[1,0] Sermon I : 1er Sermon de saint Pierre Chrysologue sur la Parabole du Fils Prodigue (Luc 15, 11-32) [1,1] Aujourd’hui, le Seigneur a convoqué devant nous et a mis sur la scène un père avec ses deux fils, pour présenter dans une belle figure un exemplaire de son immense miséricorde, la jalousie furieuse du peuple juif, le retour repentant du peuple chrétien. Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : mon Père, donne-moi ma part d’héritage. Et le père répartit entre eux deux ses biens. Autant le père est pieux, autant le fils est impatient, lui qui voit d’un mauvais œil la longévité de son père. Le père qui n’a pas le pouvoir de supprimer le temps, sent le besoin de se départir de ses biens. Le jeune homme n’a pas mérité le titre de fils, lui qui a dédaigné de posséder en commun avec son père ce qui appartenait au père. [1,2] Mais nous nous demandons quelle est la chose qui a entraîné le fils à ces actes , à ce genre de demande que la confiance a suggérée. Quelle chose ? Cette chose qui lui faisait connaître que le Père céleste n’était borné par aucune frontière, limité par aucune époque, ne pouvait être dissous par aucune puissance de la mort. Et c’est pourquoi il désire jouir de la liberté de ce qui doit être vu, lui qui ne voulait pas s’enrichir des biens d’un homme mort. La faute qu’il y avait dans la demande a donc été rachetée par la générosité du père. [1,3] Et il a partagé ses biens entre eux. A la demande d’un seul, il répartit ses biens entre ses deux fils. Pour que les fils comprennent que ces biens, il les retenait non par avarice mais par amour. Ce n’était pas par envie mais par une juste prévoyance qu’il ne les leur avait pas encore distribués. Le père était tenu de conserver ses biens pour ses fils ; il ne cherchait pas à les en frustrer. Il désirait l’augmentation de ses biens, non leur perte. Bienheureux les fils dont tous les biens reposent dans la charité du père ! Bienheureux ceux dont la possession des biens repose tout entière dans la sollicitude paternelle, dans l’industrie du père ! Malheureusement, les héritages rompent l’unité, séparent les frères, dissolvent les liens familiaux, violent la charité, comme la suite nous le montrera. [1,4] Mon père, donne-moi ma part d’héritage ! Et il répartit ses biens entre ses deux fils, et quelques jours plus tard, après avoir fait ses bagages, le plus jeune fils part en voyage en direction d’un pays lointain où il dissipa son argent {- - -} et il cherchait à remplir son ventre de la nourriture des pourceaux, mais personne ne lui en donnait. Voilà ce que produit la convoitise de l’argent roi. Voilà comment, sans le père, l’argent appauvrit le fils, au lien de l’enrichir. L’argent a arraché le fils du sein du père, l’a éjecté de sa maison, l’a exilé de sa patrie, lui a fait perdre sa réputation, l’a dépouillé de sa chasteté. L’argent n’a rien laissé de ce qui a trait à la vie, aux mœurs, à la piété, à la liberté, à la gloire. L’argent a transformé le citoyen en un va-nu-pieds, le fils en un mercenaire, le riche en un indigent, l’homme libre en un esclave; il a associé aux porcs celui qu’il avait séparé d’un père très pieux, pour que se mette au service d’un vil bétail celui qui avait trouvé contraire à sa dignité d’obéir à la sainte piété. [1,5] Après avoir fait ses bagages, le plus jeune, plus jeune, à la vérité, non par l’âge, mais par l’entendement, celui qui empocha l’héritage du père, et qui s’éloigna plus par la pensée qu’en changeant de lieu, pour que, le prix étant donné mais non accepté, il aille se vendre misérablement à la servitude. Le négociant parvint ainsi à un contrat tel qu’il ne put rembourser ce qu’il devait au père, qu’il ne put rien redonner en retour à son père. Près du père se trouve la douceur de vivre, la liberté dans le service, la sécurité de la sauvegarde, la joie respectueuse, le jugement condescendant, la richesse dans la pauvreté, la sureté de la possession. Car le labeur concerne le père, mais ses fruits retombent sur les fils. [1,6] Il a dissipé ses biens. Ce que la prudente modération du père conservait a été dissipé par la prodigalité du fils. Pour que le fils comprenne sur le tard que le père était un gardien des biens familiaux, non un geôlier. Il vivait dans le luxe. Cette vie est mortelle, parce qu’il meurt aux vertus celui qui vit des vices. C’est le sépulcre de la réputation, la ruine de la gloire. Celui qui demeure dans la honte voit croître l’infamie. Et après qu’il eut tout dépensé, il y eut une grande disette dans la région. A la luxure, au ventre, à la gourmandise est accordée en compensation la faim atroce, afin que sévisse la peine vengeresse, là où la faute a pris feu. Une grande disette éclata. La voracité tend toujours vers cette fin, Le déchaînement de la volupté que l’on doit fuir aboutit toujours à ce terme. Et il commença à manquer de tout. Le don des richesses engendra le dénuement. Le refus de les lui donner l’aurait conservé riche. Ces richesses lui firent défaut quand il les eut en sa possession, alors qu’il les avait en abondance en compagnie de son père quand il ne les possédait pas. [1,7] Et il l’envoya garder les porcs. C’est ainsi qu’il arriva que celui qui s’est refusé à son père s’en est remis à un étranger, pour que fasse la connaissance d’un juge sévère celui qui a fui le plus indulgent des pourvoyeurs. Déserteur de l’affection qui est le refuge de la piété, il est affecté à la garde des porcs, il crée un lien de dépendance envers les porcs, il est livré à l’esclavage des porcs, il patauge dans les saouls à cochon pestilentielles, il est mis à mal par la méchanceté des bêtes, et est souillé par leurs excréments, pour qu’il éprouve la misère et goûte l’amertume d’avoir perdu la béatitude du repos paternel. Et il désirait se nourrir des….mais personne ne lui en donnait. Quel travail ingrat, car celui qui vivait avec les porcs n’a pas pu être leur convive. Malheureux homme à qui fait défaut la pitance des porcs, et qui meurt de faim en face de l’abondance.. Malheureux celui qui convoite ce que mangent les porcs, se contentant de ce qui est sans saveur. ! [1,8] Enseignés et instruits par de tels exemples, demeurons dans la maison du Père, maintenons-nous dans le sein de notre mère, resserrons les liens fraternels, et que le cœur de notre père nous retienne, pour que la misérable liberté de l’adolescence ne nous entraîne pas vers les maux ci-haut signalés. Que le respect envers notre père nous modère, que l’affection maternelle nous donne la maîtrise de nous-mêmes, que l’affection fraternelle nous retienne. Au milieu des lumières de la famille, les fautes ne peuvent pas se nicher. Les yeux des parents sont autant de lanternes. Le jour est le regard de la mère, le soleil brille dans le visage du père. Ainsi donc, les ténèbres des crimes ne peuvent approcher de celui qui vit au milieu des lumières de tant de vertus. Mais la maison du père nous nourrit de l’aliment de la vertu, du festin du salut, des délices de l’honnêteté et de la gloire. [1,9] Et parce que nous sommes forcé de nous étendre plus longuement sur cette parabole, nous nous demanderons dans le prochain sermon pourquoi le père a été si prompt à donner, le fils si prompt à recevoir, pourquoi le frère s’est-il attristé du salut de son frère, et pourquoi l’adolescent a-t-il été fou en partant et sage en retournant.