LFIAL 1130

 

APPROCHE COMPARウ DES LITTコATURES EUROPウNNES

 


1.2. Les hritages grec et latin

1.2.1. L'h屍itage latin

Prof. Paul-Augustin DEPROOST


 

Diaporama

(37,7 Mo)

 

Sommaire

 

 

Pr四iminaires

A. Les fondateurs d'un sentiment litt屍aire latin

1. Le th脂tre

Plaute
T屍ence

2. Po市ie et prose

B. Le temps de Cic屍on. L'曳e d'or d'une litt屍ature de combat et de passion

1. Cic屍on

a. L'マuvre d'un penseur
b. L'マuvre d'un homme politique

2. L'histoire

a. C市ar
b. Salluste

3. La po市ie

a. Catulle
b. Lucr縦e

4. L'屍udition: Varron

C. La litt屍ature latine au temps d'Auguste. Les esp屍ances d'une nouvelle fondation

1. Virgile

a. Bucoliques
b. G姉rgiques
c. ハ司de
d. Une r伺屍ence culturelle majeure

2. Horace

3. L'amour comme valeur litt屍aire

a. Les 四使iaques
b. Ovide

4. Tite-Live

D. Le Haut-Empire. Les d士esures de l'homme et de ses imaginaires

1. S始述ue
2. Tacite
3. Lucain
4. Le roman

a. P師rone
b. Apul仔

Conclusion

 
 

 

Pr四iminaires

 

ヒ l'inverse des Grecs, les Latins n'inventent aucun genre, si ce n'est, de l'avis m仁e de Quintilien, c四獣re rh師eur de la fin du premier si縦le PCN, la ヌ satire ネ, issue de traditions th脂trales autochtones. Sans pour autant l'inaugurer, P師rone et Apul仔 contribuent 使alement de mani俊e d残isive au d思eloppement du genre ヌ romanesque ネ, dont on sait le succ峻 qu'il conna杯ra dans la litt屍ature universelle. En revanche, les Latins assimilent tous les genres litt屍aires grecs et les renouvellent en profondeur, tant dans leur contenu que dans leur forme.

ヒ l'inverse des Grecs aussi, qui avaient reconnu la valeur culturelle de leurs particularismes, notamment dialectaux, la litt屍ature latine est d'abord la litt屍ature d'une ville, Rome, m仁e quand elle est produite en dehors de Rome. Rome est une Ville qui s'師end au monde, elle pr師end 腎re la capitale du monde : Roma caput mundi, et le monde la revendique pour capitale. Ceci est vrai dans l'ordre politique et militaire, mais aussi dans l'ordre de la culture et de l'esth師ique, jusque dans l'architecture m仁e des villes nouvelles ou conquises qui reproduisent invariablement les sch士as romains. Il est, du reste, significatif que l'on parle encore aujourd'hui d'art grec et d'art romain, de religion grecque et de religion romaine, d'histoire grecque et d'histoire romaine, de la Gr縦e et de Rome, soulignant ainsi d'embl仔 la pr使nance d'un mod粛e urbain centralis dans l'士ergence et le d思eloppement d'une des deux grandes civilisations de l'antiquit classique. Tr峻 d姿endante du destin m仁e de la Ville qui l'a vue na杯re, l'histoire de la litt屍ature latine est 師roitement li仔 l'histoire tout court, d伺inissant ainsi quelques caract屍istiques majeures de cette litt屍ature : le go柎 pour l'histoire pr残is士ent et pour les arts de la parole publique, le sens des r斬lit市, le pragmatisme, une certaine m伺iance pour la po市ie d市incarn仔 et la philosophie th姉rique au profit d'une po市ie de l'exp屍ience, de la cit, de l'ordre, de la structure (l'ordo lucidus d'Horace) et d'une philosophie plus attach仔 l'exigence morale qu' la sp残ulation m師aphysique.

Par ailleurs, si la date mythique de la fondation de Rome est bien 753 ACN, il faut attendre le troisi塾e si縦le, et plus pr残is士ent 240 ACN, pour voir appara杯re le titre d'une premi俊e マuvre litt屍aire 残rite en latin : il s'agit d'une pi縦e de th脂tre, compos仔 par Livius Andronicus, et elle n'est plus pour nous qu'un souvenir, de m仁e que son Odissia, premi俊e 姿op仔 latine, qui est une ヌ traduction ネ en vers latins de l'Odyss仔 d'Hom俊e. Il est clair que la ヌ conscience culturelle ネ romaine a mis longtemps pour s'仕uquer et son 仕ucation s'est faite dans une large mesure au contact de la Gr縦e, comme le montrent ces premiers moments de l'histoire litt屍aire latine : Andronicus est le nom latinis d'Andronikos, grec d'origine 仕uqu Rome, produit vivant de la conqu腎e romaine de la Gr縦e. Il exer溝 le m師ier de professeur et c'est ce titre qu'il traduisit en latin de nombreux textes grecs, faisant ainsi de la premi俊e litt屍ature latine une litt屍ature de traduction. Du reste, on retrouve cette vocation particuli俊e du latin comme langue de traduction quand il s'agira plus tard, dans les premiers temps de l'俊e chr師ienne, d'assurer une plus grande diffusion au texte de la Bible, et, la fin de l'antiquit, les traductions latines de Platon et d'Aristote par Bo縦e permettront la philosophie grecque de survivre en occident durant une grande partie du moyen 曳e.

L'histoire de la litt屍ature latine 師ant un miroir privil使i de l'histoire de Rome, de la soci師 romaine et de ses transformations, je choisirai pour cette partie du cours un plan chronologique et non plus un plan g始屍ique comme je l'ai fait pour l'histoire de la litt屍ature grecque.

 

A. Les fondateurs d'un sentiment litt屍aire latin

 

1. Au commencement de la litt屍ature latine, il y a le spectacle. Il existait Rome une tradition th脂trale ant屍ieure toutes les conqu腎es, faite de chor使raphies, de parties d残lam仔s ou chant仔s, mais toujours improvis仔s. La ヌ satire ネ, qui est le seul genre litt屍aire latin original, est directement issue de ces pratiques. ヒ vrai dire, il ne s'agit pas exactement, au d姿art, d'un genre litt屍aire bien 師abli, mais d'un non-genre qui accommode le ヌ vinaigre italique ネ toutes les ヌ sauces ネ, le mot satura 師ant un emprunt au vocabulaire de la cuisine, qui signifie ヌ pot-pourri, salade, mac仕oine, ratatouille, rago柎 ネ ; le mot fran溝is qui conviendrait le mieux cette originalit romaine serait peut-腎re le mot ヌ farce ネ. Sous le nom de satura, des troupes organis仔s jouaient, dansaient, mimaient, chantaient un spectacle marqu par de constants changements de ton et de rythmes musicaux et peu soucieux d'unit dramatique. Une des caract屍istiques de ces jeux sc始iques 師ait le dialogue en vers altern市 et improvis市 dans une atmosph俊e bouffonne sinon obsc熟e. Tout au long de son histoire antique, la satire n'a jamais oubli les allures agressives, moralisatrices, militantes de ses origines, m仁e si elle s'est gliss仔 dans des formes po師iques savantes et plus polic仔s, chez Horace, Perse ou Juv始al.

Plaute

(Sarsina en Ombrie vers 254 ACN ム Rome 184) est l'auteur des premiers textes latins que nous ayons conserv市 sous une forme suivie. Des 130 com仕ies qu'on lui a attribu仔s dans l'antiquit, le critique 屍udit Varron (116-126) n'en reconnaissait comme authentiques que 21, que l'on a toutes conserv仔s, mais mutil仔s et incompl春es pour plusieurs d'entre elles. Pour Plaute, une pi縦e bien faite est une pi縦e qui fait bien rire. Il a imit la ヌ com仕ie nouvelle ネ des Grecs, dont celle de M始andre, mais il la transforme en assouplissant son c冲 ヌ s屍ieux ネ en une cascade de r姿arties amusantes, de situations grotesques, de surprises soudaines, de renversements de l'action. Du reste, l'action et la vraisemblance des d始ouements importent moins que l'effet comique, ce qui a, notamment, pour cons子uence d'introduire de nombreuses incoh屍ences dans la progression dramatique : les personnages entrent et sortent sans cause logique, les sc熟es d'hilarit s'allongent ind伺iniment, les personnages se r市ument souvent des caricatures, des types bouffons sans nuance. L'action se passe toujours en pays grec : les personnages portent des noms grecs, les mマurs et les institutions sont grecques, du moins en apparence, car les titres des com仕ies de Plaute sont des titres latins (Aulularia, Miles gloriosus, Curculio, Asinaria, Rudens, Mercator, etc.) qui mettent, en r斬lit, en sc熟e des types inspir市 par l'observation des mマurs romaines : le marchand, le parasite rus ou charen腔n, le ramasse-miettes, l'avare, le soldat fanfaron, l'imposteur, et surtout l'esclave fourbe, fripon, menteur et efficace, roublard (prototype du Scapin de Moli俊e), etc. Sous les costumes et les noms 師rangers, les spectateurs retrouvaient leurs usages, leurs ridicules, leurs termes militaires, leurs lois, leurs dieux et m仁e certains caract俊es particuli俊ement populaires, car c'est la pl獣e que Plaute a voulu plaire. Ses personnages s'expriment toujours librement, sans d四icatesse, parfois avec cynisme ; mais le dialogue, vivement men, toujours amusant et bouffon, est celui d'un grand po春e comique.

Plaute a, en effet, cr試 une langue l'usage de son public. La langue litt屍aire 師ait, son 姿oque, encore balbutiante ; il l'a enrichie, nourrie de nombreux hell始ismes emprunt市 ses mod粛es ou de n姉logismes invent市 (il fait notamment preuve d'une grande virtuosit comique dans l'invention des noms propres de ses personnages) ; il n'a pas non plus d仕aign les tournures et expressions issues de la langue populaire, toutes libert市 qui font de son th脂tre un th脂tre ヌ haut en couleurs ネ. Plusieurs de ses pi縦es exerceront une influence sur la litt屍ature fran溝ise : les tirades du Miles gloriosus (le Soldat fanfaron) pr伺igurent celles du Matamore de l'Illusion comique, de Corneille ; Amphitryon sera imit par Moli俊e, ainsi que la Com仕ie de la marmite ou Aulularia, qui lui inspirera l'Avare ; quant l'orpheline Casina, dont divers pr師endants se disputent la main, elle annonce pour partie Le Mariage de Figaro, de Beaumarchais.

La premi俊e com仕ie de

T屍ence

(vers 190 ム 159), l'Andrienne, est repr市ent仔 en 166 et sa sixi塾e et derni俊e, les Adelphes, en 160. Si ses com仕ies mettent en sc熟e les m仁es personnages convenus que celles de Plaute, elles les pr市entent avec le souci d'une psychologie plus exacte, plus nuanc仔, plus polic仔. T屍ence marque une 思olution du go柎 romain vers un th脂tre plus ヌ BCBG ネ. Apr峻 la truculence de Plaute, fertile en ヌ gags ネ et en expressions populaires, T屍ence s'adresse un autre public : esclave africain affranchi pour ses qualit市 intellectuelles, il a 師 remarqu et prot使 par les plus illustres familles de l'aristocratie romaine qui se piquaient d'仕uquer Rome en faisant notamment valoir les m屍ites de l'hell始isme et en pr冢ant un art de vivre raffin, distingu, cultiv. La langue qu'il emploie n'a rien de populaire, c'est la langue de la conversation des milieux cultiv市, comme le ヌ cercles des Scipions ネ qu'il fr子uente. ヒ l'inverse du th脂tre de Plaute, le th脂tre de T屍ence ne ヌ d士始age ネ pas ; il privil使ie les sc熟es de conversation et le dialogue sur les sc熟es d'action et d'effets gestuels. Les titres des com仕ies de T屍ence sont grecs : dans les Adelphes, il oppose l'exemple de deux fr俊es qui ont re講 l'un une 仕ucation rigide, ancestrale, et l'autre une 仕ucation lib屍ale ; lors d'une difficile intrigue amoureuse, la formation lib屍ale ne donne pas de mauvais r市ultats ; imit仔 de M始andre, la pi縦e inspirera son tour Moli俊e dans L'残ole des maris ; dans l'Heautontim决oumenos ou le ヌ Bourreau de soi-m仁e ネ, il critique l'aust屍it d'un vieillard qui souffre de voir son fils vouloir 姿ouser une jeune fille pauvre ;  l'Hecyra ou ヌ la Belle-m俊e ネ a pour sujet la m市entente conjugale, mais dans un drame bourgeois qui fut un ヌ bide ネ retentissant, tellement le propos y est pinc.

