Numéro d'ordre: 5
AUTEUR: Hella S. HAASSE
Références: Editions du Seuil, juin 2000, 168 pp. Traduit du nééerlandais par A. M. de BOTH-DIEZ.
Présentation - Auteur:
Présentation - Roman: Il a inspiré d’autres écrivains et artistes, dont André Pyeire de Mandiargues («Belvédère») et l’Argentin A. Ginastera qui composa en 1967, l’opéra «Bomarzo», sans parler de Salvador Dali. Jouant sur la parenté en anglais de «amazement» (émerveillement) et «maze» (labyrinthe), H.S. Haasse s’est longuement interrogée sur le sens, la datation et la raison d’être de ce site et sa longue quête mène le lecteur des labyrinthes crétois à la Rome des papes Borgia, Della Rovere et Farnèse, en passant notamment par les mythes d’Arachné, d’Hercule, d’Enée, mais aussi le Roland de l’Arioste, et s’attarde sur les influences et empreintes diverses et divergentes laissées dans le Latium par des peuples aussi différents que les Etrusques et les Germains. [Cf. infra D. De Clercq] Extrait(s): 1. Arachné, Ariane et Hercule La mythologie grecque relate l'histoire d'Arachné, experte en l'art de tisser. En cette qualité, elle était la rivale de la déesse Pallas Athéna, qui excellait à entrelacer une infinie diversitéde fils de chaîne et de trame. Arachné était non seulement adroite, mais encore ambitieuse; elle tissa une toile représentant les ébats amoureux des dieux avec des mortels, symboles de l'aspiration des humains à se joindre aux Titans révoltés. La rumeur se répandit jusqu'à l'Olympe; la déesse descendit sur Terre pour voir l'oeuvre d'art de ses propres yeux. Elle décida de donner une leçon à la créature mortelle en montrant par un enseignement concret, la différence entre le talent et l'intelligence des hommes, d'une part, et la puissance créatrice des dieux, d'autre part. Elle tissa sur place une toile ayant les dimensions et le mouvement de la réalité vivante, le cosmos. Arachné, confrontée à ce qui était hors de sa portée se pendit. Elle ne voulait pas tisser comme un être humain mais comme un dieu; "tout ou rien", telle était sa devise. Ainsi pendue, elle fut métamorphosée par la déesse en une araignée, une créature fragile et industrieuse, contrainte de tisser pour pouvoir survivre. La toile détruite aussitôt qu'achevée, qu'il fallait chaque fois refaire, tel est le châtiment de la créature, une répétition à l'infini de la vérité qu'Arachné refusait d'admettre: terra est daedalus (sic); la vie sur terre consiste à créer sans relâche, une tâche pour les mains, un défi à l'intelligence, mais limité à l'intérieur des frontières de la nature mortelle; le fil de mort qu'Arachné ne voulait pas inclure dans son tissage en fait partie.
Ariane, p. 16:
Hercule, p. 70-72 2. l'esprit romain; l'image de la femme (pp. 105-110): Contexte: Rodrigo BORGIA, (1431-1503), pape sous le nom d'Alexandre VI (1492-1503), père de Lucrèce et de César Borgia et amant de Julia Farnèse, épouse d'Orsino ORSINI, créateur du parc de Bomarzo.
L'image d'une femme, surtout de la femme jeune et belle, a toujours exercé une séduction irrésistible sur la masse, elle peut éveiller des émotions fortes, aujourd'hui tout autant qu'il y a cinq cents ou trois mille ans. p. 106: C'est un archétype lié à la volonté de vivre, à l'espoir, aux expectatives, à l'amour et la vitalité, la foi en un renouveau et une survie, en la prospérité pour tous; et tout cela sur le plan d'une réalité terrestre, avec l'acceptation de la mort inéluctable et des mystères « quotidiens » que sont la naissance, l'accouplement et la mort. Cela suggère que le paradis peut se trouver quelque part sur terre, qu'il doit être possible à l'homme de vivre en harmonie avec la réalité donnée, à condition qu'il ne veuille pas être immortel et tout-puissant et qu'il reconnaisse le caractère inépuisable de la Nature. Jamais peut-être le sentiment de libération de la sévère théocratie médiévale, cette percée vers un temps nouveau, ne s'est exprimé d'une manière à la fois aussi émouvante et impérative qu'en 1485, lorsque le peuple de Rome montra un intérêt passionné pour le cadavre parfaitement conservé d'une belle jeune Romaine, qui avait été trouvé, lors de fouilles, dans un sarcophage antique. On voyait pour la première fois le triomphe de la mort sur la décomposition, incarné sous une forme charmante; l'antipode de la danse macabre médiévale des régions nordiques qui, au coeur même de la vie, déclare que cette vie est pourriture: ici, la Mort rappe- lait au contraire la jeunesse et la joie dont on doit jouir sur terre. Les processions de mai, qui avaient lieu durant le Quattrocento dans de nombreuses villes d'Italie, spécialement à Florence, sous le régime de Laurent de Médicis, étaient