[21] XXI. Et quoique ce baptême n'ait pas eu la forme de celui de Jésus-Christ, qui se pratique aujourd'hui dans l'église, i1 n'y a point d'homme de bon sens qui ose nier que ce n'ait été un baptême, dans lequel nos pères ont été baptisés ; et que ce n'est que par extravagance on veuille contredire les paroles de l'Apôtre. Et c'est pourquoi nous en devons conclure que la mer et la nuée ne leur ont pas communiqué la pureté et la sanctification, mais qu'elles étaient des corps qui tombent sous les sens ; mais en tant qu'elles contenaient indiciblement la sanctification du saint esprit. Car cette mer et cette nuée avaient une forme visible qui frappait les sens et qui n'y était pas en simple représentation, mais dans la vérité, et au dedans elles avaient une puissance spirituelle, qui paraissait avec éclat et qui frappait les yeux de l'esprit, et non ceux du corps. [22] XXII. Semblablement la manne qui fut donnée du ciel au peuple de Dieu et l'eau, qui sortait de la pierre du désert, étaient des corps sensibles, qui servaient de nourriture et de boisson corporelle au peuple: cependant l'Apôtre appelle cette manne une nourriture spirituelle et cette eau un breuvage spirituel. Il n'y en a pas d'autre raison que parce qu'il y avait une puissance spirituelle du verbe attachée à ces substances corporelles, qui nourrissait et abreuvait les esprits des fidèles plutôt que les corps. Et comme cette nourriture ou ce breuvage montraient et représentaient le mystère du corps et du sang de Jésus-Christ à venir, que l'église célèbre, saint Paul assure que nos pères ont mangé cette même viande spirituelle et ont bu ce même breuvage spirituel. [23] XXIII. Vous me demandez peut-être qu'elle est cette même viande ? Et je vous réponds, que c'est la même que le peuple des croyants mange aujourd'hui dans l'église et le même breuvage qu'il boit. Car il n'est pas permis d'entendre cela autrement et d'y mettre de la différence parce que c'est le même Jésus-Christ qui a nourri de sa chair et abreuvé de son sang en ce temps-là le peuple dans le désert, baptisé dans la nuée et dans la mer, qui en celui-ci nourrit dans l'église le peuple ces croyants du pain de son corps et l'abreuve de son sang. [24] XXIV. C'est ce que l'apôtre veut nous faire entendre lorsqu'aprés avoir dit que nos pères ont mangé la même viande spirituelle et bu le même breuvage spirituel, il a ajouté ensuite : "Or ils burent de la pierre spirituelle et cette pierre était Jésus-Christ" (I Cor. X, 4). Pour nous apprendre que le Jésus-Christ qui avait été la pierre spirituelle et avait donné son sang à boire au peuple, est celui qui à la suite du temps et dans nos jours, fit paraître son corps, pris d'une Vierge et attaché à la croix pour le salut des hommes, et en a répandu des torrents de sang non seulement pour nous racheter mais pour nous abreuver. [25] XXV. Cela est admirable, parce qu'incompréhensible et d'un prix inestimable. Jésus-Christ, n'avait pas encore pris la nature humaine, et il n'était pas mort pour le salut du monde, il nous avait pas encore racheté de son sang et avant tout cela nos pères dans le désert, par une viande spirituelle et un breuvage spirituel, mangeaient sa chair et buvaient son sang, comme le témoigne l'apôtre, en nous disant de toute sa force, que "nos pères ont mangé la viande spirituelle et ont bu le même breuvage spirituel". Il ne faut point ici chercher le moyen dont cela s'est pu faire mais il faut croire ce qui s'est fait. Car celui qui en ce temps-ci change par sa toute puissance dans l'église, d'une manière invisible, le pain en son corps et le vin en son propre sang, est le même qui en ce temps-là a fait invisiblement de la manne descendue du ciel son corps et de l'eau qui a coulé de la pierre, son propre sang. [26] XXVI. C'est en ce sens que David, inspiré