[2,0] LIVRE II. [2,1] - - -. [2,2] II. Dans ces temps-là Narsès fit aussi la guerre au Duc Bucellin. Ce Duc avait été laissé en Italie avec un autre Duc appelé Hamming lorsque Théodebert Roi des Francs était entré en Italie, et s'en était ensuite retourné dans les Gaules. Ce Bucellin ravageait toute l'Italie et envoyait ensuite des présents considérables à son Roi Théodebert. Mais comme il se disposait à passer l'hiver à Tannetum, il fut attaqué par Narsès et totalement détruit. Hamming alla porter du secours à Widin. Comte des Goths qui s'était révolté contre Narsès, mais ils furent vaincus sous les deux. Widin fut pris et envoyé à Constantinople, Hamming périt par le glaive de Narsès. Il y avait encore un troisième Duc des Francs appelé Leuthaire, et qui était frère de Buccelin. Ce Leuthaire retournait dans sa Patrie chargé de beaucoup de butin; mais il mourut de mort naturelle près du lac Benacus, entre Vérone et Trente. [2,3] III. Narsès fit encore la guerre à Sinduald Roi des Brebtes, qui restait encore de la race des Hérules qu'Odoacre avait mené avec lui en Italie. Il avait d'abord été très fidèle à Narsès qui le comblait de biens, mais ensuite il se révolta avec un orgueil infini. Narsès le vainquit, le fit prisonnier, et le fit pendre à une poutre très élevée. Dagistée maître de la milice, servit très bien le Patrice Narsès, et fit presque toute la conquête de l'Italie. Narsès avait d'abord été chartulaire ; mais par sa vertu, il obtint ensuite la dignité de Patrice. C'était un homme pieux, catholique dans la religion, plein de magnificence envers les pauvres, attentif à réparer les églises, exact à la prière et aux vigiles; si bien que souvent il a dû la victoire moins à ses armes qu'aux supplications qu'il épanchait aux pieds des autels. [2,4] IV. Dans ces temps-là il y eut une grande peste principalement dans la Ligurie. D'abord apparurent certains signes sur les maisons, les portes, les vases, et les vêtements, et plus on voulait les laver, et plus ces signes ressortaient en dehors. Après une année révolue, il se forma dans les aines, et dans d'autres parties délicates du corps humain, des petites glandes de la forme d'une noix ou d'une date, après quoi, l'on prenait une fièvre d'une ardeur insupportable, et l'on mourait au bout de trois jours. Mais si quelqu'un pouvait passer le troisième jour il avait l'espérance de vivre. De tous côtés l’on ne voyait que deuil et que larmes. Ceux qui voulaient éviter le danger abandonnaient leurs maisons, n'y laissant que les chiens pour les garder. Les troupeaux restaient seuls dans les campagnes sans être gardés par un Berger. Vous auriez vu des villages et des bourgs, bien peuples la veille, et totalement déserts le lendemain, les fils fuyaient, laissant sans sépulture les cadavres de leurs pères. Les parents oubliant les entrailles de la piété, quittaient leurs enfants dans les ardeurs de la fièvre ; si quelqu'un retenu par un reste de pitié voulait ensevelir son prochain, il restait lui-même sans sépulture, et tandis qu'il accordait des obsèques aux funérailles, il devenait lui-même une funéraille sans obsèques. Vous auriez va le siècle retourné au silence antique. Nulle voix dans la campagne, nul sifflement des Bergers, nulles embûches aux bêtes sauvages nul dommage aux oiseaux domestiques. Les champs attendaient vainement le moissonneur, la vigne avait perdue ses feuilles et restait encore intacte quoique rayonnante de grappes. Lorsque l'on fut plus proche de l'hiver l'on entendit dans les heures du jour et de la nuit, comme le bruit d'une armée et les sons de la trompette guerrière. L'on ne voyait aucune trace de passants. L'on ne voyait aucun percusseur et cependant les cadavres des morts surpassaient la vue des yeux. Les