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Date :     22-01-2010

Sujets :
Lecture : Le femme de César doit être au-dessus de tout soupçon (R. HARRIS, Conspirata) ; HODOI ELEKTRONIKAI : 5 nouveaux environnements hypertextes : Aristote, Pseudo-Denys l'Aréopagite (x 2), Procope (x 2) ;

Notice :

1. Lecture : Le femme de César doit être au-dessus de tout soupçon :

Livre : Robert HARRIS, Conspirata
Titre original : Lustrum (2009)
Traduction française par Nathalie ZIMMERMANN
Paris, Plon, 2009, 428 pp.

Extrait :

" ... La séance [du Sénat] venait à peine de commencer quand l'ancien préteur Cornificius, qui se considérait comme le gardien de la probité religieuse, profita d'une question de procédure pour demander un débat d'urgence sur les événements « honteux et immoraux » qui s'étaient, semblait-il, déroulés pendant la nuit dans la résidence officielle du grand pontife. En y réfléchissant, cela aurait pu signifier la fin pure et simple de Clodius. Il n'était même pas encore éligible pour siéger au sénat. Heureusement pour lui, le consul qui présidait en décembre n'était autre que son beau-père par alliance, Murena, et, quels que fussent ses sentiments personnels sur la question, il n'avait aucune intention d'aggraver encore les ennuis de la famille.
— Ce n'est pas au sénat d'en débattre, décida Murena. S'il s'est effectivement passé quelque chose, l'enquête relève de la compétence des autorités religieuses.
Caton s'empressa de se lever, les yeux enflammés à la simple idée d'une telle décadence.
— Alors je propose que cette chambre demande au collège des pontifes de mener une enquête, déclara-t-il, puis de nous en communiquer les conclusions dès que possible.
Murena n'eut d'autre choix que de soumettre la motion au vote, et elle passa sans discussion. Cicéron m'avait confié plus tôt qu'il n'avait pas l'intention d'intervenir (« Je vais laisser Caton et les autres faire un esclandre s'ils en ont envie ; moi, je resterai en dehors de ça. Ce sera plus digne »). Cependant, le moment venu, il ne put résister à la tentation. Il se dressa, l'air grave, et se tourna vers César.
— Comme le scandale présumé s'est produit sous le propre toit du grand pontife, peut-être pourrait-il nous épargner l'attente des résultats d'une enquête en nous disant tout de suite si un outrage a été commis ou non ?
César avait le visage tellement crispé que, même depuis mon ancien poste d'observation près de la porte – que j'avais du reprendre maintenant que Cicéron n'était plus consul –, je pouvais voir les muscles de sa mâchoire palpiter lorsqu'il se leva pour répondre.
— Les mystères de la Bonne Déesse ne dépendent pas du grand pontife puisqu'il n'a même pas le droit d'être présent pendant leur célébration, dit-il avant de se rasseoir.
Cicéron prit une expression perplexe et se releva.
— Mais n'était-ce pas la propre épouse du grand pontife qui présidait la cérémonie, cette fois-ci ? Il doit au moins avoir une idée de ce qui s'est passé.
Il reprit sa place.
César hésita une fraction de seconde, puis se leva et annonça tranquillement :
— Cette femme n'est plus mon épouse.
Un murmure excité fit le tour de la chambre. Cicéron se leva de nouveau et, cette fois, sa perplexité ne parut pas feinte.
— Nous pouvons donc en conclure qu'il y a bien eu outrage.
— Pas nécessairement, répliqua César avant de se rasseoir.
— Mais si rien de scandaleux ne s'est produit, pourquoi le grand pontife divorce-t-il ?
Parce que l'épouse du grand pontife se doit d'être au-dessus de tout soupçon.
Le détachement de la réponse suscita un certain amusement et Cicéron se garda de se relever, faisant signe à Murena qu'il ne désirait pas approfondir la question. Plus tard, sur le chemin de la maison, il me confia, non sans une note d'admiration :
— C'est la chose la plus impitoyable que j'aie jamais vue au sénat. Depuis combien de temps dirais-tu que César et Pompeia sont mariés ?
— Cela doit faire six ou sept ans.
— Et pourtant, je suis certain qu'il n'a décidé le divorce que pendant que je l'interrogeais. Il a pris conscience que c'était la meilleure façon de se sortir de ce mauvais pas. Il faut lui reconnaître ça : la plupart des hommes ne seraient pas prêts à abandonner leur chien aussi facilement.
Je pensai tristement à la belle Pompeia et me demandai si elle savait que son mari venait de mettre publiquement fin à leur mariage. Connaissant la promptitude habituelle de César, je soupçonnais qu'elle serait à la rue avant la tombée de la nuit. ..."

