[9b,0] IX, 2 - La Béotie. [9b,1] Le pays qui succède à l'Attique est la Béotie, mais, avant de procéder à la description de cette contrée et de celles qui lui font suite, nous croyons devoir rappeler, pour plus de clarté, ce que nous avons dit ci-dessus. «De Sunium à Thessalo{nicé}, {disions-nous,} la côte de la Grèce court droit au nord, {ou plutôt au nord-ouest,} entre la mer à l'est et les différents districts de l'intérieur à l'ouest, lesquels forment autant de bandes parallèles se déployant {d'un bord à l'autre}, {L'Attique,} qui se présente en premier, forme, en effet (la Mégaride comprise), une espèce de bande {ayant pour côté oriental} le littoral depuis Sunium jusqu'à Orope, c'est-à-dire jusqu'à la {frontière béotien}ne, pour côté occidental l'isthme et la mer {Alcyonide} prise depuis Pagae jusqu'au {territoire} de Créüsa {en Béotie} et pour ses deux autres côtés, d'une part, le littoral {entre Sunium} et l'isthme, d'autre part cette chaîne de montagnes à peu près {parallèle audit littoral} qui sépare l'Attique {de la Béotie}. - La Béotie, à son tour, nous représente une seconde bande qui s'étend de l'est à l'ouest entre la mer d'Eubée et le golfe de Crissa. De même longueur à peu près que l'Attique (l'Attique est peut-être une idée plus longue), la Béotie lui est très supérieure par la qualité de son sol». [9b,2] Ephore signale encore, comme un grand avantage de la Béotie sur les contrées qui l'avoisinent, cette double circonstance qu'elle est seule à être baignée par trois mers à la fois, seule aussi à posséder tant de ports. Et le fait est qu'en même temps qu'elle reçoit par les golfes de Crissa et de Corinthe les marchandises venant d'Italie, de Sicile et de Libye, à l'opposite, c'est-à-dire vers l'Eubée, où son littoral au-dessus et au-dessous de l'Euripe présente en réalité deux côtes distinctes (celle d'Aulis et de Tanagra d'une part, celle de Salganée et d'Anthédon de l'autre), elle se trouve toucher à la fois à la mer qui baigne l'Egypte, Chypre et les îles, et à cette autre mer qui forme sur les côtes de la Macédoine la Propontide et l'Hellespont. Ephore ajoute que l'Eubée, par suite du peu de largeur de l'Euripe, qui a permis de jeter d'un bord à l'autre ce pont de deux plèthres, peut être considérée comme faisant partie de la Béotie. Placée dans des conditions si éminemment favorables, la Béotie, au jugement d'Ephore, semblait naturellement appelée à exercer l'hégémonie sur la Grèce entière, mais, faute d'une culture et d'une éducation philosophique suffisante, les chefs qu'elle se donna successivement ne purent, malgré quelques succès signalés, assurer d'une manière durable sa prépondérance politique. On le vit bien par l'exemple d'Epaminondas, car à peine ce grand homme eut-il succombé, que les Thébains, qui commençaient à goûter les douceurs de l'hégémonie, en furent dépouillés pour jamais. Leur tort avait été (c'est toujours Ephore qui parle), de négliger les belles-lettres et les autres agréments de la vie sociale, pour ne s'attacher qu'aux vertus guerrières. Ephore aurait dû ajouter qu'ici la culture de l'esprit était d'autant plus nécessaire qu'il s'agissait de dominer sur des peuples grecs et non sur des barbares, toujours plus sensibles, on le sait, à la supériorité de la force qu'à celle de l'intelligence. Et c'est ce que les Romains ont bien compris : tant qu'ils n'ont eu à combattre que des peuples plus sauvages qu'eux, ils ont cru pouvoir se passer de ces exercices de l'esprit ; mais quand ils ont commencé à avoir affaire à des nations, à des races plus civilisées, ils se sont appliqués à acquérir aussi la culture intellectuelle, et ont pu prétendre alors à l'empire du monde. [9b,3] Pour en revenir à la Béotie, ses premiers habitants étaient justement des Barbares : c'étaient les Aones, les Temmices, race errante venue en dernier lieu de Sunium, les Lélèges aussi et les Hyantes. Puis le pays tomba au pouvoir des Phéniciens, compagnons de Cadmus, et ce héros, ayant bâti la Cadmée, fonda dans le pays une monarchie héréditaire. Ses descendants, à leur tour, ajoutèrent Thèbes à la Cadmée et maintinrent leur prépondérance sur la plus grande partie de la Béotie, jusqu'au moment où éclata la guerre des Epigones. A cette époque il leur fallut évacuer Thèbes, mais ils ne tardèrent pas à y rentrer. Chassés de nouveau par les Thraces et les Pélasges, ils passèrent en Thessalie et y restèrent longtemps associés aux Arnéens, assez longtemps même pour que l'établissement commun prît, à cause d'eux, le nom de Béotie. Quand ils revinrent dans leurs foyers, on faisait à Aulis les premiers préparatifs de la grande expédition que devaient conduire en Asie les fils d'Oreste. Ayant alors annexé à la Béotie toute l'Orchoménie (les deux pays jusque-là n'avaient eu rien de commun, et c'est pour cette raison qu'Homère, dans son Catalogue, au lieu de confondre les Orchoméniens avec les Béotiens, leur assigne, sous le nom de Minyens, une place à part), ils purent, avec ce surcroît de forces, rejeter les Barbares hors du pays. Les Pélasges se réfugièrent à Athènes et donnèrent leur nom à l'un des quartiers de la ville, le Pélasgicum (ils s'étaient établis apparemment au pied de l'Hymette). Quant aux Thraces, ils avaient été refoulés jusqu'au Parnasse. A leur tour les Hyantes fondèrent en Phocide la ville de Hyampolis. [9b,4] On lit dans Ephore le trait suivant. Les Thraces venaient de conclure avec les Béotiens une suspension d'armes, quand, s'étant aperçus que ceux-ci, sur la foi de la trêve, se gardaient plus négligemment qu'à l'ordinaire, ils dirigèrent contre leur camp une attaque nocturne. Les Béotiens, {cependant,} les repoussèrent ; et, comme ils leur faisaient honte d'avoir ainsi violé l'armistice, ils prétendirent, eux, ne l'avoir en aucune façon violé, puisque le traité ne stipulait rien que pour les jours, et qu'ils n'avaient attaqué que la nuit. De là serait venue, suivant Ephore, la locution proverbiale : «Vraie subtilité de Thrace !». Ephore raconte aussi comment, pendant cette même guerre, des députés pélasges, envoyés {à Dodone} pour consulter l'oracle, s'y rencontrèrent