pâturages étaient convertis en sépultures des hommes, et les habitations humaines étaient devenues le refuge des animaux; et tous ces maux arrivèrent aux seuls Romains dans l'Italie, jusques aux confins des Bavarois et des Allemands. Pendant ce temps-là Justinien mourut, et le jeune Justin lui succéda: c'est alors aussi que Narsès, qui veillait à tout, prit Vital et l'exila en Sicile. Ce Vital était Evêque de la ville d'Altina, et depuis bien des années il s'était réfugié dans le royaume des Francs, c'est à dire dans la ville d'Agonte. [2,5] V. Or donc Narsès soumit ou détruisit toute la nation des Goths, et fut également heureux avec les Huns; mais comme il avait acquis de grandes richesses, il excita l'envie des Romains qui parlèrent ainsi à Justin et à sa femme Sophie de quoi sert il aux Romains d'obéir aux Grecs plutôt qu'aux Goths, puis qu'ils sont gouvernés par l'Eunuque Narsès, qui nous opprime à l'insu de notre Prince, où délivrez-nous de cette servitude, où bien nous nous livrerons aux nations avec notre ville de Rome. — Narsès ayant su ce que l'on disait de lui, répondit en ces termes. Si j'ai mal fait avec les Romains je m'en trouverai mal. — L'Auguste Empereur fut tellement irrité de cette réponse, qu'il envoya tout de suite Longin en Italie, pour gouverner ce pays à la place de Narsès. Celui-ci craignait si fort l'Impératrice qu'il ne voulut point retourner à Constantinople. On dit qu'entre-autres choses, elle lui fît dire, qu'étant Eunuque, il ferait bien de venir dans le Gynécée pour distribuer les laines aux jeunes filles. Mais Narsès répondit qu'il lui ourdirait une toile, qu'elle n'userait de tout le temps de sa vie. Or donc se trouvant à Naples et partagé entre la haine et la crainte, il envoya vers les Lombards, leur faisant dire d'abandonner leurs pauvres campagnes de la Pannonie, et de venir occuper l'Italie, qui était remplie de toutes sortes de richesses. Et en même temps il leur envoya toutes sortes de fruits que possède l'Italie. Les Lombards reçurent agréablement des offres aussi avantageuses, et élevèrent leurs âmes sur leurs grandeurs futures. Pendant ce temps-là on vit toutes les nuits en Italie des signes terribles. Des armées de feu paraissent dans le ciel, et marquèrent tout le sang qui fut répandu depuis. [2,6] VI. Alboin devant aller en Italie avec les Lombards, demanda encore des secours à ces anciens amis les Saxons, afin d’être plus en force pour occuper un si grand pays. Les Saxons vinrent au nombre de vingt mille hommes, avec leurs femmes, et leurs enfants. Clotaire et Sigebert Rois des Francs, ayant appris cette émigration, mirent des Souabes et d'autres nations dans les endroits que les Saxons avaient abandonnés. [2,7] VII. Alors Alboin céda son propre pays ; c'est à dire la Pannonie à ses amis les Huns, à condition de le rendre, au cas que les Lombards fussent obligés d'y revenir. Ainsi les Lombards quittèrent la Pannonie, menant avec eux leurs femmes, leurs enfants, et tout leur mobilier. Ils avaient demeuré en Pannonie pendant quarante-deux ans, et ils en sortirent au mois d'avril, à la première indiction, le lendemain de Pâque, et cette fête selon le calcul rationnel, s'est trouvée aux calendes d’avril comme 568 ans s’étaient écoulées depuis l'incarnation [2,8] VIII. Or donc le Roi Alboin arriva aux frontières de l'Italie avec une immense multitude, et il monta sur une haute montagne, d'où il pût contempler une partie de l'Italie et depuis lors cette montagne fut appelée le mont du Roi. L'on dit qu'il se trouve dans ces montagnes des Bizons sauvages, et cela n'est pas surprenant puisqu'elles vont jusques en Pannonie où ces animaux se trouvent également. Enfin un vieillard m'a raconté qu'il avait vu le cuir d'un de ces Bizons sur lequel