[10,0] LIVRE. X. [10,1] Beaucoup de grammairiens ont agité la question de savoir si, dans la déclinaison des mots, il faut suivre la dissimilitude ou la similitude, c'est-a-dire, en d'autres termes, l'anomalie ou l'analogie. J'ai exposé dans le premier livre les raisons des partisans de l'anomalie, et dans le second celles des partisans de l'analogie. Comme ces deux lois du langage n'ont point été étudiées dans leurs principes et dans leur nature comme elles devaient l'être, ni selon l'ordre qu'exigeait leur examen, je vais essayer de le faire dans ce livre. 2. Je discuterai les quatre questions qu'implique la déclinaison des mots, savoir : 1° ce que c'est que similitude ou dissimilitude; 2° ce que c'est que la raison ou règle qu'on appelle g-logon; 3° ce que c'est que le rapport qu'on appelle g-analogon 4° enfin, ce que c'est que l'usage. La solution de ces quatre questions aura pour résultat la définition claire de l'origine, de la nature et de la forme de l'analogie et de l'anomalie. II. 3. Je traiterai d'abord de la similitude et de la dissimilitude, parce qu'elles sont le fondement de toutes les déclinaisons et la loi des mots. On dit que deux ou plusieurs choses sont semblable au dissemblables, lorsque la plupart des quels de ces deux ou plusieurs choses paraissent être semblables ou dissemblables. Il faut au moins deux choses pour qu'il y ait matière à similitude ou dissimilitude; car ce qui est unique n'est pas susceptible de comparaison. 4. Ainsi on dit qu'un homme est semblable à un homme, un cheval à un cheval, mais que l'homme et le cheval sont dissemblables, parce que chaque espèce d'êtres a une forme particulière, qui la distingue des autres. Par la même raison, dans l'espèce humaine, l'homme est plus semblable à l'homme qu'à la femme, parce que les hommes, comparés entre eux, ont un plus grand nombre de parties semblables. Il faut en dire autant du vieillard comparé au vieillard, de l'enfant comparé à l'enfant. Ceux-la donc sont plus semblables entre eux, qui ont presque la même figure, la même stature et le même air; et tout à fait semblables, et, pour ainsi dire, jumeaux, ceux qui approchent le plus de la ressemblance qui constitue l'identité. 5. Quelques auteurs distinguent le semblable, le dissemblable, et le neutre, qu'on appelle aussi le non-semblable ou le non-dissemblable. Cependant cette triple distinction peut encore se subdiviser. Ainsi deux choses peuvent être semblables ou non semblables, semblables et dissemblables tout ensemble, ou enfin neutres, c'est-à- dire ni semblables ni dissemblables, si, par exemple, sur vingt parties, il y en a autant de semblables que de dissemblables. Dans cette dernière supposition, on dit communément que les choses sont dissemblables. 6. Or, comme il arrive ordinairement que la dispute roule plutôt sur le mot que sur la chose, ce qu'il faut avoir soin de déterminer quand on dit qu'une chose est semblable à une autre, c'est la partie qui constitue la ressemblance. C'est le moyen de prévenir les méprises; car il peut se faire que deux hommes soient à la fois semblables et dissemblables, c'est-à-dire qu'ils aient les yeux, les mains, les pieds, et beaucoup d'autres parties semblables, dont la réunion donne l'avantage à la similitude sur la dissimilitude. 7. Aussi n'y a-t-il rien de plus difficile que de savoir déterminer exactement les parties qui doivent constituer la ressemblance, et tous les rapports auxquels elle est attachée. Quoi de plus semblable en apparence que "suis" et "suis". Cependant l'un appartient au verbe "suo" (coudre), et l'autre du nom "sus" (porc). Ainsi deux mots semblables, quant au son et aux syllabes, cessent de l'être comme parties d'oraison; car l'un a des temps, et l'autre des cas : différence qui diversifie surtout les analogies. 8. La similitude apparente de certains mots, comme "nemus" (forêt) et "lepus" (lièvre), que rien ne distingue an nominatif, donne souvent lieu à la même méprise. Cependant ces deux mots ne sont pas semblables, parce qu'il leur manque des rapports indispensables, comme d'être, par example, du même genre. Or "lepus" est masculin, et "nemus" neutre, "hic lepus", "hoc nemus". S'ils étaient du même genre, ils pourraient être précédés des mêmes adjectifs, et l'on dirait ou "hic lepus" et "hic nemus", ou "hoc lepus", "hoc nemus". 9. On aurait donc trop s'étudier à bien définir en quoi consiste la vraie similitude, pour reconnaître si une déclinaison est ou n'est pas conforme à l'analogie. Cette partie de la science grammaticale est très scabreuse, et ceux qui ont écrit sur le langage, ou l'ont évitée, ou ont essayé de la traiter, mais sans succès. [10,10] De la divergences dans les opinions, et divergences très variées. En effet, les uns, et entre autres Dionysius Sidonius, comptent soixante et onze modes de ressemblance pour toutes les déclinaisons en géneral; les autres ne se sont occupés que des déclinaisons qui ont des cas; et, parmi eux, Aristoclès compte quatorze modes, à la différence de Sidonius, qui en reconnaît quarante-sept; Parméniscus en compte huit; d'autres plus, d'autres moins. 