[0] LES REVENUS [1] CHAPITRE PREMIER. J’ai toujours pensé que tels sont les chefs d’un gouvernement, tel est aussi le gouvernement. Or on a dit que quelques-uns des dirigeants à Athènes, tout en connaissant la justice aussi bien que les autres hommes, prétendaient que, vu la pauvreté de la masse, ils étaient forcés de manquer à la justice à l’égard des autres États. C’est ce qui m’a donné l’idée de rechercher si les Athéniens ne pourraient pas subsister des ressources de leur pays, ce qui serait la manière la plus juste de se tirer d’affaire, persuadé que, si la chose était possible, ce serait un remède tout trouvé à leur pauvreté et à la défiance des Grecs. Or en réfléchissant sur les idées qui me sont venues, il m’a paru tout de suite que notre pays est naturellement propre à fournir de multiples revenus. Pour le prouver, je vais décrire d’abord la nature de l’Attique. Que notre climat soit très tempéré, les productions du sol suffisent à le montrer. En tout cas, les plantes qui ne pourraient même pas germer ailleurs portent des fruits chez nous. Comme la terre, la mer, qui environne notre pays, est aussi très productive. En outre, tous les biens que les dieux nous dispensent à chaque saison viennent ici plus tôt qu’ailleurs et disparaissent plus tard. Ce n’est pas seulement par les productions que chaque année voit pousser et vieillir que cette contrée l’emporte sur les autres, mais encore par des richesses qui ne s’épuisent pas. La nature lui a donné du marbre en abondance, dont on fait des temples magnifiques, de magnifiques autels et des statues dignes de la majesté des dieux. Beaucoup de Grecs et de barbares nous en demandent. Nous avons aussi des terres qui, ensemencées, ne portent pas de moissons, mais qui, fouillées, font vivre plus de monde que si elles produisaient du blé. Si elles renferment de l’argent, c’est évidemment par une faveur de la Providence. En tout cas, parmi les nombreux pays voisins, continentaux ou insulaires, aucun ne possède le moindre filon d’argent. On pourrait croire, sans choquer la raison, que notre pays occupe à peu près le centre de la Grèce et même du monde habité ; car plus on s’en éloigne, plus les froids et les chaleurs qu’on rencontre sont pénibles à supporter. Et si l’on veut aller d’un bout de la Grèce à l’autre, on passe autour d’Athènes, comme au centre d’un cercle, soit qu’on voyage par mer, soit qu’on voyage par terre. Sans être entourée d’eau de tous côtés, Athènes n’en a pas moins les avantages d’une île : elle a tous les vents à son service, soit pour importer ce dont elle a besoin, soit pour exporter ce qu’elle veut ; car elle est entre deux mers. Sur terre aussi, elle reçoit une grande quantité de marchandises ; car elle est sur le continent. En outre, tandis que la plupart des États sont incommodés par le voisinage des barbares, les États voisins d’Athènes sont eux-mêmes très éloignés de ces mêmes barbares. [2] CHAPITRE II. Tous ces avantages, comme je l’ai dit, sont certainement dus à la nature de notre sol. Pour ajouter à ces ressources indigènes, nous ferions bien de nous intéresser aux métèques ; car nous avons en eux, je crois, une de nos meilleures sources de revenus, puisque, se nourrissant eux-mêmes et ne recevant aucun salaire de l’État, ils payent encore une taxe de résidence. Pour leur témoigner notre intérêt, je crois qu’il suffirait de supprimer toutes les mesures qui, sans rien rapporter à l’État, semblent être des marques de mépris, et de les dispenser en outre de servir dans l’infanterie pesante avec les citoyens. Sans parler des risques personnels qui sont grands, c’est aussi un gros ennui pour eux d’avoir à quitter leur métier et leur domicile. D’ailleurs ce serait tout profit pour la république, si les citoyens faisaient campagne entre eux seuls plutôt que mêlés, comme