OVIDE

Métamorphoses

Arachné et Minerve

VI, 1-145

 

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Tritonia : Minerve, la Tritonienne ou la déesse du Triton. Ce surnom aurait été donné à Minerve en souvenir d'un ruisseau de la Béotie ou d'un lac de Lybie près desquels elle avait des temples ; c'est même là qu'elle serait née. Certains mythographes pensent plutôt que Minerve Tritogeneia doit être distinguée de la déesse de l'Olympe et serait la fille d'un ancien dieu des eaux nommé Tritos, apparenté à Triton, dieu marin, fils de Neptune, et à Amphitrite ; elle aurait été chargée de l'éducation de l’Olympienne. Ici il s'agit bien sûr de Pallas-Athéna, la Minerve latine, fille de Jupiter, et Tritonia ne peut dès lors pas être traduit par « fille de Triton » (voir II, 787). En latin, Tritonius et ses dérivés désignent toujours Pallas ou des objets qui ont un rapport avec elle (voir e.g. tritonis, idis, l'olivier, consacré à Minerve).

Aonides, um : les Muses : elles habitent l'Hélicon, une montagne consacrée à Apollon sur le territoire des Aones, en Béotie. Aonia ou l’Aonie est le nom mythique de la Béotie.

probauerat : voir V, 271: uera refers meritoque probas artesque locumque (« [Ô déesse du Triton, disent les Muses,] tu dis la vérité et tu loues justement nos travaux et notre séjour »). Ce sens est confirmé par le verbe laudare qui suit. Observer le jeu phonétique avec le premier mot du chant, qui est un verbe au même temps : praebuerat.

iram : voir la fin du chant V où les Muses, offensées par le mépris des Piérides, les changent en pies ; le verbe sperni du vers 4 reprend aussi le verbe spernunt de V, 669, et carmina (v. 2) prolonge le vers V, 662 :  Finierat doctos e nobis maxima cantus. Les deux scènes présentent le point commun d'un défi lancé par des mortels contre les dieux.

sine poena : euphémisme quand on connaît les châtiments que les dieux offensés infligent aux humains.

Maeonia : désigne la Lydie, région d'Éphèse et de Smyrne, province d'Asie Mineure. L'histoire se passe effectivement en Lydie, un pays célèbre par ses arts du textile. Arachné est la représentante de l'artisanat oriental ; Pallas est celle de l'art grec qui l'emporte finalement sur l'Orient. Voir le premier mot du vers VI, 103 qui introduit la tapisserie d'Arachné : Maeonis.

v. 5 : versification très soignée : le vers est entouré d'un adjectif et d’un substantif qui se rapportent l'un à l'autre et qui relèvent du vocabulaire onomastique ; fatis annonce au centre du vers l’issue tragique de l’épisode, l'élément verbal animum intendit étant éclaté autour de ce mot. Schéma a B C B A.

laudibus : répond au verbe laudare répété au vers 3 : les louanges que l'on accordait à Arachné sont un obstacle à la louange de la déesse qui ne peut qu'en retirer ombrage.

audierat : plus tard l'habileté d’Arachné dans l'art du tissage deviendra proverbiale : voir IVV., II, 55 sq : fusum/Penelope melius, leuius torquetis Arachne (« Vous tournez le fuseau mieux que Pénélope, plus légèrement qu'Arachné »). La légende d'Arachné est introduite par la rumeur ; elle s’achèvera aussi par une allusion à cette même rumeur : voir VI,147.

Colophonius, a, um : Colophon est une ville d’Ionie (fr. colophane : « résine de Colophon »).

v. 9 : vers en fronton qui distribue symétriquement les adjectifs et les substantifs selon un schéma a b C A B.

Phocaicus, a, um : de Phocée, ville maritime d'Ionie, d'où est partie la colonie qui fonda Massilia ou Marseille, la cité phocéenne. Ce passage est un des rares endroits où Phocée est citée comme une ville productrice de pourpre ; la ville de Tyr était beaucoup plus célèbre pour cette production.

audierat… clara… aequa : ces trois éléments sont placés en rejet : la rumeur/ le talent/ le rang social insignifiant, tous éléments qui ne pouvaient qu'exciter la jalousie de Minerve. Ovide aime à décrire les petites gens et à faire valoir la jalousie des dieux à leur égard ; leur destinée n'est cependant pas toujours aussi funeste : voir e.g. le récit de Philémon et Baucis au chant VIII.

parua paruis : polyptote au milieu du vers, où les deux adjectifs sont séparés par la césure.

Hypaepa, orum : ville de Lydie, au sud de Sardes, sur la pente sud du Tmolos, également citée dans la légende de Midas en XI, 150 sq.

nomen memorabile / opus admirabile : les deux syntagmes occupent la même position dans le vers, en une construction parfaitement parallèle au neutre et isosyllabique : le souvenir de son nom est directement lié à la qualité de son travail qui forçait l’admiration.

saepe : mis en évidence en contre-rejet.

v. 15-16 : observer la construction parallèle des deux vers, moyennant un chiasme en finale, et le changement de temps : passage de l'imparfait ou PQP au parfait.

nymphae : les nymphes du Tmole, inconnues par ailleurs, peuvent être des Oréades, nymphes des montagnes, ou bien des nymphes plus proches de la végétation (uineta). Les nymphes des sources et des cours d’eau sont les Naïades. Les deux groupes de nymphes se retrouvent ici dans les nymphes de la montagne (le Tmole) et celles de l'eau (le Pactole).

T(i)molus, i : le Tmole est une montagne de Lydie.

Pactolis, idis : adj. du Pactole, fleuve de Lydie qui roule des sables d'or et qui prend sa source dans le Tmole. Ce fleuve, pourtant bien connu à cause de sa richesse aurifère, n'est pas cité ailleurs chez Ovide, et l'est fort peu dans la poésie latine classique. L'adj. en /-is/ est un hapax en latin.

v. 17 : ce vers est exclusivement composé de spondées à l’exception du cinquième pied dactylique (cf. V, 171).

v. 19 sq : observer les symétries siue…seu / siue…seu, qui décrivent respectivement le travail de l’étirement de la laine (v. 19-21) puis celui du filage et de sa décoration (v. 22-23). L’activité du filage de la laine est déjà bien décrite dans CATVLL., 64, 311 sq (le travail des Parques), où l'on trouve des expressions pareilles sinon identiques à celles qu'utilise Ovide et qui sont celles de la profession : laeua colum molli lana retinebat amictum, dextera tum leuiter deducens fila supinis formabat digitis, tum prono in pollice torquens libratum tereti uersabat turbine fusum (« La gauche tenait la quenouille, revêtue d'une laine moelleuse ; la droite, tirant légèrement les brins, leur donnait la forme avec les doigts relevés, ou bien, les tordant sur le pouce renversé, elle faisait tourner le fuseau, équilibré par le peson arrondi »).

subigebat : le verbe technique est ensuite expliqué : le travail des doigts consiste à étirer la laine (repetita longo tractu) et à tourner le fuseau (uersabat). Voir aussi ce vocabulaire technique en IV, 34 sq.

longo… tractu : l’hyperbate semble traduire le long mouvement qui consiste à démêler, à peigner ou à « carder » la laine ou les fibres textiles. L'étirement de la laine est ici évoqué par plusieurs mots : repetere, longus, mollire, tractus. La longueur du fil est doublement exprimée par l'enjambement et l'hyperbate (voir une hyperbate du même genre au vers 38 : istas…uoces ). Le rythme dactylique du vers semble traduire le mouvement répété de la fileuse.

nebulas : cette comparaison avec le nuage traduit la fascination d’Ovide pour la finesse, la légèreté de la trame d'un tissu, d'un fil qu'il compare ailleurs précisément avec le fil de l'araignée : voir IV,178.

pingebat : ce verbe apparaît 22 fois dans les Métamorphoses, pour 35 emplois dans toute l'œuvre de Virgile (dont seulement 17 pour l'Énéide) : la fréquence de ce verbe traduit le goût d’Ovide pour les sujets aux couleurs variées et chatoyantes : le paon, l'arc-en-ciel, les vêtements féminins, les coques des bateaux, le cortège de Bacchus, etc. Ovide a conscience d'être avant tout un « peintre » . Le verbe plus concret tingere est utilisé 28 fois dans les Métamorphoses pour 14 chez Virgile (voir notamment supra v. 9 pour évoquer l'Orient chez le père d'Arachné où l'on teint la laine) ; color apparaît 47 fois, pour 31 fois chez Virgile. Dans les Métamorphoses, le verbe pingere apparaît notamment dans les transpositions d'art, quatre fois au cours du duel Arachné-Pallas (voir aussi v. 71, 93, 131) et une fois lorsque Ovide compare Adonis aux Amours de certains tableaux (X, 516).

