Titre : Théatre de Plaute. T.8, Pseudolus. Le Cordage / traduction nouvelle accompagnée de notes par J. Naudet Alphabet du titre : latin Auteur(s) : Plaute. Auteur Date(s) : 1831-1838 Langue(s) : français Pays : France Editeur(s) : Paris : C. L. F. Panckoucke, 1831-1838 Description : In 8° Collection(s) : (Bibl. lat. franc.) Texte repris à GOOGLE : http://books.google.fr/books?id=cekNAAAAYAAJ&pg=PA248&dq=plaute+rudens&lr=#v=onepage&q=&f=false LE CORDAGE PROLOGUE. (L'Étoile Arcture) Le grand moteur de toutes les nations, et des terres, et des mers, je suis son concitoyen dans la cité céleste. Je suis, vous le voyez, un astre brillant, une blanche étoile, qui se lève toujours à son heure, ici et dans le ciel. Mon nom est Arcture. Je brille là-haut pendant la nuit parmi les dieux; je parcours durant le jour la demeure des mortels. Mais je ne suis pas la seule constellation qui descende sur la terre. Le souverain des dieux et des hommes, Jupiter, nous envoie dans les différentes contrées pour observer les mœurs et la conduite des mortels; comment ils pratiquent le devoir et la bonne foi; comment chacun obtient les présens de la fortune. Ceux qui soutiennent des poursuites frauduleuses par de frauduleux témoignages; ceux qui nient, avec serment, une dette devant les tribunaux, leurs noms sont écrits par nous et portés à Jupiter. Chaque jour il sait qui provoque sa vengeance. Que les méchans s'efforcent de gagner des procès par leurs impostures, qu'ils obtiennent par la sentence du jugeun bieu qui ne leur appartient pas; Jupiter remet en jugement la chose jugée, et l'amende qu'il leur inflige dépasse le gain qu'ils emportent. Il garde les noms des honnêtes gens inscrits sur d'autres tables. Voyez encore les criminels; ils s'imaginent qu'ils pourront acheter la clémence de Jupiter par des offrandes, par des sacrifices; ils perdent leurs soins et leur argent. C'est que jamais les prières des perfides ne sauraient le toucher. Mais lorsqu'un homme juste implore les dieux, il lui est plus facile qu'à l'impie de trouver grâce devant eux. Je vous le conseille donc, hommes de bien, dont la vie est conforme aux lois de la justice et de la vertu, persévérez ; vous vous féliciterez, après, de volre conduite. Maintenant, je vais expliquer le sujet de la pièce, je suis venu tout exprès. D'abord cette ville se nomme Cyrène; ainsi l'a voulu Diphile. Par-là, tout près, Démonès habite une maison rustique, dans un champ au bord de la mer. Ce vieillard athénien, qui vint ici lorsqu'il s'expatria , n'est pas du tout un méchant homme; ce ne sont point de mauvaises actions qui l'ont privé de son pays : mais pour être utile aux autres, il se mit dans l'embarras, et perdit une fortune bien acquise, par trop d'obligeance. Un pirate lui enleva encore sa fille en bas âge, et la vendit à un scélérat de prostitueur, qui l'a conduite ici même à Cyrènc; elle ctait grande alors. Un jour qu'elle revenait .de l'école de musique, un de ses compatriotes, un jeune homme d'Athènes, s'éprit d'amour pour elle. Il va trouver le prostitueur, achète la belle trente mines, donne des arrhes, et reçoit le sernient qui engage le vendeur. Mais le coquin, par un procédé digne de lui, ne tient nul compte de sa parole ni du serment qu'il a fait au jeune homme. Il avait pour Iiôte un vieillard sicilien, d'Agrigente. son pareil, un scélérat, traître à son pays. Cet homme commence par vanter les attraits de la jeune fille et des autres beautés un la possession du prostitueur; puis il lui conseille de passer avec lui en Sicile, parce que c'est un pays de voluptueux, excellent pour le trafic des courtisanes. L'autre le croit; on s'assure en secret d'un vaisseau; le prostitueur y transporte pendant la nuit tout son avoir; il dit à l'amant, acquéreur de la jeune fille, qu'il est dans l'intention de s'acquitter d'un vœu fait à Vénus, voici le temple de la déesse); et il l'invite, sous ce prétexte, à venir ici pour dîner. Puis, à l'instant même, il s'embarque, emmenant sa troupe féminine. Le jeune homme apprend par d'autres la fourberie du proatitueur t-t sa fuite; il court au port : le vaisseau était déjà loin en pleine mer. Mais moi, qui voyais enlever cette pauvre fille, je suis venu la secourir et perdre en même temps l'infâme. J'ai déchaîné la tempête, j'ai troublé les ondes; car vous voyez en moi, Arcture, la plus orageuse de toutes les constellations : terrible à mou lever, je suis, à mon coucher, plus terrible encore. En ce moment 1« prostitueur et son ami occupent ensemble un rocher où les a jetés le naufrage; ils u'onl plus de vaisseau. Mais la fille de Démonès et une autre esclave comme elle ont sauté toutes tremblantes dans l'esquif, et la vague les eloigne du rocher et les porte au rivage, près de la métairie, séjour du vieillard expatrié, dont le loit vient d'être dévasté par le vent. Et voici son esclave qui sort de la maison; bientôt vous verrez venir l'amoureux qui avait acheté au prostitueur la jeune fille. Salut à vous ; à vos ennemis, la terreur. SCÉPARNION, seul. O dieux immortels! l'affreuse tempête que Neptune nous a envoyée cette nuit ! Le veut a découvert toute la métairie. Le vent? c'était plutôt l'ouragan de l'Alcmèue d'Euripide , tant il a ravagé toutes les tuiles de nos toits. Combien il y a percé de jours et de fenêtres! PLEUSIDIPPE, à ses amis. Je vous ai détournés de vos affaires, et pour rien; j'ai manqué mon coup; le prostitueur n'était plus au port, quand je suis allé pour l'y prendre. Mais je ne voulais pas abandonner par indolence tout espoir. Voilà pourquoi je vous ai retenus si long- temps, mes amis. Maintenant je viens voir au temple de Vénus, où il m'avait dit qu'il ferait un sacrifice. SCÉPARNION, sans voir Pleusidippe ni ses amis. Je ferai bien cependant d'arranger ce mortier qui me donne tant de mal. PLEUSIDIPPE. J'entends quelqu'un parler près d'ici. DÉMO NÈS, venant du côté de la métairie. Holà! Scéparnion. SCÉPARNION. Qui m'appelle ? DÉMONÈS. Celui qui a donné de l'argent pour toi. SCÉPARNION, d'un air ptaisant. Comme si tu voulais dire que je suis ton esclave, Démonès ? DÉMONÈS. Il faut beaucoup de mortier, tire beaucoup de terre. Je vois que la métairie est à recouvrir entièrement ; elle est tout à jour et plus criblée de trous que n'est un crible. PLEUSIDIPPE, approchant de Démonès. Père, je te souhaite le