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Date :     24-09-2002

Sujets :
Claude IMBERT (Le POINT): Oderint dum metuant! et le jugement de Sénèque, De la colère, I, 20 (partim)

Notice :

Claude IMBERT, dans l'éditorial du numéro 1566 du magazine Le POINT - édition du vendredi 20 septembre 2002 et éditorial intitulé Chronique d'une guerre trop annoncée -, fait une comparaison entre les conceptions américaines et européennes en ce qui concerne une éventuelle intervention en IRAK. Pour caractériser le point de vue américain, il emploie, entre autres, l'adage antique Oderint dum metuant.

Une rapide consultation de la base de données CLCLT-5 (CETEDOC Library of Christian Latin Texts), - qui englobe aussi la plupart des textes des auteurs classiques -, fait apparaître 8 emplois reproduisant exactement cette maxime: L. ACCIUS, Tragoediarum fragmenta (1 emploi), CICERON, In M. Antonium orationes Philippicae (1 emploi), CICERON, Pro P. Sestio oratio (1 emploi), CICERON, De officiis (1 emploi), SENEQUE, De clementia (2 emplois), SENEQUE, De ira (1 emploi) et SUETONE, De uita Caesarum - Vie de Caligula (1 emploi).

Nous avons choisi de vous donner ci-dessous, outre l'extrait de l'éditorial, l'emploi tiré du traité De la colère de Sénèque. Traité composé au commencement du règne de Claude, et le lendemain, pour ainsi dire, de la mort de Caligula : Sénèque se montre encore tout préoccupé de la tyrannie qui venait de finir. L'ouvrage est une protestation contre les passions brutales et les haines cruelles qu'encourageait, à tous les degrés de l'ordre social, la souveraine licence des maîtres sur les esclaves.


Extrait de l'éditorial de Claude IMBERT:

... En fait, l'Europe veut croire d'abord au « containment », puis à une conversion progressive des « méchants ». Nous travaillons donc à une régulation supranationale, dans laquelle le recours à l'Onu s'inscrit tout naturellement. S'agit-il là, comme le suggère un essayiste américain (1), des prémisses du fameux rêve kantien d'une paix perpétuelle ? C'est, en tout cas, cet angélisme prématuré que l'Amérique refuse, comme jadis Clausewitz opposant au rêve des Lumières sa conviction que tout peuple est un jour vulnérable s'il n'est militairement puissant et redouté.

Il est, en tout cas, piquant de voir ainsi l'Amérique jadis wilsonienne et idéaliste convertie à la realpolitik et aux vertus gaulliennes de l'Etat-nation, tandis que nos nations européennes, jadis impériales, s'embarquent, faute de mieux, dans l'espérance d'un ordre international fondé sur ce que de Gaulle appelait « le machin ». Et sur une justice internationale à grosse tête et petits bras.

Le danger, dans cet écart, c'est, d'un côté ou de l'autre, la démesure. L'Amérique, par griserie autarcique, peut être tentée d'amalgamer des périls divers et d'opérer un court-circuit explosif entre les poudrières de l'Irak et de la Palestine, au risque assumé d'enfiévrer l'aire arabo-musulmane. En fait, elle ne redoute plus l'idée de modifier, avec un Irak rénové, tout l'équilibre moyen-oriental (et pétrolier) au détriment de l'Arabie saoudite et de l'Iran. Au Pentagone, les plus hardis épousent volontiers l'antique adage des Césars. Oderint dum metuant ! (qu'ils nous haïssent, pourvu qu'ils nous craignent !)...

Quant à l'Europe, son excès de tolérance n'est pas, quoi que nous pensions, moins dangereux. Il nous fait oublier que l'Histoire est tragique. Il inspire sur toutes les menaces, à commencer par l'islamiste, une approche édulcorée. Il nourrit l'illusion que nous pourrons sans dommage diverger de l'Amérique tout en escomptant sa protection. Et l'illusion de perpétuer les molletons de nos Etats-providence dans un univers dangereux. Nos peuples, perclus par le déclin démographique et une immigration nécessaire mais mal intégrée, ne se voient plus tels que le monde nous voit : vieilles nations, enviées pour leurs beaux restes mais gagnées par les chimères de l'oisiveté garantie, douairières encore incapables du sursaut d'unité qui assurerait leur renouveau et leur défense. Bien vulnérables, en somme, dans un Occident qui n'a guère pour champion redouté que les Etats-Unis, impatient et sanguin costaud d'outre-Atlantique.