v. 24-25 : ces vers signent la condamnation d'Arachné. Son hybris est traduite dans le verbe negat, et annonce l'aveuglement absolu du v. 37 où elle accusera la déesse de perdre la raison.

anus : cette métamorphose en vieille femme est un procédé bien connu de la fable, et notamment ailleurs chez Ovide : voir I, 213 ; III, 275: Iuno simulauit anum posuitque ad tempora canos. Voir aussi dans les contes de fée.

v. 28-29 : ces deux vers sont un topos rhétorique que l'on trouve déjà dans la tragédie grecque : voir par exemple chez Euripide, le tragique le plus abondant en lieux communs : EVR., Phéniciennes, 528-530 : « Etéocle, mon fils, la vieillesse n'a pas tous les maux en partage, et l'expérience peut parler plus sagement que la jeunesse. » Ὦ τέκνον, οὐχ ἅπαντα τῷ γήρᾳ κακά, Ἐτεόκλεεϛ, πρόσεστιν. ἀλλ᾿ ἡμπειρία ἔχει τι λέξαι τῶν νέων σοφώτερον.

sperne : voir l'emploi du même verbe plus haut au vers 4 : mépriser le conseil des dieux est un acte d'aveuglement qui mérite un châtiment.

mortales : la divinité n'est pas opposée aux succès des mortels, pourvu qu'ils ne lui portent pas ombrage.

v. 32-33 : ces deux vers présentent une versification particulièrement expressive. La succession des dactyles sur les deux vers martèle vigoureusement l'injonction de la déesse. L’hyperbate tuis… dictis retarde à la fin du vers le mot dictis, qui doit exprimer l'orgueil de la mortelle ; et Ovide fait précéder ce mot de l'adjectif significatif temeraria, qui traduit exactement la faute d'hybris. Les coupes 3 et 7 mettent en évidence les trois parties du vers : cede deae (avec redondance phonétique) / ueniamque tuis, où le possessif isolé du substantif auquel il se rapporte prend une valeur absolue comme si toute l'attitude d'Arachné, et non seulement ses paroles, devait encourir le pardon / temeraria dictis (adjectif expressif). Le rejet supplice uoce roga marque la seule attitude acceptable qui reste à Arachné : l’attitude du suppliant, de celui qui implore le pardon des dieux et à laquelle pouvait correspondre tout un rituel religieux de purification. L’exigence d’humilité est, enfin, ponctuée par les deux impératifs cede / roga, qui entourent la phrase, et par la répétition à la césure et à la pause du v. 33 de deux formes du verbe rogare : roga / roganti.

aspicit : la valeur de ce verbe est mise en relief par sa position en tête de phrase et de vers pour traduire chez Arachné une attitude exactement inverse à celle que lui demande la déesse : attitude de provocation, d'autant plus insolente que le suppliant, prosterné et les genoux pliés, a normalement le regard tourné vers le sol. Le début des v. 32-34 oppose successivement les mots cede / supplice / aspicit. Par ailleurs, le verbe aspicit s'oppose immédiatement à roganti, qui est le dernier mot du discours de la vieille femme. La réponse d'Arachné est immédiate et aussitôt connotée d'une insolence caractérisée.

v. 34-35 : distribution contrastée des verbes et participes qui traduisent l'irritation d'Arachné : aspicit-relinquit aux deux extrémités du v. 34 ; retinens-confessa au milieu du v. 35.

v. 36 : distribution en fronton autour du verbe resecuta est.

v. 37-38 : ces vers portent en eux-mêmes leur condamnation : ils sont à la fois une insulte à la vieillesse et une accusation portée contre la déraison d'une déesse. La punition de l’outrage et du mépris à l'égard des personnes âgées est un lieu commun antique : voir e.g. VERG., Aen. VII, 440 sq, où Turnus insulte la Furie Allecto, déguisée aussi sous les traits d'une vieille prêtresse de Junon. Au v. 38, la ponctuation bucolique annonce un crescendo dans l'insulte : plutôt que d’obéir à l’injonction de la déesse et de se taire, Arachné répond par un ordre au subjonctif, audiat, et l’hyperbate istas… uoces en lecture verticale en fin de vers souligne le sens méprisant du démonstratif de la deuxième personne : istas, pour déterminer les uoces de la déesse en réponse à dictis du vers 32: « Garde tes paroles pour ta bru ou ta fille. » L'hybris d'Arachné avait été annoncée dès le v. 25.

v. 40 : observer la rencontre des deux pronoms de la première personne (me/mihi) autour de la coupe 7, et l'isolement de mihi, qui appartient syntaxiquement et sémantiquement au premier hémistiche : l'hybris d'Arachné ne consiste pas dans le fait d'être bonne conseillère, mais de prétendre l'être assez bonne pour elle-même et donc de refuser les conseils d'autrui, et notamment ceux d'une vieille femme ; du reste, les deux autres coupes 3 et 5 soulignent cette prétention. Consilii, au début du vers, est la réponse d’Arachné au consilium du v. 30 dans le discours de la vieille femme, et le groupement me/mihi répond au groupement meum/tibi du v. 30, également à la coupe 7 du vers. Noter, enfin, la ponctuation bucolique qui confirme la détermination de la mortelle dans sa suffisance.

v. 42 : observer l’équilibre de la versification autour de la coupe : anaphore de cur ; allitération uenit / uitat à la coupe et à la pause du vers ; déplacement de l'accent du vers comparable à ce que l'on constate déjà au vers 39 : si qua - si quast // Cur non - cur haec. Le dernier mot certamina reprend sous une forme substantive le premier mot de l'intervention d'Arachné au vers 25 : certet. La mortelle est tout entière tournée vers la provocation au combat contre la déesse.

v. 42-44 : le récit prend une autre tournure et amorce un élément de surprise sur un changement de temps très significatif : au v. 42, uenit est un présent (/e/ bref) ; au v. 43, la réponse de Pallas uenit est un parfait (/e/ long) : le passage du présent au parfait indique, de la façon la plus brève, la plus brutale possible, que la question d'Arachné est déjà dépassée, et que son châtiment est déjà décidé. D’autre part, le vers est entouré par les mots qui évoquent respectivement le vrai et le faux visage de Pallas : dea / anilem. Ces trois vers sont étroitement unis par une lecture verticale de leur premier hémistiche, assonancé à la césure du vers : uenit, ait, exhibuit. Le rejet du v. 43 Palladaque exhibuit manifeste le retour de la déesse avec tout le prestige de son nom divin Pallas.

nymphae : l’entourage d'Arachné ne partage pas l'hybris de l'insolente : ses anciennes admiratrices — les nymphes (v. 15-16) — et ses compatriotes — la Mygdonie désigne ici une province de Phrygie en Asie Mineure — accompagnent la déesse, pour isoler la jeune mortelle dans son hybris. La versification répartit les suivantes de Pallas de part et d’autre de la pause du vers 43 : nymphae, qui allitère avec numina / Mygdonidesque nurus en rejet, et leur oppose sola en inversion après la coupe du vers 44.

erubuit : observer la paronomase : erubuit… rubor. La combinaison des couleurs rouge et blanche dans la peinture de la beauté humaine, du trouble amoureux, de la mort d'un être cher, ou de la passion est un lieu commun de la poésie érotique (présence de lis et de roses ; incandescence de la brûlure d'amour ; voir e.g. VII, 78 : erubuere genae totoque recanduit ore, pour évoquer le trouble de Médée ; VIII, 33 : purpureusque albi stratis insignia pictis, où la combinaison du vêtement rouge et du coursier blanc de Minos provoque le trouble chez la fille de Nisus ; voir aussi I, 484 [Daphné] ; III, 423 [Narcisse] ; X, 594 [beauté humaine d’Atalante sans connotation érotique]). On observe aussi ce contraste pictural dans certaines descriptions de l'horrible : e.g. lorsqu'Hécube traîne ses cheveux blancs dans le sang coagulé avant de prendre la parole en XIII, 492 (voir plusieurs paragraphes sur ce thème dans S. VIARRE, L'image et la pensée dans les Métamorphoses d'Ovide).

