[1,0] HISTOIRE DE LA GUERRE CONTRE LES PERSES, LIVRE PREMIER. [1,1] CHAPITRE PREMIER. 1. PROCOPE de Césarée a écrit les Guerres que l'Empereur Justinien a faites contre les Barbares, tant en Orient qu'en Occident, de peur que le temps n'ensevelît dans l'oubli, et ne ruinât dans la mémoire des hommes ces exploits signalés, dont il est persuadé que le souvenir sera très utile au siècle présent, et aux siècles à venir, toutes les fois que la suite des années ramènera sur le théâtre du monde de pareilles aventures. Les exemples tirés de l'Histoire peuvent, sans doute, servir beaucoup à ceux qui ont envie d'entreprendre des guerres, et de donner des batailles, puisqu'ils leur marquent les succès qu'ils en peuvent attendre, en leur mettant devant les yeux ceux qu'ont eu de semblables entreprises. Il a cru aussi être plus capable que nul autre de ce travail, par la seule raison qu'ayant été du conseil de Bélisaire, il a vu comment les choses se sont passées. De plus, il sait que comme les figures conviennent aux discours d'éloquence, et la fable à la poésie ; de même la vérité est propre à l'Histoire. C'est pourquoi il n'a rien dissimulé des fautes de ses amis, mais il a rapporté avec une entière fidélité, et dans la vérité la plus exacte, ce que chacun a fait de bien ou de mal. 2. Si l'on prend la peine de considérer ces guerres avec soin, on reconnaîtra que jamais il ne s'est vu tant de grandeur de courage, ni tant d'actions héroïques. Il est certain que toutes celles dont nous avons entendu parler, n'ont rien de si merveilleux, si ce n'est que quelqu'un de ceux qui liront cet ouvrage affecte de donner l'avantage à l'Antiquité, et se persuade qu'il ne se peut plus rien faire en notre temps qui mérite d'être admiré. Quelques-uns appellent, par raillerie, nos soldats des arbalétriers, et réservent pour les anciens les noms de gens armés de boucliers ; et de combattants de pied ferme. Ils ne sauraient croire que cette ancienne vertu soit descendue jusqu'à nous. En quoi il est visible qu'ils font des juges peu éclairés, et peu équitables, puis qu'ils ne prennent pas garde que les archers d'Homère auxquels ce titre était donné par quelque sorte d'injure, n'avaient ni chevaux, ni javelots, ni boucliers, ni aucunes armes défensives ; qu'ils ne faisaient la guerre qu'à pied, et qu'ils étaient obligés de se couvrir du bouclier de leurs compagnons, ou de se cacher derrière quelque éminence; d'où il leur était impossible de s'enfuir, et de poursuivre les fuyards. Ils n'osaient tenir la campagne ; et leur manière de combattre ressemblait plutôt à un brigandage, qu'à une guerre. Outre ce que je viens de dire, ils tiraient si mal de l'arc, que leurs coups étaient sans force, et ne pouvaient faire que de légères blessures. Au contraire, nos gens de trait ne vont point au combat sans être couverts de cuirasses, et de cuissards. Ils portent des flèches attachées au côté droit, et l'épée au côté gauche; Quelques-uns ont une javeline sur l'épaule, et un bouclier sans anse, duquel ils se couvrent la tête. Ils font si bons hommes de cheval, qu'ils tirent de tous cotés en courant, et frappent leur ennemi, soit qu'il les poursuive, ou qu'il s'enfuie. Ils lèvent leur arc jusqu'à la hauteur du front, et bandant la corde jusqu'à ce qu'elle leur touche l'oreille droite, ils poussent leurs traits avec une telle violence qu'ils percent tout ce qu'ils rencontrent, sans qu'il y ait de boucliers, n'y de cuirasses qui y puissent résister. Cependant, ceux dont je parle, ne faisant aucune réflexion sur toutes ces choses, n'ont de l'admiration et du respect que pour les siècles passés, et comptent pour rien ce que les modernes ont inventé de nouveau pour perfectionner les arts. Cela n'empêche pas toutefois, qu'il ne se soit fait des actions fort considérables dans ces dernières guerres. Je commencerai par celles des Romains et des Mèdes, desquelles les succès ont été fort différents. Mais auparavant je reprendrai les choses d'un peu plus haut. [1,2] CHAPITRE II. 1. L'EMPEREUR Arcadius se sentant proche de sa dernière heure, dans Constantinople, et voyant que son fils Théodose était encore enfant, se trouva en peine touchant ce qu'il pourrait faire de plus avantageux pour l'intérêt de son état, et pour celui de ce jeune prince. D'un côté, il craignait d'être cause de sa ruine en lui donnant un compagnon à l'Empire, et que ce ne fut lui donner un ennemi revêtu de l'autorité royale ; et de l'autre, il appréhendait que s'il le laissait seul sur le trône, plusieurs prissent le temps de son bas âge pour conjurer contre lui, pour s'en défaire, et pour usurper la souveraine puissance. Ce qui augmentait sa défiance, était qu'il n'avait aucun parent à Constantinople, qui pût être son tuteur, et qu'il n'y avait pas lieu d'espérer que son oncle Honorius acceptât cette charge, à cause du mauvais état où étaient dès lors les affaires d'Italie. Les Mèdes ne lui donnaient pas moins d'inquiétude, quand il venait à penser que ces Barbares ne manqueraient pas de faire aux Romains tous les maux possibles. Bien qu'il n'eût qu'un esprit fort médiocre, néanmoins, dans cette perplexité, soit qu'il suivît le conseil de quelque homme habile, ou qu'il fût inspiré de Dieu, il prit un avis qui sauva son fils, et son Empire. Par son testament il nomma son fils Théodose son successeur, et lui donna pour tuteur Isdigerde roi de Perse, le conjurant par des prières ardentes de conserver le royaume à son pupille. Après avoir ainsi disposé des affaires de son état et de sa famille, il mourut. 2.. Dès auparavant Isdigerde avait la réputation d'être un prince généreux. Mais alors il donna des marques d'une vertu tout à fait rare, et digne des plus grands éloges. Il eut un tel respect pour la dernière volonté d'Arcadius, qu'il entretint la paix avec les Romains et qu'il conserva l'Empire à Théodose. Il écrivit au Sénat qu'il acceptait la tutelle, et qu'il déclarerait la guerre à ceux qui entreprendraient quelque chose contre les intérêts de son pupille. 3. Comme Théodose était déjà homme fait, et qu'Isdigerde était mort de maladie, Vararane son successeur entra avec une puissante armée sur les terres des Romains, sans y exercer toutefois aucun acte d'hostilité. Voici comment cela se passa. 4. Théodose envoya au devant de lui Anatolius général de l'armée romaine dans l'Orient. D'abord qu'il vit l'armée des Perses il descendit de cheval, et marcha seul à pied. Vararane l'ayant aperçu, demanda à ceux qui étaient présents, qui il était. Ils répondirent, que c'était le chef de l'armée Romaine. Le roi de Perse touché du respect que lui rendait cet ambassadeur, tourna aussitôt la bride de son cheval, et fut suivi de toute sa nation. Quand il fut arrivé sur ses terres, il l'accueillit humainement, et lui accorda la paix à la condition qu'il la lui demandait, qui était que ni l'une, ni l'autre des nations, ne bâtirait de nouvelles forteresses sur la frontière. Ce qui ayant été résolu, les deux princes gouvernèrent leurs états, chacun comme il leur plût. [1,3] CHAPITRE III. 1. QUELQUE temps après, Pérose roi des Perses entreprit la guerre contre les Nephtalites {Bené-Nephtali (en Tartarie) ou Euthalites} pour le défense de ses frontières, et leva contre eux une armée très considérable. 2. Ces peuples sont compris sous le nom des Huns, bien qu'ils n'aient aucun commerce avec les Huns qui nous sont connus, et que bien loin d'être leurs voisins, ils le soient des Perses du coté du Septentrion proche d'une petite ville nommée Gorgo. Ils prennent souvent les armes au sujet de leurs limites ; car ils ne sont pas errants comme les autres, mais ils sont établis dans un bon pays, d'où ils ne sortent jamais, et ils ne font pas même d'irruption sur nos terres, si ce n'est quelquefois avec les Mèdes. Il n'y a qu'eux de tous les Huns qui soient blancs de visage, et qui n'y aient rien de difforme. Ils se conduisent aussi d'une façon bien différente de celle des autres, et ils ne mènent pas comme eux une vie semblable à celle des bêtes. Leur état est monarchique, et gouverné par de bonnes lois. Ils ne gardent pas moins d'équité et de justice dans les traités qu'ils sont entre eux, et avec les étrangers, que les Romains, et tous les autres peuples du monde. Les plus riches choisissent jusqu'à vingt, et quelquefois davantage de leurs amis, à qui ils donnent leur table, et l'usage de tous leurs biens ; mais quand un de ces hommes riches meurt, la coutume est, que tous les amis qu'il a choisis soient enterrés tous vivants avec lui dans son tombeau. 3. Lorsque Pérose marcha contre les Nephialites, il avait à sa suite un ambassadeur de l'empereur Zénon, nommé Eusèbe. Les Nephtalites firent semblant d'appréhender la venue de leurs ennemis, et s'enfuirent dans un lieu tout environné de montagnes entrecoupées, et couvertes de forêts. Il paraissait au milieu un chemin assez large, mais qui n'avait point d'issue, et qui se terminait à ce cercle de montagnes. Pérose poursuivait témérairement les ennemis, sans songer qu'il était sur leurs terres, et sans se défier d'aucun piège. Un fort petit nombre de Huns fuyaient devant lui : les autres s'étaient cachés dans les lieux les plus épais, et les plus embarrassés, afin de venir charger son armée, lorsqu'elle se serait engagée si avant dans cette chaîne de montagnes, qu'elle ne pourrait plus s'en retirer. Les Mèdes ne s'aperçurent du danger, que quand il fut tout évident, mais le respect qu'ils avaient pour Pérose, les empêcha de témoigner leur crainte; si bien qu'ils prièrent Eusèbe d'avertir le roi du péril dont ils étaient menacés, et de l'exhorter de pourvoir plutôt à leur sécurité, que de faire paraître de la hardiesse hors de raison. 4. Eusèbe ayant aborde le roi, ne lui proposa pas nûment la chose mais il commença son discours par le récit d'une fable. Un lion, dit-il, ayant un jour rencontré un bouc qui bêlait, et qui était attaché à un endroit élevé, voulut y sauter, pour dévorer une si bonne proie ; mais au lieu de l'attraper il tomba lui-même dans une fosse très profonde, qui avait été faite exprès par le maître du bouc, de telle sorte que l'entrée en était fort étroite, creusée en rond, et sans issue. Quand Pérose eût entendu ce discours, il commença à appréhender de s'être engagé trop avant pour son malheur à la poursuite des ennemis, et il s'arrêta pour délibérer sur ce qu'il y avait à faire. Cependant, les Huns venaient par derrière, et s'emparaient des pas des montagnes pour lui empêcher la retraite. Alors les Mèdes reconnaissant le danger extrême où ils étaient, déplorèrent leur misère et perdirent toute espérance. 5. Le Roi des Nephtalites envoya quelques-uns de ses gens reprocher à Pérose la témérité, qui le faisait périr si honteusement avec toute sa nation, et lui offrir de leur sauver la vie à tous, s'il voulait se prosterner devant lui, l'adorer comme son Seigneur, et promettre avec serment que les Perses ne feraient jamais la guerre aux Nephtalites. Pérose demanda aux Mages qui étaent à sa suite, s'il devait accepter les conditions qui lui étaient offertes. Les Mages répondirent qu'à l'égard du serment, il pouvait le concevoir comme il lui plairait ; mais qu'au reste, il fallait user d'adresse, et tromper l'ennemi : Que la coutume de leur pays étant d'adorer tous les matins le Soleil levant, il devait prendre ce temps-là pour aller trouver le roi des Nephtalites, se jeter à terre pour adorer le Soleil, et éviter par ce moyen la honte, et le reproche d'avoir adoré son ennemi. 6. Il fit le serment, et se prosterna de la manière que les Mages le lui avaient conseillé. Puis il s'en retourna en son pays, fort aise d'avoir sauvé son armée. [1,4] CHAPITRE IV. 1. INCONTINENT après, se souciant fort peu de son serment, il résolut de se venger. Il assembla donc une puissante armée de Perses, et d'autres peuples ses alliés, mena avec lui tous ses fils au nombre de trente, et n'en laissa qu'un seul nommé Cavade, qui n'était pas encore en âge d'aller à la guerre. Lorsque les Nehptalites apprirent ces grands préparatifs, ils entrèrent dans une furieuse colère d'avoir été trompés par leurs ennemis, et accusèrent leur roi d'avoir trahi les intérêts de l'état. Ce Prince ne faisant que rire de ces accusations, leur demanda, si c'était les terres, les armes, ou les finances, qu'il avait livrées aux Mèdes. Non, répondirent-ils, mais c'est l'occasion dont toutes les autres choses dépendent. Ils offrirent néanmoins, d'aller au devant des ennemis : mais le roi les retint, parce qu'il n'avait point reçu de nouvelles de leur marche, et qu'ils étaient encore dans leur pays. Voici cependant ce qu'il fit. 2. Il commanda de creuser un fossé d'une largeur, et d'une profondeur extraordinaire, dans une vaste campagne par où les Perses devaient passer pour venir sur les terres des Nephtalites, et il ne laissa qu'un espace dans le milieu, tel qu'il le fallait pour passer de front dix hommes à cheval. Ensuite, il fit couvrir le fossé avec des roseaux, et de la terre, et avertit ceux des siens qui devaient aller battre la campagne de serrer leurs rangs, et de marcher lentement lorsqu'ils seraient arrivés à l'espace qui avait été laissé pour leur servir de passage, et de prendre garde de ne pas tomber dans le fossé. Il fit aussi attacher au haut de son étendard le sceau par lequel Pérose s'était parjuré. Tant qu'il sut que les ennemis étaient encore dans leur pays il demeura en repos ; mais du moment qu'il apprit de ses espions qu'ils étaient aux environs de Gorgo, qui est la dernière de leurs villes, et qu'ils approchaient de ses terres, il se plaça au delà du fossé avec la plus grande partie de ses troupes, et en fit avancer une petite partie, avec ordre de ne faire que se montrer, et s'en revenir à l'instant, et de se souvenir de l'avis qu'il leur avait donné touchant le partage. Ceux-ci ne manquèrent pas d'exécuter ce qui leur avait été commandé, de serrer leurs rangs quand ils furent proche du fossé, et de rejoindre l'armée. 3. Les Perses qui ne le défiaient de rien, et qui couraient à toute bride au milieu de la campagne, tombèrent dans le précipice, tant ceux qui venaient les premiers, que ceux qui marchaient après. Car comme ils poursuivaient les fuyards avec grande ardeur, ils ne s'apercevaient pas de la chute de ceux qui allaient devant eux, et tombant dessus avec leurs chevaux, ils les tuaient, et se tuaient aussi eux-mêmes. Pérose fut enveloppé dans le même malheur avec tous ses enfants. On dit qu'en tombant, il jeta une perle d'une extraordinaire grosseur qu'il avait à l'oreille gauche, afin que personne ne la portât après lui. C'était une pièce d'une merveilleuse beauté, et aucun prince n'en avait jamais eu de pareille. Pour moi, cette histoire ne me paraît pas croyable. Il me semble que dans une telle conjoncture, Pérose ne pouvait songer qu'au danger où il se trouvait et je me persuaderais plutôt qu'il aurait eu l'oreille déchirée dans une telle confusion, et que la perle se serait perdue. L'Empereur fit ce qu'il pût pour l'acheter des Nephtalites : mais ce fut en vain. Car ces Barbares ne la purent trouver, quelque peine qu'ils prissent à la chercher. Quelques-uns disent qu'ils la trouvèrent, mais qu'ils en supposèrent une autre qu'ils vendirent à Cavade. Il ne sera pas mal à propos de rapporter en cet endroit ce que les Perses racontent de cette perle : Le récit n'en sera pas désagréable. 4. Ils disent qu'elle était sur les bords de la mer persique dans un poisson, qui entr'ouvrant sa coquille faisait voir dans le milieu le plus bel objet du monde ; car jamais on n'en avait vu d'une blancheur si admirable, et d'une grosseur si extraordinaire. Un chien marin d'une prodigieuse grandeur prenait tant de plaisir à la regarder, qu'il la suivait jour et nuit, lorsque pressé par la faim il était contraint de repaître, il se jetait sur quelque proie, et après l'avoir dévorée il retournait incontinent jouir de la vue d'un si charmant objet. Ils ajoutent, qu'un pécheur observa tout ceci ; mais que la crainte du chien l'empêchant de rien hasarder, il le contenta de l'aller dire à Pérose, qui conçût à l'instant un violent désir de posséder cette perle, usant de toutes sortes de caresses, et de promesses pour obliger le pêcheur à la conquérir. On dit que ne pouvant résister à de si fortes instances il lui parla en ces termes. "Seigneur, les hommes aiment bien l'argent, ils aiment encore mieux la vie, mais ils aiment par dessus tout leurs enfants. La violence de cette passion les porte a tout entreprendre, et à tout oser. J'espère vaincre le chien marin, et vous rendre maître de la perle. Que si je puis y réussir, je serai riche toute ma vie; car je ne doute point qu'étant le roi des rois comme vous êtes, vous ne me donniez d'amples récompenses. Mais quand vous ne m'en donneriez point, je serais assez satisfait à avoir rendu service à mon prince. Si ma destinée est de servir de proie à ce monstre, il sera de votre bonté de récompenser mes enfants de la perte qu'ils auront faite de leur père. Ainsi, la mort même me sera utile, et votre libéralité n'en sera pas moins glorieuse. En faisant du bien à mes enfants, vous m'en ferez à moi même. Il est vrai que je ne serai plus en état de le ressentir: mais il n'est pas moins vrai aussi qu'il n'y a point de bienfaits si sincères, que ceux, que l'on accorde à la mémoire des morts qui ne les peuvent plus reconnaître". Ayant parlé à peu près de cette sorte, il s'en alla à l'endroit où la perle avait accoutumé d'être, et où le chien marin avait accoutumé de la garder. Il s'assit sur un rocher pour attendre le temps qu'elle ne serait plus gardée avec tant de soin. Le chien s'étant un peu détourné pour manger une proie qu'il avait prise, le pêcheur à l'endroit à la perle, la prit, et se hâta de gagner le bord. Mais dans ce même moment, étant poursuivi, il la jeta à ceux qui l'attendaient à terre, et il fût atteint par le chien marin qui le tua. Ceux qui reçurent la perle sur le rivage, la portèrent au Roi, et lui racontèrent comment tout s'était passé. Voilà ce que les Perses disent de cette perle. Je reprends malmenant la suite de mon Histoire. Ce fut ainsi que périt Pérose et toute l'armée des Perses : ceux qui ne tombèrent pas dans le fossé, étant tombés entre les mains des ennemis. 5. Depuis ce temps-là, ils firent une loi, par laquelle il leur était défendu de poursuivre un ennemi sur les terres, quand même il s'enfuirait en déroute. 6. Ceux qui n'avaient pas suivi Pérose dans cette guerre, élurent Cavade pour leur Roi, le seul qui était resté de tous ses enfants. Alors les Perses furent tributaires des Nephtalites jusqu'à ce que Cavade rétablit les affaires de son royaume, et se délivra de ce joug. Cependant, les Perses demeurèrent deux ans dans cette honteuse sujétion. [1,5] CHAPITRE V. 1. CAVADE se servant de son pouvoir pour exercer toutes sortes de violences, introduisît dans l'état plusieurs nouveautés dangereuses, et entre autres il fit publier une loi pour rendre toutes les femmes communes. 2. Les Perses ne pouvant plus souffrir une si grande infamie, se soulevèrent contre lui, le déposèrent, l'enfermèrent dans une étroite prison, et élurent en sa place Blase frère de Pérose. Ce dernier n'avait point laissé d'autre enfant mâle que Cavade, comme je l'ai déjà dit : Et il n'était pas permis d'élever un particulier à la dignité royale, sinon lorsqu'il n'y avait plus personne de la famille des Rois. Aussitôt que Blase eut pris en main le gouvernement, il assembla les principaux d'entre les Perses pour délibérer de ce que l'on ferait de Cavade. Il y eut plusieurs opinions différentes. La plupart étaient d'avis de lui conserver la vie. Un des plus considérables nommé Gusanastade qui avait une charge de Charanange, c'est à dire, de commandant des troupes d'une province frontière, et voisine des Nephtalites, s'avança au milieu de l'assemblée, et montrant un petit couteau dont les Perses ont accoutumé de rogner leurs ongles, il dit : "Ce couteau suffit pour l'affaire sur laquelle nous délibérons, mais si vous différez longtemps, vingt mille hommes des mieux armés ne seront pas capables de la terminer". Il voulait faire entendre par ce discours, que s'ils ne se défaisaient promptement de Cavade, il leur donnerait beaucoup de peine. Néanmoins, ils eurent horreur de tremper leurs mains dans le sang royal, et se contentèrent d'ordonner qu'il serait mis dans le château de l'oubli. 