[0] LE BANQUET. [1] 1. Il me semble que non seulement les actions sérieuses des hommes bons et beaux, mais encore leurs divertissements sont dignes de mémoire. Cette opinion m'est venue à la suite de divertissements auxquels j'ai assisté et que je vais rapporter. 2. C'était lors de la course de chevaux des grandes Panathénées. Caillas, fils d'Hipponicos, avait conduit à ce spectacle le jeune Autolycos dont il était épris, qui venait de remporter le prix du pancrace. La course terminée, il se rendait à sa maison du Pirée avec Autolycos et le père de ce jeune garçon, en compagnie de Nicératos, 3. quand il aperçut ensemble Socrate, Critobule, Hermogène, Antisthène et Charmide. Il chargea un de ses gens de conduire Autolycos et ceux qui étaient avec lui, et, s'avançant lui-même vers Socrate et sa compagnie, il lui dit : « Je vous rencontre juste à propos. 4. Je vais donner un dîner en l'honneur d'Autolycos et de son père. Je crois que la fête sera beaucoup plus brillante si ma salle à manger se pare de gens comme vous, dont les âmes sont épurées, plutôt que de stratèges, de commandants de cavalerie, de candidats aux magistratures. 5. — Tu ne cesses pas de nous railler, répliqua Socrate, et tu nous dédaignes parce que tu as donné beaucoup d'argent à Protagoras, à Gorgias, à Prodicos et à beaucoup d'autres pour leurs leçons de sagesse, tandis que tu nous vois réduits à tirer notre philosophie de notre propre fonds. 6. — Il est vrai, répondit Callias, que jusqu'à présent je vous ai caché beaucoup de connaissances dont je pouvais vous faire part; mais aujourd'hui, si vous venez chez moi, je vous prouverai que je mérite toute votre attention. » 7. Socrate et ses amis le remercièrent d'abord de son invitation, comme il était naturel, mais sans promettre de s'y rendre; cependant, comme il était visiblement très contrarié de leur refus, ils partirent avec lui, puis, après s'être, les uns exercés et parfumés, les autres en outre baignés, ils entrèrent dans la salle. 8. Autolycos était assis à côté de son père; les autres prirent la place qui leur convenait. En observant ce qui se passa alors, on aurait pu, dès le premier coup d'oeil, juger que la beauté est par essence quelque chose de royal, surtout quand elle est jointe à la pudeur et à la continence, comme elle l'était dans Autolycos. 9. Tout d'abord en effet, comme une lumière qui brille dans la nuit attire tous les yeux, de même la beauté d'Autolycos fit tourner vers lui tous les regards; puis de ceux qui la voyaient, il n'en était aucun qui n'en fût intérieurement ému; les uns gardaient le silence, les autres se trahissaient par quelque geste. 10. Tous ceux qui sont possédés d'un dieu paraissent commander l'attention; mais si c'est d'un dieu autre que l'Amour, le trouble qu'ils en ressentent leur donne un regard terrible, une voix effrayante, des mouvements plus violents. Quand au contraire c'est l'Amour chaste qui les inspire, leurs regards deviennent plus aimants, leur voix se fait plus douce et leurs gestes prennent une suprême noblesse. Telle était la contenance de Caillas sous l'influence de l'Amour : il attirait l'attention de ceux qui sont initiés aux mystères de ce dieu. 11. Les convives dînaient donc en silence, comme si une puissance supérieure le leur avait enjoint. On frappe à la porte : c'était le bouffon Philippe. Il dit au portier venu à son appel d'annoncer qui il est et qu'il demande à être introduit. Il arrivait, disait-il, muni de tout ce qu'il faut pour dîner aux dépens d'autrui, et son esclave était fort mal à l'aise de ne rien porter et de n'avoir pas déjeuné. 12. A ces mots, Callias dit : « Mes amis, il serait mal de lui refuser un abri; qu'il entre donc. » Tout en parlant, il regardait Autolycos, évidemment pour voir ce qu'il pensait de la plaisanterie. 13. Quand le bouffon fut dans la salle où avait lieu le festin : « Je suis bouffon, dit-il, vous le savez tous. Je suis venu avec empressement, parce que j'ai cru qu'il était plus plaisant de venir dîner sans être invité que sur invitation. — Prends donc place sur un lit, dit Callias : nos invités sont fort sérieux, comme tu vois : ils ont sans doute besoin d'être égayés. » 14. Tandis qu'ils mangeaient, Philippe essaya tout de suite une plaisanterie pour remplir son rôle habituel dans les repas. Mais il ne réussit pas à faire rire, et l'on voyait bien qu'il en était dépité. Quelques instants après, il voulut hasarder une autre facétie; et comme on n'en rit pas davantage, il s'arrêta de manger, se couvrit la tête et se coucha de tout son long. 15. « Qu'est-ce là, Philippe? demanda Callias. Sens-tu quelque douleur? Le bouffon répondit en soupirant. « Oui, par Zeus, une grande douleur, Callias. Puisque le rire est mort chez les hommes, c'en est fait de moi. Jusqu'à présent, si l'on m'invitait à dîner, c'était pour réjouir les convives en les faisant rire. Mais maintenant pourquoi m'inviterait-on? Car de dire des choses sérieuses, cela m'est aussi impossible que de devenir immortel, et l'on ne m'invitera pas pour être réinvité par moi; car tout le monde sait que ce n'est pas du tout l'usage qu'on apporte à dîner chez moi. » Tout en disant cela, il se mouchait et à l'entendre on eût cru qu'il pleurait réellement. 16. Alors tous les convives se mirent à le consoler, lui promettant de rire, et l'exhortèrent à souper. Critobule éclata de rire de leur commisération. En l'entendant, le bouffon enleva son voile, il exhorta son âme à la confiance, parce qu'il y avait encore des festins, et il se remit à manger. [2] 1. Quand on eut emporté les tables, fait les libations et chanté le péan, on fait entrer pour le divertissement un Syracusain suivi d'une excellente joueuse de flûte, d'une danseuse acrobate et d'un jeune garçon d'une beauté parfaite et qui jouait de la cithare et dansait en perfection. Ce Syracusain en donnant leur adresse en spectacle y gagnait de l'argent. 2. Lorsque la flûtiste et le garçon eurent joué, l'une de la flûte, l'autre de la cithare, on trouva qu'ils avaient tous deux fort bien amusé leur monde, et Socrate dit : « Par Zeus, Callias, tu nous traites magnifiquement. Après nous avoir servi un dîner irréprochable, tu nous donnes encore un spectacle et une musique délicieuse. 3. — Eh bien, dit Callias, on pourrait encore nous apporter des parfums, pour que nous nous régalions aussi de leur senteur. — Pas du tout, dit Socrate, car de même que tel vêtement sied à une femme, tel autre à un homme, de même telle odeur convient à un homme, telle autre à une femme. Aucun homme, n'est-ce pas? ne se parfume pour un autre homme. Quant aux femmes, surtout si elles sont jeunes mariées, comme celle de Nicératos et celle de Critobule ici présents, qu'ont-elles besoin de parfum supplémentaire, avec le parfum qu'elles exhalent elles-mêmes? 4. Mais l'odeur de l'huile des gymnases est plus agréable aux hommes qui peuvent s'en imprégner que le parfum aux femmes, et, s'ils n'en ont pas, ils en sentent le manque plus vivement. Qu'un esclave et un homme libre se parfument, tous deux à l'instant sentent également bon; mais les parfums qui résultent des exercices libéraux exigent d'abord de l'application et du temps pour être agréables et dignes d'un homme libre. — Tu parles pour la jeunesse, dit Lycon; mais nous qui ne fréquentons plus les gymnases, quelle odeur devons-nous exhaler? — Par Zeus, celle de la vertu, répliqua Socrate. — Mais où prendre cette odeur?— Pas chez les parfumeurs, assurément, dit Socrate.—Où alors? — Théognis nous l'apprend: « C'est des sages que tu apprendras la sagesse; si tu fréquentes les méchants, tu perdras même l'esprit que tu possèdes» 5. — Entends-tu, mon fils? dit Lycon. — Oui, par Zeus, il entend et en fait son profit. En tout cas, quand il voulait obtenir le prix du pancrace, il a cherché avec toi (qui pourrait lui en donner leçon. S'il veut être vertueux, il cherchera de même avec toi l'homme le plus capable de l'y exercer et il suivra ses leçons. » 6. Ici, plusieurs se mirent à parler. L'un dit : « Où donc trouvera-t-il son maître de cette science? » Un autre prétendit qu'elle n'était même pas enseignable, un troisième que si l'on pouvait en apprendre une, c'était bien celle-là. 7. « Puisque les avis sont partagés, dit Socrate, remettons la question à un autre temps. Pour le moment, occupons-nous de ce que nous avons devant nous. Voici une danseuse qui attend et quelqu'un qui lui apporte des cerceaux. » 8. Sur cela, la musicienne l'accompagna à la flûte, et un homme qui se tenait près d'elle lui passa jusqu'à douze cerceaux. Elle les prit, et, tout en dansant, elle les jetait en l'air en les faisant tournoyer et calculant à quelle hauteur il fallait les lancer pour les recevoir en cadence. 9. Sur quoi Socrate reprit la parole : «Entre beaucoup d'autres preuves, amis, ce qu'exécute la danseuse démontre que la nature de la femme n'est pas inférieure à celle de l'homme, sauf pour l'intelligence et la force physique. Que ceux d'entre vous qui ont une femme lui enseignent donc ce qu'ils veulent qu'elle sache. 