[31,0] LIVRE XXXI, TRAITANT DES REMÈDES TIRÉS DES EAUX. [31,1] I. (I.) 1. Il s'agit maintenant des secours fournis à la médecine par les choses de l'eau. La nature, ouvrière, ne s'y est pas oubliée, et elle déploie sans relâche ses forces infatigables à travers les ondes, les flots, les marées, et le rapide courant des fleuves. Et, à dire vrai, nulle part sa puissance n'est plus grande. En effet, l'eau est un élément qui domine tous les autres : les eaux engloutissent les terrains, tuent les flammes, s'élèvent dans les hauteurs, envahissent même le ciel, et, sous forme de nuages, interceptent l'air qui nous fait vivre; ce qui provoque l'explosion de la foudre, effet du conflit des éléments. 2. Quoi de plus merveilleux que les eaux suspendues dans le ciel ! Mais, comme si c'était peu de parvenir à une si grande élévation, elles emportent avec elles des essaims de poissons, souvent même des pierres, et c'est chargées de ces poids étrangers qu'elles montent au haut des airs. Retombant sur la terre, elles font naître toutes les productions végétales; propriété bien admirable, si l'on considère que, pour donner la naissance aux grains et la vie aux arbres et aux plantes, les eaux gagnent le ciel, et de là rapportent aux végétaux le souffle de vie. Avouons donc que toutes les propriétés de la terre sont un bienfait des eaux. Ainsi nous retracerons avant tout quelques exemples de la puissance de ce fluide; car quel mortel pourrait tous les décrire? [31,2] II. (II.)1. Les eaux sortent salutaires de tous côtés dans mille pays, là froides, ici chaudes, ailleurs chaudes et froides, comme à Tarbelles (Dax) d'Aquitaine et dans les Pyrénées, où elles ne sont séparées que par un petit intervalle, ou bien encore tièdes et simplement dégourdies, annonçant les secours qu'elles donnent aux malades, et ne sortant de terre que pour l'homme seul, entre tous les animaux. Sous des noms divers, elles augmentent le nombre des divinités, et. fondent des villes comme Putéoles (III, 9, 9 ) dans la Campanie, Statyelles (III, 7) dans la Ligurie, Aix (III 5,6) dans la province Narbonnaise. 2. Mais elles ne coulent nulle part avec plus d'abondance et avec des propriétés médicinales plus diverses que dans le golfe de Baies : sulfureuses, alumineuses, salées, nitreuses, bitumineuses, quelques-unes même mêlées d'acide et de sel, tout s'y trouve. Certaines sont utiles par leur chaleur même, qui est si grande qu'elles échauffent les bains, et vont jusqu'à forcer l'eau froide à bouillir dans les baignoires : celles-ci s'appellent à Baies Posidiennes, du nom d'un affranchi de l'empereur Claude. Elles font aussi cuire les aliments. D'autres (elles ont appartenu à Licinius Crassus) bouillonnent au sein même de la mer, et du milieu des flots jaillit quelque chose de salutaire pour l'homme. [31,3] Ill. 1. Suivant leurs espèces, ces eaux sont bonnes aux nerfs, aux pieds, aux hanches, aux luxations, aux fractures. Elles purgent, elles guérissent les plaies; elles sont en particulier bonnes pour la tête et les oreilles; celles de Cicéron sont bonnes pour les yeux. La maison où celles-ci se trouvent est digne d'être mentionnée ici : en allant du lac Averne à Putéoles, on la rencontre sur le rivage de la mer; elle est distinguée par un portique et un bois. Cicéron l'appelait Académie, à l'exemple de l'Académie d'Athènes. C'est là qu'il composa ses Académiques, c'est là qu'il s'était élevé un monument, comme s'il lui en avait fallu d'autres que ses écrits répandus dans l'univers entier. 2. A l'entrée de cette maison, peu après la mort de Cicéron, alors qu'Antistius Vétus en était le propriétaire, on vit sourdre des eaux chaudes excellentes pour les yeux. Elles ont été célébrées en vers par Lauréa Tullius, l'un des affranchis de Cicéron. Ces vers prouvent tout d'abord que même les serviteurs avaient été fécondés par ce génie majestueux; je vais les rapporter, car ils méritent d'être lus partout, et non pas sur le lieu seulement. « Ornement immortel de l'éloquence romaine, ton bois a repris de l'éclat et de la verdure. Ta campagne, célébrée sous le nom d'Académie, est maintenant réparée et embellie par Vétus. Pour surcroît apparaissent des eaux qu'on n'y connaissait pas, des eaux bienfaisantes, qui guérissent les yeux malades. 3. Sans doute la campagne même de Cicéron a voulu honorer son ancien possesseur quand elle a mis au jour ces sources salutaires; ses écrits, lus sans cesse dans l'univers entier, demandaient pour les yeux le secours de nouvelles eaux." [31,4] IV. Dans la même contrée de la Campanie sont les eaux de Sinuesse, qui, dit-on, guérissent la stérilité chez les femmes et la folie chez les hommes. [31,5] V. 1. Celles de l'île Aenaria guérissent les calculeux, ainsi que les eaux acidules froides qu'on trouve à quatre mille pas de Téanum Sidicinum (III, 9, 11), les eaux de Stabies, qu'on nomme demi-acidules, et dans le canton de Vénafrum celles qui proviennent de la fontaine Acidule. On se guérit encore de la pierre en buvant les eaux du lac de Vélia. Il en est de même d'une source de Syrie auprès du mont Taurus, d'après M. Varron, et du fleuve Gallus de Phrygie, d'après Callimaque. Mais pour celui-ci il faut en boire modérément, de peur qu'il ne rende fou, ce qui arrive en Éthiopie à ceux qui boivent de la fontaine Rouge, au rapport de Ctésias. [31,6] VI. 1. Auprès de Rome, les eaux de l'Albula guérissent les plaies ; elles sont dégourdies. Celles de Cutilie (III, 17,3), chez les Sabins, sont très froides, et pénètrent si vivement le corps, qu'elles semblent y faire l'impression d'une morsure; elles sont très bonnes pour l'estomac, pour les nerfs, et pour le corps entier. [31,7] VII. 1. Les Thespiens (IV, 12) ont une source qui fait concevoir les femmes. Il en est de même en Arcadie du fleuve Élate. La source du Linus, dans la même Arcadie, maintient le foetus et empêche les avortements. Au contraire, dans la Pyrrhée, un fleuve nommé Aphrodisius cause la stérilité. [31,8] VIII. 1. Le lac Alphion enlève l'alphos ; d'après Varron, un certain Titius, ex-préteur, en avait le visage tellement couvert, qu'on eût dit un masque de marbre. Le Cydnus (V, 22 ), fleuve de Cilicie, guérit la goutte, comme on le voit par une lettre de Cassius de Parme à Marc-Antoine. Au contraire, à Trézène tout le monde a les pieds malades par la mauvaise qualité des eaux. 2. La cité de Tongres, dans les Gaules, a une fontaine fameuse (Spa) dont l'eau, toute petit toute de bulles, a un goût ferrugineux, qui ne se fait sentir que quand on finit de boire. Cette eau est purgative, guérit les fièvres tierces, et dissipe les affections calculeuses. La même eau, mise sur le feu, se trouble, et finit par rougir. Les sources Leucogées, entre Putéoles et Naples, sont bonnes pour les yeux et les plaies. Cicéron a noté, dans son livre des Choses admirables, que la corne du pied des bêtes de somme ne s'endurcissait que dans les marais de Béates. [31,9] IX. 1. D'après Eudicus, il y a dans l'Hestimotide deux sources, dont l'une, le Céron, rend noires les brebis qui en boivent, et l'autre, le Nélée, les rend blanches. Celles qui boivent de l'une et de l'autre sont pies. D'après Théophraste, à Thurium l'eau du Crathis blanchit et celle du Sybaris noircit les bestiaux qui en boivent. [31,10] X. 1. Ces eaux, d'après le même Théophraste, opèrent aussi sur les hommes : ceux qui boivent celles du Sybaris sont plus bruns, plus durs, et ont les cheveux crépus; ceux qui boivent celles du Crathis sont blancs, plus mous, et ont les cheveux pendants. De même en Macédoine ceux qui veulent avoir des troupeaux blancs les mènent au fleuve Aliacmon; ceux qui les veulent noirs ou bruns, au fleuve Axius. Le même raconte que dans certains lieux toutes les productions naissent brunes, et les céréales aussi, comme chez les Messapiens; et que dans une certaine fontaine d'Arcadie, nommée les Luses, les rats de terre vivent et s'habituent. A Érythres, le fleuve Aléos fait venir du poil sur le corps. [31,11] XI. 1. Dans la Béotie, près du temple du dieu Trophonius et du fleuve Orchomène, sont deux sources, dont l'une donne la mémoire et l'autre la fait perdre; de là viennent les noms qu'elles portent (Mnémosyne et Léthé). [31,12] XII. 1. En Cilicie, près de la ville de Ceseum, coule le Nus (g-nous, intelligence), dont l'eau, d'après Varron, donne de la sagacité à ceux qui en boivent ; tandis que dans l'île de Céos est une source qui rend stupide, et à Zama (V, 4,5), en Afrique, une source qui rend la voix plus belle. [31,13] XIII. 1. Eudoxe dit que ceux qui boivent de l'eau du lac Clitorius prennent le vin en dégoût; Théopompe, que les fontaines que nous avons nommées (II,106,11) enivrent; Mucianus (II, 106, 11), qu'à Andros il coule de la fontaine de Bacchus pendant les sept jours consacrés tous les ans à ce dieu, du vin, qui redevient de l'eau si on le transporte hors de la vue du temple. [31,14] XIV. 1. Polycrite dit que près de Soles, en Cilicie, l'eau d'une source tient lieu d'huile; Théophraste, que le même phénomène est présenté en Éthiopie par une source de même vertu ; Lycus, que dans l'Inde est une source dont l'eau brûle dans les lanternes. On parle d'une eau semblable à Ecbatane. D'après Théopompe, il y a à Scotussa un lac qui guérit les plaies. [31,15] XV. 1. D'après Juba, chez les Troglodytes est un lac appelé lac de la Démence, à cause de ses propriétés malfaisantes: trois fois par jour il devient amer et salé, puis doux ; trois fois le même changement s'opère dans la nuit. Il est rempli de serpents blancs, longs de vingt coudées. Au dire du même auteur, est en Arabie une source jaillissant avec tant de force, qu'elle repousse instantanément tout objet, même pesant. [31,16] XVI. 1. Au rapport de Théophraste, la fontaine de Marsyas, en Phrygie, auprès de la ville de Celaenes, rejette des pierres. Non loin de là sont deux sources : le Claeon (pleurant) et le Gélon (riant), nommées ainsi par les Grecs, d'après l'effet qu'elles produisent. A Cyzique est la source de Cupidon, qui guérit de l'amour ceux qui en boivent, à ce que croit Mucianus. [31,17] XVII. 1. A Cranon est une source chaude sans l'être extrêmement, dont l'eau, mêlée à du vin, conserve pendant trois jours dans les vases le breuvage chaud. Il y a de même à Mattiacum (Wisbad ), en Germanie, au delà du Rhin, des sources chaudes dont l'eau garde sa chaleur pendant trois jours. Les bords en sont couverts de pierres ponces, formées par les eaux. [31,18] XVIII. 