3. Il y a une loi qui défend sous peine de la vie, de parler de ceux qui y sont enfermés, et même de nommer leur nom, l'histoire d'Arménie rend raison de l'imposition de ce nom, et remarque par quelle rencontre l'on contrevint une fois à cette loi. Voici ce qu'elle en rapporte. 4. Il y eut autrefois une guerre opiniâtre qui dura trente-deux ans entre les Perses et les Arméniens, tandis que ceux-ci étaient commandés par Arsace descendu des Arsacides, et ceux-là par Pacurius. La continuation de cette guerre causait une infinité de maux à ces deux peuples, mais surtout aux Arméniens. Leur défiance mutuelle était venue à tel point, qu'ils n'osaient plus s'envoyer d'ambassadeurs. Les Perses ayant entrepris, dans le même temps, une autre guerre contre un certain peuple voisin de l'Arménie, les Arméniens, pour témoigner leur affection envers les Perses, et le désir d'avoir la paix avec eux, résolurent de faire irruption sur les terres de ces Barbares, et ayant donné avis aux Perses de leur dessein, ils firent passer ces misérables par le tranchant de l'épée, sans distinction de sexe, ni d'âge. Pacurius, ravi de cette expédition, envoya prier Arsace de le venir voir. Il le reçut très civilement, et le traita comme son frère, et son égal. Ensuite, il lui fit promettre avec serment et lui promit aussi de même, que les Perses et les Arméniens entretiendraient une paix inviolable: après quoi il le renvoya; Arsace fut accusé, peu de temps après, d'avoir formé de nouveaux projets de guerre. Pacurius ajoutant foi à cette accusation, le manda, comme pour tenir conseil sur les affaires publiques. Arsace le vint trouver incontinent accompagné des plus braves hommes qui fussent parmi les Arméniens, et entre autres de Basicius qu'il avait choisi à cause de la grandeur de son courage, et de la sagesse de sa conduite pour commander les troupes, et pour présider à ses conseils. Pacurius leur reprocha à tous deux leur trahison, et d'avoir violé leur serment presque aussitôt qu'ils l'avaient fait. Ils nièrent constamment le crime dont il les accusait. Il les fit mettre d'abord dans une honteuse prison ; puis il consulta les Mages touchant ce qu'il en devait ordonner. Les Mages répondirent que l'on ne les pouvait condamner, puisqu'ils n'avouaient rien, et qu'ils n'étaient pas convaincus; mais qu'ils lui donneraient un moyen de forcer Arsace à se dénoncer soi-même. Que pour cela, il n'y avait qu'à couvrir la surface de sa tente avec de la terre, dont une moitié fût tirée du pays des Arméniens, et l'autre de celui des Perses. Quand cela eût été exécuté, les Mages firent quelques cérémonies de leur art, dans toute l'étendue de la terre, et dirent au Roi qu'il s'y promenât avec Arsace, et qu'en se promenant, il l'accusât d'avoir contrevenu aux traités : Qu'il fallait qu'ils fussent présents à tout ce qui se dirait de part et d'autre. Pacurius ayant mandé Arsace, le promena avec lui dans la tente, en la présence des Mages, et lui demanda, pourquoi il avait violé son serment, et tâché de jeter les Perses, et les Arméniens dans de nouvelles misères. Tandis qu'Arsace parla sur la terre qui avait été tirée de la Perse, il nia tout ce qui lui était imposé, et assura qu'il était toujours demeuré attaché aux intérêts de Pacurius. Mais lorsqu'en parlant il arriva au milieu de la tente, et qu'il toucha la terre d'Arménie, soudain, comme s'il eût été violenté par je ne sais quelle puissance, il changea de langage, et menaça hautement de se venger dès qu'il en aurait le pouvoir. Il continua les menaces tant qu'il marcha sur la terre d'Arménie ; mais aussitôt qu'il fut revenu sur celle des Perses, il devint soumis à Pacurius, et lui parla avec des termes pleins d'honneur, et de respect. Quand il retourna sur la terre d'Arménie il recommença les menaces ; et ayant plusieurs fois changé de la sorte, il découvrit ce qu'il avait dans le cœur. Alors les Mages le condamnèrent comme un violateur de ses promesses, et comme un parjure. Pacurius commanda d'écorcher Basicius, de remplir la peau de paille et de l'attacher à un arbre : Pour ce qui est d'Arsace comme il n'était pas permis de le faire mourir, à cause qu'il était de la maison royale, il le mit dans la prison de l'oubli. Il arriva dans le même temps, qu'un certain Arménien, ami intime d'Arsace, et qui l'avait suivi dans la Perse, combattit si vaillamment contre les Barbares, et se signala de telle sorte en présence de Pacurius, qu'il contribua beaucoup à la victoire des Perses. Pacurius lui promit en récompense tout ce qu'il lui voudrait demander. Il lui demanda permission de servir Arsace un jour entier de la manière qu'il lui plairait. Le Roi eut un extrême déplaisir de le voir obligé de violer une loi aussi ancienne qu'était celle du château de l'oubli. Néanmoins, pour ne pas manquer à là parole, il consentit à ce que lui demandent l'Arménien, qui alla aussitôt dans le château de l'oubli, où il salua Arsace. Ils s'embrassèrent si étroitement, en mêlant les larmes que chacun d'eux versait sur le mauvais état de leur fortune, qu'ils furent quelque temps sans pouvoir se séparer. Mais enfin, quand ils furent las de pleurer, l'Arménien lava Arsace, le couvrit d'un habit royal, et le plaça sur un lit magnifique. Arsace fit ensuite un festin fort superbe, et qui avait tout l'éclat, et toute la pompe de son ancienne grandeur. Il entendit pendant le repas divers discours, qui lui plurent extrêmement. Ce charmant entretien et la bonne chère ayant duré la plus grande partie de la nuit, les convives se séparèrent fort satisfaits d'un si agréable divertissement. On rapporte qu'Arsace dit alors, qu'après s'être si bien réjoui dans la compagnie du plus cher de ses amis, il ne pouvait plus supporter les outrages de la fortune; et qu'il se tua d'un couteau qu'il avait pris exprès sur la table. L'Histoire des Arméniens témoigne qu'il mourut de cette sorte, et qu'en cette occasion l'on contrevint à la loi qui est établie parmi les Perses touchant le château de l'oubli. Il faut retourner maintenant au sujet que j'avais quitté. [1,6] CHAPITRE VI. 1. La femme de Cavade avait un soin particulier de lui pendant sa prison, et lui portait toutes les choses dont il avait besoin. Comme elle était extrêmement belle, le capitaine du château en devint amoureux, et lui fit connaître sa passion, Cavade commanda à sa femme de lui accorder tout ce qu'il désirerait ; de sorte qu'en ayant joui, et la jouissance ayant augmenté son amour, il lui permit d'entrer dans la prison, et d'en sortir quand il lui plairait. Il y avait parmi les Perses un galant homme nommé Séose, ami intime de Cavade qui ne bougeait des environs du château pour épier l'occasion de le sauver, et qui lui avait fait dire par sa femme, qu'il l'attendait avec des chevaux tous prêts pour ce dessein. Lorsque la nuit fut venue, Cavade persuada à sa femme de lui donner ses habits, de prendre les siens, et de demeurer en sa place dans la prison. Il sortit par cette adresse, et passa au milieu des gardes qui crurent que c'était sa femme. Quand ils la virent le lendemain assise dans la prison, et vêtue des habits de son mari, ils s'imaginèrent que c'était lui, et ils demeurèrent dans cette opinion durant plusieurs jours, pendant lesquels il eut le loisir de s'éloigner. Je ne saurais dire au vrai ce qui arriva à la femme, lorsque la tromperie fut découverte, ni de quelle manière elle en fut punie, parce que les Perses n'en conviennent pas. C'est pourquoi je n'en parlerai point. 2. Cavade accompagné de Séose, arriva sans être découvert dans le pays des Nephtalites, où ayant épousé la fille du Roi, et levé de puissantes troupes, il revint en Perse, et y jeta une telle terreur de ses armes que ses ennemis n'osèrent paraître. Comme il était dans une province dont Gusanastade était gouverneur, il lui échappa de dire, qu'il en donnerait le gouvernement à celui qui viendrait le premier, ce jour-là, se soumettre à lui. A peine avait-il prononcé cette parole, qu'il s'en repentit à cause de la loi qui défend aux Perses d'ôter une charge d'une famille, pour la donner à un étranger : Et il appréhendait d'être l'allié de quelqu'un qui ne fût pas parent du gouverneur, et d'être obligé de contrevenir à la loi pour satisfaire à sa promesse. Comme il avait l'esprit occupé de cette pensée, il se présenta à lui une heureuse occasion d'accomplir en même temps l'une et l'autre. Adergudombade, parent de Gusanistade, jeune homme renommé pour sa valeur, vint le premier se prosterner devant lui, pour l'adorer en qualité de Roi, et pour l''assurer de la fidélité de ses services. 3. Cavade se rendit ensuite maître du royaume, et ayant pris Blase, lui fit perdre la vue de la manière que les Perses ont accoutumé de la faire perdre aux criminels, en leur versant de l'huile bouillante dans les yeux, ou bien en les leur perçant avec un fer chaud. Il le mit depuis en prison, après qu'il eût régné deux ans. 4. Pour ce qui est de Gusanistade il le fit mourir, et donna sa charge de Charanange à Adergudombade son parent. Il donna celle d'Adrastudaran salana, c'est à dire, de chef de tous les officiers de la Justice, et de la Guerre à Séose, qui fut tout ensemble et le premier, et le seul qui reçut cet honneur, aucun autre ne l'ayant reçu ni avant lui, ni depuis. Comme Cavade était fort habile, il n'eût pas de peine à conserver le royaume qu'il avait conquis. [1,7] CHAPITRE VII. 1. COMME Cavade devait de l'argent au Roi des Nephtalites, et qu'il n'avait pas de quoi le payer, il en voulut emprunter d'Anastase, qui consulta sur cette affaire quelques-uns de ses amis, dont l'avis fut, qu'il n'était pas à propos qu'il lui en prêtât, et qu'il contribuât de ses finances à fortifier l'alliance de ses ennemis, entre lesquels il avait plutôt intérêt de jeter des semences de division. Ce fut pour cet unique sujet que Cavade se résolut de faire la guerre aux Romains, et que sans la leur avoir déclarée, il descendit sur les terres des Arméniens, et y faisant toute sorte de dégâts, entra dans la Mésopotamie jusqu'à la ville d'Amide, où il mit le siège durant les plus grandes rigueurs de l'hiver. Bien que les habitants, surpris au milieu de la paix, n'eussent ni troupes, ni provisions, ils ne voulurent pas toutefois se rendre: mais ils le préparèrent à une défense plus vigoureuse, que l'on ne l'eût jamais osé espérer. Il y avait parmi les Syriens, un homme de rare vertu nomme Jacques, qui était perpétuellement occupé aux exercices de la piété, et qui pour y vaquer uniquement, s'était renfermé il y avait déjà longtemps dans un petit endroit du territoire des Endisiens, éloigné seulement d'une lieue de la ville d'Amide. Quelques personnes du pays, pour favoriser un si louable dessein, avaient fait une clôture à sa cellule avec grilles, dont les barreaux n'étaient pas si près à près, que ceux qui le venaient visiter ne pussent aisément le voir, et lui parler au travers: Ils l'avaient aussi couverte d'un petit toit pour la garantir des pluies, des neiges, et des autres injures de l'air. Là il endurait avec une patience merveilleuse les incommodités du chaud, et du froid : il ne vivait que de légumes, et s'abstenait quelquefois, durant plusieurs jours de toute sorte de nourriture. Quelques Nephtalites qui battaient la campagne, l'ayant aperçu se mirent en devoir de tirer sur lui ; mais leurs mains demeurèrent comme attachées à leur arc, et privées de tout mouvement. Le bruit d'un si grand miracle s'étant répandu dans l'armée, et étant venu jusqu'aux oreilles de Cavade, il voulut en être lui-même spectateur. Il le vit avec un extrême étonnement, et pria Jacques d'avoir la bonté de pardonner aux Barbares. Le saint solitaire les délivra à l'instant de leur mal, par une seule parole. Alors, Cavade lui offrit de lui donner tout ce qu'il désirerait, et se vanta follement de ne lui rien refuser, s'imaginant qu'il lui demanderait de l'argent. Mais il ne lui demanda que la sûreté de ceux qui se réfugieraient chez lui ; ce que Cavade lui accorda par des lettres qu'il fit expédier. Quand cela fut su dans le pays, plusieurs s'y retirèrent et y conservèrent leur vie, et leurs biens. Voila ce qui regarde ce fait-la. 2. Cavade poursuivait cependant le siège, et battait divers endroits des murailles avec des béliers, dont les assiégés tâchaient de rompre le coup par des pièces de bois, qu'ils opposaient en travers. Il continua toujours la batterie jusqu'à ce qu'il reconnut qu'elle était inutile, et qu'après plusieurs attaques redoublées, la muraille était aussi entière qu'avant le siège, tant elle avait été solidement bâtie. Renonçant donc à ce dessein, il en forma un autre, qui fut d'élever une plate-forme plus haute que les travaux. Les habitants firent une mine contre la plate-forme, et tirèrent une grande quantité de terre par dessous, sans qu'il en parût rien au dehors. Les Perses y montaient sans crainte, et en tiraient incessamment contre la ville. Un jour qu'ils y étaient accourus en plus grande foule que de coutume, la plate-forme tomba soudain, et presque tous ceux qui s'y trouvèrent furent enveloppés sous les ruines. Cavade troublé d'un si fâcheux succès, résolut de lever le siège, et publia la retraite pour le lendemain. Alors, les assiégés, délivrés du danger, commencèrent à railler les Perses, et quelques femmes publiques eurent l'impudence de lever leurs jupes pour montrer à Cavade ce qu'il n'est pas honnête de regarder. Les Mages ayant remarqué cette action, empêchèrent la levée du siège, et assurèrent que c'était une marque que bientôt les assiégés découvriraient ce qu'ils avaient de plus caché. 3. Quelques jours après, un certain Perse ayant aperçu proche d'une tour l'entrée d'une vieille mine mal rebouchée, et couverte seulement d'un tas de cailloux, il y entra seul durant la nuit, et alla jusques dans la ville. Le lendemain il en donna avis à Cavade, qui la nuit suivante y fit apporter des échelles, et y alla avec un petit nombre de les gens. En cette occasion, Ia fortune lui fut merveilleusement favorable. La tour, qui touchait à la mine, était gardée cette nuit-là par ceux d'entre les chrétiens, qui font profession de vivre avec une plus grande sévérité que les autres, et qui sont communément appelés Moines. Le jour précédent ils avaient célèbre une fête, que l'on solennise tous les ans, et soit qu'ils fussent fatigués du travail, ou qu'ils eussent plus bu, et plus mangé que d'ordinaire, quand la nuit fut venue, ils se laissèrent tellement accabler du sommeil, qu'ils n'entendirent rien de tout ce qui se passait. Les Perses étant entrés l'un après l'autre par la mine, montèrent dans la tour, et tuèrent tous les moines qu'ils y trouvèrent encore endormis. Cavade en ayant été averti, commanda à l'instant de dresser les échelles ; mais comme il était déjà grand jour, ceux qui gardaient la tour voisine vinrent au secours. On combattit en cette rencontre avec beaucoup d'ardeur. Les Amideniens, qui avaient l'avantage du nombre, avaient tué d'abord plusieurs de leurs ennemis, et semblaient être hors de danger, lorsque Cavade tenant l'épée nue à la main, pressa ses soldats de monter aux échelles, et fit tuer sur le champ tous ceux qui voulaient descendre : ce qui fut cause que les Perses prirent la place de force, après qu'elle eut soutenu quatre-vingts jours de siège. 4. On fit un grand carnage des habitants, jusqu'à ce que Cavade étant entré dans la ville un prêtre fort âgé prit la liberté de lui remontrer, que ce n'était pas une action digne d'un roi, que de maltraiter des vaincus. Le roi encore tout transporté de colère, lui répondit : Pourquoi avez-vous tenu si longtemps contre mon armée ? C'est, répliqua-t-il, que Dieu voulait que vous vous rendissiez maître de cette ville par la force de vos armes, et non pas par un effet de notre choix. Cavade, adouci par ces paroles, défendit de tuer davantage. Il abandonna néanmoins tout au pillage, et donna à ses soldats les Perses qui avaient été faits prisonniers, après en avoir réservé un petit nombre des plus apparents. Il y laissa mille hommes en garnison, dont il donna le commandement à Glone, Persan de nation, il y laissa aussi quelques pauvres misérables pour porter aux Perses les provisions qui leur seraient nécessaires. Il ramena ensuite son armée, et ses prisonniers. Certes, il eut pour eux une bonté toute royale, de leur permettre de retourner en leur pays. L'empereur Anastase leur donna aussi des marques de sa libéralité, en leur remettant pour l'espace de sept ans tous les impôts que la ville avait accoutumé de payer, et en comblant, en particulier, et en général, les habitants de tant de bienfaits, qu'ils eurent sujet d'oublier toutes leurs disgrâces ; mais ce ne fut pourtant que longtemps après. [1,8] CHAPITRE VIII. 1. Dès que l'Empereur Anastase apprit la nouvelle du siège d'Amide, il y envoya des troupes considérables, avec un tel nombre de commandants, que chaque brigade avoir le sien. Il y avait quatre généraux d'armée, savoir ; Areobinde chef des armées d'Orient, gendre d'Olibrius, qui avait autrefois possédé l'Empire d'Occident; Celer capitaine, ou comme les Romains l'appellent, Maître des Gardes, Patrice, Phrygien de nation ; Hypatius neveu d'Auguste. Ces deux derniers étaient capitaines des compagnies de Constantinople. A ces quatre qui avaient le commandement général, plusieurs autres s'étaient joints : comme Justin qui succéda depuis à Anastase ; Pacriciole ; Vitalien, qui voulut peu après usurper l'autorité souveraine ; Pharesmane, Colque de nation, excellent homme de guerre; Godidicle, et Sbesas, Gots, qui n'avaient pas voulu suivre Théodoric quand il passa de Thrace en Italie; et plusieurs autres vaillants hommes. Jamais les Romains n'ont levé, ni devant, ni depuis, une armée si considérable contre les Perses. Elle ne marchait pas en un seul corps, parce que les chefs avaient voulu conduire leurs troupes séparément. 2. Appion Égyptien en était trésorier. C'était un des principaux ornements du Sénat, un homme vigilant et exact, et à qui Anastase avait fait l'honneur de l'associer par lettres à l'Empire, afin de lui donner une plus grande autorité dans l'administration des Finances. Comme il avait fallu beaucoup de temps pour lever une armée aussi nombreuse que celle-là, et qu'elle n'avait pu marcher qu'à très petites journées, elle ne rencontra plus l'ennemi sur les terres de l'Empire. Il s'était contenté d'y faire le dégât, et s'était retiré avec un riche butin. Aucun des chefs ne voulut entreprendre le siège d'Amide parce qu'ils apprirent que ceux qui la gardaient, y avaient porté des provisions en abondance. Ils aimèrent mieux aller fourrager les terres des Perses. Leurs forces n'étaient pas néanmoins unies, mais ils marchaient et campaient chacun à part. Cavade, qui était proche, en ayant eu avis, s'avança en diligence vers les frontières. Les Romains ne croyaient pas qu'il menât toutes ses troupes. Ils croyaient que ce n'étaît qu'un parti. Areobinde était campé dans les terres des Arzameniens à deux journées de Constantine ; Patrice et Hypatius dans un lieu nommé Siphrios, qui n'est qu'à trente-cinq stades d'Amide : Celer n'étaît pas encore arrivé. 3. Quand Areobinde apprit que Cavade venait avec toute son armée, il abandonna le camp, et s'enfuit à Constantine avec les siens. Incontinent après, les Perses survinrent, qui trouvant le camp abandonné, le pillèrent, et marchèrent à l'heure même contre les autres troupes romaines. Patrice et Hypatius avaient rencontré, dans le même temps, huit cents Nephtalites séparés du reste de l'armée, et les avaient taillés en pièces ; de sorte qu'enflés d'un si heureux succès, et se tenant moins sur leurs gardes, ils avaient mis bas leurs armes et se préparaient à manger. Proche du lieu où ils étaient, il y avait un ruisseau où ils lavaient les viandes, et où quelques-uns se baignaient. Cavade apprit cependant la défaite des Nephtalites, et cela le fit marcher en plus grande diligence. 4. Quand il vit l'eau du ruisseau troublée, il jugea bien d'où cela procédait, et s'assura que l'ennemi n'était pas en état de lui résister. Il commanda donc de doubler le pas, et surprit les Romains mangeant, et sans armes. Bien loin de soutenir le choc des Perses, ils n'essayèrent pas seulement de se défendre ; mais ils prirent tous la fuite. Les uns furent poursuivis, et tués ; les autres gagnèrent une colline, de laquelle ils se précipitèrent. On dit que personne n'en échappa que Patrice et Hypatius, qui dès le commencement avaient trouvé moyen de se sauver. Cavade ayant reçu nouvelle que les Huns faisaient irruption sur ses terres, mena toutes ses troupes contre eux et leur fit longtemps la guerre dans le Septentrion. Sur ces entrefaites, l'autre armée Romaine arriva; mais elle n'exécuta pourtant rien de remarquable, parce qu'elle n'était pas conduite par un seul général, mais qu'elle avait divers chefs, qui étaient de divers avis, et qui ne pouvaient jamais ni former, ni exécuter aucun dessein d'un commun consentement. 