11. Si le principe sur lesquels repose la similitude étaient bien posés, et si, d'après ces principes, on établissait une règle sûre pour la pratique, on se méprendrait moins souvent sur la véritable analogie des déclinaisons. Or je crois que la similitude repose sur deux principes généraux, qui sont la matière des mots, et la figure que la déclinaison donne à la matière. 12. Premier principe : le mot doit être semblable au mot. Second principe: la déclinaison doit être faite dans le même ordre; car il arrive souvent que l'on décline deux mots semblables, tantôt d'une manière semblable, comme "herus, ferus, hero, fero"; tantôt d'une manière dissemblable, comme "herus, ferus, heri, ferum". Je dis donc que lorsque le mot est semblable au mot, et la déclinaison à la déclinaison, il y a ce que l'analogie exige, c'est-à-dire similitude double et parfaite. 13. Mais, pour qu'on ne m'accuse pas d'avoir éludé sciemment toutes les questions secondaires auxquelles peut donner lieu l'analogie, en réduisant à deux les principes de la similitude, je remonterai à l'origine des rapports qu'il faut savoir discerner dans la comparaison des mots et des déclinaisons. 14. Le langage se divise d'abord en mots indéclinables, comme "vix" (à peine ), "mox" (bientôt, ensuite), et en mots déclinables, comme "limo" (limer), "limabo"; "fero" (porter), "ferebam". Or, l'analogie ne peut affecter que les mots déclinables : d'où il suit que "nox" (nuit) et "mox" ne doivent pas être regardés comme deux mots semblables, parce qu'ils ne sont pas de la même espèce, "nox" ayant des cas, et "mox" ne devant ni ne pouvant en avoir. 15. Les déclinaisons des mots déclinables se subdivisent, à leur tour, en volontaires et naturelles. Les déclinaisons volontaires sont celles qui tirent leur origine de la volonté de l'homme, comme Romulus, dérivé de Roma. Les déclinaisons naturelles sont celles qui suivent la loi commune du langage, et ne se règlent pas sur la volonté de celui qui a créé le mot : de sorte que nous disons Romulus, Romulum, Romulo, à l'imitation de Roma, Romam, Romae. La déclinaison volontaire est régie par l'usage; et la déclinaison naturelle, par la raison. 16. C'est pourquoi on aurait tort d'induire de Romanus, dérivé de Roma, que, par analogie, le nom des habitants de Capoue (Capua) doit être Capuanus, parce que cette déclinaison a pour unique loi le caprice des volontés particulières, dont l'usage et le temps sanctionnent les inconséquences. Aussi ni l'école d'Aristarque, ni les autres grammairiens, n'ont essayé de défendre l'usage contre les attaques des adversaires de l'analogie, car, ainsi que je l'ai dit, les déclinaisons volontaires sont flottantes et incertaines, parce qu'elles tiennent de la nature multiple des volontés individuelles ; et, sous ce rapport, force est de reconnaître que c'est l'anomalie, plutôt que l'analogie, qui régit le langage usuel. 17. Il y a encore une troisième division, d'après laquelle les mots dont la déclinaison est naturelle sont partagés en quatre espèces : 1° ceux qui ont des cas et n'ont pas de temps, comme "docilis, facilis"; 2° ceux qui ont des temps et n'ont pas de cas, comme "docet, facit"; 3° ceux qui ont des temps et des cas, comme "docens, faciens"; 4° enfin ceux qui n'ont ni temps ni cas, comme "docte, facete". Cette division a pour but de tracer une ligne de démarcation entre chaque partie et les trois autres, et de faire voir que si l'analogie est observée entre les mots de la même espèce, cela suffit, et que demander plus, c'est la chercher où elle ne doit pas être. 18. Pour éviter la confusion, je traiterai de chaque espèce de mots séparément. Les mots qui ont des cas se divisent en nominal: et en articles définis et indéfinis, comme "hic" (ce, cet) et "quis" (quelqu'un). Ces deux espèces ne doivent pas être comparées entre elles, parce qu'elles ont chacune une analogie particulière et distincte. 19. L'analogie est à peine sensible dans les articles; elle est plus dans l'idée que dans le mot. Elle est au contraire très prononcée dans les nominats, et consiste encore plus dans la forme des mots que dans l'idée. Ajoutez à cela que, les articles étant uniques dans chaque espèce, l'analogie y est un peu conjecturale; tandis que, dans les nominats, on peut en suivre aisément les traces, à l'aide des mots semblables, qui sont en très grand nombre. [10,20] Comme les articles, les nominats sont définis et indéfinis : de là leur division en vocables et en noms. Ainsi "oppidum" (ville) est un nominal indéfini ou vocable, et "Roma" (Rome) est un nominal défini ou nom. Quelques grammairiens observent cette distinction ; d'autres la rejettent. Pour moi, j'en tiendrai compte toutes les fois qu'elle me paraîtra utile. 