bonjour; (à Scéoarnion) et à toi en même temps. DÉMONÈS. Bonjour. SCÉPARNION, à Pleusidippe. Es-tu garçon ou fille, pour le nommer du nom de père? PLEUSIDIPPE. Je suis homme. DÉMONÈS. Puisque tu es homme, cherche ailleurs ton père. Je n'ai eu qu'une fille, et cette fille unique me fut enlevée dès sa première enfance. Je n'ai jamais eu d'enfant mâle. PLEUSIDIPPE. Veuillent les dieux t'en donner! SCÉPARNION. Et mal de mort à toi, par Hercule, qui que tu sois, pour nous occuper à t'écouter quand nous avons de l'occupation. PLEUSIDIPPE, à Démonès, en lui montrant la maison. C'est ici que vous demeurez? SCÉPARNION. Pourquoi cette question ? Est-ce que tu prends connaissance des lieux pour venir ensuite nous voler? PLEUSIDIPPE, avec une ironie mêlée de colère. Il n'y a qu'un excellent esclave et riche de son pécule, qui se permette de prendre la parole en présence de son maître et d'insulter un homme libre. ScÉparnion. Il n'y a qu'un vaurien sans pudeur qui vienne importuner des gens qui ne lui sont de rien et qui n'ont rien à lui. DÉMONÈS. Scéparnion, silence. (à Pleusidippe) Que désires-tu, jeune homme? SCÉPARNION. Un châtiment pour ce drôle, qui se hâte , sans égard pour son maître présent, deparler avant qu'on l'interroge. D'un ton radouci] Mais si cela ne t'incommode pas, je veux prendre auprès de toi quelques informations. DÉMONÈS. A ton service, quelque affaire qui me tienne. SCÉPARNION, à Pleusidippe. Va plutôt couper des roseaux dans le marais, pour <|ue nous en couvrions la métairie pendant qu'il fait beau. DÉMONÈS, à Scéparnion. Silence. {A Pleusidippe) Que veux-tu? dis-le moi. PLEUSIDIPPE. Je te prie de me répondre. As-tu vu ici un homme qui a les cheveux crépus et blancs, un coquin, un fourbe, un sournois. DÉMONÈS. J'en ai vu beaucoup ; car ce sont les gens de cette espèce qui m'ont réduit à la misère où je suis. PLEUSIDIPPE. Je parle d'un homme qui a dû mener ici, au temple de Vénus, deux jeunes femmes avec lui, et faire les apprêts d'un sacrifice, aujourd'hui ou hier. DÉMONÈS. Non, jeune homme; il y a, par Hercule, déjà plusieurs jours que je n'ai vu personne sacrifier ici, et il ne peut pas y avoir de sacrifice sans que j'en sois instruit; car on nous demande toujours de l'eau ou du feu, ou des vases, ou un couteau, ou des broches, ou une marmite à faire bouillir les viandes, ou quelque ustensile. Enfin c'est pour le service de Vénus que j'ai une vaisselle et un puits, et non pas pour moi. Mais il y a déjà plusieurs jours qu'on n'est venu. PLEUSIDIPPE. D'après ce que tu me dis, je suis perdu , c'est toi qui me l'annonces. DÉMONÈS. Pour ce qui dépend de moi, je ne te souhaite que prospérité. SCÉPARNION, à Pleusidippe. Dis donc, l'affamé, qui vas flairant les sacrifices, tu ferais mieux de commander un dîner chez toi ; on t'a peut-être invité à dîner ici. L'auteur de l'invitation n'a point paru. PLEUSIDIPPE. Tu dis vrai. SCÉPARNION. Tu ne risques rien, ayant la panse vide, de t'en aller chez toi ; le culte de Gérés te vaudra mieux que celui de Vénus. L'une procure des amours, l'autre des vivres. PLEUSIDIPPE, à part. Il m'a joué d'une manière indigne. DÉMONÈS , regardant du côté de la mer. O dieux immortels! quels sont ces hommes auprès du rivage, Scéparnion? SCÉPARNION. Si je ne me trompe, ils sont invités à dîner pour un départ. DÉMONÈS. Comment cela? SCÉPARNION. C'est qu'ils ont l'air d'avoir pris un bain hier après souper. Leur vaisseau a été brisé en mer. DÉMONÈS. C'est vrai. SCÉPARNION. Comme ici sur terre notre métairie et nos tuiles, par Hercule. DÉMONÈS, regardant toujours du même côté. Hélas ! pauvres humains , ce que c'est de vous ! Comme ils tâchent de se sauver du naufrage! PLEUSIDIPPE. Où sont-ils, jete prie? DÉMONÈS. Par ici, à droite; vois-tu? près du rivage. Pleusidippe. Je vois. (A ses amis) Suivez-moi. Plaise aux dieux que ce soit l'homme que je cherche, le scélérat maudit! (A Démonès et à Scéparniori) Portez-vous bien. (Il sort.) SCÉPARNION. Nous n'avons pas besoin de tes avertissemens pour y donner nos soins. (Il regarde à son tour la mer d'un autre cote) Mais, ô Palémon, auguste suivant de Neptune, et qui partages même, dit -on, ses honneurs, qu'est-ce que je vois! DÉMONÈS. Que vois-tu? SCÉPARNION. Deux femmes dans un esquif, toutes seules; les pauvrettes! comme elles sont battues par les eaux!... Bon, bon, très-bien! la vague éloigne l'esquif des écueils et le pousse au rivage. Un pilote n'aurait pas mieux manœuvré. Je ne crois pas avoir vu de flots plus terribles.... Elles sont sauvées si elles échappent à cette lame. Dieux ! dieux! quel péril! en voici une qui vient d'être jetée à la mer. Mais l'endroit est guéable, elle s'en tirera facilement.... à merveille! elle est debout; elle s'avance par ici.... Il n'y a plus de danger.... Et l'auire, elle a sauté de l'esquif à terre. Comme, dans son effroi, elle est tombée à l'eau sur les deux genoux! elle est sauvée; la voilà échappée des ondes; elle est sur le rivage. Mais quel détour prend-elle ! c'est pour aller se casser le cou. Tiens ! elle se perdra. DÉMONÈS. Que t'importe! SCÉPARNION, regardant toujours. En grimpant sur ce rocher, si elle roule en bas, elle aura bientôt trouvé le terme de sa course. DÉMONÈS, le tirant avec impatience. Si elles font les frais de ton souper, tu as raison de t'occuper d'elles, Scéparnion ; si c'est moi qui dois te fournir Ion repas, je réclame tes services. ScÉpArn Ion. C'est trop juste; très-bien dit. DÉMONÈS. Suis-moi donc de ce côté. SCÉPARNION. Je te suis. (Ils tortent tous deux.) PALESTR A , seule, sortant des rochers qui bordent le rivage*. Tout ce qu'on dit des infortunes et des misères humaines est encore bien au dessous des maux que nous . sommes condamnés à éprouver effectivement dans la vie. Un dieu l'a donc voulu ainsi ! je devais, en cet équipage misérable, errer dans des régions que je ne connais pas, naufragée et souffrante ! Etait-ce donc ma destinée? est-ce là le prix que je reçois pour une vertu si pure? Car il ne me semblerait pas pénible d'endurer cette peine, si je m'étais rendue coupable envers les dieux ou envers mes parens. Mais si je m'en préservai toujours avec une attention extrême, c'est une indignité, c'est une injustice, c'est un excès d'iniquité, ô dieux, de m'accabler ainsi ! Quel sera en effet le sort des médians désormais, puisque vous ne témoignez pas