Apr峻 Plaute et T屍ence, il faut attendre les trag仕ies de S始述ue, au milieu du premier si縦le PCN, pour retrouver des textes dramatiques complets. Nous n'avons presque rien conserv des successeurs des premiers comiques qu'ils appartiennent au genre de la fabula togata, d'inspiration romaine, o les acteurs portent la toge, ou de la fabula palliata, d'inspiration grecque, o les acteurs portent le pallium. Les trag仕ies de S始述ue sont, par ailleurs, les plus longues trag仕ies latines qui nous ont 師 conserv仔s. ヒ l'姿oque r姿ublicaine, plusieurs trag仕ies ont 師 publi仔s, mais nous n'en avons gard que de mis屍ables fragments. Les titres et les fragments conserv市 de ces trag仕ies montrent qu'elles s'inspiraient largement des sujets mythologiques trait市 dans les trag仕ies grecques. Cependant, la trag仕ie latine a apport une innovation remarquable par rapport au th脂tre grec en empruntant aussi des sujets l'histoire de Rome, faisant ainsi de la ヌ trag仕ie historique ネ une cr斬tion du g始ie latin. Ceci dit, il semble bien, de toute mani俊e, que les Romains n'ont jamais 師 tr峻 attir市 par le th脂tre ヌ  texte ネ, auquel ils ont toujours pr伺屍 des formes dramatiques plus improvis仔s, plus gestuelles, faites essentiellement d'actions, de musiques et de danses, comme le mime, la pantomime, l'atellane, ou les jeux du cirque. Cette relative pauvret textuelle ou litt屍aire ne doit cependant pas nous faire oublier que Rome a 師, plus que la Gr縦e, une civilisation du spectacle, une civilisation de ヌ l'acteur-roi ネ, selon le titre d'un beau livre de Florence Dupont. Les acteurs sont des ヌ stars ネ qui fascinent les Romains, qui touchent des cachets somptueux et sont suivis par des foules en d四ire. Le th脂tre Rome est le lieu privil使i de toutes les formes d'expression et de persuasion. ヒ Rome, tout est spectacle : les d暫ats judiciaires, la guerre, la mise mort d'un criminel, le triomphe d'un g始屍al vainqueur, la parole d'un orateur, la lecture publique, les fun屍ailles des grands hommes, etc. Savoir convaincre Rome, c'est d'abord savoir ヌ faire voir ネ, savoir ヌ d士ontrer ネ avant d'expliquer.

2. Pour le reste, nous n'avons h四as conserv que peu de choses des premiers grands 残rivains latins qui ont contribu la premi俊e expression litt屍aire du ヌ g始ie romain ネ, en particulier le po春e Ennius (n en 239 ACN) : nonobstant un style encore rude et lourdaud, pendant plusieurs si縦les, ses Annales furent le ヌ br思iaire ネ po師ique des 残oliers romains, en m仁e temps que leur manuel d'histoire ancienne et leur encyclop仕ie o ils ont appris conna杯re l'histoire romaine depuis ses origines l使endaires. D'autre part, les d暫uts de la prose romaine ne nous sont 使alement parvenus que sous la forme de rares fragments, mais il faut noter qu' l'inverse de la Gr縦e, ces premiers t士oins en prose sont contemporains des premiers po塾es de l'姿op仔. Il s'agit de textes historiques, et plus pr残is士ent d' annales ネ, qui racontent la premi俊e histoire de Rome ann仔 par ann仔. Ceci dit, le premier texte complet conserv en prose latine est un trait d'agronomie familiale, De agricultura, 残rit par Caton l'Ancien, dit le Censeur (234 ム 149) : c'est l'マuvre la fois s縦he et concise d'un soldat, paysan et homme politique 始ergique ; une マuvre contre-courant de l'hell始isation de la soci師 romaine, o l'auteur d伺end farouchement les valeurs de l'antique morale nationale et terrienne, de l'esprit ヌ vieux Romain ネ contre le raffinement et l'四使ance des nouveaux cercles culturels.

 

B.   Le temps de Cic屍on
L'曳e d'or d'une litt屍ature de combat et de passion

 

La p屍iode qui couvre toute la premi俊e moiti du premier si縦le ACN et la fin du temps de la R姿ublique romaine et qui est domin仔 par la figure monumentale de Cic屍on conna杯 un d思eloppement extraordinaire des lettres latines dans tous les domaines : les arts de la parole, l'histoire, la philosophie, la po市ie, et m仁e la correspondance. Les crises successives de ce temps ont aliment une litt屍ature de combat, dont on trouve m仁e la trace dans l'マuvre d'un po春e aussi d四icat que Catulle, qui inaugure la po市ie lyrique en latin. L'amour de l'action, l'amour de la parole, l'amour de la sagesse, l'amour de l'amour 残lairent la production litt屍aire de cette 姿oque, en d使rossissant les pesanteurs de la tradition nationale, collective et paysanne au profit d'une litt屍ature profond士ent marqu仔 par les individus, par l'exp屍ience personnelle, publique ou priv仔, des 残rivains. Les crises aiguisent l'esprit de cr斬tion, de sp残ulation, la recherche et la curiosit esth師iques ; la litt屍ature latine de cet 曳e a su en profiter pour transformer en mati俊es litt屍aires les r斬ctions des hommes aux bouleversements de leur temps.

1. Cic屍on

a. L'マuvre d'un penseur

(Arpinum dans le centre du Latium, 106 ム Formies sur la c冲e du Latium, 43) incarne le Romain par excellence, tout la fois homme de parole, serviteur de l'フat et homme de lettres, qui a toujours imbriqu toutes les faces de son talent dans l'actualit politique et id姉logique de son temps : l'orateur, le th姉ricien de l'四oquence, le philosophe, l'homme politique. Dans tous ses 残rits, y compris son abondante correspondance, il porte la langue latine sa perfection classique : il cr仔 la ヌ p屍iode ネ cic屍onienne, phrase complexe et ample, qui est un mod粛e d'harmonie et d'子uilibre. Cic屍on est aussi un penseur qui introduit Rome la philosophie grecque, y compris sous la forme ヌ dialogu仔 ネ que Platon aimait lui donner : Discussions de Tusculum ou Tusculanes, qui traitent de l'immortalit de l'盈e et du bonheur, Laelius ou De l'amiti, Caton l'Ancien ou De la vieillesse, De la r姿ublique, o, en faisant le portrait d'un prince id斬l qui viendrait assurer le bon fonctionnement du r使ime s始atorial, Cic屍on fait inconsciemment le lit d'un nouveau r使ime politique dont saura s'inspirer le premier empereur, Auguste. Th姉ricien de la rh師orique, il syst士atise sa pratique et ses id仔s en la mati俊e, et juge celles de ses compatriotes dans le De oratore ou dans le Brutus entre autres. Dans ses trait市 politiques, Cic屍on se fait le continuateur de la r姿ublique platonicienne, avec n斬nmoins une vision plus pragmatique de la cit. Son De legibus fait reposer les lois 残rites de la cit sur un droit naturel ; ce souci de rattacher le politique et le judiciaire un fondement philosophique lui vaudra d'腎re un des auteurs favoris du si縦le des Lumi俊es. Dans tous ces textes, Cic屍on fait 思oluer consid屍ablement la langue latine, notamment en enrichissant son vocabulaire, pour la rendre plus apte exprimer toutes les subtilit市 dialectiques des mod粛es grecs.

b. L'マuvre d'un homme politique

ヒ c冲 de ces マuvres ヌ th姉riques ネ,  Cic屍on m熟e une carri俊e politique tr峻 active. Lors de sa questure en Sicile en 75, premi俊e magisrature du cursus honorum, il prononce sa fameuse plaidoierie contre le propr師eur Verr峻, en quatre discours o, derri俊e la personnalit de l'accus, l'orateur met en cause les exc峻 des gouverneurs, qui tirent de scandaleux profits de leurs provinces, et la pr試minence politique des grandes familles s始atoriales. Issu d'une famille jusque l inconnue, Cic屍on est effectivement un homo nouus qui doit sa carri俊e son seul talent et non de puissants appuis familiaux. Devenu consul en 63, il 残rase la conjuration de Catilina en pronon溝nt ses quatre c四獣res Catilinaires, puis sera exil pour avoir fait ex残uter sans jugement les complices de Catilina. ヒ partir de cette date, le destin de Cic屍on est 師roitement li la politique d'alliances qui se mettent en place puis qui se d伺ont la t腎e de l'フat romain et qui entra馬ent les derni俊es ann仔s de la R姿ublique dans une longue p屍iode d'instabilit et de renversements successifs dont Cic屍on sera finalement la victime. R姿ublicain convaincu et d伺enseur du r使ime s始atorial, il doit finalement se r市igner la dictature de C市ar. Lorsque celui-ci est assassin en 44, il ne peut cacher sa joie et tente un retour politique qui sera sa perte : en souvenir et en imitation des discours de D士osth熟e contre Philippe de Mac仕oine, il prononce les quatorze Philippiques, qui sont les discours les plus durs et les plus courageux de toute sa carri俊e politique, contre Marc-Antoine, l'h屍itier pressenti de C市ar. Antoine ne pardonnera jamais ces r子uisitoires Cic屍on et lorsqu'il se rapprochera d'Octave, le futur Auguste, il exigera la t腎e de l'orateur. Cic屍on est 使org le 7 d残embre 43, et Antoine fera exposer sa t腎e et ses mains aux Rostres, la tribune aux harangues, sur le Forum romain.

