VIRGILE
Didon et Énée
Énéide IV, 259-278
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conspicit : le rejet souligne l’étonnement scandalisé du dieu à la vue d’Énée occupé à construire les maisons et surtout les forteresses de la cité qui deviendra une des plus redoutables rivales de Rome.
v. 261-264 : Énée est habillé en prince oriental, dont il est armé d’une luxueuse épée et dont il a revêtu le riche manteau. Ce n'est pas le personnage sobre et grave de la destinée, le modèle du Romain attaché aux valeurs de la terre, mais un homme devenu captif des séductions de l’orient, et qui a donc oublié le sens de sa mission.
diues : l’hyperbate semble souligner le danger qui se cache derrière cet adjectif : Didon incarne pour Énée la tentation de la richesse et de la mollesse à laquelle il a succombé pour un temps.
telas : bien plus tard, lorsqu'Énée s’acquittera des honneurs funèbres de Pallas, il couvrira le corps de son ami de deux riches draps d'or et de pourpre, « quas illi laeta laborum/ ipsa suis quondam manibus Sidonia Dido/ fecerat et tenui telas discreuerat auro » (XI, 73 sq), où Virgile citera ce vers du chant IV. Même s'il ne s'agit sans doute pas du même vêtement, cette reprise en ce moment douloureux est touchante, comme en un souvenir nostalgique de ces temps de bonheur où Didon avait brodé de ses mains le riche manteau de son amant.
tu : l’apostrophe est directe et brutale, dès le premier mot du dieu.
altae : dans son sens propre (« haut ») et dans son sens figuré (« hautain »), l’adjectif est un lieu commun dans la poésie antique pour qualifier les villes importantes, en particulier les villes capitales d’Empire, « hautes et orgueilleuses ».
uxorius : mis en valeur entre pulchram et urbem, l’adjectif est infamant pour Énée, car ce « mari aux petits soins », ce « tendre époux » est occupé à construire une cité raffinée pour sa femme, alors que son destin épique est de fonder la nouvelle Troie dont doit hériter son fils pour régner sur le monde. Virgile semble se souvenir ici de la comédie latine, où l'on voit souvent un uir uxorius (mari tendrement attentionné, domestiqué) aux prises avec une uxor dotata, la femme richement dotée qui fait chèrement payer à son mari, par son autorité despotique, ce qu'elle a apporté dans l'escarcelle conjugale. Rompant avec l’unité de ton, la dérision comique s’invite ici au milieu du drame épique, mais, dans le cas présent, la comédie confine à la tragédie, car la ville dont Énée construit les fondations c'est la citadelle qui menacera Rome pendant les guerres puniques.
Olympo… regnator : d’un vers à l’autre, Mercure souligne que son message vient directement de l’Olympe et de Jupiter, le souverain des dieux.
v. 273 : ce vers est omis dans les premiers manuscrits et n'est commenté ni par Servius ni par Tiberius Claudius Donatus. Certains éditeurs ne le retiennent dès lors pas, prétextant aussi qu’il reprend littéralement le v. 233. Cela étant, la dernière phrase de Mercure atteste d’autres interférences avec les vers 234-236 du message de Jupiter, comme pour confirmer que le messager remplit bien ici son rôle.
v. 274 : Virgile enserre tout le vers entre les deux noms du fils d'Énée : Ascagne et Iule, initiateur de la gens Iulia. Car Ascagne est plus que le fils d’Énée : il en est l’héritier, avec toute la connotation juridique que contient ce mot dans le droit romain, et il incarne donc toutes les espérances qu’il est en droit d’attendre de cet héritage. Mercure explicite ici le reproche de Jupiter au v. 234 : « Ascanione pater Romanas inuidet arces ? » (« Le père enviera-t-il à Ascagne les collines de Rome ? »), où le rapprochement du père et du fils ponctuait l’indignation du roi des dieux.
spes heredis : il s'agit de la fondation d'une dynastie déjà évoquée par Jupiter au v. 236 : « prolem Ausoniam ». Les « espérances » de Iule qui « grandit » seront confirmées plus tard à Énée par son père Anchise aux enfers : cf. VI, 364 : « per genitorem oro, per spes surgentis Iuli. »
regnum Italiae Romanaque tellus : les mots de Mercure semblent doubler le v. 236 de Jupiter : « nec prolem Ausoniam et Lauinia respicit arua ? ». Pour autant, si Mercure invite Énée à se souvenir de Rome et de l'Italie, il ne reproduit pas l'ordre nauiget, qui concluait le message de Jupiter au v. 237. À la décharge d’Énée, il faut cependant rappeler que les précisions géographiques Italia et surtout Romana n’ont aucun sens pour lui, puisque Rome n’existe pas encore.
debentur : rejet expressif qui conclut le discours de Mercure, comme plus tard lorsque le même Mercure reviendra pour réveiller Énée et l’exhorter à précipiter son départ, l’engageant à fuir les ruses d’une femme, car « uarium et mutabile semper/ femina » (v. 569-570). Par deux fois, Mercure conclut donc son discours par un rejet énergique qui doit pousser le héros à réagir. En revanche, les deux discours de Didon s’achèvent avec la fin de l’hexamètre et ne parviennent pas à persuader Énée de rester à Carthage (cf. v. 330, 387).
Cyllenius : le Cyllène est une montagne d’Arcadie où un culte était organisé à Hermès.
ore : implique non seulement les mots ou paroles, mais aussi la bouche qui les véhicule et dès lors toute l'expression du visage.
medio sermone : ne signifie pas « au milieu de son discours », qui serait ainsi incomplet, mais « au milieu de l’entretien » que Mercure rompt brusquement en ne tolérant aucune discussion, car il n'y a rien à répondre à ses paroles. Les derniers mots de Jupiter à Mercure attestaient la même résolution au v. 237 : « Nauiget ! Haec summa est » (« Qu’il navigue ! C’est tout dire en un mot ») ; on ne discute pas un ordre des dieux.
v. 278 : le vers est rempli de la disparition du dieu (euanuit) par la subtile élision de tenu(em) ex, qui met en évidence la préposition à la césure du vers, l'adv. procul, le lieu in auram (cf. IX, 658, après une apparition d’Apollon à Iule).
Responsable académique : Paul-Augustin Deproost Analyse : Jean Schumacher Design & réalisation inf. : Boris MaroutaeffDernière mise à jour : 3 décembre 2015