[28,0] LIVRE XXVIII (fragments). [28,1] I. La guerre était déjà commencée en Célésyrie entre Antiochus et Ptolémée, lorsque arrivèrent à Rome, de la part d'Antiochus Méléagre, Sosiphane et Héraclide; Timothée et Damon de celle de Ptolémée. (2) Antiochus était alors maître de la Célésyrie et de la Phénicie, (3) car depuis qu'Antiochus son père avait vaincu les généraux de Ptolémée près du Panium, ces deux pays obéissaient aux princes syriens. (4) Aussi Antiochus, pour qui le droit de la guerre était le titre le plus beau et le plus solide à la possession d'une contrée, tenait à cette province comme à un domaine. (5) De son côté, Ptolémée, dans la pensée que le père du roi régnant, Antiochus, avait injustement profité de la minorité de son propre père pour se saisir des villes qu'il occupait dans la Célésyrie, refusait absolument de les lui céder. (6) Méléagre avait donc pour mission de protester devant le sénat que Ptolémée avait contre toute justice donné le signal de la guerre, (7) et Timothée de renouveler le traité d'alliance, de mettre fin à la guerre de Persée, et surtout de surveiller les démarches de Méléagre. (8) Mais Timothée n'osa point parler de l'affaire de Persée d'après les conseils de M. Émilius, et après avoir renouvelé l'alliance et reçu des réponses conformes à ses désirs, il repartit pour Alexandrie. (7) Le sénat répondit à Méléagre qu'il chargerait Quintus Marcius d'écrire à Ptolémée sur ces difficultés, suivant qu'il croirait loyal et utile de le faire. C'est ainsi que pour le moment cette question fut résolue. [28,2] II. Vers le même temps, à la fin de l'été, arrivèrent à Rome, de la part des Rhodiens, Hégésiloque. Nicagoras et Nicandre, (2) afin de renouveler l'alliance, d'obtenir le droit d'exporter du blé et de répondre en même temps aux accusations dont leur république était l'objet. Rhodes, en effet, était publiquement divisée en deux partis : (3) celui d'Agathagète, de Philophron, de Rhodophon et de Théétète, qui plaçait dans Rome toutes ses espérances, et celui de Dinon, de Polyarate, favorable à Persée et aux Macédoniens. (4) De là résultaient de fréquentes querelles dans les assemblées, des dissensions dans les conseils dont profitaient ceux qui voulaient accuser leur pays. (5) Le sénat parut ignorer complètement ce qu'il savait très bien, et permit d'exporter de la Sicile cent mille médimnes de froment. (6) Telle fut la conduite du sénat à l'égard des ambassadeurs rhodiens : il fit le même accueil à tous les députés des républiques grecques qui partageaient les sentiments de Rhodes. (7) Voilà ce qui se passait alors en Italie. [28,3] III. L'année suivante, Aulus, qui comme proconsul hivernait avec son armée en Thessalie, députa vers les villes grecques, Caïus Popilius et Cn. Octavius. (2) A Thèbes, ils félicitèrent les habitants de leur fidélité et les engagèrent à demeurer dans l'alliance de Rome. (3) Ils allèrent de là parcourir toutes les villes du Péloponnèse, et, montrant partout les décrets récemment promulgués, vantèrent avec zèle la douceur et la bienveillance du sénat : (4) partout ils laissèrent entrevoir qu'ils connaissaient au juste ceux qui, dans chaque cité, hésitaient plus qu'il ne fallait à suivre le parti de Rome, ou qui s'y étaient entièrement jetés, (5) et on put s'apercevoir aisément qu'ils n'étaient pas moins mécontents des adhésions douteuses que des inimitiés avouées. (6) Ces exigences jetèrent les esprits dans l'inquiétude et le trouble, ou ne savait plus quel langage ni quelle conduite adopter. (7) En de telles circonstances, Caïus et ses collègues se proposaient, disait-on, de convoquer l'assemblée des Achéens, d'accuser Lycortas, Archon et Polybe, (8) et de les représenter comme ennemis du peuple romain dans le cœur, et comme demeurant tranquilles, non par amour de la paix, mais parce qu'ils voulaient attendre et épier une occasion plus favorable. (9) Cependant ils n'osèrent pas le faire, faute de prétexte raisonnable à faire valoir contre les prétendus coupables. (10) Aussi, lorsqu'ils se présentèrent dans l'assemblée d'Égium, ils se bornèrent à engager les