[CLXI] D'un Vénitien stupide qui fui roulé par un charlatan. Il nous conta encore une autre histoire qui nous fit beaucoup rire. Il était venu à Venise un charlatan ambulant, nous dit-il, qui avait fait peindre sur son enseigne un Priape divisé par plusieurs cercles. Un quidam de Venise s'étant approché, demanda ce que signifiaient ces cercles. Le charlatan, en manière de rire, lui dit que son Priape était fait de telle nature, que si avec une femme, on n'employait que la première partie, il engendrait des marchands; avec la seconde des soldats; avec la troisième des généraux; enfin avec la quatrième des Papes ; le prix variant selon la qualité des personnages demandés. Notre idiot le crut; après en avoir parlé à sa femme, il manda le charlatan dans sa maison et fit marché avec lui pour qu'il lui procréa un fils militaire. Lorsque celui-ci se fut, avec la femme, mis à la besogne, le mari, feignant de se retirer, se cacha sous les draperies du lit, puis quand il les vit bien en train de confectionner le militaire sur commande, il donna une vigoureuse poussée dans le derrière de l'homme pour bénéficier de la quatrième portée. — « Par les saints Evangiles de Dieu, celui-là sera pape! » s'écria-t-il, croyant avoir joué un bon tour au charlatan. [CLXII] Un cheval récalcitrant. Certain Vénitien, monté sur un cheval de louage, s'était mis en route pour Trévise; un domestique le suivait à pied. Chemin faisant, l'animal ayant lancé une ruade, le valet fut atteint à la jambe. Emporté par la douleur, ce dernier ramassa une pierre, et, à titre de vengeance, la jeta sur le cheval, mais contre sa volonté, elle vint frapper son maître au bas des reins. Ce niais crut que le coup venait de sa bête, et comme son valet marchait avec peine, par suite de sa blessure, il se mit à le taquiner : — « Je ne puis aller plus vite, répondit le serviteur, car votre cheval, en ruant, m'a fait grand mal. » — « Ne fais pas attention, répliqua le maître, cet animal est très vicieux; il vient à l'instant de m'envoyer un grand coup de pied dans le dos. » [CLXIII] Le renard et le paysan. Certain renard que poursuivaient des chiens de chasse, se réfugia près d'un paysan qui battait du blé sur son aire, implorant protection contre ceux qui allaient l'atteindre, et promettant, en retour, de ne jamais faire de victimes parmi les poules de celui qui le sauvait. Le paysan accepta ces conditions et prenant de la paille avec sa fourche, il couvrit l'animal affolé. Peu après, un chasseur arriva, puis un second, suivant la piste, ils demandèrent au villageois s'il n'avait pas aperçu un renard qui fuyait et quelle direction il avait pris? Notre homme répondit très haut, qu'il s'était échappé de tel coté, mais en même temps, par ses mouvements de tête et par la direction de son regard, il indiquait la cachette ou était blotti le fugitif. Les chasseurs, ajoutant foi de préférence aux paroles qu'aux gestes, continuèrent leur route. Alors le paysan, délivrant le renard, lui dit : — « Sois fidèle à tenir tes promesses, mes paroles t'ont sauvé, on m'a cru lorsque j'ai prétendu que tu n'étais pas là. » Mais le renard, qui l'avait échappé belle et qui avait suivi entre les interstices des brins de paille, la pantomime du paysan, s'empressa de riposter: — « Certes, tes paroles ont été bonnes, mais tes gestes mauvais. » Ceci est à l'adresse des gens qui disent d'une manière et agissent d'une autre. [CLXIV] Bonne foi d'un acheteur. Un habitant de Florence, que je connais, fut obligé d'acheter un cheval à Rome. S'étant abouché avec un maquignon, celui-ci fixa le prix à vingt-cinq ducats d'or, somme beaucoup trop élevée eu égard à la valeur de l'animal. L'acquéreur offrit de donner