[1,0] HISTOIRE DES LOMBARDS - LIVRE I. [1,1] I. La plage Septentrionale éloignée des ardeurs du soleil et gelée par le froid des neiges en est d'autant plus propre à la propagation des peuples et à la salubrité des corps. Au contraire les contrées du midi sont exposées aux maladies, et peu propres à l'éducation des enfants des hommes. De là vient que de grandes multitudes de nations ont commencé sous le Pôle et toute cette région jusques au Tanaïs et vers l'occident s'appelle en général Germanie, quoique chaque lieu y ait un nom particulier, et que les Romains aient aussi donné les noms de Germanie supérieure et inférieure à deux Provinces dont l'une était au-dessus et l'autre au- dessous du Rhin. C'est de cette populeuse Germanie, que souvent on a amené dans le midi des troupes d’esclaves, et comme elle produit plus d'hommes qu'elle n'en peut nourrir, des peuples nombreux en sont sortis et ont affligés les pays voisins dans l'Asie et l'Europe. Voila ce qu'attestent tant de villes ruinées dans l'Illyrie et la Gaule; mais particulièrement dans la malheureuse Italie, qui a éprouvé les fureurs de chacune de ces nations en particulier. Car c'est de la Germanie que sont sortis, les Goths, les Vandales, les Rugiens, les Hérules, les Turcilinges et d'autres nations Barbares. [1,2] II. C'est ainsi que la nation des Winiles, c'est à dire des Lombards, qui aujourd'hui règne glorieusement en Italie, tire son origine des peuples Germains; mais elle a eu aussi d'autres raisons d’émigrer. L'on dit qu'elle est venue de l'Isle appelée Scandinavie. Pline second fait mention de cette île dans les livres qu'il a composés sur la nature des choses. Ceux qui y ont été nous ont assuré que cette île n'est point au milieu de la mer; mais qu'elle est entourée par les flots qui environnent la terre à cause du peu de hauteur des rivages. Les habitants de ce pays ayant donc peuplé au-delà de toute mesure, partagèrent dit-on leur immense multitude en trois parts, et consultèrent le sort pour savoir laquelle de ces trois troupes irait chercher des nouvelles habitations. [1,3] III. Or donc la troupe que le sort désigna pour aller chercher de nouvelles habitations, élut deux chefs Ibor et Aion, qui étaient frères et dans la fleur de leur âge. Leur mère qui s'appelait Gambara, avait infiniment d'esprit et de prudence et ses fils la consultaient dans tous les cas embarrassants. [1,4] IV. Je ne crois pas qu'il serait mal à propos de parler un peu de la Germanie, puisque nous l'avons déjà mentionnée, et de dire quelques unes des merveilles que l'on en raconte. Par exemple l'on dit que sur le rivage de l'océan aux extrémités de la Germanie, il y a une Caverne au pied d'un haut rocher, où sept hommes dorment d'un profond sommeil, l'on ne sait pas depuis combien de temps; si bien que leurs corps n'ont point soufferts, non plus que leurs habits, ce qui les a mis en vénération parmi les Barbares des environs. Leur habillement semble prouver qu'ils étaient Romains. Un homme mu par la cupidité, entra un jour dans la Caverne pour les déshabiller ; mais il ne les eût pas plutôt touchés que ses bras furent brulés, et depuis lors personne n'osa plus les toucher. Je vous laisse à deviner pour quel dessein la providence divine les conserve depuis si longtemps. Peut-être qu'un jour ils s'éveilleront et convertiront ces peuples par la prédication ; car l'opinion générale est que ces sept dormants sont des Chrétiens. [1,5] V. Les Scritobini sont voisins de ce lieu-là, leur pays ne manque pas de neige même en été, et semblables aux bêtes féroces, ils se nourrissent de la chair crue des animaux sauvages, et s'habillent de leurs peaux. L'Etymologie de leur nom selon la langue Barbare vient de sauter. — Car ils poursuivent le Gibier en sautant et se servent pour cela d'un bois courbé en forme d'arc. Chez eux est un animal assez ressemblant au cerf, de la peau duquel ils font des espèces de tuniques qui descendent jusques aux genoux, et ont le poil en dehors, j'en ai vu de pareilles, et ce sont les