1. Si quelqu'un tient pour incroyable quelqu'un de ces récits, qu'il sache qu'aucune autre partie de la nature ne présente plus de merveilles, indépendamment des nombreuses singularités que nous avons rapportées au commencement de cet ouvrage (II, 106). Ctésias écrit qu'il y a dans l'Inde un étang, nommé Side, dans lequel rien ne surnage et tout se précipite au fond. Caelius dit que chez nous, dans le lac Averne, les feuilles même s'enfoncent; et Varron, que les oiseaux qui volent sur ses bords expirent. Au contraire, en Afrique, dans le lac Apuscidamus, tout surnage, rien ne va au fond; il en est de même en Sicile de la fontaine appelée Phinthia, au rapport d'Apion, comme aussi du lac des Mèdes et du puits de Saturne. 2. La fontaine de Limyra passe quelquefois dans les lieux voisins, et alors elle annonce quelque événement. Chose singulière : les poissons la suivent. Les habitants de la contrée consultent ces poissons, en leur jetant à manger : quand la réponse est favorable, les poissons saisissent avidement ce qui leur est jeté; sinon, ils le repoussent avec leur queue. Le fleuve Olachas, en Bithynie, arrose Briazus (c'est le nom d'un temple et d'un dieu) : on prétend que les parjures ne peuvent en supporter l'eau, qui les brûle comme le feu. 3. Dans la Cantabrie, les sources du Tamaricus (IV, 34, 3) fournissent aussi des présages : elles sont au nombre de trois, séparées par un intervalle de huit pieds. Elles se réunissent en un seul lit, chacune formant une grosse rivière. Ces sources sont à sec pendant douze jours, quelquefois vingt, sans qu'on puisse y soupçonner un filet d'eau; et pendant ce temps une source voisine conserve sans interruption un large courant. C'est un mauvais présage lorsque ceux qui veulent les voir les trouvent à sec, comme il est arrivé récemment à Lartius Licinius (XIX, 11), lieutenant après sa préture : il mourut au bout de sept jours. Dans la Judée un ruisseau est à sec tous les sabbats. [31,19] XIX. 1. Dans d'autres cas les propriétés merveilleuses sont malfaisantes. Ctésias écrit qu'il est en Arménie une fontaine contenant des poissons noirs qui, mangés, donnent une mort instantanée. La même chose, à ce que j'ai ouï dire, se voit à l'origine du Danube, jusqu'à ce qu'on soit arrivé à une source placée près de son lit. Là s'arrête cette espèce de poisson vénéneux, ce qui fait aussi que communément on place à cet endroit la source du fleuve. On dit encore la même chose de l'étang des Nymphes, en Lydie. Dans l'Achaïe, près du fleuve Phénée, sort des rochers une source appelée Styx, qui donne une mort instantanée, comme nous l'avons dit (II, 106; XXX, 53). 2. Mais, d'après Théophraste, cette source contient de petits poissons, mortels aussi ; ce qu'on ne trouve point dans les autres eaux vénéneuses. Théopompe dit qu'en Thrace, auprès de Cychros, les eaux donnent la mort ; Lycus, qu'a Léontium est une source qui tue, au bout de trois jours, celui qui en a bu; Varron, qu'il est près du mont Soracte une fontaine, large de quatre pieds, qui au lever du soleil bouillonne comme si elle était chauffée, et que les oiseaux qui en goûtent tombent morts auprès. En effet, par une circonstance insidieuse, quelques-unes de ces eaux ont même un aspect attrayant, comme celles d'Arcadie, près de Nonacris : là aucune qualité apparente ne détourne d'y goûter; on croit que la grande fraîcheur de celles-ci les rend malfaisantes, attendu qu'elles se pétrifient même en coulant. Il en est autrement de l'eau de Tempé, en Thessalie; la vue seule inspire la terreur, et l'on dit qu'elle ronge l'airain et le fer. Elle coule, comme nous l'avons dit (IV, 15, 3), dans un espace peu étendu ; et, chose singulière, on dit qu'elle est entourée des racines d'une plante à gousses, sauvage, et toujours chargée de fleurs pourpres, et que les bords sont tapissés d'une herbe d'une espèce particulière. Dans la Macédoine, non loin du tombeau du poète Euripide, coulent deux ruisseaux, l'un très salutaire, l'autre mortel. [31,20] XX. 1. A Perperènes est une source qui pétrifie tout le terrain qu'elle arrose, ce que font aussi des eaux chaudes à Delium dans l'Eubée ; car là où tombent ces eaux il se forme des pierres qui s'accumulent les unes sur les autres. A Eurymènes, les couronnes que l'on jette dans une certaine fontaine se pétrifient. A Colosses est un fleuve où se changent en pierres les briques qu'on y Jette. Dans les mines de Scyros tous les arbres arrosés par les eaux qui y coulent se pétrifient avec leurs branches. Dans les antres du mont Corycus, l'eau qui dégoutte se durcit en pierre. A Mieza, en Macédoine, la goutte d'eau se pétrifie au haut même de la voûte ; à Corycus, elle ne se pétrifie que lorsqu'elle est tombée. Dans certaines cavernes la pétrification se fait des deux façons, et il se forme des colonnes, comme à Phausia, ville de la Chersonèse des Rhodiens, dans une grande grotte; et même ces colonnes sont de différentes couleurs. Pour le moment, ces exemples nous suffiront. [31,21] XXI. (III.) 1. Les médecins agitent la question de savoir quelles sont les meilleures eaux. Ils condamnent avec raison les eaux stagnantes et sans mouvement, et pensent que les eaux courantes sont meilleures, et qu'elles deviennent plus légères et plus salubres par leur cours même et leur agitation; aussi suis-je étonné que certains préfèrent les eaux des citernes. La raison que ces derniers donnent, c'est que l'eau de pluie est la plus légère, puisqu'elle a pu monter et rester suspendue dans les airs. Pour le même motif ils préfèrent encore la neige à la pluie, et la glace à la neige, comme étant le dernier terme de l'atténuation en des substances voisines ; ajoutant que l'eau de pluie et l'eau de neige sont les plus légères, que la glace est beaucoup plus légère que l'eau. Il importe, pour le bien des hommes, de réfuter cette opinion. 2. D'abord cette légèreté ne peut guère être reconnue que par la sensation, la pesanteur de toutes les eaux étant à peu près la même. En second lieu, pour l'eau de pluie, ce n'est pas une preuve de légèreté de s'être élevée dans les airs, car on voit des pierres en faire autant (II, 38,3 ) ; et d'ailleurs cette eau en tombant s'imprègne des vapeurs terrestres. Aussi sent-on qu'il se trouve dans l'eau de pluie beaucoup d'impuretés, et elle s'échauffe très promptement. Je m'étonne que la neige et la glace soient regardées comme les parties les plus subtiles de l'eau, à côté du fait de la grêle, dont l'eau, de l'aveu commun, est une boisson très malfaisante. Par opposition, nombre de médecins regardent l'usage des eaux de glace et de neige comme très insalubre, la congélation en ayant chassé les parties les plus ténues. 3. Au moins est-il certain que tout liquide diminue par la congélation, et que les rosées excessives causent la rouille des grains, et les gelées blanches, la brûlure; or, la rosée et la gelée blanche tiennent de près à la neige. On convient que l'eau de pluie se putréfie très rapidement, et qu'en mer elle se garde très peu. Épigène assure qu'une eau qui, sept fois corrompue, s'est purifiée n'est plus susceptible de se corrompre. Quant à l'eau de citerne, les médecins avouent qu'elle ne vaut rien, et qu'elle cause des engorgements dans le ventre et au cou; ils conviennent encore qu'il n'y en a pas où l'on trouve plus de bourbe et plus d'insectes dégoûtants. 4. Mais, remarquent-ils, il n'en résulte pas que celle des rivières non plus que des torrents soit la meilleure, et plusieurs lacs en ont d'excellente. En certains lieux, il est des eaux de rivière qui sont très bonnes : les rois des Parthes ne boivent que de l'eau du Choaspes et de l'Eulæus, et ils en font porter à leur suite, même dans de longs voyages. Évidemment ce n'est pas comme eau de rivière que cette eau leur plaît, puisqu'ils ne boivent de l'eau ni du Tigre, ni de l'Euphrate, et de tant d'autres fleuves. [31,22] XXII. 1. Le limon est le défaut des eaux : cependant si une rivière limoneuse est remplie d'anguilles, cela passe pour l'indice que l'eau en est salutaire ; comme aussi c'est une marque de fraîcheur lorsqu'il se produit de petits vers dans une fontaine. Avant tout, on condamne les eaux amères et celles qui, après avoir été bues, gonflent l'estomac, ce qui arrive à Trézène. Quant aux eaux nitreuses et saumâtres, ceux qui gagnent la mer Rouge à travers les déserts les rendent potables en deux heures en y ajoutant de la polenta, et ils n'en mangent pas moins la polenta. On réprouve encore tout à fait les sources qui sont bourbeuses, et celles qui donnent une couleur maladive. Il est bon encore d'observer si elles produisent des taches sur les vases de cuivre, si les légumes s'y cuisent difficilement, si décantées doucement elles laissent un dépôt terreux, si bouillies elles couvrent les vaisseaux d'une croûte épaisse. 