par le saint esprit, a dit : "L'homme a mangé le pain des anges" (Psal. LXXVII, 25) . Car il serait ridicule de s'imaginer que la manne corporelle, qui a été donnée à nos pères, servit de nourriture aux anges et que ceux, qui sont a la table du verbe divin, fussent nourris d'un aliment de cette sorte. Mais le psalmiste, ou plutôt le saint esprit, qui parle par la bouche du psalmiste, nous enseigne, et nous fait connaître par là, ce que nos pères ont reçu dans la manne, ou ce que les fidèles doivent croire dans le mystère du corps de Jésus-Christ. Jésus-Christ nous est marqué dans l'un. et dans l'autre et cette manducation des anges et des âmes des fidèles, ne se fait pas d'une manière corporelle qui touche- le sens du goût , comme il arrive en mangeant des viandes ordinaires, par exemple de la chair de quelque animal mais elle le fait par la vertu du verbe divin, qui est tout esprit. [27] XXVII. L'évangile nous apprend que notre seigneur Jésus-Christ, avant que de souffrir la mort, ayant pris du pain , il rendit grâces et le donna à ses disciples en difant : Ceci est mon corps qui est donné pour vous : faites ceci en mémoire de moi ; qu'il prit de même le calice après souper en disant ; Ce calice est la nouvelle alliance en mon sang, qui sera répandu pour vous (Matth. XXVI, 26, 27; Luc. XXII, 19, 20). Et nous voyons par ces paroles que Jésus-Christ, n'ayant pas encore souffert , il ne laissa pas de faire le mystère de son corps et de son sang. [28] XXVIII. Car nous ne croyons pas qu'aucun des fidèles doute que ce pain n'ait été fait le corps de Jésus-Christ, dont il dit, en le donnant à ses disciples, ceci- est mon corps, qui est donné pour vous, et que ce calice n'ait contenu le sang de- Jésus-Christ, dont il leur dit : "Ce calice est la nouvelle alliance de mon sang, qui sera répandu pour vous" (Luc, XXII, 20}. C’est pourquoi, comme un peu avant que de souffrir, il eut la puissance de changer la substance du pain en son propre corps, qui devait souffrir, et le vin en son sang, qui dans la suite devait être répandu, il a pu de même convertir la manne du désert en sa chair et l'eau de la pierre en son sang, quoique sa chair dût être attachée pour nous à la croix longtemps après et son sang répandu pour la rémission de nos péchés. [29] XXIX. Nous devons encore considérer de quelle manière il faut entendre ce qu'il dit en un autre endroit : "si vous ne mangez pas la chair du fils de l'homme et ne buvez pas son sang, vous n'aurez point la vie en vous" (Jean VI, 54). Car il ne dit pas qu'il faut couper par morceaux la chair qui a été attachée à la croix, qui doit être mangée par ses disciples ou que le sang qu'il devait répandre pour la rédemption du monde, leur dut être donné à boire. Car ce serait un grand crime, si son sang était bu et sa chair mangée de la manière que concevaient en ce temps-1à ceux qui ne croyaient pas en lui. [30] XXX. C'est pourquoi dans la suite il dit à ses disciples qui recevaient sa parole, non comme les infidèles, mais avec foi, quoiqu'ils ne pénétrassent pas encore le sens qu'elle avait: "Cela vous scandalise-t-il ? Si donc vous voyez le fils de l'homme monter où il était auparavant"? (Jean VI, 62, 63.) Qui est la même chose que s'il leur eût dit: "Ne vous imaginez pas que je vous donne ma chair à manger et mon sang à boire d'une manière corporelle, en les divisant par morceaux et par parties, parce qu'après ma résurrection, vous me verrez monter dans les cieux avec mon corps tout entiers et avec la plénitude de mon sang. Vous connaîtrez pour lors que ma chair doit être mangée par ceux qui croient non pas, comme les infidèles se le persuadent, en la déchirant par morceaux mais que véritablement par mystère, le pain et le vin étant convertis en la substance de mon corps, seront pris par ceux qui croiront en moi.