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Date :     26-09-2002

Sujets :
Paul-Augustin DEPROOST & Suétone, Vie de Caligula & Albert CAMUS, Caligula: Décrocher la lune & Franco DRAGONE

Notice :

Paul-Augustin DEPROOST a commencé un nouveau cours destiné aux étudiants de première année d'étude à l'Université, Faculté de Philosophie et Lettres. Le public est varié: étudiants (futurs) archéologues, historiens de l'art, historiens tout court, romanistes et philologues classiques.

La matière du cours de l'année académique 2002-2003 sera constituée par la Vie de Caligula de Suétone.

Le cours est déjà disponible (en partie) sur la Toile sous l'intitulé:
Langue et textes latins.

Rappelons que cette oeuvre de Suétone - La Vie des douze Césars - a constitué, au sein du Projet ITINERA ELECTRONICA, la première réalisation interactive associant - juxtaposant même - le texte latin et une traduction française; cf. l'ensemble hypertexte consacré à ces douze Vies.

A ce titre, cette oeuvre de Suétone s'est trouvée pendant de longs mois en tête des statistiques de consultation des réalisations du Projet ITINERA ELECTRONICA. Cette place au sommet du hit-parade des consultations interactives est maintenant occupée par l'Énéide de Virgile.

Suétone, au chapitre 22 de la Vie de Caligula, énumère certaines des extravagances de cet empereur:

(1) Hactenus quasi de principe, reliqua ut de monstro narranda sunt.

(2) Compluribus cognominibus adsumptis (nam et "pius" et "castrorum filius" et "pater exercituum" et "optimus maximus Caesar" uocabatur), cum audiret forte reges, qui officii causa in urbem aduenerant, concertantis apud se super cenam de nobilitate generis, exclamauit: g-Eis g-koiranos g-esto, g-eis g-basileus. Nec multum afuit quin statim diadema sumeret speciemque principatus in regni formam conuerteret.

(3) Verum admonitus et principum et regum se excessisse fastigium, diuinam ex eo maiestatem asserere sibi coepit; datoque negotio, ut simulacra numinum religione et arte praeclara, inter quae Olympii Iouis, apportarentur e Graecia, quibus capite dempto suum imponeret, partem Palatii ad forum usque promouit, atque aede Castoris et Pollucis in uestibulum transfigurata, consistens saepe inter fratres deos, medium adorandum se adeuntibus exhibebat; et quidam eum Latiarem Iouem consalutarunt.

(4) Templum etiam numini suo proprium et sacerdotes et excogitatissimas hostias instituit.

(5) In templo simulacrum stabat aureum iconicum amiciebaturque cotidie ueste, quali ipse uteretur.

(6) Magisteria sacerdotii ditissimus quisque et ambitione et licitatione maxima uicibus comparabant.

(7) Hostiae erant phoenicopteri, pauones, tetraones, numidicae, meleagrides, phasianae, quae generatim per singulos dies immolarentur.

(8) Et noctibus quidem plenam fulgentemque lunam inuitabat assidue in amplexus atque concubitum, interdiu uero cum Capitolino Ioue secreto fabulabatur,[***] modo insusurrans ac praebens in uicem aurem, modo clarius nec sine iurgiis.

(9) Nam uox comminantis audita est: g-è g-m' g-anaeir', g-è g-'goh g-se, donec exoratus, ut referebat, et in contubernium ultro inuitatus super templum Diui Augusti ponte transmisso Palatium Capitoliumque coniunxit.

(10) Mox, quo propior esset, in area Capitolina nouae domus fundamenta iecit.

Traduction française (reprise à la Bibliotheca Classica Selecta):

(1) J'ai parlé jusqu'ici d'un prince; je vais parler d'un monstre.

(2) Chargé d'une foule de surnoms, tels que le pieux, l'enfant des armées, le père des soldats, le très bon, le très grand, après un souper qu'il avait donné à des rois venus à Rome pour lui rendre leurs devoirs, il les entendit se disputer entre eux sur la noblesse de leur origine, et s'écria: "N'ayons qu'un roi, qu'un chef auquel tout soit soumis". Et il s'en fallut de peu qu'il ne prît aussitôt le diadème et ne convertit l'appareil du souverain pouvoir en insignes de la royauté.