10. — Comment se fait-il donc, Socrate, demanda Antisthène, si tu as cette opinion, que tu n'instruises pas Xanthippe et que tu t'accommodes de la plus acariâtre des créatures qui existent, je dirai même qui ont été ou qui seront jamais? — C'est que, répondit Socrate, je vois que ceux qui veulent devenir de bons écuyers se procurent non pas les chevaux les plus dociles, mais des chevaux fougueux, persuadés que s'ils parviennent à dompter de tels chevaux, ils pourront manier facilement les autres. J'ai fait comme eux : voulant vivre dans la société des hommes, j'ai pris cette femme, sûr que, si je la supportais, je m'accommoderais facilement de tous les caractères. » On trouva que ce propos ne manquait pas de pertinence. 11. On apporta ensuite un cerceau garni d'épées avec la pointe en l'air. La danseuse sautait la tête la première entre ces épées et ressautait par-dessus, et les spectateurs avaient peur qu'elle ne se blessât; mais elle exécuta ces mouvements avec assurance et sans accident. 12. Alors Socrate interpellant Antisthène lui dit : « A coup sûr, les témoins de ces prouesses ne contesteront plus, je pense, qu'on puisse enseigner le courage, puisque, toute femme qu'elle est, celle-ci se jette si hardiment entre les épées. 1.3. — Alors, dit Antisthène, ce Syracusain n'a rien de mieux à faire que de faire voir cette danseuse à la ville et de dire aux Athéniens que pour de l'argent, il les rendra tous assez hardis pour affronter les lances. 14. — Par Zeus, dit Philippe, je verrais pour ma part avec plaisir l'orateur Pisandre apprendre à sauter entre les épées, lui qui ne veut même pas faire campagne avec les autres, parce qu'il ne peut pas regarder une lance en face. » 15. Après cela, le jeune garçon dansa. « Vous avez vu, dit Socrate, combien ce bel enfant paraît encore plus beau dans ses mouvements que lorsqu'il est au repos? — On croirait, dit Charmide, que tu fais grand cas du maître de danse. 16. — Oui, par Zeus, répliqua Socrate; et j'ai remarqué encore autre chose, c'est que, tandis qu'il dansait, aucune partie de son corps ne restait inactive, que son cou, ses jambes, ses mains remuaient à la fois, et c'est ainsi que doit danser quiconque veut assouplir son corps. Pour moi, Syracusain, ajouta-t-il, j'aurais grand plaisir à apprendre de toi tous ses gestes. — A quoi cela te servirait-il? demanda le Syracusain. — A danser, par Zeus. » 17. Ce mot fit rire tout le monde. Mais Socrate avec un air tout à fait sérieux, reprit : « Vous riez de moi, n'est-ce pas? Est-ce parce que je veux fortifier ma santé par l'exercice? ou parce que je veux avoir plus de plaisir à manger et à dormir? Est-ce parce que je veux des exercices comme ceux-ci, et non comme ceux des coureurs du long stade qui ont de grosses jambes et des épaules minces, ni comme ceux des pugilistes dont les épaules s'épaississent et les jambes s'amincissent, qu'au contraire en faisant travailler tout mon corps je veux le rendre bien équilibré? 18. Ou riez-vous de ce que je n'aurai pas besoin de chercher un partenaire pour m'exercer avec lui, ni de me dévêtir, à mon âge, devant la foule, de ce qu'il me suffira d'une maison à sept lits, comme cette salle a suffi à ce garçon pour se mettre en sueur, et parce que je danserai à l'abri durant l'hiver, et à l'ombre quand il fera trop chaud? 19. Ou bien riez-vous de ce qu'ayant un ventre trop proéminent, je veux le ramener à de plus justes proportions? Ignorez-vous que dernièrement Charmide m'a trouvé un matin en train de danser? — C'est vrai, par Zeus, dit Charmide, et tout d'abord j'en ai été abasourdi, et j'ai eu peur que tu n'eusses perdu l'esprit, mais après t'avoir entendu donner les mêmes raisons que tu viens de dire, moi aussi, de retour chez moi, je me suis mis, non pas à danser, car je n'ai jamais appris, mais à faire des mouvements de bras, exercice que je connaissais. 20. — Je le crois facilement, dit Philippe; car tes jambes et tes épaules semblent être si égales en poids que, situ mettais dans la balance, comme des pains, le bas et le haut de ta personne en présence des agoranomes, tu échapperais à l'amende. — Avertis-moi, Socrate, dit Callias, quand tu commenceras tes leçons de danse; je te ferai vis-à-vis et j'apprendrai avec toi. » 21. « Allons, s'écria Philippe, que l'on me joue de la flûte, pour que je danse, moi aussi.» Il se leva et contrefit tout au long la danse du garçon et celle de la fille. Pour commencer, parce qu'on avait loué les attitudes du garçon qui semblaient le rendre encore plus beau, Philippe affecta dans tous ses mouvements de se rendre grotesque. Puis, comme la jeune fille faisait la roue en se courbant en arrière, il essaya de faire la roue en se courbant en avant. Enfin, parce qu'on avait loué le garçon de ce que tous ses membres étaient en action pendant la danse, il dit à la joueuse de flûte de jouer un air plus vif, et il agita tout à la fois ses jambes, ses mains et sa tête, jusqu'à ce que, n'en pouvant plus, il se jeta sur un lit en disant : « La preuve, messieurs, que ma danse aussi est un bon exercice, c'est que j'ai soif. Que le garçon me remplisse la grande coupe. — Oui, par Zeus, dit Callias, et à nous aussi; car nous avons pris soif à rire de toi. » 22. « Moi aussi, mes amis, dit Socrate, je suis tout à fait d'avis que nous buvions. Car je reconnais que le vin en arrosant les âmes endort les chagrins, comme la mandragore endort les hommes, et qu'il éveille les bons sentiments comme l'huile anime la flamme. 23. Il me semble qu'il en est de nos corps comme des plantes qui croissent en terre. Que le dieu les arrose trop abondamment, elles ne peuvent ni lever ni s'ouvrir au souffle des brises; si au contraire elles ne boivent que juste assez pour leur satisfaction, elles lèvent fort bien, poussent, fleurissent et arrivent à fruit. 24. De même nous, si nous buvons trop à la fois, nous ne tardons pas à chanceler de corps et d'esprit, et nous ne pouvons plus respirer, encore moins parler, mais si, pour me servir du mot de Gorgias, les esclaves nous « aspergent » souvent avec de petites coupes, alors le vin ne nous jette pas de force dans l'ivresse, mais il nous conduit à la gaieté par une douce persuasion.» 25. La motion fut approuvée unanimement, avec cet amendement de Philippe que les échansons eussent à imiter les conducteurs de chars en faisant courir rapidement les coupes, ce qui fut exécuté. [3] 1. A ce moment, le jeune garçon, ayant accordé sa cithare sur la flûte, se mit à jouer et à chanter, aux applaudissements de tous les convives. Alors Charmide prit la parole : « Mes amis, il me semble que, comme Socrate l'a dit du vin, la beauté de ces enfants associée à leurs chants assoupit les chagrins et fait naître l'amour. » 2. Socrate alors reprenant la parole : « Mes amis, dit-il, ces enfants sont assurément capables de nous divertir, mais je suis sûr que nous pensons valoir beaucoup mieux qu'eux. Dès lors, ne serait-il pas honteux de ne pas tenter, puisque nous sommes réunis, de nous être utiles ou agréables les uns aux autres? » Alors plusieurs dirent « Indique-nous donc à quels sujets il faut nous attaquer pour réaliser ton idée le mieux possible. 3. — Pour moi, ce que j'aimerais avant tout, c'est que Callias exécutât sa promesse, car il a dit que, si nous dînions avec lui, il nous donnerait un échantillon de sa science. — Et je le donnerai certainement, répondit-il, pourvu que chacun de vous mette en commun ce qu'il sait de bon. — Eh bien, dit Socrate, personne ne refuse de dire ce qu'il croit savoir de meilleur. 4.— En ce cas, dit Callias, je vais vous dire ce qui me rend le plus fier; c'est que je me crois capable de rendre les hommes meilleurs. — Est-ce, dit Antisthène, en leur enseignant un art mécanique, ou la probité? — La probité, si la justice est probité. — Par Zeus, dit Antisthène, elle l'est sans contestation possible. Le courage et la science semblent quelquefois nuisibles à nos amis et à l'État, mais la justice ne s'associe en aucune manière à l'injustice. 5. — Quand donc chacun de vous aura dit ce qu'il sait d'utile, je me ferai un plaisir, moi aussi, d'exposer la science par laquelle je réalise la justice. Mais toi, à ton tour, Nicératos, dis-nous de quelle science tu t'enorgueillis. — Mon père, dit Nicératos, parmi les soins qu'il prit pour faire de moi un honnête homme, me fit apprendre tous les vers d'Homère et aujourd'hui encore je pourrais réciter de mémoire toute l'Iliade et toute l'Odyssée. 6. — Ignores-tu, dit Antisthène, que tous les rhapsodes aussi savent ces vers par coeur? — Comment l'ignorerais-je, quand j'entends les rhapsodes presque tous les jours? — Connais-tu, demanda Antisthène, plus sotte engeance que les rhapsodes? — Non, par Zeus, répondit Nicératos, non, je ne crois pas. — La raison en est claire, dit Socrate : ils ne savent pas le sens profond des poèmes. Mais toi qui as donné beaucoup d'argent à Stésimbrote, à Anaximandre et à beaucoup d'autres, tu connais tout ce qui a du prix dans ces poèmes. 