non seulement la célébration exubérante du retour de la saison de l'épanouissement, mais encore un hommage rendu ouvertement à la femme, à l'amour, à la beauté. Les poèmes de Poliziano (spécialement celui p. 107: où est chantée la « Nymphe de la vallée ombreuse », la « belle Étrurienne ») et les tableaux de Botticelli (« La Naissance de Vénus », et « Le Printemps ») donnent une impression de l'ambiance de ces fêtes, ou plutôt du raffinement et de la fantaisie avec lesquels Laurent le Magnifique transformait les usages populaires antiques, préchrétiens, en ballets et cortèges gigantesques autour de sa maîtresse Simonetta Vespucci - tout cela aussi dans l'intention d'associer, en tant qu'image de marque, ce modèle de grâce florentine à son règne, à son rôle de souverain. Rodrigo Borgia fut, lui aussi, un représentant de conceptions auxquelles adhéraient d'autres grands de l'époque et que l'historien du XIXe siècle Ludwig Pastor qualifie d'une manière significative de « falsche unchristliche Renaissance (1) ». Celui qui, avant Borgia, alla le plus loin dans ce sens fut sans aucun doute Sigismond Malatesta (1417-1468), le « tyran » de Rimini, qui, outre guerrier, fut également « érudit en matière d'histoire et de philosophie », pour reprendre les termes des chroniques, et qui fit consacrer un autel dans la cathédrale de sa ville à sa maîtresse, la « divine Isotta » en 1450. Une curieuse particularité est que ce Malatesta fut accusé d'inceste, comme Borgia plus tard; mani- festement, c'était là le dernier et plus radical moyen de faire rendre les armes à un libertin. Pendant le pontificat de Borgia parut un recueil d'odes dans lesquelles étaient exaltées la Vierge Marie, des saintes, des héroïnes, des artistes et des courti- sanes. Le seul critère exigé dans chaque domaine était (1) Fausse Renaissance sans Christ [N.du T.] p. 108: l'excellence. Que le pape Alexandre VI ait fait representer la belle Julie Farnèse dans l'un de ses appartements privés du Vatican comme étant la mère de Dieu ne doit sans doute pas être considéré comme blasphématoire au sens usuel du terme, pas plus que la fête appelée « fête des courtisanes » n'était en réalité une orgie satanique. Julie représentée comme la Mère à l'Enfant, et les prêtresses de l'amour (selon le mythe en effet Vénus elle-même leur enseignait leur métier) qui s'amusaient nues à un jeu où étaient utilisés des marrons et des bougies allumées; tout cela ressemble à certains aspects d'un culte antique de la fécondité. Naturellement, il y avait là de quoi choquer profondément ceux qui voulaient croire que l'ascétisme d'un pape était sans conteste d'une essence supérieure, et considéraient la renonciation au monde comme la condition du salut éternel. Au fond, Borgia était plus porté vers l'Antiquité et de ce fait peut-être aussi plus « oriental » que les autres prélats ses confrères, même les plus attachés à la Renaissance. Cet aspect de sa nature semblait le prédestiner à devenir un grand-prêtre dans l'esprit d'un monde qui avait sombré plus de mille ans auparavant. A sa manière, c'était certainement un homme pieux; il ne lui sera pas venu un instant à l'esprit de commettre un sacrilège ou de rendre culte à une sensualité vulgaire. Sa ligne de conduite était plutôt basée sur le principe suivant: Véritablement souverain est l'homme qui ose être fils et amant de la nature, de la terre, du monde de la matière; quiconque se comporte en esclave ou en tyran rompt l'équilibre. Ce qui s'était perdu, ou plutôt avait été refoulé, ne pouvait ni ne devait prendre la forme d'une nouvelle p. 109: Vénus Pandemos, la Vénus du sexe pour les masses, ou d'une nouvelle Junon Capitolina, glorification de la matrone conservatrice, satisfaite de soi. Autrefois avait existé une représentation d'une Femme divine qui réunissait en elle aussi bien les caractéristiques de la Vierge que le rattachement à la terre dans toutes ses nuances, de l'épanouissement à la mort: Isis l'Égyptienne, épouse d'Osiris, mère d'Horus; lune, étoile du matin et étoile du soir, symbole charmant et imposant de l'universel féminin. A l'époque la plus glorieuse de son culte dans la Rome impériale, Isis s'appelait « celle aux mille noms ». Elle était la patronne de la verdure, des fleurs et des récoltes. Elle était la fidèle épouse, la tendre mère, la reine clémente de tout ce qui vit. Surtout dans les périodes houleuses de violence et de dépravation des moeurs, elle inspirait une dévotion comparable à la vénération de Marie au Moyen Age. Son rituel comprenait des prêtres avec tonsure, des services religieux matin et soir du même type que les matines et les vêpres, des chants liturgiques, le