 1re pers. sg. subj. pr. actif de quire : subj. d’affirmation adoucie en prop. principale ; ce verbe s’utilise habituellement dans des phrases négatives.
utinam esset : subj. impft. en prop. principale, précisé par l’adv. utinam pour marquer le regret dans le présent.
satis est : rare exemple d’un anapeste au cinquième pied dont les deux syllabes brèves se situent dans un mot isolé : cfr. HO, 406 : caret Hercule.
nouere : = nouerunt, 3e pers. pl. ind. pft. actif de noscere.
ignorent : 3e pers. pl. subj. pr. actif de ignorare, dans une prop. relative qualificative.
impie : peu utilisé en poésie à cause de son rythme crétique, cet adverbe y apparaît habituellement à la fin du trimètre.
potuit : emploi de l’indicatif parfait d’un verbe de " devoir, possibilité, convenance " pour exprimer le non-réel. Le latin insiste, en l’occurrence, sur la réalité passée de l’obligation, de la possibilité ou de l’opportunité, là où le français entend signifier qu’elles n’ont pas été réalisées. On peut inférer une vérité psychologique de cette règle de grammaire dans le vers qui nous occupe : tout en constatant que Jason n’a rien pu faire sous la coupe de Créon, Médée semble, cependant, regretter, par l’emploi de l’indicatif, qu’il n’a pas su profiter d’une possibilité réelle de réaction qui lui était offerte dans le passé.
alieni arbitri iurisque : emploi attributif du génitif " possessif " d’un nom complément de esse (" appartenir à "), fieri (" devenir la propriété de ") ou facere (" assigner en propriété à "). Cfr. l’expression sui iuris : " de son propre droit " ; LIV. I, 25, 13 : alteri dicionis alienae facti.
debuit : même règle et même regret que potuit au vers précédent.
loquere : 2e pers. sg. impératif pr. déponent de loqui.
Iason : contrairement à de nombreuses éditions, qui placent une virgule avant ce mot, et à la traduction de F.-R. Chaumartin, je ne pense pas que Iason soit ici le sujet de uiuat ; je serais plutôt tenté d’en faire un attribut du sujet de fuit, comme si Médée évoquait ici aussi un personnage dédoublé : il y a, d’une part, le futur époux de Créuse et, d’autre part, celui qui a été Jason et qui fut, pour un temps, entièrement dévoué à Médée. Médée se souvient avec tendresse de ce temps passé où cet homme fut effectivement Jason, l’amant à qui elle a tout donné et qu’elle souhaite retrouver tel qu’il fut alors, tout à elle.
Creontis : génitif " possessif " avec esse, comme alieni arbitri iurisque.
impotens : de rythme crétique, cet adjectif apparaît habituellement à la fin du trimètre.
pertulit… potuit : parfaits " gnomiques " (à l’image de l’aoriste en grec) : cela a été vrai dans le passé, reste vrai dans le présent et est une vérité d’ordre général.
si : valeur à la fois conditionnelle et temporelle annoncée par l’adverbe tunc.
numquam…non : " jamais l’occasion ne peut ne pas s’offrir au courage " (litote).
fuerat : ce plus-que-parfait semble signifier : " Mon père était roi jusqu’au moment où son pouvoir n’a pas pu m’empêcher de m’opposer à lui ", comme si la fuite de Médée avait signé la déchéance royale d'Aeétès.
moriere : = morieris : 2e pers. sg. ind. futur simple déponent de mori.
paenituit fugae : i.e. me : le verbe impersonnel paenitere (paenitet, paenituit) se construit avec le génitif de la chose que l’on regrette, et l’acc. (me) du nom animé (ou du pronom) de celui qui regrette.
sim : subj. présent dans une interr. ind. complément de uides.
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académique : Paul-Augustin
Deproost
Analyse :
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Dernière mise à jour : 8 novembre 2020 |