quinze hommes pouvaient se coucher l'un à côté de l'autre. [2,9] IX. Alboin traversa le Frioul sans obstacle, et arriva aux frontières de la Vénétie qui est la première province d'Italie, et alors il commença à songer à qui il donnerait le gouvernement du pays qu'il avait déjà pris. Car l'Italie s'étend vers le midi ou plutôt vers l'Eurus, et elle est entourée par les flots de l'Adriatique et de la mer Tyrrhénienne, et vers le nord elle est fermée par des montagnes, en sorte que l'on ne peut y pénétrer que par des gorges étroites. Mais du côté de l'orient où l'Italie touche à la Pannonie, l'entrée en est plus facile. Or donc Alboin après avoir pensé à qui il confierait le gouvernement de cette province, se détermina pour Gisulf son neveu, qui était un homme singulièrement propre à toutes sortes de choses, et alors il remplissait l'emploi de Strateur. Ce qu'ils appellent Marpahis. Si bien qu'Alboin voulut donner à Gisulf le gouvernement de Forum Julii et de toute la province qui en dépendait. Mais Gisulf ne voulut l'accepter qu'au cas où on lui permettrait de choisir entre les Lombards, les Faras qu'il voudrait. C'est à dire les générations où lignages. Le Roi lui accorda sa demande et il commença à habiter le Frioul avec les principales familles des Lombards. Enfin il demanda les haras des chevaux les plus généreux et cette demande fut accordée par la libéralité du Prince. [2,10] X. Dans ces temps-là, lorsque les Lombards envahirent l'Italie. Clotaire Roi des Francs était mort, et ses quatre fils avaient partagés entre eux le royaume de leur père. Le premier était Aripert qui résidait à Paris. Le second Gontran qui résidait à Orléans, le troisième Chilpéric qui résidait à Soissons à la place du Roi son père. Le quatrième Sigebert qui résidait à Metz. Le saint Pape Benoît gouvernait l'église de Rome et le vénérable Paul était Patriarche d'Aquilée. Celui-ci craignant les Lombards, s'enfuit dans l'île de Grado, avec tout le trésor de son Eglise. Pendant cet hiver-là, il tomba de la neige dans la plaine autant que l'on en voit sur les montagnes dans les autres années, et l'été suivant, la fertilité surpassa tout ce que l'on avait vu on entendu jusqu'alors. Dans ce temps-là, les Huns appelés Avares, ayant appris la mort de Clotaire, attaquèrent son fils Sigebert. Celui-ci vint à leur rencontre en Thuringe, les vainquit près de l'Elbe et les força à demander la paix. Ce Sigebert épousa Brunechilde, qui venait d’Espagne, et il en eut un fils qui fut appelé Childebert. Les Avares livrèrent encore une bataille, dans le même lieu que la précédente, et furent victorieux. [2,11] XI. Narsès quitta la Campanie et vint à Rome où il mourut peu de tenu après. Son corps fut mis dans un coffre de plomb et transporté à Constantinople avec toutes ses richesses. [2,12] XII. Alboin vint au fleuve Alp et y trouva Félix Evêque de Trévise, celui-ci lui demanda tous les biens de son église et le Roi les lui confirma par sa pragmatique. [2,13] XIII. Mais puisque nous faisons mention de ce Félix, il conviendrait de dire quelque chose de Fortunatus, homme vénérable et sage, et qui dit que ce Félix a été son compagnon. Or donc ce Fortunatus est né dans le lieu appelé Duplavilis. Non loin de la ville de Cenit où de celle de Trévise. Mais il fut élevé à Ravenne où il apprit la grammaire, la Rhétorique, et se rendit même célèbre dans la métrique. Il souffrait beaucoup des yeux aussi bien que son compagnon Félix, c'est pourquoi tous les deux allèrent à l'église de saint Paul et de saint Jean, qui est dans cette ville. Et dans cette église il y a aussi un autel consacré à saint Martin confesseur. Près de cet autel est une fenêtre dans la quelle il y a une lanterne. Fortunat et Félix prirent de l'huile qui était dans