Témoignage : PLUTARQUE, Vie de César, ch. X

[10] Ταύτην τότε τὴν ἑορτὴν τῆς Πομπηΐας ἐπιτελούσης, ὁ Κλώδιος οὔπω γενειῶν, καὶ διὰ τοῦτο λήσειν οἰόμενος, ἐσθῆτα καὶ σκευὴν ψαλτρίας ἀναλαβὼν ἐχώρει, νέᾳ γυναικὶ τὴν ὄψιν ἐοικώς· καὶ ταῖς θύραις ἐπιτυχὼν ἀνεῳγμέναις, εἰσήχθη μὲν ἀδεῶς ὑπὸ τῆς συνειδυίας θεραπαινίδος, ἐκείνης δὲ προδραμούσης, ὡς τῇ Πομπηΐᾳ φράσειε, καὶ γενομένης διατριβῆς, περιμένειν μὲν ὅπου κατελείφθη τῷ Κλωδίῳ μὴ καρτεροῦντι, πλανωμένῳ δ´ ἐν οἰκίᾳ μεγάλῃ καὶ περιφεύγοντι τὰ φῶτα προσπεσοῦσα τῆς Αὐρηλίας ἀκόλουθος, ὡς δὴ γυνὴ γυναῖκα παίζειν προὐκαλεῖτο, καὶ μὴ βουλόμενον εἰς τὸ μέσον εἷλκε, καὶ τίς ἐστι καὶ πόθεν ἐπυνθάνετο. τοῦ δὲ Κλωδίου φήσαντος Ἅβραν περιμένειν Πομπηΐας, αὐτὸ τοῦτο καλουμένην, καὶ τῇ φωνῇ γενομένου καταφανοῦς, ἡ μὲν ἀκόλουθος εὐθὺς ἀπεπήδησε κραυγῇ πρὸς τὰ φῶτα καὶ τὸν ὄχλον, ἄνδρα πεφωρακέναι βοῶσα, τῶν δὲ γυναικῶν διαπτοηθεισῶν, ἡ Αὐρηλία τὰ μὲν ὄργια τῆς θεοῦ κατέπαυσε καὶ συνεκάλυψεν, αὐτὴ δὲ τὰς θύρας ἀποκλεῖσαι κελεύσασα περιῄει τὴν οἰκίαν ὑπὸ λαμπάδων, ζητοῦσα τὸν Κλώδιον. εὑρίσκεται δ´ εἰς οἴκημα παιδίσκης ᾗ συνεισῆλθε καταπεφευγώς, καὶ γενόμενος φανερὸς ὑπὸ τῶν γυναικῶν ἐξελαύνεται διὰ τῶν θυρῶν. τὸ δὲ πρᾶγμα καὶ νυκτὸς εὐθὺς αἱ γυναῖκες ἀπιοῦσαι τοῖς αὑτῶν ἔφραζον ἀνδράσι, καὶ μεθ´ ἡμέραν ἐχώρει διὰ τῆς πόλεως λόγος, ὡς ἀθέσμοις ἐπικεχειρηκότος τοῦ Κλωδίου καὶ δίκην οὐ τοῖς ὑβρισμένοις μόνον, ἀλλὰ καὶ τῇ πόλει καὶ τοῖς θεοῖς ὀφείλοντος. Ἐγράψατο μὲν οὖν τὸν Κλώδιον εἷς τῶν δημάρχων ἀσεβείας, καὶ συνέστησαν ἐπ´ αὐτὸν οἱ δυνατώτατοι τῶν ἀπὸ τῆς βουλῆς, ἄλλας τε δεινὰς ἀσελγείας καταμαρτυροῦντες, καὶ μοιχείαν ἀδελφῆς ἣ Λευκούλλῳ συνῳκήκει. πρὸς δὲ τὰς τούτων σπουδὰς ὁ δῆμος ἀντιτάξας ἑαυτὸν ἤμυνε τῷ Κλωδίῳ καὶ μέγα πρὸς τοὺς δικαστὰς ὄφελος ἦν, ἐκπεπληγμένους καὶ δεδοικότας τὸ πλῆθος. ὁ δὲ Καῖσαρ ἀπεπέμψατο μὲν εὐθὺς τὴν Πομπηΐαν, μάρτυς δὲ πρὸς τὴν δίκην κληθείς, οὐδὲν ἔφη τῶν λεγομένων κατὰ τοῦ Κλωδίου γιγνώσκειν. ὡς δὲ τοῦ λόγου παραδόξου φανέντος ὁ κατήγορος ἠρώτησε „πῶς οὖν ἀπεπέμψω τὴν γυναῖκα;“ „ὅτι“ ἔφη „τὴν ἐμὴν ἠξίουν μηδ´ ὑπονοηθῆναι“. ταῦθ´ οἱ μὲν οὕτω φρονοῦντα τὸν Καίσαρα λέγουσιν εἰπεῖν, οἱ δὲ τῷ δήμῳ χαριζόμενον, ὡρμημένῳ σῴζειν τὸν Κλώδιον. ἀποφεύγει δ´ οὖν τὸ ἔγκλημα, τῶν πλείστων δικαστῶν συγκεχυμένοις τοῖς γράμμασι τὰς γνώμας ἀποδόντων, ὅπως μήτε παρακινδυνεύσωσιν ἐν τοῖς πολλοῖς καταψηφισάμενοι, μήτ´ ἀπολύσαντες ἀδοξήσωσι παρὰ τοῖς ἀρίστοις.