21. Pour que deux nominats soient semblables, il faut qu'ils s'accordent en genre, en espèce, en ces, et en désinence. En genre, c'est-à-dire que les deux mots que l'on compare soient deux noms. En espèce, c'est-a-dire qu'ils soient tous les deux masculins. En cas, c'est-à-dire que si l'on prend le datif dans l'un, on prenne aussi le datif dans l'autre. En désinence, c'est-à-dire que les syllabes finales soient les mêmes dans les deux mots. 22. Il faut en outre distinguer deux ordres, l'un transversal et l'autre direct, comme dans la tablette, sur laquelle on joue aux échecs. L'ordre transversal est celui que suit la déclinaison en allant du nominatif au génitif, du génitif au datif, comme "albus, albi, albo"; l'ordre direct est celui qui va du masculin au féminin, et du féminin au neutre, comme "albus, alba, album". Chaque ordre a six parties. Les parties de l'ordre transversal s'appellent cas, et celles de l'ordre direct s'appellent genres; on donne le nom de forme à la combinaison de ces différentes parties. 23. Je parlerai d'abord des cas. On a donné aux cas divers noms. Pour moi, j'appellerai nominatif celui qui désigne proprement la chose ou la personne. - - -. 24. - - - On dit "scopae" (balai), et non "scopa". Leur nature est en effet différente, car il s'agit, dons le premier ces, de choses simples; et, dans le second, de choses composées : ce qui explique "bigae" (char attelé de deux chevaux), "quadrigae" (char attelé de quatre chevaux). C'est pourquoi on ne dit pas "una biga", mais "unae bigae", pour désigner un seul char; ni "duae bigae", "duae quadrigae", mais "binae bigae, binae quadrigae", pour désigner deux chars. 25. La figure du mot importe aussi, parce que cette figure change, tantôt au commencement du mot, comme dans "suit, suit"; tantôt dans le milieu, comme dans "curso, cursito", tantôt dans la désinence, comme dans "doceo, docui"; tantôt au commencement et à la fin, comme dans "lego, legi". Il importe donc de remarquer le nombre de lettres dont chaque mot est composé, et principalement les dernières, parce que ce sont celles qui changent le plus souvent. 26. Aussi, comme les inductions tirées de la figure des mots ne sont pas toujours justes, on ne saurait trop faire attention, dans la comparaison de cas, à la nature des similitudes que les mots présentent; et l'on doit regarder non seulement aux lettres qui changent, mais encore aux lettres voisines, qui ne changent pas; car la proximité n'est pas indifférente dans les déclinaisons. 27. On se doit pas regarder comme semblables les mots qui ont une signification semblable, mais ceux dont la forme indique qu'ils ont été destinés originairement à désigner des choses semblables. Ainsi nous appelons tunique d'homme ou tunique de femme, non celle que porte tel homme ou telle femme, mais celle que les hommes ou les femmes doivent porter d'après l'usage. Un homme, en effet, peut porter une tunique de femme, et réciproquement une femme peut porter une tunique d'homme, comme font quelquefois les acteurs sur la scène; mais nous appelons proprement tunique de femme celle qui, d'après l'usage, est destinée à l'habillement des femmes. De même qu'une tunique de femme ne change pas le sexe de l'acteur qui la porte, les noms de Perpenna, Caecina, Spurinna, quoique féminins quant à la forme, désignent des hommes, et non des femmes. 28. II faut aussi faire attention à la similitude des déclinaisons, parce qu'on découvre la force de certains mots dans leur racine, comme on peut s'en convaincre par "praetor, praetori ; consul, consuli". La génération des cas sert également à faire ressortir la différence d'autres mots, comme "socer" (beau-père) et "macer" (maigre); car "socer" fait "socerum", et "mater" fait "matrum", et chacun de ces mots conserve cette différence dans tous les autres cas tant au pluriel qu'au singulier. Il est nécessaire de recourir à ce moyen extrinsèque de comparaison, parce que, pour savoir si deux mots sont semblables ou dissemblables, tantôt il suffit de les comparer entre eux, comme "homo" (homme) et "equus" (cheval), et tantôt il est indispensable de les comparer à un troisième, comme "eques" (cavalier) et "equiso" (écuyer), dont on ne peut connaître le rapport qu'au moyen de "equus" (cheval), leur racine commune. 29. En effet, pour savoir si deux hommes sont semblables ou dissemblables, il suffit de les regarder ; mais supposons un homme plus grand que son frère, et un autre homme aussi plus grand que son frère: pour savoir si ces deux hommes sont dans la même proportion plus grands que leurs frères, il faut nécessairement avoir vu ces deux frères et connaître leur taille. J'en dis autant des choses dont on aurait à comparer sous le même rapport la largeur ou la hauteur dans la même circonstance: il n'est pas facile de constater les rapports de certains cas, et l'on s'en tient à les compare entre eux, et si l'on n'a recours à un autre cas comme moyen de comparaison. [10,30] Je crois en avoir assez dit sur ce qui regarde les similitudes des nominats. Je passe donc aux articles, dont les uns sont semblables et les autres dissemblables. En effet, parmi les cinq espèces dont j'ai parlé, les articles des deux premières sont semblables en ce qu'ils sont masculins, féminins, et neutres; et les autres sont dissemblables, en ce qu'ils désignent tantôt une seule chose, tantôt plusieurs, et qu'ils n'ont que cinq cas; car ils ne comportent pas le vocatif. Ils ont cela de particulier, qu'ils sont tantôt définis, comme "hic, haec"; tantôt indéfinis, comme "quis, quae". Comme ils n'ont, en quelque sorte, que l'ombre de l'anaIogie, je ne m'y arrêterai pas plus long longtemps dans ce livre. 