2. L'histoire

Parall粛ement l'マuvre immense de Cic屍on, l'姿oque r姿ublicaine voit 使alement se d思elopper la litt屍ature historique, qui s'oppose l'id斬l oratoire cic屍onien, en rejetant l'四oquence et l'ornement.

a. Mod粛e absolu du conqu屍ant, du dictateur et de tout pr師endant l'empire, dont le nom a surv残u dans les titres du Kaiser et du Tsar, C市ar (Rome vers 101 ム 44) est devenu, d峻 le lendemain de son assassinat, un triple mythe : politique, moral et litt屍aire. En politique, il est la fois l'homme qui s'appuie sur le peuple et sur l'arm仔 pour finalement prendre le pouvoir et instaurer de fait l'av熟ement d'un r使ime monarchique dont l'Empire est l'h屍itier direct : Auguste tire sa l使itimit de son adoption par le dictateur ; il conserve le nom de C市ar et le transmet ses successeurs. C市ar est aussi l'homme qui a franchi, avec son arm仔, la petite rivi俊e du Rubicon, la fronti俊e nord de l'Italie, au m姿ris de toutes les lois romaines qui interdisaient un g始屍al d'entrer en armes sur le sol italien, d残lenchant ainsi la terrible guerre civile contre Pomp仔 ; c'est l'homme de campagnes militaires retentissantes qu'il accompagne de rapports ou de Commentaires, en particulier Sur la guerre des Gaules (51) et Sur la guerre civile (44). Dans ces ouvrages ヌ historiques ネ, sous des dehors de chroniques objectives, C市ar appara杯 en r斬lit comme un ヌ t士oin de lui-m仁e ネ : avec un art consomm de la ヌ d伺ormation historique ネ, il prend soin de justifier, la troisi塾e personne, tous ses faits et gestes, transformant ainsi ses livres en plaidoyers pour lui-m仁e contre l'ordre romain, dans un style qui r思粛e un 残rivain sobre, pr残is et efficace. Car ce personnage complexe, ce politique ambitieux, ce soldat de g始ie, grand seigneur et d士agogue, n'a jamais n使lig les lettres, m仁e aux 姿oques les plus actives de sa vie militaire ou politique. Il s'essaya dans divers genres avec talent ; excellent orateur, au dire de ses contemporains, il 残rivit en outre des po塾es et s'int屍essa aux probl塾es de linguistique, de grammaire, de philologie, notamment un trait de grammaire th姉rique Sur l'analogie, d仕i Cic屍on (52), mais ces ouvrages n'ont pas 師 conserv市,.

b. Salluste (Amiternum en Sabine, au nord de Rome 86 ム 35) fait davantage マuvre d'historien politique en prenant en consid屍ation le contexte social et les causes morales des 思始ements. Il analyse ainsi, dans un style tr峻 concis et rythm, la conjuration manqu仔 de Catilina en 63 dans sa Conjuration de Catilina, qui donne une autre vision des faits que celle de Cic屍on, et la guerre que Rome m熟e de 111 105 contre le roi des Numides, Jugurtha, dans la Guerre de Jugurtha, deux monographies historiques dans lesquelles Salluste s'interroge notamment sur les causes de la d残adence du r使ime aristocratique.

3. La po市ie

La po市ie est 使alement repr市ent仔 cette 姿oque, en particulier dans deux マuvres tr峻 diff屍entes, mais qui attestent, leur mani俊e, l'ind姿endance des 残rivains de ce temps.

a. Catulle (V屍one, vers 87 ム Rome, vers 54) est le principal repr市entant de la ヌ nouvelle 残ole ネ de la po市ie latine, tourn仔 vers l'imitation des po春es alexandrins et de leur esth師ique raffin仔 ; il cr仔 en latin le genre de la po市ie lyrique, l'inspiration d四icate ou agressive, toujours personnelle et 四oign仔 des poncifs 姿iques, rythm仔 de m春res savants h屍it市 de la tradition lyrique grecque. Le genre conna杯ra un d思eloppement extraordinaire sous l'Empire, avec des po春es comme Horace, Ovide, Tibulle ou Properce, mais aussi, plus tard, dans la po市ie latine chr師ienne, chez un po春e comme Prudence qui, la fin du IVe si縦le, chantera les martyrs et les diff屍entes ヌ heures ネ du jour dans des formes po師iques inspir仔s d'Horace et de Pindare. Parmi les po塾es de Catulle, on retiendra le c四獣re po塾e 51 qui est une admirable traduction latine, augment仔 d'une strophe, du po塾e de Sappho sur les manifestations physiques du sentiment amoureux ; la tendre et touchante traduction du po塾e de Callimaque Sur la chevelure de B屍始ice (po塾e 66), l'epyllion 64 sur Les noces de Th師is et P四仔, dont la tradition culturelle a surtout retenu les c四獣res plaintes d'Ariane abandonn仔 par Th市仔 ; mais il faut aussi compter le cycle tourment des po塾es d'amour Lesbie qui inaugure Rome l'expression po師ique et litt屍aire du sentiment amoureux dans toute sa diversit, son intimit et son 四使ance, mais aussi sa cruaut et sa violence, loin des mod粛es mythiques v刺icul市 par les conventions de l'姿op仔. Quant son agressivit, elle se d残ha馬e contre ses rivaux en po市ie ou en amour: les "papiers merdiques" de Volusius, les dents blanches d'Egnatius, ou les d暫auches de Mentula (= "Laverge"), nom d伺orm du favori de C市ar.

b. Dans les six chants de son 姿op仔 philosophique De rerum natura, Lucr縦e (vers 98 ム 55) 残rit un long po塾e qui c四獣re l'姿icurisme et le combat de son fondateur, le philosophe grec パicure, pour lib屍er les hommes de la superstition, de la crainte des dieux et de la mort gr営e l'enseignement de la th姉rie atomiste invent仔 par D士ocrite : la ヌ gen峻e des choses ネ ム plut冲 que leur ヌ nature ネ, natura ayant encore ici le sens dynamique de la physis grecque, comme participe futur du verbe nasci  na杯re  ム 師ant le fait de rencontres et de conglom屍ats plus ou moins fortuits d'atomes, toutes les manifestations de l'univers, y compris les sentiments, l'amour, la psychologie, la culture, trouvent une explication naturelle et m残aniste qui permet d'exclure les peurs humaines li仔s l'irrationnel et la religion. Lucr縦e a 残rit une マuvre puissante, qui rythme, dans le m春re et la forme de l'姿op仔, une doctrine difficile, extr仁ement rigoureuse et tr峻 四oign仔 de la pens仔 dominante de la tradition romaine, publique et priv仔, pr残is士ent impr使n仔 par les valeurs religieuses et cultuelles. Par ailleurs, en pr芯hant la morale 姿icurienne du plaisir et de l'otium, Lucr縦e heurte de front la philosophie du devoir et de l'engagement civique, d始once la vanit de l'h屍o不me et l'illusion de l'immortalit, contestant ainsi des valeurs romaines fondamentales dont Cic屍on 師ait, la m仁e 姿oque, le h屍aut.

 

Tout au long de cette p屍iode, l'屍udit

3. Varron

(116 ム 27 ACN) inaugure un genre litt屍aire promis un rayonnement consid屍able dans l'histoire de la pens仔 occidentale : l'encyclop仕ie. De Pline l'Ancien (mort lors de la grande 屍uption du V市uve en 79 PCN) jusqu'aux encyclop仕ies contemporaines, en passant par Isidore de S思ille l'aube du moyen 曳e, toutes les ヌ Sommes ネ m仕i思ales et l'マuvre des encyclop仕istes fran溝is du XVIIIe si縦le, l'homme d'occident a toujours r迅 de r残apituler son savoir dans des マuvres immenses qui lui donnaient l'illusion d'en ヌ faire le tour ネ. Varron fut certainement l'homme le plus savant de son temps et passe pour avoir 残rit 74 ouvrages dans tous les domaines, de l'agronomie la grammaire (nous avons conserv ses trait市 De lingua latina et Res rusticae), de la critique litt屍aire la philosophie, de la th姉logie l'arch姉logie, mais aussi sur les institutions humaines et sur la religion romaine (Des antiquit市), sur la g姉m師rie, l'arithm師ique, l'astronomie, la m仕ecine, l'architecture et bien d'autres sujets ; dans ses Satires M始ipp仔s, h四as tr峻 fragmentaires, il s'int屍esse aux probl塾es moraux et philosophiques les plus vari市 en des textes  prosim師riques ネ, qui m四angent prose et po市ie. La perte de l'essentiel de son マuvre nous prive d'une source de connaissances inestimable sur l'antiquit romaine, mais son influence fut consid屍able.

 

C.  La litt屍ature latine au temps d'Auguste
Les esp屍ances d'une nouvelle fondation

 

Les 残rivains de l'姿oque d'Auguste semblent avoir pour caract屍istique commune de n'腎re pas des ヌ Romains de Rome ネ : l'exception d'Horace, qui vient du sud de l'Italie, tous ces 残rivains sont originaires du nord et proviennent de r使ions r残emment romanis仔s pour certaines, comme la ville natale de Virgile, Mantoue. Apr峻 l'姿isode traumatisant des guerres civiles, l'Italie est enti俊ement pacifi仔 sous la houlette d'un prince unique qui peut donner le branle une expansion territoriale et culturelle prodigieuse du mod粛e romain, d市ormais vou prendre en charge la totalit du monde. Le g始ie d'Auguste a 師 de comprendre qu'une telle ambition ne pouvait se r斬liser la seule force des armes ; elle avait besoin de relais culturels puissants pour modeler l'imaginaire des Romains, pour mettre en place une id姉logie coh屍ente fond仔 sur des r伺屍ences et des promesses mythiques bien 師ablies, pour raconter aux hommes la grandeur du temps des origines et des fondations, n残essaire la vaste entreprise de ヌ restauration ネ men仔 par le nouveau r使ime. Tite-Live commence l'histoire de Rome l o Virgile termine de chanter les origines 姿iques de la Ville ; Horace peut se vanter d'avoir ヌ annex le chant 姉lien aux cadences italiennes ネ, apr峻 avoir totalement assimil l'h屍itage lyrique de la Gr縦e dans une po市ie habit仔 par l'ordre, la lumi俊e et la perfection formelle. Ovide, incapable d'残rire autre chose que des vers, produit une マuvre virtuose et pr残ieuse, qui d思eloppe toutes les virtualit市 de la langue latine en une sorte d'euphorie po師ique.

1. Virgile

(Mantoue, 70 ム Brindes, 19 ACN) est incontestablement la r伺屍ence litt屍aire ultime du r夙ne d'Auguste. Contemporain des derni俊es convulsions de la R姿ublique, il a connu l'av熟ement de la paix et de l'Empire apr峻 la victoire d伺initive d'Octave sur Antoine la bataille d'Actium en 31 ACN.

a.   Sur le mod粛e des po塾es pastoraux de Th姉crite, mais en y transposant les paysages et l'histoire de l'Italie, Virgile commence par 残rire ses dix Bucoliques ou トlogues (lesquelles seront traduites en alexandrins blancs par Paul Val屍y et en alexandrins rim市 par Marcel Pagnol). Comme dans la po市ie alexandrine, des bergers au nom grec y dialoguent dans des d残ors campagnards id斬ux et conventionnels, l'Arcadie, en des joutes po師iques et musicales formellement tr峻 四abor仔s. Virgile connote cependant le genre artificiel de la pastorale de pr姉ccupations actuelles relatives l'am始agement de la campagne suite la politique romaine de confiscation des terres au profit des v師屍ans d'Octave. La premi俊e et la neuvi塾e 使logues (primitivement, la derni俊e d'un recueil qui en comptera finalement dix) 思oquent directement cette question d'actualit, dont Virgile lui-m仁e a eu souffrir. Ainsi entour de deux po塾es au sujet similaire, le recueil est construit selon une savante structure ヌ en anneau ネ ; elle culmine au centre sur la cinqui塾e Bucolique, dont le sujet est l'apoth姉se du demi-dieu sicilien Daphnis, dans lequel certains ont vu une image crypt仔 de Jules C市ar.  La quatri塾e Bucolique est une des plus c四獣res et des plus difficiles interpr師er : elle annonce le retour proph師ique de l'曳e d'or, en un po塾e myst屍ieux aux allures messianiques que l'empereur Constantin interpr師era plus tard comme une annonce crypt仔 de la venue du Christ. Son sym師rique, la sixi塾e Bucolique, donne la parole au chant mythique du dieu Sil熟e, qui 士erveille la nature.

