CHAPITRE II :

HÉSIODE ET LA POÉSIE DIDACTIQUE


 

         (2) 1. BIOGRAPHIE D'HÉSIODE

            Hésiode a été à ce point associé à Homère durant l’Antiquité, que les Grecs eux‑mêmes les avaient confrontés dans un Tournoi poétique d'Homère et d'Hésiode. En fait, quelques générations séparent les deux auteurs (Hésiode a vécu vers la moitié du VIIe siècle a.C.), de même que le milieu dont ils sont issus: Homère s'adresse aux aristocrates d'Asie‑Mineure, Hésiode, aux paysans de Béotie. Leur contexte historique est d’ailleurs, lui aussi, différent : Homère connaît les monarchies héréditaires ; Hésiode se meut dans le milieu des propriétaires terriens, qui constituent la première strate des citoyens de la cité.

            Hésiode nous donne quelques renseignements personnels sur sa vie à travers son œuvre: son père était venu d'Éolie se fixer à Ascra, un bourg béotien, où il mena la vie dure des pauvres paysans de son temps; lui‑même eut un différend et un procès avec son frère, au moment du partage de l'héritage et après.

            Si la plupart des philologues tiennent ces renseignements pour authentiques, il en est d'autres qui y voient des éléments inventés, aussi conventionnels que la cécité d'Homère. Il est en tout cas certain qu’ « Hésiode » avait une vaste culture, qui lui permit d’organiser des récits mythiques, et qu’il avait par conséquent des moyens qui lui permettaient de composer des œuvres littéraires. Ce n’était pas un petit propriétaire, qui risquait la ruine à la moindre variation climatique. 

 

         (2) 2. OEUVRES D'HÉSIODE

Ce sont essentiellement des poèmes didacti­ques, qui n'ont en commun avec les poèmes homériques que la langue et la métrique (hexamètres dactyliques). Certaines œuvres sont authentiques, d'autres ont été faussement attribuées à Hésiode. Leur but n’est pas de raconter, mais d’enseigner et la forme adoptée, le vers, permettait une mémorisation facile des préceptes et des catalogues.  

 

(2)2.1. LA THEOGONIE (1002 vers)

            Le poème constitue la première synthèse cosmogonique, qui soit parvenue jusqu’à nous, mais il en existait d’autres. Une étude comparative montre  en effet qu’Homère se réfère à une vision différente de la naissance du Cosmos (par exemple, il accorde la prépondérance aux divinités « lumineuses », tandis qu’Hésiode s’intéresse davantage aux divinités « obscures ») et nous savons par ailleurs que les tenants de l’orphisme avaient également élaboré une synthèse qui leur était propre.

 

Contenu

La Théogonie d’Hésiode expose ainsi la généalogie des dieux et la création du monde :

-         Origine de toutes choses : Chaos (le Vide), puis Terre, Tartare et Erôs (Amour-désir)

 

« Donc, avant tout, fut Abîme ; puis Terre aux larges flancs, assise sûre à jamais offerte à tous les vivants, et Amour, le plus beau parmi les dieux immortels, celui qui rompt bras et jambes et qui, dans la poitrine de tout dieu comme de tout homme, dompte l’intelligence et le sage vouloir » (Th., 116-122).

 

-         Du Tartare naissent, par dédoublement, l’Erèbe (le noir absolu) et la Nuit : puis de l’Erèbe et de la Nuit naissent l’Ether et le Jour.

-         De la Terre naissent le Ciel, les Montagnes et Pontos (la mer) ; puis de la Terre et du Ciel naissent Océan, Kronos et différents dieux etc.

A partir de là se succèdent les générations de dieux, autour d’Ouranos et de Gaia (grand-parents de Zeus), Kronos et Rhéa (parents de Zeus et des autres dieux olympiens). Les luttes inter et intra générationnelles aboutissent au règne éternel et sans partage de Zeus dans un monde sorti du désordre initial pour devenir cosmos. En effet, Zeus fonde sa puissance à la fois sur la force (symbolisée par le tonnerre et par la foudre), sur l’intelligence – rusée - (Mètis) et sur l’ordre, Thémis, qui lui donne trois filles : Eunomia, (la légalité),  Dikè (la Justice) et Eirènè (la Paix).