comptant quinze ducats et de rester débiteur des autres. Le marchand accepta. Mais le lendemain, il vint demander le reliquat; ce à quoi le Florentin se refusa absolument en disant : — « Souviens-toi bien de nos conventions, n'a-t-il pas été entendu que je resterais ton débiteur; or, si je te solde, je ne le serai plus. » - [CLXV] Bouffonnerie de Gonnella. Gonnella, bouffon autrefois très renommé, promit, moyennant quelques écus, de faire d'un certain Florentin un devin, perpective très flatteuse pour ce dernier. Le bateleur l'ayant donc fait mettre au lit avec lui, lâcha tout doucement une grosse vesse, recommandant à son compagnon de mettre sa tête sous les draps. Aussitôt dit, aussitôt fait, mais suffoqué par la mauvaise odeur, le futur devin retire promptement la tète. « — Je vois bien que tu as pété, » dit-il. — Et Gonnella de répondre : — « C'est exact, verse donc tes ducats, tu as deviné juste. » [CLXVI] Autre plaisanterie de Gonnella. Un quidam possédant la même envie d'être transformé en devin, fit part de son désir à Gonnella- — « Je le veux bien répondit le bouffon, une seule pilule suffira pour cela. » Ayant donc confectionné avec des excréments une petite boulette, il la mit dans la bouche de l'imbécile. Notre homme écœuré par la puanteur a aussitôt des nausées : — « Mais c'est de la merde que tu m'as donné » s'écrie-t-il. — « Assurément, reprit Gonnella, tu as deviné. » Là-dessus, il empoche la somme promise. [CLXVII] Prodiges racontés au pape Eugène. Au mois d'octobre de la présente année, le pape Eugène étant revenu à Florence, on entendit parler de certains faits prodigieux paraissant tellement authentiques, qu'il faudrait être fou pour les nier. Ils étaient racontés dans une lettre venue de Côme et affirmés par des gens considérables qui les tenaient de témoins oculaires. Dans un lieu situé à cinq milles de Côme environ, on aurait vu, vers le crépuscule, à la vingtième heure, une multitude de chiens, à peu près quatre mille, paraissant de couleur rousse et se dirigeant vers l'Allemagne. Cette troupe, formant comme un premier corps de bataille, était suivie d'une innombrable quantité de bœufs et de moutons ; des cavaliers, des fantassins divisés en escadrons et en compagnies venaient ensuite. Un grand nombre portaient des armures ; ils formaient une véritable armée ; les uns avaient la tète à peine esquissée, les autres en manquaient. Un géant, monté sur un haut palefroi, dirigeait à l'arrière-garde, une immense quantité de bêtes de somme d'espèces variées. L'interminable défilé continua pendant trois heures, on le vit dans différentes localités. Il existe, de ce fait, de nombreux témoins, hommes et femmes qui s'approchèrent de très près, afin de mieux se rendre compte du prodige. La nuit venue, cet étrange spectacle s'évanouit et il n'en resta plus trace. [CLXVIII] Autres faits prodigieux. Peu après, on apprit de Rome des faits extraordinaires et qu'on ne peut révoquer en doute, puisqu'il en reste encore des traces. Le 20 septembre, une rafale de vent s'étant déchainée sur les murs du château abandonné de Borgeto, situé à six milles de la ville, les ruines s'écroulèrent, ainsi qu'une église très ancienne qui se trouvait tout près. Les pierres étaient répandues de telle sorte, qu'elles semblaient avoir été dispersées par la main des hommes. Une hôtellerie, où étaient descendus des voyageurs de toutes classes et dans laquelle beaucoup de gens s'étaient réfugiés, eut son toit soulevé par la tempête et emporté à peu de distance sur la route. Personne ne fut blessé. La tour de l'église Sainte-Rufine, à dix milles de Rome, sur l'autre rive du Tibre, à Casai, près de la mer, fut arrachée de ses fondements et