b. Dans les G姉rgiques, po塾e didactique sur les m師iers de la campagne, Virgile c四獣re la nature italienne avec ses champs, ses vignes, ses troupeaux et ses abeilles. Ce recueil s'ouvre sur une invocation Octave-Auguste et semble ainsi, d'embl仔, avoir une vocation id姉logique. Effectivement, la c四暫ration po師ique de l'agriculture (I sur les labours et II  sur les arbres) et de l'四evage (III sur le b師ail et IV sur les abeilles) s'inscrit dans l'entreprise de ヌ r斬rmement moral ネ men仔 par Auguste qui invite revenir aux vieilles valeurs romaines, en particulier la vie rurale et le travail des domaines agricoles. Dans la quatri塾e G姉rgique, la description de la soci師 id斬le des abeilles aboutit l'四oge d'une vie sociale et collective harmonieuse, qui a 師 mise en p屍il par les guerres civiles et qui 師ait aux fondements m仁es de la civilisation romaine : en montrant l'efficacit d'une soci師 qui vit soumise un roi et o le travail est soigneusement r姿arti entre ses membres, l'exemplum des abeilles sugg俊e que la soci師 des hommes aurait quelque le腔n y trouver. La nation qui saura tirer parti de ces le腔ns est, bien s柮, la Rome imp屍iale dont Virgile chantera bient冲 le destin dans l'ハ司de. Chez les Grecs, le po春e H市iode avait 残rit un long po塾e didactique sur Les travaux et les jours ; Virgile poursuit le genre, mais lui donne une ampleur 姿ique qui d姿asse la seule ambition didactique et 屍udite. Il 士aille, en effet, son po塾e de ヌ morceaux de bravoure ネ qui illustrent le th塾e didactique par de puissantes digressions, notamment mythologiques : ainsi, par exemple, dans le quatri塾e livre du recueil, l'occasion de l'姿isode mythique des abeilles d'Arist仔, il raconte la l使ende d'Orph仔 allant chercher Eurydice dans les enfers, en un r残it magnifique qui est l'origine de toutes les versions ult屍ieures du mythe d'Orph仔. Alors que les Bucoliques 師aient surtout li仔s l'histoire personnelle du po春e et de ses amiti市, les G姉rgiques commencent d'avoir partie li仔 avec l'histoire de Rome et de son nouveau ma杯re, en donnant une force 士otive aux grands th塾es du patriotisme et du redressement national par le biais d'un retour po師ique aux valeurs paysannes qui ont fait la grandeur de Rome.

ハ司de I, 1-11

 

 

c. Enfin, dans l'n司de, po塾e 姿ique national commenc en 29 ACN, Virgile donne aux Romains le correspondant latin des 姿op仔s hom屍iques, dont il inverse l'ordre :

・ l'ヌ Odyss仔 ネ d'ハ仔 dans les six premiers chants, o le po春e c四獣re les errances l使endaires du h屍os, qui fuit Troie d師ruite vers une ville construire dont il ne conna杯 pas encore le nom ; au cours de ce voyage, il passe par Carthage o il renonce l'amour de Didon, comme Ulysse avait renonc l'amour de Calypso, mais Virgile inscrit cet 姿isode mythique dans l'histoire romaine, puisqu'il est l'origine de la rivalit entre Rome et la m師ropole africaine ;

・ l'ヌ Iliade ネ d'ハ仔 dans les six derniers chants, o le po春e c四獣re les combats victorieux du h屍os en Italie, son triomphe sur Camille, la reine des Volsques, et sur Turnus, le champion des Latins.

La structure de l'ハ司de reproduit ce mouvement sym師rique qui fonde la grandeur de la nouvelle ville dans la mort de l'ancienne : il a fallu que Troie dispar柎 dans les flammes (c'est tout le chant II qui raconte la derni俊e nuit de Troie et l'姿isode du fameux cheval pi使 par les Grecs) pour que Rome p柎 na杯re ; il a fallu qu'un ancien monde dispar柎 pour qu'un nouveau monde p柎 appara杯re, apr峻 qu'ハ仔 l'eut irr士仕iablement quitt dans son errance m仕iterran仔nne (ce sont les chants III et IV qui racontent le voyage d'ハ仔 et l'姿isode carthaginois) ; la fondation m仁e de Rome s'inscrit dans l'histoire mythique de la guerre de Troie et dans le cycle commun de la vie des hommes o la vie sort de la mort, comme ハ仔 en re腔it la r思四ation de son p俊e dans le chant VI, quand il contemple les 盈es troyennes promises rena杯re chez les Romains. L'姿op仔 se veut la fois mythologique et historique dans la mesure o elle pr師end enraciner l'actualit de Rome dans le pass mythique des temps qui ont pr残仕 sa fondation l'arriv仔 du Troyen ハ仔 sur le sol italien ; dans le m仁e temps, ハ仔 est le fils de V始us et le p俊e d'Ascagne ou Iule qui donne son nom la gens Iulia, d'o est issu Jules C市ar et laquelle appartient Auguste, le nouveau ma杯re de Rome, depuis son adoption par C市ar. Ce mouvement sym師rique aux 姿op仔s hom屍iques permettait aussi Virgile de c四暫rer, dans le lointain des origines, la transition in四uctable de la Gr縦e Rome qui 師ait fondamentale dans l'四aboration de la culture et du pouvoir romains. Le destin d'ハ仔 porte celui de Rome, et le temps du mythe 残laire le temps de l'histoire. Apr峻 la victoire d'Actium contre Marc-Antoine en 31 ACN, qui a mis fin la p屍iode des guerres civiles, Octave-Auguste r夙ne seul Rome et inaugure une p屍iode de paix et de grandeur qui est la r斬lisation historique de la promesse de Jupiter V始us au d暫ut de l'ハ司de : ヌ His ego nec metas rerum nec tempora pono ; imperium sine fine dedi ネ ヌ Je leur ai donn un empire sans fin ネ (Aen. I, 278-279). Au centre de l'ハ司de se trouve le c四獣re chant VI qui raconte la descente d'ハ仔 aux enfers : ce voyage initiatique permet au h屍os de renoncer totalement son pass, ム notamment l'姿isode amoureux de la tentation carthaginoise puisqu'il retrouve Didon aux enfers, mais muette et insensible aux paroles de son ancien amant, ム et de recevoir de son p俊e la proph師ie de l'avenir grandiose de Rome travers la r思四ation du cycle myst屍ieux des m師empsychoses.

Par ailleurs, outre cette structure d'ensemble o le sch士a narratif reproduit l'inverse celui des deux 姿op仔s hom屍iques, l'ハ司de propose une suite de l'Iliade diff屍ente de celle propos仔 par l'Odyss仔. Comme l'Odyss仔, l'histoire d'ハ仔 commence l o s'ach竣e l'Iliade, au moment de la derni俊e nuit de Troie et de la destruction de la ville par les Grecs. Mais le point de vue des 思始ements est invers. L'Odyss仔 raconte les errances du grec vainqueur Ulysse sur les mers pour rejoindre sa patrie ; le troyen vaincu ハ仔 fuit la sienne pour gagner une terre 師rang俊e qui doit devenir sa nouvelle patrie. Ulysse rentre chez lui ; ハ仔 prend d伺initivement le chemin de l'exil. Et cela tout en maintenant des points de contact 師roits avec les 姿op仔s hom屍iques. Les navigations d'ハ仔 (I-VI) offrent, en effet, de constantes occasions de r伺屍ences l'Odyss仔 ; ハ仔 conna杯 les m仁es errances qu'Ulysse sur la M仕iterran仔 ; il rencontre les m仁es monstres, il aborde sur les m仁es 罵es, il croise m仁e la route de certains compagnons d'Ulysse, comme le malheureux Ach士始ide, personnage invent par Virgile pour introduire dans son 姿op仔 l'姿isode hom屍ique du cyclope Polyph塾e ; il descend aux enfers, comme le h屍os grec ; et pourtant, il ne reproduit pas les aventures d'Ulysse ou bien il les transforme, comme la descente aux enfers, qui, chez Virgile, est connot仔 d'une dimension religieuse ignor仔 de l'姿op仔 grecque ; ハ仔 conna杯 aussi d'autres aventures, comme la rencontre de Didon, qui donne la r姿lique aux aventures sentimentales d'Ulysse, mais qui, chez Virgile, d姿asse largement l'姿isode romanesque pour devenir un 姿isode constitutif du pass l使endaire de Rome. D'autre part, les combats livr市 par ハ仔 pour s'installer dans le Latium (VII-XII) rappellent les combats autour de Troie et la narration s'y nourrit de l'imitation de l'Iliade. Du reste, avant d'accompagner ハ仔 dans les enfers, la sibylle lui annonce ces combats en des termes qui se r伺俊ent explicitement aux lieux, aux personnages et aux 思始ements qu'ハ仔 a connus pendant la guerre de Troie (VI, 83-94).

L'imitatio joue ainsi sur un registre particuli俊ement subtil et savant, o la contigu付 avec le r残it hom屍ique se double d'une reprise ヌ en miroir ネ de son sch士a narratif. Sans jamais 腎re copi, Hom俊e est toujours pr市ent. L'ハ司de permet non seulement d'imiter le mod粛e hom屍ique, mais aussi de prolonger les po塾es hom屍iques et de leur donner une r姿lique. En effet, plus que l'Odyss仔, l'ハ司de prolonge et raconte ce qui s'est pass apr峻 la chute de Troie : elle tire les cons子uences de l'Iliade ; non seulement elle commence l-m仁e o se terminent l'Iliade et la chute de Troie, mais surtout elle donne une explication cette trag仕ie, en montrant que Troie n'a pas 師 d師ruite pour rien et que cette destruction 師ait m仁e n残essaire pour que Rome p柎 un jour na杯re. La grandeur de Rome et d'Auguste sont d史 impliqu仔s dans les 思始ements chant市 par Hom俊e : c'est tout le sens du songe d'ハ仔 au chant II o le spectre d'Hector lui confie les objets sacr市 de Troie pour qu'ils deviennent les fondements religieux de la nouvelle fondation. La litt屍ature et l'histoire romaines annexent la litt屍ature et l'histoire grecques. L'ハ司de fait sous-entendre qu'Hom俊e n'avait pas tout dit : les Troyens, autrefois vaincus, deviennent dans le Latium les vainqueurs et les anc腎res d'un immense empire. De la m仁e mani俊e que l'Iliade se terminait par la mort sanglante du troyen Hector, abandonn des dieux et tu par le grec Achille, l'ハ司de s'ach竣e sur la mort sanglante de Turnus, la r姿lique d'Achille en terre italique, lui aussi abandonn des dieux et tu par le troyen ハ仔. L'ハ司de est une sorte de retournement des po塾es hom屍iques.

Lォハ司de d思eloppe, enfin, une conception de l'h屍o不me la fois fortement ancr仔 dans le mod粛e hom屍ique et en singuli俊e 思olution par rapport lui. Le h屍os de l'ハ司de reste un guerrier et un marin ; il quitte des rivages pour chercher l'aventure sur des territoires lointains avec le risque de p屍ir ou de vaincre ; il doit survivre par sa valeur personnelle, tout en ayant conscience que son destin est 師roitement li la volont des dieux. Mais par rapport l'姿op仔 hom屍ique, l'ハ司de marque une int屍iorisation affective des valeurs h屍o敏ues et le lyrisme prend une part d残isive dans la c四暫ration du h屍os, comme l'a tr峻 bien montr un beau livre de Brooks Otis. ヒ c冲 de l'h屍itage hom屍ique, Virgile recueille les valeurs de la po市ie lyrique grecque puis hell始istique qui met l'accent sur la prise de conscience de l'individu. Virgile repr市ente un g始ie latin plus introverti, plus affectif que le g始ie objectif hom屍ique. Hom俊e 残rit au trait ; Virgile est un peintre. Chez Virgile, le r残it 姿ique est int屍ioris dans une aventure spirituelle o les 姿reuves du h屍os ne sont pas seulement des combats ext屍ieurs contre un ennemi ext屍ieur, mais surtout le signe d'une lutte int屍ieure o le h屍os remporte d'abord une victoire sur lui-m仁e, sur ses propres peurs, sur ses d伺aillances, sur ses ignorances ; dans cet esprit, l'姿isode carthaginois de la relation entre Didon et ハ仔, o le h屍os doit renoncer cet amour et au confort qu'il lui garantissait, occupe, bien entendu, une place pr仕ominante. Du livre I-VI de l'ハ司de, on assiste la mort progressive du h屍os jusqu'aux r思四ations proph師iques d'outre-tombe. Le chant VI de la descente aux enfers est un chant de mortification avant la renaissance, qui signifie la mort du ヌ vieil homme ネ et l'av熟ement de ヌ l'homme nouveau ネ, introduit par son p俊e la r思四ation d'un avenir qu'il ne conna杯ra pas. Dans l'残onomie spirituelle de l'ハ司de, le chant VI peut 腎re consid屍 comme une marche initiatique du h屍os 姿ique dans le monde de l'au-del avant d'y recevoir, par la bouche de son p俊e mort, la r思四ation de l'objet de sa mission ou de sa qu腎e. Les livres VII-XII marquent ensuite la renaissance du h屍os qui rach春e ses erreurs pass仔s en acceptant le service volontaire des destins, en acceptant de vouloir ce que veut la divinit, pr姿arant ainsi tr峻 naturellement la post屍it chr師ienne de l'姿op仔 virgilienne.

