[11l,0] XI, 13 - La Médie. [11l,1] La Médie forme deux parties distinctes : la première est connue sous le nom de Grande Médie et a pour capitale Ecbatane ville considérable, où les anciens rois Mèdes avaient leur palais. Aujourd'hui encore Ecbatane sert de résidence aux rois parthes : c'est là, du moins, qu'ils passent l'été attirés par le climat plus froid de la Médie. Quant à l'hiver, ils le passent plus volontiers à Séleucie sur le Tigre, non loin de Babylone. L'autre partie, dite Médie Atropatie, doit son nom au satrape Atropatès, lequel avait su empêcher que cette province jusque-là dépendante de la Grande Médie ne tombât comme le reste du pays au pouvoir des Macédoniens. Proclamé roi, naturellement, pour un tel service, Atropatès fit de ladite province un état indépendant, et sa dynastie s'y est perpétuée jusqu'à nous grâce à une suite d'heureuses unions contractées par ses descendants avec des princesses d'Arménie et de Syrie et plus récemment avec des princesses parthes. [11l,2] Située entre l'Arménie et la Matiané à l'O. et la Grande Médie à l'E., l'Atropanie s'étend en outre au N. de ces deux mêmes contrées. Ajoutons qu'elle forme comme une bordure méridionale aux pays qui entourent le fond de la mer d'Hyrcanie et à la province connue sous le nom de Caspiané. Sa puissance militaire ne serait pas peu de chose, s'il est vrai, comme le prétend Apollonidès, qu'elle peut mettre sur pied jusqu'à 10.000 cavaliers et 40.000 fantassins. Elle possède un lac connu sous le nom de lac Kapauta dans lequel se forment des sels efflorescents. Ces sels ont la singulière propriété de causer des démangeaisons, des picotements douloureux ; mais l'huile est souveraine pour les calmer, car elle agit {sur la peau} comme fait l'eau douce sur le linge qu'on a brûlé en le trempant imprudemment dans les eaux du lac pour l'y laver. L'Atropatène a deux voisins redoutables dans l'Arménien et le Parthe, qui se sont même à plusieurs reprises agrandis à ses dépens. Elle leur tient tête cependant et sait leur reprendre à l'occasion ce qui lui a été enlevé : c'est ainsi que les Arméniens durent lui restituer tout le canton de Symbacé quand ils firent leur soumission aux Romains ; car, en recherchant, elle aussi, l'amitié de César, elle avait eu soin de continuer à se ménager l'appui des Parthes. [11l,3] Le palais d'été des rois de l'Atropatène est à Gazaca dans la plaine et {celui d'hiver} à Véra, position naturellement très forte qu'Antoine enleva d'assaut pendant sa campagne contre les Parthes. Suivant l'indication expresse de Dellius, cet ami d'Antoine qui nous a laissé le récit complet de la guerre contre les Parthes après y avoir assisté de sa personne et y avoir même exercé un commandement, Véra est située à 2400 stades du fleuve Araxe, lequel forme la séparation entre l'Arménie et l'Atropatène. En général, cette contrée est riante et fertile, mais toute sa partie septentrionale est élevée, âpre et froide et n'a guère pour habitants que des montagnards Cadusiens, des Amardes, des Tapyres, des Cyrtiens, etc., c'est-à-dire toute une population adonnée au brigandage et composée de métanastes ou d'émigrés venus volontairement d'autres pays. On trouve en effet ces différentes nations éparses dans tout le Zagros et le Niphatès, et les Cyrtiens et les Mardes ou Amardes de la Perse (le nom a ces deux formes), ceux des peuples de l'Arménie aussi qui ont conservé jusqu'à présent ces mêmes noms, sont bien de la même race que les montagnards de l'Atropatène, à en juger par la ressemblance physique. [11l,4] A propos des Cadusiens, nous dirons qu'ils possèdent une infanterie presque aussi nombreuse que les Ariani, que leurs gens de trait sont d'une adresse incomparable et que leurs cavaliers, dans les terrains difficiles, mettent pied à terre et combattent avec la même solidité que l'infanterie. Du reste, si quelque chose entrava naguère l'expédition d'Antoine en ce pays, ce ne fut pas tant la nature du terrain que la perfidie du roi d'Arménie, Artavasde, qui s'était offert à lui servir de guide et qui méditait de le perdre dans le moment même où Antoine le prenait imprudemment pour conseiller et lui livrait le secret de son plan de campagne. Antoine, il est vrai, tira de lui une vengeance signalée, mais il ne s'en avisa que tard et quand les Romains avaient déjà souffert mille maux par suite des pratiques d'Artavasde et de cet autre guide qui, pour les amener de Zeugma sur l'Euphrate aux confins de l'Atropatène, leur fit faire 8000 stades, c'est-à-dire plus du double du trajet direct, en les égarant à dessein dans les montagnes, les impasses et les labyrinthes de ce pays difficile. [11l,5] La Grande Médie, qui, après avoir mis fin à l'ancien empire syrien, avait exercé elle-même l'hégémonie sur l'Asie entière, se vit plus tard, sous le règne d'Astyage, dépouillée