[10] (1) L'année de la préture de César, Pompéia fut chargée de célébrer cette fête : Clodius, qui n'avait pas encore de barbe, se flattant de n'être pas reconnu, prit l'habillement d'une joueuse de harpe, sous lequel il avait tout l'air d'une jeune femme. (2) Il trouva les portes ouvertes et fut introduit sans obstacle par une des esclaves de Pompéia, qui était dans la confidence, et qui le quitta pour aller avertir sa maîtresse : comme elle tardait à revenir, Clodius n'osa pas l'attendre dans l'endroit où elle l'avait laissé. Il errait de tous côtés dans cette vaste maison et évitait avec soin les lumières, lorsqu'il fut rencontré par une des femmes d'Aurélia, qui, croyant parler à une personne de son sexe, voulut l'arrêter et jouer avec lui ; étonnée du refus qu'il en fit, elle le traîna au milieu de la salle, et lui demanda qui elle était, et d'où elle venait. (3) Clodius lui répondit qu'il attendait Abra, l'esclave de Pompéia ; mais sa voix le trahit, et cette femme s'étant rapprochée des lumières et de la compagnie, cria qu'elle venait de surprendre un homme dans les appartements. L'effroi saisit toutes les femmes : Aurélia fit cesser aussitôt les cérémonies, et voiler les choses sacrées. Elle ordonna de fermer les portes, visita elle-même toute la maison avec des flambeaux, et fit les recherches les plus exactes. (4) On trouva Clodius caché dans la chambre de l'esclave qui l'avait introduit chez Pompéia ; il fut reconnu par toutes les femmes, et chassé ignominieusement. (5) Elles sortirent de la maison dans la nuit même, et allèrent raconter à leurs maris ce qui venait de se passer. Le lendemain toute la ville fut informée que Clodius avait commis un sacrilège horrible ; et l'on disait partout qu'il fallait le punir rigoureusement, pour faire une réparation éclatante, non seulement à ceux qu'il avait personnellement offensés, mais encore à la ville et aux dieux qu'il avait outragés. (6) Il fut cité par un des tribuns devant les juges, comme coupable d'impiété ; les principaux d'entre les sénateurs parlèrent avec force contre lui, et l'accusèrent de plusieurs autres grands crimes, en particulier d'un commerce incestueux avec sa propre soeur, femme de Lucullus. (7) Mais le peuple s'étant opposé à des poursuites si vives, et ayant pris la défense de Clodius, lui fut d'un grand secours auprès des juges que cette opposition étonna, et qui craignirent les fureurs de la multitude. (8) César répudia sur-le-champ Pompéia, et appelé en témoignage contre Clodius, il déclara qu'il n'avait aucune connaissance des faits qu'on imputait à l'accusé. (9) Cette déclaration ayant paru fort étrange, l'accusateur lui demanda pourquoi donc il avait répudié sa femme : « C'est, répondit-il, que ma femme ne doit pas même être soupçonnée. » (10) Les uns prétendent que César parla comme il pensait ; d'autres croient qu'il cherchait à plaire au peuple, qui voulait sauver Clodius. (11) L'accusé fut donc absous, parce que la plupart des juges donnèrent leur avis sur plusieurs affaires à la fois, afin, d'un côté, de ne pas s'attirer, par sa condamnation, le ressentiment du peuple ; et, de l'autre, pour ne pas se déshonorer aux yeux des bons citoyens par une absolution formelle.

