[3,0] III. De la Corse, et, dans la Corse, de la pierre dite catochitis. Quittons l'Italie : d'autres parties de la terre nous appellent, et il serait trop long d'effleurer dans notre énumération toutes les îles qui sont en regard des promontoires de l'Italie ; et cependant, placées dans les lieux les plus délicieux, et offertes, pour ainsi dire, en spectacle, elles ne devraient pas être passées sous silence. Mais combien nous ennuierions si, omettant l'essentiel, nous allions, par une sorte de paresse, citer Pandataris ou Prochyta, ou Ilua, célèbre par ses mines de fer, ou Caprarie, l'Aegilon des Grecs, ou Planasie, ainsi appelée de l'aspect que présente sa hauteur, ou Colombarie, mère des oiseaux dont elle tire son nom, ou les Ithacésies, qui furent, dit-on, l'observatoire d'Ulysse, ou Énarie, qu'Homère appelle Inarime, d'autres enfin qui ne sont pas moins agréables, parmi lesquelles est la Corse, décrite longuement par tant d'auteurs, et avec une telle exactitude, qu'un esprit difficile n'y peut rien désirer. On sait comment cette île fut peuplée par les Liguriens, comment on y construisit des villes ; on sait que Marius et Sylla y amenèrent des colonies, et que la mer de Ligurie baigne la Corse. Laissons tout cela de côté. La Corse, et c'est une particularité de son territoire, produit seule la pierre tout à fait remarquable, dite catochitis. Cette pierre est plus grande que celles qui servent à l'ornement : c'est moins une gemme qu'un caillou. Elle retient captive la main qui s'y pose, s'unissant à tel point aux corps qui la touchent, qu'ils y demeurent attachés ; elle semble enduite de je ne sais quelle matière visqueuse, semblable à la gomme. On dit que Démocrite d'Abdère portait souvent cette pierre pour montrer les forces occultes de la nature, dans les luttes qu'il soutint contre les mages. [4,0] IV. De la Sardaigne, et, dans la Sardaigne, de la solifuge et de l'herbe sardonique. Quant à la Sardaigne, que Timée appelle Sandaliotes, et Crispus lchnuse, on sait dans quelle mer elle est située, et par qui elle fut peuplée. Ainsi peu importe de rappeler que Sardus, fils d'Hercule, et Norax, fils de Mercure, le premier arrivant de la Libye, le second de Tartesse, ville d'Espagne, vinrent en ces contrées, et donnèrent, Sardus son nom au pays même, Norax le sien à la ville de Nora ; qu'après eux régna Aristée à Caralis, ville qu'il avait bâtie, établissant ainsi une alliance entre deux peuples d'un sang différent, et ramenant aux mêmes moeurs des nations divisées jusqu'alors, mais que ce changement ne rendit en rien rebelles à son autorité. Pour ne nous arrêter ni sur cette particularité, ni sur Iolaüs qui vint fixer sa demeure en ce pays, ni sur les Iliens et les Locriens, remarquons qu'il n'y a pas en Sardaigne de serpents, mais que le solifuge est dans ce pays ce qu'est ailleurs le serpent. Le solifuge, très-petit animal de la forme d'une araignée, est ainsi appelé parce qu'il fuit le soleil. Il se trouve fréquemment dans les mines d'argent : car le sol de ce pays contient beaucoup de ce métal. Il se glisse sans être vu, et blesse mortellement ceux qui ont l'imprudence de s'asseoir sur lui. Il y a encore dans ce pays autre chose de dangereux, c'est l'herbe sardonique, que les écoulements des eaux de fontaines ne font naître que trop abondamment. Si l'on s'avise, par ignorance, d'en manger, les nerfs se contractent, la bouche s'ouvre et s'étend, et l'on meurt en paraissant rire. Les eaux, au contraire, offrent mille avantages. Les étangs sont très poissonneux; on conserve les eaux pluviales de l'hiver pour obvier à la sécheresse de l'été : car les Sardes savent mettre la pluie à profit. Les eaux qu'ils ont recueillies parent aux besoins de leur consommation, quand les sources sont