d'autre intérêt à l'innocence? Si je savais que mes parens ou moi nous nous fussions rendus criminels, je ne me plaindrais pas. Mais c'est le crime de mon maître qui me poursuit, c'est son impiété qui cause mes malheurs.... Il a vu périr dans la mer son vaisseau et tout ce qu'il avait. De ses biens, je suis tout ce qui reste. Ma compagne, qui s'était réfugiée avec moi dans la nacelle, est noyée elle-même. Je demeure seule. Si nous nous étions sauvées ensemble, du moins sa préseuce adoucirait mes chagrins. Maintenant quelle espérance puis-je avoir? quelle ressource? que résoudre, jetée comme je suis dans ces lieux déserts? Là des rochers, ici la mer qui gronde; et pas un être humain ne s'offre à ma vue. Ces vêtemens sont tout ce que je possède au monde, sans savoir comment me nourrir, où trouver un asile. Quel espoir m'attache encore à la vie? J'ignore les chemins, j'ai si peu habité ce pays. Si quelqu'un au moins me montrait une route, un sentier pour sortir de ces lieux! Irai-je par ici? ou bien de ce côté? Je ne sais. Quelle perplexité! Je n'aperçois dans les alentours aucun champ cultivé. Le froid, la détresse, la terreur glacent tous mes membres. Vous ne savez pas, mes infortunés parens, quelle est en ce moment l'infortune de votre fille. Ainsi donc j'étais née libre autant que personne au monde, et ma naissance ne m'a servi de rien. Suis-je moins esclave à présent, que si j'étais née dans l'esclavage? Et jamais je ne fus d'aucune consolation pour ceux qui m'ont donné l'être! AMPÉLISQUE - PALESTRA. (Les rochers les séparent l'une de l'autre et les empêchent toutes deux de se voir.) AMPÉLISQUE. Qu'ai-je de mieux à faire, et quel autre parti dois-je prendre, que de bannir la vie de mon corps? Je suis trop malheureuse; trop de chagrins mortels se sont amassés dans mon sein. Je ne veux plus prolonger mon existence; j'ai perdu l'espérance qui me soutenait. Je viens de parcourir tous les lieux d'alentour, de me traîner dans tous les réduits cachés, pour y découvrir la trace de ma compagne, la cherchant des yeux, des oreilles, de la voix; je ne la trouve nulle part. Où aller? où la découvrir? je m'y perds. Je ne rencontre personne à qui je puisse m'informer. Il n'y a pas de terre plus déserte que cet endroit et toute cette contrée. Vit-elle encore? Si elle vit, je n'aurai point de cesse que je ne l'aie trouvée. PALESTRA. Quelle voix résonne près d'ici? AMPÉLISQUE. Que j'ai eu peur! Qui est-ce qui parle près de moi ? PALESTRA. Espérance, ô bonne Espérance, viens à mon aide! AMPELISQUE. C'est une femme; oui, une voix de femme a frappé mon oreille. Ah! délivre-moi de la crainte et du tourment ou je suis! PALESTRA. Assurément, c'est une voix de femme qui est venue à mes oreilles. (Élevant la voix] Est-ce Ampélisque, de grâce? AMPÉLISQUE. Estice toi, Palestra, que j'entends? PALESTRA. Je veux l'appeler par son nom de «manière qu'elle m'entende. (Criant) Ampélisque! AMPÉLISQUE. Hé! qui est là? PALESTRA. C'est moi, Palestra. AMPÉLISQUE. Dis-moi où tu es? PALESTRA. Par Pollux, dans un abîme de maux. AMPÉLISQUE. Notre sort est commun. Je n'en ai pas une moindre part que toi. Que je suis impatiente de te voir! PALESTRA. Ton impatience ne peut qu'egaler la mienne. AMPÉLISQUE. Marchons en nous guidant à la voix. Où es-tu ? PALESTRA. Me voici ; approche de ce côté, viens me rejoindre. AMPÉLISQUE. C'est ce que je m'empresse de faire. PALESTRA, lui tendant sa main. Donne-moi la main. AMPÉLISQUE, lui donnant la sienne. Tiens. PALESTRA. Tu es donc vivante? dis-moi, je te prie. AMPÉLISQUE. A présent je tiens à la vie, et c'est à cause de toi; il m'est donc permis de te presser dans mes bras ! J'ai peine à le croire encore; est-ce toi qui m'est rendue? Je t'en prie, embrasse-moi. (Elles s'embrassent.) O mon espoir, que tu soulages toutes mes afflictions ! PALESTRA. Tu m'as prévenue, en me disant ce que j'avais à te dire. Il faut maintenant nous en aller. AMPÉLISQUE. Où irons-nous, ma chère? PALESTRA. Suivons le rivage. AMPÉLISQUE. Je te suis partout. PALESTRA. Mais comment marcherons-nous avec ces vêtemcns tout trempés? AMPÉLISQUE. Il faut prendre les choses comme elles sont. ( Tournant par hasard les yeux du coté du temple} Mais que vois-je là, je te prie ? PALESTRA. Quoi? AMPÉLISQUE. Vois-tu, ma chère, vois-tu ce temple? PALESTRA. Où? A dus I, Scena v. AMPÉLISQUE. A droite. PALESTRA. Je vois en effet une décoration qui annonce la demeure des dieux. AMPÉLISQUE. Il doit y avoir non loin d'ici des habitations; ce lieu est charmant. (S'approchant du temple] Quel que soit le dieu, je lui adresse nia prière, pour qu'il délivre de leurs peines deux infortunées, souffrantes, sans appui, et qu'il leur donne quelque assistance. LA PRÊTRESSE. Quels mortels implorent ma patronne? Car c'est la voix des supplians qui vient de m'attirer à cette porte. Ils invoquent une déesse bienveillante et facile , une patronne qui ne se fait pas arracher ses bienfaits; elle n'en est pas avare. PALESTRA. Reçois nos vœux pour ta sauté, ma mère. ' LA PRÊTRESSE. Salut, jeunes filles. Mais d'où venez-vous ainsi trempées , je vous prie, et dans ce triste accoutrement ? PALESTRA. Nous ne venons pas de bien loin d'ici en cet instant; mais nous sommes loin de la contrée d'où l'on nous avait transportées en ces lieux. LA PRÊTRESSE. Il paraît que vous êtes venues sur un rheval de bois par la route azurée. PALESTRA. Justement. LA PRÊTRESSE. Alors vous auriez dû venir en habits blancs et munies de victimes. On n'a pas coutume de se présenter de la sorte dans ce temple. PALESTRA. Jetées ici toutes les deux par le naufrage, de grâce, où voulais-tu que nous prissions des victimes? (Elles s'agenouillent) Maintenant nous embrassons tes genoux, dénuées de ressources, ne sachant qu'espérer, ne sachant point où nous sommes; reçois-nous dans ta demeure, sauve-nous, prends pitié de deux malheureuses filles sans asile, sans espoir, et n'ayant rien au monde qtie ce que tu vois. LA PRÊTRESSE. Donnez-moi la main, relevez-vous; il n'y a pas de femme plus compatissante que moi. Mais vous ne trouverez pas ici beaucoup d'aisance et de ressources, mes enfans : moi-même, je vis mesquinement; j'y mets du mien en servant Vénus. AMPÉLISQUE. C'est ici le temple de Vénus, je te prie? LA PRÊTRESSE. Tu l'as dit; et c'est moi qui suis la prêtresse de ce temple. Mais quoi qu'il en