2. C'est encore un défaut pour une eau d'avoir non pas seulement une mauvaise odeur, mais une odeur quelconque (XV, 32), quand même cette odeur serait agréable et douce, et approcherait, comme cela arrive souvent, de celle du lait. Une eau pour être salubre doit ressembler autant que possible à l'air. Il n'y a, assure t-on, dans l'univers entier qu'une seule source qui ait une odeur agréable : c'est celle de Chabura, en Mésopotamie. La raison qu'en donne la mythologie, c'est que Junon s'y est baignée. Du reste, une eau pour être salubre ne doit avoir ni saveur ni odeur. [31,23] XXIII. 1. Quelques uns jugent à la balance de la salubrité des eaux ; vaine recherche, puisqu'il est très rare qu'une eau soit plus légère qu'une autre. Il est une expérience plus sûre : entre des eaux égales d'ailleurs la meilleure est celle qui s'échauffe et se refroidit le plus vite. Bien plus, on affirme que puisée dans des vases que l'on pose à terre elle devient tiède aussitôt. Quelle est donc l'espèce d'eau qui devra être considérée comme la meilleure? Celle des puits; et je vois que c'est ainsi qu'on en use dans les villes, mais de puits où l'eau puisée souvent ne se repose guère et est épurée par la terre, qui la filtre. 2. Ces conditions suffisent pour la salubrité des eaux: quant à la fraîcheur, il faut qu'elles aient de l'ombre, et cependant qu'elles aient de l'air. Il y a surtout à observer une chose dont dépend aussi la durée des eaux vives: c'est que la veine doit partir du milieu de la nappe, et non des côtés du puits. On peut même obtenir par l'art que l'eau soit froide au toucher : il suffit que lancée en l'air, ou tombant de haut, elle frappe l'air et s'en pénètre. En nageant quand on retient son haleine on sent l'eau plus froide. C'est l'empereur Néron qui a inventé de faire bouillir l'eau, de la mettre dans des flacons de verre, et de la faire rafraîchir dans la neige; de cette façon on a l'agrément de boire frais, sans les inconvénients attachés à l'eau de neige. 3. Au reste, il est certain que toute eau qui a bouilli est meilleure, et, ce qui est une invention très subtile, que l'eau qui a été échauffée se refroidit davantage. Le moyen de corriger de l'eau malsaine est de la faire bouillir jusqu'à réduction de moitié. On arrête les hémorragies en faisant boire de l'eau froide. On ne ressent point la trop grande chaleur du bain si on tient de l'eau dans sa bouche. C'est une expérience familière faite par beaucoup de personnes, que les eaux les plus froides à boire ne le sont pas également au tact, la fraîcheur se rendant sensible tantôt d'une façon, tantôt d'une autre. [31,24] XXIV. 1. L'eau la plus célèbre dans tout l'univers, celle à laquelle Rome donne la palme de la fraîcheur et de la salubrité, est l'eau Marcia, accordée à Rome entre autres bienfaits par la faveur des dieux. Elle était nommée autrefois Auféia, et la source même, Pitonia. Elle naît à l'extrémité des montagnes des Péligniens; elle traverse le territoire des Marses et le lac Fucin, se dirigeant, on le voit, vers Rome; puis, se perdant dans des cavernes, elle reparaît dans le territoire de Tibur, et est amenée par un aqueduc de neuf mille pas. Ancus Marcius, un des rois, fut le premier qui entreprit de la conduire à Rome. Quintus Marcius Rex, dans sa préture, fit dans la suite travailler à cette conduite, qui fut une seconde fois rétablie (an de Rome 720) par M. Agrippa (XXXVI, 24, 17). [31,25] XXV. 1. Le même Agrippa amena encore (an de Rome 735) l'eau Vierge depuis le chemin de traverse qui aboutit à la huitième pierre milliaire, dans l'espace de deux mille pas sur la route de Préneste. Auprès est le ruisseau d'Hercule, qu'elle semble éviter, ce qui lui a fait donner le nom d'eau Vierge. En comparant ces eaux, on trouve la différence ci-dessus signalée (XXXI, 28) : autant l'eau Vierge est fraîche au tact, autant l'eau Marcia l'est à boire. Au reste, depuis longtemps l'agrément de l'une et de l'autre est perdu pour Rome : l'ambition et l'avarice détournent dans les maisons de campagne et dans les faubourgs ce qui est un bien commun. [31,26] XXVI. 1. Il ne sera pas hors de propos de joindre à ceci la manière de rechercher les eaux. On les trouve généralement dans les vallées, soit à l'intersection des pentes, soit au pied des montagnes. Plusieurs ont cru que toutes les parties septentrionales étaient aquatiques. Sur ce point il convient d'exposer les diversités de la nature. Dans les montagnes de l'Hyrcanie il ne pleut pas du côté du midi ; aussi ne sont-elles boisées que du côté du nord. Mais l'Olympe, l'Ossa, le Parnasse, les Apennins, les Alpes, sont boisés de tous les côtés et arrosés par des cours d'eau. Quelques montagnes sont boisées du côté du midi, comme en Crète les montagnes Blanches : il n'y a donc rien de constant à cet égard. [31,27] XXVII. 1. Les indices des eaux sont les joncs, ou les roseaux, ou l'herbe dont nous avons parlé (XXVI, 16), ou les grenouilles demeurant longtemps posées sur le ventre en un même lieu. Quant au saule erratique, à l'aune, au vitex, au roseau, au lierre, qui viennent spontanément, et qui sont arrosés par l'eau de pluie descendant des hauteurs dans les bas-fonds, ce sont des indices trompeurs. Un indice beaucoup plus sûr, c'est une exhalaison nébuleuse visible de loin avant le lever du soleil; quelques-uns l'observent d'un lieu élevé, couchés sur le ventre, et touchant la terre du menton. Il est encore un moyen particulier, connu seulement des gens experts : au plus fort de l'été et aux heures du jour les plus chaudes, on examine comment le soleil est réfléchi en chaque endroit : 2. si malgré la sécheresse générale de la terre un endroit a quelque humidité, on est sûr d'y trouver de l'eau. Mais cette recherche est fatigante pour les yeux, et y cause de la douleur. Pour éviter cet inconvénient, on a recours à d'autres épreuves : on creuse, dans un lieu, à une profondeur de cinq pieds; on couvre ce trou avec des pots de terre crue ou avec un bassin de cuivre frotté d'huile; on met une lampe allumée, qu'on renferme dans une niche faite de feuillage et de terre. Si le pot de terre est humide ou fêlé, si le vase d'airain est mouillé, si la lampe s'est éteinte sans avoir manqué d'huile, ou si même une toison de brebis qu'on y aura placée se trouve humide, on promet de l'eau sans aucun doute. Quelques-uns allument d'abord un feu sur la place avant de faire le trou, ce qui rend l'expérience des vases encore plus concluante. [31,28] XXVIII. 1. Le creusement même du sol indique la présence des eaux, en offrant, soit des veines blanchâtres, soit une masse uniformément glauque. Dans la couche noire on ne trouve guère de sources permanentes. La terre à potier enlève toujours l'espérance d'en rencontrer, et alors on ne creuse pas plus avant. Ceux qui ont étudié les couches de la terre demandent qu'elles offrent à partir de la couche noire l'ordre indiqué ci-dessus. L'eau est toujours douce dans une terre argileuse; elle est plus froide dans le tuf, qui d'ailleurs est un fond qu'on aime à rencontrer: en effet, il rend les eaux douces et très légères, et, comme un filtre, il en retient toutes les impuretés. Le sable ne fait espérer que de petits filets et des eaux limoneuses. 2. Le gravier donne des veines peu sûres, mais de bonne qualité. Le sable mâle, le sablon et l'espèce appelée charbonnée (XVII, 3, 4) donnent certainement des eaux permanentes et salubres. Les rocailles rouges donnent des espérances très assurées, et l'eau qu'elles fournissent est excellente. Les racines pierreuses des montagnes et le silex en donnent aussi, qui de plus sont froides. Il faut qu'en fouillant on rencontre des couches de plus en plus humides, et que les outils pénètrent de plus en plus facilement. Dans les puits profonds les substances sulfureuses ou alumineuses qui se rencontrent tuent les mineurs ; on reconnaît le danger quand une lampe qu'on y introduit allumée s'éteint: 3. alors près du puits, à a droite et à gauche, on creuse des soupiraux qui reçoivent ces exhalaisons dangereuses. Indépendamment de ces qualités malfaisantes, l'air devient malsain par la seule profondeur du puits; on y remédie par une ventilation qu'on pratique en agitant continuellement des linges. Quand on est arrivé jusqu'à l'eau, on construit sans ciment le mur du puits, pour qu'elle puisse passer en liberté. Certaines eaux dont la source n'est pas dans un lieu élevé sont plus froides au commencement du printemps : elles sont en effet alimentées par les pluies d'hiver. D'autres, au contraire, sont plus froides au lever du Chien; ces deux particularités se voient à Pella, en Macédoine : 4. au-devant de la ville est une source de marais qui est froide au commencement de l'été; et dans les lieux élevés de la ville est une source glacée au plus fort de la chaleur. On observe la même chose à Chios : les eaux du port et celles de la ville sont dans le même rapport que pour le cas précédent. A Athènes, la fontaine Ennéacrunos (IV, 11) est plus froide dans les étés nuageux que le puits du jardin de Jupiter, mais ce puits est très froid dans les sécheresses; (IV.) les puits le sont surtout vers le lever d'Arcturus (XVIII, 74); l'eau n'y manque point dans l'été même, mais elle s'arrête pendant les quatre jours de cette constellation. Plusieurs puits manquent d'eau pendant tout l'hiver, par exemple aux environs du mont Olympe, où l'eau revient avec le printemps. 