s'effondra sur le sol. On était encore sous le coup de ces événements et on en cherchait la cause, lorsque deux bouviers de Casai, laissant leur travail, vinrent à Rome, poussés par l'étrangeté des faits. Ils racontèrent qu'ils avaient souvent vu se promener dans les bois d'alentour un cardinal, surnommé le Patriarche, mort récemment, des suites d'une blessure, au môle d'Adrien. Il était recouvert d'un vêtement de lin, suivant l'usage adopté pour les cardinaux, sa tête était coiffée de la barrette, comme de son vivant ; il semblait triste, se lamentait et gémissait. Au moment où se déchaîna ce violent ouragan, ils le virent dans les airs, au milieu du tourbillon, étreindre la tour dans ses bras et la précipiter à terre de toutes ses forces. De plus, des chênes, des yeuses d'une grosseur extraordinaire furent complètemeut arrachés et projetés au loin. De prime abord, on n'ajouta pas foi à ces récits, mais de nombreuses personnes survinrent, qui en affirmèrent l'authenticité. [CLXIX] A propos d'un notaire malhonnête de Florence. Un notaire de Florence, auquel sa charge rapportait peu, chercha une supercherie pour se procurer de l'argent. Avisant un jeune homme, il lui demanda si on lui avait remis les cinq cents florins prêtés par son père décédé, à une personne morte également. Le jeune homme, qui ne connaissait nullement l'affaire, répondit que cette créance n'était pas inscrite dans les livres de son père. Le notaire prétendit alors qu'elle résultait d'un contrat passé par lui, et engagea le jeune homme à lever, à beaux deniers comptants, une expédition de l'acte afin de faire valoir son droit devant le Podestat. Cité à comparaître, le fils du prétendu débiteur nia cette dette, affirmant que son père n'avait jamais rien emprunté à personne, aucune trace d'une dette de ce genre ne figurant sur ses livres, mention qui eut dû exister suivant les habitudes des commerçants. De suite, le défendeur alla trouver le notaire, l'accusant d'avoir rédigé un acte faux relatif à une convention qui n'avait jamais existé. — « Mon enfant, répondit le notaire, vous ignorez à quelle date remontent les faits. Vous n'étiez pas né lorsque votre père emprunta cet argent, mais peu après il le rendit ; j'ai moi-même libellé la quittance, » Moyennant finance, le jeune homme retira l'acte et évita un procès. Par sa rouerie, le notaire empocha ainsi des deux côtés. [CLXX] D'un moine qui bouta a travers une planche percée. Il y a dans le Picentin, une ville qu'on appelle Jesi : dans cette ville, un moine nommé Lupo aimait une jeune pucelle et la poursuivait de ses ardentes sollicitations, tant et si bien qu'elle finit par céder. Mais, craignant qu'il lui fit trop de mal, elle hésitait cependant encore. Le moine lui dit qu'il mettrait entre eux deux une planche percée d'un trou, comme ces meurtrières par où on lance le trait. En conséquence, il se procura une planchette de sapin fort mince percée d'un trou au milieu, puis vint à la dérobée trouver la jeune fille. Sétant déshabillé, il s'apprêtait à un délicieux régal; mais le frère Priape qui sommeillait encore, ne tarda pas à se réveiller sous la douce effluve de la jeune fille. Boutant le nez à travers le trou de la planche, frère Priape se redressa, fit le beau tant et si bien qu'il se trouva comme étranglé dans l'étroite ouverture, où il ne pouvait ni avancer, ni reculer sans de vives douleurs. La jouissance espérée se changeait en supplice, et la souffrance arrachait au moine des gémissements et des cris de douleur. La jeune fille, le voyant ainsi, l'embrassait et cherchait tous les moyens de le soulager, mais elle n'arrivait au contraire, qu'à augmenter et à accroître sa gène. Le malheureux souffrait