7. Et toi, dit-il en s'adressant à Critobule, qu'est-ce que tu estimes le plus? — La beauté, dit-il. — Alors toi aussi, demanda Socrate, tu pourras montrer que grâce à ta beauté tu peux rendre les hommes meilleurs? — Si je n'y réussis pas, il est clair que vous pourrez me traiter de mazette. 8. Et toi, Antisthène, demanda-t-il, de quoi te glorifies-tu? — De ma richesse. » Hermogène lui demanda s'il avait beaucoup d'argent. « Pas une obole, dit-il, je te le jure. — Alors tu as beaucoup de terres. — Peut-être, dit-il, en ai-je assez pour qu'Autolycos s'y roule dans la poussière. 9. — Il faudra t'entendre, toi aussi. Et toi, Charmide, demanda-t-il, qu'est-ce qui te donne de l'orgueil? — Ma pauvreté, répondit-il. — Par Zeus, dit Socrate, c'est une chose charmante. Il n'y a rien qui excite moins l'envie, qui soit moins disputé; on n'a pas besoin de gardes pour la conserver, et plus on la néglige, plus elle s'accroît. 10. — Et toi, Socrate, demanda Caillas, de quoi es-tu fier? » Socrate se composa un visage tout à fait grave et dit : « De mes talents d'entremetteur. » Tout le monde se mit à rire de cette boutade. « Vous riez, dit-il, mais je suis sûr que ma science me vaudrait beaucoup d'argent, si je voulais m'en servir. 11. — Pour toi, dit Lycon à Philippe, il est évident que c'est de faire rire que tu es fier. — Et à plus juste titre, je pense, répondit le bouffon, que le comédien Callipide qui se gonfle de vanité parce qu'il sait tirer des larmes à beaucoup de spectateurs. 12. — Et toi, Lycon, dit Antisthène, me diras-tu pas ce qui fait ta fierté? — Ne le savez-vous pas tous, répliqua-t-il : c'est mon fils que vous voyez. — Pour lui, dit quelqu'un, il est évident que c'est sa victoire au pancrace. — Non, par Zeus, » dit Autolycos en rougissant. 13. Toute la compagnie, charmée d'entendre sa voix, tourna les yeux vers lui et quelqu'un lui demanda : « Mais alors, Autolycos, de quoi es-tu fier? — De mon père, » dit-il, et en même temps il se pencha vers lui. En voyant ce geste, Callias s'écria : « Sais-tu, Lycon, que tu es l'homme le plus riche du monde? Non, par Zeus, répartit Lycon, c'est une chose que je ne sais pas. — Ignores-tu donc que tu n'échangerais pas les trésors du grand Roi contre ton fils. — Je suis pris en flagrant délit, dit-il, et il paraît que je suis l'homme le plus riche de la terre. 14. — Et toi, Hermogène, dit Nicératos, de quoi te glorifies-tu de préférence? — D'avoir des amis vertueux et puissants, dit-il, et qui malgré cela ne me négligent pas. » Tous alors le regardèrent et plusieurs en même temps lui demandèrent s'il les ferait connaître. Il assura qu'il ne s'y refuserait pas. [4] 1. Après cela, Socrate prit la parole : « Nous avons maintenant à prouver l'excellence de ce que chacun de nous s'est engagé à louer. — Écoutez-moi le premier, dit Callias. Car, pendant que je vous entends discuter sur l'essence de la justice, je rends, moi, les hommes plus justes. — Et comment cela, mon excellent Callias? demanda Socrate. — En donnant de l'argent, par Zeus. » 2. Là-dessus Antisthène se lève et d'un ton tranchant lui pose cette question : « Où supposes-tu, Callias, que les hommes logent la justice? dans leurs âmes ou dans leur bourse? — Dans leur âme, répliqua-t-il. — Et en versant de l'argent dans leur bourse, tu rends leurs âmes plus justes? — Certainement. — Comment? — Parce que, sachant qu'ils ont de quoi se procurer le nécessaire en payant, ils ne veulent pas courir le risque qu'on court à mal faire. 3. — Et te rendent-ils ce qu'ils ont reçu? — Non, par Zeus, dit Callias, non pas. — Mais alors tu as des remerciements pour ton argent? — Non, par Zeus, répartit Callias, pas même cela. Certains mêmes me haïssent plus qu'avant d'avoir reçu mes présents. — Voilà qui est étonnant, dit Antisthène en le regardant dans les yeux comme pour le confondre : tu es capable de rendre les hommes justes envers les autres, et pas envers toi? 4. — Qu'y a-t-il d'étonnant à cela? dit Callias. Ne vois-tu pas nombre de charpentiers et de maçons qui bâtissent pour beaucoup d'autres et qui, hors d'état de le faire pour eux-mêmes, se logent à loyer. Résigne-toi, savant homme, à être battu. 5. — Il faut bien, par Zeus, qu'il s'y résigne, dit Socrate, puisque les devins aussi passent bien pour prédire l'avenir aux autres, tandis qu'ils ne prévoient pas ce qui les attend eux-mêmes. » On en resta là sur ce sujet. 6. Puis ce fut Nicératos qui dit : « Écoutez-moi, je vais vous dire en quoi vous deviendrez meilleurs, si vous suivez mes leçons. Vous savez, n'est-ce pas? que le sage Homère a embrassé dans ses poèmes presque tout ce qui a trait à la vie humaine. Donc quiconque parmi vous veut devenir habile à diriger sa maison, à parler au peuple, à commander des armées et se rendre semblable à Achille, à Ajax, à Nestor ou à Ulysse, devra cultiver ma société; car je sais tout cela. — Sais-tu aussi l'art de régner? demanda Antisthène; car tu n'ignores pas qu'Homère a loué Agamemnon d'être à la fois un bon roi et un vaillant guerrier. — Oui, par Zeus et je sais aussi qu'en menant un char on doit tourner près de la borne « et sur le char poli se pencher légèrement sur la gauche de l'attelage, piquer le cheval de droite en l'excitant de la voix et lui lâcher les rênes. » 7. Je sais encore autre chose dont vous pouvez à l'instant même faire l'expé- rience. Homère dit en effet quelque part que l'oignon est l'assaisonnement de la boisson. Qu'on apporte de l'oignon, sur-le-champ vous vous en féliciterez, car vous boirez avec plus de plaisir. 8. — Amis, dit Charmide, Nicératos veut sentir l'oignon en retournant chez lui, pour faire croire à sa femme que personne n'a songé à l'embrasser. — Par Zeus, dit Socrate, nous risquerions de donner de nous une autre idée plaisante; car l'oignon paraît bien être un assaisonnement qui rend agréable le manger aussi bien que le boire. Si donc nous en mangeons même après dîner, on pourrait dire que nous sommes venus chez Callias pour y faire joyeuse vie. 9. — Pas du tout, Socrate, dit Nicératos, puisque, lorsqu'on marche au combat, il est bon de grignoter un oignon; c'est ainsi qu'on fait battre les coqs après les avoir nourris d'ail. Il est vrai que nous songeons plutôt à des baisers qu'à des combats. » C'est ainsi que finit le propos. 10. Alors Critobule prit la parole : « A mon tour, dit-il, je vais vous expliquer pourquoi je suis fier de ma beauté. — Parle, dit-on. — Si je ne suis pas beau comme je le pense, vous méritez d'être punis pour me tromper; car en toute occasion, sans que personne vous le demande, vous jurez par serment que je suis beau; et, ma foi, je vous crois; car je vous tiens pour des hommes d'honneur. 11. Mais si je suis réellement beau et si je fais sur vous la même impression qu'un bel objet fait sur moi, j'en jure par tous les dieux, je n'échangerais pas ma beauté contre l'empire du grand Roi. 12. Car pour ma part j'ai plus de plaisir à contempler Clinias que tout ce qu'il y a de beau dans le monde, et je souffrirais d'être aveugle pour tout le reste plutôt que pour le seul Clinias. J'en veux à la nuit et au sommeil, qui m'empêchent de le voir, mais j'ai la plus vive gratitude envers le jour et le soleil qui montrent Clinias à mes yeux. 13. De plus, nous avons le droit, nous qui sommes beaux, de nous enorgueillir de ce qu'un homme vigoureux ne peut acquérir du bien qu'en travaillant, un brave qu'en affrontant le danger, un savant qu'en parlant, tandis que celui qui est beau vient à bout de tout, même sans se mêler de rien. 14. En tout cas, pour'moi, quoique je tienne la fortune pour une chose agréable, j'aurais plus de plaisir à donner mon bien à Clinias qu'à recevoir du bien d'un autre et j'aimerais mieux être esclave que libre, s'il voulait bien être mon maître. Pour le servir, le travail me serait plus doux que le repos et je préférerais braver le danger pour lui à vivre en toute sécurité. 15. Toi, Callias, tu te glorifies de pouvoir rendre les hommes plus justes, j'ai plus de droits que toi à croire que je les porte à toute sorte de vertus. Et en effet, par l'influence que notre beauté exerce sur ceux qui sont portés à l'amour, ne les rendons-nous pas plus désintéressés à l'égard de l'argent, plus endurants et plus avides de gloire dans les dangers, plus réservés et plus continents, puisqu'ils n'osent demander même ce qu'ils désirent le plus? 16. Quelle folie de ne pas choisir les généraux parmi les plus beaux hommes ! Pour moi, je passerais avec Clinias au travers du feu, comme je suis sûr que vous y passeriez avec moi. Ne doute donc plus, Socrate, que ma beauté ne puisse faire du bien aux hommes. 