OVIDE

Métamorphoses

Pyrame et Thisbé

IV, 55-166

 

Au fil Au fil du texte texte

 


 

Pyramus et Thisbe : les deux noms occupent le premier hémistiche du premier vers.

pulcherrimus… praelata : discours superlatif qui introduit bien les propos hyperboliques d'un récit légendaire et orientalisant. Observons aussi la disposition en chiasme et la uariatio entre les deux vers pour exprimer la beauté des deux jeunes gens : iuuenum pulcherrimus alter / altera…praelata puellis. Le chiasme permet notamment de rapprocher les deux pronoms alter/altera, autour de la pause du vers qui, en même temps, dresse un obstacle entre eux, comme si la versification traduisait, dès le début du récit, les deux thèmes qui en seront les moteurs : l'amour et la séparation. Le deuxième vers, tout entier consacré à Thisbé, ajoute un élément supplémentaire : l'histoire se passe en Orient.

ubi : introduit une périphrase épique pour désigner l'ancienne cité de Babylone. Le vers est organisé selon un schéma enchâssé et en chiasme 2 adj. + 2 noms : altam / coctilibus muris / urbem.

altam : même s'il semble bien que les murailles de Babylone étaient anormalement hautes, il faut aussi observer que cette précision est un topos poétique dans les descriptions des grandes villes : voir e.g. VERG., Aen. I, 7 : altae moenia Romae (mais aussi Carthage, Troie, etc.) ; et plusieurs autres exemples chez Ovide. La hauteur de Babylone ne tient pas à son assiette puisque la ville s'étendait en plaine, sur les rives de l'Euphrate ; elle concerne bien les constructions. Cela étant, Ovide n'a évidemment jamais vu Babylone et il ne fait ici que relater une tradition sur la hauteur effarante des murs de la ville : d'après Hérodote, 200 coudées du « Grand Roi », c'est-à-dire 200 coudées babyloniennes, soit 105 mètres, exactement la hauteur du Clocher Vieux de Chartres. Cependant, il faut considérer ce témoignage avec circonspection : il correspond sans doute à ce qu'ont raconté à l'historien grec les guides orientaux, plutôt qu'à des mesures prises personnellement.

coctilibus : les muri coctiles désignent des murs de briques. On retrouve le même témoignage dans Prop., III, 11, 21-22 : Persarum statuit Babylona Semiramis urbem/ut solidum cocto tolleret aggere opus. Selon Ctésias de Cnide, médecin et historien grec du Ve siècle ACN, les murailles de Babylone étaient si larges que l'on pouvait faire circuler sur leur courtine des quadriges, et que deux chars de guerre pouvaient s'y croiser (voir DIOD., II, 7 ; QUINT. CVRT., V, 1, 25 ; PROP., III, 11, 23-24: et duo in aduersum missi per moenia currus/ne possent tacto stringere ab axe latus).

Semiramis, midis : reine légendaire d'Assyrie, épouse de Ninus, le fondateur de Ninive, et fondatrice de Babylone.

notitiam primosque gradus (sc. amoris) : « leur connaissance et les premiers pas de leur amour ». L'emploi de gradus en ce sens est rare et inconnu avant Ovide : voir rem. 654 : perque gradus molles emoriatur amor ; ars I, 482 : per numeros uenient ista gradusque suos ; trist. III, 11, 5 sq: quis gradus ulterior, quo se tua porrigat ira, restat ? À moins qu'il ne s'agisse d'un hendiadys : « les premiers pas de leur connaissance ».

amor : mot important à la césure du vers, et suivi par taedae qui concrétise ou réalise cet amour dans le mariage.

taedae iure : = iusto matrimonio : « mariage légitime » : l'expression allie la métaphore (taeda) et la littéralité (ius) : « avec la sanction de la torche nuptiale ».

v. 61 : versification particulièrement élaborée qui joue sur des allitérations et les différentes formes d'un même mot : uetuere/uetare. Procédé proche de la paronomase.

v. 62-64 : le poète file la métaphore de la brûlure empruntée au répertoire de la poésie amoureuse et élégiaque.

