Sénèque, Médée

< Troisième chœur  : Ode argonautique >

v. 579-669

 

 

Grammaire et langue

 


 

< Chorus Corinthiorum in orchestra choream dans >

 

CHORVS

 

579      Nulla uis flammae tumidiue uenti
           tanta, nec teli metuenda torti,
           quanta cum coniunx uiduata taedis
           ardet et odit ;

           non ubi hibernos nebulosus imbres
          
Auster aduexit properatque torrens
585     Hister et iunctos uetat esse pontes
          
ac uagus errat ;

           non ubi impellit Rhodanus profundum,
           aut ubi in riuos niuibus solutis
           sole iam forti medioque uere
590     tabuit Haemus.

           Caecus est ignis stimulatus ira
           nec regi curat patiturue frenos
           aut timet mortem ; cupit ire in ipsos
           obuius enses.


595     Parcite, o diui, ueniam precamur,
           uiuat ut tutus mare qui subegit.
           Sed furit uinci dominus profundi
           regna secunda.
           Ausus aeternos agitare currus
600     immemor metae iuuenis paternae
           quos polo sparsit furiosus ignes
           ipse recepit.
          
           Constitit nulli uia nota magno :
          
uade qua tutum populo priori,
605     rumpe nec sacro uiolente sancta
          
foedera mundi.

           Quisquis audacis tetigit carinae
           nobiles remos nemorisque sacri
           Pelion densa spoliauit umbra,
610     
quisquis intrauit scopulos uagantes
           et tot emensus pelagi labores
           barbara funem religauit ora
           raptor externi rediturus auri,
           exitu diro temerata ponti
615     iura piauit.
           Exigit poenas mare prouocatum :
617     Tiphys in primis, domitor profundi,
           liquit indocto regimen magistro ;
           litore externo, procul a paternis
620     occidens regnis tumuloque uili
           tectus ignotas iacet inter umbras.
           Aulis amissi memor inde regis
           portibus lentis retinet carinas
           stare querentes.
625     Ille uocali genitus Camena,
           cuius ad chordas modulante plectro
627     restitit torrens, siluere uenti,
           cui suo cantu uolucris relicto
                            (cui recc ; cum A ; tum E)
           adfuit tota comitante silua,
630     Thracios sparsus iacuit per agros,
           at caput tristi fluitauit Hebro :
           contigit notam Styga Tartarumque
           non rediturus.
           Strauit Alcides Aquilone natos,
635     patre Neptuno genitum necauit
           sumere innumeras solitum figuras :
           ipse post terrae pelagique pacem,
           post feri Ditis patefacta regna,
           uiuus ardenti recubans in Oeta
640     praebuit saeuis sua membra flammis,
           tabe consumptus gemini cruoris
           munere nuptae.
           Strauit Ancaeum uiolentus ictu
           saetiger ; fratrem, Meleagre, matris
645     impius mactas morerisque dextra
           matris iratae : meruere cuncti.
           Morte quod crimen tener expiauit
           Herculi magno puer inrepertus,
           raptus, heu, tutas puer inter undas ?
650      Ite nunc, fortes, perarate pontum
           fonte timendo ?

           Idmonem, quamuis bene fata nosset,
           condidit serpens Libycis harenis ;
           omnibus uerax, sibi falsus uni
655     concidit Mopsus caruitque Thebis.
           Ille si uere cecinit futura
           exul errabit Thetidis maritus ;
           igne fallaci nociturus Argis 
           Nauplius praeceps cadet in profundum
660      † patrioque pendet crimine poenas †
           
           fulmine et ponto moriens Oileus ;
           coniugis fatum redimens Pheraei
           uxor impendes animam marito.
           Ipse qui praedam spoliumque iussit
665     aureum prima reuehi carina,
           ustus accenso Pelias aeno
           arsit angustas uagus inter undas :
           iam satis, diui, mare uindicastis :
           parcite iusso.


 

taedis : abl. de privation complément de uiduata.

ardet et odit : hendiadys.

Auster…Hister : mise en évidence, au début du vers, des deux forces naturelles qui signifient le vent et l'eau.

nec : porte sur les trois verbes curat, patitur, timet.

regi : inf. présent passif de regere.

parcite : emploi absolu sans complément.

uiuat : ut complétif qui explicite ueniam.

nulli : D. complément indirect de constitit.

magno : abl. n. sing., complément de prix du verbe constitit (voir A. ERNOUT — T. THOMAS, Syntaxe latine, Paris, Klincksieck, 1972, § 67).

tutum : (fuit).

uiolente : adj. au vocatif. La deuxième personne du singulier est ici utilisée dans un emploi générique pour désigner le genre humain, et non pour désigner précisément Jason.

densa…umbra : abl. de privation complément de spoliauit.