31. Les mots du second genre sont, comme je l'ai dit, ceux qui ont des temps et des personnes, sans avoir de cas. On distingue six formes dans leur déclinaison : 1 ° la forme temporelle, comme "legebam, gemebam; lego, gemo"; 2° la forme personnelle, comme "sero, meto; seris, metis"; 3° la forme Interrogative, comme "scribone, legone; scribisne, legisne" ? 4° la forme affirmative, comme "fingo, pingo; fingis, pingis"; 5° la forme optative, comme "dicerem, facerem; dicam, faciam"; la forme impérative, comme "cape, rape; capito, rapito". 32. La déclinaison des mots qui ont des temps sans avoir de personnes ne comporte que quatre formes : l'interrogative, comme "foditurne? seriturne? fodieturne? sereturne"? l'affirmative, comme "foditur, seritur; fodietur, seretur"; l'optative, comme "vivatur, ametur; viveretur, amaretur". Quant à le forme impérative, son existence est problématique. Est-on fondé à la reconnaltre dans "paretur, pugnetur; parari, pugnari" ? c'est une question. 33. Il faut encore distinguer 1° l'imparfait et le parfait, comme "emo, edo; emi, edi"; 2° le positif et le fréquentatif, comme "scribo, lego; seriptitavi, lectitavi"; 3° l'actif et le passif, comme "uro, ungo; uror, ungor"; 4° le singulier et le pluriel, comme "laudo, culpo; laudamus, culpamus". Telles sont les formes générales du verbe : quant aux modifications fort nombreuses dont sa figure est susceptible, elles seront l'objet de mon attention dans les livres où je traiterai des conjugaisons. 34. Les mots du troisième genre sont qui ont des temps et des cas, et qu'on appelle communément participes... 35. - - - Une déclinaison vicieuse, même dans un poète qui aurait créé le mot, ne doit pas nous autoriser à suivre son exemple : nous devons, au contraire, redresser son erreur. Donc le rapport dont je parle se rencontre à la fois dans les déclinions volontaires et dans les déclinaisons naturelles, et a la nature mixte que j'ai définie. 36. Chacun de ces rapports, comparé à un autre, est ou semblable ou dissemblable. Tantôt les mots sont différents, et le rapport est le même; tantôt les rapports sont différents, et les mots mot les mêmes. Le rapport qui unit "amor" et "amori" se retrouve dans dolor et dolori, et existe pas entre dolor et dolorem. Quoique le rapport de "amor" et de "amoris" se retrouve entre "amores" et "amorum", comme le comparaison ne repose pas sur son véritable point, il ne peut seul déterminer l'analogie, à cause de la dissimilitude des figures du mot. L'analogie véritable, dont j'exposerai plus tard les conditions, ne peut résulter que de la similitude du rapport qui unit le singulier et le pluriel. III. 37. Je suis arrivé à la troisième partie, qu'on appelle g-analogia (analogie), g-analogos (analogue), qui ne doit pas être confonde avec son dérivé. Deux ou plusieurs mots sont analogues, lorsqu'ils ont entre eux un rapport fondé sur une étymologie commune (g-logos); mais ce n'est pas ce rapport qui constitue l'analogie : elle consiste dans la comparaison de ces mots corrélatifs avec d'autres mots qui ont entre eux un rapport de même nature. 38. Si, en voyant deux jumeaux, je dis que l'un est semblable à l'autre, je ne parle que d'un seul; mais si je dis qu'il y a de la similitude en eux, je parle de l'un et de l'autre. De même si je dis qu'il y a entre l'as (assis) et le demi-as (semissis) le même rapport qu'entre la livre (libella) et la demi-livre (sembella), je me borne à faire remarquer que, de part et d'autre, ces sortes de pièces de monnaie sont analogues; mais si je dis qu'il y a dans la monnaie de cuivre et dans la monnaie d'argent une conformité de rapports, je constate alors une corrélation qui est proprement l'analogie. 39. De même que, sans avoir la même signification, "sodalis, sodalitas" et "civis, civitas" ont une affinité fondée sur la ressemblance des mêmes rapports, analogue et analogie sont deux mots qui, sans être identiques, ont une affinité fondée sur une origine commune. En effet, "sodalitas" implique nécessairement "sodalis", qui, à son tour, implique "homines" ; car, sans hommes, point d'amis ni d'amitié. De même g-analogia implique g-analogos, qui, à son tour, implique g-logos; car, sans une racine commune, point de mots analogues, et, sans mots analogues, point d'analogie. [10,40] Ces deux mots, comme vous le voyez, ont une affinité fort étroite, et leur ambiguïté vous impose la tâche d'être plus subtil en écoutant que je ne le serai en parlant. En d'autres termes, je vous avertis que lorsque j'aurai à dire quelque chose de relatif à ces deux sortes de rapports, ce sera sans distinction : aussi ne comptez pas que je revienne dans la suite de ce livre sur ce que j'ai dit plus haut, mais armez-vous d'attention. 