[51] Examinons d'abord quel est le sentiment de Saint Ambroise sur ce sujet : voici ce qu'il en dit dans le premier livre des Sacrements : "C’est véritablement une merveille, que Dieu ait fait pleuvoir la manne à nos pères, et qu'ils aient été nourris de cet aliment céleste, et c'est pourquoi il est dit dans les psaumes, "Que l'homme a mangé le pain des Anges". Cependant ceux qui ont mangé ce pain, sont tous morts dans le désert. Mais cette viande, que vous prenez, ce pain vivant qui est descendu du ciel, nous donne la substance de la vie éternelle et quiconque en mangera, sera exempt de la mort pendant toute l'éternité, parce que c'est le corps de Jésus-Christ." [52] Considérez comment ce docteur dit, que le corps de Jésus-Christ est un aliment que les fidèIes reçoivent dans l'église. Car il dit "Que ce pain vivant qui est descendu du ciel, nous donne la substance de la vie éternelle." Est- ce que cela s'entend selon ce qui paraît à nos yeux, qui est reçu corporellement, qui est broyé avec les dents, qui passe dans le gosier et descend dans le ventre? Est-ce à cet égard, que ce pain vivant nous donne la substance de la vie éternelle ? Il est certain qu'étant ainsi considéré, il nourrit notre chair qui doit mourir un jour, il ne lui communique aucune qualité qui l'empêche de se corrompre ; et on ne peut pas- dire de ce pain que "Quiconque en mangera, sera préservé de la mort dans toute l'éternité" (Jean VI, 52). Car ce Corps visible et sensible que l'on reçoit, est sujet à corruption, et ne peut jamais communiquer l'immortalité à nostre corps ? parce qu'il est impossible, que ce qui est corruptible, nous procure l'éternité. Concluons donc qu'il y a dans ce pain une vie qui ne paraît pas aux yeux du corps et que l'on n'aperçoit que ceux de la foi ; et qui est ce pain vivant, qui est descendu du ciel, dont il est véritablement dit dans l'évangile, que "Quiconque en mangera, ne mourra point pendant toute 1'éternité, parce que c'est le corps de Jésus-Christ. [53] LIII. Le même père parlant dans la suite de la toute puissance de Jésus-Christ, ajoute sur ce-sujet : "Est-ce donc que la parole de Jésus-Christ, qui a pu de rien faire. ce qui n'était pas, ne peut pas changer les choses qui sont, en ce qu'elles n'étaient pas ? N'est-il-pas plus difficile et ne faut-il pas être plus puissant pour faire quelque chose de rien, que pour changer les natures, c'est-à-dire, les substances des choses?" [54] LIV. Saint Ambroise dit que dans ce mystère du sang et du corps de Jésus-Christ le changement qui se fait d'une chose en une autre, esi admirable, parce qu'il est divin et qu'il est ineffable, parce qu'il est incompréhensible. Je voudrais que ceux, qui soutiennent qu'il n'y a point dans l'intérieur de ce mystère de vertu cachée mais que tout y est tel qu'il paraît aux yeux, nous disent en quoi et comment ce changement se fait. Car si nous considérons les créatures visibles selon qu'elles se comportent, elles demeurent après la consécration ce qu'elles ont été auparavant. Elles ont été du pain et du vin auparavant et depuis il semble qu'elles demeurent dans la même espèce, Il faut donc conclure que la foi voit ce qui est changé au-dedans par la vertu puissante du saint esprit et que c'est ce qui nourrit notre âme et qui lui donne la substance de la vie éternelle. [55] LV. Le même père dit encore dans la suite: "Pourquoi cherchez-vous l'ordre de la nature dans le corps de Jésus-Christ puisque ce n'est pas selon l'ordre de la nature que le seigneur Jésus-Christ est né d'une, Vierge ?" [56] LVI. Ceux qui ne sont pas de notre sentiment, s'élèvent iciet soutiennent que c'est le corps de Jésus-Christ que l'on voit et son sang que l'on boit par le ministère des sens et qu'il ne faut point s'enquérir comment cela se fait mais qu'il faut croire que cela se fait ainsi. Il semble assurément que ce sentiment soit fort raisonnable. Car si nous considérons exactement la force des paroles de l'évangile, nous devons croire sans aucun doute, que c'est le corps et le sang de Jésus-Christ qui dans sont donnés. Mais si vous faisiez un peu de réflexion, sur ce que l'on ne voit point des yeux, ce que l'on croit simplement par la foi et que si vous voyiez le corps et le sang de Jésus-Christ, ous diriez effectivement, "Je le vois et non pas, Je le c:ois", au lieu qu'il n'y a que la foi qui voit tout ce qu'il y a dans ce mystère et que les yeux du corps n'en aperçoivent rien : vous sauriez assurément que les choses qui y tombent sous les sens, ne sont pas le corps et le sang de Jésus-Christ dans leur espèce ou apparence visible mais qu'ils y sont par la vertu du verbe. C'est pourquoi Saint