rediturus : emploi du participe futur pour marquer l'intention ou la virtualité. L'usage du participe futur apposé ou conjoint, en dehors de la tournure périphrastique -urus sum, en accord avec un sujet ou un complément, s'est développé à partir de Virgile, Tite-Live, et surtout Sénèque, dont il est une des caractéristiques stylistiques.

v. 617 : certains éditeurs, dont Zwierlein, proposent de ponctuer ce vers en plaçant la virgule non pas après in primis, mais après Tiphys, estimant que l'expression in primis doit être comprise non pas comme une expression adverbiale et prosaïque qui signifie la première place du personnage dans le catalogue, mais comme une manière de dire que le premier barreur d'Argô a dû partager sa renommée de « dompteur de la mer » avec d'autres. Cette interprétation me paraît aller à l'encontre de la suite du texte, en particulier le vers suivant, et des autres passages de la tragédie, où Tiphys apparaît, au moins implicitement, comme le « premier » qui a osé affronter l'océan, après avoir reçu sa formation d'Athéna elle-même (voir v. 2-3, 301, 318 sq) ; dans une note parue dans Hermes, t. 115 (1987), p. 382-384, O. Zwierlein propose une conjecture qui évite le prosaïsme, maintient la suggestion de ponctuation et préserve la primauté de Tiphys dans l'ordre des pilotes de bateau : Tiphys, en primus domitor profundi : le mécanisme de la faute est facile à restituer : l'interjection en n'a plus été comprise et a été corrigée par la préposition in, qui a automatiquement induit la transformation du nominatif primus en l'ablatif primis : des parallèles d'emploi de en peuvent être avancés dans les tragédies de Sénèque : Phae., 1252 ; Ag., 188, et surtout [PS.-] SEN., Oct., 41-44, qui présente une séquence de texte assez proche : En qui… primus imposuit iugum,… occidit. Mais il s'agit bien d'une conjecture qui n'est en rien appuyée par le témoignage des manuscrits.

occidens : part. présent de occidere, avec /i/ bref à la deuxième syllabe du saphique.

portibus lentis : hypallage expressif qui personnalise le port d'Aulis, en rendant sa « paresse » responsable du retard des bateaux ; mais il s'agit d'une paresse « active », puisque le port empêche les bateaux de prendre le large ou, à tout le moins, les « retient », alors qu'ils se « plaignent » de ne pas pouvoir bouger, comme s'ils étaient littéralement agrippés par le port.

uocali…Camena : abl. d'origine complément de genitus, dans le tour formulaire « né de ».

v. 627 : parallélisme de construction (verbe + sujet) ; variation du nombre (singulier, pluriel).

siluere : = siluerunt.

cui : D. complément de adfuit. La leçon cui, attestée par les manuscrits récents, est syntaxiquement et stylistiquement plus satisfaisante que cum (A) : un cum temporel se justifie mal à cet endroit ; d'autre part, la relative double la précédente en introduisant une uariatio stylistica. Cui doit être scandé monosyllabique.

notam : l'accord se fait avec Styga (acc. de Styx, Stygis [-gos] f.) plus proche, mais l'adjectif porte sur les deux noms Styga Tartarumque.

innumeras : (— U U) les deux brèves de l'adjectif correspondent à une longue à cet endroit du saphique ; cette résolution de la longue en deux brèves est irrégulière, puisqu'elle augmente d'une syllabe un vers qui en compte théoriquement onze. Il arrive à Sénèque de prendre certaines libertés par rapport à la métrique éolienne : voir e.g. Oed., 882 sq, où les deux syllabes brèves centrales du glyconique sont parfois contractées en une syllabe longue, réduisant ainsi le vers d'une syllabe. Ceci dit, depuis Horace, le saphique latin contient régulièrement une quatrième syllabe longue, qui a pu être considérée comme l'équivalent de deux syllabes brèves, alors qu'en grec et chez Catulle, cette quatrième syllabe est soit longue, soit brève, interdisant ainsi la possibilité de substitution.

mactas morerisque : ind. présents, qui, comme retinet au v. 623 et exigit au v. 616, semblent suggérer la présence toujours actuelle du châtiment qui s'est abattu sur les Argonautes, comme si cette faute originelle restait une dette à payer dans le présent du chœur et de l'humanité.

meruere : = meruerunt.

Herculi magno : D. complément de l'adjectif inrepertus.

fonte timendo : abl. absolu sans verbe « être ». Habile conjecture de Gronovius au départ de la faute ponte timendo (E) ; la leçon sorte timenda (A) est une correction maladroite de copiste à partir d'un modèle ancien déjà défaillant.

nosset : = nouisset.

condidit…concidit : jeu phonétique qui unit les deux destinées.

praedam spoliumque : hendiadys, où le sens invite à considérer praedam comme l'attribut de spolium.

iusso : D. m. sg. du part. pft. passif de iubere ; D. complément de parcite

 

Responsable académique : Paul-Augustin Deproost
Analyse : Jean Schumacher
Design & réalisation inf. : Boris Maroutaeff

Dernière mise à jour : 25 avril 2007