comme un crucifié, demandant de l'eau fraîche, espérant par ce moyen se dérider. La jeune fille, qui redoutait les gens de la maison, n'osait pas en aller demander; cependant, émue par les cris et les souffrances, elle s'y décida enfin et put donner une douche abondante au frère Priape, ce lui fit disparaître la congestion et le remit peu à peu dans son état normal. Le moine, entendant du bruit dans la maison et ne se souciant pas d'être surpris, retira la tète de frère Priape du trou de la planche, non sans lui faire mainte écorchure. Rentré au couvent, il fut obligé de se faire soigner par un médecin et naturellement l'aventure s'ébruita. Si chacun payait aussi cher ses vices, bien des gens seraient infiniment plus continents. [CLXXI] Horrible histoire d'un jeune garçon anthropophage. Je raconterai, parmi mes menus propos, un fait horrible, abominable, inouï jusqu'à l'heure actuelle et qui m'a paru invraisemblable jusqu'à ce qu'une lettre d'un des secrétaires du Roi ne m'eut affirmé son exactitude. Voici en quels termes à peu près. Près du bourg de Somma situé au milieu des montagnes, à dix milles de Naples, des actes monstrueux ont eu lieu. Un enfant Lombard, d'environ treize ans, a été arrêté et conduit devant le Podestat. Il était accusé d'avoir dévoré deux enfants de trois ans. Après les avoir attirés par ses caresses dans une caverne, il les pendit, puis les coupant en morceaux, mangea de suite une partie des chairs palpitantes et fit cuire le reste. Il avoua avoir ainsi fait servir à d'horribles repas, d'autres victimes, car, assura-t-il, nul mets n'était plus savoureux, et il espérait recommencer lorsque la chose lui serait possible. Etait-on en présence d'un fou ? Les réponses, pleines de sagacité qu'il fit sur tous les points, prouvèrent plus encore sa férocité que son insanité. [CLXXII] D'un chevalier florentin qui, feignant de sortir, se cacha secrètement dans la chambre de sa femme. Un chevalier florentin podagre, que pour son honneur je ne nommerai pas, avait une femme qui faisait de l'œil à l'intendant de sa maison. Le mari, s'en étant aperçu, fit, un jour de fête, semblant de sortir, mais s'alla cacher secrètement dans la chambre de sa femme. Celle-ci, croyant que son mari était bien loin, appela l'intendant à la dérobée. — «Je veux, dit-elle après quelques premiers compliments, que nous jouions ensemble à quelque jeu.» Ce à quoi il accéda. — « Faisons semblant de faire la guerre, dit la femme, nous ferons la paix ensuite. » I/homme demanda de quelle façon. — « Luttons un peu, répondit-elle, et quand tu m'auras renversée à terre, tu lanceras ton dard dans ma blessure d'amour, et nous ferons ensuite la paix avec des baisers mutuels.» Cela plut beaucoup à l'homme qui avait souvent entendu louer la paix par tout le monde, surtout quand une paix si délectable était promise. Lorsqu'ils furent à terre, prêts à cimenter la paix, le mari, sortant de sa cachette, s'écria : — « J'ai fait plus de cent fois la paix, depuis que je suis au monde, mais je ne veux pas que celle-ci se fasse à ma façon. » A ces mots, les deux amants se sauvèrent sans avoir signé la paix. [CLXXIII] D'un chaste qui n'était que paillard. Un de nos concitoyens, qui voulait se faire passer pour chaste et dévot, fut un jour surpris par un de ses amis en conversation déshonnête. Celui-ci lui fit des reproches très durs, de ce que, prêchant la chasteté, il se laissait aller au péché. — « Oh ! oh ! fît le cafard, ce n'est point la luxure qui me pousse, ainsi que tu pourrais le penser, mais pour abaisser, humilier cette misérable chair, et pour me décharger les reins par la même occasion. » Ce sont bien là les pires hypocrites qui ne se privent de