41. Ces rapports entre des choses dissemblables sont comme ceux des nombres comparés entre eux : par exemple, 2 est à 1 ce que 20 est à 10. De même, dans la monnaie, un denier (denarius) est à une pièce de 5 as (victoriatus) ce qu'un autre denier est à une autre pièce de 5 as. Cette analogie, qui peut se rencontrer en tout, repose sur les rapports de quatre termes. Dans une famille, par exemple, la fille est par rapport à la mère ce que le fils est par rapport au père; ou bien encore, dans le temps, minuit est par rapport à la nuit ce que midi est par rapport au jour. 42. Les poètes tirent leurs comparaisons de ces rapport; ils exercent surtout la sagacité des géomètres; mais, parmi les grammairiens, ceux de l'école d'Aristarque se distinguent par leur subtilité dans l'observation de l'analogie. Ainsi, disent-ils, il y a analogie entre "amorem, amori", et "dolorem, dolori", parce qu'il y a la même différence entre l'accusatif "amorem" et le datif "dolori" qu'entre "dolorem" et "dolori". 43. Ils distinguaient en outre une déclinaison directe et une déclinaison transversale, qui présentent d'un côté la succession des cas, et de l'autre la succession des genres d'un même mot. Pour rendre ce que je dis plus sensible,". supposons plusieurs nombres disposés dans l'ordre suivant : 1 2 4 ; 10 20 40 ; 100 200 400. Dans cette combinaison, le nombre 1, pris dans la ligne horizontale, comme unité simple et, dans la ligne verticale, comme unité multiple, contient dans sa duplicité le rapport sur lequel est fondée l'analogie qui unit les neufs nombres. On retrouve dans le nombre 1, opposé à lui-même comme unité et comme dizaine, ce que j'ai appelé g-logoi, d'où g-analogoi, d'où g-analogia. 44. Les déclinaisons des mots présentent la même combinaison. Exemple : "Albus, albi, albo; Alba, albae, albae; Album, albi, albo". Cette combinaison des noms a été adoptée pour les noms propres dont les cas suivent la ligne oblique ou horizontale, et les genres le ligne directe ou verticale. Exemple: "Albius, Atrius; Allbio, Atrio; Albia, Atia; Albiae, Atriae". Cet ordre correspond, pour les cas, à la ligne horizontale 1, 2, 4; et, pour les genres, à 1 , 10 , 100. 45. il y a deux espèces d'analogie: l'analogie disjointe et l'analogie conjointe. 10 est à 20 comme 1 est à 2; c'est l'analogie disjointe. 2 est à 4 comme 1 est à 2; c'est l'analogie conjointe, parce que, dans ce rapport, le nombre 2 est énoncé deux fois. 46. Suivant les grammairiens, cette seconde espèce d'analogie implique naturellement quatre rapports. Ainsi, donc la lyre à sept cordes, la quatrième est à la septième ce que la première est à la quatrième, et en même temps la quatrième est le première par rapport à celles qui la suivent, et la dernière par rapport à celles qui la précédent. De même, dans les maladies périodiques de sept jours, les médecins observent attentivement les symptômes qu'elles présentent le quatrième jour, parce que la première phase du mal entre le premier et le quatrième présage une autre phase semblable entre de quatrième et le septième. 47. Les analogies disjointes sont aussi quaternaires dans les cas des vocables : "rex, regi; lex, legi". Les analogies conjointes sont ternaires dans les temps des verbes: "legebam, lego, legam", où "lego" est à "legam" ce que "legebam" est à "lego". Ces trois temps sont une pierre d'achoppement pour la plupart des grammairiens, qui ne manquent jamais de les associer, lorsqu'ils veulent conjuguer d'après l'analogie. 48. En cela Ils se trompent, parce que les verbes ont deux sortes de temps : des temps parfaits, comme "lego, legis", et des temps imparfaits, comme "legi, legisti" ; et que ces temps doivent, dans la conjugaison, se classer selon leur espèce. Ainsi "lego" et "legebam" sont corrélatifs, mais "lego" et "legi" ne le sont pas, "legi" étant un temps parfait : ce qui convainc d'erreur ceux qui prétendent avoir trouvé une raison d'attaquer l'analogie dans "tutudi, pupugi; tundo, pungo; tundam, pungam"; ou dans "necatus sum, verberatus sum; necor, verberor; necabor, verberabor". En classant les temps selon leur espèce: "tundebam, tundo, tundam; tutuderam, tutudi, tutudero; amabar, amor, amabor, amatus eram, amatus sum, amatus ero", retrouve la similitude où elle doit être ; et ceux qui voient une anomalie dans la disparité des temps parfaits et des temps imparfaits accusent la nature elle-même. 49. Quoique naturellement quaternaire, l'analogie peut avoir quelquefois moins de quatre parties, ainsi que je l'ai dit plus haut, et quelquefois aussi plus de quatre, comme dans cet exemple : 2 et 4 sont à 6 comme 1 et 2 sont à 3 : ce qui n'implique pas contradiction, parce que les nombres opposés à 6 et à 3 sont pris rollectivement. Cette forme complexe se rencontre quelquefois dans le langage. En voici un exemple : "Herculi" et "Herculibus" dérivent de "Hercules" (Hercule, Hercules) comme "Diomedi" et "Diomedibus" dérivent de "Diomedes" (Diomède, Diomèdes). [10,50] Et de même que la déclinaison passe d'un cas direct à deux cas obliques, elle peut passer aussi de deux cas directs à un seul cas oblique. Ainsi le datif pluriel "Baebieis" dérive et du nominatif pluriel masculin "Baebiei", et du nominatif pluriel féminin "Baebiae" ; et pareillement le datif pluriel "Caeliis" dérive et du nominatif pluriel masculin "Caelii", et du nominatif pluriel féminin "Caeliae". Tantôt deux cas semblables produisent, dans la déclinaison, deux autres cas semblables, comme "nemus, olus"; "nemora, olera"; tantôt deux cas dissemblables produisent deux cas semblables, comme "hic, iste ; hunc, istunc". 