Horace, Ode I, 11
Synthèse finale
Voici une ode sur laquelle on a n'a jamais arrêté d'écrire, à laquelle on a fait dire tout et son contraire, sans doute parce qu'au-delà de son apparente simplicité se cache une émotion à la fois complexe et universelle. Il serait vain et prétentieux de chercher à imposer ici une meilleure interprétation, qui ne ferait que s'ajouter à la liste déjà innombrable des exégèses ; je voudrais simplement souligner combien, en définitive, ce poème reste insaisissable et magique dès le moment où l'on se refuse à le réduire à un seul de ses sens, inlassablement glosé : jouir de la vie, certes, mais en l'occurrence le message épicurien rejoint la tragédie humaine.
Carpe diem est assurément le message qui identifie le mieux Horace dans l'histoire de la poésie. Il traverse toute la sagesse du poète sur la vie brève et le temps qui passe ; nous l'avons rencontré dans l'ode I, 4 à Sestius ; on le retrouve dans l'ode IV, 7, où, à l'inverse de la nature qui renaît sans cesse, l'homme descend pour toujours dans la tombe. Mais dans ces deux poèmes, le thème est varié, au sens musical du mot, en un environnement mythologique ou météorologique ; dans l'ode à Leuconoé, il apparaît dans sa brutalité, sa fulgurance, pour lui-même, dépouillé de ses corrections, de ses nuances ou de son orchestration, pour rester dans la métaphore musicale.
La structure du poème est limpide. D'abord, en deux vers et demi, deux interdictions articulées par ne et nec : ne quaesieris, nec temptaris. Puis une alternative : seu… seu, précédée d'une exclamation : ut melius… Pour finir, les invitations, fortement asyndétiques, en deux vers et demi : uina liques, reseces, carpe diem.
Vers 1
Le poème s'ouvre sur tu. Comme on le sait, en latin, la présence du pronom sujet de la première et de la deuxième personnes ne s'impose pas, et est donc emphatique. Il importe dès lors d'y être attentif. Tu, c'est l'autre, c'est un appel au dialogue, mais tu peut aussi signifier, du moins pour l'instant, un autre "moi", comme si le poète s'adressait à lui-même, ou bien, de façon plus globale, à l'homme en général, à la race humaine, à nous tous. Il faudra attendre le deuxième vers pour connaître le nom de Leuconoé.
Ne quaesieris: il est défendu à "tu" de chercher à savoir, au titre que scire nefas : autrement dit, ne quaesieris, qui concerne un effort humain, a pour motif l'interdiction des dieux : savoir et religion n'ont pas toujours fait bon ménage dans l'histoire de la pensée ! Scire est le résultat de quaerere ; nefas justifie et redouble l'interdiction ne. Le savoir est le domaine des dieux, il ne peut pas relever de l'effort de l'homme, du moins le savoir par la recherche, et cette interdiction se trouve au centre du vers. Autre chose est le savoir révélé ou le savoir du poète !
Que faut-il ignorer ? Ici encore il faut attendre, car l'interrogatif quem est un inconnu, un indéfini, mais on sait déjà que c'est une ignorance qui concerne "moi" et "toi", et la troisième partie du vers est occupée par cette rencontre qui associe les deux pronoms individuels mihi / tibi dans un indéfini commun et non identifié : quem tibi, quem mihi sont placés sur le même plan, à égalité ; et tibi rejoint tu, puisque le vers s'ouvre et se referme sur "toi". Que de choses en un seul vers : une interdiction divine, une impossibilité humaine liée à celle-ci, la réalité individuelle de deux pronoms réunis dans une commune ignorance obligée.
Vers 2
L'arrêt de la question après tibi amène le rejet de finem, séparé des pronoms, des individus, pour les isoler dans leur ignorance, et, en même temps, rapproche finem de di dederint : les dieux, eux, savent ; le terme a été fixé par eux, de toute éternité, d'où le parfait et les allitérations qui réunissent ces deux mots dans la première partie du vers, associés à l'échéance qu'ils maîtrisent seuls. L'homme ignore, les dieux savent ; aux dieux la décision, à l'homme l'ignorance.