cette lanterne et se frottèrent les yeux avec, aussitôt la douleur cessa, et ils furent parfaitement guéris. C'est pourquoi Fortunat conçut une si grande vénération pour saint Martin qu'il voulut aller à Tours, visiter le sépulcre de ce saint homme. Et c'est aussi ce qu'il fit quelques années avant l'invasion des Lombards. Il raconte dans ces vers qu'il passa par les fleuves Menti et Rouna, par l'Osupe, et les Alpes Juliennes, par la ville d'Aguntum. Par les fleuves Drawus et Byrrus par les Brioniens et la ville d'Augusta qui est arrosée par le Vindo et le Lech. Après s'être acquitté de son vœu à Tours, il passa par Poitiers et s'y établit. C'est la qu'il écrivit la vie de beaucoup de saints, partie en prose et partie en discours métrique. C’est aussi dans cette ville qu'il fut ordonné d'abord prêtre, et ensuite Evêque, et son corps y repose encore, honoré de la plus digne sépulture. Fortunat écrivit la vie de saint Martin en vers héroïques en quatre livres, et beaucoup d'autres ouvrages, des hymnes pour toutes les fêtes, et des petits vers à chacun de ses amis. Il ne le cédait à aucun poète, pour la douceur, et l'expression disserte. Ayant été là par dévotion, je fus voir son tombeau. Aper Abbé de ce lieu là, me pria de lui composer une épitaphe ce que je fis aussi. {- - -} Nous avons dit ce peu de mots sur l'histoire de ce grand homme, afin que ses concitoyens ne restassent pas dans une entière ignorance à son égard, et à présent je reviens à la suite de notre histoire. [2,14] XIV. Or donc Alboin, prit Vicence, Vérone, et toutes les autres villes de la Vénétie à l'exception de Padoue Monte Silico, et Mantoue; car la Vénétie n'était pas comprise dans ce petit nombre d'îles que nous appelons Venise, mais elle s'étendait depuis la Pannonie jusqu'à l'Adige, et cela est prouvé par les livres des Annales où il est dit que Bergame est une ville des Véneries; et les Histoires disent la même chose du lac de Benaco. Benacus lac des Vénétie dont sort le fleuve Mintis. — Les latins ajoutent une lettre mais les Grecs disent Eneti, ce qui veut dire Louables. L'Istrie est ajoutée à la Vénétie, et les deux provinces ne sont comptées que pour une. Le nom d'Istrie vient du fleuve Ister qui selon l'histoire Romaine était autrefois plus ample qu'il est aujourd'hui. Aquilée était autrefois la capitale de la Vénétie, et aujourd'hui c’est Forum Julii. Ainsi appelé parce que Jule César y fonda une place de commerce. [2,15] XV. Je crois qu'il ne sera pas hors de sa place que nous dirions quelque chose sur les autres provinces de l'Italie. La seconde province de l'Italie, est la Ligurie ainsi nommée des Légumes que l'on y cultive en abondance. C’est là qu'est Milan et Ticinum, que l'on appelle aussi Pavie, cette province s'étend jusques-aux confins des Gaulois. Entre la Ligurie et la Suave, qui est le pays des Allemands, il y a deux provinces, savoir la Rhétie première et la Rhétie seconde, ces deux provinces sont au milieu de ces Alpes, qui sont proprement habitées par les Rhétiens. [2,16] XVI. La cinquième province s'appelle les Alpes Cotiennes, du Roi Cottius qui vivait du temps de Néron. Elles s'étendent de la Ligurie vers l’Eurus jusqu’à la mer Tyrrhénienne, et vers l'occident, elles touchent aux frontières des Gaulois. C'est là que sont les eaux chaudes, Dertona, le monastère de Bobium, Gênes, et Savone. La sixième province est la Thussie ainsi appelée du Thus ou encens, que ces peuples avaient coutume de brûler superstitieusement dans les sacrifices qu'ils faisaient à leurs Dieux. Vers le Circius l'on y voit l'Aurélie et vers l'orient elle regarde l'Ombrie. C’est dans cette province qu'est la ville de Rome jadis capitale du monde. Dans l'Ombrie est Péruse, le Lac Clitorius, et Spolète. Elle