Ode I.13

À LYDIE


Cum tu, Lydia, Telephi
ceruicem roseam, cerea Telephi
laudas bracchia, uae, meum
feruens difficili bile tumet iecur.

5 Tunc nec mens mihi nec color
certa sede manet, umor et in genas
furtim labitur, arguens
quam lentis penitus macerer ignibus.

Vror, seu tibi candidos
10 turparunt umeros immodicae mero
rixae, siue puer furens
impressit memorem dente labris notam.

Non, si me satis audias,
speres perpetuum dulcia barbare
15 laedentem oscula, quae Venus
quinta parte sui nectaris imbuit.

Felices ter et amplius
quos inrupta tenet copula nec malis
diuolsus querimoniis
20 suprema citius soluet amor die.

 

1. Vocabulaire

2. Grammaire et langue

3. Au fil du texte

4. Commentaire intégré

5. Traduction

 

 

1. VOCABULAIRE

 

ceruix, icis : f. nuque, cou.

cereus, a, um (cera) : de cire. À ne pas confondre avec cereus, i : m. cierge, bougie.

brachium, ii (bracch-) : n. le bras; calqué sur le grec brachiôn.

uae : interj. hélas ! malheur !

feruens, tis : part. présent de ferueo : être bouillonnant, bouillir ; être agité, animé. Adj. : bouillonnant de chaleur, échauffé ; emporté, impétueux.

bilis, is : f. bile, liquide visqueux et amer secrété par le foie ; mauvaise humeur, colère, emportement.

tumere : intr. tumeo, es : être gonflé, enflé. À ne pas confondre avec tumescere : tumesco,tumui ,intr. s'enfler, se gonfler.

iecur, coris/cinoris (ou iocur, iocinoris/eris) : n. le foie. Le foie est considéré dans l'Antiquité comme le siège des passions violentes ; ici, il s'agit de la colère. Voir aussi carm. I.25,15 (aussi sur Lydie) et IV.1,12 ; sat. I.9, 66 ; epist. I.18, 72.

mens, mentis : f. faculté intellectuelle, intelligence, raison; esprit, pensée, réflexion ; disposition d'esprit.

color, oris : m. couleur; ici couleur du visage, teint.

humor (umor), oris : m. (humeo) liquide de toute espèce ; ici, cela désigne les larmes.

genae, arum : f.pl. les joues.

furtim : adv. (fur) à la dérobée, en cachette (fr. furtif, furtivement).

labi : intr. labor, lapsus sum : glisser, tomber, couler.

arguere : tr. arguo, ui, utum : montrer, prouver, dévoiler (fr. argument).

lentus, a, um : tenace, visqueux ; souple, flexible ; tenace, qui dure longtemps ; lent. S'applique ici à l'amour, comme c'est le cas dans carm. III.19, 28 (me lentus Glycerae torret amor meae), chez Ovide, ars am. III, 573 (ignibus heu lentis uretur) et Tibulle, I.4, 81 (quam Marathus lento me torquet amore!). Donne l'impression d'un amour qui s'insinue dans les veines, comme la flamme chez Catulle (carm. 51), et qui ne lâche pas prise.

penitus : adv. (penus) profondément, jusqu'au fond ; entièrement, tout à fait. Il pourrait aussi s'agir ici de l'adjectif penitus, a, um : qui est au fond, profond, enfoncé (avec /i/ bref et /u/ bref) — à ne pas confondre avec penitus, a, um (penis) : muni d'une queue (avec /i/ long et /u/ long). F. PLESSIS penche plutôt pour l'hypothèse de l'adjectif (Œuvres d'Horace. Odes, épodes et chant séculaire. Texte latin avec un commentaire critique et explicatif des introductions et des tables par F. PLESSIS, P. LEJAY et E. GALLETIER, publiés par Frédéric PLESSIS, Hildesheim, 1966, p.44, note 8).

macerare : tr. macero, aui, atum : rendre doux, amollir ; énerver, épuiser (le corps) ; consumer, tourmenter (l'esprit).

urere : tr. uro, ussi, ustum : brûler, consumer.

turpare : tr. turpo, aui, atum (turpis) : salir, souiller; défigurer, enlaidir (cfr. carm. IV.13, 11-12). Ici il y a souillure vu que les épaules blanches de Lydie ont été meurtries dans l'ivresse démesurée des rixes.

humerus (umerus), i : m. humérus; épaule.

merum, i : n. (merus) vin pur. Dans l'Antiquité, avant consommation, on filtrait le vin à l'aide dêune passoire ou d'une pièce de lin (cfr. carm. I.9, 6).

immodicus, a, um (in, modicus) : démesuré, excessif, qui n'a pas de retenue, de mesure.

rixa, ae : f. dispute, différend, contestation, rixe ; lutte, combat.

imprimere : tr. imprimo, pressi, pressum (in, premo) : appliquer sur, appuyer sur ; faire en pressant, en enfonçant ; empreindre, imprimer, marquer de.

memor,oris : adj. qui a le souvenir, qui a bonne mémoire; qui fait souvenir, rappelle (cfr. carm. III. 11, 51).

labrum, i : n. (lambo) lèvre. À ne pas confondre avec labrum, i ( avec /a/ long) : n. (lauo) : grand vase, bassin, cuve, baignoire.