Puis apparaît, occupant toute la deuxième partie du vers : Leuconoe. Ce nom n'est pas là sans contradiction ou sans ironie : leukòs noûs, "esprit blanc, esprit clair", ce qui est tout le contraire du personnage puisqu'il s'agit d'une femme qui s'adonne à l'astrologie ; mais peut-être aussi "esprit blanc, esprit vierge et prêt à croire n'importe quoi, esprit candide et crédule". Qu'elle soit fictive ou réelle, c'était donc elle dont il s'agissait dès le tu initial. Sans doute une femme aimée : quem mihi quem tibi, en tout cas, laisse entendre que le destin du poète et celui de cette femme sont liés. Par ailleurs, ce nom éclate dans sa musicalité étrangère, non-romaine, aussitôt confirmée par l'adjectif Babylonios, qui occupe toute la troisième partie du vers : c'est toute la saveur des noms propres exotiques qui, depuis Catulle, est devenue un ornement essentiel de la poésie en latin.
Babylonius : ce dernier adjectif comporte trois niveaux de sens : celui de l'esthétique et de ses musiques ; celui de l'évocation du lointain, qui est hors de notre portée, au moins autant que le vouloir des dieux ; celui enfin du symbole et de l'ésotérisme, confirmé par numeros en rejet. De Lucrèce à Virgile, la poésie latine se nourrit des spéculations numériques, et en particulier des numéralogies célestes, bientôt rassemblées dans les Astronomica poétiques de Manilius. Mais ici, le poète fait allusion à la vogue des faiseurs d'horoscopes importée à Rome par les mages chaldéens. Les numeri dont il est question font référence aux calculs de ces mages, souvent appelés aussi mathematici (voir Ivv., XIV, 248). Par la négation, on pressent déjà une défense relative à un monde interdit à l'homme, celui de l'expérience du symbole et des espaces lointains. Deux vers, deux interdictions : la recherche du savoir et l'expérience des pratiques obscures et lointaines, qui débouchent sur la connaissance et la maîtrise du temps ; seuls les dieux ont accès à cette connaissance ; l'homme n'a la seule maîtrise que sur son présent et sur les choses qui lui sont proches.
Vers 3
Le vers commence sur un effort de l'homme : temptaris, qui est inclus dans la défense initiale. Il s'achève sur son contraire : pati, la résignation, la passivité, reconnue comme meilleure, avec au centre du vers précisément l'exclamation ut melius, qui définit toute la philosophie du poète, redoublée par le troisième choriambe: quidquid erit. La défense s'énonçait à la deuxième personne. Maintenant, l'individu s'efface au profit d'une expression neutre (melius, quidquid), indéterminée (quidquid) et sans sujet (pati), valable pour tous les individus, avec une alternative qui prend sa source dans l'expérience personnelle de l'hiver et de ses rigueurs. Erit emporte le lecteur vers le futur, mais une durée inconnue, indéfinie du futur, et qu'il ne faut pas chercher à connaître, qu'il faut seulement subir. On notera que, dans cette ode qui est censée inviter à jouir de l'instant présent, le présent grammatical n'a que très rarement sa valeur temporelle : debilitat au v. 5 est le seul "vrai" présent, confirmé, du reste, par l'adverbe nunc ; les autres présents ont une valeur gnomique ou bien, comme tribuit, une valeur de répétition, qui les assimile à un avenir indéterminé et rempli de mystère.
Vers 4
Le quatrième vers ouvre l'alternative et ce qu'elle implique d'incertitude, en écho au balancement des deux quem initiaux, eux aussi ouverts sur l'incertitude d'une échéance que l'homme n'a pas le droit de chercher à connaître. Mais les deux seu…seu ne présentent pas des situations équivalentes. Il y a d'abord celle qui est la plus rassurante : pluris hiemes ; ensuite, l'angoisse, qu'on repousse à la fin du vers : ultimam, derrière le nom de celui qui organise l'alternative : tribuit Iuppiter. L'emploi de la troisième personne dans l'ode dit tout ce qui surpasse l'homme et devant quoi celui-ci est sans pouvoir : Jupiter (et donc les dieux), la mer, le temps. L'incertitude du quem indéfini se précise ici dans l'incertitude entre la vie et la mort tirée de l'expérience qu'a le poète de l'hiver, utilisé dans des emplois alternativement figuré et littéral.