5. Celer ayant fait passer à son armée le fleuve Nymphius, qui coule proche de Martiropolis, et qui est a trois cens stades d'Amide, entra dans le pays des Arzaméniens, le fourragea, et s'en revint. [1,9] CHAPITRE IX. 1. AREOBINDE revint ensuite à Constantinople par l'ordre de l'Empereur, et les autres chefs allèrent au milieu de l'hiver mettre le siège devant Amide. Ils firent divers efforts pour l'emporter par assaut, mais toujours inutilement. Ils l'eussent prise par famine, si les chefs mal informés de la nécessité des assiégés, et lassés des plaintes que les soldats faisaient de la longueur du siège, et de l'incommodité de la saison, et menacés de quelque secours de la part des Perses, ne se fussent pas si fort hâtés de se retirer. Les habitants n'avaient plus de ressource. Ils cachaient néanmoins leur disette avec grand soin, et ils faisaient semblant d'être dans l'abondance, afin de ne se rendre qu'à des conditions raisonnables, et de retourner avec honneur dans leur pays. Il se fit donc un traité, par lequel il fut arrêté, que les Perses toucheraient mille livres et qu'ils céderaient la ville aux Romains. Ce fut le fils de Glone qui toucha cette somme, et qui de la manière que je le vais raconter rendit la place, son père étant mort dès auparavant. 2. Pendant que les Romains étaient campés devant la ville d'Amide, un paysan qui avait accoutumé d'y entrer secrètement, et d'y porter du pain, des fruits, et des volailles, qu'il vendait chèrement à Glone, vint trouver Patrice, et lui offrit de loi mettre Glone entre les mains, avec deux cents Perses, s'il voulait lui assurer quelque récompense. Patrice lui promit tout ce qu'il voudrait. Ce paysan s'en alla à l'heure même, dans la ville, et ayant déchiré ses habits, et faisant semblant de pleurer, et d'arracher ses cheveux, aborda Glone par ces paroles. Comme j'apportais les vivres que j'avais pu ramasser, j'ai été attaqué par des voleurs, qui me les ont pris et qui m'ont donné plusieurs coups. Ce sont des soldats romains qui exercent ce brigandage et ces violences, envers les pauvres gens de la campagne, sur qui ils déchargent la colère qu'ils n'oseraient faire paraître contre des gens de guerre. Je vous donnerai, si vous voulez une belle occasion de nous venger, et de vous venger vous-même. Vous n'avez qu'à aller demain à la chasse, aux environs de la ville, elle ne manquera pas de vous réussir heureusement. Glone ajoutant foi à ce discours du paysan lui demanda combien il croyait qu'il fallût de soldats pour donner la chasse à ces voleurs. Le paysan répondit que cinquante ne seraient que trop suffisants, parce qu'il ne les avait jamais rencontrés en plus grand nombre que de cinq; mais que pour n'être surpris d'aucun accident, il ferait bien d'en prendre cent, et que quand il en prendrait deux cents il ne ferait pas mal, et que ce qu'il aurait de trop ne serait pas préjudiciable. Glone choisit deux cents cavaliers, et commanda au paysan de lui servir de guide. Le paysan lui dit, qu'il croit plus à propos qu'il courut devant pour découvrir la campagne ; que quand il verrait les Romains, il viendrait l'avertir de sortir sur eux. Glone ayant approuvé ce dessein, le paysan alla droit à Patrice, lui raconter ce qu'il avait fait. Patrice choisit deux mille hommes, dont il donna le commandement à deux de ses gardes, et les envoya avec le paysan, qui les ayant placés en embuscade dans un fond rempli de bois, et de marais, proche d'un bourg nommé Thialasame, à quarante stades d'Amide, courut pour dire à Glone, que l'occasion était venue de faire une bonne prise, et le mena avec ses deux cents hommes. Quand il les eut conduits au delà de l'endroit où était placée l'embuscade, il eut l'adresse de se dérober si finement, que ni Glone, ni ses gens, ne s'en aperçurent point ; de sorte qu'il alla faire sortir les Romains du lieu où il les avait fait cacher, et leur montra l'ennemi. Quand les Perses les virent venir droit à eux, ils furent fort étonnés d'une rencontre si imprévue, et ne savaient à quoi se déterminer dans une telle surprise. Ils ne pouvaient ni reculer, parce que le chemin était bouché par les ennemis, ni avancer, parce qu'ils n'avaient devant eux que des terres de l'Empire. Ils se rangèrent donc en bataille le mieux qu'il leur fut possible ; mais ils furent accablés par le nombre, et taillés en pièces. 3. Le fils de Glone outré de douleur de n'avoir pu secourir son père, brûla l'église de S. Siméon où il était mort. Jamais ni Glone, ni Cavade, ni aucun autre, n'avait ruiné aucune maison ni par le fer, ni par le feu, ni dans Amide, ni aux environs. Reprenons maintenant la suite de nôtre Histoire. 4. Les Romains regagnèrent Amide par argent, deux ans après que les Perses s'en furent rendus les maîtres. 5. Quand ils furent dedans, ils reconnurent leur peu de courage, et l'incroyable abstinence de leurs ennemis. Car par la supputation qu'ils firent da la quantité des vivres, qui étaient demeurés, et des Barbares qui étaient sortis, ils trouvèrent que les assiégés n'eussent eu que pour sept jours de provisions, bien que Glone et son fils ne leur en eussent distribué durant un long temps que beaucoup moins qu'il n'en faut pour vivre commodément. Pour ce qui est des Romains, qui étaient dans la ville, ils ne leur fournissaient aucune chose durant le siège comme je l'ai déjà dit, de sorte qu'ils furent contraints de prendre, pour se nourrir, des choses, dont les hommes n'ont pas accoutumé d'user, et qu'ils se trouvèrent réduits à la cruelle nécessité de se manger les uns les autres. Les Chefs reconnaissant tant de circonstances si surprenantes, reprochaient aux soldats de n'avoir pas voulu souffrir constamment les fatigues du siège pour réduire la ville, et pour prendre Glone, son fils, et tant de personnages si considérables parmi les Perses, et d'avoir souillé la gloire du nom Romain par une tache aussi honteuse que celle d'avoir acheté Amide. 6. Comme la guerre continuait après cela avec les Huns, les Perses firent une trêve de sept ans avec les Romains, par l'entremise de Celer, et d'Aspebede. Les deux peuples retirèrent ensuite leurs troupes. Voilà comment se termina cette guerre. Je raconterai maintenant ce qui arriva aux portes Caspiennes. [1,10] CHAPITRE X. 1. LE mont Tauros assis dans la Cilicie, s'étend premièrement dans la Cappadoce, l'Arménie, la Persarmenie, l'Albanie, l'Ibérie, et dans d'autres pays habités, tant par quelques peuples libres, que par d'autres peuples soumis à l'obéissance des Perses. Il occupe un vaste espace et croît à une largeur, et à une hauteur tout à fait extraordinaire. Quand on a passé les frontières de l'Ibérie, on trouve un chemin fort étroit, et long de cinquante stades, qui se termine à une montagne escarpée, et inaccessible, et qui pour toute issue n'a qu'une porte, faite par les mains de la nature ; que l'on appelle de toute ancienneté, la porte Caspienne. De là, on découvre une large campagne où il y a de l'eau en abondance, et qui est fort propre à nourrir des chevaux. C'est en cet endroit que les Huns habitent, d'où ils s'étendent jusqu'aux Palus Méotides. Lorsque pour faire irruption sur les terres des Perses, ou sur les nôtres, ils sortent par la porte, dont je viens de parler, avec d'excellente cavalerie, ils n'ont point de détours à prendre, ni de lieux hauts, et bas à traverser, si ce n'est ce passage de cinquante stades qui aboutit à l'Ibérie. Quand ils prennent d'autres chemins, ils y trouvent d'étranges fatigues et ils sont obligés de quitter leurs chevaux, de faire divers circuits, et de descendre par des précipices. Alexandre, fils de Philipe, ayant autrefois considéré l'assiette de ce lieu, y bâtit des portes, et une citadelle, qui après avoir été possédés par divers maîtres, ont enfin appartenu à Ambazuce, Hun de nation, intime ami des Romains. 2. Cet Ambazuce étant arrivé à une extrême vieillesse, et se sentant proche de la dernière heure, envoya offrir à Anastase de les lui livrer, moyennant une somme d'argent qu'il demandent pour récompense. Cet Empereur qui n'avait pas accoutumé de rien faire légèrement, considérant qu'il lui serait malaisé d'entretenir une garnison dans un pays désert et stérile, et éloigné, remercia Ambazuce de sa bonne volonté, et n'accepta point son offre. 3. Ambazuce étant mort bientôt après de maladie, Cavade chassa ses fils, et prit les portes Caspiennes. 4. Après la conclusion de la trêve, l'empereur Anastase fit fortifier le bourg de Dara, et en fit une ville très belle, qu'il appela de son nom. Elle est distante de Nisîbe de quatre-vingts dix-huit stades et d'environ dix-huit des limites des deux Empires. La guerre des Huns empêcha les Perses de s'opposer autant qu'ils le désiraient à la fortification de cette place ; mais aussitôt que Cavade l'eut terminée, il envoya se plaindre aux Romains de ce qu'au mépris des traités, ils avaient bâti une ville sur la frontière. L'Empereur Anastase employa les menaces, les prières, et encore plus l'argent, pour apaiser Cavade, et pour arrêter ses plaintes. 5. Il fit aussi dans l'Arménie sur les frontières de la Persarménie, d'un ancien village que Théodose n'avait élevé que de nom à la dignité de ville, en l'appelant Theodosîopolis, une autre ville égale à celle de Dara, l'entoura de fortes murailles, et la mit en état d'incommoder autant les Perses, que l'autre les commodait, étant toutes deux fort propres à faire des courses sur leurs terres. [1,11] CHAPITRE XI. 1. ANASTASE étant mort, Justin lui succéda à Empire, tous ses proches en ayant été exclus, bien qu'ils fussent en grand nombre, et de grand mérite. 2. Cavade commença alors à s'inquiéter, et à craindre qu'après sa mort, les Perses n'apportaient un pareil changement à la succession de ses états, au préjudice de ses enfants. Il ne lui était pas possible d'en choisir un d'eux, sans trouver de grandes oppositions à son choix. Coase était appelé par la loi à la couronne comme étant l'aîné, mais Cavade ne souhaitait pas qu'il y arrivât et il se déclarait, en ce point, contre la coutume du pays, et contre l'ordre de la nature. 3. Zamez qui était le second, n'y pouvait prétendre, à cause qu'il avait perdu un œil, et que les lois des Perses ne permettent pas de mettre la souveraine puissance entre les mains d'une personne qui ait ou ce défaut, ou un autre. Cavade aimait plus que tous ses enfants Cosroez, qu'il avait eu de la fille d'Aspebede ; mais comme il voyait que Zamez était chéri par les Perses, à cause de la grandeur de son courage, et des autres excellentes qualités qui le rendaient recommandable, il appréhendait qu'ils ne se soulevassent, et qu'ils ne commissent quelque attentat contre sa famille. 4. Il ne trouva point de meilleur expédiant, pour sortir de cet embarras, que de remettre aux Romains les prétentions qu'il avait contre eux, parce qu'elles pouvaient exciter à l'avenir de nouvelles guerres; mais ce fut à condition que Justin adopterait Cosroez. Comme il voyait que c'était l'unique moyen de se maintenir dans la paisible possession de son Empire, il envoya à Constantinople des ambassadeurs pour ce sujet, et les chargea d'une lettre dont voici les termes. Vous savez que j'ai reçu plusieurs injures des Romains : j'ai résolu, néanmoins de les oublier, n'y ayant point de victoire, et si glorieuse que celle que l'on remporte, quand on abandonne une partie de ses intérêts en faveur de ses amis ; lors même que l'on a la justice pour les maintenir, je vous demande une grâce en récompense, qui est, que nous contrarions une alliance qui nous unisse, et qui unisse aussi tous nos sujets par les liens d'une affection mutuelle, et qui les comble de l'abondance de tous les biens que produit la paix. Je désire, pour ce sujet, que vous adoptiez mon fils Cosroez, que je déclare successeur de mon royaume. 5. La lecture de cette lettre donna une grande joie à Justin, et à son neveu Justinien, que tout le monde regardait comme le futur héritier de l'Empire. On travaillait déjà à l'affaire, et l'on dressait l'acte de l'adoption, selon la disposition des lois romaines ; lorsque Proclus s'y opposa. C'était un célèbre magistrat du conseil de l'Empereur, qui exerçait la charge de Questeur avec une grande réputation de vertu, et d'intégrité. Il ne faisait pas volontiers de nouvelles lois, et n'aimait pas aussi à changer celles qu'il trouvait établies. N'étant donc point d'avis de cette adoption, il en parla de cette sorte. Je n'ai pas accoutumé de me porter à des nouveautés, et je les appréhende d'autant plus que je sais combien elles sont dangereuses. Mais quand je serais plus hardi que je ne suis de mon naturel à entreprendre de pareilles affaires, il me semble que je devrais être plus retenu dans celle-ci, et craindre davantage la tempête qu'elle peut émouvoir. Je pense que nous ne cherchons ici qu'une couleur honnête pour livrer l'Empire aux Perses, qui n'en cherchent point pour couvrir l'intention qu'ils ont de nous l'enlever. Il l'avouent, ils la déclarent. Le dessein qu'ils ont de tromper paraît dans la simplicité qu'ils affectent, et dans la liberté avec laquelle ils font leur demande. Vous avez tous deux le principal intérêt de vous opposer fortement aux prétentions de ces Barbares: Vous, César, afin de n'être pas le dernier des empereurs ; et vous, Justinien, afin de ne pas vous exclure de le devenir. Il y a des tromperies cachées avec tant d'art, qu'il est malaisé de les découvrir ; mais la seule proportion des Perses suffit pour en faire voir l'injustice, et pour montrer qu'ils ne promettent rien moins que de rendre Cosroez héritier par adoption de la succession de l'Empire. Je vous prie de suivre ce raisonnement. Le bien des Perses appartient naturellement aux enfants: Les lois qui touchant d'autres sujets sont fort différentes, et souvent même fort contraires, selon le génie de différentes nations, s'accordent en ce point par toute la terre, que les enfants succèdent aux possessions de le leurs pères. Si vous avouez une fois cette vérité, il faudra que vous admettiez toutes les suites. 6 . Voilà ce que dit ProcIus. Ses raisons furent goûtées par l'Empereur, et par Justinien, qui délibérèrent en particulier sur ce qu'ils avaient à faire. Cependant, Cavade écrivit une seconde lettre à Justin, par laquelle il le pria de lui envoyer des ambassadeurs, pour arrêter les articles de la paix, et de lui mander de quelle manière il souhaitait de faire l'adoption. Alors, Proclus résista a l'entreprise des Perses, avec encore plus de vigueur qu'auparavant, et la rendit plus odieuse en faisant voir très clairement qu'elle tendait à l'usurpation de l'Empire. Son avis était, que l'on fît la paix le plus tôt que l'on pourrait, et que l'on députât vers Cavade des premiers de l'état, pour la conclure. Que s'il leur demandait en quelle forme l'on avait résolu de faire l'adoption de Cosroez, ils lui répondirent, que les Romains n'avaient pas accoutumé d'adopter les Barbares par écrit, mais par les armes. La résolution ayant été prise de suivre son avis, Justin donna l'audience de congé aux ambassadeurs des Perses, et les assura qu'ils seraient bientôt suivis des siens. La lettre qu'il écrivit à Cavade contenait la même chose. 7. On choisit, de la part des Romains, un neveu de l'Empereur Anastase, nommé Hypatius, qui était Patrice, et Général des troupes d'Orient ; et Rufin, aussi Patrice, qui était fils de Silvain, et d'une maison fort connue à Cosroez. On députa, de la part des Perses, Séose, qui était élevé en dignité, et Mébode. Tous ces ambassadeurs s'assemblèrent dans un lieu qui séparé les deux états, et conférèrent touchant les moyens de terminer les différents, et de conclure la paix. Cosroez vint jusqu'au Tigre à deux journées de Nisibe dans le dessein de venir a Constantinople lorsque la paix serait conclue. Entre tout ce qui fut dit de part et d'autre par les prétentions différentes des deux Empires, Séose dit, que les Romains retenaient injustement la Colchide, et qu'ils l'avaient usurpée sur les Perses, à qui elle appartenait. Ces paroles mirent en colère les Romains, qui ne pouvaient souffrir que l'on voulût leur disputer la possession paisible de cette province. Quand ils dirent, ensuite, que l'adoption de Cosroez se devait faire de la manière que se fait l'adoption des Barbares, les Perses le trouvèrent insupportable ; ce qui fut cause qu'ils se séparèrent sans rien faire. 8. Cosroez s'en retourna fort indigné de ce qui s'était passé et protestant hautement de s'en venger. 9. Méthode accusa bientôt après Séose, devant Cavade, d'avoir contre l'intention de son maître, mêlé le discours de la Lazique dans les conférences, dans le dessein d'en éloigner la conclusion, et d'en avoir communiqué secrètement avec Hypatius, qui n'étant pas bien affectionné au service de Justin avait aussi traversé les propositions de la paix, et de l'adoption. Les ennemis de Séose formèrent diverses autres accusations contre lui, devant un Sénat que l'envie, et non pas la justice avait assemblé. Le pouvoir qu'il s'était acquis leur donnait une jalousie extrême, et la violence de son naturel une aversion implacable. Il faut demeurer d'accord qu'il aimait la justice, et qu'il était incapable de se laisser corrompre par argent. Mais il faut avouer aussi qu'il avait un orgueil qui surpassait l'orgueil de tous les autres hommes. Quoi que ce vice fût fort familier aux grands de la Perse, les ennemis de Séose prétendaient qu'il l'avait porté plus loin qu'il ne semblait qu'il pût aller. Ses accusateurs ajoutaient aux crimes, dont je viens de parler, qu'il méprisait les lois du pays, qu'il adorait certaines divinités étrangères, et qu'au lieu d'exposer le corps de sa femme, selon la coutume des Perses, il l'avait fait enterrer. Les juges le condamnèrent à la mort. Cavade fit semblant de le regretter comme son ami; mais il ne lui accorda point de grâce, et il couvrit sa mauvaise volonté d'une fausse image de respect pour les lois. Cependant, il lui était redevable et de la vie, et de l'Empire. Ainsi mourut Séose. Sa dignité finit avec lui, comme elle y avait commencé. Et il n'y eut plus d'Adrastadaransalane. 10. Rufin dénonça pareillement Hypatius à l'Empereur, qui le priva de sa charge, et fit donner la question à quelques-uns de ses domestiques ; mais n'ayant point tiré de preuve, il n'ordonna point d'autre peine. [1,12] CHAPITRE XII. 1. BIEN que Cavade souhaitât fort de faire irruption sur les terres des Romains, il ne le put, à cause d'un empêchement qui fut tel. Les Ibériens habitent dans l'Asie auprès des portes Caspiennes, dont ils sont bornés du côté du Septentrion. Du côté de l'Occident ils sont bornés par la Colchide, et du côté de l'Orient par la Perse. Ils font possession de la religion chrétienne, et en gardent aussi exactement les lois saintes, qu'aucun autre peuple qui nous soit connu. 2. Comme il y a longtemps qu'ils sont soumis à l'obéissance des Perses, Cavade s'avisa alors de les forcer d'embrasser sa religion, et il commanda à leur Roi Gyrgene de se conformer aux coutumes des Perses, et surtout de ne plus enterrer les morts, mais de les exposer aux chiens, et aux oiseaux. 3. Gyrgene fut obligé d'implorer la protection de l'Empereur Justin, et de le conjurer de ne le pas laisser opprimer par les Perses. Il le lui promit volontiers, et envoya Probus Patrice et neveu de l'Empereur Anastase, avec de l'argent pour lever des Huns à Bospore, qui est une ville maritime, que ceux qui naviguent sur le Pont-Euxin ont à leur gauche. Elle est à vingt journées de Chersone qui est la dernière de l'Empire Romain. Le pays qui est entre ces deux villes appartient aux Huns. Il appartenait autrefois aux habitants de Bospore, qui pour lors étaient souverains; mais ils l'ont fourni depuis à la puissance de Justin. Probus en étant revenu sans rien faire, envoya Pierre dans la Lazique avec quelques troupes de Huns pour secourir Gyrgene. 