à présent, à des Lydiens, à des Phrygiens, à des Syriens et à d’autres barbares de toutes nationalités : car beaucoup de nos métèques sont des barbares. Outre l’avantage qu’il y aurait à les dispenser de servir avec les citoyens, la république serait plus considérée, si l’on voyait les Athéniens compter plus sur eux-mêmes pour combattre que sur des étrangers. En faisant participer les métèques à toutes les charges honorables, en particulier au service dans la cavalerie, nous accroîtrions leur attachement et nous rendrions notre pays plus fort et plus grand. Puis, comme nous avons à l’intérieur des murs un grand nombre d’emplacements libres, que l’État permette à ceux d’entre eux qui en feront la demande et qui seront jugés les plus dignes, de posséder les terrains sur lesquels ils auront bâti. Je crois que dans ces conditions il y aura beaucoup plus d’étrangers, et plus recommandables, qui demanderont à habiter Athènes. Si en outre nous établissions des gardiens officiels pour les métèques, comme il y en a pour les orphelins, et si nous accordions une récompense à ceux qui auraient sur leur liste le plus de métèques, ceux-ci nous seraient plus attachés, et il est vraisemblable que tous les gens sans patrie désireraient s’établir dans notre ville, dont ils augmenteraient les revenus. [3] CHAPITRE III. Je vais montrer maintenant que notre pays est celui qui offre aux commerçants le plus d’agréments et de profits. Tout d’abord il a pour les vaisseaux les abris les plus commodes et les plus sûrs, où, une fois à l’ancre, ils peuvent se reposer sans crainte en dépit du mauvais temps. Dans la plupart des États, les commerçants sont forcés de prendre une cargaison de retour ; car la monnaie de ces États n’a pas cours au dehors. A Athènes, au contraire, ils peuvent emporter, en échange de ce qu’ils ont apporté, la plupart des marchandises dont les hommes ont besoin, ou, s’ils ne veulent pas prendre de cargaison, ils peuvent exporter de l’argent et faire ainsi un excellent marché ; car, en quelque endroit qu’ils le vendent, ils en retirent partout plus que le capital investi. Si l’on proposait des récompenses aux magistrats du tribunal de commerce qui trancheraient les différends avec le plus de justice et de célérité, pour qu’on ne soit pas arrêté quand on veut mettre à la voile, les commerçants viendraient chez nous en bien plus grand nombre et bien plus volontiers. Il serait aussi utile qu’honorable à la république d’assigner des places d’honneur et même d’offrir l’hospitalité à l’occasion aux commerçants et aux armateurs qui paraîtraient servir l’État par l’importance de leurs bâtiments et de leurs cargaisons. Ainsi honorés, ce ne serait pas seulement en vue du profit, mais encore des distinctions honorifiques qu’ils s’empresseraient de venir chez nous, comme chez des amis. L’accroissement du nombre des résidents et des visiteurs amènerait naturellement une augmentation correspondante des importations, des exportations, des ventes, des salaires et des droits à percevoir. De tels accroissements de revenus n’exigent aucune dépense préalable : il suffit d’une législation bienveillante et d’un sage contrôle. Pour les autres sources de revenus auxquelles je pense, je reconnais qu’il faudra une certaine mise de fonds. Néanmoins je ne désespère pas de voir les citoyens contribuer volontiers pour de telles entreprises, quand je pense aux gros sacrifices consentis par l’État, quand il s’est porté au secours des Arcadiens, sous la conduite de Lysistrate, puis à ceux qu’il a faits sous la conduite d’Hégésiléos. Je sais d’ailleurs qu’on fait souvent de grosses dépenses pour mettre en mer des trières, alors qu’on ne sait pas si l’expédition tournera bien ou mal, et qu’on est sûr de ne jamais revoir l’argent qu’on a souscrit et de ne jamais rien recueillir de