Pourquoi hiemes ? En toute hypothèse, le mot est utilisé ici dans le sens d'une synecdoque, pour désigner les "années". Mais l'hiver est aussi la saison où l'homme ressent davantage sa fragilité ; il symbolise encore le temps d'une vie dont le cours s'infléchit et qui n'aura pas de renouveau (ultimam) ; il est l'image de la vie humaine, menacée par l'essentielle tristesse d'une mort inéluctable, quelles que soient les Leuconoés qui cherchent à en connaître ou à en retarder les délais.
Vers 5
Le poète passe ensuite de la synecdoque au sens littéral et présent de l'hiver actuel. Le vers 5 évoque, dans son vocabulaire et sa distribution métrique, une impression de puissance, qui ne peut qu'écraser l'homme : oppositis debilitat pumicibus, trois mots de quatre syllabes qui occupent chacun un choriambe au centre du vers. L'opposition ne peut qu'induire la fragilité ; Horace prône la passivité en face des événements. Pumicibus mare : c'est l'affrontement entre deux extrêmes, la mer et une pierre poreuse, dont l'issue ne peut qu'être l'écrasement de l'une par l'autre. L'agencement des mots comporte deux groupes. D'abord les verbes, un participe passif et un verbe conjugué à l'actif : oppositis debilitat ; ensuite les noms pumicibus mare : une passivité poreuse et un mouvement perpétuel.
Sur l'opposition des deux éléments naturels, rochers et mer, se profile celle de l'homme en lutte contre le temps. Je ne crois pas, contrairement à ce que l'on a pu écrire, qu'il n'y a dans ce vers qu'une simple hypotypose de la mer, au sens où le poète donnerait seulement une description animée et vive de l'élément naturel en un trait qui n'est pas indispensable à la compréhension de l'énoncé et qui aurait pu être différent (voir ÉVRARD, p. 27). Je crois, au contraire, que cette lutte des éléments naturels réunis dans la troisième partie du vers, en particulier de la mer contre un rocher poreux, et non pas n'importe quel rocher, éventuellement solide comme du granit, par exemple, concentre toute la portée symbolique du poème : elle signifie à la fois la totale fragilité de l'homme en face de l'arbitraire des dieux ou de la fuite inexorable du temps, mais aussi, dans l'image de la mer affaiblie par cette lutte, la possibilité pour l'homme, malgré sa fragilité, de résister aux attaques du temps grâce aux instants présents dont il aura su profiter, au "jour" qu'il aura su "cueillir". Certes, à terme, ce sont finalement la mer et le temps qui ont raison de la pierre et de l'homme, mais le verbe debilitat montre aussi que, dans ce combat, la pierre et l'homme conservent une force qui leur est propre et qui est précisément leur fragilité. Combiné à un emploi synecdochique puis littéral, l'emploi figuratif de l'hiver permet ainsi au poète, comme à d'autres endroits de son œuvre (voir e.g. I, 9), de dramatiser et de spatialiser les effets de la fuite du temps. Le rejet de Tyrrhenum est là pour sa sonorité, mais répond aussi à une expérience quotidienne du poète, qui regarde la mer tempétueuse, au moins en pensée, à l'instant où il écrit.