Autre témoignage :

John MADDOX ROBERTS, Sacrilège à Rome Titre original : The Sacrilege (1992)
Traduction : Alexis CHAMPON
Édition : 10|18 "Grands détectives", n° 3809, 2006

Extrait (pp. 86-91) :

"... À l'intérieur, la Curie bourdonnait de murmures, les sénateurs brûlaient à la fois d'inquiétude et de curiosité. Aux premiers rangs, où siégeaient les membres les plus importants, se tenaient les consuls et les hauts magistrats, les pontifes et le princeps. Quelque chose me frappa : certains d'entre eux, notamment les consuls, paraissaient amusés. On sentait qu'ils se retenaient de rire mais, lorsque César les rejoignit, ils retrouvèrent leur visage grave. Les consuls s' assirent sur leur chaise curule et nous sur les bancs. Lorsque chacun eut pris sa place, Hortalus se leva. - Pères conscrits, commença-t-il, je dois vous faire part d'un grave problème. Sa voix était aussi douce à l'oreille que du miel sur la langue. - Hier soir, ici, dans la cité sacrée de Quirinus, un sacrilège haineux a été commis !

La pause qu'il marqua pour ménager ses effets porta ses fruits. C'était la dernière nouvelle à laquelle les sénateurs s'étaient attendus. Il était rare qu'on offensât les dieux, et, lorsque cela arrivait, c'était d'habitude à la virginité des vestales qu'on s'attaquait. Toutefois, je remarquai qu'Hortalus avait utilisé le mot sacrilegium, un terme rare. Les relations sexuelles avec une vestale étaient qualifiées d' incestum.

- Hier soir, poursuivit Hortalus, pendant le rite le plus ancien et le plus solennel de la Bona Dea, un imposteur a été surpris en train d'espionner le rituel, ce qui est interdit aux hommes ! Le questeur Publius Clodius Pulcher s'est glissé furtivement chez le grand pontife, déguisé en femme !

La Curie explosa. Certains réclamaient un procès, d'autres la mort. Mais les sifflets et les huées couvraient les voix. Je n'étais pas en reste ; je sautais de joie comme un enfant et applaudissais de toutes mes forces.

- On va enfin être débarrassé de lui, dis-je à mon voisin. Maintenant, il sera condamné et subira un horrible châtiment rituel, enterré vivant ou écartelé avec des pinces chauffées à blanc, ou je ne sais quoi. C'étaient certes des pensées réjouissantes, mais mon voisin tempéra mon enthousiasme.

- Il faudra d'abord le juger. Assieds-toi et voyons ce que les pontifes et les avocats en disent. Je n'avais pas pensé à ça. Cicéron s'était attiré plein d'ennuis en poussant le Sénat à condamner les membres de la conjuration de Catilina sans procès, et personne ne l'avait oublié. Je me rassis. Dommage, les sénateurs allaient hésiter à le poursuivre.