habits dont se servent les Scritobini. Là dans le Solstice d'été l'on voit clair pendant toute la nuit ; car les jours y sont bien plus longs qu'ailleurs. Au contraire dans le Solstice brumal, l'on n'y voit point le soleil et les jours y sont très courts; car plus on s'éloigne du soleil, et plus il semble rapproché de la terre, et plus aussi les ombres sont allongées. Par exemple, au jour de Noël à six heures en Italie, l'ombre d'un homme à neuf pieds de long. Et moi, étant dans la Gaule Belgique dans le lieu appellé Thionville, je mesurai mon ombre et je la trouvai de dix neufs pieds. Au contraire plus on se rapproche du midi et plus les ombres paraissent courtes, si bien que dans le Solstice d'été à midi, l'on ne voit aucune ombre tant à Jérusalem qu'en Egypte. En Arabie à la même heure et dans le même temps, le soleil paraît au nord et les ombres sont tournées vers le midi. [1,6] VI. Non loin du rivage dont nous avons parlé, vers l'occident où s'ouvre un océan sans bornes, est ce gouffre profond des eaux que nous appelions vulgairement le nombril de la mer, qui absorbe les flots deux fois par jour et les revomit autant de fois, ainsi qu'on le voit bien sur tous ces rivages, un gouffre semblable est appellé Charybde par le poète Virgile, qui en parle dans ces termes. "Dextrum Scylla Latus laeuum implacata Charybdis Obsidet at que imo baratri ter gurgite uastos Sorbet in abruptum fluctus, rursus que sub auras. Erigit alternos, et sidera uerberat unda" (Énéide, III, v. 417-420). L'on assure que ce gouffre attire souvent des vaisseaux, avec la vitesse d'une flèche, et les fait périr; mais quelquefois les vaisseaux au moment d'être engouffrés, sont repoussés au loin, avec autant de vitesse qu'ils avaient été attirés. L'on dit qu'il y à aussi un gouffre semblable entre les Gaules et l'île de Bretagne, aussi tous les rivages de l'Aquitaine et de la Sequanique, sont inondés deux fois par jour par les flots de la mer, et ceux qui s'y promènent ont souvent bien de la peine à échapper. Vous voyez alors les fleuves de ces contrées retourner vers leurs sources, et leur douceur changée en Amertume. L'île Evodia est à trente mille du rivage Sequanique, et les habitants de cette île, disent que de chez eux l'on entend le mugissement de cette Charybde. Un noble Gaulois m'a conté, qu'une fois des vaisseaux battus par la tempête, avoient été attirés par ce gouffre, et un homme qui nageait encore après la mort des autres fut entraîné jusques au bord de l'abîme, que la considérant ce vaste Chaos, il attendait le moment d'y être précipité, lorsque le flot le porta sur un rocher. Toutes les eaux ayant été absorbées, les bords de l'abyme restèrent à découvert. Le malheureux y restait en proie à mille angoisses et ne regardait sa mort que comme différée, lorsqu'il vit comme des montagnes d'eau qui sortaient de ce gouffre, et qui portaient les vaisseaux qui venaient d'être engouffrés, l'un de ceux-ci passa auprès de lui, il saisit quelque objet au moyen duquel il put s'y accrocher, et fut transporté sur le rivage avec rapidité. Cet homme vit encore et raconte lui-même son désastre. Notre mer qui est l'Adriatique, envahit de la même manière les rivages des Vénéties et de l'Hystrie; mais avec bien moins de force, ainsi il est croyable qu’elle recèle aussi de ces conduits qui absorbent et revomissent les eaux. [1,7] VII. Or donc les Winiliens sortis de Scandinavie sous le commandement d'Ibor et d'Ayon, vinrent dans la région appelée Scoringa, et y restèrent quelques années. Dans ce temps-là les Ambres et les Asses, chefs des Vandales, faisaient la guerre aux régions voisines. Enflés d'un grand nombre de victoires, ils envoyèrent vers les Winiliens pour leur ordonner de payer tribut aux Vandales. Ibor, Ayon et leur mère Gambara, trouvèrent qu'il valait mieux se battre que de se souiller par des tributs. Et ils envoyèrent dire aux Vandales qu'ils les combattraient et ne les serviraient pas. Les Winiliens étaient tous des jeunes gens ; mais leur nombre n'était pas grand ; car leur population n'était que la troisième partie de celle d'une Isle assez petite. [1,8] VIII. Ici l'antiquité rapporte un conte ridicule. Les Vandales (dit-on) s'adressèrent à Wodan, et le prièrent de leur accorder la victoire sur les Winiliens. Celui-ci répondit qu'il l'accorderait à ceux qu'il verrait les premiers au soleil levant. Alors Gambara s'adressa à Frea, femme de Wodan, et lui demanda la victoire pour les Winiliens. Frea lui conseilla d'ordonner aux femmes de défaire leurs cheveux et de les arranger sur leur visage en forme de barbe. Celles-ci le firent et se placèrent le matin avec les hommes, du côté où Wodan à coutume de regarder par la fenêtre de son Palais, lorsqu'il veut voir le soleil levant. Et Wodan les ayant vus dit qui sont ces gens à longues barbes? Alors Frea le pria d'accorder la victoire à ceux qu’il avait ainsi nommés. Et c'est ainsi dit-on que Wodan accorda la victoire aux Winiliens. Ces choses sont risibles et ne méritent aucune attention. La victoire n'est point dans la puissance des hommes ; mais c’est un don du ciel. [1,9] IX. Il est pourtant certain que les Lombards tirent leur nota de leurs longues barbes, que le fer ne touche jamais; car auparavant ils étaient appelés Winiliens. Dans leur langue "Lang" veut dire long, et "Baert", Barbe, Wodan, qu'ils ont aussi appelle Godan en ajoutant une lettre est le Mercure des Romains, et il est adoré par toutes les nations de la Germanie, et il a existé non pas alors ; mais bien auparavant, non pas en Germanie; mais en Grèce. [1,10] X. Or donc les Winiliens où Lombards, ayant livré bataille aux Vandales, remportèrent la victoire. Cette Province s'appelle Scoringa, ils y souffrirent de la famine, et furent très consternés. [1,11] XI. Comme ils sortaient de cette Province pour entrer dans la Mauringa, les Assipites ne voulurent point leur permettre de passer sur leurs terres. Les Lombards voyant le nombre de leurs ennemis, eurent recours à un stratagème. Ils répandirent qu'ils avaient dans leur armée des Cynocéphales c'est à dire des hommes à tête de chien, qui étaient très belliqueux, buvaient le sang des hommes et même le leur propre lorsqu'ils ne pouvaient pas atteindre leurs ennemis, et pour qu'on les crut plus aisément, ils augmentèrent le nombre des tentes et des feux. Ceux-ci les voyant et entendant toutes ces choses n'osèrent plus risquer de Bataille. [1,12] XII. Cependant les ennemis avaient chez eux un homme très fort, et ils l'envoyèrent défier au combat singulier le plus fort des Lombards, sous la condition que s'il était victorieux, les Lombards seraient obligés de retourner dans leur pays, et que s'il était vaincu, les passages leurs seraient ouverts. Les Lombards ayant entendu ces choses délibérèrent sur le choix de leur champion. Alors un homme de condition servile se présenta et dit qu'il combattrait à condition que s'il était vainqueur on lui accorderait la liberté. Il combattit, remporta la victoire, obtint la liberté et les Lombards continuèrent leur route. [1,13] XIII. Or donc les Lombards étant parvenus dans la Mauringa voulurent augmenter le nombre de leurs Guerriers, et accordèrent la liberté à un grand nombre d'hommes de condition servile, et ils sanctionnèrent cet affranchissement à leur manière accoutumée, c'est à dire par la flèche et en murmurant de certains mots dans la langue de leur patrie. Les Lombards ayant quitté la Mauringa abordèrent (applicuerunt) dans la Golande, où ils restèrent quelque temps. Ensuite ils possédèrent pendant quelques années Anthabet Bathaïb et Vurgundaïb, ce que nous croyons être des noms de Bourgs où de lieux. [1,14] XIV. Ibor et Ayon qui avaient gouverné les Lombards depuis leur sortie de Scandinavie étant morts, ils ne voulurent plus de Ducs; mais un Roi, à l'instar des autres nations. Et le premier qui fut leur Roi fut Agelmund fils d'Ayon, de la famille des Gungine, qui était chez eux la plus noble. Celui-ci régna 33 ans à ce que disent les Anciens. [1,15] XV. Dans ce temps-là une certaine fille de joie