audire : tr. audio, iui/ii, itum : entendre, écouter ; ici écouter dans le sens de suivre les vues de quelqu'un. L'expression utilisée ici est souvent reprise par Cicéron, cfr. de or. 1, 68 (si me audiet, s'il veut m'en croire) et 2, 89 ; Br. 280 ; fin. 1, 42 etc.

barbare : adv. de façon barbare (= de pays étranger par rapport aux Grecs); d'une façon barbare, grossière.

laedere : tr. laedo, si, sum : blesser, endommager (fr. lésion).

osculum, i : n. petite bouche (diminutif de os, oris); baiser. Ce mot est pris ici dans le premier sens, comme chez Ovide, met. I, 498 (décrivant Daphné).

imbuere : tr. imbuo, bui, butum : abreuver, imbiber, imprégner.

ter (tres) : adv. multiplicatif utilisé dans l'expression ter et amplius, variante de l'expression ter et quater, cfr. carm. I.31, 13 ; Virgile, Aen. I, 94 (terque quaterque) ; Ovide, trist. III, 12, 25 (quater et quotiens).

irruptus (inruptus), a, um : non rompu, indissoluble. Seule apparition de ce mot en latin ; si F. PLESSIS (p. 45) considère la création de ce mot par Horace d'après le grec peu fondée, Ad. WALTZ range au contraire "irruptus" parmi les mots nouveaux créés par Horace et ajoute en regard le modèle grec, arrhktos. Voir Ad. WALTZ, Des variations de la langue et de la métrique d'Horace dans ses différents ouvrages, Paris, 1881, p.84.

copula, ae : f. (cum, apio) tout ce qui sert à attacher, lien, chaîne ; lien moral, union.

diuulsus, a, um : part. parfait passif de diuellere : tr. diuello, uelli (uulsi), uulsum : tirer en sens divers, déchirer, mettre en pièces ; séparer de.

querimonia, ae : f. (queror) plainte, lamentation, doléances ; sujet de plaintes, querelle.

supremus, a, um : superl. de superus : le plus au-dessus, le plus haut; (en parlant du temps) à l'extrémité, le dernier.

citius : comparatif de l'adv. cito (citus) : vite, aisément.

soluere : tr. soluo, solui, solutum: délier, dénouer, détacher.

 

2. GRAMMAIRE ET LANGUE

 

Lydia, Telephi : rapprochement suggestif des deux prénoms, qui illustre parfaitement la relation intime qui unit ces deux personnages.

ceruicem roseam, cerea Telephi : ce vers est très expressif par son allitération (répétition de cer- à l'initiale) et la reprise du groupe de voyelles /ea/. Il y a également "uariatio" car, si les deux premiers membres ont une terminaison semblable (allitération en /m/), les deux suivants rompent la symétrie par le dernier mot, Telephi. Cette rupture semble très importante étant donné que le nom de Télèphe du premier vers se retrouve répété au second : tous les deux sont en fin de vers et la rime est complète. Cela traduit l'enthousiasme débordant de Lydie qui ne parle que de Télèphe, et peut-être l'irritation d'Horace qui est le dernier à vouloir entendre ce nom, particulièrement dans la bouche de celle qu'il aime.

meum...iecur : très forte disjonction du nom et de l'adjectif possessif, ce qui permet un rapprochement entre "uae" et "meum" et de placer les termes séparés tous deux en fin de vers. Tout cela contribue à souligner la colère d'Horace et à accentuer le ton personnel de la plainte.

feruens difficili bile : allitération en /f/ et répétition de la voyelle /i/.

tunc nec mens mihi nec color : répétition de nasales au sein du vers, mêlée à une récurrence du son /c/ de part et d'autre du centre (mens mihi). La répétition de nec…nec ne rend le vers que plus expressif. Ajoutons à cela la reprise de la finale /or/ au vers suivant, où "humor" au v. 6 rappelle "color" du vers 5.

mihi : datif d'avantage/ de point de vue (Vsus, § 275).

manet : l'apparat critique signale une licence métrique qui consiste à allonger une syllabe finale brève terminée par une consonne et placée devant un mot qui commence par une voyelle. En latin, toute voyelle d'une syllabe finale consonantique est brève, sauf lorsque cette consonne finale est /s/. Or, la syllabe finale de "manet" est ici longue au lieu d'être brève. L'apparat critique renvoie à 7 autres occurrences de ce phénomène dans les Odes d'Horace : I.3, 36 ; II.6.14 ; II.13,16 ; II.18, 2 ; III.5, 17 ; III.16, 26 et III.24, 5.

nec mens...nec color...manet : accord avec le sujet le plus proche. Notons que le manuscrit M présente une lectio facilior "manent", qui élimine la licence métrique. F. PLESSIS remarque qu'il ne s'agit pas ici d'un zeugma où seul un des deux noms conviendrait au verbe : "la vérité est que certa sede manet, ayant deux sujets dont l'un est moral, mens, et l'autre physique, color, convient au premier dans le sens figuré, au second dans le sens propre" (p.43, note aux vers 5-6).

quam : porte sur l'adjectif penitus, cfr. Catulle 66, 23 : Quam penitus maestas exedit cura medullas ! (quel profond chagrin te dévorait jusqu'aux moëlles!)

lentis penitus macerer ignibus : finales identiques et répétition de la voyelle /i/.