(3) Mais, comme on l'avertit qu'il avait surpassé la grandeur des princes et des rois, il commença à s'attribuer la majesté divine. Il fit venir de Grèce les statues des dieux les plus célèbres par leur perfection ou par le respect des peuples, entre autres celle de Jupiter Olympien. Il leur ôta la tête et mit à la place celle de ses statues. Il prolongea jusqu'au Forum une aile de son palais, et transforma en vestibule le temple de Castor et Pollux. Souvent il venait se placer entre ces deux frères et s'offrait aux adorations de ceux qui entraient. Quelques-uns le saluèrent du nom de Jupiter Latial.

(4) Il institua pour sa divinité un temple spécial, des prêtres et les victimes les plus recherchées.

(5) Il y avait dans ce temple une statue d'or faite d'après nature, que chaque jour on habillait comme lui.

(6) Les plus riches briguaient avidement ce sacerdoce, et ils enchérissaient à l'envi les uns sur les autres.

(7) Les victimes étaient des flamants, des paons, des tétras, des poules d'Afrique, des pintades et des faisans, qu'on sacrifiait chaque jour, selon le rang établi entre les espèces.

(8) La nuit, Caligula invitait la lune, lorsqu'elle brillait dans son plein, à venir l'embrasser et à partager sa couche. Le jour, il s'entretenait secrètement avec Jupiter Capitolin, tantôt lui parlant à l'oreille et feignant d'écouter ses réponses, tantôt élevant la voix et se brouillant avec lui;

(9) car on l'entendit un jour le braver en ces termes: "Ou tu m'enlèveras, ou je t'enlèverai"; enfin selon son expression, il se laissa fléchir; et, invité par Jupiter à venir loger chez lui, il établit un pont par-dessus le temple d'Auguste, du mont Palatin jusqu'au Capitole.

(10) Bientôt, pour être encore plus voisin, il fit jeter les fondements d'un nouveau palais sur la place même du Capitole.

[***] Cf. Sénèque, De la colère, I, 20,8:

[1,20,8] --- sicut C. Caesar, qui iratus caelo quod obstreperetur pantomimis, quos imitabatur studiosius quam spectabat, quodque comessatio sua fulminibus terreretur (prorsus parum certis), ad pugnam uocauit Iouem et quidem sine missione, Homericum illum exclamans uersum: g-è g-m' g-anaeir', g-è g-'goh g-se.

Traduction française: --- comme à Caligula, par exemple. Furieux contre le ciel, parce qu'il tonnait sur ses pantomimes dont il était le spectateur ou plutôt l'émule passionné, et que sa séquelle de gladiateurs avait peur de ces foudres, qui certes oubliaient alors de punir, il défia Jupiter à un combat désespéré, en vociférant cet hémistiche d'Homère "Fais-moi succomber, ou succombe."


Un des extravagants souhaits de Caligula semble donc avoir été celui de décrocher la lune. Extravagance mise particulièrement en lumière par Albert CAMUS dans sa pièce Caligula jouée pour la première fois en 1945.