v. 62 : ce vers présente une remarquable succession de spondées qui souligne l'intensité de la brûlure amoureuse, et tout le vers est en rejet, comme antécédent de quod au vers précédent. La succession des vers 60-62 présente un chiasme des interdits : les pères pouvaient empêcher une union légitime, ils ne pouvaient pas empêcher la passion des deux amants. Le poète met en évidence deux manifestations de cette passion : l'obsession (captis) et la brûlure (ardebant) séparées par la césure 5. Enfin, le vers présente une structure en anneau qui place le verbe ardebant au centre et les expressions de la complicité aux deux extrémités : ex aequo… ambo.

abest : après les parfaits narratifs (tenuere, creuit, fecit) et l'imparfait descriptif (ardebant), Ovide passe au présent d'actualisation qui marque le véritable début de l'intrigue. Il reviendra ensuite à l'imparfait de la durée indéterminée pour décrire le développement de cet amour.

tegitur : verbe usuel dans la poésie amoureuse pour signifier des amours secrètes : voir met. IV ,191 ; V, 602, etc. Nouveau phénomène de paronomase dans le chiasme qui réunit au centre du vers les mots tegitur/tectus.

ignis : le mot est en position très expressive en fin de phrase et de vers pour conclure la métaphore amoureuse du feu. Dès le premier vers, le nom grec du garçon, Pyrame, signe, du reste, la présence du feu qui sera, tout au long du récit, un substitut du mot-clé amor.

rima : cette image de la fissure dans le mur a été paraphrasée par Shakespeare dans la scène fantastique du Songe d'une nuit d'été ; voir aussi chez Properce, I, 16, 27 sq : « Oh ! si ma faible voix pouvait se glisser par une fente légère et aller frapper enfin l'oreille de ma maîtresse » (O utinam traiecta caua mea uocula rima/percussas dominae uertat in auriculas,) et Boccace, Décameron, VII, 5. Ce détail fera ensuite l'objet d'un long développement élégiaque où le poète s'adressera directement au mur lézardé.

v. 66 : la scansion de ce vers permet d'isoler les mots paries domui entre les césures 3 et 7, eux-mêmes séparés par la césure 5, comme si la versification visualisait l'obstacle entre les deux maisons. Il faut aussi observer l'entrelacement des rapports syntaxiques entre les quatre derniers mots du vers, qui semble traduire, au-delà de l'obstacle, l'étreinte des amants.

paries : « Le mur commun à l'une et l'autre maisons était fendu d'une légère fissure qu'il avait provoquée autrefois au moment de sa construction ». Cette fente du mur mitoyen, par laquelle les amants pouvaient non pas se toucher ni même se voir, mais se parler, n'aurait pas pu exister dans un mur de moellons, tels qu'étaient les murs des maisons grecques. Au contraire, en Mésopotamie, où l'on construit en briques crues, les accidents de ce genre sont chose fréquente.

nulli … primi: même s'ils sont à des cas différents, ces deux pronoms, phonétiquement proches, s'opposent respectivement avant la coupe du v. 67 et après la coupe du v. 68.

quid non sentit amor : expression proverbiale qui peut s'autoriser de multiples variations sur le thème omnia sentit (potest) amor, que l'on trouve déjà dans les poèmes virgiliens : buc. X, 69 : omnia uincit amor ; Aen. IV, 296 : quis fallere possit amantem ? Cfr. met. I, 464 ; IV, 96 ; V, 366 ; VII, 12. 167. Voir aussi A. OTTO, Die Sprichwörter und sprichwörtlichen Redensarten der Römer, Leipzig, Teubner, 1890, 17.

uidistis : brusque passage à la deuxième personne qui transforme le poème en élégie et anime la scène évoquée.

amantes : utilisation nominale du participe présent, mis en évidence en fin de vers : l'amour donne aux amants un sixième sens qui n'est pas commun aux autres hommes. Dans ce vers, les deux mots qui ont le radical amare sont mis en évidence à la coupe et à la pause : amor/amantes.

tutaeque : mis en évidence par l'hyperbate et après la coupe du vers, l'adjectif épithète prend une valeur adverbiale.

v. 70 : rapprochement expressif de murmure blanditiae qui occupe tout le premier hémistiche, et reprise allitérante des sonorités du premier hémistiche dans les mots du deuxième hémistiche. Le ton est celui de l'élégie amoureuse et tendre.

v. 71 : le chiasme rapproche les deux amoureux au centre du deuxième hémistiche : hinc Thisbe Pyramus illinc.