turparunt umeros immodicae mero : vers extrêmement expressif au centre du poème. Nous avons tout d'abord la syncope de "turpa(ue)runt". Ensuite, il y a clairement une allitération en /m/ et en /r/. Enfin, "mero" se trouve audacieusement compris dans son entièreté dans le "uMEROs" qui précède.

immodicae mero : immodicus se construit habituellement avec le génitif ; ici, mero doit être un ablatif de cause.

rixae : rejet qui souligne la violence de la relation de Lydie et Télèphe.

seu tibi candidos...siue puer furens : parallélisme presque parfait entre ces deux membres de vers, avec toutefois uariatio (seu...siue au lieu de seu...seu/siue...siue) et opposition entre les termes parallèles (tibi/puer ; candidos/furens). Notons également les récurrences phoniques dans "pUER fUREns".

impressit memorem dente labris notam : forte allitération en /m/ et rapprochement suggestif de "dente" et "labris" traduisant l'opposition entre la douceur de Lydie et la violence de Télèphe.

non...speres : subjonctif présent de sperare, différent de ne speres qui serait un ordre négatif. L'édition Budé traduit cependant par "n'espère pas". F. PLESSIS estime que cela correspond au conditionnel français (p.44) et renvoie à deux autres passages chez Horace, epist. I.18, 72 et ars poet. 460. Une hypothèse personnelle serait que ces auteurs ont tout simplement oublié la présence du "si... audias" du vers précédent : il me semble qu'il s'agit ici d'une simple conditionnelle potentielle avec le subjonctif présent dans la subordonnée et la principale, un peu dans l'esprit de la construction familière que nous avons rencontrée dans l'ode à Leuconoé (mais là il s'agissait d'une construction paratactique avec l'omission de la conjonction si). La condition qui ferait en sorte que Lydie ne doit pas espérer un amour éternel avec Télèphe se trouve dans le "si... audias": "si jamais tu voulais m'en croire", dit Horace, "tu n'espérerais pas...". Cela montre en outre que le poète n'a pas beaucoup d'espoir de convaincre Lydie. Les deux exemples proposés par F. PLESSIS paraissent peu convaincants vu qu'ils ne présentent que des subjonctifs en principale, sans une conditionnelle.

speres perpetuum dulcia barbare laedentem oscula : dépendant de speres, nous avons une proposition complétive avec sujet sous-entendu (quelque chose comme illum) et ellipse d'un verbe. Ad. WALTZ (Des variations de la langue et de la métrique d'Horace dans ses différents ouvrages, Paris, 1881, p.121) estime qu'il s'agit de l'ellipse du participe grec ousan, ce qui nous semble peu compréhensible étant donné que sperare ne se construit pas avec le participe. Il vaut peut-être mieux sous-entendre l'infinitif fore, qu'il avait rejeté. Ou bien, plus simplement, perpetuum n'est-il qu'un attribut du COD laedentem substantivé.

dulcia barbare : rapprochement qui traduit (comme le dente labris) l'opposition entre la douceur de Lydie et la violence de Télèphe.

laedent(em) oscula : seule élision du poème.

felices...quos : accusatif exclamatif, avec pour sujet une "proposition relative nominalisée", c'est-à-dire sans nom antécédent lexicalisé (Vsus, § 417).

nec : il me semble que cette négation a une grande importance ; je la fais porter et sur diuulsus et sur soluet.

malis...querimoniis : homéotéleute créant une rime.

suprema...die : disjonction très expressive ; le "dernier jour", la mort encadre un amour qui se dissout. La question de la fonction de suprema die pose problème : cet ablatif, généralement traduit par "avant le dernier jour", pourrait aussi être considéré comme le second terme de comparaison dépendant de citius. F. PLESSIS (p.45) estime que la seconde solution est la meilleure, mais il semble que toutes deux sont possibles. L'ablatif de temps traduit simplement à mon avis l'espoir que l'amour ne cesse pas avant la mort, tandis que l'ablatif de comparaison implique que la mort viendra de toute façon vite dénouer cet amour ; l'espoir est dès lors que des querelles ne viennent pas détruire prématurément quelque chose que la mort va inévitablement dénouer. Cette seconde solution semble convenir mieux à l'idée qu'Horace se faisait de la mort et au besoin qu'il y a à profiter de plaisirs présents (l'amour, dans ce cas) avant de mourir.

3. AU FIL DU TEXTE

 

tu : l'emploi du pronom personnel de la deuxième personne du singulier est très expressif ; c'est bien le fait que ce soit Lydie — et personne d'autre — qui loue Télèphe qui enrage Horace. On pourrait ainsi imaginer le ton accusateur et peut-être agressif sur lequel Horace apostrophe la jeune femme. J.-Y. MALEUVRE considère que ce "tu" est la preuve que Lydie était une femme mariée : "en soulignant que Lydia devrait être la dernière à oser louer les avantages de Télèphe, le pronom emphatique tu implique que cette liaison la déshonore et qu'elle devrait au moins avoir la pudeur de s'en cacher" ( J.-Y. MALEUVRE, Trois odes d'Horace (I, 8, 13, 14) in LEC, t. 58 [1990], p.134). Cela semble quelque peu excessif ; on pourrait tout simplement y voir la souffrance d'Horace face à Lydie qu'il aime et qui crie sur tous les toits les qualités de Télèphe.