avec des théores béotiens. Qu'avait-il été répondu aux Pélasges ? Ephore déclare n'en rien savoir, mais il rapporte textuellement la réponse de la prophétesse aux Béotiens : «Un sacrilège vous vaudra la victoire». Or, cette réponse parut suspecte aux théores béotiens ; ils pensèrent qu'en s'exprimant de la sorte la prophétesse avait écouté la voix du sang et voulu servir les intérêts des Pélasges (l'oracle de Dodone, comme on sait, est d'origine pélasgique) ; et, s'emparant de la pauvre femme, ils la jetèrent dans un brasier ardent. Ils s'étaient dit apparemment : «Qu'elle ait ou non prévariqué, nous aurons toujours, nous, agi au mieux, car nous l'aurons punie comme elle le méritait si elle a prononcé un faux oracle, et nous n'aurons fait que lui obéir si ses paroles étaient sincères». Les surveillants du temple, ajoute Ephore, ne se crurent pas en droit de faire périr sans jugement et dans l'enceinte sacrée les auteurs de l'attentat, mais ils les mirent en accusation et les citèrent au tribunal des prêtresses, des prophétesses pour mieux dire, réduites à deux, par le meurtre de leur compagne. Seulement, sur la réclamation des accusés que la loi ne reconnaissait nulle part à des femmes le droit de juger, on adjoignit aux deux prophétesses un même nombre d'hommes. Or, les hommes prononcèrent l'acquittement et les femmes la condamnation, et, les voix se trouvant partagées également, l'opinion favorable aux accusés prévalut. Voilà d'où vient qu'à Dodone, par exception, ce sont toujours des hommes qui transmettent et expliquent aux Béotiens les réponses de l'oracle. Veut-on savoir, du reste, comment les prophétesses avaient interprété l'oracle en question ? Suivant elles, la volonté expresse du dieu était que les Béotiens enlevassent chaque année de quelqu'un de leurs temples un trépied sacré et qu'ils l'envoyassent à Dodone. Les Béotiens, dit Ephore, se conformèrent à la volonté du dieu, et tous les ans, par leur ordre, on dérobe, de nuit, dans un de leurs temples, un trépied sacré, qu'on cache sous des couvertures et qu'on expédie ensuite mystérieusement à Dodone. [9b,5] Postérieurement à ces événements, les Béotiens prirent part à la grande migration aeolienne conduite par Penthilus ; ils en faisaient même la principale force, de sorte qu'on a qualifié souvent cette migration de colonie béotienne. Bien longtemps après, lors des opérations de l'armée persane autour de Platées, la Béotie eut beaucoup à souffrir. Mais elle ne tarda pas à se relever, tellement qu'on vit les Thébains, après deux mémorables victoires sur les Lacédémoniens, prétendre à l'hégémonie de la Grèce. Malheureusement Epaminondas vint à tomber sur le champ de bataille, et il leur fallut renoncer à leurs ambitieuses espérances. Ils se chargèrent pourtant encore de venger l'injure commune des Grecs contre les Phocidiens violateurs du temple de Delphes, mais cette guerre les affaiblit beaucoup, et, quand les Macédoniens attaquèrent la Grèce, ils ne purent prévenir la prise et la ruine de leur ville ; les Macédoniens, il est vrai, la leur rendirent plus tard relevée, restaurée de leurs propres mains, mais leurs affaires depuis lors allèrent toujours de mal en pis, et c'est à peine si aujourd'hui Thèbes a conservé l'apparence d'un gros bourg. Toutes les autres villes de la Béotie, du reste, ont décliné dans la même proportion ; il n'y a que Tanagre et Thespies qui, comparées aux autres, soient restées passablement florissantes. [9b,6] Mais il est temps de procéder à la description chorographique du pays : pour cela, partons de la côte contiguë à l'Attique et faisant face à l'Eubée, nous rencontrons d'abord Orope et le Hiéros-limên ou Port-Sacré, autrement dit Delphinium, situé juste à la hauteur de la vieille ville d'Erétrie et à 60 stades de distance en ligne directe. Orope est après Delphinium, à 20 stades plus loin ; juste vis-à-vis est la ville actuelle d'Erétrie, mais entre deux le trajet direct n'est plus que de 40 stades. [9b,7] Vient ensuite Délium, avec son temple d'Apollon, bâti sur le modèle de celui de Délos : c'est une petite ville dépendante de Tanagre et distante de 30 stades d'Aulis. Les Athéniens, comme on sait, essuyèrent ici une défaite complète et furent mis en pleine déroute. Dans le désordre de cette déroute, Xénophon, fils de Gryllus, tomba de cheval et resta étendu sur le soi. Socrate le philosophe, qui servait dans l'infanterie, l'aperçut, et, comme le cheval avait disparu, il prit le blessé sur ses épaules et le porta, l'espace de plusieurs stades, jusqu'au lieu où les fuyards avaient pu être ralliés. [9b,8] Après Délium est un port spacieux appelé Bathys-limên. Aulis, qui lui succède, est un endroit rocheux, un simple bourg du territoire des Tanagréens. Le port d'Aulis pouvant à peine contenir cinquante embarcations, il est probable que c'est dans le grand port, {dans le Bathys-limên,} que la flotte des Grecs s'était donné rendez-vous. L'Euripe, l'Euripe de Chalcis, commence ici près : la distance depuis Sunium mesure {5}70 stades. J'ai déjà dit qu'un pont de deux plèthres a été jeté sur ce détroit. Aux deux extrémités du pont, du côté de la Béotie comme du côté de Chalcis, s'élève une tour à laquelle donne accès une galerie souterraine. Au sujet des marées de l'Euripe, nous nous bornerons à répéter ce qu'on dit, qu'il se produit dans ce détroit sept changements de courant par jour et autant par nuit ; mais ce n'est pas ici le lieu de rechercher la cause du phénomène. [9b,9] Non loin de ià, sur une hauteur, est la petite localité de Salganée, ainsi nommée de ce pilote béotien qui y a été enseveli. Ce Salganée avait guidé la flotte des Perses dans les eaux de l'Eubée depuis le golfe Maliaque, et l'on allait atteindre l'Euripe, quand l'amiral des Perses, Mégabate, le fit mettre à mort comme un traître qui avait à dessein égaré sa flotte au fond d'un impasse, mais le chef barbare ne tarda pas à reconnaître qu'il s'était trompé, et, pour témoigner hautement de ses regrets, il voulut honorer son innocente victime d'un tombeau magnifique. [9b,10] Signalons encore dans le voisinage d'Orope la localité