Pourtant, tout n'est pas aussi simple, car ハ仔 ach竣e finalement son ennemi Turnus en un acte barbare qui indigne justement l'盈e du d伺unt : Vitaque cum gemitu fugit indignata sub umbras ム "Dans un g士issement, sa vie s'enfuit indign仔 chez les ombres." Le dernier vers de l'ハ司de est celui d'un scandale sans nom, o le h屍os ヌ pieux ネ ach竣e un suppliant vaincu. Certes, cet assassinat doit r姿arer la mort d'un ami, dont ハ仔 d残ouvre les insignes sur l'姿aule de son rival au moment d'姿argner Turnus. Mais cette ex残ution est inacceptable dans la perspective de l'ハ司de, car le h屍os y commet un geste gratuitement cruel pour satisfaire une vengeance personnelle. Dans l'ハ司de, l'h屍o不me n'est pas acquis, mais il s'acquiert au terme d'une qu腎e, et il reste fragile jusqu'au dernier moment. Le h屍os virgilien peut conna杯re de graves d伺aillances, dont l'姿isode de Didon et ハ仔 est une illustration tragique. ヒ tout moment, le h屍os doit faire la part de la sagesse ; il est capable de pleurer, de se sentir abandonn, de renoncer sa mission ; il doit continuellement mettre l'姿reuve la ma杯rise de soi ; l'homme de l'ハ司de est faillible, soumis des passions violentes qu'il doit vaincre, et une des grandeurs de Virgile est d'avoir os proposer un mod粛e h屍o敏ue qui d残ouvre l'exp屍ience de la ヌ culpabilit ネ inconnue du h屍os grec. Cet apprentissage, ハ仔 le doit au d思eloppement de philosophies nouvelles, qui sont aussi des sagesses, comme l'姿icurisme et le sto苗isme, qui fondent le bonheur de l'homme non plus sur le d師erminisme du destin et la recherche de la gloire personnelle, mais sur l'apaisement int屍ieur obtenu au terme d'un progressus volontaire contre les passions.

Virgile meurt sans terminer l'ハ司de, Brindes, en 19 avant J.-C., cinquante et un ans, au retour du seul voyage qu'il ait fait en Gr縦e ; il avait demand que l'on br柩液 son マuvre parce qu'il estimait qu'elle 師ait imparfaite ; Auguste n'a pas acc仕 ce souhait qui nous aurait priv市 d'un des textes fondateurs de l'humanisme occidental.

 

d. Avec cette 姿op仔, Virgile se range, aux c冲市 de Cic屍on, parmi les fondateurs m仁es de la culture latine et occidentale. M仁e lorsque les lecteurs de Virgile ne percevront plus tout le fondement id姉logique de l'マuvre, l'ハ司de continuera d'腎re une r伺屍ence culturelle majeure en occident, tant pour l'apprentissage des lettres dans les 残oles du grammairien et du rh師eur, que pour la puissance po師ique et spirituelle qu'elle d使age. La magie du verbe virgilien a fortement contribu ce succ峻 durable. Virgile poss重e en effet un art consomm de dire les choses les plus communes dans des expressions fulgurantes : ヌ Fugit irreparabile tempus ネ, cette expression, qui dit en trois mots l'exp屍ience humaine la plus douloureuse et la plus partag仔 ム celle du temps qui passe ム, sert dire tout simplement, dans la troisi塾e G姉rgique, qu'il est temps de changer de sujet. Les lectures all使oriques du po塾e, propos仔s d峻 le Ve si縦le par les grammairiens-philosophes comme Servius ou Macrobe, donneront, par ailleurs, un nouveau souffle l'ハ司de pour en faire un ヌ sanctuaire des myst俊es ネ qu'il s'agit de d残hiffrer afin d'en comprendre le sens moral et spirituel ; ainsi, par exemple, certains commentateurs, jusqu'au moyen 曳e, ont vu dans l'ハ司de, une repr市entation des diff屍ents 曳es de la vie de l'homme, et, par le jeu des 師ymologies fantaisistes, en ont interpr師 tous les personnages comme des symboles moraux humanis市. Ce type de lecture a encourag la r残eption des マuvres virgiliennes par les chr師iens qui y ont lu des annonces crypt仔s de leur foi et surtout un ヌ vocabulaire ネ po師ique pour exprimer et expliquer les myst俊es dans un langage acceptable par les lettr市 de leur temps. L'exemple le plus radical de ce type d'interpr師ation est le Centon de la po師esse Proba au IVe si縦le qui raconte l'histoire biblique, de la cr斬tion du monde l'Ascension du Christ, uniquement l'aide de vers virgiliens enti俊ement d残oup市 et recompos市, avec la pr師ention, certes na夫e mais tr峻 significative, de r残rire l'ハ司de en mieux, ヌ Maro mutatus in melius ネ. La ヌ r残up屍ation ネ chr師ienne du plus grand po春e de l'antiquit lui a permis de conna杯re le succ峻 que l'on sait dans l'antiquit tardive et tout le moyen 曳e, de figurer souvent au tympan des 使lises m仕i思ales, de servir de guide Dante dans son voyage en Enfer et au Purgatoire dans la Divine Com仕ie.

 

2. Horace

L'マuvre po師ique de Virgile a la fois d伺ini la conscience romaine et l'a ancr仔 dans un pass mythique, imm士orial, qui rapproche les hommes des dieux : le sentiment d'un retour l'曳e d'or dans les Bucoliques, l'四oge des anciennes valeurs terriennes dans les G姉rgiques, la conviction d'une grandeur et d'une vocation universelles, construites dans la souffrance et dans la justice, dans l'ハ司de. Mais il ne suffit pas de reconstruire le pass et d'腎re convaincu de sa grandeur pour confirmer la foi dans le retour de la paix ; il faut aussi une po市ie du pr市ent, du quotidien, de l'ordinaire qui propose chacun un id斬l de vie sa port仔, loin des ambitions destructrices, sans pour autant exclure un chant plus politique la gloire du nouveau r使ime parce qu'il garantit les moyens d'atteindre cet id斬l.

C'est l'マuvre des po春es lyriques, au premier rang desquels Horace (Venouse en Apulie, 65 ACN ム Tivoli, 8 ACN) qui accompagne Virgile comme po春e officiel du nouvel Auguste, dans le fameux cercle litt屍aire de M残熟e. Grand artiste, il est le premier po春e lyrique latin, par la richesse des id仔s, la beaut de la forme, la vari師 des rythmes. Il a renouvel et ヌ civilis ネ le genre typiquement romain et torrentueux de la satire dans ses Sermones ; il a cr試 l'art de la lettre en vers dans ses パ杯res. Dans ses Odes, il a uni heureusement le r斬lisme de la sagesse romaine, 姿rise d'otium et de paix, au raffinement de l'esprit grec, et cela avec une simplicit d残oncertante, dans une forme flamboyante et acrobatique qui apprivoise et annexe la complexit, la subtilit, la pr残iosit des rythmes grecs dans le vers latin, au d姿art plus lourd et moins musical.

Parmi tous les po春es de ce temps, Horace est celui qui illustre le mieux le ヌ classicisme ネ august仔n. Dans son Art po師ique, qui est 残rit sous la forme d'une lettre en vers aux Pisons et qui sera suivi de bien d'autres dans l'histoire litt屍aire, il d伺init la po市ie comme un ヌ ordo lucidus ネ, un ヌ ordre de la lumi俊e ネ : on croit d史 entendre le vers de Boileau ヌ Ce qui se con腔it bien s'始once clairement ネ. Non que cet ordre soit d'embl仔 accessible au lecteur : au contraire, la composition des po塾es d'Horace peut s'av屍er tr峻 complexe et m四anger plusieurs structures au sein d'une m仁e pi縦e, mais c'est pr残is士ent dans la complexit de cette forme savante qu'Horace cr仔 le sens de son po塾e, qui va bien au-del d'une simple lecture lin斬ire.

Le message d'Horace confirme l'子uilibre de la forme : rang parmi les 姿icuriens en raison de son 四oge du plaisir et de son invitation jouir du moment pr市ent, Horace a toujours 師, en r斬lit, partisan du juste milieu, o il place la vertu ; c'est notamment ainsi qu'il con腔it l'amour, dont il fait un de ses th塾es favoris : un amour paisible, loin des turbulences du coup de foudre, des complications, des caprices, des coquetteries, des incertitudes d'une relation passionn仔 mais changeante, un amour qui est une r残r斬tion et qui ne doit en rien peser sur la s屍始it du sage. Sa sagesse est celle du ヌ juste milieu qui vaut de l'or ネ, loin de tout exc峻, celle de l'aurea mediocritas, dont il d伺init son art de vivre. Une philosophie douce, qui ne pontifie pas, qui n'anath士ise pas, et qui rappelle simplement l'homme que la juste mesure de son temps tient en une seule syllabe : nunc, ヌ maintenant ネ. Contrairement ce que l'on croit trop souvent, le fameux Carpe diem n'est pas un encouragement la recherche effr始仔 de la jouissance, mais le constat r斬liste que le jour est la seule mesure du temps accessible l'homme et qu'il est vain de vouloir litt屍alement ヌ perdre son temps ネ pr思oir un avenir qui appartient aux dieux. Enfin, en proph春e de toutes les grandeurs po師iques, Horace manifeste une tr峻 haute conscience de son art : dans une ode c四獣re (III, 30), il affirme avoir 四ev un ヌ monument ネ plus durable que toutes les constructions humaines, associant ainsi son マuvre po師ique l'師ernit de Rome elle-m仁e.