captatus : l'emploi du fréquentatif traduit la passion des deux amants dont les lèvres ne peuvent pas se toucher (v. 75, 79-80), mais qui peuvent seulement saisir le souffle de leurs bouches à travers la fissure du mur.

inuide : les lamentations des amants devant un mur (ou devant une porte fermée, ailleurs dans la poésie élégiaque) sont un topos de la littérature amoureuse, appelé paraklausíthuron. On en trouve de nombreux exemples dans la littérature latine : e.g. Properce I, 16, 17 sq : ianua,… quid… taces ?; Tibulle I, 2, 7 : ianua difficilis domini, te uerberet imber ; OV., am. I, 6, 73. Sur ce thème dans l'antiquité, voir le livre de F.O. COPLEY, Exclusus amator : a Study in Latin Love Poetry, American Philological Association, 1956 (Coll. Philological Monographs, t. 17), passim. Selon ce lieu commun, le mur ou la porte sont un véritable ennemi des amoureux, complice des jaloux ou des parents qui les empêchent de se voir. En même temps, cette personnification du mur est bienvenue dans un poème comme les Métamorphoses qui mélange continuellement le monde animé et le monde inanimé : voir e.g. la transformation de Daphné en arbre capable d'entendre et de communiquer. Chez Ovide, la nature et les choses ne sont pas des mondes distincts des hommes : elles sont leurs complices ou leurs ennemies en un tout perpétuellement en mouvement.

uerbis… auris : rime intérieure à la coupe et à la pause du vers.

v. 77 : le nom transitus renvoie à transire (v. 70) et prolonge la personnification des v. 69-70. Les sonorités multiplient les allitérations en /s/ (7 fois) comme pour suggérer le souffle des murmures amoureux à travers le mur. Les paroles et les oreilles sont les métonymies de la bouche et des corps des deux amants qui leur permettent ainsi de s'unir en toute sécurité par la fissure du mur, en un doublon métaphorique du v. 70.

nequiquam : l'organisation du vers en fronton met au centre l'adverbe sous un molosse (trois longues) qui exprime la vanité des tentatives de Pyrame et Thisbé pour se rejoindre, comme l'obstacle qui les sépare physiquement et qui rompt l'unité de l'ablatif diuersa sede. Avec nimium (v. 75), cet adverbe d’atténuation fait apparaître un effet de frustration qui relève de l’élégie, au même titre que la plainte : si le poète élégiaque était satisfait, il n’écrirait plus. Les baisers donc ne parviennent pas à leur destinataire et la déception qui en résulte se traduit par le ralentissement du v. 80 avec ses trois syllabes longues au centre du vers et son participe de quatre syllabes : suae non peruenientia.

v. 79-80 : l'ordre compliqué des mots semble traduire la peine des baisers à franchir cet obstacle.

v. 81-82 : en évoquant la grandeur du spectacle matinal, Ovide reprend un ton épique qui ponctue la fable de son mystère, jusque dans la construction presque symétrique des deux vers.

v. 83 : ce vers multiplie les allitérations en /m/ comme au v. 70 et pour exprimer le même effet sonore. Cependant, le murmure est cette fois plus audacieux qu'au v. 70 puisque minimo est devenu paruo.

v. 84 : ce vers multiplie les allitérations en /s/, avec une rime intérieure questi…silenti, qui oppose les gémissements et le silence de la nuit. Tout ce passage dégage une intense poésie sonore.

v. 85 : chiasme entre les deux infinitifs et leur complément et allitération symétrique des sons /f, c, d/ : fallere custodes / foribusque excedere, comme si le poète voulait souligner la décision des deux amants qui sera à l'origine de la tragédie.