Lydia
: le nom grec de Lydie (Ludia) se retrouve dans les Odes I.8, I.25 et III.9. Il est plus que probable qu'il s'agit d'un pseudonyme ; je ne vois que peu d'intérêt à chercher à découvrir l'identité de cette femme. La conclusion de J.-Y. MALEUVRE (p.133), à savoir que c'est Mécène qui parle dans ce poème et que Lydie est en fait sa femme Terentia, semble très tirée par les cheveux —et son affirmation que le "puer furens" au vers 11 "connote puissamment Octave" (p.134) pousse l'analyse très loin.

Telephi : ce nom se retrouve dans les Odes III.19 et IV.21. Comme celui de Lydie, il vient du grec : formé de "tèlé" et "phôs", il signifie "qui répand au loin la lumière". J.-Y. MALEUVRE (p.135) fait remarquer que Calaïs, l'amant de Lydie dans l'Ode III.9, est qualifié de sidere pulchrior, "plus beau qu'une étoile" : "compliment qui fait de lui le sosie de Télèphe". Il signale aussi que certains préfèrent assimiler Télèphe au soleil (p.135, note 20). F. PLESSIS (p.42-43) critique quant à lui l'opinion d'un certain Ritter selon lequel le Télèphe de cette Ode I.13 serait le même que celui de l'Ode III.19, qui ne serait autre que le rhéteur Héliodore. Ritter a ainsi rapproché Héliodore ("présent du Soleil") et Télèphe ("qui répand au loin la lumière"), ce que notre commentateur trouve faible. Je ne vois pas plus d'intérêt d'essayer d'identifier Télèphe que Lydie.

ceruicem roseam : d'après Varron, ling. lat. VIII, 14 et X, 78 l'orateur Hortensius est le premier à avoir utilisé le singulier ceruix au lieu du pluriel ceruices. Le roseam doit signifier que le cou est blanc avec une teinte rosée ; Virgile (Aen. I, 402) utilise la même expression pour Vénus (auertens rosea ceruice refulsit).

cerea...bracchia : un certain Caper a substitué lactea à cerea (cfr apparat critique), mais l'ensemble des manuscrits présente cerea. Il existe plusieurs interprétations de cette expression ; Servius comprend que les bras de Télèphe sont blancs comme de la cire blanche, et c'est l'opinion qui est généralement retenue. Le Gaffiot propose toutefois une autre interprétation, à savoir que les bras de Télèphe sont blonds (= couleur jaune de la cire), ce qui paraît aussi plausible.

uae, meum : l'interjection uae couplée avec l'adjectif possessif de la première personne crée une rupture avec le bonheur de Lydie et introduit le locuteur. L'apparition tardive du meum crée un effet de surprise et engage le poème dans une voie personnelle.

v.1-4 : cette première strophe est très expressive et bien construite de par ses allitérations et ses récurrences phoniques ; il y a aussi un jeu sur les noms. Horace rapproche en effet les deux noms de Lydie et Télèphe ; il apostrophe Lydie d'un ton accusateur ("tu" emphatique) ; il traduit les incessantes louanges de Lydie par la répétition de "Telephi" et, enfin, par la disjonction de "meum" et "iecur", il introduit de manière forte sa présence dans le couple et souligne sa souffrance et sa colère. Que Lydie confie à son ancien amant son amour fou pour Télèphe ne paraît pas impossible, contrairement à J.-Y. MALEUVRE qui considère la situation "hautement invraisemblable, absurde, ridicule. Est-ce à un ancien amant qu'on va vanter les mérites du nouveau ?" (p.133). Lydie pourrait agir en toute innocence, mais je pense personnellement que cette femme, malgré l'innocence qu'Horace lui attribue, n'est pas aussi douce qu'il aimerait le croire. Si en effet la Lydie de cette Ode est la même personne que celle de l'Ode III.9, qui critique le poète et joue cruellement avec sa jalousie, il ressort une image peu douce du personnage. De plus, si ses blessures désolent Horace, Lydie doit cependant bien apprécier la violence de l'amour de Télèphe, puisqu'elle le loue malgré tout. L'abondance de termes relatifs au physique dans cette strophe suggère par ailleurs que Lydie n'a pas beaucoup d'estime pour l'amour plus profond et sérieux qu'Horace lui offre.

v. 5-8 : la seconde strophe est entièrement consacrée à Horace. Les symptômes physiques de son amour rappellent ceux que décrivait Sappho dans son fameux poème, et que Catulle adapta dans son poème 51. J.-Y. MALEUVRE considère que l'emploi de umor pour lacrimae cache une image sous-jacente : "c'est celle du bois vert qui n'arrive pas à s'enflammer, mais se consume en laissant suinter sa sève, umor" (p.136). Cette strophe continue à emprunter des termes relatifs au physique, mais ces termes servent ici à décrire la profondeur de l'amour du poète, par opposition à l'amour physique de Lydie. Le terme mens me semble par ailleurs trahir ce contraste : l'amour envahit jusqu'à l'esprit d'Horace, l'opposé du corps. Le penitus souligne aussi le caractère profond de son amour, moins frivole que celui de Lydie.