Odes II, 20 (Ludwig Senfl 1486-1543) (Disque ヌ Le Chant de Virgile ネ Harmonia Mundi HMC 901739)

 

3. L'amour comme valeur litt屍aire
Les 四使iaques et Ovide

a. Horace n'est pas le seul po春e de ce temps chanter l'amour, qui redevient une valeur litt屍aire apr峻 le retour la paix et la fin des traumatismes meurtriers des guerres civiles. Toujours dans le cercle de M残熟e et amis de Virgile, les 四使iaques Tibulle et Properce en font le th塾e unique de leur po市ie, mais dans un sens nouveau o la vie amoureuse prend les allures d'un engagement personnel et total, contrairement aux ヌ r残r斬tions ネ amoureuses d'Horace. Ils d残larent ouvertement pr伺屍er V始us Mars, et pervertissent d四ib屍士ent le vocabulaire guerrier et militaire de l'姿op仔 au profit de l'expression des sentiments et des exploits amoureux : le po春e s'engage d市ormais dans la militia Veneris, o la belle est une place prendre, o il faut l'assi使er, user de strat使ies habiles pour s'en emparer, la conqu屍ir, o le po春e est le prisonnier de la puella, qui devient domina et dont il devient le seruus. La femme aim仔 des 四使iaques est une femme contrariante, une femme d'extases, de d残hirements, de jalousies, d'inqui師udes, dont le cマur et le corps deviennent r市olument et d伺initivement mati俊e litt屍ature en occident. Tibulle (vers 55 ム vers 19 ACN) fut le plus tendre des po春es latins. Il a laiss quatre livres d'ネ使ies dans lesquels il chante la jeune D四ie et le calme de la vie champ腎re, マuvres pleines d'四使ance, qui donnent cependant un sentiment de sinc屍it car elles ont peu recours la mythologie et la rh師orique. Properce (vers 47 ム vers 15 ACN) use dans ses quatre livres d'ネ使ies de toutes les ressources de la mythologie et de la rh師orique pour chanter son amour pour la courtisane Cynthia. Properce ne d仕aigne pas les ornements brillants, les motifs mythologiques, l'expression obscure et 屍udite ; sa sensibilit et sa sensualit violentes se cristallisent sur une image la fois voluptueuse et cruelle de la femme, avec des accents quasi baudelairiens.

b. Mais le ma杯re de l'amour en litt屍ature est sans nul doute Ovide (Sulmone dans les Abruzzes, 43 ACN ム Tomes, auj. Constantza en Roumanie, 17 ou 18 PCN), le d四icat, le galant, l'anti-姿ique, l'anti-classique, le s仕ucteur, le rebelle toutes les formes d'ordre et de rigidit, le po春e et l'homme pour qui ヌ l'art ressemble au hasard ネ, Ars similis casus, o l'on croit d史 deviner le ヌ Coup de d ネ de Mallarm : ヌ Un coup de d jamais n'abolira le hasardノ ネ, mais qui en fait un hasard ヌ longuement m仕it ネ. Car, sous les apparences d'une insolente facilit, pour Ovide, les arts de la s仕uction et de la po市ie ne s'improvisent pas ; ils sont des formes hautement virtuoses d'une mani俊e de vivre qui n'est pas sans annoncer le mani屍isme libertin et mondain des Liaisons dangereuses.

・ Les 四使ies Corinne dans les Amours, son c四獣re Art d'aimer et les Rem重es l'amour sont autant de jeux litt屍aires dont le sujet est la relation amoureuse, qui substitue l'h屍o不me 姿ique celui de l'amant victorieux : le po春e s'y donne le r冤e de l'amant et se d伺init comme magister amoris, ヌ professeur ネ, ou mieux ヌ ma杯re d'amour ネ, de ses techniques de s仕uction, de ses chagrins, de ses plaisirs partag市, etc.

・ Dans le recueil de lettres fictives des H屍o錨es 残rites en vers 四使iaques, les ヌ belles abandonn仔s ネ de la tradition mythologique (P始四ope, Ariane, M仕仔, Didon,ノ) crient leur d師resse aux h屍os qui les ont l営hement ヌ plaqu仔s ネ (Ulysse, Th市仔, Jason, ハ仔,ノ).

・ Les quinze livres des M師amorphoses juxtaposent, en une anti-姿op仔 残rite en hexam春res, des r残its mythologiques de transformations des dieux ou d'humains en 腎res ou objets divers, arbres, fleuves, animaux. Comme toute 姿op仔, ce long po塾e se pr市ente comme un ヌ r残it des origines ネ, mais il en pervertit doublement le sens : dans la forme, la narration continue 残late en une multiplicit d'姿isodes l使endaires ; dans le fond, le monde des m師amorphoses souligne la fluidit constitutive d'un univers poreux qui efface les fronti俊es entre l'humain et le divin, perp師uellement m人市. Du chaos originel au ヌ catast屍isme ネ de C市ar, cette マuvre immense et fascinante, qui a 師 adul仔 au moyen 曳e, la Renaissance et au Grand Si縦le fran溝is, illustre, sur un mode pittoresque et gracieux, la th姉rie pythagoricienne du changement perp師uel, explicitement d思elopp仔 dans le discours de Pythagore au quinzi塾e et dernier livre du po塾e : contrairement l'姿op仔 traditionnelle, Ovide situe ainsi la fin de son マuvre la cl esth師ique et symbolique qui permet d'en comprendre le sens. Organis仔 en un r残it tout fait 残lat et apparemment incoh屍ent, cette histoire merveilleuse du monde encha馬e plus d'une centaine de l使endes comme autant de ヌ m仕aillons ネ po師iques qui sont la fois une exploration de l'imaginaire mythologique et une r伺lexion sur l'entropie constitutive du monde. Les r残its sont tant冲 仕ifiants, comme l'histoire des vieux 姿oux Phil士on et Baucis qui ont accueili dans leur mis屍able chaumi俊e Jupiter et Mercure d使uis市 en mendiants ; tant冲 grotesques, comme l'histoire de Midas condamn la faim pour avoir souhait de voir se transformer en or tout ce qu'il touche ; tant冲 subversifs, comme les histoires qui ouvrent le sixi塾e livre sur les m師amorphoses d'humains qui ont os contester l'ordre divin  (e.g. Arachn, transform仔 en araign仔 pour avoir d伺i Ath始a l'art du tissage) ; souvent 士ouvants, comme l'histoire de l'insouciance d'Icare ou celle des amours contrari仔s de Pyrame et Thisb, finalement r志nis dans la mort comme le seront plus tard Rom姉 et Juliette. Au-del d'une apparence l使俊e de conte merveilleux, le propos des M師amorphoses proclame que le monde n'est jamais tel qu'on l'observe, qu'il est en constante mutation, que l'humain et le divin sont intimement m人市, qu'on ne touche pas impun士ent une partie de l'ordre naturel sans en affecter le tout. Il n'est pas impossible que ce message, radicalement oppos l'esprit august仔n 姿ris d'ordre et de stabilit, ait contribu rendre l'マuvre d'Ovide suspecte dans l'entourage de l'empereur.

・ En tout cas, pour des raisons mal identifi仔s, qui ne peuvent se limiter au reproche officiel d'avoir 残rit des po塾es licencieux, en 8 PCN, Auguste condamne Ovide l'exil d伺initif dans la ville barbare de Tomes sur les bords de la Mer Noire (act. Costantza en Roumanie), aux limites de l'empire. Le d四icat po春e des jeux amoureux devient alors le poignant po春e de l'exil, de ses souffrances et de ses plaintes ; de mondain qu'il 師ait dans la soci師 romaine, il apprend conna杯re l'inconfort d'un climat inhospitalier, mais surtout l'indiff屍ence et l'incompr刺ension de barbares totalement insensibles son art. Ovide compose alors deux recueils d'四使ies, d'inspiration personnelle et sombre, les Tristes et les Pontiques, dans lesquels il s'adresse avec toute l'士otion de l'exil au public romain, sa femme et ses amis pour attirer l'attention de l'empereur sur ses malheurs et son d市espoir.

・ Il faut enfin signaler qu'Ovide est aussi l'auteur d'un calendrier po師ique, les Fastes, qui rapporte les grandes f腎es romaines, leur signification et leur origine mythique. Cette マuvre, extr仁ement utile pour l'historien de Rome, manque cependant du souffle et de l'四使ance auxquels Ovide nous a habitu市 dans ses autres recueils ; le sujet ne l'a pas passionn et il s'en est lass au sixi塾e mois, c'est--dire au sixi塾e chant.

Syrinx (Claude Debussy)

 

4. Tite-Live

L'abondance et la qualit des po春es august仔ns ne doit pas pour autant faire oublier que cette p屍iode conna杯 aussi une importante production en prose, dont le principal repr市entant est l'historien Tite-Live.

Dans les 142 livres de son Histoire romaine (qui devait en compter 150), Tite-Live (Padoue, 64 ou 59 ACN ム Rome, 17 ap. J.-C.) raconte l'histoire-fleuve de Rome Ab Vrbe condita, ヌ depuis la fondation de la ville ネ jusqu' l'actualit august仔nne. L'ハ司de de Virgile avait en perspective l'Histoire, laquelle commence l o s'arr腎e le mythe. De la l使ende sort une ville, Tite-Live commence l o s'師ait arr腎 Virgile, et dans le premier livre de son histoire, enti俊ement consacr au temps des origines, l'historien d使age peu peu la ville de sa mythologie : la geste de Romulus succ重e le temps des rois, qui poursuivent l'マuvre de fondation et font l'apprentissage politique et institutionnel de la cit romaine. Apr峻 l'expulsion des rois commence le temps de la R姿ublique, fond仔 sur la souverainet du peuple, l'exercice annuel des magistratures, la limitation des pouvoirs, et, du reste, l'historien aligne le rythme de son r残it sur cette ordonnance en 残rivant l'histoire sous la forme d'annales, ann仔 par ann仔, en suivant la succession annuelle des consuls. Cela dit, pour ces temps recul市, l'historien ne dispose peu pr峻 d'aucune source, et il est bien oblig d' ヌ historiciser ネ les r残its l使endaires ou traditionnels qui composent ヌ le temps des origines ネ. De cette マuvre monumentale, il ne nous est rest que 35 livres, mais des ヌ sommaires ネ ou periochae (comme celui de Florus au IIe si縦le) apparurent tr峻 t冲, constituant des ヌ manuels d'histoire nationale ネ qui t士oignent de la faveur et du r冤e presque officiel de l'histoire livienne.

Pour comprendre l'マuvre de Tite-Live, il faut la resituer dans le climat politique et id姉logique qui l'a vue na杯re. Au moment o l'empereur restaure les anciens temples et exalte les vertus traditionnelles de Rome, au moment o Virgile raconte les origines mythiques de la Ville et o Horace propose un ヌ monument ネ po師ique la gloire du classicisme august仔n, l'historien doit d士ontrer l'antiquit de la grandeur romaine et surtout sa continuit, sa dur仔. Il doit aussi l'expliquer : constatant la r志ssite romaine, il se demande quel genre de vie, quelles mマurs, quels hommes ont permis cette ascension. Tite-Live fait マuvre de moraliste, et il l'annonce tr峻 clairement dans la pr伺ace de son マuvre. L'histoire, selon Tite-Live, doit 仕ifier les cマurs plut冲 qu'師ablir des faits. Elle n'est jamais objective, elle id斬lise les grands hommes en autant d'exempla suivre ou 思iter pour que Rome puisse durer (Tarquin, Camille, qui sauva Rome des Gaulois, Hannibal, Scipion l'Africain,ノ). C'est pour cela qu'il fait abondamment parler ses personnages, comme les acteurs d'une pi縦e de th脂tre ; le discours sert alors de portrait, il amplifie un 思始ement dramatique, il ヌ repr市ente ネ une argumentation, et certains 姿isodes, comme par exemple la fin du r夙ne de Servius Tullius dans le premier livre, rel竣ent presqu'explicitement de la mise en sc熟e th脂trale, alors que la mati俊e historique est extraordinairement pauvre. Avec Cic屍on, et plus tard Tacite, Tite-Live partage l'id仔 que l'histoire est une マuvre oratoire ; elle doit donc entra馬er la conviction, elle doit avoir de l'ampleur, elle doit 腎re artistique et rendre sensibles les drames et les bonheurs des hommes. Dans cette optique, l'histoire ne peut qu'腎re compl春e, elle ne peut pas comporter de ヌ trou ネ, et il arrive souvent Tite-Live de reconstituer des 思始ements disloqu市, de compl師er l'absence de documentation par un r残it artistiquement ヌ invent ネ. Comme pour tous les historiens antiques, la pr姉ccupation 師hique est au centre de l'histoire de Tite-Live ; mais il y a ajout le souci de la ヌ repr市enter ネ dans le spectacle des vertus la fois individuelles et collectives qui ont constitu la grandeur de Rome et expliqu le rayonnement de son ordre politique.