s'appelle Ombrie parce-que le pays à autrefois souffert des pluies qui en latin s'appellent imbres. [2,17] XVII. La septième province est la Campanie qui commence à Rome et qui s'étend jusqu'au Siler fleuve de la Lucanie. Là sont des villes très opulentes : Capoue, Naples et Salerne. Elle s'appelle Campanie à cause de la belle plaine de Capoue; car d'ailleurs elle est montueuse. La huitième province est la Lucanie qui a pris son nom d'un petit bois. (Lucus) Elle commence au fleuve Siler, et à la Fratie ainsi appelée d'une certaine reine, et elle s'étend jusques au détroit de Sicile, le long de la mer Tyrrhénienne menant la corne droite de l'Italie. C'est là qu'est Pestum, Lanius, Cassianum, Consentia, et Rhégium. [2,18] XVIII. La neuvième province est dans les Alpes apennines, ces Alpes traversent l'Italie par le milieu et commencent là où finissent les Alpes Cottiennes, d'abord elles séparent la Tuscie de l'Emilie, et l'Ombrie de la Flaminie: là sont les villes de Ferronianus, Monte-pellium Bobium, Urbinum, et un Bourg qui s'appelle Vérone; le nom d'Apennin, vient, de Pennique où Carthaginois. Car c'est par-là qu’Hannibal a passé pour venir à Rome, les Alpes Cottiennes et Apennines peuvent être regardées comme la même province. Mais Victorinus dans son histoire regarde les Alpes Cottiennes comme une Province séparée. La dixième province est l'Emilie, qui commence à la Ligurie, et s'étend jusques à Ravenne entre les Alpes Apennines et le Pau. Elle est ornée de villes très riches telles que Plaisance, Parme, Régio, Bologne, et le forum de Cornélius, dont le château s'appelle Imola. Il y a des gens qui confondent l'Emilie avec la Valérie et la Nursie, mais leur avis ne saurait prévaloir puisque la Tuscie et l'Ombrie séparent l'Emilie, la Valérie et la Nursie. [2,19] XIX. La onzième province est la Flaminie, qui est située entre les Alpes Apennines et la mer Adriatique. C'est là qu'est Ravenne la plus noble des villes, et cinq autres villes appelées en grec Pentapole. Il est sûr que l'Aurélie, l'Emilie, et la Flaminie sont ainsi appelées des grandes routes que l'on y avait pratiquées, et du nom de ceux qui les avaient construites. La douzième province s'appelle le Picenum, ayant à l’Auster les Apennins et de l'autre côté la mer Adriatique. Cette province s'étend jusqu'au fleuve Piscarius. C'est là que sont les villes de Firmum, Asculum Pinnis, et Adria ville détruite qui à donné son nom à toute cette mer. Les habitants de cette province avaient fait la guerre aux Sabins, et comme ils revenaient chez eux, un Pivert se posa sur leur étendart et c'est de là que le pays à pris le nom de Picenum. [2,20] XX. La treizième province est la Valérie à laquelle est annexée la Nursie, elle est située entre la Campanie, l'Ombrie et le Picenum, et vers l'orient elle atteint la région des Samnites. Sa partie occidentale commence à Rome, et s'appelle Etrurie, des anciens Etrusques. Là sont les villes de Tybulis, Carsilis, Reate, Furcona, Amiterne et la région des Marses, qui est un lac qu'ils appellent Fucin, je crois que la région des Marses doit être comptée dans la Valérie, parce que les anciens ne l'ont point décrite dans le catalogue des provinces de l'Italie. Mais si quelqu'un prouve par de bonnes raisons que l'on doit en faire une province séparée, alors l'on pourra toujours s'en tenir à son avis. La quatorzième province est le Samnium, entre la Campanie, la mer Adriatique et l'Apulie, et il commence à Piscaria. Là sont les villes de Theate, Aufidene, Hisernia, et Samnium détruite par le temps et qui à donné son nom à toute la province, enfin le très riche Bénévent capitale de toute cette province. Les Samnites ont tiré leur nom des piques que les Grecs appellent Samia. [2,21] XXI. La quinzième