ce qu’on a versé. Mais aucun placement ne rapportera autant aux citoyens que l’argent qu’ils auront avancé pour la constitution du capital. Le souscripteur de dix mines, touchant trois oboles par jour, en retire près de vingt pour cent, autant que pour un prêt à la grosse aventure. Chaque souscripteur de cinq mines reçoit plus du tiers de son capital en intérêts. Mais la plupart des Athéniens toucheront chaque année plus que leur mise ; car ceux qui auront avancé une mine en tireront une rente de près de deux mines, et cela, sans quitter la ville, ce qui paraît bien être le revenu le plus sûr et le plus durable. Je suis persuadé que, si les souscripteurs devaient être inscrits pour toujours sur une liste comme bienfaiteurs publics, beaucoup d’étrangers souscriraient aussi, et même des États, tentés par l’inscription. J’espère même qu’un certain nombre de rois, de tyrans, de satrapes souhaiteraient avoir part à cet hommage de reconnaissance. Quand les fonds seraient suffisants, il serait honorable et avantageux de construire pour les armateurs des hôtelleries autour des ports, outre celles qui existent déjà ; il serait bien aussi de donner aux négociants des emplacements convenables pour l’achat et la vente et de faire pour ceux qui viennent chez nous des hôtelleries publiques. Si en outre on bâtissait pour les marchands forains des logements et des halles au Pirée et en ville, ce serait à la fois des ornements pour la ville et une grosse source de revenus. Voici une chose qu’il serait bon, je crois, d’essayer. Puisque l’État a des trières publiques, ne pourrait-il pas aussi se procurer des bateaux de charge, qu’il affermerait sous caution comme les autres revenus publics ? Si cela paraissait praticable, on en retirerait aussi un gros revenu. [4] CHAPITRE IV. Quant aux mines d’argent, si elles étaient exploitées comme elles doivent l’être, je crois que nous en tirerions de très grosses sommes, indépendamment de nos autres revenus. Je vais démontrer l’importance de ces mines à ceux qui l’ignorent. Quand vous vous en serez rendu compte, vous serez mieux à même de délibérer sur les moyens d’en tirer parti. Tout le monde sait qu’elles sont en activité depuis un temps immémorial ; en tout cas, personne ne cherche même à découvrir depuis quelle époque elles sont ouvertes. Et, bien que le minerai soit fouillé et extrait depuis tant d’années, considérez combien les déblais sont petits en comparaison des collines argentifères encore vierges. Le gisement d’argent, loin de diminuer, s’étend visiblement toujours de plus en plus. Dans le temps même qu’on y employait le plus de bras, aucun ouvrier n’a manqué d’ouvrage ; il y avait toujours plus de besogne que les ouvriers n’en pouvaient faire. Et à présent encore, pas un de ceux qui ont des esclaves dans les mines n’en réduit le nombre ; au contraire, ils en acquièrent toujours le plus possible. Le fait est que, quand il y a peu de mineurs et de chercheurs, le métal découvert se réduit sans doute à peu de chose et que, lorsqu’ils sont nombreux, on met au jour infiniment plus de minerai. Ainsi, de toutes les industries que je connais, c’est la seule où l’extension de l’affaire ne suscite pas de jalousie. Tous les propriétaires de champs peuvent dire combien d’attelages de boeufs, combien de manoeuvres suffisent pour leur domaine ; s’ils y en mettent plus qu’il n’en faut, ils comptent cela pour une perte sèche. Les entrepreneurs des mines, au contraire, disent tous qu’ils manquent d’ouvriers. Il n’en est pas des ouvriers mineurs comme des ouvriers en cuivre. Le nombre de ceux-ci s’accroît-il, les ouvrages en cuivre tombent à vil prix et les ouvriers abandonnent leur métier. Il en est de même des ouvriers en fer. De même encore, quand le blé et le vin sont en abondance, le prix de ces denrées baisse et la culture