Extrait Latin |
CXXV. Ex industria Senecam in omni genere eloquentiae distuli, propter uulgatam
falso de me opinionem qua damnare eum et inuisum quoque habere sum creditus.
Quod accidit mihi dum corruptum et omnibus uitiis fractum dicendi genus reuocare
ad seueriora iudicia contendo: tum autem solus hic fere in manibus adulescentium fuit.
CXXVI. Quem non equidem omnino conabar excutere, sed potioribus praeferri non sinebam,
quos ille non destiterat incessere, cum diuersi sibi conscius generis placere se
in dicendo posse quibus illi placerent diffideret. Amabant autem eum magis quam
imitabantur, tantumque ab illo defluebant quantum ille ab antiquis descenderat.
CXXVII. Foret enim optandum pares ac saltem proximos illi uiro fieri. Sed
placebat propter sola uitia, et ad ea se quisque dirigebat effingenda quae
poterat: deinde cum se iactaret eodem modo dicere, Senecam infamabat. CXXVIII.
Cuius et multae alioqui et magnae uirtutes fuerunt, ingenium facile et copiosum,
plurimum studii, multa rerum cognitio, in qua tamen aliquando ab iis quibus
inquirenda quaedam mandabat deceptus est. Tractauit etiam omnem fere studiorum
materiam: CXXIX. Nam et orationes eius et poemata et epistulae et dialogi
feruntur. In philosophia parum diligens, egregius tamen uitiorum insectator
fuit. Multae in eo claraeque sententiae, multa etiam morum gratia legenda, sed
in eloquendo corrupta pleraque, atque eo perniciosissima quod abundant dulcibus
uitiis. CXXX. Velles eum suo ingenio dixisse, alieno iudicio: nam si aliqua
contempsisset, si parum non concupisset, si non omnia sua amasset, si rerum
pondera minutissimis sententiis non fregisset, consensu potius eruditorum quam
puerorum amore comprobaretur. CXXXI. Verum sic quoque iam robustis et seueriore
genere satis firmatis legendus, uel ideo quod exercere potest utrimque iudicium.
Multa enim, ut dixi, probanda in eo, multa etiam admiranda sunt, eligere modo
curae sit; quod utinam ipse fecisset: digna enim fuit illa natura quae meliora
uellet; quod uoluit effecit.
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Traduction française |
En passant en revue les auteurs qui se sont distingués dans chaque genre d'éloquence, j'ai cru
devoir réserver Sénèque pour le dernier, à cause de l'opinion accréditée à tort sur mon
compte au sujet de cet écrivain; car on s'est imaginé que je le condamnais et que même je
le haissais. On a raisonné ainsi en voyant les efforts que je faisais pour empêcher la
corruption entière de l'éloquence, et la ramener à un goût plus sévère. Ce qui a pu accroître
la prévention publique, c'est que, Sénèque étant presque le seul auteur que la jeunesse eût
entre les mains, sans prétendre l'exclure tout à fait, je ne souffrais pas qu'on le préféràt à
d'autres écrivains qui valent mieux, et contre lesquels il ne cessait de se déchaîner, parce
que, sentant intérieurement combien sa manière était différente, il espérait peu que son
style pût plaire à ceux qui goûteraient le leur. Cependant ses partisans l'aimaient plus
qu'ils ne l'imitaient, et ils déclinaient aussi loin de leur modèle que celui-ci s'était écarté des
anciens. Car il serait à souhaiter qu'ils lui eussent ressemblé, ou du moins qu'ils l'eussent
suivi de près; mais ils n'aimaient en lui que ses défauts, et chacun s'appliquait à reproduire
ceux qu'il pouvait; puis, se vantant de parler comme Sénèque, ils n'aboutissaient qu'à le
déshonorer. Car il a d'ailleurs de belles qualités, et en grand nombre: un esprit facile et
abondant, beaucoup d'étude, et un grand fonds d'érudition, mêlé néanmoins d'erreurs,
par la faute de ceux qu'il chargeait de faire ses recherches. Il est peu de matières qu'il n'ait
traitées; nous avons de lui des oraisons, des poésies, des lettres, des dialogues. Comme
philosophe, il est peu exact, mais antagoniste hautement déclaré du vice. Il est plein de
pensées éclatantes, et, par rapport aux moeurs, sa lecture ne peut qu'être utile; mais, pour
son style, il est en général corrompu, et d'autant plus dangereux qu'il abonde en défauts
aimables. On voudrait qu'il eût écrit avec son esprit, mais avec le goût d'un autre : car, s'il
eût dédaigné certains faux brillants, s'il eût été moins ambitieux, s'il n'eût pas tant aimé
tout ce qu'il produisait, s'il n'eût pas pris plaisir a morceler et amoindrir ses pensées, le
suffrage des savants, bien plus que l'engouement de la jeunesse, ferait aujourd'hui son
éloge. Toutefois, tel qu'il est, il ne faudra pas laisser de le lire, quand on aura le goût déjà
sûr et suffisamment formé par un genre de lecture plus sévère, ne fût-ce que parce qu'il
peut juger lui-même ses partisans et ses détracteurs. Car, ainsi que je l'ai dit, il y a en lui
beaucoup à louer, beaucoup même à admirer, pourvu qu'on sache choisir : ce qu'il eût été
à désirer qu'il fit lui-même; car ce beau génie était digne de vouloir faire mieux, lui qui a
fait tout ce qu'il a voulu.
Trad. : Quintilien et Pline le Jeune dans : Collection des auteurs latins publiés sous la direction de M. NISARD. Paris, Dubochet, 1842
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