taries. En quelques lieux bouillonnent des sources d'eaux chaudes et salutaires, dont on tire des remèdes, et qui sont propres, soit à consolider les os fracturés, soit à détruire le venin insinué par des solifuges, soit à guérir les maladies des yeux. Celles qui guérissent les yeux servent aussi à découvrir les voleurs car celui qui, sous la foi du serment, nie un larcin, et se mouille les yeux de cette eau, y voit mieux, s'il n'est pas coupable de parjure ; s'il a violé sa foi, il est frappé de cécité, et la perte de la vue est une preuve du crime commis dans les ténèbres. [5,1] V. De la Sicile, et, dans la Sicile, des curiosités du sol et des eaux, puis de la pierre nommée agate. Si nous avons égard à l'ordre des temps ou à celui des lieux, après la Sardaigne, c'est la Sicile qui nous appelle : d'abord parce que ces deux îles, réduites sous la domination romaine, devinrent des provinces à la même époque, puisque la même année, la première échut à M. Valerius, la seconde à C. Flaminius, comme préteurs ; ensuite parce que le détroit de Sicile a donné son nom à la mer de Sardaigne. Un des caractères les plus remarquables de la Sicile est la forme triangulaire que lui donnent ses promontoires : le Pachyne regarde le Péloponnèse et le midi ; le Pélore se tourne au couchant du côté de l'Italie ; le Lilybée s'étend vers l'Afrique. Parmi ces promontoires, le Pélore tient le premier rang pour l'heureuse nature du sol, qui est tel que l'humidité ne produit pas de boue, et que la sécheresse ne résout pas la terre en poussière. Dans l'intérieur, quand le pays s'est élargi, on trouve trois lacs, dont l'un est remarquable, non parce qu'il est très poissonneux, ce que je ne citerais pas comme une merveille, mais parce que ses environs sont plantés de petits bois qui nourrissent dans leur sein du gibier, de sorte que les chasseurs qui pénètrent par certains chemins, que on suit à pied, peuvent se procurer le double plaisir de la pêche et de la chasse. On regarde comme sacré le troisième lac, au milieu duquel s'élève un rocher qui sépare les eaux basses des eaux profondes. Pour y arriver, on a de l'eau jusqu'aux jambes ; on ne doit ni sonder, ni même toucher ce qui est au delà. Celui qui l'oserait, serait puni de la perte de toute la partie du corps qui aurait été immergée. On dit qu'un pêcheur, ayant jeté sa ligne le plus loin possible dans les eaux profondes, et y ayant plongé le bras pour chercher à la ramener, eut la main percluse. [5,2] Dans la région du Pélore est une colonie, Taurominium, jadis Naxos, puis la ville de Messine ; vis-à-vis, en Italie, se trouve Regium, nommée "Region" par les Grecs, à cause de la séparation violente des deux contrées. Au Pachyne, la mer contient une grande quantité de thons, de hérissons, de poissons de tout genre : aussi y fait-on toujours des pêches abondantes. Le promontoire de Lilybée est renommé par la ville de Lilybée et le tombeau de la Sibylle. Longtemps avant la guerre de Troie, la Sicile s'appelait Sicanie, du nom du roi Sicanus, qui jadis y aborda avec une troupe considérable d'Ibères; puis vint Siculus, fils de Neptune. On y vit affluer beaucoup de Corinthiens, d'Argiens, de Troyens, de Doriens, de Crétois. Dédale, l'habile artiste, était du nombre. La principale ville de la Sicile est Syracuse, où, même lorsque le ciel est enveloppé des nuages de l'hiver, on voit chaque jour le soleil. Ajoutons que dans cette ville est la fontaine d'Aréthuse. Les monts les plus élevés sont l'Etna et l'Éryx. L'Etna est consacré à Vulcain, l'Éryx à Vénus. Au sommet de l'Etna sont deux ouvertures, que l'on nomme cratères, d'où s'échappe une vapeur épaisse, après un bruit qui longtemps gronde sourdement dans les entrailles de la terre, au sein de ces brûlantes cavernes ; ce n'est