soit, je vous ferai bon accueil autant que mes moyens me le permettront. Venez avecmoi. PALESTRA. Nous te remercions, ma mère, de ta bienveillance, et de tes procédés obligeans envers nous. LA PRÊTRESSE. Je fais mon devoir. (Elles entrent toutes les trois dans te temple.) TROUPE DE PÊCHEURS. LE CHEF DE LA TROUPE. Que la vie des pauvres gens est misérable! surtout quand ils ne font point de commerce, et n'ont point appris de métier. Si peu qu'ils aient à la maison, force leur est de s'en contenter. Pour ce qui est de nous, à cet accoutrement, vous avez déjà vu quelles richesses sont les nôtres. Nos lignes, nos hameçons, voilà toute notre industrie, toute notre existence. Nous venons de la ville chercher en mer la pâture. Notre gymnastique à nous, nos exercices de palestre, c'est de prendre des oursins, des patelles, des huîtres, des glands et des orties de mer, des moules, des ratons, des plaguses cannelées. Ensuite nous essayons de la pêche à la ligue et de celle des rochers. La mer nous fournit la nourriture que nous pouvons prendre. S'il n'arrive pas bonne chance, et si nous n'avons pas pris de poisson, nous revenons salés et baignés, purs et nets, à la maison, et nous nous couchons sans souper. A voir comme la mer est houleuse, nous n'avons pas grande espérance ; à moins de ramasser des coquillages, nous ne mangerons pas ce soir. Adressons notre prière à la bonne Vénus, pour qu'elle veuille nous prêter son gracieux secours. TRACHALION. J'ai regardé avec attention pour ne point passer à côté de mon maître sans le voir; car il a dit en sortant qu'il allait au port, et il m'a commandé de venir le trouver ici au temple de Vénus. Mais voici fort à propos des gens à qui je peux demander. Allons. Salut, voleurs de mer, écaillers, hameconniers, race famélique; qu'est-ce que vous faites? comment dépérissez-vous? LES PECHEURS. Comme des pêcheurs, de faim, de soif, et d'attente. TRACHALION. Avez-vous vu venir, depuis que vous êtes ici, un jeune homme de bonne mine, frais, de belle venue, amenant avec lui trois hommes en chlamyde et le coutelas au côté ? LES PÊCHEURS. Nous n'avons vu personne qui ressemblat à ce portrait. TRACHALION. N'avez-vous pas vu un vieillard au front chauve, au nez camus, de haute stature, avec un gros ventre, les sourcis de travers et le front plissé; un artisan de fraude et de malice noire, horreur dcs dieux et des hommes, ramas de vice et d'infamie, qui conduisait deux femelles assez gentilles? LES PÊCHEURS. Un gaillard distingué par de telles œuvres et de telles qualités devrait rendre visite au bourreau plutôt qu'à Vénus. TRACHALION. Mais si vous l'avez vu, dites-le. LES PÊCHEURS. 1l n'est pas venu certainement. Porte-toi bien. (Ils s en vont.) TRACHALION. Et vous de même. J'en étais sûr; ce que je soupçonnais est arrivé. Mon maître a été pris pour dupe. Le scélérat de prostitueur s'est en allé en pays étranger. Il s'est embarqué, il a emmené ses donzelles ; je suis devin. Et il a invité mon maître à venir dîner ici encore! Maintenant, je n'ai rien de mieux à faire que d'attendre mon maître en ce lieu. En même temps, si la prêtresse de Vénus est mieux mformée, et si je la vois, je la prierai de m'instruire. Elle me donnera des renseignements. AMPÉLISQUE, parlant à la prêtresse dans l'intérieur du temple. Je comprends; c'est à la métairie, ici, près du temple de Vénus, que tu m'as dit de frapper, et de demander de l'eau. TRACHALION. Quelle voix a volé jusqu'à mon oreille? AMPÉLISQUE. De grâce, qui est-ce qui parle là? (Apercevant Trachalion) Que vois-je ? TRACHALION. Est-ce Ampélisque qui sort du temple? AMPÉLISQUE. Est-ce Trachalion que j'aperçois, le valet de Pleusidippe? TRACHALION. C'est elle. AMPÉLISQUE. C'est lui. Bonjour, Trachalion. TRACHALION. Bonjour Ampélisque. Comment t'en va? " AMPÉLISQUE. Mal, sans l'avoir mérité. TRACHALION. Point de paroles de mauvais augure. AMPÉLISQUE. Les gens sensés doivent dire la vérité en toute rencontre. Mais que fait Pleusidippe ton maître, je te prie? TR ACHALION. Oui-dà? comme s'il n'était pas là (Montrant le temple) ! AMPÉLISQUE. Il n'y est point, par Pollux, il n'est pas venu du tout. TRACHALION. Il n'est pas venu ? AMPÉLISQUE. Tu dis la vérité. TRACHALION. Ce n'est pas mon habitude, Ampélisque. Mais le dîner sera-t-il bientôt prêt? AMPÉLISQUE. Quel dîner, s'il te plaît? TRACHALION. Puisque vous faites ici un sacrifice. AMPÉLISQUE. Tu rêves, mon cher. TRACHALION. Il est certain que Labrax ton maître a invité mon maître Pleusidippe à venir dîner ici. AMPÉLISQUE. Ce que tu me dis ne m'étonne pas, par Pollux. S'il a tiompé les dieux et les hommes, il s'est conduit en prostittieur. TRACHALION. Vous ne célébrez point ici un sacrifice, ni vous ni votre maître? AMPÉLISQUE. Tu as deviné. TRACHALION. Que fais-tu donc ici ? AMPÉLISQUE. Échappées à des maux sans nombre, à un péril épouvantable, à la mort, sans secours, sans ressources, nous avons été recueillies ici par la prêtresse de Vénus, moi et Palestra. TRACHALION. Est-ce que Palestra est en ce lieu, je te prie, la maîtresse demon maître? AMPÉLISQUE. Certainement. TRACHALION. Cette nouvelle me charme, Ampélisque, ma mie. Mais je suis curieux de savoir quel péril vous avez couru. AMPÉLISQUE. Nous avons fait naufrage cette nuit, mon cher Trachalioo. TRACHALION. Comment, naufrage! qu'est-ce que tu me racontes-là? AMPÉLISQUE. Est-ce qu'on ne t'a pas conté de quelle manière le prostitueur a voulu nous transporter secrètement en Sicile et a chargé un vaisseau de tout ce qu'il avait chez lui? Il a tout perdu. TRACHALION. Oh ! merci, Neptune, que tu es aimable! Il n'y a pas de joueur de dés plus habile que toi. Tu as fait assurément un coup merveilleux : tu as ruiné un perfide. Mais qu'est-il devenu ce Labrax, ce prostitueur? AMPÉLISQUE. Il est mort probablement pour avoir trop bu. Neptune lui a versé cette nuit de terribles rasades. TRACHALION. Il s'est trouvé, je crois, à une fête où on l'aura fait boire plus qu'il ne voulait, par Hercule. Mon Ampélisque, tu es délicieuse. Que tes paroles me semblent douces ! Mais comment vous êtes-vous sauvées , toi et Palestra? AMPÉLISQUE. Je vais te l'apprendre. Nous sautâmes toutes les deux du vaisseau dans l'esquif, à demi mortes. Quand nous voyons le navire poussé contre les rochers, vite, je détache le câble , et je profite du trouble de nos gens. La