de Graea, avec son temple d'Amphiaraüs et ce tombeau de Narcisse d'Erétrie appelé le Silencieux, parce que l'usage veut qu'en passant devant on garde le silence. Quelques auteurs font de Graea et de Tanagra une seule et même ville. {On peut affirmer avec plus de certitude} que les noms de Tanagrique et de Poemandride désignent le même canton, et que les Tanagréens sont souvent appelés les Géphyréens. Quant à l'Amphiaraeum de Graea, il n'est autre que celui de Cnopie près Thèbes, dont {un oracle} ordonna naguère le déplacement. [9b,11] Mycalessus, autre bourg du canton de Tanagre, est situé sur la route {qui va de} Thèbes à Chalcis. Dans son voisinage, et toujours dans les limites de la Tanagrique, est le bourg d'Harma, aujourd'hui désert. Cette localité, qui tire son nom de l'harma ou char d'Amphiaraüs, ne doit pas être confondue avec l'Harma de l'Attique, lequel se trouve dans le voisinage de Phylé, chef-lieu d'un dème limitrophe de la Tanagrique. C'est à ce second Harma que se rapporte le proverbe : «Quand il éclairera du côté d'Harma». Un éclair parti de ce point de l'horizon était le signe que l'oracle avait recommandé à l'attention des Pythaïstes d'Athènes, et qui devait décider du départ pour Delphes de la pompe sacrée. L'observation commençait trois mois avant le départ et durait trois jours et trois nuits chaque mois. Elle se faisait de l'autel de Jupiter Fulgurant, lequel s'élève en dedans du mur d'enceinte, entre le Pythium et l'Olympium. Mais revenons à l'Harma de Béotie. Suivant les uns, Amphiaraüs étant tombé de son char pendant le combat, à l'endroit même où s'élève aujourd'hui l'Amphiaraeum, le char du héros aurait continué sa course à vide jusqu'au lieu appelé depuis en commémoration de l'événement Harma, le Char. Suivant d'autres, il s'agirait du char d'Adraste : comme Adraste s'enfuyait, son char se serait brisé en cet endroit, et le héros n'aurait dû son salut qu'à son cheval Arion. Philochore veut que ce soit par les habitants qu'Adraste ait été sauvé, et il explique ainsi le privilège d'isopolitie que les Argiens leur ont décerné. [9b,12] En suivant le chemin qui monte de Thèbes vers {...}, on se trouve avoir la Tanagrique à gauche {et la Parasopie} à droite. Hyria, qui dépendait autrefois du territoire de Thèbes, est aujourd'hui comprise dans les limites de la Tanagrique. La Fable y a placée le séjour d'Hyriée et cette belle scène de la naissance d'Orion que Pindare a chantée dans ses Dithyrambes. Hyria est près d'Aulis. S'il faut en croire certains auteurs, on appellerait aussi quelquefois du nom d'Hyria, à cause apparemment de la colonie d'Hyriéens de la Parasopie, qui y fut amenée naguère par Nyctée, père d'Antiope, l'Hysies, qui est située au pied du Cithéron et non loin d'Erythrae, l'une des villes de la Béotie intérieure. L'Argolide nous offre également un bourg du nom d'Hysies, mais les habitants de celui-ci s'appellent les Hysiates. Quant à Erythrae, il faut voir en elle la métropole de l'Erythrae d'Ionie. Héléôn, autre bourg de la Tanagrique, tire son nom des marais (elôn) qui l'environnent. [9b,13] A Salganée succède Anthédon, ville pourvue d'un port et la dernière de toute cette côte de Béotie qui regarde l'Eubée, Homère en fait déjà la remarque : «Et l'extrême Anthédon». Un peu plus loin pourtant qu'Anthédon, on trouve encore deux petites villes faisant partie de la Béotie, à savoir Larymna, près de laquelle est l'embouchure du Céphise, et, au delà de Larymna, Haltes, dont le nom rappelle ces deux dèmes de l'Attique. La ville eubéenne d'Aegae, célèbre par le temple de Neptune Aegéen, dont nous avons parlé précédemment, était, dit-on, juste en face de cette partie de la côte de Béotie. On compte 120 stades pour la traversée d'Anthédon à Aegae, le trajet est beaucoup plus court quand on s'embarque dans tel autre port de la même côte. Le temple et les ruines de l'ancienne ville occupent le sommet d'une haute montagne située dans le voisinage d'Orobiae. Anthédon a de même dans son voisinage le mont Messapius, ainsi nommé du héros Messapus, le même qui, étant passé en Iapygie, donna à cette contrée son nouveau nom de Messapie. C'est aussi dans ce canton que la fable a placé l'aventure de Glaucus, dit l'anthédonien, métamorphosé, dit-on, en monstre marin. [9b,14] Près d'Anthédon, et toujours dans les limites de la Béotie, est un lieu que la vénération publique a consacré, et qui offre encore les vestiges d'une ancienne ville. Son nom est Isos, Isos, et doit se prononcer avec la première syllabe brève. Quelques grammairiens pourtant soutiennent qu'il faut lire dans Homère, à la place de g-Nisan g-te g-zathéehn, g-Ison g-te g-zathéehn g-Anthehdona g-t' g-eschatoohsan, Homère ayant bien pu, par licence poétique et pour les besoins du vers, allonger la première syllabe d'Isos. Il est constant qu'il n'existe pas en Béotie de ville appelée Nisa : Apollodore le dit formellement dans son Commentaire sur le catalogue des vaisseaux. {Ce nom n'a donc que faire ici}, à moins pourtant qu'Homère, connaissant en Mégaride {une ville appelée Nisa}, d'origine béotienne qui plus est et {voisine du Cith}éron (l'emplacement en est aujourd'hui désert), n'ait emprunté son nom pour désigner Isos. Il est des grammairiens, d'autre part, qui préfèrent la leçon g-Kreusan g-te g-zathéehn, et qui pensent qu'Homère a eu en vue le port de Thespies, Créüsa, au fond du golfe de Crisa ; il en est aussi qui lisent g-Pharas g-te g-zathéas, et entendent l'un des quatre bourgs de la tétracomie de Tanagre, composée, comme on sait, d'Héléon, d'Harma, de Mycalessus et de Pharae. Enfin, l'on a proposé la leçon g-Nusan g-te g-zathéehn, qui rappelle un bourg de l'Hélicon, nommé effectivement Nysa. - Telle est la côte de Béotie faisant face à l'Eubée. [9b,15] Si, maintenant, nous quittons la côte et que nous nous engagions dans l'intérieur des terres, nous trouvons une suite de plaines basses, bordées de montagnes des trois autres côtés. Ces montagnes sont, au midi, la chaîne de l'Attique ; au nord, celle de la Phocide ; et au couchant le Cithéron, qui, partant des montagnes de l'Attique et de la