n’en rapporte plus rien ; aussi beaucoup abandonnent le travail de la terre et se tournent vers le commerce de gros ou de détail et vers l’usure. Au contraire, plus on découvre de minerai et plus l’argent est abondant, plus la mine attire de travailleurs. Il n’en est pas comme des meubles ; quand on s’en est procuré en suffisance pour sa maison, en n’en achète plus d’autres ; à l’égard de l’argent, on n’en a jamais assez pour n’en plus désirer, et, si l’on en possède une grande quantité, on ne prend pas moins de plaisir à enfouir son superflu qu’à en faire usage. Lorsqu’un État est prospère, le besoin d’argent s’y fait fortement sentir. Les hommes veulent en dépenser pour de belles armes, de bons chevaux, des maisons et des ameublements magnifiques, et les femmes ont en vue des robes somptueuses et des bijoux en or. Quant au contraire les États sont en mauvaise situation par suite du manque de récolte ou par suite de la guerre, comme la terre est alors beaucoup moins cultivée, on a besoin d’argent pour se procurer des vivres et des alliés. Mais, dira-t-on, l’or n’est pas moins utile que l’argent. Je ne le conteste pas ; mais je sais que l’or, quand on en voit beaucoup, perd de sa valeur et fait monter celle de l’argent. J’ai donné tous ces détails, pour que nous n’hésitions pas à envoyer aux mines d’argent le plus d’hommes possible, et que nous y poursuivions le travail avec confiance, persuadés que le minerai ne fera jamais défaut et que l’argent ne perdra jamais de sa valeur. Il me semble que l’État l’a reconnu avant moi ; car il permet à tout étranger qui le désire de travailler dans nos mines aux mêmes charges que les citoyens. Pour que l’on comprenne mieux comment j’entends pourvoir à notre subsistance, je vais exposer par quels moyens l’exploitation des mines serait la plus fructueuse pour l’État. Je ne prétends pas d’ailleurs avancer quoi que ce soit de surprenant, comme si j’avais résolu quelque problème difficile ; car une partie de ce que j’ai à dire se passe encore aujourd’hui sous les yeux de tous ; pour ce qui regarde le passé, nous savons par nos pères qu’il en allait de même. Mais ce qui est surprenant, c’est que l’État, voyant une foule de particuliers s’enrichir sur lui, ne profite pas de leur exemple. Ceux de nous en effet que la question préoccupe savent depuis longtemps, je pense, que jadis Nicias, fils de Nicératos, avait mille ouvriers dans les mines, qu’il louait à Sosias de Thrace, à condition que celui-ci lui paierait une redevance nette d’une obole par jour et par homme et maintiendrait toujours cet effectif au complet. Hipponicos aussi avait six cents esclaves qu’il louait aux mêmes conditions et qui lui rapportaient par jour une rente nette d’une mine. De même Philomonidès en avait trois cents qui lui rapportaient une demi-mine. J’en pourrais citer d’autres, encore qui en possédaient autant, je présume, que le comportait leur fortune. Mais à quoi bon parler du passé ? Aujourd’hui encore il y a dans les mines beaucoup d’hommes loués de la même façon. Si l’on adoptait mon projet, la seule innovation serait qu’à l’exemple des particuliers qui, possédant des esclaves, se sont assuré un revenu perpétuel, l’État lui aussi achèterait des esclaves publics, jusqu’à ce qu’il y en eût trois pour chaque Athénien. Que mes propositions soient réalisables, le premier venu peut en juger en les examinant article par article. Pour acheter des hommes, il est évident que l’État est plus à même de se procurer l’argent que les particuliers. Il est facile au sénat, par une proclamation publique, d’inviter les citoyens qui le voudront à amener des esclaves, et d’acheter ceux que l’on présentera. Une fois qu’ils seront achetés, pourquoi les louerait-on moins à l’État qu’à un particulier, puisqu’on les aura aux mêmes conditions ? On lui