subitus… rubor : distribution en fronton a b C B A, mais de part et d'autre de la pause entre les vers 45 et 46, qui souligne à la fois les deux adjectifs et le rejet de ora rubor. Ces deux derniers mots sont, du reste, phonétiquement proches et mis en valeur aussi par la coupe trihémimaire.

notauit : cette rougeur involontaire est peut-être considérée par Arachné comme une marque de faiblesse, éphémère certes, mais infamante de son point de vue.

rursusque euanuit : après la coupe trihémimaire qui semble traduire le premier instant de surprise, le vers poursuit sans césure pour souligner la détermination de la jeune fille.

purpureus : même rythme que ora rubor, placé aussi à l'intonation du vers : ce parallélisme dans le rythme et les sonorités (allitération des sons /r/) souligne la justesse de la comparaison : à la vue de la déesse, Arachné rougit, ne serait-ce qu’un instant, telle l’aurore qui s’efface devant la clarté du jour. On retrouvera bientôt (v. 63 sq) une autre comparaison colorée dans l'image de l'arc-en-ciel qui évoque, elle aussi, un phénomène céleste. Formellement, dans notre contexte, la comparaison avec la couleur de l'aurore marque le dernier moment de liberté d'Arachné, avant sa décision définitive, le moment où la couleur du ciel hésite encore entre l’obscurité de la nuit et la lumière du jour. Dans les Métamorphoses, les comparaisons d'états d'âme avec des phénomènes naturels ne sont pas qu’un exercice de style : elles marquent, tout autant que la métamorphose elle-même, cette unité fondamentale de l'humain et du cosmos, en perpétuelle mutation, en constant échange.

v. 50-52 : ces trois vers décrivent la détermination des deux personnages, mais celle d'Arachné est présentée sous une forme positive, tandis que celle de Pallas est triplement négative et litotique. Depuis le début de leur échange, Ovide a souligné la détermination commune de Pallas et d’Arachné dans les reprises de mots identiques, d’expressions similaires ou de structures parallèles.

perstat : en tête de vers et de phrase, ce verbe traduit la détermination suicidaire de la jeune fille, qui est la marque de son hybris et qui trouve son châtiment dans le rejet significatif du vers suivant : in sua fata ruit. Il faut aussi observer que le poète place aux deux extrémités de la phrase les deux verbes qui s'enchaînent dans l'ordre des causes et des effets : perstat/ ruit.

stolidae : hypallage : l'adjectif se rapporte grammaticalement à palmae, mais pour le sens à cupidine. L'hypallage permet notamment d'isoler cet adjectif dans le vers et de lui donner dès lors une force signifiante qu'il n'aurait pas s'il était à l'ablatif, à côté de cupidine. L’adjectif stolidus traduit chez Ovide trois fois la folie de ceux qui s'opposent aux dieux : ici ; en V, 305 pour les Piérides ; en XI, 175, pour Midas ; et trois fois la stupidité : celle d'Ajax contre Ulysse en XIII, 307 et 327 ; celle au superlatif de Télémus accusé de sottise par le cyclope Polyphème en XIII, 774 ; l'adjectif désigne aussi les Gètes dans les Tristes V, 10, 38.

certamina : réponse de Pallas aux provocations d'Arachné des v. 25 : certet, et surtout 42 : certamina, placé au même cinquième pied du vers, et à la fin du petit discours de la jeune fille.

v. 54 : parallélisme et allitération des consonnes initiales des deux adjectifs: a b Verbe A B.

v. 55-58 : ces vers sont cités par Sénèque, epist. 90, 20, sous la forme suivante : Tela iugo uincta est, stamen secernit harundo,/ inseritur medium radiis subtemen acutis,/ quod lato pariunt insecti pectine dentes. Dans le texte des Métamorphoses, la conjecture de Gruter pauiunt est appuyée par la lecture maladroite pariunt (« enfanter ») de Sénèque, ou aberrante pauent (« être troublé, craindre, redouter »), corrigées facilius en feriunt dans les manuscrits. Certaines éditions de Sénèque signalent que certains manuscrits reproduisent le texte d'Ovide tel que nous le connaissons dans les Métamorphoses, mais une correction savante a, bien sûr, pu intervenir au cours de la tradition manuscrite de Sénèque.

v. 56 : la structure du vers traduit elle-même cet enchevêtrement des fils : verbe expressif en tête du vers puis distribution entremêlée des adj. et des subst. a B A b (cf. v. 58).

tenues umbrae : les Romains, et en particulier Ovide, sont plus sensibles à la luminosité, aux reflets, à l'éclat des couleurs, qu'à leur timbre ; et dès le vers suivant, les fils d'Arachné et de Pallas vont être comparés aux différences chromatiques de l'arc-en-ciel. Ici l'éclat de la pourpre est opposé à des umbrae tenues, où l'on souligne plutôt le caractère sombre en l'absence de toute précision sur le timbre des couleurs. Cet exemple est très significatif puisqu'il s'agit d'un ouvrage de femmes et que, si l'on en croit J. ANDRÉ dans son livre sur Les termes de couleur dans la langue latine, Paris, 1950, les femmes distinguent mieux les couleurs que les hommes. L’expression tenues umbrae est courante dans la poésie classique pour désigner un état opposé à celui de la lumière éblouissante du soleil, mais aussi pour désigner l'ombre de la mort. Ici il ne s'agit pas d'une opposition entre lumière et ombre, mais bien d'un transitus colorum, d'une nuance (all. Schatten : ombre, ombrage; Schattierung : dégradé, gradation, nuance). Les couleurs s'échangent avec de délicates « nuances », tout à fait comparables à celles de l'arc-en-ciel.

qualis…solet : introduit une nouvelle comparaison (cf. v. 46 : ut solet ). Les termes de la comparaison reprennent les éléments de la description qui précède : percussis rappelle percusso du v. 58 ; les rayons du soleil frappés par la pluie sont pareils au peigne du métier frappé par la tisserande. La comparaison se fait donc à double sens : le poète utilise dans le comparant un mot à valeur métaphorique qui dans le comparé avait un sens technique. Bien que la description de l'arc-en-ciel soit usuelle depuis la poésie homérique (voir e.g. Il., XI, 26 sq, et la figure mythologique d'Iris: VERG., Aen. IV, 700 sq [fin de l'épisode de Didon] : Iris croceis per caelum roscida pinnis mille trahens uarios aduerso sole colores), cette comparaison entre le jeu de couleurs d'un tissu et celui de l'arc-en-ciel semble unique et propre à Ovide.

v. 63 : observer l’allitération des sons /s/ dans le deuxième hémistiche.

v. 64 : nouvelle distribution entrelacée a b A B. La rencontre des deux adjectifs ingenti et longum au centre du vers donne à la comparaison et au récit une dimension grandiose ; cette impression est, du reste, augmentée par la longueur des mots dans le vers, le rythme spondaïque des deux adjectifs, entourés de dactyles, la répétition de l'initiale /in/ au début du vers, l’allitération du /c/ à l'initiale des deux derniers mots.

diuersi : observer l’hyperbate qui souligne l’adjectif au début de la comparaison.

spectantia lumina : l'expression pléonastique ou l'hypercaractérisation d'un mot par un attribut pléonastique font partie intégrante du discours poétique baroque, mais aussi classique, dans lequel elle induit une surenchère maniériste de l’effet : nombreux exemples chez Virgile et ailleurs dans les Métamorphoses (voir commentaire de Bömer, à met. VI, 66, p. 25) : voir e.g. met. I, 639 : saepe solebat ; V, 291 : e summae culmine turris ; VII, 184: muta silentia ; etc.

illic et : anaphore de l’expression qui introduisait déjà le vers 61, où Ovide évoquait la couleur et les nuances colorées des tapisseries ; ici, il en évoque plutôt la richesse des fils, soulignée par le poids des spondées qui rythment la totalité du vers, à l’exception du cinquième pied.