Mégaride, vient tomber obliquement un peu au-dessus de la mer de Crisa, fait ensuite un coude dans la direction des plaines et finit là aux environs de Thèbes. [9b,16] De ces plaines une partie est couverte de lacs, de lacs temporaires produits par le débordement des fleuves, dont les eaux y séjournent jusqu'à ce qu'elles aient trouvé une issue par où s'écouler ; le reste est depuis longtemps, asséché, et se prête par sa fertilité à toute espèce de cultures. Mais le sous-sol de ces plaines est en général rempli de cavernes et de crevasses, et, à la suite de tremblements de terre (ils sont épouvantables dans ce pays), il n'est pas rare que les anciens conduits s'obstruant, il s'en ouvre d'autres à la surface du sol ou dans le sein de la terre et que le même changement se produise dans le cours des eaux, soit que celles-ci se perdent dans des canaux souterrains, soit qu'elles forment à la surface du sol de nouveaux lacs ou de nouveaux torrents. Cela étant, on conçoit qu'une simple obstruction de ces conduits profonds suffise pour que les lacs aussitôt grossissent et atteignent en débordant les lieux habités au risque de submerger les villes et les campagnes ; que le dégorgement des conduits, au contraire, ou l'ouverture de conduits nouveaux découvre les terrains submergés, et qu'ainsi l'on puisse voir circuler tour à tour aux mêmes lieux des barques ou des piétons, et qu'une même ville puisse se trouver tantôt riveraine d'un lac, tantôt fort distante de ses bords. [9b,17] Ceci, du reste, peut arriver de deux façons, et sans que la ville ait à changer de place (ses maisons étant situées trop haut ou trop loin pour que la crue des eaux du lac risque jamais de dégénérer en inondation), et par le déplacement même de la ville, quand les habitants, après avoir couru de fréquents dangers par suite du voisinage des eaux, sentent la nécessité de s'assurer contre le retour de semblables craintes et se transportent dans des lieux plus distants ou plus élevés. Il résulte seulement de ces sortes de déplacement, quand les villes conservent en même temps leur ancien nom, que ce nom, convenable à l'origine parce qu'il était emprunté à quelque circonstance locale, cesse alors d'être aussi bien approprié. Le nom de Platées, par exemple, dont l'étymologie probable (g-ê g-platê g-tôn g-kôpôn, le plat des rames) semble indiquer que les Platéens, à l'origine, vivaient surtout du métier de mariniers, ne convient plus, maintenant que la ville est loin du lac. Et il en est de même des noms d'Hélos, d'Héléon et d'Hilesium : exacts à l'origine, quand les villes, auxquelles ils avaient été donnés, étaient situées dans le voisinage de marais, ils ont cessé de l'être aujourd'hui, soit que les villes aient été déplacées, soit que le lac qui les avoisinait ait sensiblement baissé par suite de l'ouverture subite d'émissaires ou de canaux d'écoulement. Car ceci est encore au nombre des choses possibles. [9b,18] Rien ne le prouve mieux que l'exemple du Céphise, fleuve qui se perdait naguère dans le lac Copaïs. Incessamment grossi {par le tribut des eaux de ce fleuve}, le lac menaçait d'engloutir la ville de Copae (cette ville, déjà mentionnée par Homère, est précisément celle qui a donné son nom au lac), lorsqu'à la suite d'une brusque déchirure du sol on vit, sur les bords mêmes du lac et non loin de Copae, s'ouvrir un canal souterrain, long de trente stades environ, par lequel le fleuve put sortir du lac et continuer son cours. Actuellement, en effet, on voit le Céphise reparaître près de Larymna, j'entends Larymna-la-Haute, localité de Locride qu'il ne faut pas confondre avec l'autre localité de même nom dont il a été question ci-dessus et qui est située sur la côte même de Béotie, bien que les Romains aient récemment annexé à celle-ci le territoire de Larymna-la-Haute. L'endroit même où le fleuve reparaît s'appelle Anchoé. C'est aussi le nom d'un lac des environs. A partir d'Anchoé, le Céphise se dirige vers la côte où il débouche dans la mer. Toujours est-il que du même coup la crue du lac avait cessé, et avec elle tout danger de submersion pour les villes riveraines (quelques-unes, par malheur, avaient été déjà englouties). Il arriva pourtant encore dans la suite que les émissaires du lac s'engorgèrent de nouveau : ce fut un ingénieur de Chalcis, Cratès, qui en entreprit le curage, mais les troubles survenus en Béotie le forcèrent à suspendre les travaux, bien qu'il eût déjà, comme il le marque dans sa Lettre au roi Alexandre, opéré d'importants desséchements sur l'emplacement de l'ancienne Orchomène, d'autres disent d'Eleusis et d'Athènes-sur-Triton, villes {bâties}, à ce qu'on croit, par Cécrops, du temps que ce prince dominait jusque sur l'Ogygie (la Béotie actuelle), mais qui avaient péri dans un des débordements ultérieurs du lac. Une autre déchirure du sol près d'Orchomène aurait également servi d'émissaire au fleuve Mélas, lequel {se jette dans le Copaïs} après avoir traversé l'Haliartie et y avoir formé ces marais où croît le roseau propre à faire les flûtes. Seulement, une fois engagé dans ce canal souterrain, le Mélas ne reparaît plus, soit qu'il s'écoule là et se perde par d'imperceptibles fissures, soit qu'il ait au préalable épuisé ses eaux à former autour d'Haliarte ces marais, ces étangs, dont la présence a inspiré au poète l'épithète de g-poiêenta : on connaît le vers de l'Iliade (II, 503), : g-kai g-poiêenth' g-Aliarton, «Ainsi que la verte et herbeuse Haliarte». [9b,19] Les fleuves dont nous venons de parler descendent des montagnes de la Phocide. Le Céphise notamment y prend sa source près de Lilée, comme Homère le marque expressément dans ce vers : «Et ceux qui occupaient Lilée aux sources du Céphise». Traversant ensuite Elatée, chef-lieu de la Phocide, ainsi que Parapotamii et Phanotées petites places qui appartiennent encore à la Phocide, le Céphise entre en Béotie par Chéronée, y arrose les territoires d'Orchomène et de Coronée, et finit par tomber dans le lac Copaïs. Le Permessus, au contraire, et l'Olmius descendent de l'Hélicon, mais ils se réunissent au pied de cette montagne et vont se jeter aussi