Ninus, Nini : Ninos, roi légendaire d'Assyrie, époux de Sémiramis, et fondateur mythique de Ninive et de l'empire babylonien. La présence de ce tombeau (busta) surprend ici : le tombeau de Ninus, élevé par Sémiramis, était un mausolée célèbre par ses dimensions et sa beauté, situé à Ninive même, et non à Babylone. Au-delà d'une simple confusion géographique, on peut penser qu'Ovide l'évoque ici pour sa valeur prophétique, en tant que monument funéraire. Mais il y a peut-être plus : on peut associer le nom de Ninos, en particulier au génitif comme ici, à celui de la déesse proto-sumérienne de l'Amour, Ninni, identifiée par la suite à la grande déesse Ishtar, que l'on retrouvera bientôt à travers deux de ses attributs, et à Sémiramis elle-même.

arboris arbor : rejet et anaphore du mot qui soulignent le symbole central du récit de la métamorphose.

pacta placent : allitération et césure 3. Mais, comme le montre le vers suivant, la nature elle-même semble s'accorder aussi avec ce plan : après avoir tardé à disparaître, la lumière « se précipite » finalement dans les flots, se rendant ainsi complice du plan des jeunes gens à qui elle offre le surgissement de la nuit.

v. 91-92 :  la lenteur (tarde) du jour qui tombe pour faire place à la nuit, le temps de l'amour, est un lieu commun de la poésie amoureuse hellénistique ; la possibilité de placer trois césures au v. 91 semble traduire cette lenteur. Au vers 92, la construction en chiasme place l'anaphore de aquis au centre du vers et sous le même schéma accentuel comme pour ponctuer le rythme du temps qui passe et qui bascule à partir du même endroit : le soleil plonge dans l'océan et la nuit en surgit. Même si l'image poétique est peu adaptée au paysage babylonien, les deux vers dégagent une grande poésie sonore qui joue sur les oppositions :

rythmique : les spondées du v. 91 décrivent la lenteur du jour qui disparaît ; les dactyles du v. 92 décrivent la rapidité de la nuit qui apparaît ;
 lexicale : lux/nox (monosyllabes et proximité phonétique) ; discedere/exit à la fin de chaque vers.

v. 95 : le vers est entouré des deux verbes qui marquent le terme de la transgression : peruenit / sedit.

amor : mise en évidence du mot à la césure du vers. Phrase à valeur épigrammatique. Toute à sa passion, Thisbé ne prend aucune précaution contre les agressions possibles de la nuit. Comme au v. 68, l'amour est présenté comme un personnage actif dans la légende : c'est lui qui a fait découvrir aux amants la brèche dans le mur ; c'est lui qui les rend audacieux ; c'est lui qui finira par les tuer.

leaena : dans les légendes babyloniennes, la lionne est un animal divin. Elle est notamment l'attribut de la déesse Ishtar, dont elle orne la porte à Babylone (voir sa reconstitution au Musée du Proche-Orient à Berlin, ainsi que le défilé des lionnes en marche qui ornent les façades sur la Voie des Processions). C'est un animal royal, solaire.

lunae : au-delà de l'élément descriptif, il faut peut-être comprendre une autre intervention divine qui double celle de la lionne : la déesse Ishtar, dont la lionne est l'attribut animal, est précisément la déesse babylonienne de la lune. Les adaptations ultérieures du conte souligneront souvent la responsabilité de la lune dans la méprise de Pyrame (voir notamment dans le Songe d'une nuit d'été de Shakespeare, où Clair de Lune est un personnage, comme d'ailleurs Mur et Lion).

v. 100 : l'ordre des mots est enveloppant comme la grotte obscure dans laquelle se réfugie Thisbé. Ovide souligne l'effet de clair-obscur : lumière de la lune (danger) >< obscurité de la grotte (sécurité).

timido : la peur de Thisbé est inutile puisque la lionne est repue ; elle est même tragique, puisque, dans sa fuite, Thisbé perdra le voile bientôt souillé du sang de la gueule de la lionne qui trompera Pyrame.

fugit : l'anaphore de fugit d'un hémistiche à l'autre (vv. 100 et 101) visualise la fuite de la jeune fille. Du v. 96 au v. 101, les verbes occupent, du reste, des places privilégiées dans le vers ou dans la phrase : uenit commence la phrase au v. 96 après la césure ; uidit est en rejet au début du v. 100 ; anaphore de fugit ; la phrase se termine sur le verbe le plus tragique : reliquit, qui conditionne toute la méprise de Pyrame.

dumque fugit / dum redit : scénographie poétique qui oppose les deux mouvements respectifs de Thisbé et de la lionne en tête de vers.