tempête nous emporte avec l'esquif sur la droite bien loin d'eux. C'est ainsi qu'après avoir été le jouet de l'orage et des flots durant la nuit entière, nuit déplorable! à la fin nous venons d'être jetées par les vents sur le rivage, presque sans vie. TRACHALION. Oui, je sais; c'est l'usage de Neptune; il n'y a pas d'édile plus sévère; quand il voit de mauvaises marchandises, il les jette. AMPÉLISQUE. Malédiction pour toi et pour ta vie! TRACHALION, prononçant les deux premiers mois d'une manière équivoque. Pour toi, ma chère Ampélisque , je redoutais le prostitueur; j'ai prédit cent fois ce qui est arrivé. Je vais laisser croître mes cheveux, il faut absolument que je me fasse devin. AMPÉLISQUE, avec ironie et d'un air de reproche. Alors, toi et ton maître, vous avez bien pris vos précautions pour l'empêcher de fuir, puisque vous vous eu doutiez. TRACHALION. Qu'y pouvait-il? AMPÉLISQUE. Ce qu'il y pouvait, s'il était amoureux? tu le demandes? Qu'il veillât jour et nuit; qu'il fût sans cesse aux aguets. Mais, par Castor, il a bien montré tout l'intérêt qu'il nous portait, par le grand soin qu'il a pris. TRACHALION. Ne dis pas cela. AMPÉLISQUE. La chose est assez claire. TRACHALION. Tu ne sais donc pas? quand on est au bain, quelque attention qu'on mette à veiller sur ses vêtemens, il arrive cependant qu'on est volé. En effet, sur qui avoir les yeux parmi tant de monde? On s'y trompe. Il est aisé au voleur de voir ceux qu'il veut attraper, tandis qu'on ne voit pas le voleur dont il faut se garder. Mais conduis-moi auprès de Palestra : où est-elle? AMPÉLISQUE. Tu n'as qu'à entrer dans le temple de Vénus; tu la trouveras assise et pleurant. TRACHALION. Que cela me fait de peine ! Mais pourquoi pleure-t-elle? AMPÉLISQUE. Le voici : elle se désole, parce que le prostitueur lui a enlevé une cassette renfermant des objets qui devaient l'aider à reconnaître ses parens; elle craint de l'avoir perdue pour jamais. TRACHALION. Où était cette cassette? AMPÉLISQUE. Avec nous sur le vaisseau. Il l'avait enfermée dans une valise pour ôter à Palestra le moyen de reconnaître sa famille. TRACHALION. O l'infâme! une fille qui devrait être libre, vouloir la tenir en esclavage ! AMPÉLISQUE. Maintenant la cassette s'en est allée au fond de la mer avec le vaisseau. L'or et l'argent du prostitueur étaient dans la même valise; quelqu'un, je pense, aura plongé pour la retirer. Pauvre Palestra ! quel chagrin elle a d'être privée de ces objets. TRACHALION. Alors, il fautm'empresser d'autant plus de la consoler, et ne pas la laisser se tourmenter ainsi ; car j'ai vu arriver tant de fois un bonheur qu'on n'espérait point. AMPÉLISQUE. J'ai vu aussi tant de fois l'espérance trompée! TRACHALION. Ainsi donc la résignation est le meilleur remède à tous les maux. J'entrerai, si tu me le permets. AMPÉLISQUE. Va. (Iî entre dans le temple.) Moi, je ferai la commission que la prêtresse m'a donnée; je vais demander de l'eau chez le voisin. Elle m'a dit que si j'en demandais de sa part, on m'en donnerait tout de suite. Je n'ai pas vu, en effet, une vieille plus digne de tous les bienfaits des dieux et des hommes. Avec quelle obligeance, quelle générosité, en nous voyant tremblantes, manquant de tout après le naufrage, toutes mouillées et à demi mortes, elle s'est empressée de nous recevoir; de même que si nous étions ses propres filles! Comme elle s'est mise en devoir de nous faire chauffer un bain elle- même! Je ne veux pas qu'elle attende; je vais demander de l'eau dans cette maison où elle m'envoie. (Elle frappe) Holà! y a-t-il quelqu'un dans ce logis? veut-on bien m'ouvrir? veut-on me répondre? SCÉPARNION. Qui donc insulte si audacieusement notre porte? AMPELISQUE. C'est moi. SCÉPARNION. Oh! la bonne aventure, par Pollux! le joli brin de femme! AMPÉLISQUE. Bonjour, l'ami. SCÉPARNION. Mille bonjours, ma mignonne. AMPÉLISQUE Je viens chez vous. SCÉPARNION. Je suis prêt, si tu viens ce soir, à te donner l'hospitalité, selon l'équipage où tu te présenteras ; car dans ce moment, il n'y a pas moyen, tu n'as rien h donner. (Il veut l'embrasser) Mais dis-moi, ma charmante, ma gaillarde ... AMPÉLISQUE, le repoussant. Ah ! tu prends trop de libertés ! SCÉPARNION , continuant à vouloir lui faire des caresses. O dieux immortels ! c'est le portrait de Vénus. Quel œil fripon, et ce teint! Ah! la mordante brunotte.... Je voulais dire piquante. Et cette gorge, qu'elle est jolie! quel délice de baiser cette bouche ! AMPÉLISQUE, le repoussant. Je ne suis pas exposée en offrande au public. A bas les mains! SCÉPARNION. Comment, gentillette ! on ne peut pas te toucher comme cela, doucement, gentiment? AMPÉLISQUE. Je me prêterai au badinage et à la plaisanterie quand j'aurai le temps. Maintenant pour ce qui est de ma commission, je t'en prie, dis-moi si tu veux ou si tu ne veux pas. SCÉPARNION. Qu'est-ce que tu souhaites ? AMPÉLISQUE, montrant sa cruche. En voyant ce,que je porte, un homme d'esprit peut deviner ce que je désire. SCÉPARNION. Une fille d'esprit, peut deviner ce que je désire en voyant aussi ce que je porte. AMPÉLISQUE. La prêtresse de Vénus m'a dit de venir vous demander de l'eau. SCÉPARNION. Je suis un personnage d'importance, il faut me prier; sinon, pas une goutte d'eau. C'est à nos risques et dépens que ce puits a été creusé; qu'on me prodigue les caresses, ou l'on n'aura pas d'eau. AMPÉLISQUE. Que tu fais de difficultés pour rendre un service qu'on ne refuse pas à un étranger! SCÉPARNION. Que tu fais de difficultés pour donner ce qu'on ne refuse pas à un compatriote ! AMPÉLISQUE. Eh bien , mon amour, je n'aurai rien a te refuser. SCÉPARNION. Vivat! je triomphe! elle m'appelle déjà son amour. Je vais te donner de l'eau; tu ne m'auras pas dit pour rien des tendresses. Donne ta cruche. AMPÉLISQUE. Tiens. Dépêche-toi, je t'en prie, de me la rapporter SCÉPARNION. Attends; je serai ici dans un instant, mon amour. (Il sort.) AMPÉLISQUE, seule. Que dirai-je à la prêtresse pour m'excuser d'être restée si long-temps ici? (Elle tourne les yeux vers le rivage] Je tremble encore de tous mes membres, seulement que de regarder la mer. {Poussant un cri} Mais, que vois-je là-bas sur le rivage? le prostitueur mon maître, avec son hôte le Sicilien ! Hélas ! je les croyais tous deux noyés. Il vit; c'est encore un fléau de plus auquel nous ne nous