51. L'analogie a son principe, ou dans la volonté des hommes, ou dans la nature des mots, ou dans l'une et l'autre tout ensemble. A la volonté de l'homme appartient l'imposition des noms; à la nature, leur déclinaison, qui par conséquent ne demande pas d'étude. Celui qui suit la volonté de l'homme conclura de la similitude de "dolus" et de "malus" que le datif, par exemple, doit être "dolo" et "malo". Celui qui suit la nature conclura de la similitude de Marco et de Quinto que l'accusatif doit être Marcum, Quinum. Enfin celui qui suit l'une et l'autre conclura de la similitude que présente la génération des cas que si "servus" fait "serve" au vocatif, "cervus" doit, au même cas, faire "cerve". Ces différentes espèces de déclinaisons ont, comme on le voit dans ces quatre exemples, un principe commun, qui est l'analogie. 52. La première est fondée sur la similitude des cas directs; la seconde, sur la similitude des cas obliques ; la troisième, sur la similitude de la génération des cas. Dans la première, on va de la volonté de l'homme à la nature; dans la seconde, de la nature à la volonté de l'homme; dans la troisième, on part de l'une et de l'autre. C'est pourquoi cette dernière déclinaison pourrait être dédoublée et en former une quatrième, parce que le point de départ est facultatif. 53. Si l'on prend la volonté de l'homme pour base de l'analogie, la déclinaison des cas obliques doit être conforme à son principe; si l'on prend la nature pour principe, c'est sur elle qu'il faut se régler; si enfin l'on prend l'une et l'autre pour guides, la simlitude de génération des cas doit servir de loi dans la formation des cas des mots incertains L'imposition des noms est en notre pouvoir; mais la nature est au-dessus de nous. Chacun peut, au gré de sa volonté, imposer à une chose tel ou tel nom, mais il doit le décliner comme le veut la nature. 54. Il y a des noms qui n'ont reçu originairement que la forme du singulier, comme "cicer" (pois chiche); et d'autres qui n'ont reçu que la forme du pluriel, comme "scalae" (échelle, escalier). Or, nul doute que la déclinaison de ceux qui n'ont que le singulier ne doive partir d'un cas singulier, comme "cicer, ciceri, ciceris"; et réciproquement pour ceux qui n'ont que le pluriel, comme "scalae, scalis, scalas". Mais l'égard des noms qui ont reçu les deux formes, comme "mas, mares" (mâle, mâles), où prendra-t-on la règle de l'analogie ? dans le singulier ou dans le pluriel? 55. Car de ce que la nature va de un à deux, il ne s'ensuit pas que, en enseignant, il ne soit pas permis d'intervertir cet ordre. Aussi voyons-nous les physiciens suivre, dans l'explication des lois de la nature, une méthode expérimentale, qui consiste à remonter du connu à l'inconnu, des phénomènes aux principes. De même, quoique les mots soient composés de lettres, les grammairiens passent par les mots pour arriver aux lettres. 56. Si donc il est préférable, en enseignant, de partir de ce qui est clair plutôt que de ce qui est primordial; d'un principe incorruptible, plutôt que de - - -; de la nature, plutôt que de la volonté inconstante des hommes; et que ces trois fondements d'une bonne induction se rencontrent moins souvent dans le singulier que dans le pluriel, il me semble plus raisonnable de prendre le pluriel pour guide. 57. Prenons pour exemple "trabes, trabs, duces, dux". Nous voyons bien comment "trabs" a pu sortir de "trabes", et "dux" de "duces", au moyen de la suppression de l'e; mais nous ne voyons pas aussi clairement dans le singulier "trabs" ou "dux" la raison du pluriel "trabes" ou "duces". 58. Si, ce qui arrive rarement, la forme du nominatif pluriel se trouve dénaturée, Il faut avoir soin de le rectifier avant d'en tirer aucune induction; et, pour cela, il faut recourir à des cas obliques, du singulier ou du pluriel, qui ne présentent aucune altération, et peuvent aider à cette rectification. 59. En effet, ainsi que le dit Chrysippe, on peut juger d'une chose par une autre, et réciproquement, comme on peut juger du père par le fils et du fils par le père; et de même que les deux extrémités d'une voûte se soutiennent mutuellement, de même les cas divers peuvent aider à rectifier les cas obliques; le singulier, à rectifier le pluriel; et réciproquement. [10,60] Prenons toujours la nature pour guide et pour appui : c'est le guide le plus sûr que nous puissions suivre dans les déclinaisons. On peut, en effet, remarquer que ce sont presque toujours les cas directs du singulier qui pêchent contre l'analogie : ce qu'il faut attribuer l'impéritie de ceux qui, seuls et sans autre raison que leur caprice, ont imposé des noms aux choses, tandis que la nature est ordinairement droite et vraie, à moins qu'un usage vicieux ne l'ait corrompue. 