« Ensuite, il épousa la brillante Thémis, qui fut mère des Heures, Légalité, Justice et Paix la florissante, qui veillent sur les champs des hommes mortels » (Th., 901-903).  

 

Analyse

            (1) Les généalogies regroupent aussi bien des dieux indo-européens, des dieux méditerranéens et proche-orientaux antérieurs à l’arrivée des Indo-Européens et des allégories. C’est un essai de catalogage chronologique de dieux de provenance et de culte divers.

            (2) Pour composer son poème, Hésiode revendique l’autorité du poète inspiré par les dieux : c’est ce que souligne la longue invocation aux Muses, qui commence le poème.

            (3) L’énumération sèche est parfois interrompue par des récits mythiques, tel celui de la lutte entre Prométhée et Zeus, dont Hésiode nous fournit du reste une interprétation  (Th ., 535-616):

1er épisode : sacrifice de Mécônè où Prométhée tente de piéger Zeus en lui offrant des os et de la graisse d’animal dissimulés sous une enveloppe appétissante

Réaction de Zeus : suppression du feu envoyé à travers la foudre aux mortels

2e épisode : Prométhée dérobe le feu de Zeus et le donne aux mortels

Réaction de Zeus : envoi de la femme aux mortels, piège sans issue

3e épisode : Prométhée est cloué à un rocher et un aigle dévore son foie sans cesse renaissant

Pardon de Zeus qui permet à Héraclès de tuer l’aigle

 

            On notera en passant qu’Hésiode tente de donner une explication d’un rite qu’il ne comprend plus : en effet, les Grecs offraient aux dieux la fumée jaillissant de la graisse et des os de l’animal qu’on brûlait sur l’autel et distribuaient la viande aux prêtres et aux fidèles. Le rite rappelait en réalité que la nourriture des dieux était différente de celle des hommes, étant absorbée par l’odorat ; Hésiode y voit la perpétuation de l’antique ruse de Prométhée 

            On notera également la misogynie d’Hésiode, lieu commun qui traverse toute la littérature grecque :

« Car c’est de celle-là qu’est sortie la race, l’engeance maudite des femmes, terrible fléau installé au milieu des hommes mortels. Elles ne s’accommodent pas de la pauvreté odieuse, mais de la seule abondance. […]. Zeus, pour le plus grand malheur des hommes mortels, a créé les femmes, que partout suivent œuvres d’angoisse, et leur a, en place d’un bien, fourni tout au contraire un mal. Celui qui, fuyant, avec le mariage, les œuvres de souci qu’apportent les femmes, refuse de se marier, et qui, lorsqu’il atteint la vieillesse maudite, n’a pas d’appui pour ses vieux jours, celui-là sans doute ne voit pas le pain lui manquer, tant qu’il vit, mais, dès qu’il meurt, son bien est partagé entre collatéraux. Et celui, en revanche, qui dans son lot trouve le mariage, peut rencontrer sans doute une bonne épouse, de sain jugement ; mais, même alors, il voit toute sa vie le mal compenser le bien ; et, s’il tombe sur une espèce folle, alors, sa vie durant, il porte en sa poitrine un chagrin qui ne quitte plus son âme ni son cœur, et son mal est sans remède » (P. Mazon ; Th., 591-612).

 

 

           

(2)2.2. LES TRAVAUX ET LES JOURS (828 vers)

 

Contenu

            Après une invocation aux Muses, le poème expose les conseils moraux et pratiques qu'Hésiode a­dresse à son frère Persès, qui a dilapidé sa part d'héritage après avoir obtenu plus que son dû par un procès inique.

‑ Dans une première partie, Hésiode démontre l'obligation d'être juste et celle de travailler, en se servant d'anciens mythes qu'il interprète dans une perspective morale: mythe des cinq races, mythe de Prométhée et de Pandore, fable du rossignol et de l'épervier. Puis il donne des préceptes relatifs aux travaux des champs et à la vie quotidienne.

‑ Dans une seconde partie, il passe en revue les jours fastes et néfastes du calendrier.