tenues laniauit amictus : Ovide retarde jusqu'au dernier hémistiche du v. 104 le fait décisif qui justifiait la présence de la lionne dans le récit : elle déchire le léger vêtement abandonné par Thisbé. Par ailleurs, la versification isole l'adjectif tenues au milieu du vers, après la césure, entre deux mots qui évoquent un contexte de violence : cruentato / laniauit. C'est à ce moment qu'arrive Pyrame.

egressus : l'éloignement du participe et du mot auquel il se rapporte, Pyramus (v. 107), lui-même mis en évidence en rejet, dramatise aussi la scène, où l'on distingue d'abord, dans la lumière de la lune, une forme humaine qui s'avance, avant de pouvoir l'identifier précisément. Les gestes de Pyrame répondent à ceux de Thisbé : egressus répond à egreditur (v. 94) ; uidit (v. 105) répond à uidit (v. 100).

certa : l'hyperbate de l'épithète, qui se rapporte à uestigia, est psychologiquement très expressive : Pyrame distingue d'abord des empreintes dans la poussière, avant de les identifier.

expalluit... sanguine : ces deux mots, placés au même endroit, juste avant le dernier pied, à un vers de distance, soulignent un effet de clair-obscur entre la pâleur de Pyrame et le sang qui souille le voile.

sanguine : le sang qui souille le vêtement de Thisbé est objectivement un sang « mort », et donc un cruor, puisqu'il s'agit du sang des animaux dévorés par la lionne. Or, Ovide le présente ici comme un sanguis, un sang « vivant » : la présence de ce sang est, effectivement, l'élément qui provoquera la méprise de Pyrame et qui provoquera donc, en même temps que la mort des deux amants, la métamorphose du mûrier, source d'une vie nouvelle.

v. 108 : le rejet de repperit, qui le rattache au vers précédent, et l'incise inquit isolent au milieu du vers les adjectifs numéraux antithétiques una duos.

longa uita : dans la mentalité romaine, une mort prématurée, mors immatura, est « indigne » ou « non méritée » (voir de nombreux exemples dans les inscriptions funéraires).

v. 110 : dans le premier hémistiche fortement allitérant, il faut aussi observer la mise en évidence de nostra au début du vers, repris par ego en tête du second hémistiche ; d'autre part, l'opposition ego/te du second hémistiche reprend l'opposition illa/nostra entre les premiers hémistiches des vers 109-110.

v. 111-112 : Pyrame souligne les termes de sa faute : il sort de la relative le lieu risqué du rendez-vous (in loca plena metus), il isole le temps dangereux de la nuit (nocte), et il regrette la légèreté de son retard dans un hémistiche en rejet.

nostrum : en écho à nostra anima du v. 110 : puisque mon âme est coupable, mon corps doit être puni.

v. 113 : construction en fronton qui isole au centre le verbe de la condamnation et de la punition. Rapprochement significatif des deux adjectifs scelerata fero : le crime doit être sauvagement puni.

fero : reprend l'image de la bête féroce en écho à la lionne et aux traces de la « bête » (ferae) que Pyrame a reconnues au v. 106.

timidi : rappelle timido pede du v. 100, non sans induire, à rebours, quelque reproche à l'égard du geste de Thisbé. En effet, considérée dans ses conséquences tragiques, la fuite « tremblante » de Thisbé peut apparaître au lecteur comme une faute, sinon comme une « lâcheté », dont, à son tour, Pyrame ne veut pas être responsable au moment où il se reproche la légèreté de son retard.

v. 116 : le désordre des mots semble traduire le désarroi de Pyrame.

pactae : le lieu de rendez-vous avait été fixé à l'ombre de l'arbre (v. 88).

umbram : l'obscurité et la nuit sont plusieurs fois évoquées dans tout ce texte comme puissances du mal, de la méprise, de la transgression.

quoque : « reçois aussi mon sang, après avoir reçu mes larmes et mes baisers ».  Et : « reçois aussi mon sang, après avoir déjà reçu celui de Thisbé ».

mora : cette précipitation semble traduite dans la construction paratactique qui suit. Assonance avec moriens qui introduit le deuxième hémistiche.

v. 121 : ce vers ne compte aucun spondée ; les césures 3 et 7 isolent les mots descriptifs resupinus humo : le rythme haletant et l'asyndète à la césure 7 soulignent la sauvagerie de la scène.