deducitur : la polysémie de ce mot est particulièrement bienvenue dans le contexte. Les images du tissu et du poème se rejoignent dans ce vers où la confection s'exprime dans des termes ambivalents qui renvoient à la fois à l'art de la tapisserie et à celui de la poésie. Le verbe retrouve ici son acception première, qui désigne la technique du tissage, mais il est joint à un argumentum qu'il faut comprendre comme le sujet double des tapisseries et d'un discours littéraire. En ce début du chant VI, les deux toiles sont une métonymie de l'art même des Métamorphoses, conçues comme une vaste broderie poétique aux motifs multiples, aux couleurs chatoyantes, aux tons fondus entre eux, comme l'arc-en-ciel auquel sont comparés les ouvrages des deux rivales.

argumentum : la prosodie de ce mot induit un spondée au cinquième pied qui dégage une impression de solennité ou de gravité.

v. 70-71 : ces deux vers mettent en place le sujet choisi par Pallas, à savoir la rivalité qui l’a opposée à Neptune/Posséidon à propos du nom d'Athènes. Divers procédés leur confèrent une ampleur majestueuse : l'accumulation des noms propres, le rejet de pingit, les trois spondées qui succèdent à ce verbe. La tonalité de l'œuvre de Pallas est dominée par la gravité des dieux et la figure royale de Jupiter.

cecropia : Cécrops est le fondateur légendaire d'Athènes. On lui attribue la fondation du premier établissement d'Athènes sur l'Acropole, vers le 16e s. ACN : la ville portait alors le nom de Cecropia. Plus tard, conquise par le clan de Marathon, tribu ionienne qui fit l'unité de l'Attique sous le roi Thésée, Cecropia devint Athenai. Cécrops avait été l'arbitre de la querelle entre Athéna et Posséidon pour la possession de l'Attique. Son tombeau était situé sur l'Acropole, dont un des plus anciens sanctuaires portait son nom, le Cecropion, placé derrière la tribune des Caryatides à côté de l'Erechtheion. Entendue strictement, la « citadelle de Cécrops » désigne donc l'Acropole. Cela étant, Ovide se trompe en situant l'Aréopage ou « le rocher de Mars » in arce — il était, en effet, situé au nord-ouest de l’Acropole —, à moins que l'on comprenne l'arx dans le sens plus général de la « ville », attesté ailleurs chez Ovide : voir e.g. met. XIII, 44: Phrygias…ad arces, pour désigner la ville de Troie.

Pallas… pingit : à l'inverse des règles anciennes de la progression dramatique et rhétorique, Ovide commence par décrire le travail de la déesse qui remportera la victoire dans ce certamen (cfr. v. 75 sq, où Ovide décrit d'abord le vaincu Neptune, ou bien V, 294 sq, où Ovide rapporte d'abord le chant des Piérides avant celui des Muses). Mais peut-être y a-t-il ici un clin d'œil de la part d'Ovide : sans doute Arachné sera-t-elle vaincue dans les faits, mais symboliquement c'est peut-être pour Ovide une façon de montrer que, malgré cette défaite, lui-même croit intérieurement à la victoire de la mortelle et de son esthétique ; Ovide est, en effet, un poète aux affinités plus dionysiaques qu'apolliniennes.

scopulum Mauortis : le « rocher de Mars » désigne l’Aréopage, du grec Ἄρειος πάγος, que traduit littéralement l’expression latine. Mauortis est le génitif de l’archaïque Mauors, qui était peut-être à l'origine un surnom de Mars.

litem : il est déjà question de ce différend chez Hérodote (VIII, 55). Cet événement est notamment représenté sur le fronton ouest du Parthénon, auquel pense peut-être Ovide dans l’organisation très classique et symétrique de son ekphrasis.

bis sex : Jupiter, le dieu suprême, préside la scène représentée par Pallas, entouré des Olympiens assis autour de lui en deux groupes de six. On appelait, en effet, Olympiens les douze dieux principaux : Jupiter, Neptune, Pluton, Mars, Vulcain, Apollon, Junon, Vesta, Minerve, Cérès, Diane et Vénus. Cette disposition, qui fait converger treize regards sur l'emplacement restreint où les prodiges sont produits, permet une composition triangulaire pointée vers le bas, si tous les dieux sont assis le long d'une ligne droite, ou vers le haut, si l'on imagine, ce que le texte ne dit pas, que Jupiter est en position surélevée et que les dieux forment autour de lui les deux versants d'une pyramide. Quoi qu'il en soit, la conception de ce premier motif est sculpturale ou architecturale. Elle présente cependant une difficulté : normalement Pallas et Neptune font partie des Douze Olympiens ; or ici ils ne sont pas assis avec les bis sex, mais sont présentés debout à l'avant-plan de la scène ; de plus, Jupiter fait lui-même aussi partie des douze Olympiens ; or, sans que cela soit clairement dit, il apparaît ici comme un treizième, probablement pour respecter la symétrie de la composition. Sans doute faut-il dès lors comprendre bis sex dans un sens plus plastique que strictement conforme à la vérité mythologique, le collège des Olympiens étant ici arithmétiquement perturbé pour des raisons esthétiques.

medio Ioue : comme il se doit pour un roi ; par ailleurs, pour qu’il soit « au milieu », il faut bien imaginer une composition qui présente à ses côtés deux groupes symétriques, en l’occurrence de six personnages.

sedibus… sedent : figure étymologique.

augusta grauitate : cette alliance de mots est particulièrement expressive pour un Romain : l'adjectif lui rappelle le titre impérial d’Auguste, et la grauitas est la vertu romaine par excellence, qui rappelle les origines paysannes d’une société attachée aux valeurs du « poids » de la terre (grauis) : « noblesse, dignité, élévation, solennité », sagesse des décisions prises avec gravité et le temps de la réflexion. L’expression est d'autant plus significative ici qu'elle s'applique aux dieux du ciel, et qu’elle apparaît en tête de vers.

inscribit : induit l’idée d’une composition qui ressemble à une inscription dans la pierre. Observer le rejet qui met cette idée en évidence ; plus loin, dans la tapisserie d'Arachné, Ovide utilisera le verbe reddidit, également en rejet, pour évoquer la « forme propre » des êtres et des choses représentés dans la composition de la mortelle, mais la perspective esthétique sera très différente.

deum pelagi : l'ekphrasis de Neptune n'occupe que 3 vers (v. 75-77) ; celle de Pallas, qui se soigne évidemment davantage, occupe 5 vers (v. 78-82). Ovide retrouve ici le schéma classique qui décrit d'abord le vaincu avant le vainqueur.

medio e uulnere saxi : très belle image, originale et inhabituelle, qui mêle une fois de plus un élément minéral et une métaphore humaine ; cf. plusieurs autres exemples dans le monde ambigu des Métamorphoses. L'image était préparée par le verbe ferire.

fretum : désigne la source d'eau salée (θάλασσα) que, selon les auteurs grecs, le dieu de la mer fit jaillir du rocher ; cela étant, Virgile, dans le prologue de sa première Géorgique (I, 12-14), et plusieurs commentateurs latins des IVe et Ve siècles affirment qu'à cette occasion, Neptune donna plutôt naissance à un cheval. Fort de cette lecture et en se fondant sur l'étude de la tradition manuscrite, Charles Doyen a récemment proposé de préférer ici la leçon ferum, qui désignerait un « grand animal sauvage », en l'occurrence un cheval, apte à la guerre, par opposition à l'olivier de Minerve, symbole de paix et de civilisation (Ch. DOYEN, Un cheval sur l'Acropole ? [Virgile, Géorg., I, v. 12-14 ; Ovide, Métam., VI, v. 75-77], dans LEC, t. 75 (2007), p. 461-465).

v. 80 : vers « en fronton » :  a b Verbe B A ; noter aussi les allitérations des sons /s/. Le geste de Pallas rappelle celui de Neptune au vers 75 : percussam // ferire, mais il s’agissait alors d’un rocher d’où a surgi l’eau de la mer. On observera la proximité phonétique entre le fretum ou ferum provoqué par Neptune (v. 77) et le fetum produit par la terre sous les coups de Pallas (v. 81). Comparer avec I, 283 où le geste de frapper la terre est appliqué curieusement et précisément à Neptune : ipse (Neptunus) tridente suo terram percussit ; le parallèle est d'autant plus intéressant que ce sont les deux seuls endroits où Ovide emploie cette alliance de mots. Pallas met tout en œuvre pour composer sa toile selon une organisation parfaitement symétrique et classique : dans cette scène centrale, tout est rigoureusement symétrique, depuis l’attitude des spectateurs jusqu’à celle des deux adversaires et à l'expression des résultats respectifs de cette joute : fretum/ fetum.

mirarique deos : rejet expressif qui souligne l’admiration unanime des dieux olympiens devant la supériorité de Pallas sur le dieu de la mer. A fortiori, Arachné devrait-elle comprendre la folie de son audace. En réalité, la légende rapporte que Jupiter n'a émis aucune opinion, que les dieux ont voté pour Neptune et les déesses, majoritaires d'une voix suite à l'abstention de Jupiter, ont voté pour Pallas : l'admiration des Olympiens pour l'œuvre de Pallas n'était donc pas aussi unanime que le prétend Ovide.

finis : conclut la scène centrale ; cf. v. 102 : finem, qui conclut aussi les scènes secondaires : la composition de Pallas est parfaitement encadrée et définie, comme il se doit dans une œuvre classique. Par ailleurs, achever la scène principale par la représentation d'une Victoire est hautement prémonitoire de l'issue du certamen qui oppose la déesse, déjà victorieuse dans son combat contre l’Olympien Neptune, et la mortelle Arachné.

v. 87-89 : trois vers sont consacrés à cette première représentation secondaire.