attendions pas. Que tardé-je à fuir dans le temple pour annoncer ce malheur à Palestra et me réfugier avec elle auprès de l'autel, avant que ce scélérat arrive et qu'il nous surprenne ? Fuyons; je n'ai pas autre chose à faire en ce moment. (Elle court dans le tempte.) SCÉPARNION, seul, se parlant à lui-même. O dieux immortels! je n'aurais jamais cru que l'eau eût en soi tant de charmes. Que j'ai senti de plaisir à la tirer du puits, et qu'il m'a semblé moins profond qu'à l'ordinaire ! Comme cette cruche a été facile à monter ! Sans me vanter, je suis un assez mauvais sujet d'avoir commencé tout de suite une intrigue d'amour. (// va pour donner la cruche à Ampélisquè) Tiens, ma belle, voici ton eau. Tiens, je veux que tu la prennes de bonne grâce, comme je te la donne, afin de me plaire. (Étonné, et regardant autour de /a:') Mais où es-tu donc, maligne? Je lui ai donné dans l'œil, par Hercule, j'en suis sûr. La friponne se cache.... Viens donc. Veux-tu bien prendre ton eau? où es-tu? c'est assez badiner. Ah çà, tout de bon, veux-tu venir prendre cette cruche? où es-tu donc fourrée? (Il regarde) Par Hercule, je ne l'aperçois nulle part. Elle se moque de moi. Ma foi, je lui mettrai sa cruche au beau milieu du chemin.... Mais, si on la volait; elle appartient à Vénus, elle est sacrée; je me ferais des affaires. J'ai peur, vraiment, que cette fille ne m'ait tendu un piège pour qu'on me prît avec un meuble de la déesse. En effet, si l'on voyait cette cruche dans mes mains, il n'en faudrait pas davantage pour que le magistrat me fît mourir en prison. Elle porte une inscription, elle dit en se montrant à qui elle est. Par Hercule , je vais appeler la prêtresse pour qu'elle prenne sa cruche. Approchons dela porte. Hé! Plolemocratia, te plaît-il de prendre cette cruche qui t'appartient? une jeune fille, que je ne connais pas, me l'a tout-à-l'heure apportée. Tu n'as qu'à la reprendre. (Après quelques moments d'attente} J'ai trouvé de la besogne, s'il faut encore leur porter leur eau chez elles. (Il cuire dans le temple.) LABRAX. Qui voudra tomber dans la misère , être réduit à mendier, n'aura qu'à confier à Neptune son existence et sa personne. Quand on s'avise d'avoir affaire avec lui, il vous renvoie équipé de la sorte (montrant ses habits dégouttant d'eau}. Par Pollux , tu étais bien inspirée, déesse de la Libt-rté, de ne vouloir pas absolument t'embarquer sur le vaisseau d'Hercule. (Regardant autour de lui) Mais où est mon hôte qui a causé ma perte? Le voici qui s'avance. CHARMIDÈS. Où, diantre, vas-tu si vite, Labrax? je n'ai pas la force t!e te suivre. LABRAX. Que n'as-tu péri par tous les supplices en Sicile, avant que je t'eusse vu, auteur de mon affreuse catastrophe! CHARMIDÈS. Que n'ai-je couché en prison, plutôt que d'entrer chez loi la première fois que tu m'y as conduit! Par les dieux immortels, puisses-tu , jusqu'à la fin de tes jours, n'avoir que des hôtes qui te ressemblent. LABRAX. C'est la mauvaise Fortune que j'ai amenée chez moi en t'y amenant. Malédiction! pourquoi t'ai-je écouté? pourquoi quittais-je ce pays? pourquoi suis-je entré dans ce vaisseau où j'ai perdu plus que je ne possédais ? CHARMIDÈS. Par Pollux, je ne m'étonne pas que ton vaisseau ait fait naufrage, puisqu'il portait une fortune criminelle et le crime en ta personne. LABRAX. C'est toi qui as causé ma perte, avec tes promesses flatteuses. CHARMIDÈS. Et toi, tu m'as donné une hospitalité plus funeste que les festins servis jadis à Thyeste et à Térée. LABRAX. Je suis mort! le cœur me manque; soutiens-moi la tête, je te prie. CharmidÈs. Puisses-tu, par Pollux, vomir tes poumons! LABRAX. Hélas ! Palestra , Ampélisque, qu'êtes - vous devenues ? CHARMIDÈS. Elles donnent sans doute à manger aux poissons dans le fond de la mer. LABRAX. Tu m'as réduit à la mendicité en me leurrant de tes pompeux mensonges. CHARMIDÈS. Tu me dois des remercîmens; d'insipide que tu étais, grâce à moi, tu es devenu plein de sel. LABRAX. Va-t'en au plus affreux gibet. CHARMIDÈS. Avec toi, c'est justement ce que je faisais lout-à-l'heure. LABRAX. Hélas! y a-t-il un mortel plus à plaindre que moi? CHARMIDÈS. Moi, certes ; je le suis bien plus que toi, Labrax. LABRAX. Comment ? CHARMIDÈS. Parce que je n'ai pas mérité de l'être, et tu n'as que ce que tu mérites. LABRAX. Osiers, osiers, que vous êtes heureux de pouvoir vous vanter de conserver une sécheresse éternelle ! CHARMIDÈS, en grelottant. Je m'apprête à batailler; c'est un cliquetis perpétuel entre mes mâchoires pendant que je parle. LABRAX. Par Pollux , que les hains que tu fournis sont froids, Neptune! Après en être sorti, même tout habillé, je frissonne. On ne trouve pas seulement chez lui un cabaret où boire chaud ; il ne donne que de l'eau salée et froide. Ch ArmidÈs. Que j'envie les forgerons qui se tiennent continuellement auprès d'un brasier! ils sont toujours bien chauffés. LABRAX. Que ne suis-je de la nature des canards! je sortirais de l'eau sans être mouillé. CHARMIDÈS. Eb mais! si je me louais à quelque directeur de jeux pour faire le Manducus ? LABRAX. Pourquoi ? CHARMIDÈS. Parce que mes dents claquent fort. J'ai bien mérité, par Pollux, de faire un plongeon. LABRAX. P;ir quelle raison ? CHARMIDÈS. Par la raison que j'ai osé m'embarquer avec toi, et que tu as fait soulever les mers du fond de leurs abîmes. LABRAX. Je t'en ai cru , tu m'assurais que ton pays était excellent pour le commerce des courtisanes, que j'y amasserais des monts d'or. CHARMIDÈS. Est-ce que tu te flattais déjà, monstre infâme, de dévorer toute la Sicile? LABRAX, d'une voix lamentable. Quelle est la baleine qui a dévoré ma valise, où j'avais serré tout mon argent et tout mon or? CHARMIDÈS. La même, je pense, qui tient ma bourse toute pleine d'argent avec la sacoche où je l'avais mise. LABRAX. Hélas! je suis réduit, pour tout bien, à cette mince tunique et à ce misérable manteau. O désespoir! CHARMIDÈS. Nous pouvons nous associer ensemble, nos fortunes sont égales. LABRAX. Si du moins j'avais conservé mes donzelles, tout ne serait pas perdu pour moi.... Et à présent, si je rencontre Pleusidippe, qui m'avait dotuié un à-compte pour l'alestra, il me fera de mauvaises affaires. Ch Arm IdÈs." Pourquoi t'alarmer, imbécile? Tant que la langue te restera, par Pollux, tu as toujours le moyen de payer tes dettes. SCÉPARNION, sortant