Vror : le verbe à la première personne placé en début de vers indique bien qu'il s'agit ici d'une strophe personnelle et importante.

immodicae mero : en cet adjectif se trouve concentré tout ce que le poète reproche à Lydie : la démesure dont elle fait preuve dans son amour pour Télèphe. L'importance de ce vers est appuyée par les jeux phoniques et allitérations qui s'y trouvent.

impressit memorem dente labris notam : Tibulle (VI, 14) exprime également cette idée d'un amour visible par ses marques physiques, lorsqu'il déclare qu'il a fourni à Délie des sucs et des herbes pour "effacer la meurtrissure que deux amants impriment avec la dent l'un sur l'autre" (quem facit impresso mutua dente uenus). Ovide (amor. I,8, 98) conseille aux femmes de laisser voir à leur amant les marques qu'a laissées sur leur cou un rival passionné (factaque lasciuis liuida colla notis).

v. 8-12 : dans cette strophe se trouvent à nouveau mêlés Lydie, Télèphe et Horace, comme dans la première. Elle exprime par ses jeux de rapprochements et ses allitérations le contraste marqué entre l'innocente Lydie et le violent Télèphe : l'opposition des termes parallèles "tibi candidos" et "puer furens", le rapprochement de "dente" et "labris", le rejet de "rixae" et, enfin, le mélange de sons doux (/m/) et de sons durs (/r/) contribuent tous à illustrer cette différence de caractère. Les vers 10 et 12 introduisent l'idée du temps lié à la démesure.

non : marque un changement. Cette négation résume parfaitement toute l'indignation d'Horace face aux blessures de Lydie, décrites dans les strophes précédentes.

si me satis audias : ceci indique que le poète va donner un conseil à Lydie ; la valeur potentielle (si jamais tu voulais m'en croire) suggère néanmoins qu'Horace a peut-être déjà expliqué ceci à Lydie, mais qu'elle n'a rien voulu savoir.

perpetuum : forte mention du temps, qui joue un rôle crucial dans le poème : Horace prévient en effet Lydie qu'un pareil amour ne durera pas longtemps, développant ainsi l'idée de la strophe précédente .

laedent(em) oscula : cette élision, la seule du poème, semble très expressive vu qu'elle pourrait souligner le caractère éphémère de l'amour de Lydie et Télèphe ; le sujet (à savoir Télèphe) est sous-entendu et le participe qui s'y rapporte est lui-même élidé, suggérant ainsi à mon avis un "effacement" de l'amant, ce que prédit précisément Horace. Alors même que Lydie espère un amour éternel avec Télèphe, celui-ci est déjà en train de disparaître.

Venus : assimilée à l'Aphrodite grecque, Vénus apparaît ici dans sa qualité de déesse de la beauté et surtout de l'amour.

quinta parte sui nectaris : littéralement, "la cinquième partie de son nectar". Il pourrait s'agir d'une allusion à la doctrine pythagoricienne du cinquième élément, considéré comme supérieur aux quatre autres (terre, eau, air, feu) ; cet élément le plus subtil constitue l'éther. "Quinta" revient ainsi à dire "optima", c'est-à-dire ce qu'il y a de meilleur, de plus pur : la quintessence. F. PLESSIS rejette la suggestion que cela signifierait tout simplement satis ampla, soit une assez grande partie du nectar de Vénus. Le nectar est, avec l'ambroisie, la nourriture et la boisson des dieux ; que Vénus imbibe la bouche de Lydie de son propre (sui) nectar me semble souligner davantage la perfection qu'Horace attribue à celle-ci.

v. 13-16 : cette strophe devient plus générale, annonçant ainsi la strophe suivante : Télèphe n'est plus nommé et a été "effacé" par l'élision, et Horace et Lydie, bien qu'encore présents, ne le sont que grâce à un pronom personnel (me) et un verbe à la deuxième personne du sg (speres). Vénus occupe la moitié de la strophe, annonçant le amor du dernier vers.

felices...quos : Horace passe à un plan plus général : l'amour concret de Lydie et Télèphe fait place à une considération plus abstraite sur l'amour en général.

amor die : le jour est pour Horace une façon de mesurer sa vie (cfr Ode I.11), et c'est sur die que se termine le poème, accentuant d'autant plus la MESURE. Que le jour soit rapproché de l'amour me paraît voulu et suggestif : en effet, c'est bien un amour sérieux et mesuré que le poète propose à Lydie, par opposition à la démesure de l'amour de Télèphe.

v.17-20 : cette strophe, tout en semblant positive, semble trahir le pessimisme d'Horace. En effet, pour exprimer l'idée d'un amour éternel qui dure jusqu'à la mort, Horace nie des termes négatifs pour obtenir une affirmation positive : c'est ainsi que les deux derniers vers, considérés sans le nec du vers 18, sont très négatifs et dressent le tableau d'un amour éphémère et déchiré. Horace croit-il à un amour profond et éternel ? C'est certes ce qu'il offre à Lydie, mais sa façon de louer cet amour suggère que peut-être Horace ne le croit pas possible avec celle-ci.

 

4. COMMENTAIRE INTÉGRÉ

 

A. Impression d'ensemble

B. Les phrases

C. Structure en anneaux

D. Structure linéaire

 

A. Impression d'ensemble.

Ce poème est découpé en cinq strophes de 4 vers et composé de distiques formés d'un glyconique et d'un asclépiade mineur. La date en est incertaine.