5. En Sicile, aux environs de Messine et de Myles, les sources tarissent complètement pendant l'hiver; en été elles débordent et forment une rivière. A Apollonie du Pont on voit près de la mer une fontaine qui ne coule que pendant l'été, et principalement vers le lever du Chien; si l'été est froid elle est moins abondante. Certaines terres deviennent plus sèches par les pluies, comme dans le territoire de Narni; ce que M. Cicéron a inséré dans son livre Sur les choses admirables, disant que la sécheresse y produit de la boue, et la pluie de la poussière. [31,29] XXIX. 1. Toute sorte d'eau est plus douce en hiver et moins en été, beaucoup moins en automne, encore moins dans les sécheresses. Les eaux des rivières n'ont pas non plus toutes le même goût, le lit où elles coulent faisant de grandes différences. En effet, les eaux sont telles que le sol qu'elles traversent et que le suc des végétaux qu'elles arrosent (II, 106, n° 12). Aussi une rivière peut-elle se trouver insalubre en quelques endroits de son cours. Il arrive aussi que les affluents en changent le goût, comme pour le Borysthène, en se mêlant dans le fleuve qui les absorbe. Les pluies même font changer le goût de quelques rivières. Il est arrivé trois fois, au Bosphore, que des pluies salées ont fait mourir les céréales; trois fois aussi les pluies ont répandu sur les champs arrosés par le Nil une amertume qui a causé un désastre en Égypte. [31,30] XXX. 1. Souvent, après qu'on a coupé des bois, naissent des sources que les arbres consommaient pour leur nourriture: par exemple sur le mont Hémus, lorsque Cassandre assiégeait les Gaulois, qui coupèrent une forêt pour se faire un retranchement. Souvent, en abattant les bois qui couvraient une colline, et qui retenaient les nuages et s'en alimentaient, on a vu se former des torrents désastreux. il est important, pour avoir des eaux, de cultiver et de remuer la terre, de détruire les duretés de la couche supérieure : du moins on rapporte que, dans la Crète, une ville nommée Arcadia ayant été rasée, les sources et les cours d'eau qui étaient abondants en cette contrée se tarirent; la ville ayant été rebâtie au bout de six ans, les eaux reparurent au fur et à mesure de la culture des terres. 2. (V.) Les tremblements de terre font jaillir et engloutissent des eaux (V, 84), phénomène qui est certainement arrivé cinq fois aux environs du Phénée, dans l'Arcadie. De même, sur le mont Corycus, on vit surgir une rivière, et dans la suite la montagne put être cultivée. Ces changements sont très surprenants quand on n'en aperçoit aucune cause apparente, comme à Magnésie, où des eaux chaudes devinrent froides sans perdre le goût de sel qu'elles avaient; et en Carie, là où est le temple de Neptune, une rivière, de douce qu'elle était, devint entièrement salée. Voici encore des particularités merveilleuses: à Syracuse, la fontaine d'Aréthuse (III, 14, 3) a un goût de fumier pendant la célébration des jeux Olympiques, ce qui vraisemblablement provient de ce que l'Alphée pénètre dans la Sicile par-dessous le fond de la mer. Une source, dans la Chersonèse des Rhodiens, rejette des impuretés tous les neuf ans. 3. Les eaux changent même de couleur : à Babylone, un lac a l'eau rouge pendant onze jours. Durant l'été, le Borysthène coule bleu, quoique les eaux de ce fleuve soient les plus légères de toutes, et, pour cette raison, surnagent sur celles de l'Hypanis; mais, nouvelle singularité, l'eau de l'Hypanis surnage à son tour, lorsque souffle le vent du midi. Une autre preuve de la légèreté des eaux du Borysthène, c'est qu'il n'exhale pas de brouillards, pas même de vapeurs. Les auteurs qui se piquent d'exactitude au sujet des eaux prétendent qu'elles deviennent plus pesantes après le solstice d'hiver. [31,31] XXXI. (VI.) 1. Au reste, pour conduire les eaux d'une source, ce qu'il y a de mieux ce sont des tuyaux de terre de deux doigts d'épaisseur, emboîtés les uns dans les autres, de manière que le premier entre dans le suivant, et enduits de chaux vive détrempée d'huile. La pente doit être au moins de la quatrième partie d'un pouce sur cent pieds. Si la conduite est construite en pierre, il doit y avoir des soupiraux de deux en deux actus (XVIII, 3, 1). Quand il faut faire monter l'eau, on emploie des tuyaux de plomb; elle s'élève à la hauteur de sa source; si elle vient de loin, il faut la faire souvent monter et descendre, pour qu'elle ne perde pas son impulsion. 2. La juste mesure des tuyaux est de dix pieds de long; s'ils sont de cinq doigts, ils doivent peser soixante livres; si de huit doigts, cent livres; si de dix, cent vingt; et ainsi de suite. On appelle tuyau de dix doigts celui dont la lame, avant d'être roulée, a dix doigts de large. La moitié de cette largeur donne le tuyau de cinq doigts. Dans toutes les courbures d'un terrain montueux il faut employer des tuyaux de cinq doigts pour dompter l'impétuosité de l'eau : on construira aussi des regards, autant qu'il en sera besoin. [31,32] XXXII. 1. Je m'étonne qu'Homère n'ait pas fait mention des eaux thermales, lui qui, d'ailleurs, parle souvent de bains chauds; c'est qu'apparemment on n'usait pas alors de la ressource médicale qu'offrent les eaux thermales. Les eaux sulfureuses sont bonnes pour les nerfs; les eaux alumineuses, pour la paralysie ou autre résolution nerveuse; les eaux bitumineuses ou nitreuses, telles que celles de Cutilie (III, 17, 3), se prennent en boisson et sont purgatives. 2. Bien des gens se piquent d'endurer pendant plusieurs heures la chaleur des eaux thermales ; cela est très pernicieux, car il n'y faut guère rester plus de temps que dans le bain ordinaire; puis on doit faire une lotion avec de l'eau froide simple, et ne pas s'en aller sans se faire frotter d'huile. On regarde généralement cette dernière précaution comme étrangère à l'objet du bain; aussi n'est-on nulle part plus exposé aux maladies, d'autant que l'odeur que ces eaux exhalent abondamment porte à la tête, laquelle, étant en sueur, est exposée au froid, tandis que le reste du corps est immergé. C'est par une erreur semblable qu'on se fait gloire de boire beaucoup d'eau minérale. J'ai vu des gens gonflés à force d'en boire, et dont la peau était tellement tendue qu'elle recouvrait leurs bagues, parce qu'ils ne pouvaient rendre la quantité d'eau qu'ils avaient avalée. On ne doit pas en boire beaucoup sans prendre en même temps fréquemment du sel. 3. La boue même des sources minérales est salutaire; mais il faut, après s'en être frotté, la laisser sécher au soleil. On ne doit pas regarder comme médicinales toutes les eaux chaudes, par exemple celles de Ségeste en Sicile, de Larisse, de la Troade, de Magnésie, de Mélos, de Lipari. Beaucoup ont pensé, à tort, que lorsqu'elles sont médicamenteuses elles altèrent la couleur de l'airain et de l'argent; car les eaux de Padoue ne produisent aucun de ces effets, et l'on n'y sent même aucune odeur qui les distingue de l'eau commune. [31,33] XXXIII. 1. On emploiera en médecine, de la même manière, l'eau de mer. On la fait chauffer pour les douleurs de nerfs, pour la réunion des fractures, pour les os contais, et aussi pour rendre le corps plus sec. Pour ce dernier effet on se sert également de l'eau de mer froide. On tire encore bien d'autres secours de la mer. Le principal est la navigation pour les phtisiques, comme nous l'avons dit (XXIV, 19; XXVIII, 14 ), ou pour les hémoptoïques, ce dont Annœus Gallion a tout récemment usé après son consulat. En effet, on s'embarque pour l'Égypte non en raison du pays même, mais en raison de la longueur du voyage. 2. De plus, les vomissements causés par le mouvement du vaisseau sont favorables dans plusieurs maladies de la tête, des yeux, de la poitrine, et dans toutes celles pour lesquelles on prend l'elIébore. Les médecins regardent l'eau de mer seule comme efficace pour résoudre les tumeurs, et, bouillie avec de la farine d'orge, pour résoudre les parotides. On la mêle encore dans les emplâtres, surtout les emplâtres blancs, et dans les cataplasmes. Elle est bonne, employée en douches. On l'administre aussi, quoiqu'elle fasse mal à l'estomac, comme purgative, et pour faire rendre par haut ou par bas la bile noire et les grumeaux de sang. 3. Quelques-uns la prescrivent à l'intérieur dans les fièvres quartes, et la donnent gardée depuis longtemps, et dépouillée par là de ses qualités malfaisantes, dans le ténesme et les affections articulaires. D'autres la prescrivent bouillie. Tous veulent qu'elle soit puisée au large, et pure du mélange d'aucune substance douce, et que l'on vomisse avant d'en faire usage. Ils y font alors mêler du vinaigre ou du vin. Ceux qui la donnent pure recommandent de manger par-dessus des raiforts avec du vinaigre miellé, pour faciliter le vomissement. On donne aussi l'eau de mer tiède en lavement. Il n'est rien qu'on lui préfère pour fomenter les testicules tuméfiés, ainsi que les engelures, avant l'ulcération. On l'emploie de même pour les démangeaisons, les affections psoriques et le lichen. Elle détruit les lentes et la vermine de la tête. 4. Elle ramène à la couleur naturelle les parties livides. Dans ces traitements, il est très avantageux de faire, après l'eau de mer, des fomentations avec le vinaigre chaud. On la regarde aussi comme salutaire pour les piqûres venimeuses, telles que celles de l'araignée phalange et du scorpion, et contre la bave de l'aspic ptyas (cracheur). Dans ces cas, on l'emploie chaude. On en fait des fumigations avec le vinaigre, pour les douleurs de tète. Donnée chaude, en lavement, elle calme les tranchées et le choléra. Après un bain d'eau de mer chaude, on se refroidit plus lentement. L'usage des bains de mer guérit lés gonflements des mamelles, les douleurs d'entrailles et la maigreur du corps. La vapeur de l'eau de mer bouillante, avec du vinaigre, s'emploie pour la dureté d'ouïe et les douleurs de tête. L'eau de mer nettoie promptement la rouille du fer. Elle guérit aussi la gale des moutons, et en assouplit la laine. [31,34] XXXIV. 