dans le lac Copals non loin d'Haliarte. Le Copaïs, qui compte encore maint autre tributaire, est naturellement fort grand : il mesure trois cent quatre-vingts stades de circuit, et n'a pas d'autre issue apparente que ce gouffre par où s'écoule le Céphise, joint aux marais qui bordent ses rives. [9b,20] Parmi ces lacs ou marais on distingue celui de Tréphie et le C{éphissis} que mentionne Homère {à propos d'Oresbius} (Il. V, 708) : «Il habitait dans Hylé, surveillant avec grand soin ses riches domaines adossés au lac Céphissis». Homère, effectivement, n'a point voulu parler ici du lac Copaïs, comme quelques-uns le croient, mais bien du lac Hylicé, ainsi nommé aujourd'hui du bourg d'Hylé qui l'avoisine. Quelques grammairiens, il est vrai, lisent «g-os g-r'en g-Udê g-naiesken (Hydé au lieu d'Hylé), mais cette leçon est évidemment vicieuse, car Hydé est le nom d'une localité de Lydie, «Au pied du Tmole neigeux, dans les grasses campagnes d'Hydé» (Il. XX, 385), et il s'agit ici d'un lieu de Béotie, comme le prouve ce détail, par de g-oi g-alloi g-naion g-Boiôtoi, «Ici habitaient d'autres tribus béotiennes», détail dont Homère fait suivre les mots g-limnê g-keklimenos g-Kêphissidi. D'ailleurs, tandis que le Copaïs est grand et se trouve situé en dehors de la Thébaïde, l'Hylicé, qui n'a pour l'alimenter que les eaux qu'il tire du Copaïs par des canaux souterrains, est petit et se trouve placé entre Thèbes et Anthédon. Au lieu d'Hylae, seulement, Homère emploie toujours la forme Hylé, au singulier, avec la première syllabe tantôt longue comme dans ce vers du Catalogue (II, 500) : g-êd' g-Ylên g-kai g-Petôna, tantôt brève par licence poétique, comme dans ce passage de l'Iliade (Ibid. V, 708) g-os g-r'ev g-Ylê g-naieske, et dans cet autre (Il. VII, 221) : g-skutotomôn g-och'aristos g-Ylê g-eni g-oikia g-naiôn, où l'on a eu tort aussi d'introduire la leçon g-Ydê g-eni, Ajax n'ayant pas assurément fait venir son bouclier de Lydie. [9b,21] Nous pourrions à la rigueur, en prenant pour base de la description qui va suivre l'ordre même dans lequel se succèdent ces lacs, donner à nos lecteurs le moyen de se représenter clairement par la pensée la situation respective des lieux et de suppléer ainsi au peu de méthode du poète, qui énumère pêle-mêle toutes les localités, importantes ou non ; mais il serait bien difficile, avec un si grand nombre de lieux, obscurs pour la plupart, et tous situés dans l'intérieur des terres, que nous n'intervertissions pas quelquefois l'ordre géographique. A cet égard les côtes offrent un avantage véritable : les localités qu'elles présentent sont généralement plus connues, et la mer semble prendre soin d'en dérouler elle-même aux yeux la suite exacte, c'est pourquoi nous aimons dans nos descriptions topographiques à prendre toujours la côte pour point de départ. Ici cependant, à défaut d'un pareil secours, nous suivrons {de préférence} l'ordre même qu'a suivi le poète dans l'énumération des lieux, nous contentant, quand il aura omis quelque détail que nous jugerons utile pour le but que nous nous proposons, de l'ajouter. C'est par {Hyria} et par Aulis, dont nous avons déjà parlé, qu'Homère commence son énumération. [9b,22] Passons à Schoenus : on nomme ainsi une localité de la Thébaïde, située sur la route d'Anthédon, à 50 stades environ de Thèbes, et que traverse un cours d'eau, le Schoenûs. [9b,23] Scolus est un bourg de la Parasopie, placé juste au pied du Cithéron, dans un site très âpre et presque inhabitable, ce qui a donné lieu au proverbe : «Ne va pas à Scolus et ne t'y laisse pas mener». Penthée en descendait, suivant la tradition, quand il fut mis en pièces par les Bacchantes. L'une des villes du territoire d'Olynthe s'appelait également Scolus. Quant au nom de Parasopie (Parasopii), nous l'avons déjà rencontré porté par un bourg dépendant d'Héraclée-Trachinie, et riverain d'un cours d'eau du nom d'Asopus ; nous avons signalé de même en Sicyonie un troisième Asopus, ainsi qu'une vallée d'Asopie qui n'est autre que celle que ce fleuve arrose. [9b,24] Etéonus (ou, comme elle s'est appelée plus tard, Scarphé) appartient aussi à la Parasopie, {et par conséquent à la Thébaïde}, puisque l'Asopus, ainsi que l'Isménus, traverse toute la plaine de Thèbes ; que la fontaine de Dircé et le bourg de Potnies, où la fable a placé la scène de Glaucus-le-Potniéen déchiré par les cavales Potniades, sont aux portes de Thèbes ; et que le Cithéron, qui borde le cours de l'Asopus et couvre de ses derniers rameaux différents cantons de la Parasopie, tous administrativement soumis à Thèbes, vient finir non loin de cette ville. Certains auteurs cependant rattachent au territoire de Platées Scolus, Etéone et Erythrae, se fondant sur ce que l'Asopus, qui va déboucher à la mer près de Tanagre, baigne les murs de Platées {dans son cours supérieur}. Therapna, en revanche, appartient incontestablement à la Thébaïde, et il en est de même de Teumesse, dont Antimaque s'est plu à chanter les louanges, mais trop longuement, car il énumère mille mérites que ce lieu n'a jamais possédés : «Je sais une petite colline souvent battue par le vent, etc.» Le morceau est bien connu. [9b,25] Homère appelle Thespie la ville que nous sommes habitués à nommer Thespies : il n'est pas rare que des noms de villes aient ainsi une double forme, ou celle du singulier et du pluriel, ou celle du masculin et du féminin ; en général pourtant, ces sortes de noms n'affectent qu'une seule et même forme. La ville en question est située dans le voisinage de l'Hélicon, sur le versant méridional de cette montagne, et au-dessus du golfe de Crissa, qu'elle domine comme l'Hélicon lui-même. Créüse ou Créüsis (car on l'appelle quelquefois aussi de la sorte) sert de port à Thespies. Du même côté, c'est-à-dire du côté de l'Hélicon, le territoire de Thespies comprend Ascra, la patrie d'Hésiode. Cette ville occupe, en effet, à la droite de l'Hélicon, dans un lieu haut et escarpé, distant de Thespies de 40 stades environ, une position dont le poète, tout le premier, nous dénonce le peu d'agrément, lorsque {dans sa verte boutade} contre son