loue bien des lieux sacrés, des maisons, et l’on prend bien à ferme les impôts publics. Pour assurer la conservation de ses esclaves, l’État n’a qu’à prendre caution de ceux qui les loueront, comme il le fait de ceux qui afferment les impôts, et il est plus facile de frauder l’État à un fermier des impôts qu’à un locataire d’esclaves ; car comment découvrir l’argent détourné qui appartient à l’État, puisqu’il ne diffère en rien de l’argent d’un particulier ? Au contraire, les esclaves portant une marque publique et ne pouvant être vendus ni exportés sans qu’on encoure le châtiment légal, comment pourrait-on les voler ? Ainsi donc jusqu’ici il apparaît que l’État sera capable d’acquérir et de conserver des esclaves. On se demandera peut-être si, lorsqu’il y aura beaucoup d’ouvriers, il y aura aussi beaucoup de gens pour les louer. On peut se rassurer en pensant que beaucoup d’entrepreneurs déjà pourvus d’ouvriers loueront encore les esclaves publics, parce qu’ils ont beaucoup de capitaux, que beaucoup d’ouvriers employés dans les mines sont en train de vieillir, et que beaucoup de gens, Athéniens et étrangers, qui n’ont ni la volonté ni la force de travailler de leurs mains, appliqueront leur intelligence à l’exploitation des mines pour se procurer le nécessaire. Une fois que l’État aura ramassé douze cents esclaves, il est vraisemblable que, grâce au revenu qu’il en tirera, il n’en aura pas moins de six mille en cinq ou six ans. Si chacun de ces six mille rapporte par jour une obole nette, le revenu sera de soixante talents par an. Que l’État en prenne vingt pour acheter d’autres esclaves, il pourra consacrer les quarante autres à d’autres besoins. Le total de dix mille une fois atteint, le revenu sera de cent talents. Mais il en tirera beaucoup plus, comme pourraient en témoigner ceux qui peuvent encore se rappeler quel revenu il retirait des esclaves avant les événements de Décélie. J’en trouve un autre témoignage dans le fait que voici. C’est que malgré le nombre incalculable de ceux qui, de temps immémorial, ont travaillé dans les mines, elles sont exactement dans le même état où nos ancêtres disaient les avoir vues. Tout ce que nous voyons aujourd’hui témoigne aussi qu’il ne peut jamais y avoir plus d’esclaves aux mines que les travaux n’en réclament, car on a beau fouiller, on ne trouve ni le fond ni la fin des filons. Et l’on pourrait, aujourd’hui comme autrefois, creuser de nouvelles galeries. Personne ne pourrait même dire en connaissance de cause s’il y a plus de minerai dans les gisements ouverts que dans les gisements inexplorés. Pourquoi donc, dira-t-on, ne voit-on pas aujourd’hui, comme autrefois, beaucoup d’entrepreneurs ouvrir de nouvelles galeries ? C’est qu’ils sont aujourd’hui plus pauvres ; car il n’y a que peu de temps qu’ils ont repris l’exploitation, et celui qui ouvre de nouvelles galeries court des risques sérieux. Celui qui trouve un bon filon à exploiter, devient riche ; mais celui qui ne trouve rien perd tout ce qu’il a dépensé ; c’est un risque auquel on ne s’expose pas volontiers de nos jours. Je crois néanmoins pouvoir ici proposer un plan qui ferait de nouvelles fouilles une entreprise parfaitement sûre. Athènes est divisée en dix tribus. Que l’État donne à chacune d’elles un nombre égal d’esclaves et que, mettant leurs chances en commun, elles ouvrent de nouvelles galeries. Dans ces conditions, si l’une trouve du minerai, la découverte sera profitable à toutes ; s’il y en a deux, trois, quatre ou la moitié qui en trouvent, ces travaux deviendront évidemment plus lucratifs. Car que toutes les tribus échouent dans leurs recherches, il n’y en a pas d’exemple dans le passé. Les particuliers pourraient s’unir de même et, en associant leurs chances, diminuer leurs risques. Il n’y a nullement à craindre que