 

Analyse

            Le succès de cette œuvre durant l’Antiquité tient au fait qu’elle exprime des valeurs constitutives de l’identité grecque :

- Le temps cyclique évoqué à travers le mythe des races  qui se succèdent dans une perspective de décadence : race l’or, race d’argent, race de bronze, race des héros et race de fer (celle à laquelle appartiennent Hésiode et ses contemporains). Après quoi, tout recommencera. Notons en passant que le mythe des races, présent en Orient, a été revisité par Hésiode, qui y a entremêlé des éléments historiques : la race de bronze évoque pour lui le monde dont Troie est issue et les héros, le début de l’histoire grecque.

- La nécessité du travail et l’inscription de la souffrance dans le destin humain expliqué à travers le mythe de Prométhée

 

1er épisode : une tromperie de Prométhée non décrite

Réaction de Zeus : suppression de l’envoi du feu aux mortels

2e épisode : Prométhée donne le feu aux mortels

Réaction de Zeus : création de Pandore, belle et attirante, qui apporte une jarre

3e épisode : Epiméthée, frère de Prométhée accueille Pandore, qui ouvre sa jarre pleine de maux

 

 

- Une définition de l’homme civilisé :

de façon négative, par le fait que de tels hommes ne s’entredévorent pas

 

« Pour toi, Persès, mets-toi ces avis en l’esprit ; écoute donc la justice, oublie la violence à jamais. Telle est la loi que le Cronide a prescrite aux hommes : que les poissons, les fauves, les oiseaux ailés se dévorent, puisqu’il n’est point parmi eux de justice ; mais aux hommes Zeus a fait don de la justice, qui est de beaucoup le premier bien » (P. Mazon ; Op., 274-280).

 

de façon positive, parce qu’ils découvrent qu’une société n’existe que fondée sur  Dikè, la justice et sur Aidôs,  la retenue ( respect de soi et des autres).

 

- La découverte de l’ambivalence de certaines notions : Eris (dispute ou émulation) Elpis (espoir ou illusion).

 

            Quant aux conseils relatifs aux travaux des champs, ils renvoient, non sans charme, à des proverbes de bon sens et à une expérience paysanne, que seules la mécanisation et l’industrialisation ont rendue obsolète :

« Celui-là a son prix, qui se rend aux bons avis » (Op., 295).

«  Il n’y a pas de honte à travailler ; la honte est de ne rien faire » (Op., 311).

«  Un mauvais voisin est une calamité, tandis qu’un bon voisin est un véritable trésor » (Op., 346).

«  Dès que le jour des semailles aura lui pour les mortels, qu’ils se mettent à l’ouvrage, serviteurs et maîtres ensemble et, qu’elle soit sèche ou trempée, labourez la terre dans la saison des labours, en vous y prenant de bonne heure afin que vos champs se couvrent d’épis » (Op., 468-461).   

 

            Enfin, la partie consacrée aux jours, fastes et néfastes se présente comme un almanach :

« Le sixième jour du milieu du mois ne convient pas aux plantations ; mais il est bon pour donner le jour à un garçon ; en revanche, il ne convient pas à une fille, ni pour naître ni pour se marier » (Op., 782-784).

 

 

 

(2)2.3. Le BOUCLIER (480 vers)

            Traditionnellement associé aux œuvres précédentes, ce poème décrivant le bouclier d'Héraclès est apocryphe, sauf les 54 premiers vers qui sont repris à une autre oeuvre, les Éhées. Ces vers racontent l'union de Zeus et d'Alcmène, ainsi que la naissance d'Héraclès qui en fut la conséquence.

 

(2)2.4. Les ÉHÉES ou Catalogue des femmes (nombreux fragments)

Il s’agit d’un poème consacré aux femmes célèbres, chaque description de femme étant introduite par les mots grecs è oiè, ce qui signifie « telle ».

 

(2)2.5. AUTRES OEUVRES attribuées à Hésiode

‑ Un ouvrage de divination, l'Ornithomancie, probablement inauthen­tique.

‑ Une épopée, l'Aigimios, inauthentique.

‑ Les Leçons de Chiron, inauthentiques, etc.