4. En même temps, Cavade dépêcha contre ce Prince une armée considérable, dont il donna le commandement à un Perse nommé Boez, qui était élevé à la dignité de Varise. Gyrgene n'ayant reçu qu'un faible secours, et ne se voyant pas assez fort pour attendre l'arrivée des Perses, se retira dans la Lazique, et y emmena les premiers et les plus apparents de son État, ses proches, la Reine sa femme, et ses enfants, dont l'aîné se nommait Peranius. Quand ils furent arrivés aux frontières des Laziens, ils s'arrêtèrent, et se crûrent en sûreté, à cause de l'assiette du lieu, et de là difficulté des passages, que les Perses ne purent vaincre en effet. Les Ibériens allèrent ensuite à Constantinople, où Pierre fut aussi rappelé par l'Empereur, qui voyant que les Laziens refusaient de garder leurs frontières, y envoya des troupes sous la conduite d'Irenée. Quand on a passé les limites de l'Ibérie, on trouve sur les terres des Laziens, deux forts desquels on a toujours confié la garde aux habitants, qui vivent dans une extrême misère. Le pays ne produit ni blé, ni vin, ni aucune autre nourriture, et l'on n'y en peut porter que de fort loin sur le dos des hommes. Les Laziens qui y vivaient se contentaient de pain de millet. l'Empereur en ôta la garde à ceux du pays, et y mit une garnison à qui d'abord les Laziens portèrent des vivres, mais dans la suite, ils s'en lassèrent : ainsi, les deux forts furent abandonnés par les Romains, et occupés par les Perses. Voilà ce qui se passa dans le pays des Laziens. 5. Les Romains étant entrés sous la conduite de Sitta, et de Bélisaire dans la Persarmenie y firent un grand dégât, et en emmenèrent un nombre incroyable de prisonniers. Ces deux capitaines étaient tous deux gardes de Justinien qui fut depuis associé à l'Empire par Justin, et ils paraissaient alors dans la première fleur de leur jeunesse. 6. Les Romains firent une seconde irruption dans l'Arménie, où ils rencontrèrent contre leur attente Narsez, et Aratius, avec qui ils en vinrent aux mains. Peu de tems après, ces deux hommes passèrent dans le parti des Romains et suivirent Bélisaire en Italie: mais pour lors ils remportèrent quelque petit avantage sur lui, et sur Sitta. Une autre armée romaine commandée par Licelaire qui était natif de Thrace entra dans le pays des Nisîbites ; mais ce chef s'enfuît sans être poursuivi des ennemis. Il perdit sa charge pour punition de cette lâcheté. 7. Bélisaire fut établi chef des troupes qui étaient à Dara. Ce fut alors que Procope auteur de cette Histoire lui fut donné pour lui servir de conseil. [1,13] CHAPITRE XIII. 1. JUSTIN mourut peu de temps après, et laissa l'entière possession de l'empire à son neveu Justinien qui commanda aussitôt à Bélisaire d'élever un fort dans le territoire de Mindone, proche de la frontière des Perses, au côté gauche du chemin par où l'on va à Nisibe. Bélisaire exécutait cet ordre avec une diligence extraordinaire, et y employait tant de mains que l'ouvrage était déjà fort avancé, lorsque les Perses envoyèrent dire, que si l'on ne l'abandonnait, ils l'arrêteraient bientôt par des effets, et non pas par des paroles. Comme Bélisaire n'avait pas assez de forces pour leur résister, l'Empereur y envoya d'autres troupes conduites par Cutzez, et par Buzez, qui commandaient alors les compagnies du Mont Liban. C'étaient deux frères, originaires de la Thrace, qui emportés par l'ardeur de la jeunesse n'allaient pas au combat avec assez de prudence. 2. Les Perses et les Romains coururent vers le fort, les uns pour en chasser les ouvriers, et les autres pour les soutenir. Le combat fut très opiniâtre de part et d'autre ; mais enfin les Romains furent vaincus et perdirent un grand nombre des leurs sur la place, il y en eut aussi plusieurs, qui furent emmenés prisonniers en Perse, et condamnés à tenir prison perpétuelle. Cutzez eut le malheur d'être de ce nombre. Comme le fort était abandonne il fut aisé aux Perses de le raser. 3. Justinien créa, peu de temps après, Bélisaire général des troupes d'Orient, et lui commanda de marcher contre les Perses. Il leva donc une puissante armée, et alla à Dara, où Ermogène, qui était maître des Offices, et qui avait été conseiller de Vitalien, dans le temps qu'il était en mauvaise intelligence avec Anastase, arriva aussi pour donner conjointement avec lui les ordres nécessaires à la conduite des troupes. De plus, l'Empereur nomma Rufin ambassadeur vers les Perses, et lui commanda de demeurer jusqu'à nouvel ordre à Ierapolis, qui est une ville assise sur le bord de l'Euphrate. Tandis que de part et d'autre, on portait diverses paroles de paix, Il arriva soudain nouvelle, que les Perses allaient entrer sur les terres des Romains, et qu'ils voulaient prendre par assaut la ville de Dara. Bélisaire et Ermogène rangèrent à l'instant leurs troupes en bataille, et creusèrent à un jet de pierre de la ville, à l'endroit qui est vis à vis de Nisibe, un fossé profond, où ils laissèrent par intervalle diverses entrées et sorties. Ils ne creusèrent pas ce fossé en ligne droite, mais d'une autre manière, que j'expliquerai ici. Il était en ligne droite par le milieu, et continué par les deux bouts suivant deux lignes perpendiculaires, à la fin de chacune desquelles il était encore tiré en ligne droite, qui de chaque côté s'étendait bien loin dans la campagne. L'armée des Perses était campée dans le territoire d'Ammodium à vingt stades de la ville de Dara. Pityase, et Baresmane surnommé le Louche, étaient deux capitaines qui commandaient sous un général nommé Perose, qui était élevé à la dignité de Mirrane, comme parlent les Perses. Ce Pérose envoya avertir Bélisaire de tenir le bain prêt pour le lendemain, parce qu'il se voulait baigner dans la ville de Dara. Cela obligea les Romains à se préparer au combat. 4. Quand ils virent, dès la pointe du jour, que les Perses s'approchaient, ils se rangèrent en cet ordre. Buzez, suivi d'un bon nombre de cavalerie, et Pharas Erulien, suivi de trois cents Eruliens, se placèrent entre le côté gauche du fossé, et une éminence voisine. Sunicas et Augan Massagètes, suivis de six cents cavaliers, étaient à la gauche de ceux-ci à l'angle que formait la rencontre de l'aile, et du côté gauche du fossé ; afin de pouvoir secourir Buzez et Pharas, au cas qu'ils vinssent à plier. L'autre aile était disposée dans le même ordre. L'extrémité du côté droit était bordée d'une grande troupe de cavalerie, commandée par Jean fils de Nicétas, par Marcelle, et par Cyrille, auxquels Germain et Dorothée s'étaient joints. Il y avait à l'angle droit six cents hommes de cavalerie, commandés par Simas et par Ascan Massagètes, afin que si Jean lâchait le pied, ils fondissent sur le dos des ennemis. Toute la cavalerie, l'Infanterie étaient placées au devant du fossé. Bélisaire et Ermogène étaient derrière l'avant-garde. C'est ainsi qu'était rangée l'armée Romaine, qui n'était composée que de vingt-cinq mille hommes, au lieu que celle des Perses était de quarante mille. La pointe de leur armée était étroite. Comme ils admiraient le bel ordre des troupes Romaines, ils ne savaient par où les attaquer ; et ainsi l'on ne commençait le combat ni de côté, ni d'autre. Un parti de Cavalerie se détacha de l'aile gauche sur le soir, et vint attaquer Buzez et Pharas, qui s'étant un peu retirés, ne furent pas poursuivis par les Perses, à cause de la crainte qu'ils eurent d'être enveloppés. Alors, les Romains qui fuyaient, revinrent eux-mêmes à la charge ; mais les Perses se retirèrent et rejoignirent leur armée. Buzez et Pharas reprirent pareillement la place qu'ils avoient quittée. Il y eut sept Perses tués en cette rencontre, desquels le corps demeurèrent en la possession des Romains. 5. Comme les deux armées gardaient leurs rang; et se tenaient en repos, un jeune Perse s'avança à cheval, et demanda s'il y avait quelqu'un qui voulût se battre contre lui, seul à seul. Personne n'osait courir ce hasard. Il n'y eut qu'un domestique de Buzez nommé André, qui s'y offrit. Il n'avait jamais fait le métier de soldat, mais il avait été maître des athlètes dans Constantinople, d'où il tirait sa naissance ; et il ne suivait alors l'armée, que parce qu'on lui avait donné le soin des bains de Buzez. Il n'y eut dis-je, que celui-là qui fut assez hardi pour accepter le défi, sans que son maître, ni aucun autre le lui commandât. Il courut donc droit au Barbare, avant qu'il eût seulement songé à ce qu'il avait à faire, lui donna un coup de javelot dans l'estomac, dont il tomba de cheval, le coucha ensuite par terre, et lui coupa la tête comme à une victime. L'armée romaine jetait cependant de grands cris de joie. Les Perses irrités de ce mauvais succès, firent partir un autre cavalier qui était des plus hardis, et qui surpassait la taille des hommes ordinaires. Il n'était pas comme l'autre dans la fleur de sa jeunesse, mais il avait déjà quelques cheveux gris. Il s'approcha donc de l'armée romaine et en remuant le fouet, dont il se servait à cheval, il demanda si quelqu'un voulait accepter le combat. Comme pas un ne se présentait, André parût encore, sans le dire à personne, et nonobstant la défense qu'Ermogène lui en avait faite. Ils sîgnalèrent tous deux leur courage en se battant avec leurs lances, dont les coups faisaient un grand bruit sur leurs cuirasses. Les chevaux s'étant heurtés la tête l'un contre l'autre avec une extrême violence, tombèrent et jetèrent leurs hommes à bas. Chacun s'efforçant de se relever, le Perse ne pût le faire si vite, à cause de la masse de son corps, et de la pesanteur de ses armes. André, que son art rendait plus agile, frappa son ennemi, comme il était appuyé sur son genou, et le tua sur le champ. Alors, il s'éleva de la ville, et de l'armée romaine, un plus grand cri qu'à la première victoire. Comme la nuit approchait, les Perses s'en retournèrent au territoire d'Ammodium, et les Romains rentrèrent dans Dara. [1,14] CHAPITRE XIV. 1. Le lendemain, il arriva aux Perses un renfort de mille soldats tirés de la ville de Nisibe. Bélisaire et Ermogène écrivirent de cette sorte au Mirrane : Il n'y a personne, pour peu qu'il ait de raison qui ne reconnaisse que la paix est le plus grand de tous les biens, et que celui qui la rompt, cause beaucoup de maux à ceux de son pays, et aux étrangers. Il est du devoir d'un bon général de la conclure le plus tôt qu'il lui est possible. Quand vous vous êtes avisés de commencer la guerre sans en avoir le sujet, les deux nations étaient en bonne intelligence. Les deux Empereurs n'avaient que des pensées d'amitié : leurs ambassadeurs étaient prêt de conférer ; et tout le monde s'attendait qu'ils termineraient heureusement les différents. Vous avez dissipé cette espérance, en faisant soudain des courses sur nos terres. Ce serait une action de grande prudence, que de retirer vos troupes, de ne pas empêcher le bien qui peut naître de la conscience du traité, et de ne pas attirer sur vous les maux qui peuvent procéder de la continuation de la guerre. Le Mirrane répondit à cette lettre en ces termes : Je serais assez disposé à satisfaire à tout ce que vous désirez, et à exécuter tout ce qui est contenu dans votre lettre lettre, si elle venait d'une autre part que de la vôtre. Mais comme vous êtes en possession de donner de telles paroles, et même de les confirmer, par les plus saints tous les serments, sans néanmoins en faire voir les effets, nous sommes obligés, de nous tenir sous les armes pour n'être pas toujours exposés à de pareilles allusions. Sachez donc que vous ne devez vous attendre qu'à la guerre, et que nous sommes résolus de mourir ici, ou d'y vieillir, jusqu'à ce que nous ayons obtenu la justice qui nous est due. Bélisaire écrivit encore au Mirrane la lettre qui suit : Il ne faut pas tant vous en faire accroire, ni former contre nous tant de vains reproches. C'est avec vérité que nous assurons que l'ambassadeur Rufin arrivera dans peu de jours, et le temps fera paraître la sincérité de nos paroles. Mais puisque vous désirez si opiniâtrement la guerre, vous nous verrez rangés en bon ordre, pour vous combattre ; et nous nous persuadons que Dieu nous favorisera de sa protection, parce qu'il aime autant la douceur avec nous qui désirons la paix, qu'il déteste la fierté avec laquelle vous la rejettez. En nous rangeant en bataille, nous attacherons au haut de nos enseignes les lettres qui auront été écrites de part et d'autre sur ce sujet. Le Mirrane répliqua encore par écrit en ces termes : Le secours de nos Dieux ne nous manquera pas aussi dans cette guerre. C'est sous leurs auspices que nous prétendons vous livrer demain la bataille, et nous rendre maîtres de la ville de Dara. Faites en sorte que nous y trouvions le bain et le dîner prêt. Après que Bélisaire eut lu cette lettre, il se prépara au combat 2. Le Mirrane assembla le lendemain ses troupes et leur parla de cette sorte : Je sais bien que le courage qui anime les Perses dans les dangers, ne procède pas des harangues de leurs chefs, mais de leur propre vertu et d'une louable pudeur, qui leur est inspirée par la présence de leurs compagnons. Mais parce que je vois qu'il s'excite parmi vous quelque sorte de murmure, sur ce que les Romains, qui n'allaient autrefois que tumultuairement au combat, s'y sont présentés la dernière fois en bon ordre, et ont soutenu l'effort de vos armes : J'ai cru qu'il était à propos de vous avertir, de ne vous pas laisser surprendre par une fausse opinion de leur valeur, et de ne vous pas imaginer que le courage et l'expérience leur soient venus en un instant. Ils ont si fort appréhendé notre présence, qu'ils n'ont osé se ranger en bataille, qu'ils n'eussent un fossé devant eux, et ce fossé ne les a pas rendus assez hardis pour nous attaquer. Il se vantent néanmoins d'avoir eu un succès qui a surpassé leur espérance, à cause seulement qu'ils ont évité le combat, et qu'ils se sont mis à couvert dans leur ville ; comme si c'était une grande merveille de n'être pas vaincu, lorsque l'on n'a osé combattre. Quand il en faudra venir aux mains, l'appréhension et le manque d'expérience les jetteront dans la confusion, comme de coutume. Voilà l'état où sont les ennemis. Pour ce qui est de vous, faites, je vaut prie, réflexion sur le jugement que le Roi des Rois fera de vôtre conduite et sur la honte du châtiment dont il punirait votre lâcheté, si vous dégénériez, en cette occasion de l'ancienne vertu des Perses. Le Mirrane ayant parlé de la sorte, mena son armée contre l'ennemi. Bélisaire et Ermogène ayant aussi conduit les Romains hors de la ville, leur parlèrent en ces termes : Vous avez, reconnu dans la dernière rencontre, que les Perses ne sont ni invincibles, ni immortels. Tout le monde demeure d'accord que vous les surpassez en valeur, et qu'ils n'ont sur vous que l'avantage de la discipline. Il vous sera aisé de vous corriger de ce défaut, puisque la raison toute seule suffit à l'homme, pour remédier aux maux qui viennent du dedans de lui-même, au lieu qu'il n'y a point de précaution qui le pusse garantir des injures de la fortune. C'est pourquoi si vous suivez, les ordres de vos chefs, vous remporterez assurément la victoire. Les ennemis ne se fient qu'en votre désordre. Ôtez leur cette espérance, et ils n'auront pas un meilleur succès qu'en la dernière journée. Le nombre par où ils croient se rendre formidables, est tout à fait digne de mépris. Leur infanterie n'est qu'une multitude de misérables paysans, qui ne suivent l'armée que pour remuer la terre, pour dépouiller les morts, et pour servir de soldats. Ils n'ont pas même d'armes offensives ; ils n'ont que de grands boucliers pour parer les coups. C'est pourquoi non seulement vous aurez de l'avantage sur eux, si vous voulez, vous conduire en gens de cœur, mais aussi vous les mettrez, en état de ne plus revenir sur nos terres. Bélisaire et Ermogène ayant parlé de la sorte, et voyant que l'ennemi commençait à avancer, rangèrent leur armée de la même façon que le jour précèdent. Les Barbares s'étant approchés, s'arrêtèrent vis à vis d'eux. 3. Le Mirrane n'opposa aux Romains que la moitié de ses troupes, et laissa l'autre moitié derrière afin d'avoir toujours des gens frais, qui vinssent combattre tour à tour un ennemi fatigué. Pour ce qui est de la légion appellée l'immortelle, il lui commanda de demeurer en repos, jusqu'à ce qu'il lui donnât ordre de marcher. Il se mit à la tête du corps de bataille, donna à Pityase le commandement de l'aile droite, et à Baresmane celui de l'aile gauche. Les deux armées étant rangées de cette sorte, Pharas vint trouver Bélisaire et Ermogène, et leur dit : Il me semble que si je demeure ici avec les Eruliens, je n'y pourrai rien faire de considérable ; au lieu que si j'allais me cacher dans un vallon qui est proche, et que je gagnasse la colline, et qu'ensuite je vinsse fondre sur les Perses, lorsqu'ils seront dans la plus grande chaleur du combat, je les incommoderais fort notablement. Cet avis plût à Bélisaire, Pharas alla l'exécuter. 4. Le combat ne fut commencé avant midi ni par l'un, ni par l'autre des partis ; mais il le fut incontinent après par les Perses. La raison qui le fit différer si longtemps, fut que ces Barbares ne mangeant que le soir, au lieu que les Romains mangent dés le matin, ceux-ci espéraient ne pas trouver une forte résistance en des gens affaiblis par un long jeûne. Ils se battirent d'abord à coups de flèches, dont l'air fut couvert comme d'une épaisse nuée. Plusieurs demeurèrent sur la place de côté, et d'autre. Les Perses lançaient une plus grande quantité de traits, à cause qu'ils ne combattaient qu'alternativement, et que ceux qui se retiraient, étaient relevés par d'autres, sans que les Romains s'en aperçussent. L'effet n'en fut pas néanmoins considérable, parce que le vent, qui était contraire aux Perses, rompait la force du coup. Quand les flèches furent épuisées, ils commencèrent à se servir de leurs lances. Ce fut alors que la mêlée fut furieuse. L'aile gauche des Romains fut fort endommagée en cette rencontre par les Cadisiniens, qui étaient sous Pityase, et qui mirent les autres en fuite. Sunicas et Augan fondirent sur ceux-ci. Pharas y fondit le premier avec ses trois cens Eruliens, qui se signalèrent contre les Cadisiniens, et les obligèrent de quitter leurs rangs, et de reculer. Quand les Romains virent que les Barbares lâchaient le pied, ils se rallièrent, et en firent un grand carnage. Il y en eut pour le moins trois mille de l'aile droite qui furent tués sur le champ. Les autres se sauvèrent aisément, et rejoignirent le corps de leur armée, sans être poursuivis par les Romains. Voila ce qui se passa alors. Le Mirrane fit passer à l'aile gauche la légion immortelle, et quelques autres troupes, de quoi Bélisaire et Ermogène s'étant aperçus, ils firent aussi passer à l'aile droite Sunicas et Augan avec six cents hommes. Simas et Alain y étaient dès auparavant. On plaça encore derrière eux une grande partie des troupes de Bélisaire. Les troupes qui étaient à l'aile gauche, sous la conduite de Baresmane, attaquèrent les Romains qui étaient vis à vis d'eux, et qui ne pouvant soutenir un si grand choc, prirent la fuite. Alors ceux qui avaient été placés au coin du fossé et derrière, fondirent avec furie sur les Perses, les rompirent, et en poussèrent la plus grande partie au côté droit, et le reste au côté gauche, où se trouva l'enseigne de Baresmane, qui fut tué d'un coup de lance par Sunicas. Lorsque les Perses, qui étaient les premiers à poursuivre les fuyards, reconnurent le danger, ils abandonnèrent la poursuite, pour venir au secours de leurs compagnons; mais ils se trouvèrent eux-mêmes attaqués de deux côtés, parce que les fuyards revinrent à la charge. La légion immortelle, et d'autres troupes des Perses ayant vu l'enseigne par terre, y accoururent avec Baresmane. 