accoucha tout à la fois de sept fils, et plus cruelle qu'une bête féroce elle les jeta dans une piscine; si quelqu'un ne veut pas y ajouter foi, qu'il relise les histoires des Anciens, et il trouvera qu'une femme a accouché non seulement de sept enfants; mais même de neuf, ce qui arrivait principalement chez les Egyptiens. Or donc il arriva que le Roi Agelmund, chemin faisant, arriva à cette piscine, et arrêtant son cheval, il regarda les enfants avec commisération, les retournant çà et là avec le bout de sa lance, et un de ces enfant saisit la lance du Roi avec la main. Le Roi s'en étonna et dit que cet enfant était destiné à de grandes choses. Et tout de suite il le fit ôter de la piscine et le remit à une nourrice, en lui ordonnant d'en avoir le plus grand soin. Cet enfant fût appelé Lamission, parce que Lama dans la langue des Lombards, veut dire une piscine. Ce Lamission devint dans la suite un si brave guerrier qu'il succéda à Agelmund. Un jour que les Lombards marchaient ayant leur Roi à leur tête, ils arrivèrent à un certain fleuve, dont le passage leur fût disputé par les Amazones. Alors Lamission combattit à la nage au milieu du fleuve la plus vaillante des Amazones, et les conditions du combat singulier étaient, que s’il était vainqueur, les Amazones leur laisseraient passer le fleuve ; et Lamission fut vainqueur; mais ce fait ne passe point pour être appuyé sur la vérité; car ceux qui connaissent les histoires anciennes, savent bien que la nation des Amazones a été détruite longtemps avant que ces choses aient pu arriver. Mais il faut convenir aussi que les historiens qui ont décrit ces événements, n'ont pas assez connus les lieux où ils se sont passés, et il est possible aussi que cette race de femmes ait subsisté quelque part jusques à ces temps-là. Car moi même j'ai entendu rapporter à quelques-uns, que dans le fond de la Germanie, il existe encore aujourd'hui une pareille race de femmes. [1,16] XVI. Les Lombards ayant donc traversé ce fleuve restèrent quelque temps dans le pays qui était au-delà, et comme ils n'y étaient exposés à aucun danger, ils s'y accoutumèrent à une sécurité trop grande ; car la sécurité est souvent mère des périls. Car une nuit comme ils dormaient tous, les Bulgares les attaquèrent à l'Improviste, tuèrent leur Roi Agelmund et enlevèrent sa fille unique. [1,17] XVII. Les Lombards se remirent peu à peu de cette défaite, et prirent pour leur Roi ce Lamission dont nous avons parlé plus haut. Celui-ci qui était jeune, bouillant, et prompt aux combats tourna ses armes contre les Bulgares. Mais dès le premier choc, les Lombards tournèrent le dos et s'enfuirent vers leur camp, Lamission témoin de cette lâcheté se mit à leur en faire des reproches, à haute voix, leur rappelant la mémoire de leur Roi égorgé, et de sa fille enlevée, ajoutant qu'il valait mieux périr dans le combat que de vivre le jouet de ses ennemis, ainsi que sont les vils esclaves, s'il voyait quelque homme d'une condition servile et qui combattait il lui promettait la liberté. Enfin, il en fit tant qu'ils retournèrent à la charge et vengèrent la mort de leur Roi, et puis ils devinrent plus courageux à la guerre, principalement, à cause du grand butin qu'ils avaient fait dans cette bataille. [1,10] XVIII. Ensuite mourut Lamission, second Roi des Lombards, et Lethu lui succéda; celui-ci régna environ quarante ans. Son successeur fut Hildeoc son quatrième fils, et à celui-ci succéda le cinquième fils appelle Gudehoc. [1,19] XIX. Alors Odoacre régnait en Italie déjà depuis quelques années, et Féléthée ou Feva Roi des Rugiens se trouva enflammé par le foment des plus grandes inimitiés. Ce Féléthée habitait alors la rive ultérieure du Danube séparée par ce fleuve du Norique. Sur ces confins des Norices était le couvent de St. Severin, homme très remarquable par la sainteté de ses vertus, et dont le corps est aujourd'hui à Naples. Quoiqu'il soit mort dans les lieux, que nous venons d'indiquer, ce saint homme ne cessait de faire des remontrances à sa