Vers 6
Vient ensuite le troisième mouvement. Après les défenses, les encouragements. Sapias, liques s'oppose à quaesieris et à temptaris : la vraie sagesse ne consiste pas à chercher à savoir, mais elle est illustrée par uina liques, c'est-à-dire par une action qui relève des travaux et des jours, qui relève de la joie de boire et qui contraste avec la prétention d'expérimenter les sciences ésotériques. C'est toute la sensibilité latine aux realia qui s'exprime ici. À spatio breui s'oppose spem longam, avec l'allitération de la séquence /sp/ et l'inversion de l'ordre des voyelles /aioei/ /eoa/. La phrase se termine par le verbe de la technique viticole reseces, qui est maintenant le verbe de la mutilation et qui est isolé dans la première partie du vers avec son complément, car il faut retrancher les longs espoirs pour que la vigne puisse donner son fruit ; un message paradoxal de l'ode est que l'espoir tue la vie, et que pour connaître la quiétude l'homme ne doit pas se préoccuper de son avenir.
Vers 7
Dans la phrase finale, les deux êtres sont brièvement réunis dans loquimur ; le futur antérieur fugerit qui suit aussitôt en est d'autant plus dramatique : par sa place, ce verbe au futur antérieur menace le présent loquimur, qui, en réalité, n'existe même pas, puisque l'antériorité du futur le plonge déjà dans le passé : la durée du présent est déjà menacée par le perfectum de fugerit ; c'est aussi peut-être une façon de dire que le futur est une perpétuelle menace pour le présent, puisqu'il le plonge irrémédiablement dans le passé. Du reste, si l'on compare dum loquimur à la durée effective que représente ce dialogue, à savoir 8 vers, on saisit encore plus cruellement ce que cette fuite du temps a d'inexorable et combien la maîtrise de l'homme sur le temps est faible : dum loquimur concrétise en temps réel le spatium breue du vers précédent.
Vers 8
Au dernier vers, aetas, beaucoup plus affectif que tempus, énonce le temps qui nous est accordé individuellement, personnellement dans le déroulement de notre propre vie, et non le temps extérieur et plus indifférencié ou collectif que signifie tempus. Et ce temps est celui de la cueillette, qui allie, en un rapprochement très original, un verbe concret et une abstraction. Il faut interpréter l'expression comme un aboutissement. Carpe est le résultat de reseces : après avoir retranché ce qui est vain et nuisible, spem longam, il faut cueillir ce qui est possible diem, et qui répond à aetas. Le jour est la véritable mesure de la vie ; notre vie est un jour, non pas seulement parce qu'elle est brève, mais parce que la seule manière de l'empêcher de fuir, c'est de la fixer dans le présent, dans la réalité de la journée, de l'expérience que l'on vit maintenant : carpe diem résume toute la mesure humaine de la vie. Dans un même vers, nous avons aetas, diem, postero, trois significations différentes du temps : le temps de la vie (aetas), propre à chaque homme et que l'on ne peut partager ; seul l'instant du jour (diem) permet de le connaître et de le fixer ; et le futur, loin d'être un espoir, est un mirage dont il faut se méfier (postero) et qui termine le poème sur une touche d'angoisse plutôt que sur une ouverture : Horace nous avertit de ne pas y croire, renouant avec le ton négatif du début sous la forme d'un superlatif familier quam minimum credula.
Conclusion
L'ode comporte des antithèses qui la constituent et qui sont symbolisées dans l'image centrale de la mer affrontée au rivage :
• défenses >< invitations ;
• individus (tu, mihi, tibi) >< extérieur hostile à la troisième personne (nature hostile et dure, dieux totalitaires, temps jaloux qui passe) ;
• temps passé imposé par les dieux >< temps futur vainement recherché par l'homme ; nous n'avons la maîtrise que sur le présent: loquimur, seul verbe qui réunit les deux protagonistes ;
• finem >< Babylonios (v. 2) : l'idée de mort, voilée délicatement dans le mot finem, est associée à l'origine géographique lointaine et non romaine des horoscopes : nous n'avons aucun pouvoir sur le temps qui passe.