Achéens à la fidélité et passèrent en Étolie. [28,4] IV. Là, dans l'assemblée réunie pour eux à Thermo, ils se répandirent en de longues et bienveillantes exhortations; (2) puis (et c'était là le principal objet de leur mission), ils demandèrent des otages aux Étoliens. (3) Proandre, qui se leva lorsque l'orateur fut descendu de la tribune, entreprit de rappeler les services qu'il avait rendus aux Romains et de combattre ses accusateurs. Mais Caïus, prenant aussitôt la parole, loua publiquement son zèle, (4) quoiqu'il le connût pour un ennemi de Rome, et approuva tout ce qu'il avait dit. (5) Ensuite vint Lyciscus, qui n'accusa personne nominativement mais fit tomber des soupçons sur beaucoup. (6) Il dit que les Romains avaient sagement agi en emmenant à Rome les chefs du pays : il désignait ainsi Eupolème et Nicandre ; (7) mais que leurs partisans et leurs amis étaient encore en Étoile et méritaient le même sort, à moins qu'ils ne livrassent aux Romains leurs enfants comme otages. (8) C'était contre Archidamus et Pantaléon qu'était dirigée surtout cette sortie. (9) Lorsqu'il eut achevé, Pantaléon prit la parole et gourmanda en quelques mots Lyciscus, qu'il accusa de flatter les puissants avec une honteuse effronterie, (10) puis il se tourna contre Thoas, qu'il soupçonnait de répandre contre lui des calomnies d'autant mieux acceptées qu'il n'existait entre eux aucune apparence de haine. (11) Lui rappelant donc l'époque de la guerre d'Antiochus, lui reprochant son ingratitude, lui qui, livré aux Romains, n'avait dû son salut inespéré qu'à son ambassade et à celle de Nicandre, (12) il amena les Étoliens non seulement à couvrir Thoas de huées chaque fois qu'il essayait de parler, mais encore à lui jeter des pierres. (13) Caïus, après avoir blâmé en peu de mots les Étoliens de cette violence, partit avec son collègue pour l'Acarnanie sans parler des otages et laissant derrière eux l'Étolie pleine de soupçons réciproques, et en proie à de cruelles dissensions. [28,5] V. En Acarnanie, dans l'assemblée qui se tint à Thurium, Oeschrion, Glaucus et Chrémès, partisans ouverts des Romains, engagèrent Caïus à établir des garnisons dans le pays, (2) parce que Persée et les Macédoniens y avaient de nombreux amis. (3) Diogène soutint l'opinion contraire: il ne fallait pas, disait-il, mettre de garnison dans ces villes ; cela était bon pour celles qui s'étaient déclarées contre les Romains ou qui avaient été prises par eux ; (4) mais les Acarnaniens, qui n'avaient rien fait, ne méritaient pas de recevoir des soldats étrangers. (5) Chrêmes et Glaucus, ajoutait-il, cherchaient par leurs calomnies à accroître leur propre puissance en abaissant leurs ennemis, et désiraient introduire dans les villes des garnisons qui appuyassent leurs desseins ambitieux. (6) Caïus, qui voyait que le peuple était opposé à cette mesure, et qui voulait d'ailleurs se conformer aux instructions du sénat, se rangea à l'opinion de Diogène, et après avoir félicité les Acarnaniens de leurs bons sentiments, se rendit à Larisse, auprès du proconsul. [28,6] VI. Il sembla aux Grecs à la suite de cette ambassade que ce qui se passait méritait la plus grande attention. (2) Un conseil fut formé de tous les chefs qui d'ailleurs avaient les mêmes idées politiques, tels qu'Arcésias et Ariston de Mégalopolis, Stratius de Tritée, Xénon de Patras, Apollonidas de Sicyone, et on délibéra sur les circonstances présentes. (3) Lycortas, fidèle à ses anciens principes, fut d'avis qu'on demeurât neutre entre Persée et les Romains, sans les servir ni leur nuire en rien. (4) Inquiet de la future puissance du vainqueur, quel qu'il fût, il regardait comme funeste pour toute la Grèce de secourir l'un ou l'autre parti, et d'un autre côté comme dangereux de se déclarer contre l'un des deux; (5) on n'avait déjà que trop osé, en plusieurs circonstances faire résistance à plusieurs personnages des plus considérables parmi les Romains. (6) Apollonius et Stratius, à leur tour, avouèrent qu'il ne fallait pas s'opposer ouvertement à Rome, mais qu'on devait retenir et combattre énergiquement tous ceux qui