61. C'est pourquoi, en prenant la nature pour base de l'analogie, plutôt que la volonté de l'homme, on rencontrera peu d'obstacles dans l'usage, et la nature aidera à corriger la volonté de l'homme: ce qui n'est pas donné à la volonté de l'homme contre la nature, parce que si l'on se règle sur la forme que la volonté de l'homme a donnée aux cas, on se trouvera engagé dans une induction contraire. 62. Cependant, si l'on veut prendre le singulier pour point de départ, il faudra choisir de préférence le sixième cas, parce que ce cas est d'origine latine. La diversité de ces désinences peut aider à retrouver l'analogie dans la diversité des autres cas; car il a pour finale, tantôt un a, comme dans "terra"; tantôt un e, comme dans "lance"; tantôt un i comme dans "levi"; tantôt un o comme dans "caelo", ou un u, comme dans "versu" ---. 63. Les rapports qui constituent l'analogie consistent ou dans les choses, ou dans la forme des mots, ou dans les choses et dans les mots tout ensemble. Les deux premiers sont simples, et le troisième est composé. 64. Parmi les rapports dont les choses sont susceptibles, il y en a que le langage ne comporte pas : tels sont ceux que les artistes ont soin d'observer dans les édifices, dans les statues, et autres œuvres d'art: rapports qu'on appelle, entre autres noms, harmoniques, et dont le langage n'est pas susceptible. 65. Les rapports réels sont ceux qui consistent exclusivement dans la similitude de l'idée, comme dans "Juppiter, Maspiter; Jovi, Marti". Ces deux mots sont semblables et par le genre et par le nombre et par les cas, parce qu'ils sont l'un et l'autre de la classe des noms, du genre masculin, au singulier, au nominatif et au datif. 66. Les rapports de la seconde espèce consistent uniquement dans le mot, comme dans "biga, bigae"; "nuptia, nuptiae". En effet, le singulier de ces mots est vide, et leur pluriel n'implque pas l'idée de multiplicité, comme le pluriel de "merula" (merle) par exemple, qui est essentiellement corrélatif au singulier. 67. De sorte qu'on ne doit pas dire "una biga, duae bigae, tres bigae", à l'imitation de "una merula, duae merulae, tres merulae, mais una biga, binae bigae, trinae bigae". 68. Les rapports de la troisième espèce sont doubles, c'est dire qu'ils consistent et dans les choses et dans les mots, comme "bonus" (bon) et "malus" ( mauvais ); "boni, mali". C'est sur cette espèce d'analogie qu'Aristophane et autres grammairiens ont écrit. Elle doit être, en effet, considérée comme l'analogie parfaite, à la différence des deux autres, qui ne sont, en quelque sorte, qu'ébauchées. Cependant, je ne laisserai pu de m'occuper; de ces analogies imparfaites, parce qu'elles se rencontrent aussi dans le langage usuel. 69. Je commencerai par l'analogie parfaite. Les mots dans lesquels elle se rencontre sont ou indigènes ou étrangers ou bâtards. Les mots indigènes sont, par exemple, "sutor" (cordonnier ), "pistor" (boulanger); les mots étrangers, "Hectores, Nestores; Hectoras, Nestoras" ; les mots bâtards ou mixtes, "Achilles, Peleus". [10,70] Les mots mixtes sont très usités en poésie, et les anciens, surtout en prose, latinisaient presque tous les mots étrangers. Ils disaient "Hectorem, Nestorem", conformément à "quaestorem, praetorem". On lit dans Ennius : "Hectoris natum", etc. Le poète tragique Accius est le premier qui chercha à ramener ces mots à la forme grecque, et à s'élever ouvertement contre l'ancien usage: ce qui a fait dire à Valérius : "HECTOREM" répugne à Accius ; il préfère "HECTORA". La plupart des mots étrangers étant grecs, la plupart des mots bâtards durent être par conséquent d'origine grecque : de là autant d'espèces d'analogies : analogie des mots étrangers, et analogie des mots mixtes. 71. Les déclinaisons des mots mixtes ont varié avec les temps. Les plus anciennes sont, par exemple, "Bacchideis" et "Chrysideis"; on a dit ensuite : "Chrysides, Bacchides"; et dans les derniers temps, "Chrysidas" et "Bacchidas". Quoique ces trois formes soient usitées, la seconde est la plus vraie, et par conséquent doit être préférée aux deux autres; car la première s'éloigne trop de son origine, et la troisième est peu conforme au génie de notre Iangue. 72. Toute analogie a pour fondement, comme je l'ai déjà dit, une similitude qui est ou dans les choses, ou dans les mots, ou dans les choses et dans les mots tout ensemble. Il faut observer attentivement en quelle partie elle se trouve, et sous quel rapport ; car, ainsi que je l'ai fait remarquer, la similitude des choses et la similitude des mots ne suffisent point séparément pour produire ces doubles analogies que nous demandons au langage; il faut qu'elles se trouvent réunies. Mais pour quelles passent dans le langage, il faut que l'usage les ait acceptées; car autre chose est de faire un vêtement, autre chose est de s'en servir. 