Comme dans l'ode I, 9, ce regard fugitif du poète sur les éléments déchaînés à partir de la chambre où est énoncé le carpe diem est une manière de sensibiliser le lecteur au vain déroulement d'un temps qui échappe complètement à l'emprise de l'homme. Pour que ces antithèses ne soient pas destructrices, Horace prône la passivité devant le destin, car la résistance aux choses ou le questionnement de l'avenir ne peuvent qu'induire la faiblesse : debilitat : sans doute, le temps (qui est la mer) sera-t-il affaibli d'avoir dû révéler une partie de son mystère, mais, tôt ou tard, il triomphera de celui qui s'en inquiète comme la pierre poreuse est condamnée à s'éroder sous les assauts de la mer. L'avenir est indéchiffrable, il faut donc se concentrer dans l'instant, c'est le seul moyen de ne pas s'affaiblir. Carpe diem : deux mots où apparaît toute la joie des derniers beaux jours d'automne avant un hiver qu'on pressent proche ; c'est la dernière cueillette des fleurs de la vie. Horace parle de toute sa supériorité d'homme qui a réfléchi, à cette femme peureuse et superstitieuse qui voudrait entr'ouvrir les portes du destin et de l'avenir. Pour Horace, il n'y a que ce qu'il a vécu et ce qu'il vit, mais avec une certaine désespérance, un grand vide, un grand creux, celui d'un absolu.
Si l'on reste à la surface du texte, le sens incite seulement à profiter du présent, à limiter son intérêt au présent, avec le souci d'en tirer toutes les jouissances possibles. Mais une lecture plus en profondeur permet de déceler une vision plus pessimiste et désenchantée des choses. L'année est évoquée par la moins aimée des saisons, l'hiver, qui, en plus, est décrit dans toute sa rudesse ; le plaisir de boire du vin reste sous-entendu, tandis que seule est mentionnée l'opération préalable du filtrage ; le temps nous jalouse ; jouir du jour comme on savoure un fruit n'est évoqué qu'indirectement par la mention de la cueillette. Toutes ces figures dénotent un inachèvement : jouir de la vie et des plaisirs qu'elle donne, sans doute, mais en sachant bien que chacun de ces plaisirs a aussi des aspects moins plaisants ou, à tout le moins, indifférents. Il faut se résigner à ce que tout plaisir s'accompagne de revers ou de désagréments : quidquid erit.
Je crois, effectivement, que ce poème réunit deux aspects fondamentaux du tempérament latin : le réalisme et l'angoisse, qui s'appellent, se superposent, se complètent, se contrarient. Cette ode est un poème qui rassemble les contradictions d'un être dans un moment de son histoire. Plus encore qu'un poème sur la jouissance du temps présent, le poème à Leuconoé est un poème de résignation, de désespoir et d'ignorance : assurément parce que le temps passe et que l'homme n'a pas la maîtrise sur lui, mais surtout parce qu'on ne sait rien et qu'on n'a pas le droit de savoir ; surtout aussi parce qu'il est vain de vouloir s'opposer à ce qui arrivera de toute façon et que les dieux ont prévu d'avance pour les hommes.
Mais cette ode est aussi un poème profondément réaliste. Les données étant ce qu'elles sont, carpe diem énonce une attitude positive devant la vie insaisissable. Si le temps de la vie nous échappe, celui du jour nous appartient, qui est le temps de l'expérience, de la vie quotidienne, de l'immédiateté : 8 vers sont déjà trop pour retenir le temps, mais ils ont le mérite d'avoir existé, et même si dum loquimur est déjà passé, le temps de ce repas fut un bon temps qui a valu la peine d'être vécu et retenu. Le seul réalisme possible, et autorisé, est de tenir et de prendre la mesure de ce qu'on a. La seule liberté de l'homme réside là ; et elle peut même déboucher sur des formes d'action, limitées sans doute, mais efficaces : boire du vin, qui est un appel à l'acte et à la joie, à une sagesse pratique et au refus de la spéculation. On revient alors à la mise en situation de cette ode, celle d'une comissatio, où, dans les propos de table et le rite si convivial de l'ivresse, le poète invite la femme d'une rencontre, ou de plus longtemps – peu importe –, à ne pas s'égarer dans les préoccupations étrangères à ce moment de complicité. "Ne prête pas attention aux faiseurs de chimères : ils cherchent à te distraire de l'instant qui nous réunit ici autour du vin."
Responsable académique :
Paul-Augustin Deproost Dernière mise à jour : 4 décembre 2020 |