du tempte, sans voir les autres personnages. Qu'est-ce qu'elles ont, ces deux pauvres filles, à pleurer dans le temple de Vénus, en tenant sa statue embrassée? Pauvrettes, il y a quelqu'un qui leur fait peur. Elles disent qu'elles ont été en proie à la tempête la nuit dernière, et que la mer les a jetées sur la rive aujourd'hui. LABRAX, s'approchant avec empressement. Par Hercule, où sont ces filles dont tu parles, jeune homme ? SCÉPARNION. Ici, dans le temple de Vénus. LABRAX. Combien sont-elles? ScÉparnion. Autant que nous sommes toi et moi. LABRAX. C'est cela , ce sont elles. SCÉPARNION, d'un air moqueur. Pour cela, je n'en sais riey. LABRAX. Leur figure ? SCÉPARNION. Gentille. J'aurais plaisir à faire l'amour avec l'une ou l'autre indifféremment ; après boire, s'entend. LABRAX. Et puis, elles sont jeunes? SCÉPARNION. Et puis, tu es ennuyeux. Va voir, si tu en as envie. L ABRAX , transporté de joie. Mes deux esclaves doivent être dans ce temple, mon cher Charmidès. , CHAUMIDÈS. Que Jupiter t'extermine , qu'elles y soient, ou qu'elles n'y soient pas. LABRAX. Je fais invasion dans le temple de Vénus. (Il sort.) CHARMIDÈS. Mieux vaudrait dans le Barathre. (A Scéparnion) Je t'en prie, cher hôte, procure-moi un endroit où je puisse faire un petit somme. SCÉPARNION, lui montrant le rivage. Fais ton somme ici, où tu voudras : la place est à tout le monde. CHARMIDÈS. Mais tu vois comme je suis arrangé avec ces habits trempés. Donne-moi asile en ta maison, prête-moi quelques vêtemens secs, pour que je fasse sécher les miens. Je saurai d'une manière ou d'une autre te témoigner ma reconnaissance. SCÉPARNION, lui montrant une cape de jonc accrochée à un arbre. Voici une cape de jonc qui sèche ; si tu la veux je te la donnerai. Elle me sert de manteau , elle me sert aussi d'abri quand il pleut. Donne-moi tes habits, je les ferai sécher. CHARMIDÈS. Oh! oh! tu crois que je n'ai pas été suffisamment rincé dans la mer, tu veux m'achever sur terre. ScÉparnion. Que tu sois rincé, ou frotté d'huile, peu m'importe. Point de crédit pour toi chez nous, autrement que sur gage. Sue ou meurs de froid , sois malade ou porte-toi bien ; je ne me soucie pas d'un hôte étranger à la mai» son. Il n'y a déjà que trop de matière à procès. (Il sort.) CHARMIDÈS, en colère. Va-t'en. (Seul) Cet homme, quel qu'il soit, est un trafiquant d'esclaves; il n'a pas de pitié. Mais que fais-je planté ici, avec mes habits tout trempés, malheureux que je suis ? Pourquoi ne m'en vais-je pas dans lu temple de Vénus pour cuver, en sommeillant, l'excès de boisson dont je me suis chargé plus que je n'aurais voulu et bien malgré moi? Neptune nous a mélangés comme des vins de Grèce avec de l'eau de mer; il nous en a fait boire, des rasades salées, à nous crever l'estomac. Enfin, pour peu qu'il eût prolongé le régal, nous étions pris de sommeil sur la place. C'est à peine si nous nous sommes retirés vivans de chez lui. DÉMONÈS, seul. Que les dieux se jouent étrangement des humains , et qu'ils leur envoyent d'étranges visions dans leur sommeil ! Ils ne nous laissent pas de repos, même pendant que nous dormons. Moi, par exemple, la nuit dernière, que j'ai fait un rêve singulier, extravagant ! Il me semblait voir un singe qui s'efforçait de grimper à un nid d'hirondelles, sans pouvoir les arracher de là. Ensuite il vint à moi, me pria de lui prêter une échelle. Mais je lui répondis que les hirondelles étaient sorties de Philomèle et de Procné ; et je pris contre lui la défense de mes compatriotes. Le voilà qui s'emporte, qui me menace de me faire un mauvais parti, et m'appelle en justice. Alors, je ne sais comment, je saisis le singe par le milieu du corps, et j'enferme en prison la hête scélérate. Que signifie ce rêve? je n'ai jamais pu venir à bout aujourd'hui de le deviner. (O/z entend des voix de femmes effrayées] Mais quels sont les cris qu'on pousse ilans le temple de Vénus? Cela m'étonne. TRACHALION, sortant du temple de Vénus. O Cyrénéens , je vous implore ;. au secours ! Habitans de ces campagnes, habitans du voisinage, vous tous qui peuplez les lieux d'alentour, prêtez assistance à la faiblesse, exterminez une exécrable audace. Main-forte ! empêchez l'impie d'opprimer l'innocent qui ne veut point se signaler par lecrime. Intimidez l'insolence par un exemple; donnez à la modestie sa récompense; faites qu'on puisse vivre ici sous le règne de la loi, et non de la violence. Accourez au temple de Vénus ; j'implore encore une fois votre secours; venez en aide à ceux qui, selon l'antique usage, ont commis leur salut en garde à Vénus et à sa vénérable prêtresse. Prévenez, réprimez l'injustice, n'attendez pas qu'elle arrive jusqu'à vous. DÉMONÈS. Qu'est-ce que cela signifie ? TRACHALION, se jetant aux pieds de Démones. J'embrasse tes genoux, vieillard, qui que tu sois. DÉMONÈS. Laisse donc mes genoux, et apprends-moi de quoi il s'agit, pourquoi tu fais ce vacarme ? TRACHALION. avec une émotion tragi -comique. Je te prie, je te conjure, si tu attends cette année une ample récolte de benjoin et de sucs parfumés, ainsi que le transport sans dechet et sans perte jusqu'au marché de Capoue;... et que jamais humeur chassieuse ne coule de tes yeux. DÉMONÈS. Es-tu dans ton bon sens? TRACHALION, sur le même ton. Ou si tu comptes recueillir la graine en abondance, je t'en prie, vieillard, ne tarde pas à m'accorder le service que je demande. DÉMONÈS. Et moi, je t'en conjure, par tes jambes et par tes talons , au nom de ton dos, si tu attends une copieuse vendange de verges et une riche moisson de supplices pour cette année, veuille me dire ce que tu as pour jeter ces cris d'alarme ? TRACHALION. Pourquoi répondre mal ? je ne t'ai souhaité que du bien. DÉMONÈS. Je ne te réponds point mal, en te souhaitant ce que tu mérites. TR ACHALION. Je t'en supplie, écoute-moi d'abord. DÉMONÈS. De quoi s'agit-il? TRACHALION. Il y a ici, dans ce temple, deux pauvres innocentes qu'on outrage d'une manière scandaleuse, contre toute justice, et cela dans l'asile de Vénus; et deplus, la prêtresse est indignement maltraitée. DÉMONÈS. Quel est le téméraire qui ose insulter la prêtresse? et ces femmes, qui sont-elles? quelle injure leur fait-on? TRACHALION. Si tu veux m'entendre, je te le dirai. Elles tiennent l'autel embrassé; [un scélérat abominable] veut les en arracher; ce