fistula : la comparaison peut nous apparaître très prosaïque et d'un goût douteux, mais elle correspondait à l'expérience toujours impressionnante, régulièrement vécue par les Romains, d'une rupture de canalisation à la sortie d'un aqueduc.

scinditureiaculaturrumpit : les trois verbes sont mis en évidence au début et en fin de vers, en chiasme pour les deux derniers.

v. 123 : observer l'allitération des dentales dans les quatre premiers pieds du v. 123.

in atram uertuntur faciem : le verbe et le complément de direction attestent qu'il s'agit bien d'une métamorphose.

sanguine : (cf. supra) à l'inverse du cruor (v. 121), il s'agit ici du sang vivant qui vient féconder la racine de l'arbre. Le sang de Pyrame versé pour Thisbé devient le sang d'une nouvelle naissance pour les fruits de l'arbre.

v. 127 : la versification souligne la métamorphose de la couleur des mûres, qui entoure le vers : purpureo… colore. Les fruits prennent sur eux toute l'obscurité de la nuit et des forces de mort de la scène plusieurs fois soulignées. L'obscurcissement des baies provient donc de deux causes : « la rosée de mort » et « la racine de l'arbre mouillée du sang ». Purpureo tingit colore répond à uestem sanguine tinctam du v. 107 : le sang du voile provoque le sang de Pyrame et les deux sangs se rejoignent dans la nouvelle couleur du fruit. Ovide a décrit le suicide de Pyrame avec une certaine complaisance, que l'on retrouve dans l'épopée. Elle n'est cependant pas gratuite : Pyrame se suicide avec la même passion que celle de son amour pour Thisbé. La violence de sa mort trouve sa justification dans la violence de son amour, brutalement perdu ; les deux pulsions de vie et de mort se rejoignent dans la nouvelle couleur noire des fruits de l'arbre. En ce sens, la présence simultanée de fetus et de caedis dans un même vers (v. 125) est significative de ce mélange de vie et de mort, caractéristique de la métamorphose. Plusieurs critiques ont évoqué les connotations « érotiques » de cette mort, dont les attitudes, les gestes, le bouillonnement rappellent ceux de l'étreinte amoureuse. En particulier, le passage de cruor à sanguine, dont est inondée la racine du mûrier, évoque l'image d'un cycle de vie : après la mort, la naissance dont les fetus arborei sont comme les nouveaux fruits. La métamorphose est dès lors plus profonde qu'elle n'apparaît au premier abord : la nouvelle couleur des mûres est, en réalité, comme les enfants que Pyrame et Thisbé n'ont pu engendrer durant leur vie, empêchés de mariage suite à l'hostilité paternelle ; ils ont enfanté dans la mort des enfants métamorphosés en fruits qui ont pris la couleur de la nuit dont est investie la souffrance d'un amour interdit et avorté.

oculis animoque : zeugma

v. 132 : la césure 5 et la ponctuation bucolique après le quatrième pied isolent pomi color qui est bien au centre de toute cette histoire. La vraisemblance narrative cède ici le pas à la vérité du symbole : dans une situation normale, Thisbé n’aurait évidemment pas prêté attention à la nouvelle couleur des fruits, anecdotique par rapport à l’endroit, l’arbre et le blessé qui est en-dessous. Mais, avant même de voir Pyrame agonisant, elle a vu les fruits qui ont changé de couleur, car ce sont eux qui sont importants dans le récit. Incertam est mis en évidence juste avant la césure 5 ; après la diérèse, l’immobilité et trois monosyllabes scandent, en un style elliptique, l’inquiétude de Thisbé devant cet arbre.

tremebunda uidet : l’expression est isolée entre les césures 3 et 7. Le vers est ponctué d’hésitation, de tremblement et de sang. Avant de reconnaître son amant, Thisbé voit un corps sanglant sur le sol.

buxo : la pâleur du buis est proverbiale dans l’antiquité à cause de la couleur jaunâtre de son bois.

tremit : plusieurs manuscrits notent fremit ; seul N (Naples, XIe siècle) note tremit de seconde main dans un grattage (= n) : cette dernière leçon convient mieux à la comparaison et fait écho à tremebunda du v. 133 : sans encore savoir exactement ce qui s’est passé, Thisbé le redoute et « tremble » de peur comme le frisson de la mer ; en revanche, fremit évoque plutôt le bruit sourd, le grondement, le murmure des flots, qui n’a pas de correspondant dans le premier terme de la comparaison. La comparaison est très expressive des sentiments qui s’emparent progressivement de Thisbé à la vue du blessé : elle traduit à la fois l’inquiétude frémissante qui l’envahit, mais laisse aussi pressentir les débordements qui vont suivre, comme la mer qui commence de frémir sous la brise avant de déchaîner toute sa masse sous la violence du vent.

