Salon de lecture (2000 - )
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Fiche n° 400 Auteur / Autor Autore / Author Titre / Titel Titolo / Title Virgil and the Augustan Reception, Descripteur(s) / Treffwort Parole chiave / Keyword Virgile; Énéide; Auguste; idéologie; traductions; traducteurs; Dryden; Allemagne nazie; Italie fasciste; Didon; critique textuelle; Références / Referenzen Riferimento / References Cambridge, Cambridge University Press, 2001, 324 p. [$ 59.95; ISBN 0-521-78288-0] Langue / Sprache Lingua / Language Analyse / Beschreibung Analisi / Description Compte rendu de Jacques Poucet, à paraître dans AC«La réputation de R. F. Thomas, professeur à Harvard, comme spécialiste de Virgile est bien établie. On lui doit notamment les deux précieux volumes Georgics, parus en 1988 dans la série des Cambridge Greek and Latin Classics. Les lecteurs savent probablement aussi qu'une partie des nombreux articles, notes et comptes rendus qu'il a publiés dans les vingt dernières années vient d'être rassemblée dans un tout récent recueil (R.F. Thomas, Reading Virgil and His Texts: Studies in Intertextuality, Ann Arbor, 1999, 351 p.).Aujourd'hui ce n'est plus d'intertextualité qu'il s'agit, mais d'un sujet tout aussi intéressant, qui ne cesse de passionner et de diviser les érudits, à savoir la présence d'Auguste chez Virgile, entendons par là l'attitude de Virgile à l'égard d'Auguste et de ses réalisations: le poète a-t-il été un chantre inconditionnel du pouvoir, ou a-t-il introduit dans son œuvre de subtiles prises de positions anti-augustéennes?Si on veut aller à l'essentiel sans craindre les simplifications réductrices, on présentera ainsi la thèse du savant professeur de Harvard. L'Énéide, car il s'agit surtout d'elle, contient nombre d'ambiguïtés qui révèlent à tout le moins la profonde ambivalence du poète à l'égard du prince; au fil des siècles, depuis les contemporains de ce dernier jusqu'à notre époque, ces éléments "subversifs", les "autres voix", comme on dit aujourd'hui, ont été étouffés, réduits, réinterprétés, par une lecture pro-augustéenne politiquement plus correcte.Horace apparaît comme le premier des lecteurs pro-augustéens de l'Énéide, celui, en d'autres termes, qui aurait commencé à éliminer toutes les "subversive possibilities" de l'oeuvre, tandis qu'Ovide et Lucain sont présentés comme des lecteurs anti-augustéens (Virgil and the poets: Horace, Ovid and Lucan; p. 55-92). Servius (Other voices in Servius: schooldust of the ages; p. 93-121), qui veut offrir à ses lecteurs une interprétation fortement "augustéenne" de l'Énéide, doit étouffer les "voix" anti-augustéennes qu'il avait rencontrées dans la tradition au fil de ses lectures, mais il n'y parvient pas entièrement. Beaucoup plus tard, en 1697, la traduction anglaise de Dryden (Dryden's Virgil and the politics of translation; p. 122-153) offre un bel exemple d'une optique pro-augustéenne, toutes les ambiguïtés du texte étant systématiquement interprétées dans un sens favorable à l'empereur. Le chapitre suivant (Dido and her translators; p. 154-189) examine l'épisode célèbre de Didon. Les traducteurs vont-t-ils prendre ou non "le parti d'Énée"? L'enjeu est d'importance, si tant est que le héros troyen peut être assimilé à l'empereur. Dans certains cas, la critique textuelle elle-même (Philology and textual cleansing; p. 190-221) devient une entreprise subjective, le choix du texte se faisant en fonction des présupposés idéologiques de l'éditeur. Les situations politiques aussi peuvent jouer un grand rôle.Deux chapitres (Virgil in a cold climate: fascist reception; p. 222-259; et Beyong the borders of Eboli: anti-fascist reception; p. 260-277) étudient ainsi les manipulations (si le mot n'est pas trop fort) subies par l'Énéide dans l'Allemagne nazie et surtout l'Italie. Et le livre se termine par un chapitre (Critical end games; p. 278-296) consacré à la mort de Turnus, qui marque la fin de l' et qui a toujours posé problème. Telles sont les données essentielles d'un livre passionnant, qui montre combien la lecture des œuvres antiques est conditionnée par l'environnement politique, culturel, religieux, idéologique du lecteur. Le fait est connu bien sûr, mais on n'assiste pas toujours à une démonstration menée avec tant de précision et de finesse. Cela étant dit, il est vraisemblable que toutes les positions de R. F. Thomas ne seront pas partagées par tous les spécialistes de Virgile (dont je ne fais pas partie). Mais peu importe finalement : le fait est que ce livre fait réfléchir, et qu'en plus il est très bien documenté et très soigné. Ce n'est pas toujours le cas.» Liens / Verbindungen Legami / Links BMCR: Virgil and Augustan Reception BMCR: Studies in Intertextuality Crédits / Kredit Credito / Credits Jacques Poucet Retour au menu | Notice suivante Responsable académique : Alain Meurant Analyse : Jean Schumacher Design & réalisation inf. : Boris Maroutaeff Dernière mise à jour : 11/11/2001
«La réputation de R. F. Thomas, professeur à Harvard, comme spécialiste de Virgile est bien établie. On lui doit notamment les deux précieux volumes Georgics, parus en 1988 dans la série des Cambridge Greek and Latin Classics. Les lecteurs savent probablement aussi qu'une partie des nombreux articles, notes et comptes rendus qu'il a publiés dans les vingt dernières années vient d'être rassemblée dans un tout récent recueil (R.F. Thomas, Reading Virgil and His Texts: Studies in Intertextuality, Ann Arbor, 1999, 351 p.).