5. Les Romains vinrent au devant d'eux, et entre les autres Sunicas, qui porta un coup à Baresmane, dont il tomba de cheval, et mourut. Les Barbares abattus d'un si fâcheux accident, perdirent courage, et prirent honteusement la fuite. Les Romains les entourèrent et en tuèrent jusqu'à cinq mille. Les deux armées changèrent entièrement de place, l'une en se retirant, et l'autre en la poursuivant. Dans cette déroute, la plupart de l'infanterie des Perses jetèrent leurs boucliers, et ne gardant plus d'ordre furent misérablement assommés. Les Romains ne poursuivirent pas fort loin les vaincus. Ils en furent empêchés par Bélisaire, et par Ermogène, qui appréhendèrent que les Perses, pressés par la nécessité ne retournassent à la charge contre ceux qui les pousseraient témérairement. Ils se contentèrent de conserver la victoire qu'ils avaient remportée, en demeurant maîtres du champ de bataille. Ce fut ainsi que se séparèrent les deux partis, Les Perses n'osèrent plus livrer de combat. Il n'y eut depuis que de légères escarmouches, où les Romains n'eurent point de désavantage. Voilà tous les exploits qui se firent dans la Mésopotamie. [1,15] CHAPITRE XV. 1. CAVADE envoya dans la partie de l'Arménie qui relève des Romains une autre armée composée de Persarméniens, et de Sunites, qui sont voisins des Alains. Trois mille Huns appellés Sabeiriens, qui sont des peuples fort belliqueux, se joignirent à eux. Mermeroez, Perse de Nation, qui commandait toutes ces troupes, s'étant campé à trois journées de Théodosiopolis, se préparait à attaquer les ennemis. Dorothée, qui était fort prudent, et fort expérimenté dans la guerre, avait alors le gouvernement de l'Arménie. Sitta y commandait les troupes. Il avait commandé autrefois celles de Constantinople. A la première nouvelle que ces chefs apprirent de l'arrivée des ennemis dans la Persarménie, ils choisirent deux soldats des gardes pour en aller reconnaître au vrai, le nombre et les forces. Ces deux soldats s'étaient glissés adroitement dans le camp des Barbares, et après y avoir tout considéré très exactement, ils se retiraient, lorsqu'ils furent rencontrés par les Huns. L'un d'eux, nommé Dagaris fut pris et chargé de chaînes. L'autre s'échappa, et rapporta fidèlement tout ce qu'il avait remarqué. 2. Les généraux commandèrent à l'instant aux soldats de prendre les armes, et de courir vers le camp des ennemis. Les Barbares, surpris d'une irruption si soudaine, n'osèrent se mettre en défense, et ne songèrent qu'à s'enfuir. Les Romains s'en retournèrent, après en avoir tué un grand nombre, et avoir pillé le camp. Mermeroez ayant ensuite amassé toutes ses troupes, entra dans le pays des Romains, qu'il trouva campés dans le territoire d'Octabe à cinquante-six stades d'une petite ville nommée Satala, qui est assise dans une plaine toute entourée de collines. Sitta s'alla mettre en embuscade derrière une de ces collines, avec mille hommes, et ordonna à Dorothée de se tenir dans la ville, à cause que n'ayant que quinze mille combattants, ils n'osaient paraître à la campagne, où les ennemis étaient au nombre de trente mille. Le lendemain, comme les Barbares étaient déjà proche des murailles, et qu'ils commençaient à les investir, ils virent les Romains qui descendaient d'une hauteur, et qui venaient droit à eux. La poussière qui couvrait l'air, leur fit voir le nombre plus grand qu'il n'était, et les obligea de quitter le siège, et de serrer leurs rangs. Cependant les Romains arrivent, et s'étant séparés en deux bandes, attaquent vigoureusement les Barbares. Ceux de la ville surviennent au même moment, les chargent avec vigueur, et les contraignent de lâcher le pied. Il est vrai néanmoins, que comme ils avaient l'avantage du nombre, leur déroute ne fut pas telle, qu'ils ne fissent toujours quelque résistance, et qu'ils ne disputassent la victoire. Comme ils étaient tous à cheval, ils faisaient de fréquentes courses, et revenaient souvent à la charge les uns sur les autres. Un capitaine, nommé Florentius, qui était de Thrace, se signala en cette occasion ; car s'étant jeté au milieu des ennemis, il renversa leur enseigne, et comme il se voulait retirer, il fut taillé sur le champ en pièces. Ce fut lui cependant, qui par une action si hardie, donna la victoire aux Romains. En effet, quand les Barbares ne virent plus leur étendard, ils furent saisis d'un tel étonnement, qu'ils se retirèrent en désordre, et avec perte considérable. Le lendemain ils partirent pour s'en retourner dans leur pays. Les Romains ne les poursuivirent pas. Ils crurent que ce leur était assez de gloire de leur avoir fait fournir sur leurs terres, les maux dont j'ai parlé ci-devant, et de les avoir encore obligés, en cette rencontre, d'abandonner le siège qu'ils voulaient faire. Les Romains tenaient alors dans la Persarménie deux forts, Bolon et Pharangion, qui avaient autrefois appartenu aux Perses, et dont ils avaient tiré de l'or, qu'ils portaient à leur Roi. Les Tzanieus, anciens habitants d'un petit pays renfermé dans les limites de l'Empire romain, perdirent un peu auparavant la liberté. Voici comment la chose arriva. 3. Lorsqu'on va d'Arménie en Persarménie, l'on a au côté droit le Mont Taurus, qui s'étend jusqu'en Ibérie, et en d'autres pays voisins. Il y a au côté gauche un long chemin, dont la pente est douce, et de hautes montagnes qui sont couvertes de neiges en toute saisons. C'est de ces montgnes que le Phaze a sa source, et d'où il va arroser la Colchide. Ce pays a été de tout temps habité par les Tzaniens, appelés autrefois Saniens ; peuple barbare, et qui ne dépendait de personne. Comme leur terre était stérile, et leur manière de vivre sauvage, ils ne subsistaient que de ce qu'ils pillaient dans l'Empire. L'Empereur leur donnait chaque année une certaine somme d'argent afin d'arrêter leurs courses ; mais se souciant fort peu de leurs serments, ils ne laissaient pas de venir jusqu'à la mer, et de voler des Arméniens et des Romains. Il faisaient de promptes et de soudaines irruptions, et se retiraient aussitôt dans leur pays. Quand ils étaient rencontrés à la campagne, ils couraient risque d'être battus ; mais l'assiette des lieux était telle, qu'ils ne pouvaient être pris. Sitta les ayant autrefois défaits par les armes, acheva de les conquérir par ses caresses. Ils ont depuis adouci la rudesse de leurs mœurs, en s'enrôlant parmi les Romains, et en les servant dans les guerres. Ils ont aussi embrassé la religion chrétienne. Voilà ce que j'avais à dire à leur égard. Quand on a passé la frontière de ces peuples, on trouve une vallée fort profonde, et pleine de précipices, laquelle s'étend jusqu'au Mont Caucase. Elle est extrêmement peuplée, et elle produit des vignes, et des arbres fruitiers en grande abondance. Il y a un espace d'environ trois journées de chemin qui relève des Romains. Le reste fait partie des frontières des Persarméniens. C'est là qu'il y a des mines d'or, dont Cavade avait donné la direction à un homme du pays nommé Siméon. 4. Comme il vit que la guerre s'échauffait entre les Romains et les Perses, il prit résolution de frustrer le Roi du tribut qu'il lui devait de ces mines. Il passa donc dans le parti des Romains, et leur livra le fort de Pharangion ; mais à la charge qu'il ne leur donnerait rien de l'or qu'il en avait. Ils consentirent volontiers à cette condition, et furent assez contents d'ôter à leurs ennemis un revenu si considérable. Pour les Perses, ils n'étaient pas en état de forcer les habitants, à cause de l'assiette du pays. 5. Ce fut en ce temps-là, que Narsez et Aratius, qui, comme je l'ai rapporté, avaient autrefois donné bataille à Bélisaire et à Sitta dans la Persarménie, passèrent volontairement avec leur mère dans le parti des Romains. Narsez qui était aussi Persarménien, et surintendant des Finances, leur fit un accueil fort favorable, et des présents fort magnifiques. Leur jeune frère, nommé Isac, n'eut pas plutôt appris les avantages, qu'ils avaient tirés de ce changement, qu'il conféra secrètement avec les Romains, leur livra le port de Bolon assis dans le territoire de Théodosiopolis, et s'en alla ensuite à Constantinople. [1,16] CHAPITRE XVI. 1. VOILA l'état où étaient les affaires des Romains. Pour ce qui est des Perses, bien qu'ils eussent été vaincus, ils n'étaient pas résolus de se retirer, jusqu'à ce que Rufiin alla trouver Cavade, et lui parla de cette sorte : Le Roi votre frère m'a commandé de vous venir faire une plainte très juste et très raisonnable, de ce que les Perses sont entrés sans sujet sur les terres des Romains. Il est bien plus séant à un Prince aussi puissant et aussi sage que vous, d'apaiser la guerre, que de troubler la paix, et de remplir son état et celui de ses voisins de confusion et de désordre. C'est par le désir et par l'espérance de terminer les différends qui troublent les deux empires, et de les remettre en repos que je suis venu ici. Voila ce que dit Rufin. Cavade lui répondit en ces termes : 2. Fils de Silvain, je ne daigne pas répondre à vos plaintes, étant aussi assuré que je le suis, que ce sont les Romains qui sont cause de tout le mal. Si nous sommes en possession des portes Caspiennes, c'est pour le bien commun des deux nations. Nous en avons chassé les Barbares. L'Empereur Anastase refusa de les acheter, lorsque l'on offrit de les lui vendre, parce qu'il ne voulait pas faire la dépense d'y entretenir une garnison. J'y ai mis force gens de guerre. Je les y ai fait subsister, je vous ai donné le moyen de cultiver vos terres, et de jouir de vos biens en assurance. De vôtre côté, en reconnaissance de tout cela, vous avez fortifié la ville de Dara contre les termes du traité que nous avions fait avec Anastase. Depuis ce temps là nous avons été obligés de faire des frais extraordinaires, et d'endurer des fatigues incroyables, pour entretenir deux armées, dont l'une était occupée à empêcher les Massagètes de ravager impunément vos terres et les nôtres et l'autre à s'opposer à vos courses. Il n'y a pas longtemps que nous nous plaignîmes à vous de ces injustices, et que nous vous demandâmes ou que vous fournissiez la moitié des frais nécessaires pour la subsistance des troupes qui gardent les portes Caspiennes, ou que vous abattissiez les fortifications de Dara. Vous avez, rejeté ces deux propositions, et vous avez ajouté de nouvelles injures aux anciennes marques de votre mauvaise volonté. Car vous ne croyez pas que nous ayons oublié les fortifications de Mindone. Il dépend maintenant de votre choix d'avoir la paix ou la guerre, en nous faisant justice, ou en nous la refusant. Vous pouvez, vous assurer que nous ne mettrons point les armes bas, que vous ne vous soyez joints à nous pour garder les portes Caspiennes, et que vous n'ayez démoli les murailles, et les tours de Dara. 3. Voila ce que Cavade dit à l'ambassadeur. En le renvoyant, il lui fit entendre couvertement, qu'il souhaitait que les Romains achetassent de lui la paix. Ce qu'il ne manqua pas de rapporter fidèlement à l'Empereur, lorsqu'il fut retourné à Constantinople, où Ermogène arriva bientôt après lui. La fin de l'hiver fut aussi la fin de la quatrième année du règne de Justinien. [1,17] CHAPITRE XVII. 1. QUINZE mille hommes de cavalerie persienne commandés par Azaréthez, et un renfort de Sarrasins conduits par Alamondare, entrèrent au commencement du printemps sur les terres des Romains, non pas par la Mésopotamie, comme ils avaient accoutumé, mais par la Comagène, que nous appelons maintenant l'Euphratèse, par où nous n'avions jamais ouï dire qu'ils fussent venus auparavant. Je dirai ici d'où vient le nom de Mésopotamie, et ce qui fut cause que les Perses ne passèrent pas à travers, cette fois-là, pour venir dans l'Empire. 2. Il y a dans l'Arménie à quarante-deux stades de Théodosiopolis, du côté du Septentrion, une montagne qui n'est pas des plus raides, et qui produit deux sources, d'où sortent deux grands fleuves, l'Euphrate et le Tigre. Ce dernier, sans faire de longs détours, et sans s'enfler d'aucune eau étrangère, va droit à la ville d'Amide, et l'ayant arrosée, du côte du Septentrion, il se répand dans l'Assyrie. L'Euphrate coule d'abord proche de sa source, par des passages fort étroits. Puis il disparaît tout à coup, non pas en entrant sous terre ; mais d'une autre façon fort merveilleuse. Il forme sur sa surface, un limon qui a environ cinquante stades de long, et vingt de large. Et qui produit une grande quantité de roseaux, et le durcit de telle sorte, que ceux qui le voient le prennent pour terre ferme ; et y passent à pied et à cheval, sans aucune crainte. Il y a même plusieurs chariots qui le traversent chaque jour, et qui ne l'ébranlent nullement. On a accoutumé de brûler tous les ans les roseaux, de peur qu'ils n'embarrassent le chemin. Comme on y avait mis une fois le feu, le vent un peu plus grand que d'ordinaire, porta la flamme jusqu'à la racine. Ce qui fut cause qu'il parut un peu d'humidité à un endroit: mais le limon y reprit bientôt après sa dureté, et rendit au lieu sa première face. 3. De là, l'Euphrate passe dans un pays appelé l'Acilisène où est le temple de Diane la Taurique, et d'où l'on dit que quand Iphigénie s'enfuît avec Oreste, et Pylade, elle emporta l'image de cette déesse. Il y a un temple dans la ville de Comane, qui n'est pas le même que celui de la Taurique. J'expliquerai la vérité de la chose. On dit qu'Oreste s'enfuyant de la Taurique, avec sa sœur, fut attaqué d'une fâcheuse maladie, sur quoi l'Oracle ayant été consulte, il répondit, qu'il ne serait point soulagé, qu'il n'eût bâti un temple à Diane dans un lieu, dont la situation fut semblable à celle de la Taurique, qu'il n'eût coupé en ce lieu-là ses cheveux, et qu'il n'y eût donné un nom qui conservât à la postérité la mémoire de cette action. Comme il parcourait les pays des environs, il alla au Pont, où ayant vu une montagne fort droite et fort escarpée ; il crut que c'était le lieu que l'Oracle lui avait désigné. Il y bâtit un temple et une ville, qu'il appela Comane, c'est à dire, chevelue, à cause de ses cheveux qu'il avait coupés. Mais comme, après tout cela, son mal s'aigrissait au lieu de s'adoucir, il jugea qu'il n'avait pas satisfait à l'Oracle, et continuant à parcourir le pays, il trouva dans la Cappadoce, un endroit tout-à-fait semblable à celui de la Taurique. Je l'ai plusieurs fois considéré avec un extrême étonnement, et je m'imaginais être dans la Taurique, à force de le considérer. Il y a une montagne toute semblable au Mont Taurus, et un fleuve nommé Sauras, qui est tout pareil à l'Euphrate. Oreste bâtit en ce lieu-là une très belle ville, et y éleva deux temples, l'un en l'honneur de Diane, et l'autre en mémoire de sa soeur Iphigénie. Ce sont maintenant deux églises de Chrétiens qui les ont consacrées, sans changer le dessein, ni l'ordre du bâtiment. La ville s'appelle encore présentement Comane, à cause de la chevelure d'Oreste, qui fut guéri aussitôt qu'il l'eut coupée. Quelques-uns disent, que sa maladie fut une fureur où il tomba après avoir tué sa mère. Il est temps que je retourne à mon sujet. Quand l'Euphrate a arrosé là partie de l'Arménie qui est habitée par les Tauriens, l'Acilisène, et une vaste étendue de pays, et que s'étant enflé des eaux de divers fleuves qu'il reçoit, et surtout, de celles de l'Arsine, il passe dans la Leucosyrie appelée maintenant l'Arménie mineure, dont la capitale est la ville de Militène, ensuite, il va à Samosate et à Jérapolis, et il baigne toutes les terres voisines jusqu'en Syrie, où il se joint au Tigre, dont il prend le nom. 4. Tout ce qui s'étend depuis Samosate jusqu'à l'Euphrate, a été appelé par les anciens, Comagène; et maintenant il est appelé Euphratèse du nom de cette rivière. Le pays qui est entre les deux fleuves, est appelé Mésopotamie. Mais outre ce nom général, il y a encore des noms différents, qu'on a donnés à chacune de ses parties. Quelques-uns comprennent sous le nom d'Arménie, toute la région qui s'étend jusqu'à la ville d'Amide. Edesse, et le pays d'alentour, a été nommé Osroëne, du nom d'Osroez, qui y commandait au temps que cette ville était dans l'alliance des Perses. Depuis que ces peuples ont pris Nisibe sur les Romains, et plusieurs autres villes de la Mésopotamie, ils ne leur ont plus fait la guerre, sans mener par-là leurs armées, a cause que le pays est fort bon, et fort proche des ennemis, au lieu que celui de l'Euphrate, par où ils venaient autrefois, est presque inhabité pour son extrême sécheresse. 5. Lorsque le Mirrane fut retourné en Perse, et qu'il y eut ramené le peu de troupes qu'il avait sauvées de sa défaite; il fut sévèrement puni par Cavade, et privé du cordon garni d'or, et de pierreries, qui sert à nouer les cheveux, et qui est une marque d'honneur, qui n'appartient qu'à ceux à qui il plait au Roi de l'accorder : n'étant point libre de la porter sans sa permission, non plus que l'anneau d'or, la ceinture, l'agrafe, et d'autres ornements semblables. Cependant le mauvais succès que les armes de ce Prince avaient eu sous la conduite du Mirrane, ne l'empêchaient pas de songer aux moyens de continuer la guerre. Comme il avait l'esprit travaillé de cette inquiétude, Alamondare Roi des Sarrasins le vint trouver, et lui dit : 6. Seigneur, il ne se faut se fier à la fortune, ni se persuader que tous les événement de la guerre soient heureux. Ce sentiment ne serait conforme ni à la raison, ni à la condition des choses humaines, et il serait fort préjudiciable à ceux qui en seraient prévenus ; parce qu'il n'y a point de douleur si sensible, que celle de se voir trompé dans ses espérances. C'est pour ce sujet que les hommes ne s'abandonnent jamais entièrement aux dangers, et que dans le temps même qu'ils promettent hautement de défaire leurs ennemis par les armes ; ils emploient l'artifice et les stratagèmes pour les tromper. Quiconque peut craindre quelqu'un, ne doit point s'assurer absolument de la victoire. Ne vous affligez donc pas si fort de la perte que le Marrane a soufferte, et ne vous exposez pas davantage aux hasards. Jamais il n'y a eu de si bonnes fortifications, ni de si puissantes garnisons dans les villes, et dans les châteaux de la Mésopotamie, qu'il y en a maintenant, de sorte que nous ne saurions attaquer les Romains de ce coté-là sans nous jeter dans un péril tout évident. Au contraire, il n'y a point de places fortes, ni de garnisons dans la Syrie, ni dans le pays qui est au delà de l'Euphrate. J'ai pris un soin très particulier de m'en informer, par le moyen des Sarrasins, que j'ai souvent envoyés pour découvrir l'état des choses, qui m'ont rapporté, qu'Antioche, qui par sa grandeur, par ses richesses, emporte nombre de ses habitants, est la ville la plus considérable que les Romains possèdent dans l'Orient, est dépourvue de soldats, et que l'unique occupation des citoyens est de faire des assemblées de débauche, et de chercher les divertissements du théâtre. Si nous l'attaquons à l'improviste nous l'emporterons infailliblement, et nous serons revenus dans la Perse, avant que les ennemis qui sont dans la Mésopotamie, en aient reçu la nouvelle. N'appréhendez point la disette d'eau, ni de vivres. J'aurai soin de mener les troupes par un chemin, que je suis assuré qu'on trouvera très commode. 7. Cavade n'eut point de sujet de rejeter cette proposition, ni de l'avoir pour suspecte, parce qu'Alamondare qui la faisait, était homme prudent, expérimenté en ce qui regarde la guerre, affectionné aux Perses, et qui ayant été aux prises avec les Romains l'espace de cinquante ans, les avait incommodés par des courses continuelles. Il fourrageait leurs terres depuis l'extrémité de l'Égypte, jusqu'à la Mésopotamie. Il brûlait les maisons, enlevait les hommes, tuait une partie des prisonniers, et tirait rançon des autres. Il ne rencontrait guère de troupes ennemies, parce qu'il était toujours bien informé de l'état des lieux ou il allait, et qu'il exécutait ses entreprises avec une telle promptitude, qu'il était revenu chargé de butin, avant que les ennemis fussent assemblés pour lui résister, ou avant même qu'ils eussent avis de sa marche. Que s'ils le rencontraient quelquefois, il fondait sur eux, sans leur donner le loisir de se reconnaître. Il prit un jour tous ceux qui le poursuivaient, tant les soldats, que les chefs, savoir, Démostrate frère de Rufin, et Jean fils de Lucas, qui lui payèrent rançon. Enfin, ce fut l'ennemi le plus incommode que les Romains eussent sur les bras : ce qui procédait de ce qu'exerçant une souveraine autorité sur les Sarrasins qui demeuraient dans la Perse, il faisait irruption de tous côté dans nos terres, et de ce qu'il n'y avait personne qui pût s'y opposer, soit parmi ceux qui commandaient les Romains, et que l'on appelle Ducs, ou parmi ceux qui conduisaient les Sarrasins, et que l'on nomme Phylarques. Justinien avait pour cette raison donné à Arétas fils de Gabalas, plusieurs tribus de Sarrasins à gouverner, avec la qualité et le pouvoir de Roi. Cela n'empêchait pas néanmoins qu'Alamondare ne remportât de l'avantage en toutes sortes de rencontres, soit qu'Alétas trahît les intérêts des Romains, ou qu'il eut seulement du malheur ; car on n'est pas encore éclairci de la vérité de ce fait. Ce qui est très certain, c'est qu'Alamondare vécut jusqu'à une extrême vieillesse, et qu'il ravagea fort longtemps tout l'Orient. [1,18] CHAPITRE XVIII. 