se jetteraient dans ses bras, et rechercheraient en particulier sa faveur au détriment de l'intérêt général. (7) Archon conseilla de s'accommoder aux circonstances, de ne pas donner prise aux calomnies des ennemis, et de se préserver du sort de Nicandre qui, avant d'avoir éprouvé ce que c'était que la puissance des Romains, était tombé dans de si cruels malheurs. (8) Polyène, Arcésilas, Ariston et Xénon adoptèrent ces avis. (9) On résolut de confier la préture à Archon, et à Polybe le commandement de la cavalerie. [28,7] VII. Peu de temps après cette délibération, Archon étant déjà de l'opinion qu'il fallait s'allier aux Romains et à leurs amis, Attale entra fort à propos en rapport avec lui. (2) Archon, qui désirait lui complaire, accueillit sa demande avec empressement, et s'engagea à l'appuyer de son crédit. (3) Des ambassadeurs furent bientôt envoyés par Attale et, admis au premier conseil; ils le prièrent de rétablir, par considération pour ce prince, les honneurs décernés naguère à Eumène. (4) On ne put d'abord connaître la pensée de la multitude; mais certains orateurs s'élevèrent pour plusieurs raisons contre cette requête. (5) Ceux qui avaient proposé d'abolir ces honneurs voulaient maintenir leur premier avis; d'autres croyaient l'occasion bonne pour se venger sur le roi de leurs griefs particuliers : quelques-uns, par haine des partisans d'Attale, souhaitaient qu'il échouât dans sa mission. Archon se leva enfin, (6) et ce fut pour appuyer les ambassadeurs (car les circonstances exigeaient que le stratège parlât) ; (7) mais il s'éloigna après n'avoir dit que peu de mots, dans la crainte de paraître rechercher une récompense qui couvrit les frais énormes de sa magistrature. (8) L'incertitude était grande. Enfin Polybe se leva et fit un long discours où, se conformant le plus qu'il lui était possible à l'opinion de la majorité, il démontra que le décret des Achéens portait que l'on abolirait les honneurs contraires à la dignité du pays et aux lois, et non pas tous. (9) Sosigène et Diopèthe de Rhodes, qui alors exerçaient les fonctions de juges et qui, dit-il, en voulaient au roi pour des griefs particuliers, avaient, à cause de ce ressentiment, ordonné l'abolition de tous les honneurs dont il jouissait, (10) mais ils avaient agi en cela contrairement au décret des Achéens, à leurs pouvoirs, à la justice et à la bienséance. (11) Ce n'était point par vengeance que les Achéens avaient résolu de détruire les honneurs décernés à Eumène, mais comme ses demandes dépassaient ses bienfaits, ils avaient voulu retrancher ce qu'il pouvait y avoir d'excessif. (12) Il était donc équitable, ajouta Polybe, que si les juges, sacrifiant à leur haine la dignité des Achéens, avaient renversé les monuments élevés à Eumène, les Achéens, à leur tour, plaçant au-dessus de tout la convenance et la justice, prissent soin de réparer la faute des Rhodiens et l'injure qu'ils avaient fait au roi, (13) d'autant plus qu'ils devaient par là s'attirer la reconnaissance d'Eumène, et encore plus celle d'Attale. (14) La foule applaudit aux paroles de Polybe, et on rédigea un décret qui enjoignait aux divers magistrats de rétablir Eumène dans tous ses honneurs, à l'exception de ceux qui étaient contraires à la dignité et aux lois des Achéens. (15) C'est à cette époque et de cette façon qu'Attale redressa les injures qu'Eumène, son frère, avait reçues dans le Péloponnèse. [28,8] VIII. Persée envoya ensuite comme députés, auprès de Gentius, Pleurate, exilé illyrien, et Adée de Béotie. (2) Ils avaient ordre de raconter à ce prince les détails de sa guerre contre les Romains et les Dardaniens, et de celle qu'il faisait actuellement aux Épirotes et aux Illyriens; ils devaient enfin l'engager à une alliance avec la Macédoine. (3) Pleurate et Adée, après avoir franchi le mont Scardus, traversèrent la partie de l'illyrie appelée Déserte (les Macédoniens l'avaient récemment dévastée pour rendre difficiles les incursions des Dardaniens en Macédoine), (5) et atteignirent, après beaucoup de fatigues, par une telle route, la ville de Scorda, où, instruits que