sont assurément [des suppliantes]. DÉMONÈS. Qui est celui qui a si peu de respect pour les dieux? TRACHALION. Un coquin, un scélérat, un parricide, un parjure, sans loi, sans frein, sans mœurs, sans pudeur, pour tout dire, en un mot, un prostitueur. Que faut-il ajouter à cela ? DÉMONÈS. Par Pollux , tu me dépeins un homme qu'on doit gratifier de terribles chdtimens. TRACHALION. L'infâme a empoigné la prêtresse à la gorge. DÉMONÈS. Il lui en arrivera mal, grand iual, par Hercule. (Il s'approche de sa maison, et crie : ) Holà ! Turbalion , Sparax, où êtes-vous? (Les deux esclaves se présentent.) TRACHALION. Viens, entre, je t'en prie, pour les secourir. DÉMONÈS , à Trachalion. Ils ne se le feront pas dire deux fois. (Aux esclaves] Suivez mes pas. TRACHAL1ON. Allons , ferme, ordonne-leur de lui arracher les yeux , comme les cuisiniers font aux sèches. DÉMONÈS, à ses esclaves. Traînez-le-moi dehors par les pieds, comme un porc qu'on a tué. (// entre dans le temple avec les esclaves.) TRACHALION, seul, prêtant l'oreille. J'entends un grand bruit. Ils peignent le prostitueur à coups de poing , ce me semble. Que je voudrais qu'on lui fît sauter toutes les dents de la bouche, le misérable! Mais voici les deux pauvrettes qui sortent du temple tout effarées. PALESTRA , sans voir Trachalion. C'est maintenant que tout moyen, toute ressource, tout appui, toute protection nous abandonne. Pas une lueur d'espérance! plus de salut pour nous! Nous ne savons plus où aller. Dans quelle affreuse terreur nous sommes toutes deux, malheureuses! Par quel attentat, par quelle violence notre maître nous a poursuivies dans ce temple; le scélérat, qui a repoussé, qui a heurté, d'une manière indigne, la vieille prêlresse et l'a failli jeter par terre, et nous a ensuite arrachées du sanctuaire cl de lu statue de la déesse comme un forcené! Maintenant, dans la détresse où nous sommes, nous n'avons plus qu'à mourir. La mort est ce qu'il y a de plus désirable, quand on est aussi infortuné, aussi à plaindre. TRACHALION, à part. Qu'est-ce donc? quel discours tient-elle? que tardé-je à la consoler? (Haut) lié ! Palestra. PALESTRA. Qui m'appelle? TRACHALION. Hé! Ampélisque. AMPÉLISQUE. Qui m'appelle, de grâce? PALESTRA. Qui a prononcé mon nom ? TRACHALION. Regarde, tu le sauras. PALESTRA, voyant Trachalion. O mon espoir de salut! TRACHALION. Calme-toi, aie bon courage. C'est moi qui te le dis. PALESTRA. Oui, pourvu qu'on nous dérobe à des mains violentes, mains cruelles, qui me forceront de tourner contre moi mes propres mains. TRACHALION. Ah! cesse; tu n'as pas le sens commun. AMPÉLISQUE, à Trachalion qui s'est tourné vers elle. N'essaie point de consoler ma douleur par des discours. PALESTR A. Il faut des actions pour nous protéger, ou nous sommes perdues. Plutôt mourir, j'y suis résolue, que de souffrir les entreprises du prostitueur contre moi.... Pourtant je ne suis qu'une femme. Quand l'idée de la mort s'offre à moi, mon pauvre cœur frémit et se glace, par Pollux. TRACHALION. Quoique votre position soit fâcheuse, calmez vos esprits. PALESTRA. Ai-je l'esprit à moi, je te le demande ? TRACHALION. Ne craignez rien , vous dis-je. Asseyez-vous ici sur l'autel. AMPÉLISQUE. Cet autel nous défendra-t-il mieux que la statue de Vénus dans son temple, quand nous l'embrassions toutà-Pheure, et que nons en avons été arrachées misérablement par la force? TRACHALION, les conduisant à l'autel. Asseyez-vous toujours là; je veillerai d'ici à votre sûreté. Que cet autel soit volre camp ; moi, je défendrai les retranchemens. Sous la protection de Vénus je ferai bonne contenance contre ce scélérat do prostiIncur. AMPÉLISQUE. Nous t'obéissons. (Se tournant vers l'autel) O bonne Vénus, nous embrassons ton autel en l'arrosant de nos larmes, nous te supplions à genoux de nous prendre en ta garde et de nous sauver. Accable de ta vengeance les impies qui n'ont point respecté ton temple; permets que nous prenions place sur ton autel, et ne t'offense pas ; Neptune a eu soin de nous laver cette nuit. Ne te fâche point contre nous, ne nous tiens pas pour coupables, si notre ajustement te paraît trop peu soigné. TRACHALION, s'adressant à ta déesse. L*ur prière est juste, et tu dois l'accueillir avec indulgence. C'est la crainte qui les force à cette démarche. Tu es née, dit-on, d'une coquille; que leurs coquilles trouvent grâce devant toi. (jeux des femmes) Mais je vois sortir fort à propos le vieillard, qui sera mon patron et le vôtre. DÉMONÈS, à LABRAX. Sors de ce temple, ô le plus sacrilège des hommes. (S'adressant aux deux femmes qu'il croit auprès de lui) Vous, allez vous asseoir sur l'autel.... Mais où sont-elles donc ? TRACHALION, lui montrai! tPalestra et Ampélisquc sur l'autel. Regarde ici. DÉMONÈS. Fort bien. UN DES ESCLAVES. Nous sommes prêts. (Montrant Labrax) Dis-lui seulement d'approcher. DÉMONÈS. Est-ce pour que ce violateur des lois se mêle à nos sacrifices? Assène-lui un coup de poing sur la face. (L'esclave frappe.} LABRAX, à Démonès. Tu me paieras l'injure que jn souffre. DÉMONÈS. Il menace encore, l'effronté ! LABRAX. Tu me ravis mon bien, tu me ravis mes esclaves, par violence. TRACHAL1ON. Hé bien, choisis qui tu voudras des plus riches du sénat cyrénéen, qu'il prononce si elles t'appartiennent, si elles n'ont pas droit d'être libres, si tu ne dois pas être fourré en prison , et y passer ta vie jusqu'à ce que tu aies entièrement usé ta cage. LABRAX. Je ne suis pas en humeur aujourd'hui d'entrer en pourparlers avec un pendard. (A Démonès) C'est à toi que je m'adresse. DÉMONÈS. Vide d'abord ta querelle avec lui qui te connaît. L ABRAX , à Démonès. J'ai affaire à toi. TRACHALION, tirant Labrax de son côte. Pourtant c'est à moi qu'il faut avoir affaire. (Montrant Palestra et Ampélisqué) Sont- elles tes esclaves ? LabrAx. Oui. TRACHALION. Hé bien donc, touche n'importe laquelle, du bout du doigt seulement. LABRAX. Et s'y j'y touche ? TRACHALION. Alors tu me serviras de ballon ; je cours sur toi, et je te t'enlève à coups de poing, imposteur insigne. LABRAX. Je ne pourrai pas tirer mes esclaves de l'autel de Vénus? DÉMONÈS. Non, tu ne le peux pas; telle est la loi chez nous. LABRAX. Je n'ai rien à démêler avec vos lois. (Montrant Palestra et Ampélisque) Je vais les emmener toutes deux. Toi, vieillard, si tu es amoureux d'elles, apporte-moi