rien, mettant leurs appétits et leur scélératesse sous un couvert d'honnêteté. [CLXXIV] Même sujet. Un ermite qui habitait Pise, du temps de Pietro Gambacorta, introduisit un soir dans sa cellule, une fille de joie avec laquelle il besoigna, la nuit même, une vingtaine de fois, et sans cesse en frétillant des fesses, comme pour échapper au crime de luxure, il répétait ces mots que disent les gens du peuple : "Domati, carne catiuella" c'est-à-dire : "Mortifie-toi donc, misérable chair!" La fille de joie ayant raconté la chose, le moine fut chassé de la ville. [CLXXV] D'un pauvre homme qui gagnait sa vie avec sa barque. Un pauvre homme gragnait sa vie en transportant les voyageurs dans son bateau d'une rive à l'autre d'un fleuve. Un jour, que personne ne s'était fait passer et qu'il s'en retournait tristement chez lui, quelqu'un apparut au loin, qui le hélait. Le passeur revint sur ses pas dans l'espoir d'un peu de gain. Mais lorsqu'il réclama son salaire, l'individu lui déclara qu'il n'avait point le sou, lui offrant, en compensation, de le payer d'un bon conseil. — « Ce n'est pas avec de bons conseils que je nourrirai ma famille qui meurt de faim, » observa le batelier. — Je ne puis te donner autre chose » répondit le voyageur. Le pauvre homme, fort en colère, demanda quel était ce bon conseil. — « Voici, dit l'étranger : Ne passe jamais personne sans t'être fait payer d'avance, et ne dis jamais à ta femme qu'il y en a d'autres qui sont peut-être mieux montés que toi. Là-dessus, le batelier étant rentré tout triste, sa femme lui demanda de quoi acheter du pain. A cela il répondit qu'au lieu d'argent on lui avait donné de bons conseils, et il raconta l'histoire en détail, même les bons conseils qu'on lui avait donnés. Lorsqu'il parla de la chose intéressante, la femme tendit l'oreille. — « Eh quoi, mon ami, fit-elle, tous les hommes ne sont donc pas égaux? — Bah ! il y a entre eux de grandes différences, répliqua le mari. Tiens, par exemple notre curé nous dépasse tous de moitié. » Et ce disant, pour mieux donner une idée de la mesure, il étendit l'avant-bras. Aussitôt, la femme s'étant rendue chez le prêtre, ne voulut pas sortir avant d'avoir vérifié par elle-même si son mari avait dit vrai. Ainsi donc, la sagesse était tournée en imbécillité et le batelier appritqu'il ne faut jamais parler de ce qui peut nous porter préjudice. [CLXXVI] Sottise d'un Milanais qui avait écrit sa confession. Certain Milanais, soit par sottise, soit par hypocrisie, soit qu'il redoutât quelque écart de mémoire, écrivit ses fautes longuement détaillées sur une immense feuille. S'étant ensuite rendu, pour se confesser, chez Antonio de Rauda, Milanais, de l'Ordre des Frères Mineurs, homme très instruit et directeur expérimenté ; il lui présenta son manuscrit en le priant de le lire. — « C'est ma confession », dit-il. Le père, homme avisé et prudent, comprenant de suite que cette lecture lui demanderait beaucoup de temps, et sachant, de plus, qu'il avait affaire à un individu niais et bavard, se contenta de faire quelques questions au pénitent : — « Je te donne l'absolution de tous les péchés que tu as inscrits sur cette pancarte » ajouta-t-il. Notre homme s'informant alors de la pénitence qui lui était infligée : — « Pendant tout ce mois, répondit le religieux, tu liras sept fois par jour ce que tu as écrit». Le Milanais eut beau crier à l'impossibilité, le confesseur ne céda pas. [CLXXVII] Jactance d'un individu confondue par son compagnon. Un individu, d'une santé chancelante et loin d'être favorisé des dons de la fortune, faisait sa cour. Invité à diner, un soir d'été, par les parents de sa fiancée, il vint accompagné d'un ami auquel il avait