1. Je n'ignore pas que ces détails peuvent paraître inutiles à des gens qui vivent au milieu des terres. Mais l'industrie y a pourvu en mettant chacun en état de faire de l'eau de mer. Ce qu'il y a de singulier dans cette invention, c'est que si l'on met plus d'un setier de sel dans quatre setiers d'eau l'eau est vaincue, le sel ne se fond pas. Au reste, un setier de sel sur quatre setiers d'eau représente les propriétés et la force de l'eau de mer la plus salée; mais on pense que la dose la plus convenable est de mettre dans la même quantité d'eau seulement huit cyathes de sel (0 lit., 36). Ainsi préparée, l'eau échauffe les nerfs sans irriter le corps. [31,35] XXXV. 1. On fait vieillir encore ce qu'on appelle le thalassomeli, liqueur préparée avec parties égales d'eau de mer, de miel et d'eau de pluie. Pour cet usage on prend aussi l'eau de mer au large. On conserve le thalassomeli dans un vase de terre goudronné. C'est un très bon purgatif, qui ne fatigue pas l'estomac; le goût et l'odeur en sont agréables. [31,36] XXXVI. 1. L'hydromel (XIV, 20; XXII, 51 ) se faisait aussi jadis avec l'eau de pluie pure et du miel. Aux malades qui désiraient du vin, on le donnait à titre de boisson plus innocente. Depuis longtemps ce breuvage est condamné : il a les mêmes inconvénients que le vin, sans en avoir les avantages. [31,37] XXXVII. 1. Comme souvent les navigateurs souffrent du manque d'eau douce, nous indiquerons les moyens d'y suppléer : On étend autour du navire des toisons qui s'humectent en recevant les exhalaisons de la mer, et on en exprime l'eau, qui est douce; on plonge encore dans la mer, avec des filets, des boules de cire creuses ou des vases vides et bouchés : il se rassemble de l'eau douce à l'intérieur. Le fait est que sur terra on adoucit l'eau de mer en la filtrant dans l'argile. En nageant dans quelque eau que ce soit, hommes et quadrupèdes se remettent très facilement les articulations luxées. Les voyageurs ont aussi la crainte d'altérer leur santé en buvant des eaux qui leur sont inconnues : ils en font l'épreuve en avalant froide, aussitôt après la sortie du bain, l'eau suspecte. [31,38] XXXVIII. 1. La mousse marine forme un bon topique pour la goutte. Avec de l'huile on s'en sert pour la douleur et le gonflement des pieds. L'écume de l'eau de mer, employée en frictions, fait disparaître les verrues. Le sable des bords der la mer, surtout fin et échauffé par le soleil, est excellent pour dessécher le corps, que l'on en couvre entièrement, des hydropiques et des rhumatisants. En voilà assez sur les eaux ; parlons maintenant des productions aquatiques. Nous commencerons, comme nous avons fait jusqu'ici, par les substances principales, qui sont le sel et l'éponge. [31,39] XXXIX. (VII.) 1. Tout sel est natif ou factice; l'un et l'autre se forment de plusieurs manières, mais proviennent de l'une de ces deux causes: la condensation ou la dessiccation du liquide. L'eau, dans le lac de Tarente, est desséchée par le soleil d'été; et toute cette pièce d'eau, peu profonde du reste, puisqu'on n'y enfonce que jusqu'au genou, est changée en sel. Il en est de même en Sicile d'un lac nommé Cocanicus, et d'un autre, voisin de Géla. Pour ces deux lacs, il n'y a que les bords qui se dessèchent, au lieu qu'en Phrygie, en Cappadoce, à Aspendus, la dessiccation est plus étendue, et va jusqu'à la partie moyenne du marais salant. Il y a encore une chose admirable en cela : c'est qu'autant on enlève de sel pendant le jour, autant il s'en reforme pendant la nuit. Toute cette espèce de sel est en grain, et non en bloc. 2. Les eaux de mer produisent spontanément un autre sel par l'écume qu'elles laissent à l'extrémité du rivage et des rochers. Tout ce sel est condensé par la rosée, et celui qu'on ramasse sur les rochers est le plus âcre. Il y a encore trois différences naturelles : dans la Bactriane sont deux grands lacs, l'un du côté de la Scythie, l'autre du côté de l'Arie, qui sont pleins de sel. Auprès de Citium, dans l'île de Chypre, et dans les environs de Memphis, on tire d'un lac le sel qu'on fait sécher au soleil. Ailleurs la surface des fleuves se condense en sel, tandis que le reste de l'eau coule sous cette croûte, comme sous la glace; telles sont, près des portes Caspiennes, les eaux nommées Rivières de sel. Ou voit la même chose chez les Mardes et les Arméniens. De plus, dans la Bactriane, les fleuves Ochus et Oxus charrient beaucoup de sel des montagnes situées sur leurs bords. Il y a en Afrique des lacs troubles qui donnent du sel. Il y a même des sources chaudes qui en donnent, comme à Pagasa. Voilà les espèces de sel qui proviennent spontanément des eaux. 3. Certaines montagnes produisent aussi du sel natif, comme dans les Indes l'Oroménus, où il se taille comme des pierres dans une carrière; il se reproduit à mesure, et c'est pour les souverains la source d'un revenu plus considérable que l'or et les perles. On en tire encore de la terre, où il se forme, cela est évident, par la condensation du liquide, exemple la Cappadoce. Là on le coupe par lames comme la pierre spéculaire; les blocs sont très-pesants; on les appelle communément mica. A Gerrhes, ville d'Arabie, les remparts et les maisons sont construits avec des blocs de sels (VI, 32, 6) que l'on cimente en les mouillant. Le roi Ptolémée trouva du sel auprès de Pélusium, dans un campement qu'il y fit. 4. D'après cet exemple, on en a recherché et trouvé entre l'Égypte et l'Arabie, dans les lieux arides, au-dessous du sable. On en rencontre également dans les déserts de l'Afrique, jusqu'à l'oracle d'Ammon ; là le sel croît pendant la nuit avec la lune. Quant à la Cyrénaïque, elle est célèbre par le sel ammoniac, appelé ainsi parce qu'on le trouve sous le sable (g-ammos, sable): il a la couleur de l'alun schiste; il est en longues aiguilles non très brillantes, d'un goût désagréable, mais utile en médecine. 5. On estime surtout celui qui est transparent, et dont les scissures sont en ligne droite. On rapporte sur ce sel un phénomène remarquable : très léger dans l'endroit où il se forme, il augmente, dès qu'il est exposé au grand jour, en poids d'une manière à peine croyable. La cause en est évidente : la vapeur humide des excavations facilite, comme le ferait de l'eau, l'enlèvement de ce sel. On le sophistique avec le sel de Sicile, que nous avons appelé Cocanicus, et avec celui de Chypre, qui lui ressemble beaucoup. Dans l'Espagne citérieure, à Egélaste, on extrait un sel à blocs presque transparents et auquel, depuis longtemps, la plupart des médecins donnent la préférence sur toutes les autres espèces. Tout lieu où l'on trouve du sel est frappé de stérilité et ne produit rien. 6. Voilà tout ce qu'il y a de sels natifs. Quant au sel factice, il est de diverses sortes. Le sel commun, et le plus abondant, se fait dans les salines avec l'eau de la mer qu'on y répand, non sans y faire arriver de l'eau douce, mais surtout avec le secours de la pluie et beaucoup de soleil, sans quoi le sel ne sécherait pas. En Afrique, aux environs d'Utique, on forme des amas de sel semblables à des collines; quand ils se sont durcis par l'action du soleil et de la lune, l'eau ne peut plus tes liquéfier, et c'est à peine si le fer les entame. 7. Dans la Crète, cependant, on fait du sel sans eau douce; on se contente d'introduire l'eau de mer dans les salines. En Égypte, le sel est formé par la mer elle-même, qui se répand dans le sol, où, je pense, le Nil a déposé un suc. Il se fait encore avec l'eau de puits qu'on amène dans les salines. A Babylone, le premier produit de la condensation est un bitume liquide semblable à l'huile, et dont on se sert même pour les lampes. Cette substance enlevée, le sel se trouve dessous. En Cappadoce, on introduit dans les salines de l'eau de puits et de fontaine. En Chaonie, on fait bouillir l'eau d'une fontaine, et par le refroidissement on obtient un sel faible qui n'est même pas blanc. Dans la Gaule et la Germanie, on verse de l'eau salée sur des bois enflammés. [31,40] XL. 1. Dans une partie de l'Espagne on tire des puits une eau appelée saumure, et on croit qu'il n'est pas indifférent de la verser sur tel ou tel bois : le meilleur est le chêne, la cendre qui en provient ayant par elle-même le goût du sel. Ailleurs on recommande le coudrier. Ainsi, en versant de l'eau salée sur du bois on change le charbon même en sel. Tout sel fait avec du bois est noir. Je trouve dans Théophraste que les Ombriens étaient dans l'habitude de faire bouillir dans de l'eau des cendres de roseaux et de joncs, jusqu'à ce qu'il ne restât plus que peu de liquide. On fait aussi recuire la saumure des salaisons, et quand tout l'humide est évaporé, le sel reprend sa forme. Le plus agréable est celui qui provient de la saumure de mènes. [31,41] XLI. 1. Parmi les sels marins, le plus estimé est celui de Salamine de Chypre; parmi les sels d'étangs, celui de Tarente et celui de Phrygie, qu'on nomme de Tatta; ces deux sels sont bons pour les yeux. Celui qu'on apporte de Cappadoce dans des vaisseaux de brique donne, dit-on, de l'éclat à la peau; celui que nous avons appelé de Citium (XXXI, 39) en efface mieux les rides ; aussi en frotte-t-on, avec de la nielle, le ventre après l'accouchement. Plus le sel est sec, plus il est salé. De tous, celui de Tarente est le plus agréable et le plus blanc. Au reste, plus le sel est blanc, plus il est friable. La pluie adoucit toute espèce de sel; mais la rosée le rend plus agréable. Le vent d'aquilon en rend la formation plus abondante; il ne s'en fait pas par le vent du midi. 2. La fleur