1. [Acte I, Scène IV (dialogue Hélicon, Caligula)]
---
CALIGULA
... Mais je ne suis pas fou et même je n'ai jamais été aussi raisonnable. Simplement, je me suis senti tout à coup un besoin d'impossible. (Un temps.) Les choses, telles qu'elles sont, ne me semblent pas satisfaisantes.
HÉLICON
C'est une opinion assez répandue.
CALIGULA
Il est vrai. Mais je ne le savais pas auparavant. Maintenant, je sais. (Toujours naturel.) Ce monde, tel qu'il est fait, n'est pas supportable. J'ai donc besoin de la lune, ou du bonheur, ou de l'immortalité, de quelque chose qui soit dément peut-être, mais qui ne soit pas de ce monde.
HÉLICON
C'est un raisonnement qui se tient. Mais, en général, on ne peut pas le tenir jusqu'au bout.
CALIGULA,se levant, mais avec la même simplicité.
Tu n'en sais rien. C'est parce qu'on ne le tient jamais jusqu'au bout que rien n'est obtenu. Mais il suffit peut-être de rester logique jusqu'à la fin.
Il regarde Hélicon.
Je sais aussi ce que tu penses. Que d'histoires pour la mort d'une femme! Non, ce n'est pas cela. Je crois me souvenir, il est vrai, qu'il y a quelque jours, une femme que j'aimais est morte. Mais qu'est-ce que l'amour? Peu de chose. Cette mort n'est rien, je te le jure; elle est seulement le signe d'une vérité qui me rend la lune nécessaire. C'est une vérité toute simple et toute claire, un peu bête, mais difficile à découvrir et lourde à porter.
HÉLICON
Et qu'est-ce donc que cette vérité, Caius ?
CALIGULA, détourné, sur un ton neutre.
Les hommes meurent et ils ne sont pas heureux.
HÉLICON, après un temps.
Allons, Caius, c'est une vérité dont on s'arrange très bien. Regarde autour de toi. Ce n'est pas cela qui les empêche de déjeuner.
CALIGULA, avec un éclat soudain.
Alors, c'est que tout, autour de moi, est mensonge, et moi, je veux qu'on vive dans la vérités Et justement, l'ai les moyens de les faire vivre dans la vérité. Car je sais ce qui leur manque, Hélicon. Ils sont privés de la connaissance et il leur manque un professeur qui sache ce dont il parle.
HÉLICON
Ne t'offense pas, Caius, de ce que je vais te dire. Mais tu devrais d'abord te reposer.
CALIGULA, s'asseyant et avec douceur.
Cela n'est pas possible, Hélicon, cela ne sera plus jamais possible.
HÉLICON
Et pourquoi donc ?
CALIGULA
Si je dors, qui me donnera la lune?
HÉLICON, après un silence.
Cela est vrai.
Caligula se lève avec un effort visible.
CALIGULA
Écoute, Hélicon. J'entends des pas et des bruits ---

2. [Acte I, Scène XI (dialogue Caesonia, Caligula)]

---
CAESONIA
Il faut dormir, dormir longtemps, se laisser aller et ne plus réfléchir. Je veillerai sur ton sommeil. A ton réveil, le monde pour toi recouvrera son goût. Fais servir alors ton pouvoir à mieux aimer ce qui peut l'être encore. Ce qui est possible mérite aussi d'avoir sa chance.
CALIGULA
Mais il y faut le sommeil, il y faut l'abandon Cela n'est pas possible.
CAESONIA
C'est ce qu'on croit au bout de la fatigue. Un temps vient où l'on retrouve une main ferme.
CALIGULA
Mais il faut savoir où la poser. Et que me fait une main ferme, de quoi me sert ce pouvoir si étonnant si je ne puis changer l'ordre des choses, si je ne puis faire que le soleil se couche à l'est, que la souffrance décroisse et que les êtres ne meurent plus? Non, Caesonia, il est indifférent de dormir ou de rester éveillé, si je n'ai pas d'action sur l'ordre de ce monde.
CAESONIA
Mais c'est vouloir s'égaler aux dieux. Je ne connais pas de pire folie.
CALIGULA
Toi aussi, tu me crois fou. Et pourtant, qu'est-ce qu'un dieu pour que je désire m'égaler à lui? Ce que je désire de toutes mes forces, aujourd'hui, est au-dessus des dieux. Je prends en charge un royaume où l'impossible est roi.
CAESONIA
Tu ne pourras pas faire que le ciel ne soit pas le ciel, qu'un beau visage devienne laid, un coeur d'homme insensible.
CALIGULA, avec une exaltation croissante.
Je veux mêler le ciel à la mer, confondre laideur et beauté, faire jaillir le rire de la souffrance.
CAESONIA, dressée devant lui et suppliante.
Il y a le bon et le mauvais, ce qui est grand et ce qui est bas, le juste et l'injuste. Je te jure que tout cela ne changera pas.
CALIGULA, de même.
Ma volonté est de le changer. Je ferai à ce siècle le don de l'égalité. Et lorsque tout sera aplani, l'impossible enfin sur terre, la lune dans mes mains, alors, peut-être, moi-même je serai transformé et le monde avec moi, alors enfin les hommes ne mourront pas et ils seront heureux.
---

3. [Acte IV, Scène XIII (dialogue Caesonia, Caligula)]