l’État, travaillant dans ces conditions, fasse tort aux particuliers et les particuliers à l’État. Mais de même que, plus on est d’alliés ensemble, plus on se fortifie mutuellement, de même plus il y aura de gens à travailler aux mines, plus on découvrira et extraira de richesses. Voilà ce que j’avais à dire sur la façon dont l’État pourrait s’organiser pour que tous les Athéniens pussent être nourris sur le fonds commun. Si quelques-uns calculent qu’il faudra pour cela une énorme mise de fonds et qu’on ne pourra jamais réunir assez d’argent, qu’ils ne se découragent pas pour cela. Nous n’en sommes pas réduits à l’alternative ou d’exécuter tous ces projets à la fois, ou de n’en retirer aucun profit. Mais toutes les maisons qu’on aura bâties, tous les vaisseaux qu’on aura construits, tous les esclaves qu’on aura achetés procureront immédiatement du profit. En fait, il sera même plus avantageux d’exécuter tout cela successivement que de tout faire à la fois. Si nous construisons des maisons en masse, nous paierons plus cher pour des bâtisses moins bonnes que si nous procédons graduellement ; si nous cherchons des esclaves en grosse quantité, nous achèterons forcément des hommes de qualité inférieure à un prix plus élevé. En procédant suivant nos moyens, nous pourrons, si une chose a été bien conçue, la recommencer ; si elle a été manquée, en éviter la répétition. D’ailleurs, pour exécuter tout en même temps, il faudrait nous procurer tout à la fois, au lieu que, si nous achevons telle partie et remettons telle autre à plus tard, le revenu de ce qui sera fait nous aidera à nous procurer le nécessaire. L’inconvénient qu’on trouvera peut-être le plus à craindre, c’est que l’État n’ait trop d’esclaves et qu’il n’y ait encombrement dans les mines. C’est une crainte dont nous pouvons nous débarrasser en n’y mettant chaque année pas plus d’hommes que les travaux eux-mêmes n’en réclament. A mon avis, le procédé le plus simple est aussi le meilleur pour réaliser nos plans. Mais si, en raison des contributions que vous avez souscrites pendant la dernière guerre, vous vous croyez hors d’état de faire le moindre versement, bornez pour l’année prochaine les dépenses que nécessite l’administration de l’État aux ressources que les impôts vous procuraient avant la paix. Toutes celles qu’ils vous donneront en sus, grâce à la paix, grâce aux attentions que vous aurez pour les métèques et les marchands, grâce à l’accroissement des importations et des exportations qu’amènera la concentration d’une population plus nombreuse, grâce à l’extension du port et des marchés, toutes ces ressources, prenez-les et arrangez-vous pour en tirer les plus larges revenus. S’il en est qui craignent que notre organisation n’aille à vau-l’eau, au cas où la guerre éclaterait, qu’ils réfléchissent que, si on la pratiquait, la guerre serait plus à craindre pour nos agresseurs que pour l’État. Car enfin, pour soutenir une guerre, peut-on rien acquérir de plus utile que des hommes ? Ils seraient assez nombreux pour remplir un grand nombre de vaisseaux de l’État ; beaucoup aussi pourraient servir l’État dans l’infanterie et se montrer redoutables aux ennemis, pourvu qu’on les traitât bien. Au reste, j’estime que, même en temps de guerre, il n’y aurait pas besoin d’abandonner les mines. Nous avons en effet, vous le savez, deux forteresses dans la région des mines, au midi, celle d’Anaphlyste, au nord celle de Thoricos, distantes l’une de l’autre d’environ soixante stades. Si donc entre les deux il y avait un troisième fort, au point le plus élevé de Bésa, les travaux seraient reliés entre eux par tous les forts, et, aussitôt qu’on s’apercevrait d’un mouvement des ennemis, chacun se retirerait vite en lieu sûr. Si les ennemis viennent en force, il est certain que, s’ils trouvent du blé, du vin ou du