propre père, il nous montre celui-ci échangeant «le riant séjour de Cume en Aeolide contre celui d'Ascra», «Méchante bourgade de l'Hélicon, insalubre en hiver, incommode en été, insoutenable en tout temps». Par son extrémité nord, voire plutôt nord-ouest, l'Hélicon se relie à la Phocide : il aboutit de ce côté au Mychos, dernier port de la Phocide, lequel tire son nom du fait même de sa situation. Placé en effet comme il est au pied de l'Hélicon, au-dessous d'Ascra, et même de Thespies et de Créüse, arsenal de Thespies, ce port est le point, non seulement du golfe de Crisa, mais du golfe de Corinthe, pour parler d'une façon plus générale, qui paraît s'enfoncer le plus avant dans les terres. De ce port de Mychos à Créüse {la côte} mesure 9{0} stades ; on en compte, en outre, 120, depuis Créüse jusqu'à la pointe d'{Olmies}. Pagae et Oenoé, {dont nous avons déjà par}lé, se trouvent également dans la partie la plus enfoncée {du golfe de Crisa}. L'Hélicon, qui n'est guère loin, comme on voit, du Parnasse, ne le cède en rien à cette montagne, et se trouve avoir, à peu de chose près, la même hauteur et le même circuit. De constitution rocheuse l'une et l'autre, ces deux chaînes ont souvent leurs sommets couverts de neige ; en revanche ni l'une ni l'autre n'a un périmètre considérable. On remarque sur l'Hélicon un temple des Muses, une source du nom d'Hippocrène et un antre dit des Nymphes Libéthrides : ce sont les Thraces, suivant toute apparence, qui, de même qu'ils avaient consacré aux Muses la Piéride (notamment Libéthrum et Pimplée), leur ont dédié aussi l'Hélicon. Ces anciens Thraces étaient connus sous le nom de Piéres ; mais leur race s'est éteinte, et ce sont les Macédoniens qui occupent aujourd'hui leurs demeures. On a vu ci-dessus que cette partie de la Béotie, précisément, était tombée, par l'expulsion des Béotiens proprement dits, au pouvoir des Barbares, Thraces, Pélasges et autres. {Pour en revenir à Thespies}, ce qui a fait longtemps toute la réputation de cette ville, c'est la présence dans ses murs de la belle statue de l'Amour de Praxitèle, sculptée par le grand artiste pour la courtisane Glycère, à qui il en fit hommage, et offerte par celle-ci aux Thespiens, ses compatriotes. On ne montait guère autrefois jusqu'à Thespies que pour voir le fameux Amour, la ville n'ayant rien par elle-même d'autrement curieux. Mais aujourd'hui Thespies est, avec Tanagre, la seule ville béotienne qui subsiste intacte, il ne reste rien des autres que des ruines et des noms {plus ou moins glorieux}. [9b,26] {Après} Thespies, le Catalogue d'Homère mentionne Graea et Myca{lessus : or}, nous avons déjà parlé de ces deux localités, {voire des suivantes} : «Et les habitants d'Harma, d'Ilesium, d'Erythrae, {et ceux d'Eléon}, d'Hylé, de Pétéon» (Il. II, 499). {Passons à Pétéon : on connaît aujourd'hui, sous ce nom, un bourg de la Thébaïde, voisin de la route d'Anthédon. Ocalée {qu'Homère nomme ensuite} se trouve juste à mi-chemin d'Haliarte et d'Alalcomenium : elle est en effet à 30 stades de l'une et de l'autre villes, un ruisseau de même nom passe auprès. Il y a, maintenant, deux Médéon : mais l'un est en Phocide, dans le golfe de Crisa, à 160 stades de la frontière de Béotie ; l'autre, qui a emprunté son nom du premier, est bien en Béotie, non loin d'Oncheste, et au pied du mont Phoenicius, circonstance qui lui a attiré un changement de nom et l'a fait s'appeler Phoenicis. On rattache encore à la Thébaïde le mont Phoenicius ; {d'après quelques auteurs cependant}, il appartiendrait plutôt à l'Haliartie, ainsi que Médéon et Ocalée. [9b,27] Suit, dans le Catalogue homérique, un vers ainsi conçu : «Et Copae, et Eutrésis, et Thisbé séjour aimé des colombes» (Il. II, 502). Il a déjà été question de Copae : cette ville s'élève sur la rive septentrionale du lac. Les autres villes qui entourent le lac sont, à partir de Copae, Acraephies, Phoenicis, Oncheste, Haliarte, Ocalée, Alalcomènes, Tilphusium, Coronée. Dans le principe, il n'y avait pas de nom commun à toutes les parties du lac, chaque ville riveraine donnait son nom à la partie qui l'avoisinait ; on disait : le Copaïs à Copae, l'Haliartis à Haliarte et ainsi de suite. Toutefois, avec le temps, le nom de Copaïs a prévalu et s'est étendu à tout le lac, ce qui s'explique par la raison que Copae est le point où le lac pénètre le plus avant dans les terres. Pindare, lui, paraît employer le nom de Céphissis pour désigner l'ensemble du lac : du moins place-t-il à côté du Céphissis la fontaine Tilphosse, laquelle jaillit du pied du mont Tilphosius, près du tombeau de Tirésias et du temple d'{Apoll}on {Tilphossien}, pour s'écouler ensuite du côté d'Haliarte et d'Alalcomènes. [9b,28] Immédiatement après Copae, le poète nomme Eutrésis, petit bourg du territoire de Thespies, où Zéthus et Amphion résidaient, dit-on, avant d'aller régner à Thèbes. Quant à Thisbé (ou, comme on l'appelle aujourd'hui, Thisbae), c'est une petite localité située un peu au-dessus de la mer, limitrophe à la fois du territoire de Thespies et de celui de Coronée, et, comme ces villes, adossée au versant méridional de l'Hélicon. Le point de la côte qui lui sert de port est ceint de rochers peuplés de pigeons sauvages, ce qui vérifie l'expression du poète : «Et Thisbé, séjour aimé des colombes». De ce port à Sicyone le trajet par mer est de 160 stades. [9b,29] Viennent, ensuite, dans le Catalogue, les noms de Coronée, d'Haliarte, de Platées et de Glissas. Coronée est bâtie dans le voisinage de l'Hélicon, sur une hauteur. Les Béotiens l'occupèrent, après la guerre de Troie, comme ils revenaient d'Arné en Thessalie et en même temps qu'ils s'emparaient d'Orchomène ; puis, une fois maîtres de Coronée, ils bâtirent dans la plaine qui précède cette ville, et en souvenir d'un temple de la Thessalie qui portait le même nom, le temple de Minerve Itonienne, donnant même au cours d'eau qui en baigne l'enceinte le nom du fleuve de ce canton de la Thessalie, le nom de Cuarius. Alcée, lui, nomme ce cours d'eau le Coralius : «O Minerve, divinité guerrière, toi qui, dans les champs de Coronée, protèges de