Rhodope, es : f. le Rhodope (montagne de Thrace).

Haemus, i : m. Hémus, roi de Thrace, fils de Borée et d'Orithye d'Athènes, et mari de Rhodope. Aspirant aux honneurs divins, le roi Hémon et la reine Rhodope voulurent se faire adorer sous les noms de Jupiter et de Junon. Cette folle prétention indigna les dieux qui les changèrent l'un et l'autre en deux montagnes, selon les uns ou, selon d'autres légendes, en une seule montagne, le mont Rhodope ou Hémus en Thrace ; selon d'autres traditions, Rhodope et Hémus étaient frère et soeur. C'est sur le sommet du Rhodope que les poètes placent Mars, lorsqu'il examine en quel endroit de la terre il exercera ses fureurs.

v. 88 : observer le chiasme des deux adverbes opposés aux deux extrémités du vers : nunc… quondam, et le parallélisme syntaxique des mots intérieurs.

summorum : mis en évidence par l'hyperbate.

v. 90-92 : comme la première, la deuxième scène occupe elle aussi trois vers et son verbe central est habet (v. 87 et 91).

v. 90 : construction a B b A, qui place fatum au centre du vers.

Pygmaeus, a, um : de Pygmée. Les Pygmées sont un peuple fabuleux qu'on disait avoir existé d'abord en Égypte, aux sources du Nil, puis en Thrace : ce sont des hommes de toute petite taille, mesurant tout au plus une coudée de haut. Leurs femmes étaient mères de famille à l'âge de trois ans, et très vieilles à huit ans ; leurs villes et leurs maisons n'étaient bâties que de coquilles d'œufs ; à la campagne, ils se retiraient dans des trous qu'ils faisaient sous la terre ; ils coupaient leur blé avec des cognées, comme pour abattre une forêt. Ils menaient chaque année une guerre contre les grues qui venaient de la Scythie pour les attaquer. La mère des Pygmées, Oinoé ou Gerana, irrita les dieux, surtout Junon et Diane, en voulant se faire rendre les honneurs divins, et elle fut transformée en grue, devenant ainsi une ennemie jurée de son propre peuple. Ce certamen contre Junon n'est pas connu des légendes anciennes. Comme Arachné, elle mène un certamen contre une déesse (v. 91).

Antigone, es : à ne pas confondre avec Antigone, la fille d'Œdipe ; ici il s'agit d'une Troyenne, fille du roi Laomédon, et soeur de Priam, qui se vantait d'avoir des cheveux aussi beaux que ceux de Junon. La déesse en fit des serpents et les dieux transformèrent Antigone en cigogne, ennemie des serpents. Selon certains, Antigone aurait même été la maîtresse de Jupiter. Ovide ne se prononce pas sur la cause de sa punition ; il ne retient que son opposition à Junon dans le verbe contendere. C'est la deuxième scène qui implique Junon dans un châtiment, mais on connaît le caractère irascible de la déesse !

Ilion, ii : n. Ilion ou Troie, patrie d'Antigone, fondée par Posséidon et Apollon pour son père Laomédon.

v. 96-97 : ces deux vers soulignent l’orgueil, la vanité et la frivolité du personnage transformé en un oiseau qui s’applaudit lui-même. En général, la cigogne était un symbole de pietas, à cause de sa fidélité conjugale et son souci pour sa progéniture ; cette métamorphose punit peut-être les écarts conjugaux de Jupiter avec Antigone attestés par certains mythographes. Le vers 97 traduit phonétiquement le bruit des claquements de bec dans les allitérations des gutturales, dentales et liquides. Les deux mots ciconia rostro sont les deux derniers mots de la phrase qui décrivent enfin le résultat de la métamorphose. Cette troisième scène est la plus longue ; elle s'étend sur 5 vers.

superest solus : pléonasme épique : voir e.g. VERG., Aen. V, 225: solus iamque ipso superest in fine Cloanthus.

Cinyras : roi d’Assyrie, dont on trouve la légende en met. X, 298 sq, où Ovide raconte l'union incestueuse de Cinyras et de sa fille Myrrha. Cette quatrième scène occupe à nouveau 3 vers, comme les deux premières.

v. 101 : Verbe C a B b A.

oleis pacalibus : l'expression oleae pacales est une expression rare : voir encore VII, 498, même si l'image est traditionnelle. L'olivier est un symbole de paix, antique et biblique ; dans la Genèse, la colombe lâchée par Noé revient avec dans le bec un rameau tout frais d'olivier, signifiant ainsi que les terres ont réapparu après avoir été submergées par le déluge. Il est significatif que Pallas achève son ouvrage par ce symbole qui apparaît à la fois comme une signature et un ultime avertissement : il est l’attribut d’Athéna, comme Ovide le rappelle au dernier vers de la composition (v. 102), mais, en même temps, il est un signe de paix, comme si Pallas voulait encore donner une dernière chance à Arachné, avant que celle-ci ne s'engage irrémédiablement sur le chemin de la guerre. Les représentations d'Arachné seront précisément, à l'inverse de cette ultime allusion à la paix, des scènes marquées par l'agressivité et la violence, surtout sexuelles, des dieux. Il faut cependant observer que les scènes de Pallas n'étaient pas moins menaçantes ; et cet appel à la paix intervient entre les bruits de guerre de Pallas et l'agressivité d'Arachné. On comparera aussi ce symbole de paix qui conclut la toile avec la représentation de la Victoire de Pallas qui concluait la scène centrale de la tapisserie. Car le message est clair : toute paix n'est possible que si elle débouche sur une victoire de Pallas.

finem : cf. finis (v. 82) : l'écho est évident : il y a une relation étroite entre l'achèvement de la scène centrale de la toile et l'achèvement de la toile entière, qui se terminent respectivement par les mots finis et finem, en évoquant la figure de Pallas et le symbolisme de l'olivier : au centre de son ouvrage, la déesse termine par une Victoire, pour montrer clairement ses intentions en cas de poursuite des hostilités ; à la fin de son travail, elle laisse poindre une dernière chance d'obtenir la victoire sans devoir livrer un combat destructeur pour la mortelle. La toile d'Arachné sera elle aussi bordée d'une frise végétale.

elusam : mis en évidence avant la coupe penthémimère, ce deuxième mot du vers 103 donne le thème général des représentations d'Arachné : sa tapisserie est une suite de variations sur la tromperie et l'illusion.

designat : ce verbe n'est pas seulement choisi pour éviter la répétition de pingit ; il suggère une minutie dans le détail qui anticipe sur le vers suivant.