1. Robert Kagan (Le Monde du 27 juillet, et le numéro de rentrée de la revue Commentaires).


Texte latin: Sénèque, De la colère, I, 20 (partim):

[1,20,3] ...Iracundia nihil amplum decorumque molitur; contra mihi uidetur ueternosi et infelicis animi, inbecillitatis sibi conscii, saepe indolescere, ut exulcerata et aegra corpora quae ad tactus leuissimos gemunt. Ita ira muliebre maxime ac puerile uitium est. 'At incidit et in uiros.' Nam uiris quoque puerilia ac muliebria ingenia sunt.

[1,20,4] 'Quid ergo? non aliquae uoces ab iratis emittuntur quae magno emissae uideantur animo?' ueram ignorantibus magnitudinem, qualis illa dira et abominanda 'oderint, dum metuant'. Sullano scias saeculo scriptam. Nescio utrum sibi peius optauerit ut odio esset an ut timori. 'Oderint.' Occurrit illi futurum ut execrentur insidientur opprimant: quid adiecit? Di illi male faciant, adeo repperit dignum odio remedium. 'Oderint' -- quid? 'dum pareant'? Non. 'dum probent'? Non. Quid ergo? 'dum timeant'. Sic ne amari quidem uellem.

[1,20,5] Magno hoc dictum spiritu putas? Falleris; nec enim magnitudo ista est sed immanitas...

Traduction française:

La colère n'eut jamais de grandes, de généreuses inspirations. Je vois, au contraire, dans ses habitudes de plainte et d'aigreur, les symptômes d'une âme abattue, malheureusement née, et qui sent sa faiblesse. Le malade, couvert d'ulcères, gémit au moindre contact; ainsi fait la colère, surtout chez les femmes et chez les enfants. "Mais les hommes mêmes y sont sujets? - C'est que les hommes aussi ont le caractère des enfants et des femmes.

Eh! n'est-il donc pas également des propos tenus dans la colère, qu'on trouve magnanimes quand on ignore la vraie grandeur, tel que ce mot infernal, exécrable : Qu'on me haïsse pourvu qu'on me craigne; mot qui respire le siècle de Sylla." Je ne sais ce qu'il y a de pis dans ce double voeu : la haine ou la terreur publique.
Qu'on me haïsse ! Tu vois dans l'avenir les malédictions, les embûches, l'assassinat; que veux-tu de plus ? Que les dieux te punissent d'avoir trouvé un remède aussi affreux que le mal! Qu'on te haïsse !
Et quoi ensuite ? Pourvu qu'on t'obéisse? non. Pourvu qu'on t'estime ? non. Pourvu que l'on tremble. Je ne voudrais pas de l'amour à ce prix.
On se figure que ce mot est grand. Quelle erreur ! il n'y a point là de la grandeur, mais de la férocité.

[M. CHARPENTIER - M. Felix LEMAISTRE, Oeuvres de Sénèque avec la traduction française de la Collection Panckoucke, t. II, Paris, Garnier, 1860]

Références utiles:

  • Consultations interactives des trois livres du traité De la colère: via Recherches lexicographiques, module: Recherche instantanée, item: "Textes latins (Dépôt ITINERA)" + sélection du traité dans la Liste déroulante des oeuvres accessibles.

  • Texte latin (livres I, puis, livre II et, enfin, livre III) - Fichiers du Dépôt ITINERA ELECTRONICA

  • Traduction française : Livre I

  • En préparation: l'ensemble hypertexte pour le traité complet.


Jean Schumacher
LLN, le 24 septembre 2002


 
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Dernière mise à jour : 17/02/2002