de sel ne se forme que par les vents de l'aquilon. Le sel de Tragasa et le sel d'Acanthus (IV, 17, 5), ainsi nommé du nom d'une ville, ne décrépitent ni ne pétillent au feu, non plus que l'écume et les raclures de sel, ni le sel très fin. Le sel d'Agrigente résiste au feu, et décrépite dans l'eau. Il y a aussi des différences de couleur : rouge à Memphis, le sel est roux sur les bords de l'Oxus, et pourpré à Centuripes. A Géla en Sicile, il est si luisant, qu'il réfléchit les images des objets. En Cappadoce, on a un sel fossile, couleur de safran, transparent et de très bonne odeur. Pour les usages médicaux, les anciens estimaient surtout le sel de Tarente; après celui-là, tous les sels marins; et, parmi ces derniers, principalement celui qui provient de l'écume de mer. 3. Pour les maladies des yeux des bêtes de somme et des boeufs on se sert du sel de Tragasa et du sel de la Bétique. On aime d'autant plus pour les ragoûts et les aliments un sel, qu'il se fond plus facilement et aussi qu'il est plus humide ; en effet, le goût en est moins amer: tels sont les sels de l'Attique et de l'Eubée. Un sel piquant et sec, comme celui de Mégare, est plus propre à la conservation des viandes. On confit aussi le sel en y ajoutant des substances odoriférantes. Il sert de sauce, il excite l'appétit, il relève tous les aliments ; et le fait est que parmi les innombrables assaisonnements dont nous usons le goût propre au sel domine toujours. 4. En mangeant du garum, c'est encore la saveur du sel qu'on recherche. Bien plus, rien mieux que le sel ne fait manger les moutons, les bêtes à cornes et les bêtes de somme; il augmente la quantité du lait, et donne meilleur goût au fromage. On ne peut donc vivre agréablement sans sel; et c'est une substance tellement nécessaire, que le nom en est appliqué même aux plaisirs de l'esprit; ou les nomme en effet sales (sels). Tous les agréments de la vie, l'extrême gaieté, le délassement du travail, n'ont pas de mot qui les caractérise le mieux. 5. Il entre aussi pour quelque chose dans les honneurs et les rétributions militaires, puisque c'est de là que vient le mot de salaire. Le sel était en grande estime chez les anciens, comme on le voit par le nom de la voie Salaria, ainsi nommée parce que, en vertu d'une convention, les Sabins faisaient venir leur sel par cette voie. Le roi Ancus Mucius donna au peuple, dans un congiaire, six mille boisseaux de sel, et il fut le premier qui établit des salines. Varron rapporte que les anciens faisaient du sel un plat; et le proverbe nous montre qu'ils le mangeaient avec du pain. Mais c'est surtout dans les sacrifices que l'on voit l'importance du sel : il ne s'en fait aucun où l'on n'offre des gâteaux salés. [31,42] XLII. 1. Ce qui distingue les salines dont les produits sont purs, c'est une certaine efflorescence de sel très légère et très blanche. On donne encore le nom de fleur de sel à une substance totalement différente, plus humide, safranée, ou rousse; on dirait la rouille du sel; elle se distingue non seulement de l'écume du sel, mais du sel lui-même, par une odeur désagréable qui ressemble à celle du garum. Cette substance se trouve en Égypte, et il paraît qu'elle y est portée par le Nil; cependant on la rencontre aussi dans quelques fontaines, où elle surnage. Ce qui en est le meilleur est une espèce de substance huileuse; car il y a (et ceci mérite d'être observé) de la graisse même dans le sel. 2. On sophistique et on colore cette substance avec de la terre rouge, ou le plus souvent avec de la brique pilée. Cette sophistication se découvre avec l'eau qui enlève cette fausse couleur; au lieu que la coloration naturelle ne peut être enlevée que par l'huile. Les parfumeurs se servent beaucoup de cette substance pour colorer leurs drogues. Dans les vases, cette fleur de sel est blanche à la surface; le milieu est plus humide, comme nous venons de le dire. Elle est âcre, échauffante, mauvaise à l'estomac, sudorifique. Dans du vin et de l'eau, elle purge. On l'emploie dans les médicaments acopes (délassants) et dans les liniments détersifs. Elle est très efficace pour faire tomber les cils. On agite le sédiment qui se forme au fond, pour faire reparaître la couleur de safran. Outre ces substances, on donne encore dans les salines le nom de salsugo, ou salsilago, à une substance entièrement liquide, plus salée que l'eau de mer, mais moins active. [31,43] XLIII. 1. On nomme garum une autre espèce de liqueur fort recherchée. On le prépare avec des intestins de poisson et d'autres parties qu'autrement on jetterait ; on les fait macérer dans le sel, de sorte que c'est le résultat de la putréfaction de ces ingrédients. Le garum se faisait autrefois avec un poisson appelé garus (XXXII, 53) par les Grecs, qui prétendaient que la vapeur de sa tête brûlée avait la propriété de faire sortir l'arrière faix. 2. (VIII.) Aujourd'hui le meilleur se fait avec le scombre, dans les poissonneries de Carthage Spartarla (Carthagène fabricant le spart) (XIX, 7). On l'appelle le garum des alliés, et deux conges (0 litr., 48) ne se payent guère moins de mille pièces d'argent. Il n'y a pour ainsi dire pas de substance, à l'exception des parfums, qui se paye aussi cher. Le garum fait même la réputation des pays d'où il vient. Les scombres se pêchent sur les côtes de la Mauritanie et sur celles de la Bétique, à Cartéia, lorsqu'ils entrent de l'Océan dans la Méditerranée, et on n'en fait aucun autre usage. On renomme encore pour le garum Clazomènes, Pompéi, Leptis, comme pour la saumure Antipolis (Antibes), Thurium, et déjà même la Dalmatie. [31,44] XLIV. 1. L'alex, rebut du garum, est une lie grossière et mal filtrée : cependant on commence à le préparer séparément avec un tout petit poisson, du reste sans usage; c'est l'apua (IX, 74, 5) des Latins, l'aphye des Grecs (anchois), ainsi nommé parce qu'il est engendré de la pluie (g-a g-phyoh, non engendré). Les habitants de Forum-Julii (Fréjus) font l'alex avec un poisson qu'ils nomment loup. L'alex est devenu ensuite un objet de luxe, et on en a fait une infinité d'espèces. De même du garum : on en prépare ayant la couleur de vin vieux miellé, et si agréablement délayé qu'on peut le boire. On en prépare aussi un autre, consacré aux observances religieuses et aux rites des Juifs ; on le fait avec des poissons sans écaille. 2. C'est de la sorte que l'alex s'est étendu aux huîtres, aux hérissons de mer, aux orties marines, aux homards, aux foies de surmulet. On s'est mis à faire putréfier le sel de mille manières pour piquer la sensualité. Nous nous sommes laissé aller à cette excursion en faveur des goûts de notre temps. Toutefois ces substances ne laissent pas que d'être de quelque usage en médecine. L'alex guérit la gale des moutons : on le verse sur la peau, qu'on incise. Il est bon contre les morsures du chien et du dragon marin (vive) : on l'applique dans de la charpie. Le garum guérit les brûlures récentes; mais il faut le verser sans en prononcer le nom. Il est utile aussi contre la morsure des chiens, et surtout du crocodile; contre les ulcères serpigineux ou sordides. Il est d'un merveilleux secours contre les ulcérations et les douleurs de la bouche et des oreilles. 3. La saumure ou ce salsugo dont nous avons parlé ont des propriétés astringentes, piquantes, atténuantes, siccatives. On s'en sert dans la dysenterie, même quand les ulcérations ont envahi les intestins. On en fait des lavements pour la coxalgie et le flux coeliaque invétéré. Dans l'intérieur des terres on en use en fomentation, à la place de l'eau de mer. [31,45] XLV. (IX.) 1. Le sel est par lui-même d'une nature ignée; cependant il est ennemi du feu, et le fuit; il corrode tout. Il est, pour le corps vivant, astringent, siccatif et resserrant. Il préserve même les cadavres de la putréfaction, les faisant ainsi durer pendant des siècles. En fait de propriétés médicales, il est piquant, échauffant, détersif, atténuant, résolutif; seulement il est mauvais à l'estomac, si ce n'est pour exciter l'appétit. On l'emploie contre les morsures des serpents, avec l'origan, le miel et l'hysope; contre le céraste, avec l'origan, ou la poix de cèdre, ou la poix ordinaire, ou le miel. Il est bon contre les scolopendres, à l'intérieur, dans du vinaigre; contre les piqûres des scorpions, à l'extérieur, dans de l'huile ou du vinaigre, avec un quart de graine de lin ; 2. contre les frelons et les guêpes, et autres insectes semblables, dans du vinaigre; contre les migraines, les ulcères de la tête, les pustules ou papules, et les verrues commençantes de cette partie, avec du suif de veau. On s'en sert pour les maladies des yeux, pour réprimer les excroissances qui se font sur ces organes et les végétations qui se forment sur tout le corps, mais spécialement les végétations des yeux; aussi le fait-on entrer dans les collyres et les emplâtres. Pour ces usages on recherche surtout le sel de Tana ou de Caunus. Pour les ecchymoses des yeux, suite de coups, on emploie le sel avec quantité égale de myrrhe et de miel, ou avec de l'hysope dans de l'eau chaude, et on fomente la partie avec le salsugo. 3. Pour cela on préfère le sel d'Espagne; et pour la cataracte on le broie avec du lait sur de petites pierres. On l'applique en particulier sur les contusions, enveloppé dans un petit linge; on renouvelle fréquemment cette application, qu'on fait avec de l'eau chaude. On le met dans de la charpie sur les ulcères de la bouche qui jettent; on en frotte les gencives tuméfiées. Égrugé bien fin, il dissipe les granulations de la langue. On dit que les dents ne se carient ni ne se gâtent si tous les matins, à jeun, on tient du set sous la langue jusqu'à ce qu'il soit fondu. Il guérit les lèpres, les furoncles, le lichen, les affections psoriques, avec du raisin sec dont on a ôté les pépins, du suif de boeuf, de l'origan, du levain ou du pain. Pour cela on se sert surtout du sel de Thèbes, que l'on choisit aussi pour les démangeaisons. 