Gentius était à Cissa, ils lui firent connaître leur arrivée. (5) Le roi les pria de venir le trouver; et, rendus bientôt auprès de lui, ils lui firent part de leurs instructions. (6) Gentius ne semblait pas éloigné de s'allier à Persée ; mais il donna pour prétexte, s'il n'acceptait pas les offres qu'on lui faisait, le manque de préparatifs et l'impossibilité d'entreprendre la guerre contre les Romains sans argent. (7) Adée rapporta cette réponse à Persée, (8) qui habitait alors Stybéra, occupé à vendre son butin et à faire reposer son armée en attendant le retour de ses députés. (9) Dès qu'il eut appris les paroles de Gentius, il lui renvoya aussitôt Adée avec Glaucias, l'un de ses gardes du corps, et l'Illyrien Pleurate, parce que ce dernier connaissait la langue illyrienne. (10) Il leur donna les mêmes ordres, comme si Gentius n'avait pas nettement expliqué et ce qu'il demandait et à quelle condition il devait accepter ses offres. (11) Ils partirent, et lui-même se mit eu marche avec son armée vers Ancyre. [28,9] IX. Peu après, les ambassadeurs envoyée à Gentius revinrent sans avoir rien fait de plus que la première fois, et rapportant la même réponse. (2) Gentius restait en ses premiers sentiments, et se montrait prêt à s'allier à Persée ; mais il prétendait manquer d'argent. (3) Persée, sans tenir compte de cette difficulté, envoya pour la troisième fois Hippias, afin de s'entendre au sujet de l'alliance, et ne dit pas un mot de ce qui était le plus important, de ce qui pouvait seul lui rendre Gentius favorable ; de l'argent. (4) En vérité, je ne sais comment appeler une telle conduite : sottise ou aveuglement fatal?... Mais non, ne voyons qu'aveuglement fatal chez ces hommes qui, disposés à entreprendre de grandes choses et à sacrifier même leur vie, négligent ce qui doit le mieux assurer leur succès, bien qu'ils le voient et puissent le faire!... (5) Si Persée, par exemple, eût voulu dans ce temps faire part de ses richesses aux républiques, et en particulier aux rois, aux magistrats, non pas même avec toute la générosité que lui permettaient ses revenus, mais seulement avec une sage modération, il aurait entraîné dans son parti tous les Grecs et sinon tous les rois, (6) du moins la plupart. Je ne pense pas qu'il soit un homme sage qui essaye de contester ce fait. (7) Il est maintenant heureux qu'il n'ait pas suivi cette voie : vainqueur, il eût été trop redoutable, vaincu, il aurait enveloppé bien des peuples dans sa ruine. (8) Il prit une autre route, et par là peu de Grecs ont participé à sa mauvaise fortune. [28,10] X. Comme Persée voulait conduire son armée en Thessalie et, suivant toute vraisemblance, mettre fin à la guerre par un coup décisif, Archon jugea convenable de réfuter par des faits les calomnies et les soupçons dont les Achéens étaient l'objet auprès de Rome. (2) Il fit donc décréter par l'assemblée que toutes les forces de la ligue réunies se porteraient en Thessalie pour y partager avec les Romains les chances du prochain combat. (3) Le décret ratifié, les Achéens confièrent à Archon le soin de faire les levées, de pourvoir à tous les préparatifs, et résolurent d'envoyer au consul, en Thessalie, des ambassadeurs pour lui faire part de la décision prise, et apprendre de sa bouche comment et en quel lieu il voulait unir ses troupes aux leurs. (4) Ils chargèrent de cette ambassade Polybe et quelques autres, et recommandèrent particulièrement à Polybe, dans le cas où le consul accepterait les secours proposés, de faire repartir aussitôt ses collègues, afin d'en donner avis, et d'empêcher que les subsides ne fussent en retard ; (5) lui-même devait veiller à ce que l'armée trouvât les subsistances nécessaires dans les villes qu'il traverserait, et à ce que les soldats ne manquassent de rien. (6) Ces instructions données, les députés partirent. (7) En même temps, on dépêcha vers Attale Télocrite, avec le décret qui concernait le rétablissement des honneurs d'Eumène. (8) Enfin, sur ces entrefaites, on apprit que la fête des anaclétéries avait été célébrée à Alexandrie, en l'honneur de Ptolémée, suivant