bétail dehors, ils enlèveront tout ce butin ; mais s’ils s’emparent du minerai, il ne leur servira pas plus qu’un tas de pierres. D’ailleurs comment pourraient-ils jamais marcher sur nos mines ? Mégare, la ville la plus proche, en est éloignée de plus de cinq cents stades ; Thèbes, la plus voisine après Mégare, en est à plus de six cent stades. Qu’ils viennent de l’une ou l’autre direction, il leur faudra passer près de notre ville. S’ils sont en petit nombre, on peut s’attendre à ce qu’ils soient anéantis par nos cavaliers et nos gardes-frontières. Quant à venir en force et laisser leur pays dégarni, ce n’est pas chose facile ; car la ville d’Athènes serait beaucoup plus près de leur pays qu’ils ne le seraient eux-mêmes, arrivés à nos mines. Mais supposé même qu’ils y viennent, comment pourraient-ils y rester sans vivres ? S’ils fourragent par détachements, ils exposent à la fois les fourrageurs et le butin qu’ils disputent ; s’ils fourragent tous ensemble, ils seront assiégés plutôt qu’assiégeants. Non seulement le revenu des esclaves fournira de nouveaux moyens de subsistance à l’État, mais, grâce à la population concentrée dans le district minier, le marché local, les bâtiments publics élevés près des mines, les fourneaux et le reste donneront de gros revenus ; car il s’élèverait là une ville très peuplée, si on l’organisait comme je l’ai proposé, et les terrains n’y auraient pas moins de valeur pour leurs propriétaires que ceux des environs d’Athènes. Si l’on réalise mes propositions, j’affirme que non seulement l’État verra ses finances améliorées, mais encore que notre peuple sera plus docile, plus discipliné, plus guerrier. Car ceux que la loi soumet à un entraînement physique seront plus assidus aux exercices du gymnase, si on leur donne une nourriture plus abondante qu’ils n’en reçoivent du gymnasiarque dans les courses aux flambeaux ; et les garnisons dans les citadelles, et les peltastes et les gardes-frontières rempliront mieux leurs devoirs, si pour chacun de ces services on leur fournit la nourriture. [5] CHAPITRE V. S’il paraît évident que la paix est nécessaire pour tirer du pays tous les revenus possibles, ne serait-il pas à propos de créer des magistrats chargés de la maintenir ? La création d’une telle institution ferait aimer davantage notre cité et attirerait de toutes parts chez nous une plus grande affluence. Et si d’aucuns s’imaginent qu’une paix perpétuelle affaiblirait la puissance, le prestige et la renommée que nous avons dans la Grèce, ceux-là, selon moi, ne voient pas juste. Il est bien certain que les États qui passent pour les plus heureux sont ceux qui demeurent en paix le plus longtemps. Et de tous les États, l’Attique est le plus naturellement propre à prospérer pendant la paix. Quand notre pays est en paix, quels sont ceux qui peuvent se passer de nous, à commencer par les armateurs et les marchands, et avec eux les propriétaires qui abondent en blé, en vin ordinaire ou en vin fin, en huile, en bétail, et les gens qui sont capables de trafiquer de leur intelligence ou de leurs capitaux, et les artistes, et les sophistes, et les philosophes, et les poètes, et ceux qui font usage de leurs oeuvres, et ceux qui veulent voir ou entendre les choses sacrées ou profanes qui méritent d’être vues ou entendues, et ceux qui veulent vendre et acheter de gros stocks sans perdre de temps, où peuvent-ils s’adresser mieux qu’à Athènes ? Personne, je pense, ne me contredira sur ce point. Mais peut-être y a-t-il des citoyens qui, jaloux de rendre à notre pays la suprématie, se figurent qu’on y arriverait mieux par la guerre que par la paix. Qu’ils se rappellent les guerres Médiques. Est-ce par la violence ou par les services rendus à la Grèce que nous obtînmes l’hégémonie sur mer et l’intendance du trésor commun ? Puis la