4. Ce sel est bon encore avec du miel pour les amygdales et la luette. Tout sel est bon pour l'angine; mais, de plus, il faut en même temps faire des frictions sur les parties extérieures avec de l'huile, du vinaigre et de la poix liquide. Le sel mêlé à du vin purge sans faire de mal. Bu dans du vin, il chasse les vers intestinaux. Tenu sous la langue, il permet aux convalescents de supporter la chaleur des bains. Mis dans des sacs, et fréquemment humecté avec de l'eau chaude, il soulage les douleurs nerveuses, surtout aux épaules et aux reins. A l'intérieur et à l'extérieur, employé chaud dans ces mêmes sacs, il guérit les coliques, les tranchées et les douleurs des hanches; broyé avec de la farine dans du miel et de l'huile, il guérit la goutte. C'est surtout dans cette maladie qu'il faut mettre à profit la remarque d'après laquelle, pour le corps entier, rien n'est plus utile que le sel et le soleil; aussi voyons-nous que les pêcheurs ont le corps dur comme la corne; mais cette remarque ne pouvait être mieux placée qu'à propos de la goutte. 5. Le sel enlève les cors aux pieds et les engelures. Pour les brûlures on l'emploie en topique ou on le fait manger, et il empêche le développement des ampoules. Pour les érysipèles et les ulcères serpigineux on s'en sert avec le vinaigre ou l'hysope; pour les carcinomes, avec l'uva taminia (XXIII, 13) ; pour les ulcères phagédéniques, grillé avec la farine d'orge; on applique par-dessus un linge trempé dans du vin. Chez les ictériques on en fait des frictions, avec de l'huile et du vinaigre, à côté du feu, jusqu'à ce qu'ils suent, pour les délivrer des démangeaisons qu'ils ressentent. On frotte les personnes lasses avec du sel et de l'huile. 6. Beaucoup ont traité les hydropiques avec le sel, ont fait des onctions avec le sel et l'huile dans les ardeurs de la fièvre, et ont dissipé les toux invétérées en en mettant sur la langue. On l'a employé en lavement dans les coxalgies; on en a fait un topique pour les ulcères fongueux ou putrides. On l'applique sur les morsures des crocodiles, avec du vinaigre, dans des linges, de manière à engourdir préalablement la plaie. On le donne à l'intérieur, dans du vinaigre miellé, contre l'opium. Avec de la farine et du miel on l'applique sur les luxations et sur les excroissances de chair. 7. Dans le mal de dents on en fait un collutoire avec le vinaigre, ou l'on frotte la dent douloureuse avec du sel et de la résine. Pour tous ces usages l'écume de sel est plus agréable et plus efficace. Mais toute espèce de sel est bonne dans les médicaments acopes (délassants), quand il s'agit d'échauffer, et dans les médicaments détersifs, quand il s'agit d'atténuer et de rendre plus lisse la peau. En topique le sel guérit la gale des moutons et des boeufs : on le leur donne à lécher. On le jette avec la salive dans les yeux des bêtes de somme. Voilà ce que nous avons à dire sur le sel. [31,46] XLVI. (X.) 1. C'est ici l'endroit de parler du nitre, qui ne diffère pas beaucoup du sel; et il faut en parler avec d'autant plus de soin, qu'il est évident que les médecins qui en ont traité n'en ont pas connu la nature; de tous les auteurs Théophraste est celui qui a été le moins inexact. On trouve en Médie, dans des vallées toutes blanches de sécheresse, un nitre en petite quantité, qu'on nomme halmyrhax. En Thrace, les environs de Philippes en donnent, en moins grande quantité encore, un qui est terreux, et qu'on nomme nitre sauvage. Quant à celui qui provient des cendres de chêne, on n'en a jamais fait beaucoup, et depuis longtemps on y a complètement renoncé. 2. On rencontre en plusieurs lieux des eaux nitreuses, mais elles sont trop peu chargées pour se condenser. Il s'en trouve de très bon, et abondamment, à Lites, en Macédoine; on le nomme chalastrique; il est blanc, pur, et très semblable au sel. Au milieu du lac qui le produit, jaillit une petite source d'eau douce. Le nitre s'y forme vers le lever du Chien, pendant neuf jours; puis il cesse de se produire pendant neuf autres jours, après quoi il y a encore neuf jours de formation, et puis un repos. D'où l'on voit que c'est la nature du sol qui produit le nitre; car, hors des époques de formation, ni le soleil ni les pluies n'y font rien. 3. Il faut remarquer encore cette particularité : bien que la petite source soit toujours jaillissante, le lac ne croit pas et n'a pas d'écoulement. S'il pleut dans les jours où se forme le nitre, la pluie le rend plus salé; les vents de l'Aquilon le détériorent, parce qu'ils remuent fortement la vase. Voilà pour le nitre natif. 4. L'Égypte fabrique du nitre en beaucoup plus grande abondance, mais d'une qualité inférieure, car il est brun et pierreux. Il se prépare à peu près de la même manière que le sel : seulement, tandis qu'on introduit l'eau de la mer dans les salines, on introduit l'eau du Nil dans les nitrières; celles-ci, quand le Nil se retire, sont imbibées d'un suc nitreux pendant quarante jours consécutifs, et non, comme en Macédoine, avec des intermittences. S'il a plu, on introduit moins d'eau du fleuve. Dès que le nitre commence à se former, on l'enlève, pour qu'il ne se fonde pas dans les nitrières. Ce nitre contient aussi une sorte d'huile propre à guérir la gale des animaux. 5. Mis en tas, il se conserve longtemps. Chose singulière, dans le lac Ascanius et dans quelques fontaines près de Chalcis, les eaux sont douces et potables à la surface, et nitreuses au fond. La partie la plus ténue du nitre est la meilleure; aussi préfère-t-on l'écume de nitre cependant on a besoin du nitre impur pour quelques usages; par exemple pour teindre en pourpre, et pour toutes sortes de teintures; on l'emploie aussi beaucoup pour la fabrication du verre, de laquelle nous parlerons en son lieu (XXXVI, 65 ). 6. Il n'y avait autrefois en Égypte de nitrières qu'aux environs de Naucratis et de Memphis. Les moins bonnes étaient celles de Memphis; car là le nitre en tas prend la dureté de la pierre, et beaucoup de ces tas ont formé de véritables rocs. On en fait des vases ; on fond fréquemment la pierre de nitre avec du soufre, et l'on fait cuire le tout au feu de charbon. On se sert aussi de ce nitre pour tout ce qu'on veut garder longtemps. En Égypte, il y a des nitrières où le nitre est roux comme la terre d'où il provient. L'écume de nitre, dont on fait le plus de cas, ne se produisait, suivant les anciens, que quand la rosée était tombée; il fallait que cela arrivât quand la nitrière, sur le point de donner du nitre, n'en donnait pas encore ; et il ne se formait point d'écume de nitre dans une nitrière en pleine activité, même quand il y tombait de la rosée. 7. D'autres en attribuaient la formation à la fermentation des tas de nitre. D'après les médecins de l'âge suivant, l'écume de nitre se recueille en Asie, dans des grottes où cette substance découle des rochers: ces grottes sont appelées Colyces; le produit qu'elles fournissent se sèche au soleil. L'écume de nitre qui vient de Lydie est regardée comme la meilleure. On la reconnaît à ces caractères : elle est très peu pesante, très friable, et presque de couleur de pourpre. On l'apporte en petites masses. Celle d'Égypte vient dans des vases enduits de poix, pour qu'elle ne se fonde pas; et on donne à ces vases la dernière façon en les faisant sécher au soleil. 8. Pour être bon, le nitre doit être très menu et très spongieux, et poreux. En Égypte, on le falsifie avec de la chaux, falsification qui se reconnaît au goût : le nitre pur se fond facilement, tandis que le nitre falsifié reste sur la langue, qu'il pique. Le nitre qu'on saupoudre de chaux exhale une odeur forte. On le brûle dans un vaisseau couvert, pour qu'il n'éclate pas. Du reste, le nitre ne pétille point dans le feu; il n'engendre et ne nourrit rien, tandis que les salines produisent des herbes, et la mer tant d'animaux; la mer, qui du reste ne donne naissance qu'à des algues. Mais on reconnaît que le nitre est plus acre que le sel, non seulement d'après ce fait, mais encore parce que les nitrières détruisent très vite les souliers. D'ailleurs les nitrières sont salubres; elles éclaircissent la vue; on n'y contracte point d'ophtalmies; 9. les ulcérations qu'on y apporte se guérissent très promptement, mais celles qu'on y gagne, tardivement. Le nitre en friction avec de l'huile provoque la sueur et relâche le corps. On met dans le pain du nitre de Chalastra, en guise de sel. Avec les raiforts (XIX, 26, 5), on se sert du nitre d'Égypte; il les attendrit, mais il blanchit et gâte les autres mets. Il donne aux choux une couleur plus verte. En médecine il est échauffant, atténuant, mordicant, astringent, siccatif, ulcératif. Il est bon dans les cas où il faut appeler quelque humeur, ou résoudre ou picoter doucement et atténuer, comme pour les papules et les pustules. Quelques-uns pour cet usage le brûlent, l'éteignent avec du vin astringent, le broient, et l'emploient ainsi préparé, sans huile, dans les bains. Avec de l'iris en poudre et de l'huile verte, il réprime les sueurs excessives. 