1. CAVADE ayant approuvé la proposition d'Alamondare, lui commanda de montrer le chemin à une armée de quinze mille soldats, dont il donna la conduite à Azaréthes excellent homme de guerre. Ils passèrent l'Euphrate à l'endroit de l'Assyrie, et après avoir traversé un pays désert et inhabité, ils firent soudain irruption dans la Comagène. Ce fut la première fois que les Perses entrèrent par ce côté-là sur nos terres. 2. L'épouvante fut d'abord extrême, Bélisaire ne sachant que faire ; mais il se résolut après d'aller au devant de l'ennemi. Il mit des garnisons dans les places, de peur que Cavade ne vint avec une autre armée, et ne trouvât la Mésopotamie hors d'état de se défendre. Il marcha ensuite à la tête de vingt mille combattants, parmi lesquels il y avait au moins deux mille Isauriens. La cavalerie était conduite par les mêmes chefs, qui avaient combattu proche de Dara contre le Mirrane ; l'infanterie par Pierre, écuyer de Justinien : les Isauriens par Longin ; et par Stephanace. Arétas y était aussi avec les Sarrasins. Quand ils furent arrivés à la ville de Chalcide, ils s'y arrêtèrent, sur l'avis qu'ils reçurent que l'ennemi n'était éloigné que de quatre-vingt dix stades. Alors, Alamondare et Azaréthes, étonnés de la grandeur du danger, s'en retournèrent au lieu d'avancer. Ils se retirèrent le long de l'Euphrate, qu'ils avaient à la gauche. L'armée romaine les suivait, et campait chaque nuit au même endroit où les Perses avaient campé la nuit précédente. Ce que Bélisaire faisait à dessein, ne voulant pas permettre que ses gens fissent de plus grandes journées, afin de n'en point venir aux mains. Il se contentait que les Perses s'en allassent, sans avoir rien fait. Tout le monde en murmurait : les chefs et les soldats, mais personne n'osa l'en blâmer en sa présence. 3. Les Perses, après plusieurs journées, campèrent enfin sur le bord de l'Euphrate, vis-à-vis de la ville de Callinique, où ils devaient quitter le cours de ce fleuve, en sortant des terres de l'Empire, et traverser un pays désert, et destitué d'habitants. Les Romains qui avaient passé la nuit dans la ville de Sura, arrivèrent à l'heure même que les Perses étaient pressés de partir. C'était la veille de Pâques, la plus solennelle de toutes les fêtes des Chrétiens, à laquelle ils le préparent par un jeûne qui dure tout le jour. 4. Bélisaire voyant que ses soldats brûlaient d'impatience de combattre, les assembla par l'avis d'Ermogène, qui était arrivé depuis peu, et leur parla de la sorte : 5. Où vous précipitez-vous, et pourquoi vous jetez-vous sans nécessité dans le danger ? tout le monde demeure d'accord que la plus entière de toutes les victoires est de ne souffrir aucune perte. C'est l'avantage que nous venons de recevoir de notre bonne fortune, et de la crainte qui a saisi nos ennemis. Il vaut bien mieux, nous en contenter, que d'en chercher de nouveaux. Les Perses étaient venus tous remplis d'espérances contre nous. Les voilà qui s'en en trouvent frustrés, et qui se retirent. Si nous les contraignons de revenir, nous ne gagnerons rien, en gagnant la bataille, parce que nous ne ferons que chasser des gens qui sont déjà en déroute. Si nous la perdons, on nous accusera d'avoir négligé nos avantages, et d'avoir livré la victoire aux ennemis. Ajoutez à toutes ces raisons, que les terres de l'Empire demeureront exposées à la discrétion du vainqueur. Je vous prie aussi de considérer, que Dieu n'a pas accoutumé de délivrer du danger ceux, qui s'y sont jetés eux mêmes par imprudence, mais seulement ceux, qui s'y sont engagés par nécessité. De plus, le désespoir où les ennemis seraient réduits les obligerait d'agir en gens de coeur, et ils nous trouveraient affaiblis par la fatigue du chemin, et par l'abstinence du jeûne. Outre que nous entendons encore une partie de nos troupes. L'armée, alors ne murmura pas seulement, mais elle déclama tout haut contre lui, et l'accusa de lâcheté, et d'abattre le courage des gens de guerre. Outre les soldats, il y avait même des capitaines, qui par une vaine ostentation de valeur, lui faisaient ces sanglants reproches. Bélisaire étonné de leur impudence, changea de langage, et faisant mine de les exhorter au combat, il dit, que bien qu'il n'eût point douté de leur valeur, il la reconnaissait néanmoins mieux que jamais, et qu'il en marcherait avec plus d'ardeur contre l'ennemi. Il rangea donc son armée de cette sorte. Il mit l'infanterie à l'aile gauche, du côté de la rivière : il mit Arétas avec les Sarrasins, à l'aile droite, où le terrain avait un peu de penchant, et il se plaça avec la cavalerie dans le milieu. 6. Quand Azaréthes vit l'armée romaine rangée en cet ordre, il parla à la sienne en ces termes : Personne ne dira, qu'étant Perses, comme vous êtes, vous voulussiez préférer la vie à l'honneur. Je dirai de plus, que quand vous le voudriez, il ne serait pas en votre pouvoir. Ceux qui ont la liberté d'éviter le danger, et de vivre dans l'infamie, peuvent, s'ils veulent, quitter le plus honnête, pour prendre le plus agréable; mais ceux qui sont réduits à la nécessité inévitable de mourir, ou dans le combat avec gloire, ou après leur défaite avec honte, seraient insensés, s'ils choisissaient une mort infâme, plutôt qu'une mort glorieuse. La chose étant ainsi, j'estime que vous ne devez pas tant penser, durant la bataille, à la valeur des ennemis, qu'au jugement que le Roi fera de votre conduite. 7. Azaréthes ayant harangué ainsi son armée, la rangea en bataille, et plaça les Perses à la droite, et les Sarrasins à la gauche. 8. L'on en vint aux mains à l'heure même et le combat fut furieux de côté et d'autre. Quelques-uns s'étant avancés dans l'espace qui était resté vide entre les deux armées y donnèrent d'illustres preuves de leur courage. Les flèches tuèrent plus de Perses que de Romains. Car bien que les Perses, qui tirent mieux de l'arc, que nul autre peuple, tirassent une plus grande quantité de traits que leurs ennemis, néanmoins c'était si faiblement, que quand ils tombaient sur les casques, sur les cuirasses, ou sur les boucliers ils n'avaient plus du tout de force. Les Romains au contraire tiraient moins souvent, mais avec plus de vigueur : et ne portaient presque point de coups sans faire des blessures mortelles. Les deux tiers du jour étaient déjà écoulés, et la victoire était encore douteuse, lorsque les plus braves hommes des Perses fondirent avec furie sur l'aile gauche où étaient les Sarrasins, qui plièrent si honteusement, qu'ils se firent soupçonner de trahison. Leur retraite mit la déroute dans toute l'armée. En même temps les Perses poursuivirent vivement la cavalerie romaine, qui lassée du travail du chemin, et de la fatigue de la bataille, et de l'abstinence, et pressée de tous côtés par l'ennemi se trouva hors d'état de résister. Quelques-uns se sauvèrent dans des îles voisines : d'autres tinrent ferme, et se signalèrent par des actions toutes extraordinaires. Aséan entre autres tua de sa propre main la fleur de la jeunesse des Perses, par qui il fut enfin haché en pièces, laissant une haute estime de la valeur dans l'esprit même de ses ennemis. Il mourut avec huit cents des plus braves hommes. Les Isauriens y périrent aussi avec leurs chefs, mais sans s'être seulement présentés au combat. Comme ils avaient été tirés de l'agriculture pour être menés à la guerre, le défaut d'expérience les rendait incapables de toutes sortes d'exercices. C'étaient néanmoins ceux-là qui témoignaient un peu auparavant une ardeur si extraordinaire de combattre, et qui accusaient Bélisaire de lâcheté. La vérité est que tous n'étaient pas Isauriens, mais qu'il y avait quelques Lycaoniens avec eux. 9. Bélisaire combattit toujours tant qu'il vit qu'Ascan résistait: mais quand il fut tué, qu'une partie de ses gens fut demeurée sur la place, et l'autre mise en fuite, il se retira aussi, et alla joindre un parti d'infanterie qui tenait encore ferme. Il descendit de cheval pour combattre à pied, et en fit pareillement descendre ceux qui l'avaient suivi. Les Perses qui couraient après les fuyards cessèrent d'y courir afin de fondre avec toutes leurs forces sur Bélisaire. Tout ce qu'il put faire, ce fut de tourner le dos à la rivière de peur d'être enveloppés. Le combat fut extrêmement opiniâtre; mais les forces n'étaient pas égales. Ce n'était qu'une poignée de gens de pied qui combattaient contre toute la cavalerie des Perses. Cependant cette poignée de gens ne put être mise en fuite, ni être forcée. Ils étaient tellement serrés, et tenaient leurs boucliers si bien joints, qu'ils faisaient plus de mal, qu'ils n'en recevaient. Les ennemis poussèrent plusieurs fois contre eux leurs chevaux afin de les rompre, mais leurs efforts furent inutiles. Les chevaux effarouchés par le bruit des boucliers se cabraient, et emportaient les hommes hors de combat. Tout le jour se passa de cette sorte. La nuit sépara les combattants. Les Perses retournèrent dans leur camp. Bélisaire ayant trouvé un vaisseau y entra, et passa dans l'île où les autres troupes romaines s'étaient déjà retirées après leur défaite. Le lendemain elles arrivèrent à la ville de Callinique dans des vaisseaux marchands qui leur furent envoyés exprès. Les Perses se retirèrent en leur pays après avoir dépouillé les morts; parmi lesquels ils en trouvèrent un aussi grand nombre de leur parti, que de celui des Romains. 10. Bien qu'Arazèthes eut remporté l'avantage, il ne laissa pas néanmoins d'encourir l'indignation de Cavade lorsqu'il fut de retour en Perse. En voici le sujet. 11. C'est une coutume parmi les Perses, qui veut, quand on est sur le point de commencer une guerre, que le Roi s'assied sur son trône, et regarde passer l'armée. Celui qui la doit commander se tient debout. Chaque soldat jette une flèche dans de grandes corbeilles faites exprès, et qui sont ensuite cachetées avec le sceau de l'Empire. Quand les troupes sont de retour les soldats reprennent chacun une flèche. Ceux à qui cette fonction appartient, comptent combien il en reste et le vont rapporter au Roi. L'on reconnaît par ce moyen combien on a perdu de soldats. Voilà l'ancien usage des Perses. Quand Azaréthes fut de retour Cavade lui demanda quelle ville il avait prise, après lui avoir promis en partant avec Alamondare, de le rendre maître d'Antioche ; Azarèthes répondit qu'il n'avait point pris de ville ; mais qu'il avait gagné une bataille. Cavade commanda que l'on fît la revue de l'armée, et que chaque soldat reprît une flèche selon la coutume; et comme il en resta un grand nombre le Roi lui reprocha sa victoire, et ne lui fit depuis aucun honneur. Voilà tout le fruit qu'il en reçu. [1,19] CHAPITRE XIX. 1. CE fut en ce temps-là, que Justinien se résolut de faire ligue avec les Éthiopiens et les Omérites contre les Perses. Il est à propos que je décrive en cet endroit le pays que ces peuples habitent, et que j'explique les avantages que l'Empereur espérait tirer de leur alliance. 2. La Palestine est bornée du côté de l'Orient par la mer rouge, qui s'étend depuis les Indes jusqu'aux frontières de l'Empire Romain. Sur un de les bords est bâtie une ville nommé Aila à l'endroit où la mer s'étrécissant fait un détroit dans lequel ceux qui naviguent ont à leur droite les montagnes de l'Égypte du côte du midi, et à leur gauche une vaste solitude du côté du septentrion. On ne perd point la terre de vue sur cette mer, jusqu'à ce qu'on soit arrivé à l'île locale distante de mille stades de la ville d'Aila. Cette île est habitée par des Hébreux qui avaient conservé leur liberté par le passé, et qui n'ont été assujettis, que depuis le règne de Justinien. Mais quand on est plus avant, on ne voit plus de terre à la main droite : bien que l'on prenne terre à la gauche toutes les nuits, à cause que les bancs de sable y rendent la navigation trop dangereuse dans l'obscurité. Il y a plusieurs ports qui n'ont point été faits par la main des hommes, mais par celles de la nature, et il est aisé d'y entrer toutes les fois que l'on le désire. 3. Lorsque l'on a passé les frontières de la Palestine, l'on trouve la nation des Sarrasins, qui habitent depuis longtemps un pays planté de palmiers, et où il ne croît point d'autres arbres. Abocarabe, qui en était le maître, en a fait don à Justinien, de qui en récompense il a reçu le gouvernement des Sarrasins de la Palestine: où il s'est rendu si formidable, qu'il a toujours arrêté les courses des troupes étrangères. Aujourd'hui l'Empereur n'est maître que de nom de ce pays qui est planté de palmiers, et il n'en jouit pas en effet : tout le milieu qui contient environ dix journées de chemin étant entièrement inhabité à cause de la sécheresse, et il n'a rien de considérable que ce vain titre de donation, faite par Abocarabe, et acceptée par Justinien. Voilà ce que j'avais à dire de cet endroit-là. 4. Immédiatement après habitent les Sarrasins appelés Maadèens sujets des Omérites, qui demeurent tout proche le long du rivage. Ensuite de ceux-ci l'on dit qu'il y a encore diverses nations jusqu'aux Sarrasins surnommés Anthropophages. Après ceux-ci sont les Indiens ; mais que chacun discoure de tous ces peuples comme il le trouvera à propos. 5. Les Éthiopiens habitent vis-à-vis des Omérites de l'autre côté de la mer. On les appelle Auxonites, du nom de la principale de leurs villes. Le trajet qui les sépare peut être traversé, quand le vent est bon, en cinq jours et cinq nuits ; car comme il n y a point d'écueils en cet endroit, on y peut aller la nuit. Quelques-uns appellent cette mer, la mer rouge. Tout ce qui est compris depuis cet endroit-là jusqu'au bord et jusqu'à la ville d'Aila, est appelé le golfe Arabique, a cause qu'autrefois on avait donné le nom d'Arabie à tout le pays qui s'étend jusqu'au territoire de la ville de Gaza, lequel relevait alors du Roi d'Arabie. 6. Le port des Omérites d'où l'on fait voile pour l'Ethiope est appelé Bolicas, et celui où l'on prend terre en Éthiopie, est appelé le port des Adulites, et il est à vingt stades de la ville d'Adulis, qui est à douze journées de celle des Auxonites. 7. Les navires de cette mer, et de la mer des Indes sont d'une fabrique tout-à-fait différente de celle des autres. Ils ne sont point enduits de poix, ni d'aucune autre semblable matière. Les planches, au lieu d'être clouées, ne font attachées qu'avec des noeuds. La raison n'en est pas, comme plusieurs croient, qu'il y ait des pierres d'aimant qui attirent le fer : car les vaisseaux des Romains, où il y a beaucoup de fer, voguent comme les autres sur cette mer. Mais c'est que les Indiens, et les Éthiopiens n'ont point de fer, et que par les lois romaines il est défendu sous peine de la vie de leur en porter. Voilà ce que j'avais à dire de la mer rouge, et des rivages voisins. Depuis la ville des Auxonites jusqu'aux frontières de l'Empire romain dans l'Égypte, il y a pour trente jours de chemin à un homme de pied. 8. Ce pays-là est habité par divers peuples, par les Blémyens et par les Nobates, qui font des nations fort nombreuses. Les Blémyens demeurent dans le milieu du pays, et les Nobates sur le bord du Nil. Les bornes de l'Empire n'étaient pas autrefois où elles sont maintenant. Elles sont plus éloignées de l'espace de sept journées de chemin. L'Empereur Dioclétien étant sur les lieux, et considérant que l'épargne en tirait peu de revenu, à cause que les rochers qui bordent le Nil, s'étendent bien avant dans la campagne, et ne laissent presque point de terres à cultiver, qu'il fallait faire de grandes dépenses pour y entretenir des garnirons ; et que de plus les Nobates qui habitent aux environs de la ville d'Oasis, avaient accoutumé d'enlever tout ce qu'ils y trouvaient : Pour toutes ces raisons, dis-je, il persuada à ces Barbares de quitter leurs pays et d'en aller habiter un meilleur, qu'il leur promettait proche du Nil. Il espérait exempter par ce moyen de pillage les terres voisines de la ville d'Oasis, et de faire en sorte que ces peuples étant les propriétaires du pays le défendissent contre les incursions des Blémyens. Les Nobates acceptèrent volontiers ces conditions, et se mirent en possession des terres qui sont sur les deux bords du Nil dans le voisinage de la ville d'Eléphantine. Le même Empereur accorda aussi une pension à ces deux peuples, à la charge de ne plus exercer de brigandages contre les Romains. Mais quoi qu'ils reçoivent encore maintenant la pension, ils ne s'abstiennent pas de piller. C'est le naturel de tous les Barbares de ne pouvoir être retenus dans l'obéissance, si ce n'est par la crainte d'une garnison qui soit à leurs portes. 9. Dioclétien bâtit aussi un château dans une certaine île du Nil proche de la ville d'Éléphantine. Il y éleva un temple, et y dressa des autels pour être communs aux Romains, et aux Barbares, et pour être desservis par des prêtres tirés des deux nations; afin que la participation des mêmes prières, et des mêmes sacrifices, les unit par le lien d'une amitié sainte et inviolable. Ce fut pour cette raison qu'il imposa à ce lieu-là le nom de Philas, qui signifie amitié. 10. Ces deux peuples adorent les dieux des païens, et entre autre Isiris et Osiris et Priape. Les Blémyens sacrifient des hommes au Soleil. 11. Les Barbares ont possédé ce temple de Philas jusqu'à notre temps, que Justinien a trouvé à propos de l'abattre. Ce fut Narsez Persarménien, lequel j'ai dit ci-devant avoir embrassé le parti des Romains, qui lorsqu'il commandait en ce pays-là, le fit démolir par l'ordre de l'Empereur, qui mit les prêtres en prison, et qui envoya les idoles à Constantinople. Mais je vais reprendre la narration que j'avais commenée. [1,20] CHAPITRE XX. 1. PENDANT cette guerre Ellistée roi des Éthiopiens, qui avait mis grand zèle pour la religion chrétienne, dont il faisait profession, ayant appris que les Omérites habitants du continent qui est vis-à-vis de de son royaume, et qui étaient presque tous, ou Juifs, ou païens, c'est à dire, dans les erreurs, et les superstitions des Grecs, accablaient d'impôts les chrétiens qui vivaient parmi eux, équipa une flotte, y mena une armée, leur livra bataille, les défit, tua leur Roi, et en établit un autre en sa place, nommé Esimiphée, qui était Omérite de nation, et Chrétien de religion, à condition qu'il lui paierait un certain tribut par an. Il s'en retourna ensuite dans son royaume, où il ne fut pas suivi par les goujats, et par tout ce qu'il avait de gens accoutumés au brigandage, parce qu'ils aimèrent mieux demeurer dans le pays des Omérites, qui est excellent. 2. Les peuples se soulevèrent peu de temps après contre Esimiphée, l'enfermèrent dans une étroite prison, et créèrent en sa place un autre roi nommé Abraham, qui faisait aussi profession de la religion chrétienne. Celui-ci était esclave d'un Romain, qui s'était établi à Adulis ville d'Éthiopie, où il trafiquait par mer. 3.. Aussitôt qu'Ellistée eut appris cette nouvelle il leva une armée de trois mille hommes, qu'il envoya sous la conduite d'un de ses parents pour châtier l'injustice que ces rebelles avaient faite à Esimiphée. Mais les soldats charmés par la fertilité de la terre des Omérites, perdirent l'envie de retourner en leur pays, et ayant conféré secrètement avec Abraham, tuèrent leur commandant pendant le combat, et prirent parti dans les troupes des ennemis. Ellistée irrité d'une telle perfidie dépêcha contre eux une nouvelle armée, qui étant venue aux mains fut défaite, et obligée de se retirer. Le roi des Éthiopiens n'osa plus depuis faire la guerre à Abraham, qui après sa mort s'assura la possession paisible du royaume par un traité qu'il fit avec son successeur, auquel il s'obligea de payer un tribut. Mais ce traité ne fut passé que longtemps après. 4. Pendant qu'Ellistée possédait le royaume des Éthiopiens, et Esimiphée celui des Omérites, Justinien leur envoya un ambassadeur nommé Julien pour les prier de résister contre les Perses, en considération de la religion chrétienne, dont ils faisaient profession. Il proposa aussi aux Éthiopiens d'acheter la soie des Indiens, et de la vendre aux Romains, les assurant qu'ils acquérraient de grandes richesses dans ce commerce, duquel les Romains ne tireraient point d'autre avantage, que de n'être plus obligés de donner de l'argent à leurs ennemis. Il exhorta encore les Omérites à accorder à Caisos qui était fugitif, la charge de phylarque des Maadéens, et à faire irruption dans la Perse avec une armée qui fut composée tant de Maadéens que de soldats de leur nation. Caisos était né de parents qui avaient autrefois possédé la charge de phylarque, mais parce qu'il avait tué un des proches d'Esimiphée, il avait été obligé de chercher sa sûreté dans la solitude. 