jamais qu'après ce mugissement que s'exhalent des tourbillons de flamme. C'est là quelque chose de merveilleux ; ce qui ne l'est pas moins, c'est qu'au milieu de ces convulsions du mont embrasé, la neige apparaît mêlée au feu, et que le sommet, d'où jaillit l'incendie, garde constamment la blancheur et l'aspect des frimas. Ainsi, par l'effet de forces invincibles et contraires, le froid ne tempère point la chaleur, la chaleur ne diminue point l'intensité du froid. On cite encore deux monts, le Nébrode et le Neptunien : du haut de ce dernier on découvre la mer de Toscane et l'Adriatique; des troupes de daims et de faons parcourent le Nébrode : c'est de là que lui vient son nom. Toutes les productions de la Sicile, qu'elles soient le fruit du sol ou celui de la culture, sont estimées ; toutefois le safran de Centorbe l'emporte sur toute autre production. C'est en Sicile que fut inventée la comédie ; c'est là que prirent naissance les bouffonneries des jeux mimiques. La Sicile est le pays d'Archimède, habile astronome, habile mécanicien ; c'est celui de Laïs, qui aima mieux se choisir une patrie que d'avouer la sienne. De vastes cavernes attestent en Sicle l'origine des Cyclopes ; on y retrouve la demeure des Lestrigons, qui porte encore aujourd'hui leur nom. C'est là que parut Cérès qui enseigna aux hommes la culture du blé. Là se trouvent les champs d'Enna toujours fleuris, et jouissant d'un printemps que chaque jour voit renaître. C'est près de ce lieu qu'est l'ouverture d'où l'on dit que Pluton, quittant les enfers pour enlever Proserpine, vit la clarté du jour. Catane et Syracuse se disputent les noms de deux frères illustres. Selon les habitants de Catane, ces deux frères se nommaient Anapis et Amphinomus ; selon les Syracusains, Emantias et Criton. Un fait cependant à l'appui des prétentions de Catane, c'est que dans une éruption de l'Etna deux jeunes gens enlevèrent les auteurs de leurs jours du milieu des flammes, sans que le feu les atteignît eux-mêmes. La postérité honora leur mémoire, et le lieu de leur sépulture se nomme le Champ des pieux. [5,3] Quant à la fontaine Aréthuse et au fleuve Alphée, ce qu'il y a de certain, c'est qu'ils se confondent. On raconte d'ailleurs sur ces fleuves une foule de merveilles. Si l'on puise, sans avoir été purifié, aux eaux de Diane, dont le cours se dirige vers Canierina, le mélange du vin et de l'eau ne pourra s'opérer. Dans le pays de Ségeste, l'Helbèse, au milieu de son cours, bouillonne subitement. L'Acis, quoique sortant de l'Etna, n'est surpassé par aucun fleuve en fraîcheur. Les eaux d'Himère changent selon le point du ciel vers lequel elles se dirigent: elles sont amères quand elles coulent vers le nord, et douces dès qu'elles se tournent au midi. Si les eaux nous offrent des particularités extraordinaires, les salines nous en fournissent qui ne sont pas moins étonnantes. Jeté sur le feu, le sel d'Agrigente se dissout; l'eau le fait, au contraire, pétiller, comme s'il brûlait. Le sel d'Enna tire sur le pourpre, celui du cap Pachyne est transparent. Les autres minéraux des salines, ceux qui avoisinent Agrigente ou Centorbe, servent, comme la pierre, à reproduire les traits des hommes ou des dieux. Aux environs de Thermes est une île fertile en roseaux propres à rendre les sons de toute flûte : de la praecentoria, qui donne le ton dans les cérémonies religieuses; de la vasca, qui précède la praecentoria ; de la puellatoria, dont l'harmonie est aussi claire que la voix d'une jeune fille ; de la gingrina, aux accents plus brefs, et toutefois plus perçants ; des milvines, aux sons aigus ; des lydiennes, appelées aussi turaires ; des corinthiennes, des égyptiennes, d'autres enfin diversement classées par les musiciens pour l'emploi comme pour le