— la première strophe décrit la jalousie et la colère d'Horace face aux louanges répétées de son rival Télèphe dans la bouche de Lydie.
—la seconde strophe est un petit tableau des réactions physiques du poète qui, malgré l'infidélité de celle-ci, aime encore profondément Lydie.
— dans la troisième strophe, Horace dénonce avec rage les blessures qu'a infligées l'amour violent de Télèphe à Lydie.
— dans la quatrième strophe, le poète avertit Lydie du caractère éphémère de sa passion démesurée.
— enfin, il privilégie dans la dernière strophe un amour éternel et plus modéré.


B. Les phrases.

Le poème se compose de cinq phrases :

a) une phrase constituée d'une proposition temporelle introduite par "cum" et d'une principale ; cette principale est coupée en deux par "uae", qui effectivement crée une séparation entre d'une part l'expression des sentiments de Lydie (via Horace) et d'autre part, ceux d'Horace.
b) une phrase énonciative introduite par "tunc", comprenant un participe "arguens", sur lequel vient se greffer une phrase exclamative en discours indirect, introduite par "quam".
c) une phrase énonciative divisée en deux par le balancement créé par "seu...siue".
d) une phrase formée d'une période conditionnelle potentielle, avec protase et subordonnée au subjonctif présent, et d'une proposition relative dépendant d'"oscula".
e) une phrase exclamative avec pour sujet une proposition relative déterminative, elle-même divisée en deux par un "nec".

Il ressort de ces observations que le mètre coïncide parfaitement avec le sens du poème ; à aucun moment, en effet, le sens d'une strophe ne déborde sur la suivante. Il y a, bien sûr, des enjambements ou rejets à l'intérieur des strophes, mais de façon globale, une strophe correspond à une unité de sens. Il est intéressant de remarquer qu'Horace a non seulement choisi un mètre qui ne permet que peu de variations, à savoir le choix entre une syllabe longue ou brève en fin de vers, mais aussi que le découpage métrique correspond au découpage syntaxique : cette combinaison confère au poème une impression d'équilibre et de mesure, reflétant ainsi de manière externe le message interne de l'Ode.

Le mode d'expression des strophes contribue également à cette idée : en effet, Horace coule des sentiments violents et passionnés dans des strophes qui sont simplement énonciatives. Les quelques marques d'exclamation, comme le "uae" de la première strophe et l'accusatif exclamatif de la dernière, ne sont finalement pas aussi expressives que les allitérations et récurrences phoniques qui traversent tout le poème. La construction est par conséquent du premier abord très mesurée et régulière ; ce n'est que lorsqu'on lit les strophes qu'apparaissent les jeux phoniques très expressifs. Horace prêche ainsi, dans un poème à la structure très mesurée, un amour mesuré.

 

C. STRUCTURE EN "ANNEAUX"

La structure cyclique de cette ode la transforme d'un simple poème de jalousie en une construction élaborée où les strophes rayonnent à partir d'un centre et se font écho par des similarités ou oppositions de vocabulaire ou d'idées. Le centre de ce poème se trouve au vers 10: turparunt umeros // immodicae mero. Son importance se marque par des jeux de sonorités ("mero" entièrement inclus dans "umeros"; allitération en /m/) et le rapprochement suggestif de "immodicae" et "mero" après la césure. L'Ode I.3 l'illustrait bien, l'homme ne trouve son bonheur que dans des choses qui sont à sa mesure, et ce qu'Horace dénonce ici est effectivement la démesure (immodicae) que manifeste l'amour de Lydie et Télèphe.

Observons à présent la structure cyclique qui se dégage du poème et rayonne à partir de ce centre :

STROPHES 1 ET 5 :

Ces deux strophes ont des points communs :

— Ces deux strophes évoquent toutes deux un amour très fort et durable, avec rapprochement suggestif des noms de Lydie et Télèphe au premier vers et description d'un amour qui dure jusqu'à la mort dans les v.18-20 (irrupta, nec diuulsus, nec soluet). La relation intime de Lydie et Télèphe est ainsi un exemple de irrupta copula, de même que le bonheur qu'éprouve Lydie à répéter le nom de son amant fait écho au felices de la dernière strophe.
— Il y a aussi un côté négatif dans les deux strophes: jalousie et colère d'Horace dans la première (uae, meum feruens difficili bile tumet iecur), et dans la dernière, les v.19-20 qui, considérés sans le nec du vers 18, évoquent un amour déchiré par des querelles (querimoniis).
— la répétition Telephi... Telephi des vers 1-2 pourrait correspondre au ter et amplius du vers 17, qui évoque aussi l'abondance.
— la dernière strophe évoque un amour qui se dénoue, qui se dissout (soluet) ; le vers 2 de la première strophe est peut-être une allusion à cela. Après tout, la rose (roseam) finit par se fâner et la cire (cerea) par fondre !
— la première strophe comprend la rime finale des deux premiers vers (Telephi...Telephi), tandis que la dernière fait rimer les vers 18-19 (malis...querimoniis).
— l'exclamation contenue dans le uae de la première strophe pourrait correspondre à l'accusatif exclamatif (felices quos) de la dernière.