par les armes de Cyrus et des Perses de cette grande prépondérance, sans perdre néanmoins complétement son ancien prestige. C'est ainsi, par exemple, qu'Ecbatane, après avoir servi de trésor royal aux Perses, puis aux Macédoniens vainqueurs des Perses et fondateurs du nouvel empire de Syrie, rend aujourd'hui encore le même service aux rois parthes, grâce à la force de ses murailles. [11l,6] Du côté de l'E., la Grande Médie a pour bornes la Parthyène et les montagnes occupées par les Cosséens, population de pillards et de bandits qu'on a vus mettre quelquefois à la disposition des Elyméens jusqu'à 13.000 archers pour les aider à se défendre contre les Susiens et les Babyloniens. Néarque énumère quatre nations vivant ainsi de brigandage et à qui les rois de Perse avaient consenti à payer tribut, à savoir les Mardes, limitrophes de la Perse même, les Uxiens et les Elyméens, limitrophes à la fois de la Perse et de la Susiane, et enfin les Cosséens, limitrophes de la Médie ; mais il ajoute que ces derniers recevaient en plus certains présents toutes les fois que le roi quittait Ecbatane après y avoir passé l'été et se disposait à redescendre vers Babylone. Seulement, suivant le même auteur, Alexandre aurait mis fin à tant d'outrecuidance en attaquant ce peuple chez lui en plein hiver. En même temps qu'au territoire des Cosséens la Grande Médie, du côté de l'E., touche encore aux possessions des Paraetaceni, autre nation de montagnards et de brigands qui confine à la Perse. Du côté du N, maintenant, elle touche au territoire des Cadusiens et des autres peuples qui habitent au-dessus de la mer Hyrcanienne et dont nous avons parlé ci-dessus ; enfin elle se trouve avoir pour bornes, au midi, l'Apolloniatide, ou, comme les anciens l'appelaient, la Sittakène avec la partie du Zagros que borde la Massabatiké, dépendance de la Médie, d'autres disent de l'Elymée ; et, au couchant, l'Atropatène, avec une partie de l'Arménie. Entre autres villes, la Médie renferme un certain nombre de cités grecques fondées par les Macédoniens : telles sont Laodicée, Apamée, {Héraclée}-lès-Rhages et Rhage elle-même que bâtit Nicator. Cette dernière ville, que son fondateur avait nommée Europos et que les Parthes ont nommée depuis Arsacia, se trouve située, au dire d'Apollodore d'Artémite, à 500 stades environ au S. des Pyles Caspiennes. [11l,7] La majeure partie de la {Grande} Médie se compose de pays élevés et froids : tels sont, par exemple, les environs d'Ecbatane, ceux de Rhages et des Pyles Caspiennes et en général toute la contrée qui s'étend au N. de ce défilé jusqu'à la Matiané et à l'Arménie. Au-dessous des Pyles Caspiennes, au contraire, le pays composé de terrains bas et de vallons très encaissés présente un aspect des plus riants et paraît se prêter à toutes les cultures, celle de l'olivier exceptée : encore l'olivier s'y rencontre-t-il de loin en loin, mais il est avéré que le fruit en est toujours maigre et sec. Cette même partie de la Médie, comme l'Arménie aussi, du reste, est très favorable à l'élève des chevaux. Elle contient notamment sous le nom d'Hippobotum une vaste prairie que traverse la grande route allant de la Perse et de la Babylonie aux Pyles Caspiennes et où paissaient, dit-on, au temps de la domination persane, jusqu'à 50.000 juments appartenant aux haras royaux. De ces haras suivant les uns, des pâturages d'Arménie suivant les autres, sortaient ces fameux chevaux Néséens, réservés à cause de leur incomparable beauté et de leur taille exceptionnellement grande pour le service personnel des rois de Perse, mais qui représentaient en tout cas, comme les chevaux parthes aujourd'hui, une race particulière entièrement distincte des chevaux grecs ou autres qu'on voit dans nos pays. J'ajouterai que, si nous appelons medica l'herbe réputée la plus nourrissante pour les chevaux, c'est qu'elle croît ici plus abondamment que partout ailleurs. Une autre plante que la Médie produit également est le silphium, et le suc qu'on en tire dit suc médique, bien qu'étant habituellement très inférieur au suc cyrénaïque, ne laisse pas quelquefois d'avoir sur celui-ci une vraie supériorité, soit à cause de quelques propriétés toutes locales, soit par suite des différences que présente la plante elle-même suivant les espèces, soit enfin qu'on possède ici un procédé particulier d'extraction et de préparation qui donne au suc plus de consistance et permet ainsi de le garder à volonté ou de s'en servir sur l'heure. [11l,8] Voilà ce que nous avions à dire de l'aspect et des productions de cette contrée. Quant à son étendue, elle est à peu de chose près la même en largeur qu'en longueur : or, sa plus grande largeur, à la prendre depuis le col du Zagros connu sous le nom de Pyle ou de Porte Médique jusqu'au défilé des Pyles Caspiennes, en passant par