73. On peut distinguer trois sortes de mots 1° des mots qui étaient autrefois en usage; 2° des mots qui le sont actuellement; 3° et des mots qui ne l'ont jamais été ni ne le sont pas. Je citerai, parmi les premiers, "cascus"(vieux), "casci" ; "surus" (pieu), "suri"; parmi les seconds, "albus" (blanc), "albi"; "caldus" (chaud), "caldi"; parmi les troisièmes, "scala" (qui, sous la forme du pluriel, signifie échelle, escalier), "scalam; falera" (qui, sous la forme du pluriel, signifie collier), "faleram". On peut à ces trois espèces en ajouter une quatrième, qui est mixte, et usitée en poésie, comme "amicitia, inimicitia; amicitiam, inimicitiam". 74. L'analogie fondée sur la nature des mots ne comporte pas la même définition que l'analogie fondée sur l'usage. La première est une analogie qui consiste dans la déclinaison semblable de mots semblables; et la seconde, une analogie qui consiste dans la déclinaison semblable de mots semblables, en tant que l'usage n'y répugne pas. Ces deux définitions ne s'appliquent qu'à la prose; car la poésie a aussi son analogie, que je définirai plus tard. Le peuple entier doit suivre la première; les individus doivent suivre la seconde; les poètes, la troisième. 75. Tout cela est, je l'avoue, plus exact que clair, mais, ce me semble, moins obscur que les définitions que nous ont laissées sur le même sujet Aristéas, Aristadème, Aristoclès, et autres grammairiens. Leur obscurité toutefois est excusable, en ce que le plupart des définitions sont peu faciles à saisir, à cause de leur brièveté, pour ceux qui ne sont point versés dans la science à laquelle elles appartiennent. Ce n'est qua l'aide de la division qu'on peut les rendre accessibles. 76. Je vais essayer d'y parvenir, en éclaircissent séparément les différents termes de ma définition de l'analogie. 77. Le mot (verbum) est la partie de l'oraison qui ne peut pas être réduite à une plus simple expression, lorsque sa déclinaison est naturelle. Deux mots sont semblables, lorsqu'ils ont même signification, même forme, mêmes modifications. La déclinaison est ou la formation d'un mot dérivé d'un autre mot, ou la transformation du même mot, destinée à exprimer les modifications de la pensée. La similitude de la déclinaison est la similitude de la transformation des mots que l'on compare entre eux. 78. J'avais ajouté : en tant que l'usage n'y répugne pas, parce que l'usage permet quelquefois à l'analogie de prévaloir contre lui-même, comme dans le singulier "cervix" (cou), dont s'est servi Hortensius, et quelquefois aussi lui interdit cette faculté, comme de dire, par exemple, "faux", au lieu de "fauces" (gosier). Quant à la restriction que j'ai faite en faveur des poètes, il faut entendre qu'il y a certains mots qui, en prose, ne comportent pas toutes les formes de la déclinaison, comme "iuvo" (aider), comparé à "amo" (aimer). V. 79. J'ai exposé, aussi brièvement que je l'ai pu, ce que c'est que l'analogie, combien d'espaces on en distingue, et quelles sont celles qu'il faut suivre : je vais maintenant passer en revue les mots dans lesquels on a coutume de chercher l'analogie, quoique ces mots ne la comportent pas. Ces mots peuvent être divisés en quatre espèces. La première comprend ceux qui ne se déclinent pas, comme "nequam, mox, vix". [10,80] Les mots indéclinables ont donné naissance à des erreurs plus ou moins fondamentales. On accorde, par exemple, que "mox" et "vix" n'ont point de cas; mais on veut que "nequam" soit dédinable, pares qu'on dit "hic nequam, huius nequam, huic nequam". Or on ne sait pas que dans "hic nequam, huius nequam", on sous-entend "homo", auquel se rapporte le pronom "hic, huius". 81. "Nequam" est une contraction de "ne" et de "quidquam", comme "nolo", de "non" et "volo". De même que, pour désigner un homme de rien, "qui non nihil est", nous disons "nihili", ainsi pour désigner un homme méchant, qui ne vaut rien, "ne quidquam", nous disons "nequam". 82. La seconde espèce comprend les mots qui n'ont qu'un cas, comme les lettres de l'alphabet. La troisième comprend ceux dont la déclinaison est unique, et ne peut être comparée à aucune autre. Enfin la quatrième comprend ceux qui, comparés ensemble, n'ont pas le rapport qu'ils devraient avoir, comme "socer" (beau-père), "socrus" (belle-mère); "soceros" (beaux-péres), "socrus" (belles-mères). V. 83. Quant aux mots qui comportent l'analogie, ils sont assujettis à quatre conditions principales et inséparables. Ces quatre conditions sont : 1° que les choses existent; 2° que œ choses soient en usage; 3° qu'elles aient des noms; 4° que ces noms aient une déclinaison naturelle. Dans le premier cas, lorsque la nature des mots comporte le pluriel et le singulier, nous disons, par exemple, "as, assem, asses" etc.; mais lorsqu'ils ne comportent pas le singulier, comme les noms de nombre définis, "duo, tres", etc., nous disons "hi duo, hi tres; his dobus, his tribus". 84. Dans le second cas, si l'usage n'a point adopté les distinctions de la nature, comme dans "faba" (fève), et autres mots qui désignent les choses d'une manière générique; car il en est de certaines choses comme des esclaves, et il était inutile - - -.