CAESONIA
C'est vrai. Mais tu vas me garder, n'est-ce pas?
CALIGULA
Je ne sais pas. Je sais seulement pourquoi tu es là : pour toutes ces nuits où le plaisir était aigu et sans joie, et pour tout ce que tu connais de moi.
Il la prend dans ses bras et, de la main, lui renverse un peu la tête.
J'ai vingt-neuf ans. C'est peu. Mais à cette heure où ma vie m'apparaît cependant si longue, si chargée de dépouilles, si accomplie enfin, tu restes le dernier témoin. Et je ne peux me défendre d'une sorte de tendresse honteuse pour la vieille femme que tu vas être.
CAESONIA
Dis-moi que tu veux me garder!
CALIGULA
Je ne sais pas. J'ai conscience seulement, et c'est le plus terrible, que cette tendresse honteuse est le seul sentiment pur que ma vie m'ait jusqu'ici donné.
Caesonia se retire de ses bras, Caligula la suit. Elle colle son dos contre lui, il l'enlace.
Ne vaudrait-il pas mieux que le dernier témoin disparaisse ?
CAESONIA
Cela n'a pas d'importance. Je suis heureuse de ce que tu m'as dit. Mais pourquoi ne puis-je pas partager ce bonheur avec toi ?
CALIGULA
Qui te dit que je ne suis pas heureux?
CAESONIA
Le bonheur est généreux. Il ne vit pas de destructions.
CALIGULA
Alors, c'est qu'il est deux sortes de bonheurs et j'ai choisi celui des meurtriers. Car je suis heureux. Il y a eu un temps où je croyais avoir atteint l'extrémité de la douleur. Eh bien! non, on peut encore aller plus loin. Au bout de cette contrée, c'est un bonheur stérile et magnifique. Regarde-moi.
Elle se tourne vers lui.
Je ris, Caesonia, quand je pense que, pendant des années, Rome tout entière a évité de prononcer le nom de Drusilla. Car Rome s'est trompée pendant des années. L'amour ne m'est pas suffisant, c'est cela que j'ai compris alors. C'est cela que je comprends aujourd'hui encore en te regardant. Aimer un être, c'est accepter de vieillir avec lui. Je ne suis pas capable de cet amour. Drusilla vieille, c'était bien pis que Drusilla morte. On croit qu'un homme souffre parce que l'être qu'il aime meurt en un jour. Mais sa vraie souffrance est moins futile : c'est de s'apercevoir que le chagrin non plus ne dure pas. Même la douleur est privée de sens.
---

Tiré de: Albert CAMUS, Caligula suivi de Le malentendu, Folio n° 64, Gallimard, 1975


De nos jours il y a (encore) moyen aussi de décrocher la lune. Franco DRAGONE, le concepteur de spectacles bien connu originaire du Hainaut belge - actuellement il habille d'un spectacle le tour de chant que la chanteuse canadienne Céline DION va donner, au début de l'année prochaine, à Las Vegas - a créé, en l'an 200, un spectacle qu'il a intitulé justement Décrocher la lune. Dans l'éditorial de ce spectacle, Franco DRAGONE dit, entre autres, "Etre enthousiaste, cela signifie être habité des dieux". Et c'est ce qu'il se propose d'être au travers de ce spectacle rejoignant par là un peu le côté "extravagant" d'un Caligula.


Pour revenir à Paul-Augustin DEPROOST, ce dernier va animer un autre nouveau cours, intitulé Introduction aux principales littératures européennes dont il prendra en charge les héritages grecs et latins. Enseignement qui aura aussi une répercussion sur la Toile.

Dans le cadre de ce cours, il est à la recherche de versions ou d'extraits sonorisés et digitalisés de l'Iliade et de l'Odyssée d'Homère. Extraits disponibles en libre accès sur la Toile. Si vous deviez en connaître, il serait heureux d'en être informé (deproost@egla.ucl.ac.be).

Enfin, Paul-Augustin DEPROOST vient aussi d'enrichir le numéro 3 des FOLIA ELECTRONICA CLASSICA de deux contributions inédites:

Contributions qui sont de nature à augmenter encore la renommée croissante de cette revue entièrement électronique et tout aussi entièrement libre d'accès sur la Toile. Qu'on se le dise! Les contributions peuvent être envoyées au format électronique à Jacques POUCET (jacques.poucet@chello.be)


Jean Schumacher
LLN, le 26 septembre 2002


 
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Dernière mise à jour : 17/02/2002