17. Et il ne faut pas déprécier la beauté, parce qu'elle se flétrit rapidement; car, si l'enfant est beau, l'adolescent, l'homme fait et le vieillard le sont aussi, témoin les thallophores d'Athéna que l'on choisit parmi les beaux vieillards, parce qu'on pense que la beauté suit l'homme à toutes les époques de sa vie. 18. D'un autre côté, s'il est doux d'obtenir sans contrainte ce qu'on désire, je suis sûr qu'en ce moment je persuaderais plus facilement, même sans rien dire, cet enfant et cette jeune fille de m'embrasser que toi, Socrate, tu ne pourrais le faire à force de beaux discours. 19. — Hé quoi ! s'écria Socrate, tu te vantes comme si tu étais plus beau que moi aussi? — Oui, par Zeus, répartit Critobule; autrement je serais le plus laid de tous les silènes qui figurent dans les drames satyriques (or justement Socrate ressemblait aux silènes). 20. — Allons, reprit Socrate, souviens-toi qu'on prononcera sur notre beauté, quand les sujets à traiter seront épuisés. Et ce ne sera pas Alexandre, fils de Priam, qui nous jugera, mais ceux-là même qui, à t'entendre, ont envie de t'embrasser. 21. — Et Clinias, Socrate? est-ce que tu ne t'en remettrais pas à lui de ce jugement? demanda-t-il. — Tu ne cesseras donc jamais de parler de Clinias? dit Socrate. — Crois-tu qu'en ne le nommant pas, j'en penserais moins à lui? Ne sais-tu pas que je porte son image si nettement gravée dans mon âme que, si j'étais habile à sculpter ou à peindre, je ferais son portrait aussi ressemblant d'après cette image qu'en le regardant lui-même? 22. — Pourquoi donc, reprit Socrate, puisque tu en as une image si fidèle, viens-tu m'importuner et m'entraînes-tu aux lieux où tu penses le voir? — C'est que, Socrate, la vue de sa personne peut me donner du plaisir, tandis que la vue de son image, au lieu de me charmer, enflamme mon désir. » 23. Hermogène intervint : « Vraiment, Socrate, je ne t'approuve pas d'abandonner ainsi Critobule à ces amoureux transports. — Crois-tu donc, répartit Socrate, que c'est depuis qu'il me fréquente qu'il est ainsi épris? — Depuis quand donc? — Ne vois-tu pas ce duvet naissant qui pousse le long de ses oreilles, tandis que la barbe de Clinias frise déjà? C'est en fréquentant les mêmes écoles qu'il s'est enflammé si violemment pour Clinias. 24. Son père, s'en étant aperçu, me l'a confié dans l'espoir que je pourrais lui faire du bien, et vraiment il va déjà beaucoup mieux. Avant, en effet, quand il le regardait, il était pétrifié comme ceux qui fixent les Gorgones et il ne le quittait jamais; mais à présent je l'ai vu qui clignait de l'oeil. 25. Je crois même, par les dieux, mes amis, ceci soit dit entre nous, qu'il a donné un baiser à Clinias. Or il n'y a rien de tel qu'un baiser pour enflammer l'amour; car le baiser est insatiable et fait naître de douces espérances. 26. {Peut-être l'estime qu'on attache au baiser vient-elle de ce que cet acte unique entre nos actes qui consiste à s'unir par les lèvres porte le même nom que l'amour qui est dans les âmes]? C'est pourquoi je prétends qu'il faut s'abstenir d'embrasser les belles personnes, si l'on veut pouvoir rester chaste. 27. — Mais pourquoi donc, Socrate, demanda Charmide, nous faire un épouvantail de la beauté à nous, tes amis, alors que je t'ai vu toi-même, par Apollon, un jour que vous cherchiez ensemble un passage dans le même livre chez le maître d'école, approcher ta tête de la tête de Critobule et ton épaule nue de son épaule nue. 28. — Ah ! s'écria Socrate, voilà donc pourquoi pendant plus de cinq jours j'ai souffert de l'épaule comme si j'avais été mordu par une bête féroce, et pourquoi je croyais sentir comme une démangeaison au coeur. Mais à présent, Critobule, ajouta-t-il, je te préviens en présence de tous ces témoins : garde-toi de me toucher tant que tu n'auras pas autant de poils au menton qu'à la tête. » C'est ainsi qu'ils mêlaient le plaisant au sérieux. 29. Alors Callias dit à Charmide : « C'est ton tour de nous expliquer pourquoi tu es fier de ta pauvreté. — Eh bien, dit-il, c'est une vérité reconnue qu'il vaut mieux vivre en assurance que dans la crainte, être libre qu'esclave, recevoir des hommages que d'en rendre, avoir la condance de la cité que de lui être suspect. 30. Or, dans notre ville, quand j'étais riche, tout d'abord j'avais peur qu'un voleur ne perçât le mur de ma maison, n'enlevât mon argent et ne me fît du mal à moi-même ; ensuite je flattais les sycophantes, sachant que j'étais plus en état de recevoir du mal d'eux que de leur en faire. Et puis l'État m'imposait toujours quelque taxe nouvelle, et je n'étais pas libre de voyager à l'étranger. 31. Mais à présent que je suis dépouillé des biens que j'avais hors des frontières, que je ne récolte plus mes propriétés en Attique, et qu'on a vendu mes meubles, je dors paisiblement étendu de tout mon long, l'État ne se défie plus de moi, je ne suis plus menacé, c'est moi qui à présent menace les autres; en ma qualité d'homme libre j'ai la permission d'aller à l'étranger ou de rester ici. Déjà les riches se lèvent de leurs sièges à mon approche et me cèdent le haut du pavé. 32. A présent on me prendrait pour un despote; avant j'étais visiblement esclave. Je payais alors tribut au peuple; aujourd'hui c'est l'État qui, devenu tributaire envers moi, me fournit ma nourriture. Quand j'étais riche, on me vilipendait pour mes relations avec Socrate; maintenant que je suis devenu pauvre, nul n'en a cure. Quand je possédais de grands biens, l'État ou la Fortune m'en ôtaient toujours quelque partie; à présent je ne perds plus rien, puisque je n'ai plus rien et j'espère toujours gagner quelque chose. 33. — Alors, dit Callias, ce que tu souhaites, c'est de n'être jamais riche et, s'il te vient un songe heureux, tu sacrifies aux dieux qui détournent les mauvais présages? — Par Zeus, répondit Charmide, je ne vais pas jusque-là; mais si j'espère toucher quelque chose, je l'attends et j'en cours bravement le risque. » 34. « Allons, Antisthène, dit Socrate, à ton tour, dis-nous pourquoi, avec de si minces ressources, tu es fier de ta richesse. — C'est que je crois, mes amis, que les hommes ne logent point leur richesse ou leur pauvreté dans leur maison, mais dans leur âme. 35. Car je vois nombre de particuliers qui, à la tête d'une fortune considérable, se jugent si pauvres qu'ils se soumettent à toutes sortes de travaux et de dangers pour acquérir davantage. Je connais méme des frères qui ont hérité à part égale, dont l'un a le nécessaire et même le superflu et dont l'autre manque de tout. 36. J'observe encore qu'il y a des rois si affamés de richesses qu'ils commettent des crimes plus odieux que les plus nécessiteux. Le besoin en effet conseille à ceux-ci de dérober, à ceux-là de percer les murs, aux autres de vendre des hommes libres; mais il y a des rois qui détruisent des maisons entières, qui tuent des milliers d'hommes, et souvent même asservissent des villes entières pour se procurer de l'argent. 37. Ceux-là, je les plains, moi, d'avoir une si terrible maladie. Ils me paraissent être dans le cas d'un homme qui, ayant tout en abondance, mangerait beaucoup sans être jamais rassasié. Pour moi, mes possessions sont si grandes que j'ai peine à les trouver moi-même; et cependant j'ai du superflu, même en mangeant jusqu'à ce que je n'aie plus faim, en buvant jusqu'à ce que je n'aie plus soif et en m'habillant de manière que je ne souffre pas plus du froid que ce richissime Callias, quand je suis dehors. 38. Quand je suis au logis, les murs me semblent être des tuniques chaudes, les toits de manteaux épais et je dors si bien couvert que ce n'est pas une petite affaire de m'éveiller. Suis-je sollicité par quelque désir amoureux, je me contente de la première venue, et les femmes à qui je m'adresse me comblent de caresses, parce que personne autre ne consent à les approcher. 39. Et toutes ces jouissances me paraissent si vives qu'en me livrant à chacune d'elles je ne souhaite pas en tirer plus de plaisir; je les voudrais plutôt moins vives, tellement certaines d'entre elles dépassent les bornes de l'utile. 40. Mais ce que je compte de plus précieux dans ma richesse, c'est que, si l'on m'enlevait même ce que j'ai à présent, je ne vois pas d'occupation si humble qui ne puisse me procurer de quoi manger à ma faim. 41. Et en effet me prend-il envie de me régaler? je n'achète pas au marché des morceaux rares, ils coûtent trop cher; je m'approvi- sionne en consultant mon appétit, et je trouve les aliments bien plus agréables quand je les porte à ma bouche, après avoir attendu le besoin de manger, que lorsque je goûte un mets de haut prix, comme à présent ce vin de Thasos que je trouve ici et que je bois sans avoir soif. 42. En outre, on est beaucoup plus honnête quand on s'attache à la frugalité plutôt qu'à la richesse. Plus on est porté à se contenter de ce qu'on a, moins on convoite le bien d'autrui. 