baptême, l'aspersion d'eau bénite, les processions, bref toute la pompe et l'apparat mystiques que l'Église, après ses débuts sobres, devait reprendre. Alexandre VI a-t-il eu les mêmes pensées que les membres érudits et indisciplinés des dynasties des Ptolémées et des Séleucides, souverains de l'Égypte et de la Syrie dans la période hellénistique, qui se faisaient représenter et adorer comme l'incarnation d'un dieu, parce que, de cette manière, les émotions aveugles de la masse peuvent être canalisées et dirigées? Strabon a écrit un jour: « On ne peut amener les femmes et le petit peuple p. 110: à la foi et à la piété par la philosophie; pour cette sorte de gens, une crainte révérencielle est indispensable, avec son cortège de légendes et de contes fantastiques. » Mais qu'est-ce qu'un dieu sans déesse? Qui plus est: l'image vénérée de la Femme détermine celle de l'Homme, qui est alors son serviteur et protecteur. Pour être accepté comme étranger dans un pays, on y prend une femme. Qui veut fonder un royaume quelque part se lie symboliquement à la terre. Source(s): Michiel KOOLBERGEN, Bomarzo en de Zondvloeid-mythe Le concept général du parc, qui fait le lien entre les différentes ses parties, est la représentation du mythe du déluge. Dans cette légende transmise entre autres par des poètes comme Ovide le personnage central est une épouse fidèle, femme du dernier couple humain survivant au déluge, qui obtient des dieux d'épargner le genre humain. Au travers de la repésentation de cette histoire via les scultures installées dans le parc Vicino Orsini a composé une ode unique à son épouse défunte Giulia Farnese. Ovide décrit cette histoire dans le premier livre des Métamorphoses où il met en scène Deucalion et son épouse Pyrrha qui sont les derniers survivants du déluge envoyé par Zeus (Juppiter) pour punir le genre humain de ses péchés. Zeus décide de donner une dernière chance à ce dernier couple survivant.
Hic ubi Deucalion (nam cetera texerat aequor) Traduction française:
318 Lorsqu'en ce lieu, le seul que la mer n'eût
Triton prend sa trompe, dont la spirale creuse va en
Maintenant la mer a des rivages; les fleuves rentrent
L'univers était restauré; en le voyant vide, devant ces [G. LAFAYE, OVIDE, Les Métamorphoses, t. I, Paris, "Les Belles Lettres, 1957] Critique littéraire: Danielle De Clercq pour les ITINERA ELECTRONICA: [Cf. aussi supra] Elle [Hella S. Haasse] s’attache, par touches successives, à cerner l’énigmatique Orsino Orsini, qui, borgne et contrefait, marqué par un destin humiliant et contrarié, aurait conçu ce site peuplé de monstres légendaires pour conjurer ses fantasmes. Bien d’autres personnalités affleurent fascinantes et complexes, dont le cardinal Rodrigo Borgia, le futur pape Alexandre VI, sa jeune maîtresse Giulia Farnese, épouse d’Orsino Orsini, lui-même fils présumé de Rodrigo Borgia, le dominicain de Viterbe, Fra Anni ou Annius, faussaire de génie, confident et conseiller d’Alexandre VI, qu’il aida par ses «découvertes archéologiques» à légitimer son pouvoir, l’implacable Jules II, Vicino Orsini, seigneur de Bomarzo de 1532 à 1570, imprégné de culture humaniste et qui donna au domaine son visage définitif.
On prend surtout conscience en lisant - et c’est là le but de l’auteur - combien la redécouverte de «ce tas de cendres éteintes qu’on appelle le passé» (V. Hugo) est problématique, pour ne pas dire impossible. A l’image des jardins de Bomarzo et de la quête d’un temps révolu, la structure de ce livre impossible à résumer est labyrinthique et entraîne allègrement le lecteur sur des chemins qui ouvrent des perspectives qui bientôt s’ouvrent sur d’autres et le font voyager dans d’incessants allers et retours dans l’espace et le temps. Deux faiblesses sont toutefois à mentionner. On peut, sans mettre en doute le sérieux de l’auteur, regretter l’absence de tout renseignement sur ses sources: pas de notes infrapaginales, sauf celles très ponctuelles dues à la traductrice, ni de bibliographie. D’autre part on s’étonnera aussi de ce qu’aucune photographie, sauf celle de la couverture, n’illustre un texte si visuel. Le lecteur devra recourir à un document sur Internet à partir de http.//www. altavista. com, bien documenté en images et qui fait remonter la création du parc à Vicino Orsini au XVIe s. [Danielle De Clercq, novembre 2000] Références sur la Toile:
Descripteurs: Bomarzo; Orsini; Farnese; sculptures; Ovide; Métamorphoses; parc; Crédit: Danielle De Clercq
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Responsable académique : Alain Meurant Analyse : Jean Schumacher Design & réalisation inf. : Boris Maroutaeff Dernière mise à jour : 2 mai 2001 |