v. 138 : observer le chiasme et le parallélisme dans l’ordre des mots.

comas : Thisbé reproduit sur sa chevelure le geste de la lionne sur son voile (v. 104).

suppleuit : l’image semble suggérer que Thisbé compense avec ses larmes le sang qui s’est échappé des blessures de Pyrame, en une émouvante alchimie que la suite du vers vient confirmer dans le rapprochement significatif fletumque cruori / miscuit : le vers est tout entier construit sur le mélange des deux liquides en chiasme : uulnera lacrimis / fletumque cruori. Pyrame s’est vidé de son sang ; Thisbé le remplace de ses larmes, comme un nouveau liquide vital qu’elle imprime de son amour.

Pyrame… te : répétition des mêmes mots à la même place des v. 142 et 143, qui crée un effet incantatoire et magique, redoublé par la possibilité de lecture verticale des v. 142-144.

te mihi : rapprochement expressif des deux pronoms.

v. 143 : le nom des deux amants entoure le vers et mise en évidence de tua te entre les césures 5 et 7.

nominat : rejet expressif : dans le rituel magique, l’appel du nom doit assurer la présence de la personne convoquée ; en l’occurrence, l’appel par le nom donne la vie.

v. 144 : après le dactyle nominat en rejet suit une succession de spondées qui traduisent le désespoir de Thisbé. Exaudi apparaît comme un cri : l’impératif est séparé du reste du vers par la césure et le rejet qui rapporte nominat au vers précédent, et il est marqué de deux ictus. Observer en lecture verticale Pyrame, Pyrame, nominat.

ad nomen Thisbes : Pyrame réagit en entendant le nom de son amie, alors qu’il reste sourd à son propre nom. C’est comme la dernière étape d’un rite magique avorté : en magie, le contrôle du nom est le contrôle de la personne, et les pratiques incantatoires répètent souvent le nom de la personne à qui elles s’adressent ; ici, la répétition du nom de Pyrame a échoué ; en revanche, et de façon inattendue, c’est le nom de Thisbé qui ramène Pyrame pour un court instant à la vie, comme si l’amour prenait le relais d’une magie impuissante.

postquam…cognouit : écho au v. 137, où les mots se trouvaient au même endroit du vers. L’ictus frappe successivement : postquam… uestem… suam, soulignant les syllabes nasalisées comme des gémissements.

v. 148 : vers exclusivement composé de dactyles pour traduire l’agitation de Thisbé.

tua te : écho au v. 143 à la même place dans le vers.

manus… amorque : ce zeugma est repris par Thisbé au v. 150 : la main et l’amour ont été les instruments du suicide de Pyrame ; ils seront aussi ceux du suicide de Thisbé ; d’où la répétition de et (= etiam) aux v. 149-150.

amorque : isolé en fin de vers, le mot souligne toute la tragédie de la légende, où l’amour est effectivement la cause de la mort ; ceci est confirmé par le rejet de perdidit, lui-même suivi de infelix qui peut se rapporter doublement à Pyrame, au vocatif, mais aussi à amorque, au nominatif. En l’occurrence, l’amour est effectivement « malheureux », comme souvent chez les anciens, qui le considèrent comme une passion sinon comme une maladie dont il faut se garder (voir Didon et Énée chez Virgile). Cette dernière interprétation est sans doute plus proche des intentions d’Ovide dans ce récit (voir fortis).

fortis : épithète de manus et peut-être aussi de amor ; si l’on considère la symétrie entre les v. 148 et 150 du point de vue de la répétition manus… amor, on pourrait prolonger cette symétrie sur les deux adjectifs infelix… fortis, et les rapporter dès lors tous les deux aux instruments de la mort des deux amants (manus… amor).

est et : séquence reprise au v. 150, avec une inversion de l’ictus.