Le consul Calpurnianus se leva et brandit une main pour réclamer le silence qu'il finit par obtenir. - Pères conscrits, avant de prendre une décision, nous devons savoir de quoi nous parlons. Le distingué princeps Quintus Hortensius Hortalus a utilisé le mot « sacrilège ». Je demanderai à un autre distingué juriste, Marcus Tullius Cicero, de nous préciser sa signification. Cicéron se leva à son tour.
- Jadis, le sacrilège était défini par le vol d'objets consacrés à un dieu, ou déposés dans un lieu sacré. Plus récemment, le mot s'est étendu pour couvrir tous les dommages ou insultes faits aux dieux et aux lieux sacrés. Si les pères conscrits me l'ordonnent, je serai heureux de préparer une liste des sources et des précédents qui font jurisprudence sur ce point.
- Caius Julius César, dit Calpurnianus, en tant que grand pontife, dirais-tu que ce forfait mérite le nom de sacrilège ? César se leva et arpenta le Sénat comme s'il officiait aux funérailles de son père. Il se couvrit la tête avec un pan de sa toge, aussi solennel qu'un acteur de tragédie.
- Il le mérite, approuva-t-il, et, à ma grande honte, cet acte innommable a été commis dans la maison de César.

C'était la première fois que je l'entendais parler de lui à la troisième personne, une fâcheuse habitude qui ne nous devint par la suite que trop familière.
- Alors, fit Calpurnianus, avec le concours du Sénat, je demanderai au préteur Aulus Gabinius de se rendre chez Clodius avec ses licteurs et de le mettre en état d'arrestation. - Un instant ! s'écria un sénateur qui répondait au nom de Fufius, larbin notoire de Clodius. Publius Clodius est un fonctionnaire romain en activité, il ne peut être arrêté ni mis en accusation pendant son mandat !
- Oh, assieds-toi et cesse de dire des âneries ! aboya Cicéron. Clodius est un simple questeur qui n'a pas plus d'imperium que de cervelle. En outre, il n'a pas encore rejoint son poste, et son délit n'a rien à voir avec sa révocation.
- Et n'oublions pas, renchérit Métellus Népos avec malice, que pendant la conjuration de Catilina, des fonctionnaires romains, parmi lesquels un préteur, furent arrêtés. Le sacrilège ne serait-il pas aussi grave que la trahison ? Cela n'avait aucun rapport avec Clodius, bien sûr, c'était dirigé contre Cicéron qui avait ordonné les arrestations.

Je dois avouer que, durant ces disputes sur les rites et la légalité, l'humeur des sénateurs était restée à l'hilarité. L'affaire était tellement absurde qu'on aurait cru assister à une pièce d'Aristophane. Nous n'aurions pas été surpris de voir les héros mettre des masques aux larges sourires comiques.

- Citoyens, lança Hortalus, avant qu'il soit question d'arrestation et de jugement, je dois vous rappeler quelque chose ! Si nous traînons Publius Clodius en justice, il y aura des témoins. Au cours de leurs dépositions, tôt ou tard, ils devront parler des rites de la Bonne Déesse.
Sa déclaration doucha l'assemblée. Caton se leva.
- Impensable ! Ces questions sacrées ne doivent pas devenir le sujet de vulgaires ragots sur le Forum !
- Sors d'ici, Caton ! cria quelqu'un. Je parie cent sesterces qu'on ne parle déjà que de ça en ce moment !
- Comment tenir un procès quand les femmes présentes pendant le délit ne peuvent parler de ce qu'elles faisaient et qu'aucun homme ne peut l'entendre ? demanda le préteur Nason.

Cela déclencha de nouveaux appels à l'action en justice et des protestations contre celle-ci. Je commençai à désespérer qu'une quelconque initiative constructive fût prise. En ce moment, me dis-je, Clodius doit chevaucher sur un rapide coursier vers Messine, d'où il prendra un bateau pour la Sicile, où il profitera de ses fonctions pour se cacher en attendant que la colère se calme à Rome.

Vers midi eut lieu un dialogue remarquable. Tout le monde en a entendu une version ou une autre, certainement déformée au-delà du vraisemblable par ceux qui n'étaient pas là ou par ceux qui y étaient, mais eurent peur par la suite de dire la vérité. Je suis le seul encore en vie à avoir été présent ce jour-là, et je vais vous raconter ce qui s'est réellement passé, non comment l'histoire a fini dans la légende.

- Caius Julius, dit le consul Messala Niger, sans mentionner les choses défendues, connais-tu quelques-unes des femmes présentes la nuit dernière et as-tu une idée de ce que Clodius ourdissait lorsqu'il est entré chez toi déguisé en femme ?
Le silence le plus total se fit. Tout le monde avait envie d'entendre ça. - Ma mère, Aurélia, m'a rapporté qu'on murmurait que Clodius s'était introduit furtivement chez moi afin d'entretenir une liaison avec Pompéia. Il se redressa de tout son long et je le soupçonne d'avoir chaussé des cothurnes.
- J'ai donc décidé de divorcer de Pompéia sans attendre. Céler se leva.
- Pas de précipitation, Caius Julius. Il n'y a rien entre ta femme et Clodius. Il voulait seulement espionner les rites. L'imbécile ne parlait que de ça depuis quelques jours.