femme Gissa, mais ils méprisèrent ses paroles pieuses. Alors Odoacre rassembla les nations qui lui obéissaient, savoir les Tucilinges, les Hérules une partie des Rugiens et quelques peuples d'Italie et il entra ainsi dans le Rugiland ; combattit les Rugiens et fit périr leur Roi Féléthée. Après avoir ravagé toute cette province, il retourna en Italie avec un très grand nombre de Captifs. Alors les Lombards sortirent de leurs régions et entrèrent dans le Rugiland, et Rugiland veut dire en latin, Patrie des Rugiens. Et comme le pays était fertile, ils y restèrent plusieurs années. [1,20] XX. Pendant ce temps là mourut Gudehoc, et son fils Claffo lui succéda. Ensuite Claffo mourut et son fils Tato lui succéda, et fut le septième Roi des Lombards. Les Lombards étant sortis de Rugiland, habitèrent dans des campagnes ouvertes, qui dans la langue des Barbares s'appellent "Feld". Comme ils y demeurèrent trois ans, il s'y éleva une grande guerre entre Tato, et Rodulphe Roi des Hérules. Ils avaient été alliés jusqu'alors, et voici qu'elle fut l'occasion de cette querelle. Le Frère du Roi Rodulphe avait été envoyé vers Taton pour resserrer les nœuds de leur alliance ; et comme il retournait chez lui, il passa devant la maison de Rumetrude fille du Roi. Celle-ci, voyant une troupe aussi nombreuse et magnifique, demanda qui était cet homme si bien accompagné ; on lui répondit que c'était le frère du Roi Rodulphe qui retournait dans son pays, après s'être acquitté de son ambassade. La demoiselle envoya vers lui pour l'inviter à boire un verre de vin chez elle, et il y vint sans défiance ; mais comme il était très petit de taille, la demoiselle le regarda avec mépris, et lui dit des paroles dérisoires, celui-ci, plein de honte et d'indignation, répondit par des paroles qui donnèrent encore plus de confusion à la Belle. Celle-ci, enflammée de colère, se décida aussitôt à en tirer une vengeance éclatante, mais, dissimulant avec art, elle sourit agréablement, et invita le Prince à s'asseoir. Mais elle le fit asseoir dans un lieu où il avait à dos une fenêtre recouverte par une tapisserie et cette atroce bête y plaça ses valets et leur commanda de donner des coups de lance au moment, où elle dirait à l'échanson Versez ! Cet ordre fut exécuté, et le Prince frappé par derrière, expira au même instant. Rodulphe devint furieux au moment où il apprit ce qui s'était passé ; et résolu a la vengeance, il déclara la guerre à Taton et les deux armées en vinrent aux mains. Rodulphe conduisit la sienne au combat; mais il rentra ensuite dans son camp; et se mit à Table, comme s'il n'eût eu aucun doute sur l'issue du combat, car alors les Hérules étaient très exercés à la guerre et s'étaient rendu illustres par de grands massacres. Ils combattaient toujours nus, ne couvrant de leurs corps que les parties que la modestie prescrit de couvrir. Sait qu'ils le fissent pour être plus lestes, ou pour montrer le mépris qu'ils faisaient des blessures. Or donc leur Roi, plein de confiance en leur courage, s'était mis à table ainsi que nous l'avons dit, et pendant qu'il s'y amusait il ordonna à un des siens de monter sur un arbre et de lui annoncer au plutôt la victoire des Hérules, le menaçant de lui faire couper la tête, s'il osait lui annoncer, que l'armée des Hérules fut mise en fuite. L'homme qui était sur l'arbre vit bientôt que les Hérules cédaient, il répondait toujours qu'ils combattaient très bien. Enfin lorsque tous les bataillons Hérules étaient déjà en fuite, il s'écria à haute voix malheur à toi ô Herulie ! car tu as attiré le courroux Céleste. — Alors le Roi ému dit: Quoi ! est-ce que mes Hérules prennent la fuite? — Et l'autre répondit: Ce n'est pas moi qui l'ai dit ô mon Roi, c'est vous-même. Alors le Roi, et tous ceux qui étaient là perdirent la tête, ainsi qu'il arrive en pareille occasion, et les Lombards survinrent et les tuèrent tous; et même le Roi qui se défendit assez mal. Les Hérules, qui fuyaient ça et là eurent l'esprit tellement troublé qu'étant parvenu à