cité, pour s’être montrée cruelle dans l’exercice de la souveraineté, se vit dépouiller du commandement. Or même alors, n’est-ce pas notre retour à la justice qui décida les insulaires à nous rendre l’hégémonie maritime ? N’est-ce pas en considération de nos bons offices que les Thébains mirent les Athéniens à leur tête ? Et les Lacédémoniens cédaient-ils à la force ou à la reconnaissance, quand ils permirent aux Athéniens d’user à leur gré de l’hégémonie ? Maintenant que la Grèce est troublée, je vois là l’occasion de regagner son affection sans peine, sans danger, sans dépense. L’on peut en effet essayer de réconcilier les États qui sont en guerre les uns contre les autres, et, s’il y a dans un État des dissensions intestines, d’y rétablir l’accord. Si d’autre part on vous voit essayer de rendre au temple de Delphes son ancienne indépendance, non point par une confédération armée, mais par des ambassades envoyées dans toute la Grèce, je ne serais pas surpris de voir tous les Grecs partager vos sentiments, se liguer avec vous et vous aider contre ceux qui essayeraient de mettre la main sur le temple abandonné par les Phocidiens. Et si l’on vous voit travailler à l’établissement d’une paix universelle sur terre et sur mer, je crois que tous les hommes, après le salut de leur patrie, souhaiteront surtout celui d’Athènes. Mais peut-être s’imagine-t-on que la guerre est plus profitable aux finances de l’État que la paix. Je ne vois pas de meilleur moyen de trancher la question que de considérer les conséquences que la paix et la guerre ont eues pour l’État dans le passé. Or on trouvera qu’autrefois, pendant la paix, il rentrait beaucoup d’argent dans le trésor, et que, pendant la guerre, tout a été entièrement dépensé ; on verra de même, si l’on jette un coup d’oeil sur le présent, que la guerre a tari beaucoup de sources de revenus, et que ceux qui subsistaient ont été complètement dépensés pour des objets divers, tandis que depuis le rétablissement de la paix sur mer, les revenus se sont accrus et que les citoyens peuvent en disposer à leur gré. Mais, me demandera-t-on, si l’on fait tort à notre pays, prétends-tu que nous devions garder la paix même avec l’offenseur ? Non, je ne le prétends pas ; mais je dis que nous le châtierons bien plus vite, si nous ne faisons tort à personne, car alors il n’aura pas d’allié. [6] CHAPITRE VI. Aucune de mes propositions n’est irréalisable ni difficile à exécuter. Or si, en les mettant en pratique, nous devenons plus chers à la Grèce, si nous devons jouir d’une sécurité plus grande et augmenter notre bonne renommée, si le peuple doit avoir une subsistance facile, si les riches doivent être soulagés des dépenses de la guerre, si des excédents de recettes considérables doivent nous permettre de donner plus d’éclat à nos fêtes, de restaurer nos temples, de réparer les murs et les chantiers maritimes, de rendre aux prêtres, au sénat, aux magistrats, aux chevaliers leurs anciens privilèges, ne convient-il pas d’entreprendre ces réformes aussitôt que possible, pour que notre génération puisse encore voir la cité tranquille et florissante ? Si vous vous décidez à réaliser mes plans, je vous conseillerai d’envoyer à Dodone et à Delphes et de demander aux dieux si cette organisation doit être plus utile et meilleure pour l’État et dans le présent et dans l’avenir. Si les dieux l’approuvent, j’ajouterai qu’il faut encore demander quels dieux nous devons nous rendre propices, pour que notre ouvrage ait toute la beauté et la perfection possibles. Quand nous aurons, comme il est juste, offert un heureux sacrifice aux dieux que l’oracle aura désignés, nous nous mettrons à l’oeuvre. Si nous le faisons avec l’aide de la Divinité, il est à présumer que notre entreprise tournera toujours à l’avantage et au bonheur de l’État.