Horace, Ode I, 5

 

Au fil du texte

 


 

 

      Quis multa gracilis te puer in rosa
      perfusus liquidis urget odoribus
      grato, Pyrrha, sub antro ?
      cui flauam religas comam,

5    simplex munditiis ? heu quotiens fidem
      mutatosque deos flebit et aspera
      nigris aequora uentis
      emirabitur insolens,

      qui nunc te fruitur credulus aurea,
10  qui semper uacuam, semper amabilem
      sperat, nescius aurae
      fallacis. Miseri, quibus

      intemptata nites. Me tabula sacer
      uotiua paries indicat uuida
15  suspendisse potenti
      uestimenta maris deo.

 

 


 

    

gracilis : cet adjectif est plein de menaces : il souligne la fragilité de l'enfant, qui sera durement mise à l'épreuve par l'inconstance et les infidélités de Pyrrha. En même temps, l'inexpérience du nouvel amant de Pyrrha est soulignée dans le fait qu'il s'agit d'un puer.

rosa : la rose est le symbole floral de Vénus, la déesse de l'amour.

perfusus : première apparition métaphorique de l'image aquatique, confirmée par l'adjectif liquidis.

Au v. 3, l'expression grato sub antro  laisse entendre un amour simple, délicatement idyllique, comme on en trouve dans la poésie des Bucoliques de Virgile (VI, 13 ; IX, 41). La grotte est un lieu commun de la poésie pastorale et amoureuse.

Pyrrha : il me paraît peu utile d'essayer ici d'identifier cette jeune fille (voir, cependant, à ce propos l'essai érudit de J.-Y. MALEUVRE, Trois autres odes d'Horace. I, 5, 27, 38, dans Les Études Classiques, t. 60 [1992], p. 23-37 [23-29 pour l'ode I, 5]). En revanche, le nom de Pyrrha, qui pourrait signifier "l'allumeuse", est transparent au symbolisme de l'ode qui mêle le lexique du feu et de l'eau dans une éblouissante alchimie poétique.

religas : il ne s'agit sans doute pas d'évoquer ici l'attitude de la jeune fille qui "renouerait" ou remettrait sa chevelure en place après les désordres de l'étreinte (le sens de "renouer" n'est pas bien attesté), ni même d'évoquer une distance feinte de Pyrrha devant l'empressement du jeune homme. La présence du datif cui m'invite à penser que ce geste est plutôt un geste de séduction ou de provocation à l'adresse du jeune amant de Pyrrha; l'oxymore qui suit donne à cette attitude toute la mesure d'une coquetterie naturelle, et donc d'autant plus efficace. Dans l'ode II, 11, 21-24, Horace emploie le même verbe pour décrire le même geste, clairement identifié comme une des attitudes familières des courtisanes, en l'occurrence Lydè. C'est une façon pour le poète de traduire dans une vision expressive et suggestive l'interrogation banale: "Qui séduis-tu maintenant?" ou, plus familièrement, "Qui dragues-tu?", laissant peut-être déjà entendre le désappointement de l'amoureux éconduit.

aurea : à rapprocher de nites, au v. 13 ; allusion transparente au nom de la jeune fille, Pyrrha, la "fille de feu", la "blonde", couleur évoquée au v. 4 dans l'adjectif flaua. La place de l'adjectif éloigné du pronom te en souligne toute l'ambiguïté: "il jouit crédule de toi qui es d'or (au sens physique)", mais aussi "il jouit de toi, lui qui te croit d'or (au sens figuré)".

aurae : le jeu phonétique à la pause des vers 9 et 11 credulus aurea / nescius aurae concentre toute l'alchimie du poème qui ne distingue plus la métaphore des sentiments qu'elle exprime : "l'or" ou le feu de la jeune fille (aurea) / l'eau de la "brise trompeuse" qui peut aussi être le "charme mensonger" de Pyrrha (aurae). Devant l'un et l'autre, le jeune garçon ne peut qu'être crédule ou ignorant, ce qui revient à dire deux fois son inexpérience.

tabula uotiua : tableau votif sur lequel est représenté le naufrage dont le poète a été sauvé, et qu'il consacre à la divinité qui l'en a sauvé.

maris deo : contrairement à ce que semble comprendre l'éditeur de la CUF, Horace ne pense sans doute pas ici à Neptune, mais à Vénus, déesse de la mer parce que née de l'écume des flots (le masculin deus signifie "dieu", mais aussi "divinité"; en TIBVLL., I, 2, 88-90 ou VERG., Aen. II, 632, deus désigne même, comme ici, Vénus). Il faut, en effet, rapprocher l'image de la fin de ce poème de celle que l'on trouve en III, 26, 3-6, où l'on voit Horace accrochant son luth et les armes de ses combats amoureux au mur (paries) qui protège le côté gauche du temple de Vénus marine : nunc arma defunctumque bello / barbiton hic paries habebit / laeuom marinae qui Veneris latus / custodit. Les deux odes occupent une place exactement symétrique dans le recueil primitif en trois livres, qui invite à les compléter l'une par l'autre : pour Horace, l'amour a été à la fois un naufrage, dans sa forme violente et inconstante symbolisée par Pyrrha, et un métier, symbolisé par son luth. Aujourd'hui, il accroche au mur du temple de Vénus, qui lui a assuré sa protection dans ses tribulations amoureuses et dans sa profession, le tableau votif qui représente ce naufrage, et l'instrument dont il se défait à l'heure de la retraite. Vénus apparaîtrait ainsi aux deux extrémités de notre ode I, 5 : à la fin du v. 1 sous le symbole floral de la rose, et à la fin du dernier vers sous l'expression de la "puissante divinité de la mer" à laquelle Horace consacre les vêtements qu'il a sauvés de ses tempêtes amoureuses.

 

 

Responsable académique : Paul-Augustin Deproost
Analyse : Jean Schumacher (†)
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Dernière mise à jour : 5 novembre 2020