ta présence l'entrée de ce temple bâti sur les hautes rives du Coralius». Les Béotiens firent de ce temple le siège des Pamboeoties. Ils y avaient, dans une pensée mystique, à ce qu'on assure, placé l'image de Pluton à côté de celle de Minerve. Pour ne pas confondre les habitants de Coronée en Béotie avec ceux de Coroné en Messénie, on appelle les premiers les Coronii ou Coroniens, et les seconds les Coronaeens. [9b,30] Haliarte n'existe plus aujourd'hui, ayant été détruite de fond en comble dans la guerre contre Persée ; quant à son territoire, il appartient aux Athéniens, à qui les Romains l'ont donné. Haliarte était bâtie très à l'étroit entre le pied de la montagne et le bord du lac Copaïs, et tout à côté du Permesse et de l'Olmius, ainsi que du marais où croît le roseau propre à faire les flûtes. [9b,31] Platées (Homère dit Platée au singulier) est située au pied du Cithéron, entre cette montagne et Thèbes, sur la route qui mène à Athènes et à Mégare, et tout près de la frontière de l'Attique, puisque Eleuthères, qui est dans son voisinage immédiat, est attribuée tantôt à l'Attique, tantôt à la Béotie. Comme nous l'avons dit plus haut, l'Asopus passe sous les murs de Platées. C'est aussi sous les murs de cette ville que Mardonius et ses 300.000 Perses furent taillés en pièces par l'armée des Grecs. Puis, sur le champ de bataille même, les Grecs érigèrent un temple en l'honneur de Jupither Eleuthérius. Ils en firent en même temps le lieu de célébration des Eleuthéries, jeux gymniques dont le prix est une simple couronne. Les tombeaux construits là, aux frais de la Grèce entière, en l'honneur des combattants tués dans cette journée, se voient encore aujourd'hui. Une autre localité porte le nom de Platées, c'est un dème de la Sicyonie connu pour avoir donné le jour au poète Mnasalcès. Glissas, qu'Homère mentionne après Platées, est bâti sur la pente même de l'Hypatus, montagne voisine du Teumesse et de cette colline boisée, qu'on appelle le Drios, au-dessus par conséquent de la plaine Aonienne, laquelle s'étend du pied de l'Hypatus {jusqu'à Thèbes}. [9b,32] L'expression employée ensuite par Homère (Il. II, 505), g-oi g-th'upo g-Thêbas g-eichon, {est entendue diversement} : suivant les uns, il aurait existé effectivement une petite place nommée Hypothèbes ; suivant les autres, il s'agirait là simplement de Potniae. Ceux-ci se fondent sur ce que Thèbes, étant abandonnée depuis la guerre des Epigones, n'avait pris aucune part à l'expédition contre Troie. Mais les premiers soutiennent que les Thébains avaient participé à l'expédition commune ; seulement, qu'ils habitaient alors dans la plaine, au pied de la montagne où s'élevait naguère la Cadmée, n'ayant pas encore pu, depuis le départ des Epigones, reconstruire cette citadelle ; que celle-ci d'ailleurs s'était appelée indifféremment Thèbes ou la Cadmée, de sorte que le poète, pour rappeler la demeure actuelle des Thébains au pied de la Cadmée, avait pu dire tout aussi bien : «Et ceux qui habitaient au-dessous de Thèbes». [9b,33] Oncheste, où siégea longtemps le conseil Amphictyonique, occupe dans l'Haliartie, à proximité du lac Copaïs et de la plaine Ténérique, le haut d'un plateau complètement nu : l'enceinte de son Posidium même ne contient pas un arbre. Mais, comme il faut que les poètes embellissent tout, ils donnent le nom d'alsê (autrement dit de bois sacrés) à tous les temples, quels qu'ils soient, même à ceux dont l'enceinte est le plus dépourvue d'ombrage. C'est ce qu'atteste le passage suivant de Pindare : «Le dieu (il s'agit d'Apollon) s'est élancé, il parcourt en tout sens et la terre et les mers ; enfin, il s'arrête au sommet du Ptoüs, et, embrassant du regard toute la plaine qui s'étend au-dessous de lui, il fait rouler au bas de la montagne d'immenses quartiers de roche ; ce sont les premières assises de son temple», g-krêpidas g-ALSEON. Alcée, du reste, n'est pas plus exact : nous l'avons montré tout à l'heure dénaturant le nom du Cuarius ; actuellement, il méconnaît la vraie position d'Oncheste, en plaçant cette ville à l'extrémité de l'Hélicon, tandis qu'elle se trouve encore passablement éloignée de cette montagne. [9b,34] La plaine Ténérique tire son nom du héros Ténérus, né, suivant la fable, d'Apollon et de Mélia, puis attaché par le dieu en qualité de prophète à l'oracle de Ptoüs. Le même poète, Alcée, prête à cette montagne un triple sommet, il dit : «Naguère du Ptoüs aux trois cimes il occupa les sombres retraites». Et comment désigne-t-il Ténérus ? Il l'appelle : «Le ministre du temple, à la voix prophétique, de qui ce sol sacré a emprunté son nom». Le mont Ptoüs domine toute la plaine Ténérique et la partie du lac Copaïs voisine d'Acraephium. L'Oracle ou Mantéum dépendait, comme la montagne elle-même, du territoire de Thèbes. Quant au bourg d'Acraephium, qui, ainsi qu'Oncheste, est bâti sur une hauteur ; il n'est autre, suivant certains géographes, que le lieu appelé par Homère du nom thessalien d'Arné. [9b,35] Mais, à ce qu'on assure, l'Arné d'Homère aurait péri dès longtemps, engloutie, comme Midée, par les eaux du lac. Zénodote, lui, corrige ici le texte du poète et lit {au lieu d'Arné}, «Ceux qui habitaient Ascra, la ville aux riches vignobles» (Il. II, 507). Or il faut, suivant toute apparence, qu'il n'ait eu connaissance ni de ce qu'Hésiode a dit au sujet de sa patrie, ni du jugement encore plus sévère qu'Eudoxe a porté d'Ascra. Comment supposer, en effet, qu'Homère ait pu faire un riche vignoble d'un lieu pareil ? Ceux-là, du reste, n'ont pas été mieux inspirés qui substituent {dans le vers en question} le nom de Tarné à celui d'Arné, car il n'y a pas dans toute la Béotie une seule localité du nom de Tarné, et c'est à la Lydie qu'appartient l'unique Tarné mentionnée sûrement par Homère (Ibid. V, 43). «Sous les coups d'Idoménée tombe Phaestus, fils de Borus le Méonien venu de la fertile Tarné». Les dernières villes vraiment importantes de la Béotie que nous ayons à ajouter à la liste qui précède sont, parmi celles qui bordent le lac, Alalcomènes et Tilphossium; et, parmi les autres, Choeronée, Lébadée et