Europam : ce personnage est bien connu par l'épisode qu'Ovide lui a déjà consacré (II, 833-875). Cette légende introduit et éclaire les légendes moins répandues qui vont suivre. L'image d'Europe est celle qu'on voit sur les peintures et les mosaïques, le visage effrayé et tourné vers la terre, le corps recroquevillé ; on notera l'image délicate et émouvante de la jeune fille apeurée retirant ses pieds en arrière. Europe joignait à une incomparable beauté une blancheur si éclatante qu'on la soupçonnait d'avoir dérobé le fard de Junon. Un jour Jupiter, épris d'amour, la voyant jouer sur le bord de la mer avec ses compagnes, se change en taureau, s'approche de la princesse d'un air doux et caressant, se laisse orner de guirlandes, prend des herbes dans sa belle main ; il reçoit ensuite la jeune fille sur son dos, s'élance dans la mer et gagne à la nage l'île de Crète sur les rivages de laquelle il s'unit à Europe. Europe est donc la victime pathétique d'une passion divine qui perturbe soudain l'ordre humain. Le ton est ainsi donné ; et les histoires s'enchaînent les unes les autres avec une prolixité qui traduit la rancune d'Arachné contre la violence des dieux. Cette rancune ne peut que répéter la même histoire aussi longtemps que la tapisserie n'est pas totalement occupée. En rejet au deuxième vers de la toile d’Arachné, Europam fait écho au rejet pingit du v. 71, qui ouvrait le deuxième vers de la toile de Pallas. Déjà dans l'épisode du livre II, Ovide avait décrit toute la distance qui sépare l'image traditionnelle de Jupiter, roi des dieux et des hommes, et la métamorphose animale que lui inspire son désir amoureux ; la majesté du personnage divin est disqualifiée dans la violence d'un érotisme incontrôlé où l'amant est obligé de se transformer en animal pour satisfaire ses instincts. On est loin du Jupiter souverain qui présidait le jury olympien au centre de la tapisserie de Pallas.

uerum : Ovide répète l'adjectif uerus et souligne sa répétition d'un chiasme, d'allitérations et d'un lourd rythme spondaïque ; on notera aussi l'opposition des quantités entre les deux substantifs taurum (spondée) — freta (pyrrhique), et l'échange des accents du vers uerúm — uéra. L'esthétique de cette toile est sans rapport avec celle de la tapissere précédente : prolixité et illusionisme sont en effet les caractéristiques de l'ouvrage d'Arachné. Dans l'antiquité, on fait traditionnellement gloire aux artistes qui imitent la nature au point qu'on ne puisse distinguer la vérité de l'artifice. C'est ainsi que Zeuxis avait peint des raisins si ressemblants que les oiseaux eux-mêmes venaient les becqueter ; Parrhasius, Protogène, Apelle ou Myron étaient capables des mêmes prodiges. Mais autre chose est le traitement du réel dans une œuvre présentant des dieux et dans une œuvre présentant des hommes et des natures mortes. Dans le premier cas, le génie de l'artiste est de sublimer la figure humaine pour lui faire signifier la divinité et l’autorité de son ordre ; dans le second cas, il est de saisir le secret de la vie et de ravir à la nature la complexité de son bouillonnement pour en traduire toute la diversité. Arachné savait exprimer le réel comme Zeuxis, mais son esthétique en pervertit le classicisme en humanisant les dieux dans les défauts humains et en bousculant l’ordre apollinien dans une composition qui procède par répétition et qui cherche son effet non dans le resserrement de l'expression, mais dans son abondance et son chaos. Les cinq dieux qu'elle représente sont interchangeables, vivant tous la même aventure. L'ekphrasis évite la monotonie par toute une série de variations qui traduisent la virtuosité du poète, non sans révéler aussi une certaine idée des rapports entre les dieux et les hommes.

timidasque : emploi de l'adjectif pour l'adverbe.

reducere : plusieurs manuscrits notent recludere, qui convient aussi pour la métrique, mais qui s'explique mal du point de vue du sens : « ouvrir les pieds » ; d'autres ont recondere, tout aussi satisfaisant métriquement, avec un sens voisin de reducere : « replacer, remettre à la place primitivement occupée, placer en arrière, mettre en réserve, mettre de côté, serrer, placer loin des regards, cacher, dissimuler, enfouir. » Paléographiquement, on s'explique la faute recludere, par une graphie mal liée /cl/ du /d/ de reducere (ductus en deux temps de la lettre d avec haste montante verticale, dès la semi-onciale et dans la minuscule caroline), la finale /dere/ s'imposant alors pour retrouver une forme qui fait sens ; recondere est une correction savante à partir de recludere. Reducere est la leçon retenue par les éditeurs, alors qu'elle n'est attestée par aucun manuscrit conservé (dans l'édition de G. Lafaye, s désigne les manuscrits utilisés par H, l'édition de Nicolas Heinsius au XVIIe siècle ; ω désigne les trois editiones principes des Métamorphoses).

Asterie, es : Astérie, la sœur de Latone, est devenue une caille poursuivie par Jupiter transformé en aigle. Audacieuse métamorphose amoureuse de Jupiter pour s'approcher de la jeune fille, comme celle du cygne au vers suivant.

Leda, ae : est devenue la mère des jumeaux Castor et Pollux, après avoir été séduite par Jupiter, sous la figure d'un cygne, sur les bords du fleuve Eurotas.

Nyctēis, idis : f. nom grec : Antiope, la fille de Nyctée, roi de Thèbes, était célèbre dans toute la Grèce pour sa beauté ; elle fut séduite par Jupiter métamorphosé en satyre, et mit au monde deux jumeaux, Amphion et Zéthus, sur le mont Cithéron.

te : à partir du v. 112, le poète intervient personnellement dans son récit en évoquant à la deuxième personne les personnages représentés sur la toile d'Arachné (v. 115, 116, 118).

Tirynthia : désigne Alcmène, la Tirynthienne (Tirynthe, ville d'Argolide), mère d'Hercule. Amphitryon, fils d'Alcée et petit-fils de Persée, ayant tué par mégarde Électryon, roi de Mycènes, son oncle et père d'Alcmène, s'éloigna d'Argos, sa patrie, et se retira à Thèbes où il épousa sa cousine. Celle-ci mit à ce mariage une condition : Amphitryon devait venger la mort de son frère tué par les Téléboens, habitants de petites îles de la mer Ionienne, voisines d'Ithaque. Pendant cette expédition, Jupiter vint trouver Alcmène sous les traits d'Amphytrion et la rendit mère d'Hercule.

Danae, es : Danaé a été séduite par Jupiter transformé en pluie d'or et elle donna naissance à Persée.

Asopis, idis : il s’agit d’Égine, la fille du dieu-fleuve Asope, dont le torrent issu du Cithéron se jette dans la mer d'Eubée. Fils de l'Océan et de Téthys, Asope avait appris, sur la dénonciation de Sisyphe, que Jupiter avait séduit sa fille Égine et il entreprit de faire la guerre au dieu indélicat. Il grossit ses eaux, déborda et alla désoler les campagnes voisines de son cours. Après s’être changé en feu, Jupiter foudroya et mit à sec ce fleuve incommode, dans le lit duquel on trouve, depuis lors, des charbons. Éaque, le juge des Enfers chargé de juger les Européens, naquit de l'union de Jupiter avec Égine, mais Ovide est le seul à rapporter la version de la légende selon laquelle Jupiter se serait métamorphosé en feu pour séduire la jeune fille,… à moins qu’il ait confondu les chapitres de l’histoire !

Mnemosyne, es : Mnémosyne, déesse de la mémoire, fut une des sept femmes de Jupiter dont elle conçut les Muses. Ovide cite Mnémosyne seulement à cet endroit, les autres poètes augustéens ne la citent pas.

Deois, idis : Perséphone ou Proserpine, fille de Déo-Céres ou Déméter et de Jupiter. Séduite elle-même par Jupiter, métamorphosé en serpent, Perséphone donna naissance à un fils, le Dionysos chthonien, Dionysos Zagreus, appelé aussi le premier Bacchus.

Aeolius, a, um : désigne Canacé, la fille d’Éole. De l'union de Neptune et Canacé sont nés cinq fils. Mais Canacé est mieux connue par son amour incestueux pour son frère Macareus, cité au vers 124.

Enipeus : après avoir pris les traits du dieu-fleuve de Thessalie, Énipée, Neptune a séduit Iphiomédie, l'épouse d'Aloeus, qui a ainsi donné naissance à Iphialte et Otus, aussi appelés les Aloides. Une autre légende raconte la métamorphose de Neptune en le même fleuve pour s'approcher de Tyro, la fille de Salmonée : voir OV., am. III, 6, 43 ; epist. XVIII, 132, depuis HOM., Od. XI, 235 sq.