Ambroise dit, qu'il ne faut pas regarder l'ordre de la nature dans ce mystère mais qu'il faut adorer la puissance de Jésus-Christ, qui fait ce qu'il lui plaît de ce qu'il lui plaît et de quelle manière il lui plaît ; qui crée et tire du néant ce qui n'était rien et change les choses après les avoir produites en d'autres choses qu'elles n'étaient auparavant. Le même père ajoute que c'est la vraie chair du seigneur, qui a été crucifiée et ensevelie ? et par conséquent que c'est véritablement le sacrement de la chair ainsi que le seigneur Jésus le publie lui-même par ces paroles-: ceci est mon corps. - [57] LVII. Mais considérez, je vous prie, avec combien de prudence et de sagesse Saint Ambroise établit cette distinction. Il dit que, la chair qui a été crucifiée et ensevelie, et selon laquelle, c'est-à-dire, dans l'apparence sensible de laquelle Jésus-Christ a été crucifié et enseveli : C'est la vraie chair de Jésus-Christ. Mais de celle qu'on reçoit dans le sacrement, il dit : C'est donc véritablement le sacrement de cette chair, distinguant le sacrement de la chair de la vérité sensible de la chair, comme voulant nous dire, que c'est selon cette vérité sensible de la chair que Jésus-Christ a été crucifié et enseveli et que le mystère qui se fait dans l'église est le sacrement de cette véritable chair et sensible, en laquelle il a été crucifié, enseignant par là manifestement aux fidèles que cette chair sensible, en laquelle et selon laquelle Jésus-Christ a été crucifié et enseveli, n'est point un mystère mais la vérité de la nature avec toutes ses dimensions, au lieu que cette chair qui en contient l'image dans le mystère, n'est pas de la chair selon l'apparence, et selon ce qui tombe sous les sens mais dans le sacrement, puisque selon les apparences sensibles ce que l'on voit est du pain, et que dans le - sacrement c'est le véritable corps de Jésus-Christ, comme il le publie lui-même par ces paroles : ceci est mon corps. [58] LVIII. Le même père ajoute dans la suite que le saint esprit nous marque ailleurs par le prophète ce que c'est que nous mangeons et que nous buvons par ces paroles : "Goûtez et voyez combien le seigneur est doux : heureux l'homme qui espère en lui (Psaumes, XXXIII, 9)". Peut-on dire que ce pain et ce vin, en tant qu'ils sont pris d'une manière sensible et corporelle, nous fassent connaître combien le seigneur est doux ? Tout ce qui-touche le goût est quelque chose de corporel et de sensible et plaît à la bouche. Or est-ce goûter le seigneur que de sentir quelque chose de corporel? Il faut donc conclure que c'est le goût spirituel que le prophète réveille en nous et qu'il ne faut pas entendre d'une manière sensible et corporelle mais spirituelle et insensible tout ce qui nous est donné dans ce breuvage et dans ce pain parce que le seigneur est esprit et qu'heureux est l'homme qui espère en lui. [59] LIX. Le même père {Saint Ambroise, Des mystères, IX, 58} dit dans la suite : Jésus-Christ est dans ce sacrement, parce que c'est le corps de Jésus-Christ : donc ce n'est pas une nourriture corporelle mais spirituelle. Qu'y a-t-il de plus clair, de plus net et de plus divin, que ces paroles ? Car il dit que Jésus-Christ est dans ce sacrement. Et il ne dit pas, que ce pain et ce vin est Jésus-Christ. S'il parlait ainsi, il nous annoncerait, (ce qu'a Dieu ne plaise) que Jésus-Christ est sujet à la corruption et à la mort parce qu'on ne peut pas révoquer en doute que tout ce tombe sous les sens et que l'on reçoit d'une manière corporelle et sensible dans cette nourriture ne soit sujet à-la corruption. [60] LX. Il ajoute : Parce que c'est le corps de Jésus-Christ. Sur quoi on s'élève et on nous dit qu'il avoue clairement que ce pain et ce breuvage sont le corps de Jésus-Christ. Mais il faut prendre garde comment il parle et comment cela s'entend. Car il ajoute : Ce n'est donc pas une nourriture corporelle mais spirituelle. Comme s'il nous disait : Ne prétendez pas la connaître par le ministère des sens corporels et de la chair, car il ne se fait rien en ce mystère qui soit de leur ressort. C'est à la vérité le corps de Jésus-Christ mais non pas corporel, c'est-à-dire, d'une manière corporelle et sensible mais spirituel, c'est-à-dire, d'une manière spirituelle et insensible ; c'est le sang de Jésus-Christ non pas corporel et sensible mais spirituel et hors de la sphère des sens. Il n'y a donc rien à entendre en ceci d'une manière corporelle mais d'une qui est toute spirituelle: c'est le corps de Jésus-Christ mais non pas corporellement, c'est- à-dire, en état d'être coupé par morceaux et broyé avec les dents; je dis la même chose du sang. .