Leuctres. [9b,36] Alalcomènes, à vrai dire, n'a pas été omise par Homère, mais ce n'est pas dans son Catalogue qu'il la mentionne, c'est plus bas, quand il dit : «Et Junon l'argienne, et Minerve l'alalcoménéïde» (Il. IV, 8). Il y a eu de toute antiquité à Alalcomènes un temple de Minerve, objet d'une vénération profonde de la part des populations. Alalcomènes passe même pour le lieu natal de Minerve (ce que fut Argos, dit-on, pour Junon) et l'on s'explique ainsi la double épithète du poète destinée à rappeler la patrie respective des deux déesses. Peut-être même l'omission des Alalcoméniens dans son Catalogue doit-elle s'expliquer par le même motif, leur caractère sacré les ayant dispensés naturellement de prendre part à l'expédition commune. Il est constant en effet que, sans être ni grande ni d'une forte assiette, puisqu'elle est située dans la plaine, cette ville a échappé en tout temps aux maux de la guerre, protégée apparemment par le respect universel attaché au nom de Minerve : la tradition nous la montre, par exemple, à l'époque de la guerre des Epigones et quand les Thébains abandonnaient leur ville, offrant aux bandes fugitives un asile aussi sûr que les rochers et escarpements du Tilphossius, montagne qu'on voit s'élever au-dessus de la fontaine Tilphossa et du tombeau bâti à Tirésias à la place même, dit-on, où il était tombé dans le tumulte de la déroute. [9b,37] Chaeronée est plus près d'Orchomène : c'est sous les murs de cette ville que Philippe, fils d'Amyntas, remporta sur les Athéniens, les Béotiens et les Corinthiens confédérés la victoire signalée qui le rendit maître de la Grèce. Le monument public, élevé sur le champ de bataille même en l'honneur des combattants morts dans cette journée, subsiste encore. Plus tard, à la même place, les Romains taillèrent en pièces l'armée de Mithridate : une faible partie seulement de cette innombrable armée put, on le sait, gagner la mer et se sauver sur ses vaisseaux, tout le reste fut tué ou pris. [9b,38] Lébadée est le siège du Mantéum ou Oracle de Trophonius. Le sanctuaire se trouve placé au fond d'un gouffre où l'on descend par des degrés, et tout individu voulant consulter l'oracle est tenu d'y descendre. Quant à la ville, elle est située entre l'Hélicon et Choeronée, tout près de Coronée. [9b,39] C'est à Leuctres, on le sait, qu'Epaminondas, dans une bataille mémorable, porta le premier coup à la puissance des Lacédémoniens : de ce jour-là, en effet, les Lacédémoniens furent impuissants à ressaisir la prépondérance militaire ou hégémonie qu'ils exerçaient auparavant sur le reste de la Grèce, d'autant qu'une seconde défaite à Mantinée avait achevé d'épuiser leurs forces. Tout déchus qu'ils étaient, ils surent pourtant conserver leur propre indépendance jusqu'à l'époque de la domination romaine et les Romains eux-mêmes aujourd'hui leur témoignent, eu égard à l'excellence de leur constitution, une estime particulière. - Leuctres était située sur la route qui mène de Platées à Thespies : son emplacement se reconnaît encore. [9b,40] Suit dans le Catalogue d'Homère une énumération des peuples orchoméniens complètement distincte et séparée de celle des Béotiens. La qualification de minyenne donnée par le poète à Orchomène rappelle l'ancienne race des Minyens. On dit qu'une colonie de ces Minyens d'Orchomène serait venue jadis s'établir à Iolcos, et que c'est pour cette raison que les Argonautes sont souvent désignés eux-mêmes sous ce nom de Minyens. Orchomène, du reste, paraît avoir formé dès la plus haute antiquité une cité aussi puissante que riche. Sa richesse déjà nous est attestée par cette circonstance qu'ayant à citer les lieux de la terre réputés les plus opulents, Homère s'écrie : «Ni l'or qui vient s'entasser dans Orchomène, ni celui qui afflue dans la Thèbes égyptienne» (Il. IX, 381). Sa puissance l'est aussi par ce fait que les Thébains furent longtemps les tributaires des Orchoméniens et de leur tyran Erginus, lequel tomba enfin sous le bras vengeur d'Hercule. Mais ce qui prouve hautement qu'Orchomène réunissait les deux choses, la richesse et la puissance, c'est que le premier temple élevé aux Grâces le fut par Etéocle, un de ses rois. Parvenu au comble de la prospérité, Etéocle avait eu à coeur, apparemment, de remercier ces déesses ou du bien qu'elles lui avaient fait, ou du bien qu'elles l'avaient mis à même de faire, ou de ces deux faveurs à la fois. On assure que l'emplacement actuel du Copaïs formait naguère un terrain parfaitement sec, dont les Orchoméniens, en leur qualité de proches voisins, avaient pris possession, et qui par leurs soins s'était couvert de toute espèce de cultures ; et naturellement cette tradition est invoquée comme une preuve de plus de l'antique opulence d'Orchomène. [9b,41] Asplédon (ou, comme on disait aussi, Splédon, par le retranchement de la première syllabe) a pris plus tard, ainsi que le pays environnant, le nom d'Eudiélos, à cause sans doute de quelque avantage exceptionnel (celui de n'avoir que des hivers tempérés, par exemple) dû à son exposition au plein couchant. L'emplacement d'Asplédon est distant de 20 stades de celui d'Orchomène. Le fleuve Mélas coule entre les deux. [9b,42] Immédiatement au-dessus du territoire d'Orchomène, on rencontre la ville de Panopée, d'origine phocidienne, et celle d'Hyampolis, limitrophes toutes deux d'Oponte, chef-lieu de la Locride Opontienne. Primitivement, à ce qu'on assure, Orchomène était bâtie dans la plaine ; mais, les eaux gagnant toujours, elle aurait été reportée vers le mont Acontius, lequel s'étend l'espace de 60 stades jusqu'à Parapotamie en Phocide. L'histoire fait descendre les Achaeens du Pont d'une bande d'Orchoméniens, longtemps errante sous la conduite d'Ialménus après la prise de Troie, et qui se serait enfin fixée dans ce pays lointain. L'histoire mentionne aussi une autre ville du nom d'Orchomène, située dans le voisinage de Caryste. - Les différents commentateurs du Catalogue d'Homère sont remplis d'indications utiles, et que nous n'avons garde de négliger quand elles se rapportent, comme celles-ci, directement à notre sujet.