un champ, couvert de lin verdoyant, ils le prirent pour de l'eau, et se mirent à remuer les bras comme s'ils nageaient, et pendant ce temps là les Lombards les tuaient par derrière. Lorsque tout fut fini, les Lombards partagèrent entre eux le butin qu'ils trouvèrent dans le camp. Taton eût pour sa part l'étendart qu'ils appellent "Bandum", et le casque que Rodulphe portait dans les batailles. Depuis lors les Hérules n'ont plus eu de Rois, et les Lombards au contraire devinrent tous les jours plus puissants et augmentèrent leurs armées en y incorporant les peuples conquis. [1,21] XXI. Taton ne jouit pas longtemps de son triomphe. Wachon fils de son frère Zuchilon tomba sur lui et le priva de la lumière. Hildechis fils de Taton, prit les armes contre Wachon, mais il fut vaincu et s'enfuit chez les Gépides où il resta jusqu'à sa mort, toujours dans l'état de réfugié. Et depuis lors les Gépides commencèrent à être ennemis des Lombards. Dans ce temps là Wachon tomba sur les Suèves, et les soumit à sa domination. Si quelqu'un pense que je mente qu'il relise le prologue de l'édit que le Roi Rothaire a composé sur les lois des Lombards. Et il le trouvera écrit dans presque toutes les copies manuscrites de la même manière que nous l'avons dit ici. Wachon eut trois femmes, d'abord Ranicunde fille du Roi des Thuringiens; puis il épousa Austrigose, fille du Roi des Gépides, dont il eut deux filles, la première fut Wisegarde, qu'il donna en mariage à Théodebert Roi des Francs. La seconde Walderada, qui épousa Cuswald autre Roi des Francs ; mais celui-ci s'étant mis à la haïr, la fit épouser à un des siens appelé Garipald. La troisième femme de Wachon, s'appelait Salinga, et était fille d'un Roi des Hérules, celle-ci eût un fils qui fut appelé Waltaris, et fut le huitième Roi des Lombards et successeur de Wachon. Tous ceux-ci étaient Lithinges. C'est ainsi que s'appelait chez eux une certaine famille noble. [1,22] XXII. Waltaris mourut après avoir régné sept ans. Audoin lui succéda et fut le neuvième Roi des Lombards. Ce fut lui qui conduisit les Lombards en Pannonie. [1,23] XXIII. Les Gépides et les Lombards accouchèrent enfin de la Haine qu'ils avaient conçue les uns contre les autres. L'on se prépara des deux côtés à la guerre. Bientôt après il y eut une bataille générale, dans laquelle les deux nations combattirent avec une égale valeur. Alboin fils d’Audoin rencontra dans le combat Turismod fils de Turisind, et lui donnant un coup d'épée le fit tomber mort de son cheval. Les Gépides voyant que le fils de leur Roi, qui était le principal auteur de cette guerre avait péri, perdirent courage et prirent la fuite. Les Lombards les poursuivirent et en firent périr un très grand nombre ; puis ils revinrent sur leur pas pour dépouiller les morts. Les Lombards étant de retour chez eux voulurent suggérer à Audoin de faire manger son fils Alboin avec lui, parce qu'ils lui devaient la victoire et qu'il était juste qu'il fut le compagnon de son père dans le festin, comme il l'avait été dans le danger. Mais Audoin répondit qu'il ne pouvait pas enfreindre les coutumes de sa nation et il dit: Sachez que, selon nos coutumes, un fils de Roi ne peut pas manger avec son père, à moins qu'il n'ait enlevé les armes d'un Roi étranger. [1,24] XXIV. Alboin, ayant entendu cela, prit avec lui quarante jeunes gens, alla chez Turisend Roi des Gépides, et lui dit pourquoi il était venu; celui-ci le reçut avec bonté, l'invita à a table et le fit mettre à sa droite, à la place où son fils Turismod avait coutume de s'asseoir. Tandis que les convives jouissaient des différents services du festin, le Roi Turisend retournait dans sa pensée la mort de son fils. Et voyant son meurtrier, assis à sa place, il ne put plus se contenir, et sa voix se faisant place à travers ses soupirs. Il dit : Cette place me semble toujours bien aimable, mais la personne que j'y vois, m'est bien pénible à regarder. — Alors l'autre fils du Roi, excité par son discours, se mit à faire des plaisanteries injurieuses