43. Il est encore à propos d'observer qu'une richesse comme la mienne inspire de nobles sentiments, car Socrate, de qui je la tiens, ne calculait ni ne pesait avec moi, il m'en donnait autant que je pouvais en emporter. Et moi à présent, je n'en refuse à personne, mais je montre mon abondance à tous mes amis et je partage avec qui le désire la richesse de mon âme. 44. De plus le bien le plus doux, le loisir, ne me fait jamais défaut, vous le voyez, si bien que je peux voir ce qui mérite d'être vu, entendre ce qui mérite d'être entendu, et, ce que je prise le plus, passer mes journées avec Socrate sans autre affaire. Lui n'admire pas ceux qui comptent le plus d'or, mais il donne tout son temps à ceux qui lui plaisent. 45. — Par Héra, dit Callias, ta fortune me paraît enviable; mais ce que j'en apprécie le plus, c'est que la cité ne te commande pas comme à un esclave et que les gens ne se fâchent pas, si tu refuses de leur prêter. — Par Zeus, dit Nicératos, ne l'envie pas; car j'irai lui emprunter l'avantage de n'avoir besoin de rien. Instruit par Homère à compter« sept trépieds qui n'ont point approché du feu, dix talents d'or, vingt bassins étincelants et douze chevaux, toujours calculant et pesant je soupire après les plus grandes richesses. C'est pour cela sans doute que certains me trouvent trop intéressé. » Son aveu provoqua un éclat de rire général : on pensa qu'il venait de dire la vérité. 46. Ensuite, s'adressant à Hermogène, un des convives lui dit : « C'est à toi de nous faire connaître tes amis et à nous montrer leur grand pouvoir et leur sollicitude pour toi, afin de justifier la fierté qu'ils t'inspirent. 47. — Les Grecs et les barbares croient que les dieux savent tout, l'avenir comme le présent, c'est un fait reconnu. Car tous les États et tous les peuples leur demandent par l'intermédiaire des devins, ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire. Il n'est pas moins notoire que nous les croyons capables de nous faire du bien ou du mal, puisque tous les hommes les prient de détourner d'eux les maux et de leur donner les biens. 48. Eh bien, ces dieux qui savent tout et qui peuvent tout sont tellement mes amis qu'ils ne me perdent de vue ni la nuit ni le jour, ni dans mes voyages, ni dans mes entreprises; et parce qu'ils voient dans l'avenir les conséquences de chacun de mes actes, ils me signifient par les messagers qu'ils m'envoient, oracles, songes, oiseaux ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire. Quand je leur obéis, je n'ai jamais à m'en repentir, et, s'il m'est arrivé de ne pas les écouter, j'en ai été puni. 49. — Il n'y a rien d'incroyable dans ce que tu dis, déclara Socrate; mais il y a une chose que je serais bien aise d'apprendre, c'est comment tu les sers afin de gagner leur amitié. — Il m'en coûte peu, par Zeus, répondit Hermogène. Je les loues sans aucuns frais; chaque fois qu'ils me donnent quelque 'chose, je leur en offre une portion; je parle d'eux le plus respectueusement qu'il m'est possible, et quand je les prends à témoin, je ne manque jamais volontairement à ma parole. — Par Zeus, s'écria Socrate, si une telle conduite te gagne l'amitié des dieux, les dieux aussi, semble-t-il, aiment la probité. » Telles furent les graves réflexions que l'on fit sur ce point. 50. Quand on fut arrivé à Philippe, on lui demanda ce qu'il voyait dans son métier de bouffon qui pût lui inspirer de la vanité. — N'ai-je pas raison d'être fier, dit-il, quand, parce qu'on sait que je suis bouffon, tous ceux à qui échoit quelque bonne fortune m'invitent volontiers à la partager, tandis que, si quelque malheur les surprend, ils me fuient sans se retourner, de peur de rire malgré eux? 51. — Par Zeus, dit Nicératos, tu as bien sujet de te féliciter. Car pour moi, au contraire, quand mes amis sont dans la prospérité, ils me tournent les talons; si au contraire ils éprouvent quelque revers, ils me prouvent leur parenté par leur généalogie, et je ne peux plus me débarrasser d'eux. » 52. « Passons à un autre, dit Charmide. Toi, Syracusain, de quoi es-tu fier? évidemment de ce jeune garçon. — Non, par Zeus, non certes. Il me cause au contraire de grandes craintes; car je m'aperçois que certaines gens cherchent à le perdre. » 53. En entendant ces mots, Socrate s'écria : « O Héraclès, quel si grand mal croient-ils que ce jeune garçon leur a fait pour qu'ils veuillent le tuer ! — Mais non, dit le Syracusain, ils ne veulent pas le tuer, ils veulent le persuader de coucher avec eux. — Mais à t'entendre, si cela arrivait, tu le croirais perdu. — Oui, par Zeus, répliqua-t-il, perdu sans ressource. 54. — Toi-même, demanda Socrate, ne couches-tu pas avec lui? — Par Zeus, toutes les nuits et les nuits entières. — Par Héra, dit Socrate, tu as une belle chance d'avoir une peau de telle sorte que seul tu ne perdes pas ceux avec qui tu couches. Aussi, à défaut d'autre chose, tu peux toujours être fier de ta peau. 55. — Mais, par Zeus, répliqua l'autre, ce n'est pas cela qui me rend fier. — Qu'est-ce donc?— C'est, par Zeus, qu'il y a des fous dans le monde. Ce sont eux qui me nourrissent en venant voir mes marionnettes. — C'est donc pour cela, s'écria Philippe, que je t'ai entendu l'autre jour prier les dieux de produire partout où tu irais, abondance de fruits et disette de raison. » 56. « Voilà qui est bien, dit Callias. A toi, Socrate. Qu'as-tu à dire pour te justifier de prôner un métier aussi infamant que celui dont tu parlais? — Tout d'abord mettons-nous d'accord sur ce que fait l'entremetteur. N'hésitez pas à répondre à toutes mes questions, afin que nous sachions sur quoi nous sommes d'accord. Y consentez-vous? demanda-t-il. — Sans doute, » répondirent-ils et ce sans doute une fois dit, ils le répétèrent tous dans la suite à chaque question. 57. « Eh bien ! qu'est-ce que fait, à votre avis, un bon entremetteur? Ne cherche-t-il pas à rendre celui ou celle qu'il prostitue agréable aux personnes avec lesquelles ils ont commerce? — Sans doute, répondit-on. — Or n'est-ce pas un moyen de plaire que d'avoir une chevelure et des habits bien tenus? — Sans doute, répliquèrent-ils. — 58. Ne savons-nous pas aussi qu'on peut, avec les mêmes yeux, regarder les gens avec tendresse ou avec haine? — Sans doute. — Et qu'avec la même voix on peut parler modestement ou hardiment? — Sans doute. — Et puis n'y a-t-il pas des discours qui excitent la haine et d'autres qui portent à l'amitié? — Sans doute. 59. — De ces moyens, le bon entremetteur n'enseignera-t-il pas ceux qui servent à plaire? — Sans doute. — Et quel sera, demanda-t-il, le meilleur entremetteur, celui qui rend ses gens agréables à une seule personne, ou celui qui les rend agréables à un grand nombre? » Ici les termes de la réponse différèrent. Les uns répondirent : « Evidemment celui qui les rend agréables au grand nombre, » et les autres : « Sans doute. » 60. Socrate, ayant constaté qu'il y avait accord aussi sur ce point, continua : « Mais si un homme était capable de mettre des gens en état de plaire à toute la ville, celui-là ne serait-il pas un entremetteur accompli? » Tous répondirent : « Evidemment, par Zeus. — Et s'il pouvait rendre tels ceux dont il aurait la direction, n'aurait-il pas sujet de se glorifier de son art, et ne mériterait-il pas un ample salaire? » 61. Tous en convinrent aussi : « Eh bien, reprit Socrate, tel est à mes yeux Antisthène. — C'est à moi, Socrate, s'écria Antisthène, que tu remets ta profession? — Oui, par Zeus, répondit Socrate; car je vois que tu es passé maître dans celle qui est la suivante de la mienne. Quelle est-elle? — C'est la profession de courtier, » dit Socrate. 62. Ce mot souleva l'indignation d'Antisthène, qui demanda : « Où donc as-tu remarqué, Socrate, que j'aie jamais rien fait qui y ressemble? — Je sais, dit Socrate, que c'est toi qui as conduit Callias ici présent chez le savant Prodicos, voyant que l'un était épris de philosophie et que l'autre avait besoin d'argent. Je sais que tu l'as conduit aussi chez Hippias d'Élée, qui lui a enseigné la mnémonique, et depuis ce temps-là il est devenu plus amoureux encore, parce qu'il n'oublie jamais ce qu'il a vu de beau. 63. Et il n'y a pas longtemps, n'est-ce pas? qu'en me faisant l'éloge de l'étranger d'Héraclée tu m'as donné envie de le connaître et tu me l'as présenté, et certes je t'en sais gré, car il me paraît tout à fait honnête homme. Par le bien que tu m'as dit d'Eschyle de Phliunte et par celui que tu lui as dit de moi, ne nous as-tu pas inspiré de tels sentiments qu'épris l'un de l'autre, grâce à tes discours, nous courons l'un après l'autre pour nous rencontrer? 