province est l'Apulie, à laquelle, est jointe la Calabre, dans laquelle est renfermée la région Salentine. Cette province est bornée à l'Occident et à l'Africus par le Samnium et la Lucanie, et à l'orient par l'Adriatique. Là sont les villes très opulentes de Luceria, Sepontum, Canusium, Agerentia, Brindes et Tarente qui est sur la corne gauche de l'Italie, laquelle s'étend à cinquante mille dans la mer; enfin c'est là qu'est la ville d'Hydronte, si favorable au commerce. Le nom de l'Apulie veut dire perdition, parce-que la grande chaleur du soleil y a bientôt détruit la verdure. [2,22] XXII. La seizième province est l'île de Sicile, entourée de la mer Tyrrhénienne ou Ionique, le nom de la Sicilie lui vient d'un ancien chef appelé Siculus. La dix-septième province est la Corse. La dix-huitième province est la Sardaigne, qui, ainsi que la précédente, est entourée par la mer Tyrrhénienne. La Corse tire son nom de Corsus, et la Sardaigne de Sardus. Ce dernier était fils d'Hercule. [2,23] XXIII. Il est pourtant certain, que les anciens historiens ont appelé Gaule Cisalpine, la Ligurie, une partie de la Vénerie, l'Emilie, et la Flaminie. Voilà pourquoi le grammairien Donatus, dit dans son exposition de Virgile; que Mantoue est dans la Gaule. Voilà aussi pourquoi il est dit dans l'histoire Romaine que Rimini fut bâti dans les Gaules parce que Brennus Roi des Gaulois qui régnait à Sens, vint en Italie, et le pays qu'il conquit fut appelé Seno-Gallie, à cause des Gaulois Sénonais. Et voici ce qui fit venir les Gaulois en Italie, une fois ils goûtèrent du vin qui en venait, et aussitôt ils voulurent y aller, cent mille de ceux-ci périrent par l'épée des Grecs non loin de l’île de Delphes (c'est à dire du temple de Delphes) cent mille autres allèrent dans la Galatie et furent d'abord appelés Gallo-Grecs et ensuite Galates. Et ce sont ceux à qui est adressée l'épître de Paul Docteur des nations. Cent mille Gaulois qui restèrent en Italie bâtirent Pavie, Milan, Bergame, Brescia, et ce pays fut appelé Gaule Cisalpine ce sont ces mêmes Gaulois Cénonois qui ont jadis envahi la ville de Romulus. Cisalpine est la Gaule qui est de ce côté ici des Alpes, et Transalpine est celle qui est de l'autre côté des Alpes. [2,24] XXIV. L'Italie qui renferme toutes ces provinces tire son nom d'Italus chef des Sicules, qui l'a envahie autrefois. Peut-être aussi qu'on l'appelle Italie, parce que l'on y trouve ces grands bœufs que l'on appelle Italiens. Et c'est d'Italus, qu'en ajoutant une lettre on fait le diminutif vitalus, qui signifie un veau. L'Italie s'appelle aussi Ausonie, d'Auson fils d'Ulysse. La région de Bénévent fut la première appelée ainsi, et puis ce nom fut donné à toute l'Italie. L'Italie s'appelle aussi Latium, parce que Saturne trouva le moyen de s'y cacher, lorsqu'il fut poursuivi par son fils Jupiter. Or donc à présent que nous avons assez parlé des provinces de l'Italie reprenons le fil de notre histoire. [2,25] XXV. Alboin vint donc dans la Ligurie et à la troisième indiction, le troisième jour des nones de Septembre, il entra dans Milan, dont Honorât était Archevêque. Ensuite il prit toutes les villes de la Ligurie, à l'exception de celles qui sont sur le rivage de la mer. Mais l'Archevêque Honorât avait abandonné Milan, et s'était retiré à Gênes. Le Patriarche Paulus mourut après avoir géré le sacerdoce pendant douze ans, et Probinus lui succéda. [2,26] XXVI. Dans ces temps-là Pavie se défendit trois ans contre l'armée des Lombards, qui l'assiégeait du côté de l'occident. Enfin Alboin s'empara de tout le pays jusqu'à la Toscane, à l'exception de Rome, de Ravenne et de quelques forteresses proches de la mer. Les Romains n'étaient point en état de résister tant à cause de la Peste, qui avait