5. Ces deux princes agréèrent les propositions de Justinien, et promirent de faire ce qu'il désirait, mais ni l'un ni l'autre ne lui tint parole. Il était impossible que les Éthiopiens achetassent la soie des Indiens, parce que les marchands de la Perse se trouvaient dans tous les ports, et enlevaient les marchandises. Pour ce qui est des Omérites, il leur semblait que c'était une entreprise fort périlleuse de traverser un pays d'une vaste étendue, et destitué d'habitants, pour aller combattre une nation fort belliqueuse. Abraham promit souvent à Justinien de faire irruption dans la Perse, mais il ne se mit qu'une seule fois en chemin, et s'en retourna fort promptement. Voilà le succès qu'eurent ces ambassdes faites vers les Éthiopiens et les Omérites. [1,21] CHAPITRE XXI. 1. INCONTINENT après la victoire remportée sur les bords de l'Euphrate, Ermogène alla en ambassade vers Cosroez pour lui demander la paix: mais ce fut inutilement, parce que ce prince était encore alors trop irrité contre les Romains. 2. Bélisaire fut rappelé dans ce temps-là même à Constantinople, et choisi pour aller commander l'armée contre les Vandales. Sitta fut envoyé en sa place contre les Perses, qui entrèrent aussi alors dans la Mésopotamie sous la conduite du Charanange, d'Aphebède, et de Mermeroez. 3. Comme il n'y avait point d'ennemis, qui osassent en venir aux mains avec eux, ils mirent le siège devant Martyropolis, où Buzez et Beslas s'étaient renfermés pour la défendre. Cette ville est assise dans une région appelée Saphanène, à deux cens quarante stades d'Amide, du côté du septentrion, sur le fleuve Nympmus, qui fait la séparation des terres des deux nations. Les Perses attaquèrent vigoureusement les assiégés, qui semblèrent d'abord se défendre avec assez de courage ; mais néanmoins de telle sorte, qu'il était aisé de juger que leur résistance ne serait pas de durée, à cause que les murailles étaient faibles, et hors d'état de soutenir une forte batterie. De plus, les habitants manquaient de provisions et de machines. Sitta étant arrivé avec l'armée Romaine dans un lieu nommé Arracas, y campa, et n'osa aller plus avant. L'ambassadeur Ermogène y arriva pareillement. Il se passa cependant une chose dont je ferai ici le récit. 4. C'est une coutume établie parmi les Romains, et parmi les Perses, d'entretenir aux dépens du public des espions, qui aillent découvrir ce qui se passe chez l'ennemi pour en avertir le commandant. La plupart gardent à leurs citoyens l'affection et la fidélité qu'ils leur doivent. D'autres y manquent, et révèlent le secret. Un certain espion des Perses vint trouver Justinien, à qui il déclara tout ce que ces Barbares projetteraient, et lui apprit que les Massagètes étaient prêts de se joindre à eux pour entrer sur les terres des Romains. L'empereur l'ayant interrogé, et ayant reconnu la vérité de ses paroles, le gagna par argent pour l'obliger d'aller dire aux Perses qui assiégeaient Martyropolis, que les Massagètes s'étaient laissés corrompre, et qu'ils tourneraient bientôt leurs armes contre eux. Cette nouvelle s'étant répandue dans leur camp, elle les mit dans un tel détordre, qu'ils ne savaient à quoi se résoudre. 5. Environ le même temps Cavade étant attaqué d'une fâcheuse maladie, envoya quérir un Perse nommé Mébode, en qui il avait une particulière confiance, et s'entretenant avec lui touchant son fils Cosroez, et touchant la succession de son royaume, il lui témoigna d'appréhender que les Perses ne changeassent ce qu'il en avait ordonné. Mébode le pria de lui déposer entre les mains sa dernière volonté, et de s'assurer que ses sujets n'y apporteraient point de résistance. Cavade lui dicta son testament, par lequel il nommait son fils Cosroez héritier de ses états, et un peu après il mourut. 6. Lorsque la cérémonie de la pompe funèbre fut achevée, Caose voulut se mettre en possession du royaume ; mais Mébode s'y opposa, en disant qu'il n'était permis à qui que ce fût de s'attribuer de soi-même la souveraine autorité, et qu'il la fallait recevoir par le contentement des grands de l'état. Caose qui se tenait assuré de leurs suffrages demeura d'accord de subir leur jugement. Quand ils furent assemblés, Mébode lut le testament fait en faveur de Cosroez ; et la mémoire de la vertu du testateur, eut tant de pouvoir sur l'esprit de la noblesse, que Cosroez fut proclamé Roi tout d'une voix. Ce fut ainsi que ce prince parvint à la couronne. 7. Pour ce qui est de Martyropolis, Sitta et Ermogène qui craignaient qu'elle ne fût bientôt réduite et qui se trouvaient dans l'impuissance de la secourir, députèrent de leurs gens qui parlèrent de cette sorte aux commandants des ennemis. Vous ne vous apercevez pas qu'en vous opposant à la paix, vous vous opposez contre votre intention à l'intérêt de votre Roi, et à l'avantage commun des deux nations. Les ambassadeurs nommés par Justinien sont prêts d'arriver pour traiter sur le sujet de nos différents. Retirez-vous donc, s'il vous plaît, de nos terres, afin que la conférence soit libre et tranquille. Nous sommes prêts de vous donner en otage des premiers et des plus considérables de l'Empire, pour vous assurer que l'affaire sera conclue dans peu de jours. A peine ces envoyés avaient achevé ces paroles, qu'il arriva de Perse un courrier, qui apporta la nouvelle de la mort de Cavade, de l'élection de Cosroez, et du trouble que causait ce changement. Cette nouvelle jointe à la crainte de l'arrivée des Huns, fit résoudre les commandants de l'armée des Perses à accepter les conditions qui leur étaient présentées. Les Romains leur donnèrent à l'heure même en otage Martin, et Sénécius garde de Sitta. Les Perses levèrent le siège, et retournèrent en leur pays. Incontinents après les Huns entrèrent sur les terres des Romains, où n'ayant point trouvé les Perses, ils ne s'y arrêtèrent que très peu de temps. [1,22] CHAPITRE XXII. 1. RUFIN, Alexandre et Thomas qui étaient de l'ambassade avec Ermogène, allèrent trouver Cosroez fur le bord du Tigre. Aussitôt qu'il les vit, il rendit les otages. Ces ambassadeurs usèrent de flatteries indignes de leur rang pour adoucir ce prince, et pour obtenir de lui la paix. En la leur accordant, il stipula que l'on lui paierait cent livres d'or, et qu'il retiendrait les forts qu'il avait pris dans la Lazique, bien que les Romains lui restituassent ceux de Pharangion et de Bolon. Il prétendait cette somme d'or en considération de ce qu'il déchargeait les Romains de la démolition de Dara, et de la garde des portes Caspiennes. Les ambassadeurs demeurèrent d'accord de toutes ces conditions, excepté de ce qui concernait la restitution des places : sur quoi ils demandèrent du temps, pour savoir la volonté de l'Empereur. On jugea à propos d'envoyer Rufin à Constantinople pour ce sujet, et de lui accorder pour son voyage soixante et dix jours, durant lesquels les autres ambassadeurs demeureraient en Perse. Quand Rufin eut représenté à Justinien les articles du traité, il les agréa, et consentit à la paix. 2. Dans le même temps il se répandit un faux bruit par la Perse, que l'Empereur avait fait mourir Rufin, dont Cosroez étant extrêmement irrité il fit aussitôt marcher son armée. Mais enfin pour dissiper ce bruit, Rufin vint au devant de lui, et le rencontra auprès de Nisibe, où ils allèrent ensemble, et où les autres ambassadeurs arrivèrent bientôt après avec l'argent qui avait été promis. Cependant Justinien se repentit d'avoir accordé la restitution des forts de la Lazique, et manda à ses ambassadeurs qu'ils n'y consentissent pas. Costoez s'en mit en grande colère, et ne voulait plus entendre parler de paix. Rufin pour sauver l'argent se jeta à ses pieds et le supplia de permettre de le remporter, et de différer au moins pour quelque temps la déclaration de la guerre. Ce Prince le releva, et lui accorda toutes ses demandes. Les ambassadeurs retournèrent ensuite à Dara avec l'argent, et l'armée des Perses se retira. La fidélité de Rufin fut suspecte à ses collègues, qui le mandèrent à Justinien. La facilité avec laquelle il avait obtenu de Cosroez tout ce qu'il avait désiré était l'unique fondement de leur défiance. 3. Ces soupçons ne lui firent point de mal, au contraire il fut renvoyé bientôt après avec Ermogène, et la paix ne tarda guère à être conclue. En voici les conditions. Que toutes les places qui avaient été prises durant la guerre seraient rendues de part et d'autre. Que la ville de Dara ne serait plus la demeure du gouverneur. Et que les Ibériens auraient la liberté de sortir de Constantinople, ou d'y demeurer. Quelques-uns y demeurèrent, et d'autres aimèrent mieux se retirer. Ainsi la paix fut faite en la sixième année du règne de Justinien. Les Romains rendirent aux Perses les forts de Pharangion et de Bolon. Leur comptèrent les sommes d'argent dont ils étaient convenus, et reçurent d'eux les châteaux de la Lazique. Il se fit aussi un échange de Dagaris avec un autre excellent homme. Ce fut ce Dagaris qui défit depuis les Huns en plusieurs rencontres, et qui les chassa de l'Empire. Car il était très habile dans la guerre. Telle fut la conclusion de la paix entre Justinien et Cosroez. [1,23] CHAPITRE XXIII. 1. Il se forma incontinent après des conjurations contre ces deux princes. J'en rapporterai ici les principales circonstances. Cosroez, fils de Cavade, était un esprit inquiet et remuant. Il aimait avec passion les nouveautés, et ne songeait qu'à faire ressentir aux autres l'agitation et le trouble dont il était incessamment tourmenté. Les plus braves de la nation ne pouvant plus supporter son gouvernement, résolurent de le déposer, et d'en mettre un autre en la place, qui fut des descendants de Cavade. Ils avaient plus d'inclination pour Zamez que pour aucun autre, mais parce qu'il n'avait qu'un œil, les lois du royaume ne permettaient pas qu'il fût roi. Après plusieurs délibérations, ils résolurent d'élever sur le trône le fils de Zamez, qui portait le nom de Cavade son aïeul, et de lasser au père, en qualité de tuteur, la régence de l'état. Ils en firent la proposition à Zamez, et le pressèrent de l'accepter. Quand il y eut consenti, ils ne songèrent plus qu'à choisir le temps propre pour l'exécution. Mais la conjuration fut découverte et ruinée. Cosroez fit mourir incontinent Zamez, ses frères, les enfants mâles, tous ceux de la noblesse qui y avaient participé, en entre autres Aspébède qui était son oncle. 2. Il ne restait plus de tous les fils de Zamez que Cavade, qui était encore enfant, et qui avait pour gouverneur un Caranange nommé Adergudombade. Cosroez ne pouvait se défier de cet officier ; et comme il ne lui voulait point faire de violence, il se contenta de lui commander de faire mourir Cavade. Le Caranange reçut le commandement avec un extrême déplaisir, et alla le dire à sa femme, et à la nourrice. La femme en même temps fond en larmes, se jette aux pieds de son mari, et le conjure de sauver l'enfant. Ils résolurent donc de le nourrir le plus secrètement qu'ils pourraient, et de dire à Cosroez qu'ils avaient obéi à son ordre. Ils cachèrent si bien cet enfant, qu'il n'y avait que leur fils Varame, et un de leurs domestiques qui sût où il était. Lorsqu'il fut devenu grand le Caranange, qui appréhendait que ce secret ne fût découvert, lui donna, de l'argent, et un équipage pour s'échapper comme il pourrait. 3. Le Caranange avait conduit jusques-là si secrètement son dessein, que ni Cosroez, ni aucun autre n'en avait eu connaissance. Ce prince mena quelque temps après une puissante armée dans la Colchide, où il fut suivi par Varame fils du Caranange, qui lui conta toute l'histoire, et lui présenta le domestique qui avait eu part au secret. Ce prince irrité d'avoir reçu un tel traitement d'un de ses sujets, et ne sachant comment se rendre maître de sa personne, usa de cet artifice. Comme il était prêt de partir de la Colchide pour rentrer dans ses états, il écrivit au Caranange, qu'il avait dessein de faire irruption par deux endroits sur les terres des Romains : que pour cela il partagerait son armée en deux ; qu'il en mènerait lui-même une partie sur un des bords de l'Euphrate, et qu'il était le seul à qui, en confédération de sa vertu, il voulait donner l'autre à commander : qu'il vînt donc en diligence, pour lui donner son avis sur les difficultés qu'il avait touchant la conduite de l'entreprise. Il envoya à l'heure-même des gens pour le suivre dans le chemin. Le Caranange fut ravi œ recevoir un si grand honneur par le choix de son prince, et ne songea point du tout au malheur dont il était menacé. Il partit incontinent, mais comme il n'était plus en âge de supporter la fatigue des voyages, il lâcha la bride de son cheval, tomba à terre, et se rompit un os de la cuisse. Pour remédier à sa blessure, il fut obligé de s'arrêter à un endroit où Cosroez étant arrivé, il lui dit, que puisque cet accident l'empêchait de pouvoir commander l'armée, il se retirât dans un château où il pût se faire traiter à loisir. Ainsi ce prince l'envoya à la mort, et le fit suivre par ceux qui la lui devaient faire souffrir. Il avait aquis, avec justice, la réputation d'invincible, ayant réduit douze nations à l'obéissance de Cavade. Sa charge de Caranange fut donnée à son fils Varame. Peu de temps après Cavade fils de Zamez, ou un autre tout semblable, arriva à Constantinople où Justinien le reçut civilement, bien qu'il doutât de la vérité de sa naissance. Voilà la fin qu'eut la conspiration faite contre Cosroez. 4. Il fit aussi mourir Mébode peu de temps après. Voici quel en fut le sujet. Comme il était occupé à une affaire importante il commanda au Zabergan d'aller quérir Mébode. Le Zabergan, qui dès longtemps était son ennemi, le trouva qui faisait faire l'exercice à ses soldats, et lui dit que le Roi le demandait. Mébode répondit, qu'il irait le trouver aussitôt que l'exercice serait achevé. Le Zabergan animé par la haine qu'il lui portait, dit au Roi qu'il ne voulait pas venir, et qu'il s'excusait sur quelque affaire. Le Roi transporté de colère envoya un de ses officiers commander de sa part à Mébode, d'aller au trépied. Il faut que j'explique ici ce que c'est. Il y a devant la porte du palais du roi des Perses un trépied de fer, où ceux contre qui le prince est en colère, sont obligés d'aller, et d'attendre leur arrêt, sans qu'il soit permis à qui que ce soit de les secourir, et sans qu'il leur soit permis à eux-mêmes de chercher un asile dans les temples. Mébode y demeura durant plusieurs jours, dans un triste et pitoyable équipage, jusqu'à ce qu'un certain envoyé de Cosroez le fit mourir. Ce fut la récompense qu'il reçut de ses services. [1,24] CHAPITRE XXIV. 1. Il s'éleva dans le même temps une sédition à Constantinople, qui s'étant extraordinairement échauffé, eut des suites fâcheuses pour le Sénat, et pour le peuple. Voici de quelle sorte elle arriva. Il y a longtemps que les habitants de chaque ville sont divisés en deux factions, de Bleus et de Verts ; bien qu'il n'y ait pas longtemps que les deux partis en sont venus à une telle fureur pour ces noms, et pour ces couleurs qui les distinguent. Ils se battent sans savoir le sujet de leur querelle, sachant bien que s'ils sortent victorieux du combat, ce ne sera que pour être menés en prison, et ensuite au dernier supplice. Ils conçoivent sans raison une haine implacable contre leurs proches, et ils la conservent toute leur vie sans la faire céder aux règles de l'honneur, de la parenté, ni de l'amitié. Quand deux frères, ou deux amis sont de deux partis différents, ils ne se soucient de lois ni divines ni humaines, pourvu que la victoire soit de leur côté. Ils ne le mettent pas en peine si en cela Dieu est offensé, si les lois font violées, si l'état est renversé, soit par les armes des ennemis, ou par la division des citoyens. Lorsque les affaires du parti vont bien, ils ne se fâchent ni des nécessités particulières de leurs familles, ni des pertes publiques de l'Empire. Les femmes ont part a cette manie, et suivent la faction de leurs maris, et quelquefois la faction contraire; bien qu'elles n'assistent pas aux spectacles, et aux assemblées, elles ne laissent pas d'y avoir le même engagement que les hommes. Ce que je ne puis attribuer qu'à je ne sais quelle maladie d'esprit, dont elles sont tourmentées. Voilà quelle est la folie des villes et des peuples. 2. Comme le prévôt de Constantinople suivait des séditieux que l'on conduisait au supplice, une troupe composée de gens des deux partis se réunirent, et les sauvèrent. Ils brisèrent ensuite les portes des prisons, et en tirèrent non seulement ceux qui y avaient été mis pour cette sédition, mais aussi ceux qui y avaient été renfermés pour d'autres crimes, et tuèrent tous les sergents du prévôt. 3. Les citoyens qui n'étaient d'aucun parti traversèrent promptement le détroit, pendant que la ville était en feu ; car les séditieux l'y avaient mis de sorte, qu'il semblait qu'elle eût été abandonnée au pillage. L'église de sainte Sophie fut brûlée, le bain de Zeuxipe, une partie du Palais, savoir l'espace qui est depuis la première entrée jusqu'à l'autel de Mars, la longue galerie qui s'étendait jusqu'à la place de Constantin, plusieurs maisons de personnes de qualité, et une quantité immense d'or et d'argent. L'Empereur demeura durant tout ce désordre dans son palais avec l'Impératrice sa femme, et quelques-uns des sénateurs. Les factieux avaient pris pour mot du guet, Vainquez, lequel est demeuré depuis à leur faction. 4. En ce temps-là Jean de Cappadoce était préfet du prétoire, et Tribonien de Pamphylie était assesseur de l'Empereur; ou, comme parlent les Romains, il était questeur. Jean n'avait nulle teinture des lettres et à peine savait-il écrire. Mais il avait l'esprit excellent, et une adresse toute singulière pour trouver des expédients dans les affaires les plus difficiles. C'était le plus méchant de tous les hommes, et il ne s'employait qu'à faire du mal. Il n'avait nulle crainte de Dieu, nul respect du monde. Il ne songeait qu'à amasser des richesses, même par la mort de ses citoyens, et par la ruine des villes. Étant devenu riche en peu de temps, il se plongea dans la débauche. Il s'occupait jusqu'à l'heure de dîner à chercher des moyens de s'emparer du bien des peuples, et passait le reste du jour à table, où il mangeait avec tel excès, qu'il était souvent contraint de vomir. Bien qu'il fût toujours prêt à prendre de l'or et de l'argent, il était encore plus prêt à en dépenser. Voilà son portrait au naturel. Pour ce qui est de Tribonien, il avait fait un fort bon usage de ses talents, et s'était rendu le plus habile de son siècle. Mais il était si avare, qu'il préférait toujours le gain à la justice, et qu'il faisait et défaisait les lois selon les différents intérêts de ceux qui lui donnaient de l'argent. Pendant que le peuple fut divisé en deux factions, dont j'ai parlé, et qu'il s'occupa à cette guerre intestine, il ne prit pas garde aux maux que ces deux hommes faisaient à l'état. Mais quand il fut réuni, il commença à les charger d'injures, et à les chercher, pour les traîner au supplice. L'Empereur les priva de leurs charges, afin de paraître populaire. Il donna celle de préfet du prétoire à Phocas patrice, homme de rare prudence, et qui aimait la justice : et la questure à Basilide aussi patrice, et qui était d'une naissance illustre, et d'un naturel modéré. 