64. C'est parce que je te vois capable de telles choses que je te regarde comme un excellent courtier. Celui qui sait reconnaître les gens qui doivent s'être mutuellement utiles et qui peut les inciter à se rechercher les uns les autres, celui-là me paraît capable de rendre les villes amies, de bien assortir les mariages, et la possession d'un tel homme est précieuse pour les États, pour ses amis et ses alliés. Et toi, parce que je t'ai proclamé bon courtier, tu t'es fâché, comme si je t'avais injurié. — Non, par Zeus, dit-il, je ne suis plus fâché à présent, car si je suis capable de telles choses, mon âme sera toute remplie de richesse. » C'est ainsi que se ferma le cercle des discours. [5] 1. Alors Callias prit la parole : « Et toi, Critobule, tu ne disputes pas à Socrate le prix de la beauté? — Il n'a garde, dit Socrate; l'entremetteur a trop de crédit près des juges : il le voit bien. 2. — Malgré tout, repartit Critobule, je ne me déroberai pas. Démontre, si tu as quelque subtil argument, que tu es plus beau que moi. Seulement, ajouta-t-il, qu'on approche la lampe. — Eh bien, instruisons d'abord le procès, je t'en prie, et réponds-moi. — Interroge, toi. 3. — Crois-tu que la beauté n'existe que dans l'homme ou qu'elle existe aussi dans d'autres objets? — Je crois, par Zeus, qu'elle existe aussi dans d'autres, par exemple dans le cheval, le boeuf et beaucoup d'objets inanimés. En tout cas je sais qu'il y a de beaux boucliers, de belles épées, de belles lances. 4. — Comment se peut-il, demanda Socrate, que des objets si dissemblables soient tous beaux? — Ils le sont, par Zeus, répliqua Critobule, s'ils ont été bien confectionnés pour les ouvrages en vue desquels nous nous les procurons ou si la nature les a bien adaptés à nos besoins; en ce cas, ils sont beaux, dit Critobule. — 5. Sais-tu pourquoi, demanda Socrate, nous avons besoin de nos yeux? — Pour voir, apparemment, répondit Critobule. — De ce fait, mes yeux seraient déjà plus beaux que les tiens. — Comment cela? — C'est que les tiens ne voient que devant eux, tandis que les miens voient encore de côté, étant à fleur de tête. — A ce compte, repartit Critobule, c'est l'écrevisse qui a les plus beaux yeux de tous les animaux? — Absolument, dit Socrate, d'autant plus que pour la force ce sont les mieux conditionnés. 6. — Soit, dit Critobule; mais pour le nez, lequel est le plus beau, le tien ou le mien? — Je pense que c'est le mien, répondit Socrate, s'il est vrai que les dieux nous aient fait le nez pour sentir; car tes narines à toi regardent vers la terre, tandis que les miennes sont retroussées pour recevoir les odeurs de tous les côtés. — Mais comment un nez camus peut-il être plus beau qu'un nez droit? — Parce que, dit Socrate, il ne forme pas barricade et qu'il permet tout de suite aux yeux de voir ce qu'ils veulent, au lieu qu'un nez haut les sépare comme un mur fait pour les gêner. 7. — Pour la bouche, dit Critobule, je te cède la palme; car si elle est faite pour mordre, la tienne emporterait de bien plus gros morceaux que la mienne. Ne crois-tu pas aussi qu'en raison de tes lèvres épaisses tes baisers sont plus tendres que les miens? — A t'entendre, dit Socrate, on croirait que ma bouche est plus hideuse que celle des ânes. Regardes-tu comme une faible preuve de ma beauté que les naïades, qui sont des déesses, enfantent des silènes qui me ressemblent plus qu'à toi? 8. — Je n'ai plus rien à te répliquer, dit Critobule. Qu'on distribue des cailloux, ajouta-t-il, pour que je sache tout de suite à quel châtiment ou à quelle amende je suis condamné. Seulement que le scrutin soit secret; car je crains que ta richesse et celle d'Antisthène ne me donnent le dessous. » 9. Le garçon et la jeune fille distribuèrent en secret les cailloux. Pendant ce temps, Socrate fit approcher la lampe de Critobule pour que les juges ne fussent point surpris et il stipula que le vainqueur, en guise de couronne, recevrait des juges, non pas des bandelettes, mais des baisers. 10. On retira les cailloux de l'urne; ils étaient tous pour Critobule. « Ah ! s'écria Socrate, ton argent, Critobule, ne ressemble pas à celui de Callias; le sien rend les hommes plus justes; le tien, comme il arrive généralement, est capable de corrompre juges et arbitres. » [6] 1. Ensuite les uns pressèrent Critobule de se faire donner les baisers dus à sa victoire, les autres de gagner le consentement du maître des jeunes artistes, d'autres plaisantaient, chacun à sa manière. Même à ce moment Hermogène ne dit mot. Socrate, l'apostrophant, lui dit : « Pourrais-tu nous dire, Hermogène, ce qu'est la paroïnia? — Si tu veux savoir ce que c'est, je l'ignore, mais je puis dire ce qui m'en semble. — C'est cela, dis-le. — 2. Elle consiste à mon avis à ennuyer ceux avec qui l'on boit. — Sais-tu, dit Socrate, que toi aussi tu nous ennuies à force d'être taciturne? — Est-ce lorsque vous parlez? demanda-t-il. — Non, mais dans les intervalles de la conversation. — Tu ne t'aperçois donc pas qu'on ne pourrait pas même glisser un cheveu dans les interstices de votre conversation, à plus forte raison un mot? 3. — Callias, dit Socrate, pourrais-tu venir au secours d'un homme qui ne sait plus que répondre? — Oui, répondit Callias; car lorsque la flûte se fait entendre, nous gardons un silence absolu. — Voulez-vous donc, dit Hermogène, qu'à l'exemple du comédien Nicostrate qui récitait des tétramètres, accompagné par un flûtiste, je dialogue avec vous au son de la flûte? 4. -- Au nom des dieux, Hermogène, fais-le, dit Socrate; car de même que le chant plaît davantage, si la flûte le soutient, de même le charme de tes propos serait doublé, j'en suis sûr, par les sons de l'instrument, surtout si, comme la joueuse de flûte, tu joignais le geste à la parole. » 5. Sur quoi Callias dit : « Quand donc Antisthène mettra quelqu'un à quia pendant le banquet, quel air faudra-t-il jouer? — Je crois, dit Antisthène, que pour l'homme réduit à quia, c'est le sifflet qui convient. » 6. Tandis que ces propos s'échangeaient, le Syracusain, voyant qu'on ne prêtait pas attention à ses exhibitions, et que les convives s'amusaient entre eux, s'en prit à Socrate et lui dit : « N'est-ce pas toi, Socrate, qu'on appelle le Penseur? — Eh bien, ce surnom n'est-il pas plus beau que celui de sans cervelle? 7. — Oui, mais on dit que tu ne penses qu'à ce qui se passe au haut des airs. — 8. — Eh bien, dit Socrate, sais-tu quelque chose de plus haut que les dieux? — Ce n'est point des dieux, par Zeus, que tu t'occupes, à ce qu'on raconte, mais de choses entièrement inutiles 172. — Même en admettant le mot, je m'occuperais encore des dieux; car c'est d'en haut qu'ils nous sont utiles en faisant pleuvoir, c'est d'en haut qu'ils nous dispensent la lumière. Si mon jeu de mots est froid, ajouta-t-il, n'en accuse que toi qui me cherches chicane. 9. -- Laissons cela, dit le Syracusain, et dis-moi à combien de pieds de puce tu es éloigné de moi; ce sont, dit-on, des choses que tu mesures. » A ce moment Antisthène s'adressant à Philippe, lui dit : « Toi qui excelles à faire des comparaisons, ne trouves-tu pas que ce gaillard-là ressemble à un insolent? — Si, par Zeus, répliqua Philippe, et il ressemble encore à bien d'autres sortes de gens. 10. — Cependant, dit Socrate, ne fais pas de comparaison à son sujet, si tu ne veux pas qu'on te compare, toi aussi, à un insolent. — Mais si je le compare à ceux qui sont parfaitement honnêtes, à l'élite des hommes, on me comparera moi-même à un flatteur plutôt qu'à un insolent, et l'on aura raison. — Même à présent, tu ressembles à un insolent, quand tu dis qu'il est en tout point meilleur qu'il n'est réellement. 11. — Alors veux-tu que je le compare aux gens pires que lui? — Pas plus qu'aux premiers. — Alors à personne? — Ne le compare à personne en aucune manière. — Mais en gardant le silence, je ne vois pas comment je pourrai faire ce que je dois faire dans un banquet. — Tu le feras facilement dit Socrate; tu n'as qu'à faire ce qu'il ne faut pas dire. » Ainsi s'éteignit la noise causée par le vin. [7] 1. Parmi les autres convives, les uns pressaient Philippe de faire des comparaisons, les autres s'y opposaient. Au milieu du tumulte, Socrate reprit la parole : « Puisque nous désirons tous parler, ne ferions-nous pas mieux de chanter tous en choeur? » et aussitôt il entonna une chanson. 2. Quand il eut fini, on apporta à la danseuse une roue de potier sur laquelle elle devait exécuter des tours extraordinaires. Socrate dit alors : « Il se pourrait, Syracusain, que je sois réellement, comme tu le dis, un penseur, car je cherche par quel moyen ce garçon qui t'appartient et cette jeune fille pourraient avoir le moins de peine possible, et nous le plus de plaisir à les regarder, et c'est justement, j'en suis sûr, ce que tu souhaites, toi aussi. 3. Je trouve que de sauter la tête la première entre des épées est un divertissement périlleux qui ne convient pas du tout à un banquet. De même écrire et lire sur une roue qui tourne est sans doute encore un tour d'adresse étonnant, mais je n'arrive pas à voir quel plaisir peut causer ce spectacle. Est-il plus amusant de voir de beaux et jolis enfants se tordre les membres et faire la roue que de les contempler au repos? 