10. On s'en sert en topique avec une figue, ou bouilli dans du vin de raisin sec jusqu'à réduction de moitié, pour effacer les cicatrices des yeux et les granulations des paupières, et pour dissiper les taies. Bouilli avec du vin de raisin sec dans une écorce de grenade, il est bon pour les ptérygions. En onction avec du miel, il éclaircit la vue. Il guérit le mal de dents, en collutoire dans du vin avec du poivre, ou bouilli avec des poireaux. Brûlé et employé en dentifrice, il nettoie les dents qui noircissent. Il tue la vermine de la tète et les lentes, appliqué dans de l'huile avec de la terre de Samos. Dissous dans du vin, ou l'injecte dans les oreilles qui suppurent. 11. Dans du vinaigre, il enlève les saletés des oreilles. Introduit sec dans cette partie, il fait passer les bourdonnements et les tintements. A poids égal, avec la terre cimoliée et le vinaigre, on en fait un liniment dont on se frotte au soleil pour guérir le vitiligo blanc. Mêlé avec de la résine ou avec du raisin sec, blanc, dont on broie les pépins avec le nitre, il emporte les furoncles. Il guérit l'inflammation des testicules; avec l'axonge, les éruptions pituiteuses de tout le corps. Contre la morsure des chiens, on y ajoute de la résine, et on l'applique dès le début avec du vinaigre. 12. Avec la chaux et le vinaigre, on en fait un topique pour les morsures des serpents, pour les ulcères phagédéniques, pour les ulcères serpigineux ou putrides. Broyé avec une figue, on l'emploie, chez les hydropiques, à l'intérieur et à l'extérieur. Il dissipe les tranchées, pris en décoction, à la dose d'une drachme, avec de la rue, ou de l'aneth, ou du cumin. Il remet les personnes fatiguées, en friction avec l'huile et le vinaigre. Contre les refroidissements et les frissons, on en frotte les pieds et les mains du malade avec de l'huile ; il remédie aux démangeaisons chez les ictériques, surtout donné avec du vinaigre. 13. Bu dans de l'oxycrat, c'est un antidote pour les champignons vénéneux. Bu dans de l'eau, il guérit ceux qui ont avalé le bupreste, et provoque le vomissement. On le donne, avec le laser (XIX, 15), à ceux qui ont bu du sang de taureau. Avec du miel et du lait de vache, il guérit les ulcérations de la face. Pour les brûlures, on le fait griller jusqu'à ce qu'il noircisse, et on l'applique pilé. On le donne en lavement pour les douleurs du ventre et des reins, pour le tétanos, pour les douleurs des nerfs. En cas de paralysie de la langue, on le donne dans du pain. Pour l'asthme, on le prend dans de la ptisane (décoction d'orge). La fleur de nitre guérit les vieilles toux : on l'unit à poids égal au galbanum et à la térébenthine, et on donne de ce mélange gros comme une fève. 14. On fait cuire le nitre, puis, après l'avoir délayé avec la poix liquide, on l'administre dans l'angine. La fleur de nitre avec l'huile de cyprus (XII, 51), employée en friction au soleil, soulage les goutteux. En boisson dans du vin, il guérit l'ictère. Il dissipe les flatuosités. Il arrête l'épistaxis, si on en respire la vapeur dans de l'eau bouillante. Mélangé avec l'alun, il guérit le perrigo. Dans de l'eau, et employé chaque jour en fomentation, il dissipe la mauvaise odeur des aisselles. Mêlé avec la cire, il cicatrise les ulcères nés de la pituite; de cette façon aussi, il est bon pour les nerfs. On le donne en lavement pour le flux coeliaque. Beaucoup ont recommandé de l'employer en friction, avec de l'huile, avant l'accès en froid, ainsi que contre les lèpres et les taches de rousseur. Il est avantageux de prendre un bain de nitre pour la goutte, l'atrophie, l'opisthotonos et le tétanos. Le nitre, cuit avec du soufre, se change en pierre. [31,47] XLVII. (XI.) 1. Nous avons, en parlant des productions marines, indiqué les espèces d'éponges (IX, 69). Quelques-uns les divisent ainsi : On a regardé comme mâles les éponges qui sont percées de petits trous, épaisses, promptes à s'imbiber, et que, par luxe, on teint quelquefois même en pourpre; comme femelles, celles qui ont des trous plus grands et non interrompus. Parmi les éponges mâles, il en est d'une espèce plus dure, qu'on nomme boucs : ce sont celles qui ont les trous les plus petits et les plus rapprochés. On a trouvé le moyen de les blanchir : on choisit les plus fines; on les prend fraîches, quand elles ont reçu pendant l'été l'écume du sel marin. Puis on les expose à la lune et aux gelées blanches, retournées, c'est-à-dire par le côté qui était adhérent; et cela pour que la blancheur les pénètre. Nous avons dit que c'était un animal (IX, 69) ; les éponges ont même du sang. Quelques-uns rapportent qu'elles se gouvernent par le sens de l'ouïe ; qu'elles se contractent au son qui les frappe, en rendant une humeur abondante; qu'on ne peut les détacher de la pierre, et que c'est pour cela qu'on les coupe, opération pendant laquelle il s'en échappe une matière sanieuse. 2. On préfère à toutes les autres celles qui ont été produites du côté de l'aquilon. Les médecins assurent que c'est dans ce cas que l'esprit qui les anime dure le plus longtemps; qu'elles nous sont utiles par cet esprit même, en le mêlant au nôtre; que par cette raison on préfère les éponges les plus récentes et les plus humides; qu'elles valent moins si on s'en sert dans de l'eau chaude, moins si on les huile, moins si on les applique sur une personne dont on a huilé le corps ; enfin, que les éponges épaisses ont le moins d'adhérence. Les éponges les plus fines sont employées à faire des plumasseaux : appliquées avec du vin miellé sur les yeux, ces plumasseaux en dissipent le gonflement; ils sont très bons pour absterger la chassie, et pour cela il faut qu'ils soient très fins et très souples. Dans les fluxions oculaires, on applique les éponges elles-mêmes, avec de l'oxycrat. Pour la céphalalgie, on s'en sert en topique avec du vinaigre chaud. Du reste, les éponges récentes sont résolutives, émollientes, adoucissantes. Vieilles, elles ne réunissent pas les plaies. 3. On s'en sert pour nettoyer, pour étuver, pour couvrir après la fomentation les parties malades, jusqu'à ce qu'on applique un autre appareil. En topique, elles sèchent les ulcères humides et ceux des vieillards. Les éponges sont très bonnes pour fomenter les fractures et les plaies. On s'en sert pour absorber le sang dans les incisions, pour qu'on puisse voir les parties que l'on coupe. Sur les plaies enflammées, on les applique elles-mêmes, tantôt sèches, tantôt imbibées, soit de vinaigre, soit de vin ou d'eau fraîche. Lorsqu'on les applique imbibées d'eau de pluie, elles empêchent de se tuméfier les parties récemment incisées. On les applique encore sur les parties intactes, mais affectées d'une congestion occulte qu'il s'agit de résoudre, et sur les tumeurs qu'on appelle apostèmes : on fait d'abord une onction avec le miel cuit. 4. On les applique sur les articulations, imbibées tantôt avec du vinaigre salé, tantôt avec de l'oxycrat; et si l'inflammation est vive, avec de l'eau. On les trempe dans l'eau salée, pour les appliquer sur les callosités; dans le vinaigre, pour les appliquer sur les piqûres de scorpions. Dans le traitement des plaies elles remplacent la laine en suint, employées soit avec le vin et l'huile, soit avec l'eau salée. La différence qui s'y trouve, c'est que la laine est émolliente, et que les éponges sont astringentes, et absorbent les humeurs viciées. On attache autour des hydropiques des éponges soit sèches, soit imbibées d'eau tiède ou d'oxycrat, suivant qu'il est besoin de couvrir ou dessécher doucement la peau. On les applique aussi dans les maladies où il est besoin de chaleur: on les arrose d'eau bouillante, et on les exprime entre deux planches. De cette façon, elles constituent aussi un topique bon pour l'estomac et pour les trop grandes ardeurs de la fièvre. Rien de plus efficace que l'éponge imbibée d'oxycrat pour les affections de la rate, de vinaigre pour l'érysipèle. 5. Il faut l'appliquer de manière qu'elle s'étende largement jusque sur les parties saines. Une éponge imbibée de vinaigre ou d'eau froide arrête l'hémorragie ; imbibée d'eau salée chaude et fréquemment renouvelée, elle fait disparaître la lividité produite par un coup récent. Humectée d'oxycrat, elle enlève la tuméfaction et la douleur des testicules. Sur la morsure des chiens on met avec avantage de l'éponge hachée, qu'on humecte de temps eu temps de vinaigre, ou d'eau froide, ou de miel. La cendre d'éponge d'Afrique (IX, 69), avec du suc de poireau et un breuvage de sel et d'eau froide, est bonne pour l'hemoptysie. La même cendre, en topique sur le front, soit avec de l'huile, soit avec du vinaigre, guérit la fièvre tierce; l'éponge d'Afrique en particulier, imbibée d'oxycrat, résout les tumeurs. La cendre de toutes les éponges brûlées avec de la poix arrête le sang des blessures. Quelques-uns, pour cet usage, ne brûlent avec la poix que les éponges à larges pores. 6. Pour les yeux, on tes brûle dans un pot de terre crue; cette cendre est excellente pour les granulations des paupières, pour les excroissances charnues, et pour tout ce qu'on veut déterger, resserrer, remplir : pour cet usage, le mieux est de laver la cendre. Dans les maladies, les éponges remplacent les strigiles (instruments à nettoyer le corps) et les linges. Elles défendent très bien la tête contre l'action du soleil. Les médecins, par ignorance, les comprennent toutes sous deux noms : les éponges d'Afrique, qu'ils regardent comme plus fortes, et celles de Rhodes, qui sont plus douces pour les fomentations. Aujourd'hui les plus fines se trouvent dans les environs de la ville d'Antiphellos (V, 28, 1). Trogue-Pompée rapporte que du côté de la Lycie, dans la haute mer, là d'où on a retiré des éponges, il se forme les plumasseaux les plus fins; et Polybe, que ces plumasseaux, suspendus au-dessus d'un malade, lui font passer des nuits plus tranquilles. Maintenant nous allons revenir aux animaux de la mer et des eaux.