Ces deux strophes s'opposent aussi à plusieurs égards :

— la première strophe introduit les trois protagonistes, Lydie, Télèphe et Horace, avec l'accent placé sur les prénoms et les pronoms : "tu" emphatique, rapprochement de "Lydia" et "Telephi", répétition de "Telephi", irruption du "meum". La dernière strophe, quant à elle, est beaucoup plus générale et a pris ses distances par rapport à la situation concrète du début, le "quos" s'opposant effectivement à la précision de la première strophe.
— si la première strophe décrit un moment précis dans le présent (laudas, tumet), la dernière strophe se tourne vers le futur (soluet) et vers la mort (suprema die) ; l'adverbe citius au vers 20 ne fait qu'accentuer ce contraste singulier entre le temps qui passe et Lydie qui vit dans la première strophe son amour au jour le jour, sans penser à la mort.
— la première strophe est très physique (ceruicem, bracchia, bile...iecur), alors que ce thème disparaît tout à fait dans la dernière. Ce n'est qu'aux vers 17-20 qu'apparaît pour la seule fois du poème le mot "amor", suggérant par là que cet amour qu'Horace loue dans la dernière strophe et qu'il offre à Lydie est plus sérieux, plus profond et plus durable que la passion purement physique de Lydie et Télèphe aux vers 1-4.

 

STROPHES 2 ET 4 :

Ces deux strophes présentent un nombre de similarités :

— nous avons de part et d'autre une négation forte (nec...nec/non).
— la personne du locuteur est soulignée des deux côtés par le pronom personnel (mihi/me).
— la strophe 2 est une description des symptômes de l'amour ; la strophe 4 mentionne Vénus, déesse de l'amour. Peut-être pourrait-on voir dans le "ignibus" du vers 8, en plus d'un rappel des feux de l'amour provoqués par Vénus, une allusion aux torches de Cupidon, fils de Vénus, à qui celle-ci confie souvent de faire brûler d'amour les mortels.
— l'idée du temps est prépondérante des deux côtés, avec plusieurs termes dans la strophe 2 (manet, furtim, labitur, lentis, penitus) — le verbe "labi" est d'ailleurs utilisé dans l'expression "anni labuntur", les années s'écoulent, dans l'Ode II.14, 2. Le "perpetuum" de la strophe 4, placé avant la césure, a lui aussi une grande importance, de même que le "imbuit" du vers 16 qui pourrait exprimer une idée de profondeur, de durée étant donné que Vénus imprègne, c'est-à-dire remplit durablement, la bouche de Lydie de son nectar.
— les deux strophes poursuivent le thème du physique : le teint et les joues d'Horace (color, genas), la bouche de Lydie (oscula). Ce thème est toutefois nuancé : la souffrance physique d'Horace n'est en effet qu'une manifestation du caractère profond et sérieux de son amour, qui envahit jusqu'à son esprit (mens), de même que la strophe 4 lie la bouche de Lydie à la déesse même de l'amour, Vénus.
— la boisson qu'est le nectar pourrait rappeler le "umor" de la strophe 2 : deux liquides de part et d'autre.

Ces strophes sêopposent aussi entre elles :

— la strophe 2 évoque un moment bien réel dans le temps avec son "tunc", tandis que la strophe 4 met en scène une situation potentielle qui ne s'est pas encore réalisée (si me satis audias...non speres).
— la strophe 2 était entièrement consacrée à Horace et la description de ses souffrances, tandis que la strophe 4 n'est pas descriptive, mais est une adresse directe à Lydie. Cette strophe inclut non seulement Horace et Lydie, mais aussi Télèphe (sous-entendu) et Vénus, abondance de personnes s'opposant au ton personnel de la strophe 2.



STROPHE 3 :

De part et d'autre du centre, on trouve:

seu tibi candidos (v.8)
siue puer furens (v.11)

Il s'agit d'un parallélisme presque parfait (avec toutefois la variation seu/siue), qui oppose l'innocence et la douceur de Lydie à la violence de Télèphe.



Conclusion

Nous avons ainsi une structure cyclique où les strophes se répondent ou s'opposent de part et d'autre du centre.

Pourrait-on diviser le poème en un triptyque ? Il me semble qu'organiser ce poème en trois tableaux serait possible. La strophe 3 serait ainsi le tableau central, donnant une vision assez réaliste des blessures de Lydie ; le premier volet, constitué des deux premières strophes, évoque la jalousie et la colère du poète, donc une douleur intérieure (cfr penitus) qui a cependant des manifestations physiques. Le second volet, formé des deux dernières strophes, est un essai de la part d'Horace de convaincre Lydie du caractère éphémère de l'amour de Télèphe, et de l'amener à préférer l'amour plus sérieux que lui offre le poète. Ces deux volets sont conditionnés par le panneau central et son image de la douce bouche blessée : celle-ci alimente en effet la jalousie déjà poussée d'Horace dans le premier volet, et entraîne dans le second volet la tentative désespérée de ce dernier d'extraire la jeune femme des bras de son amant violent.

 

D. STRUCTURE LINÉAIRE

Outre cette structure cyclique, nous pourrions aussi voir dans ce poème une structure linéaire ; le centre se trouve alors déplacé au point final du vers 16 de la strophe 4. De façon générale, on part d'un amour physique, concret et démesuré, pour terminer sur une strophe plus abstraite traitant d'un amour plus sérieux et durable. Le premier bloc des 4 premières strophes évoque un amour qui se manifeste par le physique, tandis que la dernière strophe traite d'un amour véritablement durable et profond. De plus, si le premier bloc est au présent ou au passé, le second envisage le futur et la mort.

