Ode, I, 5

 

 < À Pyrrha >

 


 

 

L'ode à Pyrrha est un poème célèbre où nous trouvons élaborée en images l'expérience vécue du dépit amoureux. Elle a connu à travers les siècles, dans différentes langues, une fortune considérable : un inventaire établi en 1959 par R. Storrs rassemble 144 traductions ou adaptations libres de ce texte qui résistera toujours au travail des traducteurs (R. STORRS, Ad Pyrrham. A polyglot collection of translations of Horace's Ode to Pyrrha, Oxford Univ. Press, 1959). Déjà en 1850, M. Anquetil observait à propos de ce poème : "Il est peu d'odes aussi gracieuses dans aucune langue ; le sens propre et l'allégorie s'y trouvent confondus avec un rare bonheur" (M. ANQUETIL, Odes d'Horace, Paris, 1850), mettant ainsi en évidence ce qui fait précisément l'intraduisible magie de ce poème : la fusion entre l'image et l'expérience concrète d'un amour déçu au sein d'une forme et d'une structure poétiques éblouissantes.

Après avoir mis en garde le nouvel amant de Pyrrha, jeune et inexpérimenté, contre les inconstances de la belle, Horace se compare à un marin échappé au naufrage et accrochant au mur d'un temple ses vêtements encore humides de la mer. Dans le sixième livre de l'Anthologie palatine, on trouve quelques poèmes qui évoquent ces pratiques votives, où notamment les marins sauvés d'un naufrage offraient ainsi leurs vêtements mouillés, de la même façon que les commerçants qui se retiraient de la vie active offraient au dieu approprié les objets usuels de leur commerce : un pêcheur ses filets, un gladiateur son épée, une courtisane son miroir. Horace reprend ici ce thème, mais dans un emploi métaphorique. L'essentiel de la poésie amoureuse d'Horace est contenu dans ce passage de l'anecdote au lyrisme formel, de la souffrance éprouvée à la sérénité conquise par la puissance de la beauté poétique. Horace est sensible, humain ; mais l'artiste l'emporte et domine. Cela suffit à marquer la différence qui le sépare des poètes élégiaques : Gallus, Tibulle, Properce. Leur poésie a, certes, valeur d'éternité, mais elle est un cri de bonheur ou de douleur. La poésie d'Horace, quant à elle, a banni le cri.

Cette ode est le premier poème à sujet amoureux dans le recueil d'Horace, qui en comptera d'autres. Il est à cet égard significatif de la conception que se fait Horace du sentiment amoureux. Le poète partage ici la conception épicurienne de l'amour, que Lucrèce avait définie à la fin du livre IV du De rerum natura : le sage peut aimer une femme, mais il doit éviter le désordre qui apparaît lorsque cet amour vient troubler la tranquillité de l'âme. Or tel est bien le cas des amants de Pyrrha ; c'est une "allumeuse", et ceux qui s'y brûlent y perdent leur sérénité d'âme. Horace dit adieu non certes à l'amour, mais à une forme d'amour violent et inconstant que représente Pyrrha, personnage réel ou fictif, peu importe ; et surtout, c'est pour Horace une façon d'informer ses patrons, Mécène et Auguste, qu'il n'écrira pas les poèmes qu'ont composés des poètes comme Gallus, Tibulle ou Properce dans leurs élégies : ce type d'amant est dénoncé dans les adjectifs credulus et nescius de la troisième strophe.

Le mètre de l'ode est la strophe asclépiade B, qui semble bien être une création d'Horace. Cette strophe est composée de deux asclépiades mineurs de douze syllabes, d'un phérécratien de sept syllabes et d'un glyconique de huit syllabes.

• asclépiades

v. 1 : — — — UU — // — UU — U ~

v. 2 : — — — UU — // — UU — U ~

• phérécratien

v. 3 : — — — UU — ~

• glyconique

v. 4 : — — — UU — U ~

(le signe ~ qui marque la dernière syllabe de chaque vers signifie une quantité indifféremment longue ou brève).

Les six premières syllabes de chaque vers sont métriquement identiques. Le triple changement de mètre donne à cette strophe un tour vivant, enjoué, et produit une poésie familière et gracieuse.

(Voir aussi NOUGARET, p.113, § 317).

 

Bibliographie

On trouvera une belle analyse en français de cette ode dans J. ÉVRARD-GILLIS, L'ode à Pyrrha d'Horace : étude des structures, dans Les Études Classiques, t. 44 (1976), p. 222-233. Voir aussi K. QUINN, Horace as a love poet. A reading of Ode I, 5, dans Arion, t. 2 (1963), p. 59-77; V. POESCHL, Die Pyrrhaode des Horaz (C. I, 5), dans Hommages à Jean Bayet, Bruxelles, Latomus, 1964, p. 579-586 (repris dans Horazische Lyrik. Interpretationen, Heidelberg, Winter, 1970, p. 20-28); E. A. FREDRICKSMEYER, Horace's Ode to Pyrrha (Carm., I, 5), dans Classical Philology, t. 60 (1965), p. 180-185; D. GAGLIARDI, L'ode I, 5 di Orazio, dans Vichiana, t. 6 (1969), p. 119-126; M.C.J. PUTNAM, Horace Carm., I, 5. Love and death, dans Classical Philology, t. 65 (1970), p. 251-254; H.P. SYNDIKUS, Die Lyrik des Horaz. Eine Interpretation der Oden, Darmstadt, 1972, t. 1, p. 79-85; J.C. BROWN, The Verbal Art of Horace's Ode to Pyrrha, dans TAPhA, t. 111 (1981), p. 17-22; H. DETTMER, Horace. A Study in Structure (Coll. Altertumswissenschaftliche Texte und Studien, t. 12), Hildesheim, Olms-Weidmann, 1983, p. 153-155; J.-Y. MALEUVRE, Trois autres odes d'Horace. I, 5, 27, 38, dans Les Études Classiques, t. 60 (1992), p. 23-37 (23-29 pour l'ode I, 5). Voir aussi la page WEB A New Interpretation of the Pyrrha Ode (Horace, Ode 1.5), où l'on trouve en plus d'une analyse du poème en rapport avec le carmen 8 de Catulle, Miser Catulle, desinas ineptire, une traduction de l'ode par John Milton (1673) et une amusante imitation contemporaine de Anthony Hecht.

 

 

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Dernière mise à jour : 5 novembre 2020