sur le compte des Lombards, assurant qu'ils ressemblaient à des juments dont les pieds seraient blancs, jusques aux genoux, parce que sous leurs chaussures ils portaient des bandes blanches, et, faisant allusion à cette coutume, il dit : Vous ressemblez à des juments pleines. — Alors un Lombard répondit: Va dans le champ d'Asfeld, là tu verras que ce sont des juments qui savent ruer, que celles aux quelles nous ressemblons. Et tu y trouveras aussi les os de ton frère, dispersés dans la campagne, comme ceux du bétail crevé. — Les Gépides, entendant ce propos, ne purent plus retenir leur colère, et montrèrent l'intention de venger leur injure. Les Lombards mirent tous à la fois la main sur le pommeau de leur épée. Mais le Roi se leva de table avec précipitation, et se mit entre deux, jurant de punir celui qui porterait le premier coup, et ajoutant que la victoire remportée sur son hôte et dans sa propre maison ne saurait plaire aux Dieux. Enfin il en fit tant que l'on se remit à table et que le festin continua avec plus de gaieté qu'il n'avait commencé. Ensuite Turisend prit les armes de Turismond son fils, les donna à Alboin et le renvoya en paix dans le royaume de son père, où il eût l'honneur d'être admis à sa table. Là, jouissant gaîment avec son père des délices de la royauté, il lui raconta par ordre tout ce qui lui était arrivé dans le Palais du Roi Turisend, et tous ceux qui l'entendirent ne savaient s'ils devaient admirer davantage la bonne foi de Turisend ou l'audace du jeune Alboin. [1,25] XXV. Dans ce temps là régnait Justinien Auguste, qui fut toujours heureux dans les guerres qu'il entreprit, car son général Bélisaire vainquit les Perses, détruisit les Vandales après avoir pris leur Roi Gélismer, et rendit l'Afrique aux Romains après quatre-vingt seize ans d'indépendance. Enfin le même Bélisaire vainquit les Goths en Italie, et prit leur Roi Withicis. Ensuite l'ex-consul Jean vainquit un Roi des Maures qui infestaient l'Afrique et soumit beaucoup d'autres nations; et Justinien soumit encore beaucoup d'antres nations par ses généraux ; c'est pourquoi il fut appelé Allemanique, Gothique, Francique, Germanique, Antique, Alanique, Wandalique et Africain. Il abrégea aussi d'une manière admirable les lois des Romains, dont la prolixité était aussi extraordinaire que la dissonance inutile, car il réduisit en douze livres, les constitutions des Princes précédents qui remplissaient beaucoup de volumes; et cet abrégé fut appelé le code Justinien. Puis il réduisit en cinquante livres, les lois des magistrats particuliers ou juges qui remplissaient près de mille Livres, et cet abrégé fut appelé le digeste ou les Pandecte. Enfin il composa quatre livres des institutions dans lesquels il donna le texte de toutes les lois, et il ajouta à cet ouvrage les lois qu'il avait faites, réduites en un volume, qui fut appelé codex novellarum. Ce Prince construisit aussi à Constantinople le temple appelé Agia Sophia, et dédié à Jésus Christ qui est lui même la sagesse de Dieu le Père, édifice qui n'a point son pareil sur toute la terre. Tout réussissait à ce Prince, parce qu'il était catholique dans la foi, droit dans les œuvres, et juste dans ses jugements. C'est alors que Cassiodore brillait à Rome dans les sciences divines et humaines, et expliqua si bien le sens caché des psaumes ; il fut d'abord Consul, puis sénateur et finit par être moine. C'est alors aussi que Denys constitué abbé dans la ville de Rome composa son calcul Pascal avec une argumentation admirable. C'est alors qu'à Constantinople Priscien de Césarée rima, si je puis m'exprimer ainsi, les profondeurs de l'art grammatical. Enfin, c'est alors qu'Arator poète admirable mit en vers hexamètres les actes des Apôtres. [1,26] XXVI. C'est alors aussi que brilla saint Benoît d'abord dans le lieu appelé Subiacus à quarante milles de Rome, puis dans le château de Cassinum que l'on appelle aussi Harum. Sa vie ainsi, qu'il est bien connu, à été écrite par le Pape Grégoire dans ses dialogues, et