4. D'ailleurs, si l'on veut du surprenant, on n'a aucune peine à en trouver. On n'a qu'à regarder ce qu'on a devant soi, à se demander par exemple pourquoi cette lampe à la flamme brillante répand de la lumière, tandis que le cuivre, brillant lui aussi, n'en produit pas, mais reflète d'autres objets qui se peignent sur sa surface, pourquoi l'huile qui est liquide avive la flamme et l'eau, qui est liquide aussi, éteint le feu. D'ailleurs ce sont là des questions qui sont, elles aussi, étrangères à un banquet. 5. Mais si ces enfants, dans leur danse, accompagnée de la flûte, reproduisaient les attitudes que les peintres donnent aux Charites, aux Heures et aux Nymphes, ils auraient eux-mêmes beaucoup moins d'efforts à faire et le banquet serait beaucoup plus charmant. Par Zeus, dit le Syracusain, tu as raison, Socrate, et je vais vous donner une représentation qui vous réjouira. » [8] 1. Le Syracusain sortit donc, applaudi par les convives. De son côté, Socrate entama un nouveau sujet. « N'est-il pas juste, amis, dit-il, puisque nous sommes en présence d'un dieu puissant, égal en âge aux dieux éternels, mais par sa beauté le plus jeune de tous, qui tient tout l'univers sous sa puissance et s'intronise dans le coeur de l'homme, je veux dire l'Amour, n'est-il pas juste que nous parlions de lui, nous qui sommes tous initiés à ses mystères? 2. Pour moi, je ne puis citer aucun temps de ma vie où j'ai vécu sans aimer. Charmide que voici a eu, je le sais, beaucoup de soupirants et il a soupiré lui-même pour plus d'un. Critobule est aimé à présent même et il sent déjà de l'amour pour d'autres. 3. Nicératos aussi, à ce que j'entends dire, aime sa femme et il en est payé de retour. Quant à Hermogène, qui de nous ignore que la vertu, quelle qu'elle soit, le passionne et le consume? Ne voyez-vous pas comme ses sourcils sont austères, son regard calme, ses propos mesurés, sa voix douce, son caractère enjoué? Il est l'ami des dieux les plus augustes, et cependant il ne dédaigne pas les simples mortels que nous sommes. N'y a-t-il que toi, Antisthène, qui n'aimes personne? 4. — Par tous les dieux, répartit Antisthène, je t'aime, et bien fort. » Socrate répondit en plaisantant et affectant le dédain : « Ne m'importune pas en ce moment : je suis occupé, tu le vois bien. 5. — Tu n'en fais jamais d'autres : tu t'offres toi-même, et, si je veux te parler, un jour tu m'allègues ton démon, un autre tu cours après quelque autre chose. 6. — Au nom des dieux, Antisthène, reprit Socrate, ne me bats pas : je supporte ton humeur et je la supporterai toujours en ami; mais que ton amour reste caché, puisqu'il en veut, non à mon âme, mais à ma beauté. 7. Quant à toi, Callias, tu aimes Autolycos; toute la ville le sait et, je crois, beaucoup d'étrangers aussi. La cause en est que vous avez tous deux des pères illustres et que vous êtes en vue vous-mêmes. 8. Pour ma part, j'ai toujours admiré ton heureux naturel, mais je l'admire bien davantage à présent que je te vois épris d'un jeune homme qui, loin de s'abandonner aux plaisirs et de s'énerver dans la mollesse, fait preuve aux yeux de tous de force, d'endurance, de courage, de tempérance. L'amant qui s'éprend de ces vertus laisse voir la beauté de son caractère. 9. N'y a-t-il qu'une Aphrodite, ou y en a-t-il deux, l'une céleste, l'autre vulgaire, je l'ignore, car Zeus, qui sans doute est unique, a tant de noms ! mais je sais que chacune d'elles a ses autels et ses temples à part et que dans les sacrifices à l'Aphrodite populaire règne le relâchement, dans les sacrifices à l'Aphrodite céleste, la pureté. 10. On peut croire que l'Aphrodite populaire inspire les amours charnels et l'Aphrodite céleste ceux qui s'attachent à l'âme, à l'amitié, aux belles actions. C'est d'un tel amour que tu me parais possédé, Callias. 11. J'en juge ainsi sur l'honnêteté de ton ami et la présence de son père que tu fais assister à vos entretiens; car un amant vertueux n'en cache aucun au père de son ami. 12. — Par Héra, dit Hermogène, je t'admire à plus d'un titre, Socrate, mais en particulier parce qu'en faisant plaisir à Callias tu lui apprends en même temps ce qu'il doit être. — Oui, par Zeus, dit Socrate, et pour le réjouir encore davantage, je veux lui prouver que l'amour de l'âme l'emporte de beaucoup sur celui des corps. 13. Nous savons tous en effet qu'aucune liaison n'a de prix sans l'amitié. L'affection de ceux qui admirent le caractère de leurs amis, on l'appelle une douce et volontaire contrainte, tandis qu'un grand nombre de ceux qui désirent le corps de leurs amis blâment et haïssent les moeurs de ceux qu'ils aiment. 1.4. S'ils aiment à la fois l'âme et le corps, la fleur de la beauté se fane vite, et, quand elle n'est plus, l'amitié aussi se flétrit fatalement. L'âme, au contraire, tant qu'elle s'avance vers la sagesse, n'en devient que plus digne d'amour. 15. D'ailleurs les jouissances que donne la beauté physique amènent je ne sais quel dégoût et l'on se lasse fatalement des mignons comme on se lasse des aliments, par la satiété; mais on ne se dégoûte pas de l'amour de l'âme, parce qu'il est pur et, contrairement à ce qu'on pourrait croire, il ne perd rien de ses charmes. C'est alors au contraire qu'on voit exaucées les prières qu'on adresse à la déesse pour qu'elle nous inspire des paroles et des actes aimables. 16. Qu'on aime et qu'on chérisse son bien-aimé, quand on a une âme où fleurit la beauté de l'homme libre, avec un caractère pudique et généreux, une âme qui n'a qu'à se montrer pour imposer son autorité à ses camarades et qui joint la bonté à l'autorité, c'est une chose qu'il n'est pas besoin de démontrer; mais qu'il est naturel qu'un tel amant soit payé de retour par son ami; voilà ce que je veux prouver. 17. Tout d'abord comment un garçon pourrait-il haïr un homme dont il se sait estimé pour son honnêteté, quand il le voit ensuite s'inquiéter de son honneur plus que de ses propres plaisirs, quand de plus il a confiance que ni les revers qu'il peut avoir, ni la maladie qui peut l'enlaidir n'affaibliront son amitié? 18. Comment des gens qui s'entr'aimaient n'auraient-ils pas plaisir à se regarder, à s'entretenir affectueusement, à se témoigner une confiance mutuelle, à veiller l'un sur l'autre, à se réjouir ensemble d'une belle action, à s'affliger ensemble d'une erreur? N'est-ce pas une nécessité qu'ils soient toujours joyeux de se réunir, quand ils sont en bonne santé, qu'ils se voient beaucoup plus souvent, si l'un d'eux est malade, et qu'ils s'occupent encore davantage de l'ami absent que présent? Tout cela ne respire-t-il pas le charme de l'amour? Ce sont ces bons offices qui leur rendent l'amitié chère et font qu'ils en jouissent jusqu'à leurs vieux jours. 19. Mais par quelle raison l'enfant paierait-il de retour celui qui ne s'attache qu'à son corps? Est-ce parce que celui-ci se réserve la satisfaction de ses désirs et ne laisse à l'enfant que l'opprobre? Est-ce parce qu'en vue d'obtenir ce qu'il désire de son mignon, il a soin avant tout d'écarter ses parents? 20. S'il emploie la persuasion, au lieu de la violence, il n'en est que plus haïssable. Celui qui fait violence ne montre que sa perversité, mais celui qui persuade corrompt l'âme de celui qui se laisse convaincre. 21. D'ailleurs pourquoi l'être qui vend ses charmes à prix d'argent aimerait-il plus celui qui le paye que celui qui trafique et vend au marché n'aime l'acheteur? Ce n'est pas parce qu'il livre sa jeunesse à un homme décrépit, sa beauté à un homme laid, son coeur impassible à un homme passionné qu'il aura de l'amour pour lui. De plus un garçon en commerce avec un homme ne partage pas comme la femme les jouissances de l'amour; il regarde avec la froideur d'un homme à jeun un homme enivré d'amour. 22. Aussi n'y a-t-il rien d'étonnant qu'il ait le mépris de son amoureux. Qu'on réfléchisse et l'on trouvera que la passion qui a pour objet les qualités de l'âme n'a jamais eu de funestes effets, tandis que ce commerce honteux a souvent produit des actes criminels. 23. Je vais montrer maintenant combien ces relations avec un homme qui préfère le corps à l'âme sont indignes d'un homme libre. Celui qui enseigne à son ami à dire et à faire ce qu'il doit a droit au respect dont Achille honorait Chiron et Phénix, mais celui qui convoite votre corps doit être traité comme un mendiant; car il s'attache à vos pas et ne cesse de quémander avec instance un baiser ou toute autre caresse. 24. Si je parle un peu crûment, ne vous en étonnez pas, c'est le vin qui m'y engage, c'est l'amour qui vit dans mon coeur qui m'excite à parler avec franchise contre un amour rival du mien. 25. A mon avis, celui qui n'a d'yeux que pour la beauté physique ressemble à un homme qui prend une terre à ferme : il ne cherche pas à l'améliorer, mais à en tirer le plus de fruits possible. Au contraire, celui qui poursuit l'amitié ressemble plutôt au propriétaire d'un champ; il apporte de partout ce qui peut augmenter la valeur de l'objet qu'il aime. 26. En outre tout garçon qui sait qu'en prêtant sa beauté, il aura de l'ascendant sur un amant, s'abandonnera, selon toute vraisemblance, à d'autres désordres; mais celui qui est persuadé que, s'il n'est pas honnête, il ne gardera pas son ami, prêtera naturellement plus d'attention à la vertu. 