Bisaltis, tidis : désigne Théophané de Thrace, la fille de Bisalte, qui devint par son union avec Neptune mère du bélier à la Toison d'or.

v. 118-120 : observer l’anaphore de mater comme dernier mot du v. 118 et premier mot du v. 120 ; les sonorités du deuxième hémistiche du v. 118 marquées par la répétition des sons /c/ et /cr/ ; l’anaphore du verbe sensit, éminemment érotique dans ce contexte, à l’intonation du v. 119 et à la coupe des v. 119 et 120, avec un échange des accents du vers. Au v. 119, on peut même penser à une triple coupe qui isole sensit au milieu du vers. Le jeu des coupes met également en relief la répétition uolucrem/ uolucris.

mater : il s'agit de Cérès, la déesse à la chevelure blonde (flaua comas) parce qu'elle est la mère des moissons. Après avoir été aimée de Jupiter, dont elle eut Prosperpine, Céres fut aimée de Neptune, et pour échapper à sa poursuite, elle se changea en jument. Le dieu s'en aperçut et se métamorphosa en cheval. Les amours de Neptune et de Cérès ont donné naissance au cheval Arion.

colubris : désigne les serpents qui forment la chevelure des trois Gorgones, et plus particulièrement celle de Méduse, la mère du cheval ailé Pégase. Méduse, la reine des Gorgones, était une jeune fille d'une beauté surprenante, mais, de tous les attraits dont elle était pourvue, il n'y avait rien de plus beau que sa chevelure. Neptune en devint amoureux, mais pour la séduire il devait se faire aussi rapide qu’elle. Après s'être transformé en oiseau, il la transporta dans un temple de Minerve où il s’unit à elle pour donner naissance à Pégase. Minerve en fut si irritée qu'elle changea en affreux serpents les beaux cheveux dont Méduse se glorifiait, et donna à ses yeux la force de changer en pierres tous ceux qu'ils regardaient. Plus tard, Minerve attachera au centre de son égide la tête de Méduse, tuée par Persée,  pétrifiant ainsi les adversaires qui osent la regarder en face.

Melantho, us : f. selon cette légende mal attestée, Mélantho est la fille de Deucalion et elle a engendré, par son union avec Neptune sous la figure du dauphin, Delphos, le héros éponyme de Delphes.

v. 121 : uariatio stylistica et chiasme : au milieu du vers, anaphore de faciemque frappé du même ictus métrique, mais avec deux constructions différentes pour l'objet dont on rend l'aspect : un datif (omnibus his) et un génitif objectif (locorum). Par ailleurs, le verbe principal reddidit est placé en rejet expressif au vers suivant, dont il occupe le premier pied dactylique (cf. supra inscribit).

v. 123 : observer le chiasme.

accipitris : cette métamorphose d'Apollon est inconnue par ailleurs, mais on trouve, dans la poésie homérique ou chez Aristophane, des expressions qui associent Apollon et l’épervier : ainsi, en Il. XV, 237, au moment où Apollon descend du ciel pour soigner Hector blessé par une pierre, le dieu est ἴρηκι ἐοικώς, « semblable à un épervier ou au faucon » ; en Od. XV, 526, le faucon est présenté comme le prompt messager d'Apollon ; en ARIST., Oiseaux, 516, « Zeus se tient debout avec un aigle sur la tête, en sa qualité de roi ; sa fille avec une chouette et Apollon, comme secrétaire, avec un épervier ». Chez Ovide, en met. XI, 344, Apollon change Dédalion en accipiter.

terga leonis : légende qui n'est pas non plus connue par ailleurs. Deux interprétations sont possibles : Apollon a revêtu la peau d'un lion, comme Héraclès ; Apollon a pris la forme d'un lion, et s'est donc métamorphosé en lion, ce qui semble l'interprétation la plus probable dans ce contexte.

Macareis, idis : f. Issa (Isse, es) est effectivement la fille de Macarée qui était le fils d'Éole et qui joua un rôle dans les anciennes légendes comme roi de Lesbos. La légende évoquée ici est peu connue. Issa est l'ancienne héroïne éponyme de l'île de Lesbos, dont la ville d'Issa a conservé le nom.

Liber : est à l'origine une vieille divinité latine, qui sera confondue plus tard avec Bacchus, le dieu de la vigne et du vin. Les amours de Bacchus et d'Érigone sont inconnues par ailleurs. En revanche, Érigone est connue pour sa piété filiale : après qu’Icarius, ami de Bacchus, eut été tué par des bergers de l'Attique auxquels il avait fait boire du vin, sa fille Érigone, accompagnée de Moera, sa petite chienne, découvrit l'endroit où son père avait été enterré et se pendit de désespoir. Ému d’une telle piété, Jupiter plaça Érigone dans le ciel, où elle est devenue la constellation de la Vierge ; Moera, sa chienne sagace et fidèle, est devenue la constellation de la Canicule.

geminum Chirona : le centaure Chiron, « à la nature double » puisqu’à la fois homme et cheval, est issu de l'union de Saturne et de la nymphe Philyre (l'épouse légitime de Saturne est Rhéa, dont il eut trois fils : Jupiter, Neptune et Pluton, et une fille Junon, soeur jumelle et épouse de Jupiter). Chiron est devenu la constellation du Sagittaire.

v. 128 : versification entrelacée très descriptive : a B A Verbe b.

hederis : en réponse à la bordure d'oliviers dont Pallas entoure sa tapisserie comme en une signature personnelle, les entrelacs végétaux d'Arachné, qui mélangent les fleurs et le lierre, la plante de Bacchus, sont une signature dionysiaque de la tapisserie de la mortelle, qui en confirme l'esthétique à la fois cumulative et chatoyante.

v. 129 : vers constitué d'une suite de spondées, à l’exception du cinquième pied dactylique.

illud… illud : échange des accents du vers sur les deux déterminants en anaphore.

possit opus : rejet expressif, chiasme des sonorités et césure 3 pour souligner l’impuissance de la déesse devant la perfection du travail de son adversaire.

doluit : mise en évidence du verbe en tête de phrase et après la coupe 3. Cette souffrance de la déesse et sa colère qui suit sont la meilleure reconnaissance que pouvait donner le poète de la qualité esthétique de la tapisserie d'Arachné. Mais il n'est dit nulle part que cette tapisserie est plus belle que celle de Pallas : Ovide ne pouvait pas se permettre une telle insolence à l'égard des dieux et conclure un conflit entre une mortelle et une déesse comme Athéna par l’humiliation de la divinité. Plus qu'un chagrin, ce verbe traduit le dolor, l'ira ou le furor dont souffrent les héroïnes de tragédies ou certaines déesses.

pictasuestes : pluriel poétique. Quatrième apparition du verbe pingere dans le duel Arachné/Pallas : voir aussi v. 23, 71, 93.

caelestia crimina : définit le contenu insolent de la tapisserie d'Arachné : « les fautes des dieux », ou bien, selon certains commentateurs qui ont compris l'adjectif caelestia comme un substitut d'un génitif objectif : « les injures faites aux dieux » (Siebelis-Polle, Haupt-Ehwald, Breitenbach). Cette structure d'apposition se trouvait déjà chez Virgile : VERG., buc. II, 3 : densas, umbrosa cacumina, fagos.

Cytoriaco : le Cytorus ou Cytore est un mont de Paphlagonie, à l'est de la Bithynie sur les bords du Pont-Euxin.

ter quater : = terque quaterque (cfr. VERG., Aen. IV, 589).