donné pour consigne de renchérir sur tout ce qu'il dirait. — « Le beau pourpoint, comme il vous habille bien, dit la future belle-mère », — "Oh, répondit notre homme, j'en ai un beaucoup plus élégant » ; et l'ami d'ajouter, — « Sans parler d'un autre deux fois plus riche ». Le beau-père s'étant informé du nombre de domaines qu'il possédait, il indiqua une petite propriété, sise hors la ville, et dont les revenus suffisaient à son entretien. — « Oublies-tu donc cette autre terre bien plus considérable, qui te procure de si importants bénéfices? » repartit le camarade. Ainsi, chaque fois que notre homme avançait quelque chose, l'ami renchérissait. Pendant le repas, comme le gendre prenait peu de nourriture, le beau-père lencourageait à faire honneur aux différents mets : — « Pendant l'été, ma santé laisse à désirer, dit l'invité » ; et son compagnon, qui croyait le servir en soutenant son rôle de hâbleur, de s'exclamer : — « C'est bien plus grave qu'il ne dit ; il se porte mal l'été et l'hiver c'est encore pire ». A ces mots, les assistants se mirent à rire aux dépens de celui qui pour avoir recherché des éloges mensongers, ne recueillait qu'un ennui pour prix de sa sottise. [CLXXVIII] Vn mot de Pasquino de Sienne sur un pet du corps de l'État. A la suite de troubles politiques, Pasquino, de Sienne, homme retors et plein de gaieté, fut exilé ; il vint habiter Ferrare. Un de ses compatriotes, citoyen de peu d importance, le visita en se rendant de Venise à Sienne. Pasquino lui fit bon accueil. Au cours de la conversation, le voyageur promit ses bons offices, offrit sa protection une fois rentré à Sienne : — "Je fais partie, ajouta-t-il par vanité, du Corps de l'Elat." — "Plaise à Dieu, répondit Pasquino, que ce corps lâche un pet, afin que toi et tes pareils soyez expulsés promptement » Avec cette plaisanterie, le vaniteux personnage n'eut que ce qu'il méritait. [CLXXIX] De ce docteur, si idiot qu'il parlait latin à la chasse aux oiseaux. Un docteur de Milan, homme peu instruit et borné, voyant qu'un oiseleur se disposait à chasser des oiseaux avec une chouette, lui demanda de l'accompagner. Il était très désireux de voir pareil spectacle. Le chasseur y consentit et plaça notre homme sous la hutte de feuillage, à coté de la chouette, en lui recommandant bien de garder le silence afin de ne pas effrayer les oiseaux. Ceux-ci apparurent bientôt en grand nombre. Aussitôt, le maladroit docteur s'écria : — "En voilà beaucoup, tirez le filet!" En entendant le bruit de la voix, les oiseaux s'envolèrent à tire d'aile. Gourmandé par sou compagnon, le docteur promit de se taire. Les oiseaux, ayant repris confiance, revinrent, le stupide docteur dit alors en latin : — «Aues permultae sunt!» persuadé qu'en s'exprimant ainsi il ne serait pas compris. Les oiseaux disparurent sans retour. L'oiseleur, perdant tout espoir de réussir, invectiva vivement son compagnon qui n'avait pu s'empêcher de parler. — « Mais, dit ce dernier, les oiseaux comprennent donc le latin» Ce pauvre docteur pensait que ce qui avait fait fuir les oiseaux, ce n'était pas le son de la voix humaine, mais le sens des paroles prononcées, comme si les oiseaux avaient compris qu'ils devaient s'enfuir. [CLXXX] Ce qu'une femme prit pour un compliment. Une femme mariée de Sienne, ayant fini de besogner avec son amant, causait avec lui. Celui-ci eut l'affront de lui dire qu'il n'était jamais passé par route aussi large. La femme, prenant cela pour un compliment répondit : — « Tu es bien gentil, mais je ne mérite point pareil compliment. Combien je voudrais que tu dises vrai ! car j'en serais très fière et m'en estimerais bien davantage ». Ainsi fut punie la prolixité d'un imbécile.