Avec Tite-Live, l'historiographie s'impose comme un genre litt屍aire majeur Rome, dans un esprit qui concilie l'analyse de l'histoire et l'art de la raconter. Tacite l'illustrera bient冲 son tour, en reprenant l'histoire de l'Empire l o Tite-Live s'師ait arr腎 ; et puis, plus tard, au IVe si縦le, Ammien Marcellin, qui fut notamment le biographe de l'empereur Julien dit l'Apostat, poursuivra l'マuvre de Tacite dans les 31 livres d'une Histoire qui devait couvrir la p屍iode allant de Domitien (96) Valens (378), mais dont nous n'avons conserv que la moiti, savoir les livres qui relatent les faits directement v残us par l'auteur.

 

D.  Le Haut-Empire
Les d士esures de l'homme et de ses imaginaires

 

Dans la p屍iode que l'on appelle habituellement le Haut-Empire et qui s'師end de la mort d'Auguste (14 PCN) la fin du r夙ne de Commode (192), la litt屍ature latine 思olue consid屍ablement la fois dans le sens d'un renouvellement des anciens genres (comme le th脂tre ou l'姿op仔) et de l'apparition de nouveaux genres (le roman ou la biographie). Durant cette p屍iode, l'espace romain d暫orde largement la seule ville de Rome ; il multiplie les p冤es 残onomiques et culturels dans les provinces d'o viennent d市ormais les empereurs et qui fournissent l'empire des intellectuels brillants, comme, par exemple, l'Espagnol S始述ue, le pr残epteur du jeune empereur N屍on. En m仁e temps, cette ouverture au monde transforme le mod粛e romain lui-m仁e, qui abandonne progressivement la r伺屍ence aux valeurs traditionnelles, paysannes et collectives, pour se tourner vers de nouvelles valeurs, urbaines et individuelles, notamment pr姉ccup仔s par la question du salut personnel. Le cosmopolitisme d思eloppe un nouvel humanisme de la ヌ citoyennet universelle ネ, o la soci師 romaine 残late et se m師isse au contact des cultures qu'elle assimile. Le classicisme c重e le pas une esth師ique baroque du mouvement et de l'image, o il faut d'abord voir pour penser. La rh師orique envahit toute la litt屍ature : pour m屍iter d'腎re lue, une マuvre doit d'abord 腎re belle entendre et r姿ondre toutes les exigences esth師iques des arts de la parole. L'irrationnel devient une valeur-refuge et la mythologie envahit tout l'espace public comme instrument d'analyse du monde, de la soci師 et de l'homme en proposant des r姿onses aux nouvelles exigences morales, intellectuelles et politiques d'une soci師 en changement. En m仁e temps, l'heure des premiers bilans commence de sonner dans le fait d'intellectuels qui apparaissent comme la conscience critique de l'empire.

Parmi eux, la figure de

1. S始述ue

(Cordoue vers 2 ACN ム Rome 65 PCN) domine le temps de N屍on. Philosophe moraliste qui s'essaie la carri俊e politique, il d思eloppe une pens仔 essentiellement sto苗ienne qu'enrichissent une profondeur et une clairvoyance psychologiques inconnues jusqu'alors. Appel par Agrippine, la m俊e du jeune N屍on, pour 腎re le pr残epteur de son fils, S始述ue r迅e de mettre en place l'id斬l d史 platonicien du roi-philosophe. Malgr des d暫uts encourageants, N屍on s'四oignera rapidement de ce mod粛e id斬l pour devenir plut冲 le mod粛e du tyran, dont S始述ue repr市ente plusieurs fois le portrait dans ses マuvres.

On range sous le titre g始屍al de Dialogues aussi bien des trait市 de morale ム De la col俊e, De la vie heureuse (58-59) ム que des lettres de condol斬nces ム Consolation Marcia. S始述ue d仕ie aussi N屍on son trait De la cl士ence (entre 55 et 59) et d姿loie son talent d'残rivain et de directeur de conscience dans ses c四獣res Lettres Lucilius (entre 63 et 65). Son style refuse la p屍iode cic屍onienne, mais 残late en images ou en formules saisissantes, emport仔s par une rh師orique efficace dont son p俊e, S始述ue le Rh師eur, avait 師 un th姉ricien. D'ob仕ience sto苗ienne, la sagesse de S始述ue est essentiellement tourn仔 vers l'individu qu'il met en garde contre ses passions et ses craintes, et dont il analyse au scalpel les profondeurs de l'盈e.

S始述ue 残rit 使alement une dizaine de trag仕ies d'inspiration sto苗ienne, notamment Medea et Phaedra, dont Corneille et Racine s'inspireront, le premier pour M仕仔, et le second pour Ph重re. En reprenant les sujets classiques de la trag仕ie grecque (Hercule, M仕仔, Ph重re, Agamemnon, ホdipe, les Troyennes, etc.), S始述ue cr仔 un nouveau th脂tre, tout fait en phase avec les pr姉ccupations de ses contemporains tant au niveau du contenu qu'au niveau de la forme. Ses personnages continuent d'腎re confront市 au destin, mais ce destin ne s'impose plus eux de l'ext屍ieur ; ce n'est plus un destin divin, h屍仕itaire, collectif ou familial, un destin clair et net comme le tranchant d'un couperet. Le destin des personnages de S始述ue est strictement personnel, int屍ieur et trouble ; il correspond ce que l'on appellerait aujourd'hui leur ヌ caract俊e ネ, ou mieux encore leur ヌ inconscient ネ, hant de fantasmes et de pulsions non ma杯ris仔s, qui les projettent dans un univers de mort et de violences sans nom. Le sujet du th脂tre de S始述ue n'est pas l'intrigue du drame, qui se d屍oule pour l'essentiel dans les intervalles entre les sc熟es ; ce qui int屍esse S始述ue, c'est l'analyse int屍ieure des personnages, une sorte de ヌ voyeurisme ネ fascin par l'incandescence de la violence et de la monstruosit qui s'empare des 盈es livr仔s leurs propres peurs. Quand l'homme a peur, il devient un monstre. Depuis Caligula, l'angoisse est devenue le mode d'腎re de la soci師 romaine; la ヌ folie tragique ネ met en sc熟e, dans les d士esures des h屍os mythologiques horrifi市 par leurs propres exc峻, la souillure des consciences qui ne savent plus o sont le bon droit, la v屍it, le mensonge et qui font l'exp屍ience de la monstruosit l'heure o elles s'y attendent le moins. Shakespeare saura s'inspirer d'un tel th脂tre, qui diss述ue toutes les souffrances, les cris et les monstruosit市 des hommes.

Oedipus, 915-979 (le messager)

Sur le plan formel, ces trag仕ies semblent avoir d'abord 師 残rites pour 腎re r残it仔s en public dans des s斬nces de recitationes, m仁e si elles ont pu 腎re 使alement repr市ent仔s sur une sc熟e : S始述ue sacrifie ainsi l'air du temps qui pr伺俊e r市erver la sc熟e des spectacles gestuels et musicaux, r仕uisant le th脂tre essentiellement un art du dialogue et de la parole. Compromis dans une conjuration dirig仔 contre N屍on, S始述ue re腔it l'ordre de s'ouvrir les veines en 65, r斬lisant ainsi sur lui-m仁e cette ヌ autodestruction ネ o plusieurs de ses personnages ont trouv la r仕emption face l'angoisse du malheur et de la mort, face aussi l'horreur de leurs crimes.

 




2. Tacite

L o S始述ue a 残hou dans sa tentative d'abattre physiquement le tyran, une autre conscience critique de l'Empire a r志ssi compromettre d伺initivement la m士oire de N屍on : les Annales de l'historien Tacite (Gaule narbonnaise, vers 55-57 ム vers 120) qui nous racontent le r夙ne de cet empereur ont marqu de fa腔n ind四暫ile l'image que la post屍it en a retenue. Plus largement, la vision que l'on a gard仔 du premier si縦le de l'Empire est tr峻 largement tributaire de celle que Tacite a impos仔 dans son マuvre historique. Contrairement Tite-Live, Tacite a fait une brillante carri俊e politique, qui lui a permis de bien conna杯re les rouages de l'administration imp屍iale. Tr峻 proche de l'empereur Trajan, Tacite ne s'est pas pour autant montr un servile apologiste du r使ime imp屍ial. D峻 son Dialogue des orateurs, qui a d 腎re 残rit vers 81, Tacite tend montrer que le r使ime imp屍ial, en limitant la libert politique et en subordonnant le talent des orateurs la louange de l'empereur, d姿lace et pervertit la fonction de l'四oquence. Apr峻 la Vie d'Agricola (98), 四oge fun獣re de son beau-p俊e qui avait 師 gouverneur de Bretagne (la Grande-Bretagne actuelle), il publie la Germanie (vers 98). Ces deux マuvres sont l'occasion d'une 師ude historique et sociologique sur les ヌ Barbares ネ, o, d姿assant les pr史ug市 traditionnels, Tacite reconna杯 l'existence et les vertus de cultures et de soci師市 non romaines. Cette reconnaissance indirecte de la sp残ificit des Bretons et des Germains d師ruit l'image d'une barbarie homog熟e se d伺inissant par opposition la culture m仕iterran仔nne. Sur le plan litt屍aire, la Vie d'Agricola confirme l'士ergence du genre de la ヌ biographie ネ, timidement pratiqu avant Tacite, mais qui conna杯ra bient冲 un succ峻 retentissant dans les Vies des Douze C市ars de Su師one, vers les ann仔s 120, sous l'empereur Hadrien.

L'マuvre strictement historique de Tacite tient en deux ouvrages importants :

・ les Histoires (publi仔s en 106), dont il ne reste que quatre livres, et qui d残rivaient l'Empire de 69 96 (depuis la mort de N屍on jusqu' la chute de Domitien) ; pour nous, cet ouvrage est le r残it d'une guerre civile o s'affrontent et se succ重ent d'abord les trois empereurs Galba, Othon et Vitellius, provoquant le d残hirement de l'empire en un spectacle qui fascine litt屍alement l'historien ;

・ et les Annales (残rites vers 115 ム 117) consacr仔s la p屍iode qui suit la mort d'Auguste et dont seuls nous sont parvenus les livres I IV, un fragment des livres V et VI (sur Tib俊e) et les livres XI XVI (deuxi塾e partie du r夙ne de Claude et la quasi-totalit de celui de N屍on). Sans doute l'ouvrage se composait-il de dix-huit livres, pour faire la jonction avec les Histoires. ヒ la fois historien et moraliste, Tacite y d姿eint avec pessimisme, dans un style d'une saisissante concision, les mentalit市 et les mマurs des hommes de son temps.

Comme l'indique le dernier titre, Tacite s'inscrit dans la tradition de la m師hode annalistique qui raconte l'histoire ann仔 par ann仔, selon la succession annuelle des charges publiques. Dans le premier chapitre des Annales, Tacite annonce qu'il 残rira l'histoire sine ira et studio, ヌ sans col俊e et sans passion ネ. Et effectivement, l'historien ヌ parle peu ネ, comme le sugg俊e plaisamment son cognomen Tacitus. La passion et la violence se trouvent ailleurs, dans les coulisses d'une langue extraordinairement intense, compacte, dynamique, expressive, aux limites m仁es des possibilit市 de traduction. L'immense talent de Tacite aura 師 de faire battre le pouls de tous les dysfonctionnements de la soci師 imp屍iale dans une langue ヌ monstrueusement ネ belle, chaotique, parfaitement ajust仔 ce qu'elle veut exprimer : la peur, la folie, les monstruosit市, les d士esures, les trag仕ies, la noirceur, les passions, les violences. On pourrait sans peine appliquer l'マuvre historique de Tacite cette parole qu'残rivait Marguerite Yourcenar propos de l'Histoire Auguste, texte myst屍ieux de l'antiquit tardive et bien des 使ards fort proche de l'マuvre historique de Tacite : ヌ Une effroyable odeur d'humanit monte de ce livre ネ.