5. La sédition augmentait cependant, au lieu de diminuer. Sur la fin du cinquième jour Justinien commanda à Hypatius et à Pompée, neveux de l'Empereur Anastase, de se retirer chacun dans leur palais, soit qu'il craignît qu'ils ne formassent quelque conjuration contre sa vie, ou qu'en cela il y eut quelque sorte de destin. Comme ils appréhendaient que le peuple mutiné ne voulût les faire Empereurs, ils dirent à Justinien qu'il n'était pas à propos qu'ils l'abandonnassent dans une conjoncture si périlleuse. Cette réponse augmenta la défiance de l'Empereur, et fut cause qu'il leur ordonna de partir sans différer. Ce qu'ils firent, et ils se reposèrent toute la nuit. Le lendemain dès que le jour commença à paraître, le bruit s'étant répandu par la ville qu'on leur avait fait quitter le Palais, le peuple courut en foule à eux, et proclama Hypatius Empereur, en le conduisant à la place publique, pour le mettre en possession de la souveraine puissance. Sa femme nommée Marie, qui était une dame fort prudente et fort sage, faisait tous ses efforts pour le retenir, et implorait les secours de ses amis, criant que c'était mener son mari à la mort. Mais la violence de la populace l'emporta; et l'ayant conduit, malgré qu'il en eut, à la place de Constantin, ils le proclamèrent Empereur : et comme l'on n'avait point de diadème, l'on lui mit un collier d'or sur la tête. 6. Tous les sénateurs qui n'étaient point à la Cour s'étant assemblés, il y eut divers avis dont le plus nombreux fut d'aller au palais de l'Empereur. En cette occasion, un sénateur nommé Origène, parla de cette sorte. L'affaire où nous sommes présentement engagés ne se peut terminer que par les armes. Les deux plus importantes choses, dont les hommes aient le maniement sont la guerre et l'Empire. Les grandes entreprises n'ont pas accoutumé de réussir en un instant : elles ne s'achèvent que par la sagesse des conseils, et par la persévérance dans le travail; ce qui demande beaucoup de temps. Si nous allons attaquer l'ennemi, tout dépendra de la pointe de notre épée, et un seul instant décidera de la fortune de l'état. Quelque succès qui nous arrive, il faudra en remercier la fortune, ou l'en accuser; parce que ce qui s'entreprend par passion, relève presque absolument de sa puissance. Quand nous agirons avec moins de précipitation, nous ne laisserons pas de trouver assez d'occasions de nous saisir de Justinien; si ce n'est que mettant son bonheur dans la retraite, il abandonne de lui-même son royaume. Une puissance qui est une fois méprisée tombe incontinent par terre. Nous ne manquons pas de Palais. Nous avons celui de Placilen, et celui d'Hélène où notre Empereur peut loger, tenir ses conseils, et former toutes les résolutions nécessaires dans une conjoncture aussi importante que celle où nous sommes. Voilà ce que dit Origène. Les autres, comme il arrive d'ordinaire dans les délibérations tumultuaires, soutenaient qu'il fallait presser incessamment les affaires, et que tout l'événement dépendait de la diligence. Hypatius cherchant lui-même son malheur, commanda d'aller au Cirque. Quelques-uns croient que son dessein était de favoriser en cela César. 7. On délibérait cependant dans la Cour de l'Empereur, si on tiendrait ferme, ou si l'on se sauverait sur les vaisseaux. Comme il y avait divers avis, l'Impératrice Théodora dit. Je n'estime pas que le temps permette d'examiner, s'il est bien séant à une femme de parler devant des hommes, et de donner des conseils généreux à des personnes timides. Quand on est dans le dernier danger, chacun doit pourvoir le mieux qu'il lui est possible aux besoins communs. Pour moi, je fuis persuadée qu'en l'état présent des affaires, il nous serait désavantageux de fuir, quand même nous serions assurés de trouver notre sûreté dans la fuite. Quiconque a reçu la jouissance de la vie, ne l'a reçue qu'à la charge de la perdre. Mais celui qui a été une fois revêtu de la souveraine puissance, ne doit plus vivre après en avoir été dépouillé. Que Dieu ne permette pas que jamais je mette bas cette pourpre, ni que je paraisse en public sans y être saluée comme Impératrice. Pour vous, César, si vous désirez vous sauver, il n'y a rien de si aisé : vous avez de l'argent, vous avez la mer, et des vaisseaux ; mais prenez garde qu'après avoir quitté votre Palais, vous ne quittiez bientôt le monde. Cet ancien mot me plaît fort, que l'Empire est un superbe tombeau. Ces paroles de l'Impératrice relevèrent de telle sorte les courages, que l'on ne songeait plus qu'à se bien défendre si l'on était attaqué. Il est vrai que la plupart des soldats, même ceux de la garde, n'étaient pas affectionnés à l'Empereur, et qu'ils ne se déclarèrent qu'après avoir vu l'événement de la sédition. 8. Justinien mettait toute son espérance en Bélisaire, et en Mundus. Le premier était revenu depuis peu de la guerre de Perse, et il avait amené, outre sa famille qui était nombreuse, force gens de guerre armés de lances et de boucliers, qui avaient servi en plusieurs occasions. L'autre avait été nommé pour commander les troupes d'Illyrie. Il se trouva alors à Constantinople à cause de quelques affaires, pour lesquelles il y avait été mande, et il avait à sa suite quelques compagnies d'Eruliens. Hypatius ayant été conduit au Cirque monta sur le trône, d'où l'Empereur avait accoutumé de regarder les courses des chevaux, et les combats des gladiateurs. Mundus sortit au même temps du Palais par la porte qui a été nommée la porte de la coquille, à cause de sa rondeur. Bélisaire se résolut d'aller droit à Hypatius. Quand il fut arrivé à l'appartement qui était à l'opposite du trône, il commanda aux soldats, qui gardaient la porte, de la lui ouvrir. Mais comme ils avaient résolu de ne point prendre de parti, jusqu'à ce que la victoire se fût déclarée, ils firent semblant de ne pas entendre. Bélisaire étant ainsi repoussé, alla dire à Justinien que tout était perdu, et-que les gardes mêmes l'abandonnaient. L'Empereur lui commande de tâcher de sortir par la porte de bronze. Il y court incontinent, et passe, avec autant de fatigue que de danger, à travers les ruines du vieux bâtiment, que le feu avait épargnées, et arrive enfin au Cirque, où ayant gagné une galerie à la droite du trône, il se prépare a forcer Hypatius. Mais considérant que la porte était fort étroite, et qu'elle était gardée par des soldats du parti contraire, il appréhenda de périr dans un passage si difficile, et de laisser l'Empereur exposé à la fureur des factieux. Voyant ensuite que le peuple était debout dans la place publique, et qu'il s'entre poussait en désordre, il tira son épée, commanda aux siens de faire de même, et de charger rudement. Cette multitude qui n'était point rangée en bataille, et qui ne savait aucune des règles de la guerre, fut aisément mise en fuite par des troupes disciplinées. Le tumulte était horrible. Mundus qui était fort brave, brûlait d'envie de se signaler, et il se retenait néanmoins, de peur d'entreprendre quelque chose mal à propos. Mais quand il jugea que Bélisaire était aux mains, il sortit par la porte Libitine, et fondit sur les séditieux, qui se trouvèrent battus de deux côtés différents. 9. Comme le peuple fuyait tout ouvertement, et qu'il y avait déjà beaucoup de sang répandu, Bérode et Juste neveux de Justinien tirèrent Hypatius du trône, sans que personne ne mit en devoir de le défendre, et ils le conduisirent avec Pompée devant l'Empereur, qui commanda de les enfermer dans une étroite prison. Il y eut ce jour-là plus de trois mille personnes massacrées. Pompée, qui n'était pas accoutumé à de semblables disgrâces fondait en pleurs, et tenait des discours tout-à-fait dignes de pitié, dont Hypatius le reprenait fortement, en lui remontrant que ceux que l'on fait mourir sans qu'ils l'aient mérité, ne sont pas à plaindre: Que pour eux ils n'étaient pas coupables d'avoir seulement formé la moindre pensée contraire au service de Justinien : Que c'était la fureur du peuple qui leur avait déféré l'Empire, et qui les avait traînés au Cirque. Ils furent massacrés le lendemain par les soldats, et leurs corps jetés dans la mer. Leur bien fut confisqué, et celui des sénateurs du même parti. Il y en eut néanmoins quelques-uns qui furent depuis rétablis, et entre les autres les enfants d'Hypatius, à qui Justinien rendit le bien de leur père, dont il n'avait pas disposé. Voilà quel fut le succès de la sédition de Constantinople. [1,25] CHAPITRE XXV. 1. JEAN de Cappadoce et Tribonien, que nous avons vu déposés de leurs charges, y furent rétablis peu de temps après. Tribonien vécut plusieurs années depuis son rétablissement, sans tomber dans aucune nouvelle disgrâce, et il mourut de mort naturelle. Il avait beaucoup de civilité et de douceur, et il effaçait, s'il faut ainsi dire, la honte de son avarice, par l'éclat de sa doctrine. Pour Jean de Cappadoce, il était fâcheux à tout le monde. Il frappait ceux qui se présentaient devant lui, et enlevait le bien d'autrui avec une injustice toute visible. Il se maintint durant dix ans dans sa dignité, après y avoir été rétabli. Mais il reçût enfin le juste châtiment de ses crimes. 2. L'Impératrice Théodora était fort irritée contre lui, mais quoi qu'il sût bien qu'il l'avait offensée, néanmoins bien loin de l'apaiser par ses soumissions et par les respects, il continuait à lui rendre ouvertement de mauvais offices, et à parler d'elle à l'Empereur en termes injurieux, sans en être retenu par la considération de sa dignité, ni par celle de l'affection que ce Prince avait pour elle. Théodora bien informée de tout, désirait de se défaire de Jean. Mais elle ne savait quels moyens y employer, à cause de l'estime qu'il s'était acquise dans l'esprit de Justinien. Cependant cette résolution où il avait appris que l'Impératrice était, lui causait d'étranges inquiétudes. Il ne le retirait jamais dans sa chambre, qu'il ne s'imaginât, qu'il viendrait la nuit quelque Barbare pour le massacrer. Il se levait à chaque moment pour regarder dans toutes les avenues ; et quoi qu'il eût plus de gardes que personne n'en avait eu devant lui, il ne se croyait jamais en sûreté. Quand le jour était venu, il mettait bas toutes ces appréhendons qui l'avaient inquiété, et il s'appliquait, selon sa coutume, à la ruine de l'état, et à celle des particuliers. Il entretenait continuellement une honteuse habitude avec des imposteurs, et des devins, et il s'adonnait aux secrets impies de la magie, par lesquels il se figurait que l'Empire lui était promis. Il n'interrompait point cependant le cours de ses crimes. Il n'était touché d'aucun sentiment de piété. S'il entrait quelquefois dans l'église, et qu'il y passat la nuit, il ne se conformait point à la pratique des fidèles. Il y paraissait avec une grande robe, dont se servaient ceux d'une ancienne secte grecque, que l'on appelait la Secte grecque. Il récitait durant toute la nuit certaines extravagances profanes, par lesquelles il prétendait se conserver dans les bonnes grâces de l'Empereur, et se rendre invulnérable aux traits de ses ennemis. 3. En ce temps-là même Bélisaire, après avoir réduit toute l'Italie, revint avec Antonine à Constantinople, où il avait été rappelé, pour être envoyé ensuite à la tête de l'armée destinée contre les Perses. Il était estimé et chéri de tout le monde, comme il méritait. Il n'y avait que Jean, qui pour cette seule raison ne le pouvait souffrir, et qui lui tendait sans cesse des pièges. Comme toute l'espérance des Romains était en Bélisaire, il partit pour aller contre les Perses, et laissa Antonine à Constantinople. Cette dame avait l'esprit plus propre que pas une autre à trouver des expédiants. Voici ce qu'elle inventa contre Jean, pour faire sa cour à l'impératrice. Il avait une fille nommée Euphémie, qui était fort estimée pour la modestie et sa vertu. Comme elle était unique, elle était tendrement aimée de son père : mais comme elle était fort jeune, elle en était plus exposée à être surprise. Antonine lui fit des caresses extraordinaires durant plusieurs jours, feignant d'avoir beaucoup d'amitié pour elle, et de lui communiquer ses secrets. Un jour qu'elle était seule avec elle dans sa chambre, elle fit semblant de se plaindre de sa fortune, en ce que Bélisaire, après avoir porté si loin les bornes de l'Empire romain, après avoir amené deux rois prisonniers à Constantinople avec une quantité prodigieuse d'or et d'argent, il en était très mal récompensé par Justinien. Elle ajouta plusieurs autres discours contre le Gouvernement ; dont Euphémie étant fort aise, à cause de la haine que l'Impératrice portait à son père, elle lui dit : Madame, permettez-moi de vous déclarer, que j'estime que vous êtes cause du mal dont vous-vous plaignez; puisque ayant entre vos mains toutes les forces de l'Empire, vous ne vous en servez pas pour y apporter le remède. Ma fille, repartit Antonine, Nous ne saurions rien entreprendre dans l'armée, si nous ne sommes secondés par ceux de la Cour. Si monsieur votre père voulait se joindre à nous, il nous serait aisé d'exécuter tout le bien, dont Dieu aurait agréable de favoriser notre entreprise. Euphémie ayant entendu ces paroles, promit de faire de sa part tout ce qu'elle pourrait ; et à l'heure même, elle alla tout rapporter à son père, qui fort réjoui de cette nouvelle, et s'imaginant que c'était là le chemin par où les devins lui avaient promis qu'il arriverait à l'Empire, reçut volontiers la proposition, et commanda à sa fille de faire en sorte, qu'il conférât le jour suivant avec Antonine. Cette Dame artificieuse ayant appris la disposition où était Jean, et voulant lui ôter la connaissance de son dessein, répondit, qu'il y aurait du danger de conférer si tôt, et que le moindre soupçon que l'on aurait de leur entreprise suffirait pour la ruiner : Qu'elle partirait dans peu de jours pour aller trouver Bélisaire; qu'en sortant de la ville elle s'arrêterait au faubourg dans la maison nommée Rusinienne, où il la viendrait trouver, en apparence pour lui dire adieu ; et en effet pour conférer ensemble, et pour se clamer réciproquement leur foi. Jean ayant approuvé cet avis, le jour fut pris pour l'exécution. Quand l'Impératrice apprit par la bouche d'Antonine la suite de cette trame, elle la loua de l'avoir commencée, et la conjura de l'achever. Le jour préfixé étant arrivé, Antonine partit de Constantinople comme pour s'en aller en Orient, et s'arrêta à la maison du faubourg, où Jean ne manqua pas de la venir trouver la nuit suivante. L'Impératrice ayant rapporté à Justinien ce que Jean brassait, il commanda à Narsez l'eunuque, et à Marcel capitaine de ses gardes, d'aller à Rusinienne avec des forces suffisantes, pour observer ce qui s'y passerait, et pour faire mourir Jean, s'il entreprenait quelque chose contre le bien de l'Empire. Ceux-ci partirent à l'heure même pour exécuter cet ordre. On dit que l'Empereur informé de la chose, qui se faisait contre Jean, l'envoya avertir secrètement par un de ses amis, de ne point aller ce soir-là chez Antonine. Mais comme il y avait un ordre également caché et inévitable, par lequel il devait périr, il méprisa cet avis, et y alla sur le minuit. Il conféra avec elle auprès d'une haie, derrière laquelle elle avait placé Narsez et Marcel, afin qu'ils entendissent ce qui se dirait. Jean ayant promis témérairement de prêter main-forte à l'entreprise de Bélisaire et d'Antonine, et ayant confirmé la promesse par d'exécrables serments, Narsez et Marcel fondirent tout-à-coup sur lui. Les gardes de Jean accoururent au bruit, et l'un d'eux donna un coup d'épée à Marcel sans le connaître. Ainsi Jean eut le moyen de se sauver, et de rentrer dans la ville. 4. Pour moi je me suis persuadé, qu'il n'eût point été puni, s'il eût eu l'assurance de se présenter à l'heure-même à l'Empereur. Mais il se réfugia dans une église, et donna le loisir à l'Impératrice d'exécuter le dessein qu'elle avait formé de le perdre, de préfet du prétoire, il fut réduit à une condition privée, et transféré de l'église où il s'était retiré, à une autre qui est dans le faubourg de Cyzique, nommé Artace. Là. il reçut malgré lui le nom de Pierre et les Ordres sacrés. Il ne fut pas élevé à la dignité d'évêque, mais seulement à celle de prêtre, dont il ne fit jamais de fonction, parce qu'il ne voulait pas s'exclure de rentrer dans les charges du siècle, pour lesquelles il conservait toujours quelque reste d'espérance. Ses biens furent confisqués ; néanmoins l'Empereur désirant le traiter favorablement, lui en laissa une partie. Ce changement si étrange de fortune, n'empêchait pas qu'il ne fût encore dans une condition fort heureuse. Il était exempt de crainte, et avait beaucoup d'argent, tant celui que lui avait laissé Justinien, que celui qu'il avait détourné. Les Romains, qui le voyaient plus méchant que les démons mêmes, ne pouvaient voir sans indignation que la disgrâce n'eût servi qu'à augmenter sa prospérité. Mais la justice divine le réservait à un autre châtiment . 5. Il y avait à Cyzique un évêque nommé Eusèbe, qui n'était pas moins fâcheux, et moins insupportable que Jean. Les Cyzéniens s'étaient souvent plaints de ses violences ; mais la faveur qu'il avait à la Cour, avait rendu toutes leurs plaintes inutiles. Des jeunes gens l'ayant assassiné dans la place publique, Jean fut soupçonné d'avoir contribué à sa mort, à cause des différends qu'il avait eus avec lui. Les sénateurs commis pour informer de ce crime décrétèrent contre Jean; et quoi qu'il fût homme de grande qualité, et quoi qu'il eût été patrice et consul, ce qui est le comble des dignités de la République romaine, ils le laissèrent debout, le firent fustiger comme un voleur, et l'obligèrent à leur rendre compte de sa vie. Il ne se trouva néanmoins aucune preuve qu'il eût eu part à l'assassinat d'Eusèbe. Mais comme Dieu avait résolu de le punir des maux qu'il avait fait souffrir à toute la terre, les juges le dépouillèrent de son bien, et ordonnèrent qu'il serait mis dans une barque, où, couvert seulement d'un vieux manteau, il était obligé par ceux qui le conduisaient, à demander l'aumône partout où la barque abordait. Mendiant de la sorte en divers endroits de l'Égypte, il arriva à Antinople, où il y a trois ans qu'il est leur prisonnier. Cependant une disgrâce si déplorable ne l'a pas encore privé de toute espérance de parvenir un jour à l'Empire. Il eut une fois la hardiesse de demander à des citoyens d'Alexandrie, ce qu'ils devaient à l'Épargne. Voilà de quelle manière Jean de Cappadoce, après avoir possédé durant dix ans une charge fort considérable, fut puni des fautes qu'il y avait faites. [1,26] CHAPITRE XXVI. 1. BÉLISAIRE fut encore nommé alors général des troupes d'Orient, et envoyé en Afrique, qu'il remit sous la puissance de l'Empire romain, comme nous le ferons voir plus amplement dans la suite de notre Histoire. 2. La nouvelle d'un succès si avantageux déplût extrêmement à Cosroez et aux Perses, et les fit repentir d'avoir accordé la paix aux Romains ; puisqu'en la leur accordant, ils leur avaient donné le moyen de s'agrandir. Cosroez envoya des ambassadeurs à Constantinople, pour faire à Justinien des compliments de conjouïssance, et pour lui demander, par une espèce de raillerie, une partie des dépouilles qu'il avait remportées sur les Vandales, vu qu'il ne les aurait pas remportées, s'il ne lui avait accordé la paix. Justinien fit présent à Cosroez d'une somme notable d'argent, et renvoya promptement ses ambassadeurs. 3. Je rapporterai en cet endroit ce qui arriva à Dara au même temps. Il y avait dans l'infanterie un certain soldat nommé Jean, qui ayant conspiré avec quelques-uns de ses compagnons, se rendit maître de la ville, se fortifia dans le palais, comme dans une citadelle, et s'y défendit durant quatre jours. Il eût fait, sans doute beaucoup de mal aux Romains, s'ils eussent eu pour lors une guerre à soutenir contre les Perses. Mais comme ils étaient en paix, son entreprise n'eut point de suite. Le quatrième jour de la conspiration, les soldats convinrent ensemble par l'avis de Mamas évêque de la ville, et d'un des plus considérables des citoyens nommé Anastase, d'aller au palais en plein midi, et d'y apporter des poignards sous leurs habits. D'abord ils tuèrent quelques gardes qui étaient à l'entrée, et s'avancèrent jusqu'à la porte du tyran, où ils le prirent. Quelques-uns prétendent toutefois que la gloire de cette action n'appartient pas aux soldats, mais que comme ils s'étaient arrêtés dans un vestibule, et qu'ils n'osaient aller plus avant, un cuisinier, qui était avec eux, sauta dedans, tenant son couteau à la main, et qu'il blessa Jean à l'improviste. Ils ajoutent, que comme sa blessure n'était pas mortelle, et qu'il s'enfuyait en riant, il tomba entre les mains des soldats qui se saisirent de lui, et brûlèrent le palais, afin que l'on ne pût plus s'en servir pour de nouvelles brouilleries. Ils le menèrent ensuite en prison, où de peur que les gens de guerre ne formassent encore quelque entreprise contre le repos des citoyens, tant qu'ils seraient assurés que le tyran était en vie, l'on jugea à propos de le faire mourir, et d'apaiser par sa mort tout le désordre. Voilà qu'elle fut l'origine, la suite et la fin de cette tyrannie.