Aujourd'hui ce n'est plus d'intertextualité qu'il s'agit, mais d'un sujet tout aussi intéressant, qui ne cesse de passionner et de diviser les érudits, à savoir la présence d'Auguste chez Virgile, entendons par là l'attitude de Virgile à l'égard d'Auguste et de ses réalisations: le poète a-t-il été un chantre inconditionnel du pouvoir, ou a-t-il introduit dans son œuvre de subtiles prises de positions anti-augustéennes?
Si on veut aller à l'essentiel sans craindre les simplifications réductrices, on présentera ainsi la thèse du savant professeur de Harvard. L'Énéide, car il s'agit surtout d'elle, contient nombre d'ambiguïtés qui révèlent à tout le moins la profonde ambivalence du poète à l'égard du prince; au fil des siècles, depuis les contemporains de ce dernier jusqu'à notre époque, ces éléments "subversifs", les "autres voix", comme on dit aujourd'hui, ont été étouffés, réduits, réinterprétés, par une lecture pro-augustéenne politiquement plus correcte.
Horace apparaît comme le premier des lecteurs pro-augustéens de l'Énéide, celui, en d'autres termes, qui aurait commencé à éliminer toutes les "subversive possibilities" de l'oeuvre, tandis qu'Ovide et Lucain sont présentés comme des lecteurs anti-augustéens (Virgil and the poets: Horace, Ovid and Lucan; p. 55-92). Servius (Other voices in Servius: schooldust of the ages; p. 93-121), qui veut offrir à ses lecteurs une interprétation fortement "augustéenne" de l'Énéide, doit étouffer les "voix" anti-augustéennes qu'il avait rencontrées dans la tradition au fil de ses lectures, mais il n'y parvient pas entièrement. Beaucoup plus tard, en 1697, la traduction anglaise de Dryden (Dryden's Virgil and the politics of translation; p. 122-153) offre un bel exemple d'une optique pro-augustéenne, toutes les ambiguïtés du texte étant systématiquement interprétées dans un sens favorable à l'empereur. Le chapitre suivant (Dido and her translators; p. 154-189) examine l'épisode célèbre de Didon. Les traducteurs vont-t-ils prendre ou non "le parti d'Énée"? L'enjeu est d'importance, si tant est que le héros troyen peut être assimilé à l'empereur. Dans certains cas, la critique textuelle elle-même (Philology and textual cleansing; p. 190-221) devient une entreprise subjective, le choix du texte se faisant en fonction des présupposés idéologiques de l'éditeur. Les situations politiques aussi peuvent jouer un grand rôle.
Deux chapitres (Virgil in a cold climate: fascist reception; p. 222-259; et Beyong the borders of Eboli: anti-fascist reception; p. 260-277) étudient ainsi les manipulations (si le mot n'est pas trop fort) subies par l'Énéide dans l'Allemagne nazie et surtout l'Italie. Et le livre se termine par un chapitre (Critical end games; p. 278-296) consacré à la mort de Turnus, qui marque la fin de l' et qui a toujours posé problème.
Telles sont les données essentielles d'un livre passionnant, qui montre combien la lecture des œuvres antiques est conditionnée par l'environnement politique, culturel, religieux, idéologique du lecteur. Le fait est connu bien sûr, mais on n'assiste pas toujours à une démonstration menée avec tant de précision et de finesse. Cela étant dit, il est vraisemblable que toutes les positions de R. F. Thomas ne seront pas partagées par tous les spécialistes de Virgile (dont je ne fais pas partie). Mais peu importe finalement : le fait est que ce livre fait réfléchir, et qu'en plus il est très bien documenté et très soigné. Ce n'est pas toujours le cas.»