Idmoniae : la fille d’Idmon (voir v. 8). L'adjectif qui marque l'ascendance humaine d'Arachné est mis en évidence, comme pour accentuer la disparité entre la divinité furieuse et la fille de l’humble teinturier de Colophon. On notera également que l’étymologie d’Idmon n’est peut-être pas gratuite en l’occurrence : Idmon est « celui qui sait, qui est instruit, qui est habile » ; il possède donc une connaissance qu’il a sans doute transmise à sa fille, et qui fait de l’ombre à celle de la déesse.

non tulit : Arachné réagit comme une déesse outragée : Ovide utilise au vers 134 la même expression que celle qu'il avait employée pour Junon quand elle détestait Ino en IV, 422 et 549.

infelix : signifie toute la tragédie d’Arachné, comme déjà celle de Didon trompée par Ascagne/Cupidon en VERG., Aen. I, 712 : praecipue infelix (voir aussi au chant VI, infelix Dido).

animosa : la traduction « Budé » (« dans son dépit ») efface la grandeur de caractère du personnage : plus que son « dépit », c'est son orgueil, sa fierté, sa passion devant l'humiliation indigne que lui inflige une déesse qui conduisent Arachné à ce geste désespéré. L’adjectif est soit au nom. f. sg. comme apposé au sujet de ligauit, soit à l’acc. n. pl. comme épithète de guttura. Dans ce dernier cas, l’hyperbate est renforcée par une hypallage expressive.

guttura : pluriel poétique ; le rejet dactylique reporte au premier pied du vers suivant la cruauté du supplice qu'elle s'impose : tant que ce mot n'apparaît pas, on en ignore la nature.

miserata : curieux sentiment de pitié qui aboutit à la transformation d'Arachné en araignée et à la malédiction de toute sa race ! Arachné est ainsi vaincue par l'arbitraire et la violence de la déesse malgré son art irréprochable.

improba : deuxième insulte de Pallas à l’adresse d’Arachné (cf. temeraria au v. 32, également juste avant le dernier pied du vers).

nepotibus : malédiction un peu étonnante, puisqu'Arachné n'a encore aucune descendance, et n'en aura jamais, à moins que l'on ne considère qu'elle est à l'origine de la race « maudite » des araignées. Il y a peut-être ici le souvenir d'une formule magique stéréotypée.

v. 139 :

ce vers a parfois été considéré comme interpolé. Certes tous les manuscrits le comportent, mais il a été supprimé par Rudolph Merkel dans sa deuxième édition en 1875 ; et dans une dissertation de 1971 sur les vers et groupes de vers contestés dans les Métamorphoses, Inge Marahrens a tenté de démontrer que le texte d'Ovide avait tout à gagner à cette suppression (voir I. Marahrens, Angefochtene Verse und Versgruppen in den Metamorphosen, Diss. Heidelberg, 1971, p. 82-84). Selon cette philologue, le vers 139 est un vers banal qui aurait été interpolé pour assurer une transition plus aisée avec le vers 140, mais il n'ajoute rien à la suite des idées et les mots Hecateidos herbae font double emploi avec tristi medicamine, le vers 140 suffisant à faire comprendre que Minerve emploie une drogue magique ; elle considère ainsi que « la description est plus forte et plus plastique sans le vers 139 », car le verbe sparsit du v. 140 serait alors en position d’asyndète expressive, soulignant l’efficacité monstrueuse de la punition divine avec plus d'ingéniosité que par la mention des herbes d'Hécate et la platitude du verbe discedens. Sparsit serait alors employé de manière absolue, à moins que l’on ne modifie la ponctuation, comme le propose Merkel, en plaçant une pause après medicamine.

Le vers avait déjà été non pas écarté, mais critiqué avant Merkel. G.E. Gierig en 1807 le trouvait « ennuyeux et dépourvu de poésie ». Et d'autres avaient proposé de le corriger : Schepper, cité dans l'édition de P. Burman en 1727, s’était étonné que les parties de la tête d'Arachné soient métamorphosées par le contact avec la drogue magique (v. 141 : chevelure, nez, oreilles), avant même qu’Ovide n’eût parlé de la tête elle-même, mentionnée seulement au v. 142 ; cette constatation l'avait amené à corriger au v. 139 postea en oraque. E.C.Chr. Bach (1831) aurait préféré, au lieu de postea, un pronom personnel désignant Arachné, par exemple ipsam, qui s'opposerait à tuo generi serisque nepotibus.

Cela étant, ces considérations se heurtent au témoignage unanime des manuscrits et il apparaît un peu présomptueux de vouloir supprimer ou corriger un vers sous le seul prétexte qu’on ne le trouve pas assez poétique, au risque d’introduire la subjectivité et l'arbitraire dans le travail d’édition. En réalité, dans le contexte, le verbe discedens n'est pas aussi banal qu'il y paraît. Minerve asperge Arachné « en s'éloignant ». I. Marahrens comprend que la déesse a déjà cessé de s'intéresser à sa victime, qu'elle jette négligemment la drogue derrière elle et que celle-ci tombe où elle peut, mais, terriblement efficace, elle opère quand même la métamorphose. Une autre explication est possible, plus conforme au rituel magique auquel pense Ovide ici : Minerve jette le philtre « en se détournant », selon un geste prescrit dans nombre d'opérations de ce genre. À la fin de la huitième Bucolique de Virgile, la magicienne ordonne à son aide : Fer cineres, Amarylli, foras, riuoque fluenti/ transque caput iace, nec respexeris (« Porte les cendres au dehors, Amaryllis, et jette-les dans le courant du ruisseau, par-dessus ta tête, sans regarder en arrière »). La seule véritable difficulté dans ce passage d’Ovide reste une difficulté de langue, dans l'emploi du verbe sparsit sans complément d'objet direct ; on n'en trouve aucun autre exemple dans la totalité de l'œuvre d'Ovide. Mais la suppression du vers 139 ne fait pas disparaître cette difficulté, et les commentateurs semblent admettre qu'il faut sous-entendre un pronom à l'accusatif désignant Arachné : « la déesse l'aspergea ».

Pour autant, le v. 139 n’est pas sans reproche, mais il faudrait alors incriminer plutôt les deux vers 139 et 140. Car, entre la surprise dramatique du suicide interrompu par la pitié de Minerve et la description très réussie de la métamoprhose, ces deux vers consacrés à l'opération magique apparaissent très conventionnels et n’offrent aucun intérêt littéraire ni narratif. Pourquoi faire intervenir ici une opération magique, alors que la métamorphose aurait très bien pu se réaliser sans elle, comme partout ailleurs ? De plus, cette opération n'est nullement préparée dans le cours du récit et il faut bien constater que, dans les Métamorphoses, hormis cette légende, aucun mythe lié à Minerve ne fait intervenir une opération magique dans le fait de la déesse. Dans son commentaire, Bömer s'interroge en ces termes : « Comment Minerve en est-elle venue à utiliser la drogue magique ? Où se la procure-t-elle ? La portait-elle sur elle en permanence, à toutes fins utiles ? » (p. 46).

Ce n'est donc pas à la déesse qu'est attachée cette pratique. Serait-ce alors à Arachné ? En réalité, le rite magique est annoncé par les deux vers 137-138, qui précèdent directement l’opération et qui introduisent une formule à caractère sinon archaïsant au moins rituel : l’invocation à une « loi », qui, en l’occurence est une malédiction, son application à toute la descendance de la victime et l’archaïsme esto. Nous ne connaissons aucun autre récit mettant en scène ce personnage. Faut-il penser qu'une métamorphose en un animal aussi répugnant et décrit comme tel ne pouvait s'accomplir qu'à l'aide de la magie ? Malgré le peu d'informations que nous avons sur les sources d'Ovide à propos de cette légende, si l'on examine, même rapidement, les divers folklores, on s'aperçoit que, de fait, l'araignée a souvent inspiré des croyances superstitieuses ou magiques, sinon même alimenté les rituels magiques eux-mêmes. L'utilisation des toiles d'araignées ou de l'animal lui-même pour des préparations médicamenteuses est attestée dès le médecin Dioscoride d'Anazarbe, qui nous a laissé un résumé des connaissances botaniques au Ier siècle PCN, et par Pline l’Ancien, mais aussi de façon universelle (notamment dans les folklores du Japon ou d’Irlande). En Roumanie, où les sorcières peuvent se transformer en araignées pour voler les enfants, on recueille même un récit particulièrement intéressant pour nous, car il présente une adaptation chrétienne de la légende racontée par Ovide. Selon cette version, la Vierge Marie aurait maudit l'araignée parce que celle-ci avait filé mieux qu'elle, christianisant ainsi le personnage de Minerve ; et une variante de cette légende précise même que l'araignée essaya d'attraper Marie dans son fil, avant d’être elle-même condamnée par Marie à rester pendue à sa toile pour toujours (voir W.S. Bristowe, Spider superstitions and folklore, dans Transactions of the Connecticut Academy of Arts and Sciences, t. 36, juillet 1945 [Mélanges A. Petrunkevitch], p. 53-90).

telas : le mot décisif, qui forme l'objet même de cette légende, termine toute la scène. Voir aussi le premier mot de ce vers, en rejet : stamen, qui évoque plus particulièrement le fil de chaîne, l'ourdissure. Ainsi, le dernier vers du récit est tout entier entouré des deux mots qui en définissent la « trame ».

 

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Dernière mise à jour : 30 août 2017