régné sous Narsès, qu'à cause de la famine, qui avait succédé à cette année d'abondance dont nous avons parlé plus haut ; de plus il est certain qu'Alboin conduisit en Italie beaucoup d'autres nations, soumises par lui, où par les Rois ses prédécesseurs. Et l'on voit encore aujourd'hui en Italie, des Bourgs habités par des Gépides, des Bulgares, des Sarmates des Pannoniens, des Souabes, des Norices et d'autres. [2,27] XXVII. Or donc la ville de Pavie se rendit à Alboin après trois ans de siège. Et comme Alboin y entrait par la porte de saint Jean qui est à l'Orient de la ville, son cheval s'abattit au milieu de la porte, et ne voulut point se relever, quoiqu'il reçut force coups d'éperons, et que le Strateur le frappa de toutes ses forces. Alors un des Lombards s'adressa au Roi, et lui parla en ces termes: Seigneur Roi, rappelez-vous le vœu cruel que vous avez fait : Renoncez-y, et vous entrerez dans cette ville, car elle est habitée par un peuple chrétien. — Il faut savoir qu'Alboin avait fait vœu de faire périr tout ce peuple par le Glaive, par la raison qu'il n'avait pas voulu se rendre tout de suite. Mais il renonça à son vœu, et promit de pardonner aux citoyens ; aussitôt son cheval se releva, et étant entré dans la ville, il ne fit de mal à personne. Tout le peuple vint à lui devant l'ancien palais, construit par Théodoric, et commençant à respirer après tant de misère, il se livra à l'espoir d'un avenir plus heureux. [2,28] XXVIII. Alboin régna trois ans et six mois en Italie et périt par trahison de sa femme. Voici quelle fut la cause de sa mort. Comme il était à Vérone à un festin, et plus gai qu'il n'aurait dû, il fit venir la coupe faite du crâne de son beau-père Cunnimund, et l'ayant remplie de vin il la présenta à sa femme, en l'invitant à boire, dans la tête de son père. Et comme cela pourrait paraître impossible, moi disant la vérité dans le Christ, j'atteste que j'ai vu cette coupe à un certain jour de fête, entre les mains de Ratchis qui la montrait à ses convives. Or donc Rosemonde conçut beaucoup de douleur de cette proposition, et sans en laisser rien paraître elle jura aussitôt de venger la mort de son père par celle de son époux. D'abord elle s'en ouvrit à Helmichis frère de lait du Roi et qui avait auprès de lui la charge de Schilpor c'est-à dire écuyer. Celui-ci persuada à la reine d'admettre dans son projet Peredée qui était un homme très vaillant; la reine le fit, mais Peredée se refusa à tremper dans ce crime. Ce Peredée couchait toutes les nuits avec la femme de chambre (Vestiaria) de la Reine; la Reine se mit pendant la nuit dans le petit lit de sa femme de chambre et Peredée coucha avec elle sans le savoir. Lorsque ce crime fut commis la Reine lui demanda avec qui il croyait avoir couché. Peredée dit le nom de son amie avec laquelle il croyait être. Alors la Reine lui répondit: Tu es dans l'erreur, car je suis Rosemonde, et il faut à présent que tu tues Alboin, ou que tu périsses par son glaive. — Alors Peredée vit bien qu'il ne lui restait d'autre parti à prendre qu'à consentir aux désirs de la Reine. Comme Alboin se livrait au sommeil après midi, Rosemonde fit faire silence dans le palais, et écarta toutes las armes, à l'exception de l'épée d'Alboin qui pendait au chevet de son lit et qu'elle avait eue la précaution de faire attacher au fourreau; alors cette femme plus cruelle que toutes les bêtes, introduisit le meurtrier Peredée, selon le conseil que lui avait donné Helmichis. Alboin se réveilla et voyant le péril qui le menaçait, il voulut tirer son épée, mais ne pouvant y parvenir, il prit l'escabeau qui était sous ses pieds et se défendit quelque temps. Mais ne pouvant faire aucun mal à son ennemi, il finit par succomber. Ainsi périt comme