César prononça alors une parole historique. Regardant tout autour de lui tel un aigle, il déclara :

"Elle est peut-être innocente, mais peu importe. La femme de César doit rester au-dessus de tout soupçon".

On aurait entendu une épingle tomber dans la Curie.
L'apparition d'un dieu au milieu du Sénat n'aurait pas provoqué une telle stupéfaction.
Parmi les défauts qui m'empoisonnèrent la vie il y a mon rire, bruyant et haut perché, et qui a souvent été comparé au braiment d'un âne. C'était plus fort que moi. Je tentais de le retenir le plus longtemps possible, puis le laissais exploser quand la douleur devenait insupportable. Cela commença par une sorte d'éternuement et ressembla bientôt aux cris d'un troupeau d'ânes exigeant leur ration d'avoine.

Aussitôt, le Sénat croula de rire. De vieux hommes politiques acariâtres qui ne riaient jamais plus d'une fois par an se plièrent en deux. Des pontifes solennels avaient les larmes aux yeux. Juste au-dehors de la salle, un banc entier de tribuns gloussaient à s'en faire mal au ventre si bien qu'ils n'auraient jamais pu interposer leur veto si nous avions réclamé la tête de tous les plébéiens de Rome. Je jure même avoir vu Caton sourire.

Depuis que Caius Julius est dieu, les gens croient qu'il a toujours inspiré un respect craintif. Rien n'est plus éloigné de la réalité. A l'époque dont je parle, il avait quarante ans, il n' avait rien accompli sur le plan militaire ou politique et ne jouissait d'une grande considération que dans les assemblées populaires où il avait le don de s'attirer les faveurs de la foule. Par moult pots-de-vin, il s'était frayé un chemin jusqu'au pontificat et n'était connu que pour sa prodigalité et sa moralité douteuse. De Caius Julius, on s'accordait sur deux choses : il s'était endetté comme personne et avait presque certainement été sodomisé par le roi Nicomède de Bithynie.

C'est d'entendre cette déclaration moralisatrice de sa bouche qui déclencha l'hilarité du Sénat. Pendant que les Romains étaient pliés de rire, César resta figé comme une statue. Des années plus tard, je passai de nombreuses nuits blanches à me demander s'il se souvenait que j'avais été le premier à éclater de rire ce jour-là.

La réunion se termina sans qu'aucune décision ne soit prise. L'anecdote fit le tour de la ville à la vitesse de l'éclair. Par la suite et pendant des mois, les comédies et les inscriptions murales reprirent le fameux dicton de César. Chaque fois qu'une conversation faiblissait ou qu'une fête perdait de son entrain quelqu'un proclamait : « Mais la femme de César doit rester au-dessus de tout soupçon », et chacun éclatait de rire comme une hyène enragée. ..."

Référence utile : ACTU'ITINERA du 27 janvier 2006


2. HODOI ELEKTRONIKAI : 5 nouveaux environnements hypertextes :

Christian RUELL a constitué, cette semaine-ci, 5 nouveaux environnemnts hypertextes :

  • Aristote, Les Topiques, livre VII [Texte grec et traduction française repris au site de Philippe Remacle]
  • Pseudo-Denys l'Aréopagite, Des Noms divins, texte complet [Texte grec et traduction française repris au site de Philippe Remacle]
  • Pseudo-Denys l'Aréopagite, La Hiérarchie céleste, texte complet [Texte grec et traduction française repris au site de Philippe Remacle]
  • Procope, Le livre des guerres, livre III [Texte grec et traduction française repris au site de Philippe Remacle]
  • Procope, Le livre des guerres, livre IV [Texte grec et traduction française repris au site de Philippe Remacle]

Les textes bruts de ces oeuvres sont disponibles dans le Dépôt HODOI ELEKTRONIKAI.


Jean Schumacher
22 janvier 2010


 
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Dernière mise à jour : 17/02/2002