De même, dans chaque strophe se trouvent des rappels pour former une continuité linéaire. Analysons chaque strophe séparément pour relever ces éléments :

STROPHE 1 :

Cette strophe évoque une sorte de "triangle amoureux": Horace aime Lydie qui aime Télèphe. L'accent est placé sur l'audition, c'est-à-dire que ce qui fait bouillir de colère Horace est la répétition incessante du nom de Télèphe dans la bouche de celle qu'il aime. Le corps joue un grand rôle dans cette strophe, que ce soit dans les louanges de Lydie (ceruicem, bracchia) ou la colère du poète (bile tumet iecur). Cela suggère un amour un peu frivole de la part de Lydie, une passion plutôt physique.

STROPHE 2 :

Cette strophe commence par un tunc, reflétant la temporelle de la strophe précédente. Cette phrase continue la description physique de la première, se centrant cependant exclusivement sur Horace ; la profondeur de son amour s'oppose à la passion de Lydie. La description montre bien que l'on passe d'une strophe plus auditive à une strophe plus visuelle ; cette strophe s'achemine ainsi progressivement vers la vision très forte de la troisième strophe. Cette strophe exprime par son vocabulaire l'idée du temps qui passe et de l'éternité, la sécurité de quelque chose qui reste stable.

STROPHE 3 :

Le uror expressif du début de cette strophe relance le thème du feu par lequel s'achevait la strophe précédente (ignibus). L'exclusivité de la première personne de la strophe 2 est balayée par la réapparition du "triangle amoureux" ("uror" pour désigner Horace, "tibi" pour Lydie et "puer" pour Télèphe). Cette strophe joue sur le contraste entre la blanche et innocente Lydie et le violent et agressif Télèphe, contraste que le couple "dente labris" illustre brillamment. L'idée du temps s'y retrouve, liée à la mesure (immodicae), et se trouve résumée dans le vers 12, où le poète condamne l'amour démesuré, qui a beau laisser des marques durables, mais qui ne durera pas pour autant éternellement. Le thème du physique figure aussi (umeros, dente labris).

STROPHE 4 :

Composée d'une période conditionnelle potentielle, cette strophe quitte le domaine du présent pour spéculer sur des événements possibles, mais pas encore réalisés. Le couple "dulcia barbare" fait écho au "dente labris" de la strophe précédente, illustrant tout aussi bien l'opposition entre la douceur et la violence. Le "audias" signale quant à lui un retour à la fonction auditive de la première strophe, après la vision marquante de la strophe 3.

L'idée du temps s'y trouve pleinement mise en évidence avec l'adjectif "perpetuum", tandis que le thème du physique trouve un dernier écho avec le "oscula". Enfin, si les trois personnages du poème s'y trouvent réunis, Lydie et Télèphe ne le sont toutefois que de façon effacée (speres, laedentem), laissant la parole à Horace. Cette strophe prépare ainsi le conseil personnel du poète dans la strophe suivante.

STROPHE 5 :

Cette strophe est une exclamation, avec pour sujet une relative déterminative, qui fait écho à la proposition relative de la strophe 4. En éliminant tout indice physique et se centrant sur une sentence du poète, cette strophe se démarque des autres, tout en maintenant néanmoins des rappels relatifs à la strophe précédente. Ainsi, le "ter et amplius" rappelle le "quinta parte", de même que Vénus trouve un écho dans le "amor" du dernier vers. De plus, le thème du temps est ici largement développé, surtout au dernier vers qui évoque le caractère inévitable de la mort et le bonheur d'un amour durable.

 

CONCLUSION

Nous sommes ici en présence d'une ode qui insère le sujet relativement simple et banal de la jalousie dans une structure extraordinairement élaborée : le poème se lit en effet de façon linéaire, chaque strophe renvoyant à l'autre par la reprise de mots ou de thèmes semblables, tout en se construisant également de façon cyclique, les strophes rayonnant ainsi de part et d'autre d'un centre révélateur du message du poète. Le réseau d'oppositions entre la douceur et la violence, la passion physique et l'amour profond, la permanence et la fragilité, et surtout la mesure et la démesure, mélangeant ainsi les thèmes courants chez Horace de l'amour, la mort et le jour, est au service du message du poète, qui conseille la MESURE. La métrique, la syntaxe, les nombreux jeux phoniques contribuent aussi quant à eux à donner à cette ode sa puissance expressive tout entière à la recherche de l'équilibre et de la mesure.

 

 

5. TRADUCTION

 


Lorsque toi, Lydie, de Télèphe
tu loues le cou de rose, de Télèphe
les bras de cire, hélas! mon foie
bouillonnant est gonflé d'une pénible bile.

Alors ni mon esprit ni mon teint
ne restent stables, des larmes aussi sur mes joues
coulent à la dérobée, prouvant
combien je suis profondément consumé par des feux persistants.

Je brûle, si tes blanches épaules
ont été meurtries dans des rixes démesurées à cause du vin,
ou si l'enfant en fureur
a imprimé de sa dent sur tes lèvres une marque durable.

Non, si tu voulais m'en croire,
tu n'espérerais pas que celui-ci éternellement
de façon barbare blesse ta douce petite bouche, que Vénus
a imbibée de la quintessence de son nectar.

Heureux trois fois et davantage
ceux qu'une indissoluble union attache et que l'amour,
sans être déchiré par de méchantes querelles,
ne dénouera pas plus tôt qu'au dernier jour.