27. Cependant le plus grand avantage pour celui qui d'un enfant aimé veut se faire un bon ami, c'est qu'il est contraint de pratiquer lui-même la vertu. Il est impossible en effet, quand on donne l'exemple de la perversité de rendre honnête celui que l'on fréquente, et, quand on se montre impudent et intempérant d'inspirer à son ami la continence et la pudeur. 28. J'ai à coeur de te prouver, Callias, continua Socrate, même d'après la mythologie que non seulement les hommes, mais encore les dieux et les héros prisent plus l'amour de l'âme que la jouissance du corps. 29. Toutes les fois que Zeus s'est épris d'une femme mortelle pour sa beauté, il l'a laissée, après en avoir joui, dans sa condition de mortelle, mais à ceux dont il a admiré l'âme, il a fait présent de l'immortalité. De ce nombre sont Héraclès et les Dioscures, et d'autres aussi, dit-on. 30. Je prétends même que ce n'est pas pour son corps, mais pour son âme que Zeus a transporté Ganymède dans l'Olympe. Son nom même en témoigne. On lit en effet quelque part dans Homère : Il rayonne en l'entendant, ce qui veut dire qu'il se plaît à l'entendre. Et ailleurs on trouve : Il héberge en son âme des desseins avisés, ce qui signifie qu'il a dans l'âme de sages résolutions. Ce sont ces deux mots (se plaire et desseins) qui forment le nom de Ganymède, et c'est parce qu'il plaisait par sa sagesse et non par son corps qu'il a été honoré des dieux. 31. Remarque aussi, Nicératos, que, lorsque Homère représente Achille vengeant Patrocle, ce n'est pas en amant, mais en camarade qu'il tire de sa mort une si éclatante vengeance. De même Oreste et Pylade, Thésée et Pirithoüs et beaucoup d'autres qui sont les meilleurs d'entre les demi-dieux, ne sont point célébrés pour avoir partagé le même lit, mais parce que l'admiration qu'ils avaient l'un pour l'autre leur a fait accomplir en commun les plus grands et les plus glorieux exploits. 32. Et les belles actions qui se font de nos jours sont toujours dues à ceux qui cherchent la célébrité au milieu des travaux et des dangers plutôt qu'à ceux qui sont habitués à préférer le plaisir à la gloire. Cependant Pausanias, l'amant du poète Agathon, faisant l'apologie de ceux qui se vautrent dans la luxure, soutient que l'armée la plus valeureuse serait une armée d'amants et de mignons. 33. Il affirmait être convaincu que c'est dans une telle armée qu'on rougirait le plus de s'abandonner les uns les autres, assertion étrange! Hé quoi ! des gens insensibles au blâme, accoutumés à ne point rougir entre eux seraient ceux qui craindraient le plus de commettre quelque lâcheté ! 34. Il alléguait comme preuve que c'était l'opinion des Thébains et des Éléens. Les amants, disait-il, couchent avec leurs mignons et cependant les rangent à côté d'eux pour le combat. Mais cette preuve repose sur une fausse analogie, car ces pratiques chez ces peuples sont autorisées par l'usage, tandis qu'elles sont réprouvées chez nous. Pour moi, au contraire, j'ai l'impression que s'ils se rangent ainsi, c'est qu'ils ont peur que les mignons rangés à part ne fassent pas leur devoir d'hommes de coeur. 35. Au contraire, les Lacédémoniens, persuadés qu'un homme porté à la jouissance physique n'aspire plus à rien de beau ni de bien, font de leurs amis des gens si braves que, même parmi les étrangers et rangés loin de leurs amants, ils rougiraient cependant d'abandonner leurs compagnons, car la déesse qu'ils honorent n'est pas l'Impudence, mais la Pudeur. 36. Je pense que nous serons tous d'accord sur ce que je dis, si nous nous posons cette question : entre deux amis, auquel des deux confierions-nous de préférence notre argent ou nos enfants, sur lequel placerions-nous plus volontiers un bienfait? Pour moi, je pense que même l'homme qui jouit de la beauté de son mignon donnerait plutôt sa confiance à celui dont l'âme mérite l'amour. 37. Pour toi, Callias, il me semble que tu dois être reconnaissant aux dieux de t'avoir inspiré de l'amour pour Autolycos, car il est évidemment passionné pour la gloire, lui qui pour être proclamé vainqueur au pancrace endure nombre de fatigues et de souffrances. 38. S'il espère non seulement donner du lustre à son nom et à celui de son père, mais encore être capable par sa mâle vertu de servir ses amis et d'agrandir sa patrie en élevant des trophées aux dépens des ennemis et gagner ainsi l'admiration et la célébrité chez les Grecs et chez les barbares, tu dois bien penser qu'il entourera des plus grands honneurs celui qu'il considérera comme son meilleur auxiliaire pour atteindre ce but. 39. Veux-tu lui plaire? Examine par quelles connaissances Thémistocle devint capable d'affranchir la Grèce, examine par quel savoir Périclès acquit la réputation d'être le meilleur conseiller de sa patrie, regarde aussi par quelles sages méditations Solon donna les meilleures lois à l'État, recherche par quels exercices les Lacédémoniens passent pour être les meilleurs chefs. Tu es leur proxène et les plus distingués d'entre eux descendent toujours chez toi. 40. Aussi la cité se confiera vite à tes soins, si tu le veux, je te le garantis. Tu es pour cela qualifié entre tous. Tu es eupatride, tu descends d'Érechthée, tu es prêtre des dieux qui ont combattu avec Iacchos contre le barbare. Aujourd'hui même, dans cette fête, tu as un air de grandeur que n'avaient pas tes ancêtres, personne parmi les citoyens n'a plus de prestance que toi et tu es capable de supporter les fatigues. 41. Peut-être trouvez-vous mes discours bien sérieux pour un banquet; n'en soyez pas surpris. J'ai toujours partagé l'affection de la république pour les citoyens doués d'un bon naturel et passionnés pour la vertu. » 42. Tandis que les autres discutaient sur ce discours, Autolycos regardait Callias. Callias, tout en jetant à Autolycos un regard de côté, dit à Socrate : « Tu veux donc t'entremettre entre la ville et moi pour que je me donne à la politique et plaise toujours au peuple? 43. — Cela sera, par Zeus, si l'on te voit réellement et non en apparence, exercer la vertu. La fausse gloire en effet est bientôt démasquée par l'expérience; mais la vraie vertu, à moins qu'un dieu ne s'y oppose, acquiert par l'action même une gloire de plus en plus brillante. » [9] 1. La conversation s'arrêta là. Autolycos, c'était son heure, se leva pour aller faire sa promenade. Lycon, son père, qui sortait avec lui, se retourna vers Socrate et lui dit : « Par Héra, Socrate, tu me sembles un honnête homme. » 2. Ensuite on plaça d'abord un siège au milieu de la salle, puis le Syracusain entra et dit : « Messieurs; Ariane va entrer dans sa chambre qui est aussi celle de Dionysos. Puis vous verrez peu après Dionysos qui a un peu bu chez les dieux; il entrera chez elle, et ils folâtreront ensemble. » 3. Alors Ariane, parée comme une jeune épousée, entra et s'assit sur le siège. Comme Dionysos ne paraissait pas encore, la flûte se mit à jouer un air bachique. Ce fut alors que les convives admirèrent le maître de danse, car Ariane n'eut pas plus tôt entendu la musique qu'elle laissa voir à tout le monde le plaisir qu'elle y prenait : on le devinait à ses gestes. Cependant elle ne s'avança point, elle ne se leva même pas, mais on voyait bien qu'elle avait peine à rester immobile. 4. Quand Dionysos la vit, il s'avança en dansant de l'air le plus passionné, s'assit sur ses genoux, la prit dans ses bras et lui donna un baiser. Elle semblait retenue par la pudeur, néanmoins elle l'embrasse à son tour avec tendresse. A cette vue, les spectateurs applaudirent et crièrent bis. 5. Cependant Dionysos se leva et fit lever Ariane avec lui, et on les vit prendre des poses d'amoureux qui se baisent et s'embrassent. Les spectateurs voyant Dionysos si beau, Ariane si jolie ne plus s'en tenir au badinage, mais se baiser réellement à pleine bouche, étaient tous violemment excités à ce spectacle. 6. Ils entendaient en effet Dionysos demander à Ariane si elle l'aimait et Ariane lui jurer que oui, si bien que Dionysos n'était pas seul à le croire, et que tous les assistants auraient juré que le jeune garçon et la jeune fille s'aimaient réellement; car ils n'avaient pas l'air d'histrions dressés à cette pantomine, mais d'amants pressés de satisfaire des désirs longuement caressés. 7. A la fin, à les voir s'étreindre l'un et l'autre et s'en aller comme pour gagner leur lit, ceux des convives qui n'étaient pas mariés jurèrent de l'être bientôt, et ceux qui l'étaient, sautant à cheval, revolèrent vers leurs femmes pour en jouir. Socrate et ceux qui étaient restés sortirent avec Callias pour rejoindre Autolycos et Lycon à la promenade. C'est ainsi que se termina le banquet.