 

La d士esure est aussi le lot commun des h屍os chant市 par

3. Lucain

le neveu de S始述ue, (Cordoue, 39 ム Rome, 65), dont l'姿op仔 historique, connue sous le titre La Pharsale,  du nom de la bataille qui vit C市ar triompher de Pomp仔 en Thessalie, renouvelle compl春ement le genre. La conception de l'姿op仔 est l'oppos de celle de Virgile. Alors que l'ハ司de avait choisi le mythe des origines, n'思oquant l'histoire future de Rome que de mani俊e indirecte, Lucain prend pour sujet des 思始ements historiques r残ents : il chante certes les origines de l'Empire, mais travers le drame de la guerre civile dans les convulsions de laquelle s'est 残roul仔 la R姿ublique romaine. Virgile chantait le destin de Rome tourn vers l'avenir ; Lucain chante un monde finissant, o les Romains 姿uisent leur 始ergie s'entretuer dans une guerre int屍ieure et nuisible, au lieu de combattre les ennemis ext屍ieurs.

Contrairement Virgile, 使alement, le po春e 思acue compl春ement le merveilleux mythologique ; les dieux n'ont plus de place dans une 姿op仔 d市esp屍仔, monstrueuse et impie ; le merveilleux devient un ressort exclusivement ヌ humain ネ, qui puise sa source dans les outrances de ce ヌ choc des titans ネ domin par les figures de C市ar, Pomp仔 et Caton d'Utique. L'マuvre continue de faire la place des prodiges, des songes, des visions ou des prosopop仔s, comme celle de Rome, toutes figures appr残i仔s dans les exercices rh師oriques, mais l'h屍o不me est fonci俊ement ヌ la敏ue ネ, ind姿endant des dieux ; l'horreur 姿ique est le seul fait de l'homme qui entra馬e l'univers dans l'agonie d'un chaos universel. C仕ant au go柎 de son temps, Lucain se compla杯 dans la ヌ rh師orique de l'horrible ネ, dans la description sanglante et violente, sinon morbide et macabre pour impliquer d'abord l'imagination dans le jugement critique sur la guerre. Le po春e veut faire frissonner ses lecteurs, rendre perceptible l'horreur de la guerre, une 姿oque de tous les exc峻 o l'on a peur et o l'on aime se faire peur. Condamn subir le m仁e sort que son oncle pour avoir particip au m仁e complot contre N屍on, Lucain n'a pas pu achever ce po塾e dont l'expressionnisme forcen nous touche encore aujourd'hui, en ces temps qui n'arr腎ent pas de banaliser la violence.

 

4. Le roman

a. L'姿oque de N屍on a connu un troisi塾e ヌ suicid ネ compromis dans la conjuration de Pison : P師rone ( ? ム 66 PCN), l'auteur d'un des premiers ヌ romans ネ dans l'histoire de la litt屍ature : le Satyricon, admirablement mis au cin士a et g始ialement trahi par Fellini.

Cet exemple sera bient冲 rejoint par les M師amorphoses de l'africain Apul仔 au IIe si縦le et plusieurs romans grecs. La forme du Satyricon a d残oncert : l'ouvrage est un m四ange ム tr峻 disproportionn ム de prose et de vers, s'inscrivant ainsi dans l'esth師ique m人仔 et fondamentalement romaine de la satura, du m四i-m四o, du m四ange qui affecte aussi les tons, les sujets, les personnages, les styles. C'est une マuvre ヌ baroque ネ, exub屍ante, o l'auteur utilise la prose pour faire le r残it d'une histoire de gens qui n'int屍essent pas l'histoire : les deux ヌ h屍os ネ de l'aventure, Encolpe et Ascylte, sont des ヌ d残lass市 ネ, des ヌ paum市 ネ qui vivent dans un monde interlope, truculent, cosmopolite. Plut冲 que des h屍os, ce sont plus exactement des anti-h屍os, le roman apparaissant comme une perversion ou tout le moins une d使radation de la narration 姿ique. La prose remporte ici une belle victoire sur la po市ie : comme la po市ie 姿ique, elle peut d市ormais exprimer aussi des exploits, l'aventure, la fiction ; comme la po市ie 屍otique, elle peut d市ormais dire aussi l'amour et ses 姿reuves ; comme la po市ie dramatique, elle s'approprie aussi l'art du dialogue, jusque l r市erv au th脂tre.

Cela dit, le Satyricon tel qu'il nous est parvenu est tr峻 mutil et il ne nous en reste que des fragments qui faussent peut-腎re les perspectives. Cette マuvre surprenante raconte les vagabondages d'un jeune libertin, Encolpe, et de ses deux amis, en compagnie du vieux po春e Eumolpe. Dans ce que nous avons conserv, le fragment le plus important est le c四獣re 姿isode du ヌ Festin chez Trimalcion ネ, o P師rone brosse un tableau satirique et caricatural des d暫auch市 et des petites gens qui fr子uentent la table d'un riche affranchi. Deux autres 姿isodes 士ergent 使alement :

・ le po塾e de la ヌ Guerre civile ネ, qui appara杯 comme une imitation parodique de la Pharsale de Lucain ;
・ le conte de la
ヌ Matrone d'パh峻e ネ : une femme qui vient de perdre son mari d残ide de s'enfermer dans le tombeau, o elle est courtis仔 par un soldat charg de garder le corps d'un supplici.

Plus que dans tout autre genre litt屍aire, le roman nous fait entrer dans la vie des personnages ordinaires, issus de la basse et de la moyenne soci師 ; ils ne ratent aucune occasion de ヌ raconter leur vie ネ, soulignant l'extraordinaire volatilit de ce temps o les ascensions sociales les plus vertigineuses (e.g. l'importance croissante des affranchis dans l'entourage des empereurs) s'accommodent des d残h斬nces les plus brutales (en particulier celle des anciennes familles aristocratiques) : la r斬lit sociale et culturelle de l'empire n屍onien n'est pas ici le d残or du livre ; elle est le livre.

Que ヌ veut dire ネ ce premier roman ? Il est difficile de s'en faire une id仔 exacte. Certains y ont vu un roman initiatique, o les aventures des h屍os les font progresser de myst俊e en myst俊e, d'始igme en 始igme, notamment au cours du ヌ Festin de Trimalcion ネ o l'art du cuisinier est d'offrir aux convives des 始igmes gastronomiques, de travestir le d四icieux en d使o柎ant, et inversement. Cette interpr師ation para杯 assez douteuse, vu l'obsc始it de nombreuses sc熟es qui s'accommode mal d'une telle perspective. D'autres y ont vu un roman 屍otique, et il est vrai que l'amour y est souvent repr市ent, mais dans des formes g始屍alement d使radantes. Ou encore un roman d'aventures ou une satire, au sens classique du terme, qui d始once cr枸ent les vices du temps. Mais peut-腎re ne sont-ce l que des anachronismes, car nous ne savons pas comment les contemporains de P師rone lisaient ce livre ; l'isolement de l'マuvre dans son temps et son 師at de mutilation ne simplifient pas l'interpr師ation. La langue et le style de P師rone ヌ d残oiffent ネ ; on est plus proche du pittoresque de Plaute que de l'harmonie cic屍onienne, de l'四使ance ou de la profondeur de Virgile ; c'est une langue truculente, au r斬lisme brutal, sinon trivial que l'on ne trouvait jusque l que dans l'姿igramme, une langue ヌ rabelaisienne ネ avant la lettre et en latin, o l'auteur n'h市ite pas s'adapter aux parlers des diverses classes sociales, fournissant ainsi une source pr残ieuse pour la connaissance du latin populaire. L'マuvre continue d'師onner, de questionner, de d屍anger, tant son originalit est grande.

b. Au IIe si縦le, l'africain Apul仔 (Madaure en Alg屍ie, vers 125 ム Carthage, vers 185) reprend la veine romanesque engag仔 par P師rone et 残rit, c冲 d'une importante マuvre philosophique d'inspiration platonicienne, un 師onnant roman d'aventures intitul les M師amorphoses ou L'蚣e d'or, qui traduit le titre latin ヌ Asinus aureus ネ. Grand amateur de pittoresque, d'市ot屍isme et de magie, Apul仔 raconte dans ce roman l'histoire de Lucius, transform en 穎e suite une fausse manマuvre dans une exp屍ience de magie. Pour retrouver sa forme humaine, il lui suffira de croquer des roses, mais les choses ne sont pas si simples : d'aventures en aventures, d'姿reuves p始ibles en mauvais traitements de tous ordres, battu, vol par des brigands, Lucius ne devra son salut qu' la bienveillance de la d仔sse 使yptienne Isis, dont il devient le pr腎re apr峻 腎re redevenu homme. Apul仔 n'a pas invent les grandes lignes de son histoire, qu'il a trouv仔s dans des ヌ nouvelles ネ ou ヌ romans ネ grecs ant屍ieurs. L'originalit d'Apul仔 tient dans le d始ouement de l'histoire au livre XI, gr営e l'intervention d'Isis, et dans la pr市ence au centre de l'マuvre d'une ヌ histoire ench鋭s仔 ネ, aux riches connotations symboliques, philosophiques sinon 市ot屍iques, le Conte d'ビos et de Psych, qui forme un r残it dans le r残it, et qui a connu les interpr師ations et les r残ritures les plus diverses, dont une de Jean de la Fontaine. De nombreux indices, comme cet 姿isode central ou les noms des personnages, semblent autoriser la lecture de ce deuxi塾e roman comme un ヌ roman initiatique ネ. Mais le ヌ picaresque ネ n'est jamais absent de cette マuvre, ou le h屍os animalis est entra馬 dans une succession de catastrophes les unes plus rocambolesques que les autres, dans un monde marginal lourd de violences et de fantasmes. Par ailleurs, le fantastique est le moteur de l'intrigue, laquelle il donne un charme ヌ bizarre ネ, du reste bien pr市ent aussi dans la langue de cette マuvre, d'une 師onnante richesse lexicale et d'une grande 四aboration syntaxique. Sans doute, la magie de ce roman tient-elle, en d伺initive, dans sa complexit qui le rend irr仕uctible toute interpr師ation unique : les M師amorphoses d'Apul仔 sont par excellence ce qu'Umberto Eco d市igne comme une ヌ マuvre ouverte ネ, laiss仔 l'appr残iation de chaque lecteur.

 

Conclusion

 

Des premiers balbutiements de la litt屍ature latine cette マuvre 始igmatique, c'est toute une ヌ personnalit litt屍aire ネ latine qui s'est 四abor仔, largement tributaire de l'extension de la puissance conqu屍ante de Rome. Mais cet imp屍ialisme n'a pas commis l'erreur de d師ruire les cultures conquises ; l'espace politique immense qu'il a induit n'a pas engendr un monolithisme culturel ; au contraire, l'仕ifice litt屍aire qui en est issu est admirablement perm斬ble toutes les diversit市, aux influences nouvelles et revivifi仔s qui permettent aux 残rivains latins de revisiter les anciens genres au contact de probl士atiques in仕ites ou de questionnements nouveaux, ou bien m仁e de cr仔r de nouveaux genres, pr腎s prendre le relais pour une expression plus ajust仔 d'un imaginaire de plus en plus diversifi. La latinit va non seulement perdurer pendant des si縦les ; elle va encore produire des マuvres monumentales pendant toute l'antiquit, le moyen 曳e et les temps modernes ; elle sera pour longtemps la langue et la culture du christianisme occidental et de l'Europe intellectuelle, mais c'est l un autre h屍itageノ

 

Responsable acad士ique : Paul-Augustin Deproost  
Analyse : Jean Schumacher  
Design & r斬lisation inf. : Boris Maroutaeff

Derni俊e mise jour : 19 septembre 2020