in unum hoc : « pour cet acte unique » : les mêmes instruments (la main et l’amour) provoqueront le même acte ; la mort de Thisbé et celle de Pyrame ne seront qu’une seule et même mort, provoquée par le même amour, qui enfantera une nouvelle couleur pour les fruits du mûrier.

amor : à la césure du v. 150 ; cf. amorque qui se trouvait à la pause du v. 148.

causa comesque tui : nouveau zeugma en rejet expressif et allitérant, augmenté d’une forte disjonction du possessif tui par rapport à leti. L'hyperbate leti... tui pourrait même induire une séparation sémantique entre les deux mots, qui ferait de leti le complément du nom causa et de tui un pronom personnel complément du nom comes.

v. 152-153 : le parallélisme des deux derniers pieds se double d’un rapprochement antithétique poteras/poteris au centre du vers 153, de part et d’autre de la césure. Ce sont les derniers mots de Thisbé à Pyrame ; la suite de son discours sera pour leurs deux pères et pour l’arbre.

sola : la disjonction met l’adjectif en évidence.

estote rogati : cette forme rare donne une allure grave, sinon rituelle à la prière de Thisbé, renforcée par l’allitération du premier hémistiche qui suit et l’apostrophe solennelle aux deux pères ; cette gravité traduit l'expression des « dernières volontés » des deux amants dont Thisbé entend qu'elles soient honorées par leurs pères respectifs.

v. 156 : le chiasme et le zeugma soulignent, une fois de plus, le lien entre l’amour (certus amor) et la mort (hora nouissima), qui, en l’occurrence, réunissent définitivement les deux amants. Ce lien est renforcé par l’anaphore du relatif.

v. 157 : ce vers souligne aux deux extrémités la complicité des deux amants dans le préverbe cum- et dans l’adjectif eodem.

v. 158 : ce vers présente une longue succession de spondées qui donne une allure solennelle à la prière de Thisbé. Par ailleurs, il est composé de mots brefs (mono- ou dissyllabes), à l’exception de miserabile (5 syllabes) dont le rythme anapesto-dactylique tranche avec les spondées du vers. La versification contribue donc à mettre cet adjectif en évidence. Les deux v. 154 et 158, qui introduisent la double demande de Thisbé aux deux pères et à l’arbre, présentent chacun un élément de gravité (impératif périphrastique et métrique solennelle) qui leur donne comme une valeur testamentaire.

tegis… es tectura : nouveau polyptote du verbe tegere comme au v. 64, au début de la légende: le proverbe trouve ici sa réalisation, mais d'une manière inattendue; l'amour des deux jeunes amants peut enfin se réaliser, mais dans la mort et dans la métamorphose. Le feu de leur amour n'est plus condamné à bouillonner sous un couvercle; il se déploiera désormais à l'abri des fruits du mûrier.

unius… duorum : au moment de se donner la mort, Thisbé reprend comme en écho l'opposition « una duos » du v. 108 que Pyrame avait déjà évoquée avant de mourir.

fetus : le mot est retardé après que le poète a évoqué, au vers précédent, ses épithètes qui soulignent les connotations sombres des fruits. Cf. v. 125, où le mot se trouvait déjà à cet endroit dans le vers, juste avant la césure.

v. 162 : observer la construction entrelacée de ce vers.

v. 163 : les allitérations en dentales et gutturales semblent suggérer la violence de l’acte, nuancée par le sémantisme modéré des deux verbes incubuittepebat aux deux extrémités du vers.

deos… parentes : observer le parallélisme des constructions et les allitérations de dentales. Ovide présente le résultat des prières de Thisbé en chiasme : d’abord la réponse des dieux (v. 165), puis celle des parents (v. 166), après que Thisbé a commencé par invoquer les deux pères (v. 155-157) puis l’arbre (v. 158-161).

ater : l’adjectif est mis en évidence en fin de vers, comme déjà atram au v. 125. Observer le jeu phonétique permaturuit ater.

una : l’adjectif est mis en évidence après la césure, comme ater à la fin du vers précédent. Dans le même temps, le passage se termine sur urna, ce qui permet de souligner, à la fin des deux derniers vers de l’histoire, les thématiques conjointes de l’obscurité et de la mort qui l’ont traversée. Observer également le jeu de mots una/urna.

 

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Analyse : Jean Schumacher  
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Dernière mise à jour : 30 août 2017