la coutume pratiquée par les rois d'Égypte, quand ils atteignent leur majorité. (9) Les Achéens jugèrent convenable de témoigner quelle part ils prenaient à cet événement, et décrétèrent une ambassade qui devait aller renouveler l'antique alliance des Achéens et de l'Égypte : Alcithe et Pasidas en furent chargés. [28,11] XI. Polybe, instruit que les Romains n'étaient plus en Thessalie et qu'ils campaient en Perrhébie, entre Azorium et Doliche, (2) différa sa jonction avec eux à cause des périls qui menaçaient; mais il prit part à toutes les batailles qu'ils livrèrent pour forcer l'entrée de la Macédoine. (3) Enfin, lorsque l'armée eut atteint Héraclée, il crut l'occasion favorable à une entrevue, le consul semblant avoir accompli la plus grande partie de son entreprise. (4) Il présenta donc à Marcius le décret rendu par les Achéens, et lui communiqua leur intention de s'associer avec toutes leurs forces aux dangers et aux combats qui attendaient les Romains. Il lui rappela comment, dans le cours de cette guerre, ils avaient obéi aux ordres que Rome leur avait signifiés ou par écrit ou de vive voix. (5) Mais Marcius, après avoir loué en termes magnifiques les sentiments des Achéens, les pria de s'épargner tant de travaux et de dépenses, parce que les circonstances, dit-il, rendaient inutiles les secours des alliés. Sur cette réponse, les députés retournèrent en Achaïe, à l'exception de Polybe, (7) qui se mêla à tous les événements qui suivirent, jusqu'à l'époque où Marcius, informé qu'Appius Cento sollicitait des Achéens de lui faire passer cinq mille hommes en Épire, le renvoya dans sa patrie pour qu'il empêchât ses concitoyens d'accorder quelque chose à Cento, et de s'imposer de grandes dépenses pour satisfaire une demande inutile et injuste. (8) Était-ce par intérêt pour les Achéens, ou voulait-il réduire à l'inaction Appius? c'est ce qu'il est difficile de dire. (9) Quoi qu'il en soit, Polybe revint dans le Péloponnèse, que déjà la lettre d'Appius y était parvenue ; et l'assemblée, qui se réunit peu après à Sicyone, le jeta dans de grands embarras. (10) Dès que la délibération fut ouverte au sujet de la requête de Cento, il pensa qu'il fallait bien se garder de négliger ce que Marcius lui avait dit en particulier, et refuser ouvertement le secours, sans écrit du consul, était fort délicat. (11) Grande était la difficulté, mais il s'en tira en s'appuyant d'un décret du sénat qui ordonnait de ne tenir aucun compte des lettres des généraux si elles n'étaient pas écrites en vertu d'un sénatus-consulte. (12) Or, cette autorisation manquait à la missive d'Appius. (13) Polybe obtint qu'on en référât au conseil, et par là épargna à ses concitoyens une dépense de plus de cent vingt grands talents - (14) mais il fournit à ses détracteurs une riche matière pour le décrier auprès du général en s'opposant à sa demande concernant les subsides. [28,12] XII. Cette ville fut prise par un moyen stratégique tout nouveau. Elle avait d'un côté un mur très bas, que les Romains firent attaquer par trois compagnies : les soldats de la première, réunissant leurs boucliers au-dessus de leurs têtes, formèrent une tortue qui présentait la forme d'un toit impénétrable à la pluie; les deux autres montèrent sur ce toit. La formation de la tortue en forme de toit est une tactique habituelle aux Romains, qui s'y exercent comme à un jeu. XII a. Réduit aux dernières extrémités par l'entrée des Romains en Macédoine, le roi s'en prit à Hippias. Il est aisé, en effet, d'accuser nos amis et de voir leurs fautes ; mais faire soi-même ce qui est nécessaire est difficile. La conduite de Persée en est une preuve. [28,13] XIII. Chaque jour les dissensions intestines s'aggravaient à Rhodes. (2) Voici comment. Lorsque le décret du sénat qui prescrivait de ne plus obéir désormais aux ordres des généraux, mais seulement aux sénatus-consultes fut connu, il n'y eut presque qu'une voix pour louer la sagesse du sénat ; (3) et aussitôt Philophron et Théétète, saisissant cette occasion, demandèrent qu'on envoyât des députés au sénat, au consul Q. Marcius et à Caïus, commandant