dans un style très agréable. Et moi quoique mon génie soit bien petit pour pouvoir faire honneur à un père comme celui-là, cependant j'ai composé des vers, dont chaque distique exprime un de ses miracles, le tout est dans le mètre élégiaque. {poème - hymne} J'ai pourtant envie de rapporter aussi ce que le Pape saint Grégoire a omis dans son histoire. Lorsque par un ordre divin il quitta Subiacus, pour ce rendre au lieu où il repose, trois corbeaux, qu'il avait coutume de nourrir, l'accompagnèrent pendant toute la route. A chaque repas qu'il faisait, deux anges lui apparaissaient sous la figure de jeunes gens et lui enseignaient le chemin. Dans le lieu où il devait habiter, il y avait alors un autre serviteur de Dieu, auquel il fut dit d'une manière miraculeuse: Va-t-en d'ici, il y vient un autre ami. — Enfin, lorsqu'il fut arrivé au fort de Cassinum, il se condamna à une grande abstinence, particulièrement pendant le carême où il se tenait reclus, et éloigné du commerce du monde. J'ai tiré toutes ces choses du poète Marc, qui alla trouver ce saint Père, et composa un poème à sa louange, que je n'ai pas voulu insérer dans mon ouvrage pour ne point l'allonger. Toujours est-il certain que cet excellent père fut appelé par le ciel d'un lieu à l'autre, et que le ciel a voulu qu'il s'établit sur une vallée fertile, qui put nourrir beaucoup de moines, ce qui est aussi arrivé parce que Dieu la voulu. Et à présent nous retournerons à la suite de notre histoire, après avoir dit des choses qui en aucune façon ne devaient être omises. [1,27] XXVII. Or donc Audoin Roi des Lombards eût pour femme Rodelinde, qui fut mère de cet Alboin, si brave et si bon guerrier. Alboin fut le dixième Roi des Lombards, et monta sur le trône d'après le vœu unanime de tous. Son nom était célèbre partout, aussi Clotaire Roi des Francs, lui donna en mariage sa fille Clothsiunde dont il n'eut qu'une fille appelée, Alpsiunde. Pendant ce temps-là mourut Turisend Roi des Gépides, et Cunnimond lui succéda. Celui-ci, désirant venger les anciennes injures des Gépides, déclara la guerre aux Lombards. Mais Alboin fit un traité d'alliance perpétuelle avec les Avares qui s'étaient appelé Huns, mais qui prirent ensuite le nom, d'Avares du nom propre d'un de leurs Rois. Ensuite Alboin marcha contre les Gépides, et pendant que ceux-ci s’étaient absentés pour la guerre, les Avares envahirent leur pays ainsi qu'ils en étaient convenus avec Alboin. Un triste député vint annoncer à Cunnimond, que les Avares avaient envahi ses frontières; et celui-ci altéré de cette nouvelle exhorta cependant les siens à combattre les Lombards afin d'attaquer ensuite les Huns, s'ils étaient d'abord victorieux de ceux-ci. La bataille fut donnée et chacun combattit de toutes ses forces, mais les Lombards vainqueurs combattirent avec tant de fureur, qu'ils détruisirent absolument l'armée des Gépides, en sorte que d'une si grande multitude il resta à peine un homme pour porter la nouvelle de la défaite. Alboin tua Cunnimond dans cette bataille, et se fit faire une coupe avec son crâne, cette espèce de coupe s'appelle chez eux Scala, et en latin patera. Rosimunde fille de Cunnimund fut faite captive avec un nombre infini de filles et de femmes de tout âge, et comme Clotsuinde était morte, Alboin épousa Rosimunde; mais ce fut à son grand dommage, ainsi qu'il parût dans la suite. Les Lombards firent là tant de butin, qu'ils en devinrent extraordinairement riches, et la race des Gépides se trouva tellement diminuée, que depuis lors ils n'ont plus eu de Roi, mais tous ceux qui ont survécu à cette guerre sont restés sujets des Lombards, et ceux qui sont restés dans leur pays gémissent encore aujourd'hui sous le dur empire des Huns qui en ont fait la conquête. Enfin Alboin se rendit tellement illustre, qu'encore aujourd'hui il est célébré dans les poèmes des Bavarois, des Saxons, et des autres hommes de cette même langue; et jusques-ici beaucoup de gens racontent que les principales armes ont été fabriquées sous son règne.