un homme inerme, et par les conseils d'une petite femme (muliercula) ce grand Roi, qui s’était rendu fameux par le massacre de tant de nations ennemies. Les Lombards le pleurèrent et l'enterrèrent sous un certain escalier qui était proche du palais. Alboin était d'une belle taille, et semblait formé exprès pour la guerre. De nos jours, Giselbert, qui avait été Duc de Vérone fit ouvrir son tombeau, et y trouva son épée, et s’il y a trouvé quelque ornement, il l'aura volé. Ensuite il s'est vanté d'avoir vu Alboin, vanité ordinaire chez les ignorants. [2,29] XXIX. Alboin ayant été tué, Helmichis, chercha à s'emparer de la royauté mais il ne put y parvenir, car les Lombards qui regrettaient Alboin, ne cherchaient qu'à le faire périr. Rosemonde envoya à Ravenne informer le préfet Longin de ce qui s'était passé et lui demanda un vaisseau, pour pouvoir partir en toute diligence ; Longin, charmé de la mort d'Alboin, envoya le vaisseau, où Rosemonde s'embarqua avec Albsuinde sa fille et Helmichis qu'elle avait déjà épousé, emportant encore tous les trésors des Lombards, et ils arrivèrent ainsi à Ravenne. Longin commença à persuader à Rosemonde de tuer Helmichis, et de l'épouser. Celle ci qui était toujours prête à commettre une méchanceté, et qui désirait dominer à Ravenne, présenta une coupe empoisonnée à Helmichis au moment où il sortait du bain. Mais celui-ci sentant qu'il avait bu la mort, tira son épée et força Rosemonde à boire ce qui restait dans la coupe; et ainsi périrent deux meurtriers, par la volonté toute puissante de Dieu [2,30] XXX. Ceux-ci ayant péri, Longin prit avec lui Albsuinde et les trésors des Lombards, et se rendit à Constantinople auprès de Tibère. Quelques-uns disent que Peredée était allé à Ravenne avec Helmichis et Rosemonde, et de là à Constantinople avec Albsuinde, et que là il tua un lion énorme en présence de l'Empereur et de tout le peuple; et ils disent que l'Empereur voyant sa force, lui fit crever les yeux dans la crainte qu'il ne machina quelque chose dans la ville royale, et que celui-ci au bout de quelque temps, se fit faire deux couteaux qu'il cacha dans ses manches. Puis il demanda à parler à l'Empereur, pour lui révéler des choses très importantes. L'Empereur lui envoya deux Patrices de ses amis en qui il avait le plus de confiance. Peredée s'approcha d'eux comme pour leur parler à l'oreille, et leur donna à chacun un si violent coup de couteau, qu'ils expirèrent à l'instant. Il vengea la perte de ses yeux, par celle de deux hommes très utiles et que l'on pouvait regarder comme les yeux de l'Empire. Cette vengeance l'assimilait à Samson, cet homme si fort. [2,31] XXXI. Les Lombards élurent d'une voix unanime pour leur Roi Cleph, le plus noble d'entre eux ; cette élection eût lieu à Pavie. Celui-ci fit beaucoup de mal aux Romains qui étaient encore restés en Italie; il fit périr les uns par le glaive et força les autres à s'expatrier. Il régna un an et six mois avec sa femme Messana, et périt par la main d'un jeune garçon de sa suite qui l'égorgea avec son épée. [2,32] XXXII. Après la mort de Cleph, les Lombards furent dix ans sans avoir de Rois ; mais seulement des Ducs, et chaque Duc eût sa ville en propre. Zabun eût Pavie, Vaillari eût Bergame. Alachis eût Bresse, Evin eût Trente, Gisulf eût le Frioul, et outre ceux-là il eût encore trente autres Ducs, dont chacun eût une ville en propre : leur cupidité fit périr beaucoup de nobles Romains, le reste partagé entre les Lombards leur donnait le tiers de la récolte. Sept ans après l'arrivée d'Alboin, l'Italie était soumise à tous ces Ducs, mais ses églises étaient renversées, les prêtres tués, les villes détruites, et les peuples anéantis, à l'exception des pays qui avaient d'abord été pris par Alboin