la Sigriané, parait être de 4100 stades. Les renseignements fournis par les historiens sur le tribut que payait anciennement la Médie confirment aussi ce que nous venons de dire de l'étendue et des ressources de cette province. Et en effet, tandis que la Cappadoce fournissait chaque année au Grand Roi, indépendamment de son tribut en argent, 1500 chevaux, 2000 mulets, et 50000 têtes de bétail, c'est le double à peu près que la Médie était tenue de fournir. [11l,9] La plupart des coutumes que l'on observe chez les Mèdes se retrouvent aussi chez les Arméniens, par suite évidemment de la ressemblance des deux pays. On pense toutefois que ce sont les Mèdes qui ont été les premiers instituteurs des Arméniens, comme ils avaient dû l'être des Perses leurs vainqueurs futurs et les futurs héritiers de leur prépondérance en Asie, à en juger et par cet usage devenu commun en Perse de porter la robe longue dite même aujourd'hui robe persique, et par cette passion pour l'exercice de l'arc et du cheval, et par ce luxe et cette magnificence des rois, et par cette adoration quasi religieuse des sujets, toutes choses ayant évidemment passé des Mèdes aux Perses ; à en juger surtout par l'ensemble du costume que cette dernière nation a cru devoir adopter, puisqu'il est clair que la tiare, la kidaris, le pilos, la tunique à manches et les anaxyrides, bons à porter dans des pays froids et septentrionaux comme voilà la Médie, ne conviennent pas le moins du monde aux pays méridionaux. Or la Perse proprement dite, dont la plus grande partie borde la mer Erytrée, et qui ne s'est accrue de quelques cantons contigus à la Médie qu'après la chute de l'empire mède, se trouve être par le fait encore plus méridionale que la Babylonie et la Susiane. Seulement, tout dans les habitudes du peuple vaincu {et en particulier dans son costume} avait paru si imposant aux vainqueurs et si bien approprié au caractère auguste et majestueux d'une monarchie que, renonçant aux vêtements courts et légers qu'ils avaient portés jusqu'alors, ils se résignèrent à prendre la robe longue des femmes et à s'envelopper comme elles de la tête aux pieds dans des voiles épais. [11l,10] Suivant certains auteurs, c'est Médée qui introduisit en ces contrées cette manière de se vêtir : elle y était venue régner conjointement avec Jason et il lui arrivait souvent, après avoir eu soin de se voiler le visage, d'y paraître en public au lieu et place du roi. Et de même que le souvenir de Jason s'est conservé en ces pays, grâce aux nombreux hérôon qui portent son nom et qui sont restés un objet de vénération profonde pour les Barbares, sans parler de cette haute montagne située à gauche et en arrière des Pyles Caspiennes qu'on appelle aussi le Jasonium, deux choses auraient, dit-on, contribué à y faire vivre la mémoire de Médée : d'une part, précisément le costume national, et, d'autre part, le nom de la contrée, car les mêmes auteurs ajoutent que Médée transmit le pouvoir à son fils Médus et que celui-ci, à son tour, laissa au pays le nom de Médie. Ce qu'il y a de sûr, c'est que tout cela s'accorde et avec la présence de nombreux Jasonium en Arménie et avec l'origine du nom de cette dernière contrée et avec plusieurs autres circonstances dont nous parlerons plus loin. [11l,11] Une coutume encore qui paraît propre aux Mèdes, à ceux du moins qui habitent la montagne, c'est d'élire pour roi toujours le plus vaillant d'entre eux. Mais il existe un usage plus essentiellement médique, si l'on peut dire, en ce qu'il est commun et aux tribus de la montagne et au reste de la nation, c'est celui qui veut que les rois aient plusieurs femmes. Il n'est pas permis aux rois, en effet, d'en avoir moins de cinq, et l'on assure que les femmes mettent elles-mêmes une sorte de point d'honneur à ce que leur royal époux prenne le plus grand nombre de femmes possible, considérant comme un malheur pour elles si par aventure il en prend moins de cinq. - Excellent dans tout le reste de la Médie, le sol est pauvre et maigre dans la montagne, laquelle forme, comme on sait, la partie septentrionale du pays. Aussi les fruits des arbres y tiennent-ils lieu de céréales : en les laissant sécher et en les pétrissant, les habitants obtiennent une espèce de pâte très nourrissante. En outre ils font du pain avec des amandes grillées ou cuites au four, et du vin avec le jus qu'ils expriment de certaines racines. Quant aux viandes, comme ils n'ont ni troupeaux, ni animaux domestiques, la seule qu'ils connaissent est la venaison. - Voilà ce que nous avions à dire des Mèdes eux-mêmes. Restent leurs lois et institutions, mais par le fait de la conquête persane, elles sont devenues communes à tous les Perses aussi bien qu'à l'universalité de la nation Mède, et nous attendrons pour en parler que nous en soyons arrivé à décrire la Perse.