nom. Près d'Halèse, une source, ordinairement calme et tranquille, élève ses eaux aux accords de la flûte, et, comme émue par ces sons harmonieux, franchit ses bords. L'étang de Gélon, par son odeur infecte, chasse ceux qui l'approchent. On y trouve deux sources : l'une, dont l'eau rend fécondes les femmes stériles ; l'autre, dent l'eau rend stériles les femmes fécondes. L'étang de Pétra, mortel pour les serpents, offre à l'homme des eaux salubres. On voit sur le lac d'Agrigente de l'huile surnager : cette substance grasse adhère aux feuilles des roseaux ; elle provient d'une espèce de bourbier compacte, qui présente un chevelu dont on tire des remèdes contre les maladies des bestiaux. Non loin de là est la colline de Vulcain, où ceux qui veulent faire un sacrifice, élèvent sur l'autel un monceau de bois de vigne, sans y mettre le feu ; quand ils y ont placé les entrailles de la victime, si le dieu est propice, s'il accepte le sacrifice, les sarments, quelque verts qu'ils soient, s'allument d'eux-mêmes, et sans qu'aucune flamme en soit approchée, le dieu en détermine l'embrasement. La flamme se joue au-tour des convives du banquet sacré; dans ses capricieuses évolutions elle touche sans brûler, et n'est que le signe de l'accomplissement régulier de la cérémonie. Ce même territoire d'Agrigente abonde en sources bourbeuses, et comme le limon amené par ces sources suffit pour établir des rives dans cette partie de la Sicile, le sol ne fait jamais défaut, et la terre rejette continuellement de la terre. [5,4] L'agate fut pour la première fois trouvée en Sicile, sur les bords du fleuve Achate : pierre alors estimée, parce qu'elle ne se trouvait que là, et que ses veines nuancées représentent, quand elle est de première qualité, divers objets de la nature. C'est ce qui donna de la célébrité à l'anneau du roi Pyrrhus, qui fit la guerre aux Romains : dans cet anneau était enchâssée une agate qui représentait les neuf Muses avec leurs attributs, et Apollon une lyre à la main, non que l'art y eût contribué, mais naturellement. Aujourd'hui on trouve l'agate en divers endroits. La Crète produit le corail-agate, qui ressemble à l'agate, mais qui est semé de taches d'or, et qui est un préservatif contre les morsures des scorpions. L'Inde donne des agates qui représentent tantôt des bois, tantôt des animaux; qui, lorsqu'on les regarde, soulagent la vue; qui enfin, placées dans la bouche apaisent la soif. Il y en a qui, au feu, exhalent une odeur de myrrhe. L'hémagate a des taches de sang. L'agate que l'on estime le plus a la transparence du verre : telle est celle de Chypre. Celles qui ressemblent à de la cire sont très communes et par conséquent peu estimées. L'île entière de Sicile a trois mille stades de circonférence. [6,0] VI. Des îles Vulcaniennes. Dans le détroit de Sicile sont les îles Héphestiennes, à vingt-cinq milles de l'Italie, où elles prennent le rom de Vulcaniennes - c'est qu'en effet leur sol igné emprunte ou communique à l'Etna des feux souterrains. Ce séjour est regardé comme celui du dieu du feu. Elles sont au nombre de sept. L'une doit son nom de Lipara à Liparus, qui la gouverna avant Éole. Une autre reçut le rom d'Hiéra : elle est particulièrement consacrée à Vulcain ; elle a une colline très élevée, d'où s'exhalent la nuit des tourbillons de flamme. Strongyle, la troisième, qu'habitait Éole, se trouve à l'est, présente peu de caps, et diffère des autres en ce que ses flammes sont plus claires, ce qui fait que les habitants calculent, d'après la fumée qui s'en échappe, quels vents doivent souffler pendant trois jours. De là vint qu'Eole fut regardé comme le roi des vents. Quant aux autres îles, Didyme, Éricuse, Phénicuse, Évonyme, comme elles se ressemblent, il suffit de les nommer.