de la flotte; (4) car tout le monde savait déjà quels magistrats romains nouvellement nommés à Rome devaient venir dans les parages de la Grèce. (5) Leur avis l'emporta, malgré une certaine opposition : Agésiloque, fils d'Hégésias, se rendit à Rome avec (6) Nicagoras et Nicandre au commencement de l'été, tandis qu'Agépolis, (7) Ariston et Pancrate se dirigèrent vers le consul et le commandant de la flotte : ces députés devaient renouveler l'alliance avec les Romains et répondre aux calomnies qu'on avait répandues sur leur ville. (8) Agésiloque était de plus chargé de traiter au sujet de l'exportation du blé. (9) On connaît ce qu'ils dirent en présence du sénat, les réponses qui leur furent faites, et les excellents procédés dont ils furent l'objet. Nous avons déjà vu tout cela en parlant de l'Italie. (10) A ce propos il est bon de rappeler (nous ne saurions le faire trop souvent) que nous sommes fréquemment obligé de rapporter les discours des ambassadeurs et les réponses qu'ils reçoivent avant d'annoncer leur nomination et leur départ. (11) Comme nous nous sommes imposé d'écrire année par année tous les événements qui s'accomplissent en même temps, et de faire marcher de front l'histoire de tous les peuples, il est inévitable que ces anticipations se présentent dans cette histoire. [28,14] XIV. Pour Agépolis, dès qu'il eut atteint Quintus, qu'il trouva campé en Macédoine, près d'Héraclée, il lui parla dans le sens de ses instructions. (2) Le consul répondit d'abord qu'il n'ajoutait pas foi aux calomnies dont on chargeait les Rhodiens ; mais il les engagea à ne pas souffrir dans leur république que quelqu'un osât mal parler des Romains, et il prodigua aux députés les marques d'une entière bienveillance. (3) Il répéta dans une lettre aux Rhodiens ce qu'il avait dit à leurs députés. (4) Agésipoiis avait été séduit par les caresses du consul ; Marcius s'en aperçut, et, le prenant à part, lui dit qu'il s'étonnait que Rhodes n'essayât pas d'empêcher la guerre qui venait d'éclater entre Ptolémée et Antiochus ; que ce rôle lui convenait parfaitement. (5) En parlant ainsi, Marcius craignait-il qu'Antiochus ne s'emparât d'Alexandrie et ne devînt dans l'avenir dangereux aux Romains, sa lutte contre Persée traînant en longueur (6) (car la guerre était commencée au sujet de la Célésyrie)? (7) Ou bien, en homme qui comprenait que le différend des Romains avec Persée serait bientôt terminé, puisque leur armée avait déjà pénétré dans la Macédoine, (8) et qui concevait les plus belles espérances sur le résultat de cette guerre, voulait-il exciter les Rhodiens à intervenir entre les deux princes, pour que, par cette conduite, ils fournissent une occasion aux Romains de les traiter ensuite comme il leur plairait? Il n'est pas facile de le décider ; (9) mais je crois la seconde supposition plus vraie, et ce qui se passa peu après à Rhodes l'a confirmée. (10) Agépolis se rendit aussitôt auprès de Caïus, reçut de lui un accueil plus bienveillant encore que de Marcius, et revint promptement à Rhodes. (11) Le récit qu'il fit de cette ambassade, la bienveillance empreinte dans les paroles des deux généraux, les sentiments affectueux dont ils avaient fait preuve à l'envi dans leurs réponses, tout cela releva les esprits des Rhodiens et alluma leur imagination. Toutefois il n'en fut pas ainsi de tous. (12) Les citoyens sensés étaient charmés de la bienveillance des Romains ; les brouillons, au contraire et les mécontents prétendirent que ces prévenances excessives étaient un signe de crainte et une preuve que tout n'allait pas à leur gré. (13) Enfin, quand Agépolis eut rapporté à quelques-uns de ses amis la recommandation que Marcius lui avait faite en particulier de parler au sénat de Rhodes, concernant la guerre de deux rois, (14) Dinon ne douta plus que les Romains ne fussent dans de grands embarras : (15) on envoya aussitôt une ambassade à Alexandrie pour faire poser les armes à Antiochus et à Ptolémée. [28,15] XV. En Crète, les Cydoniates, redoutant les Gortyniens, parce que l'année précédente leur ville avait été sur le point de tomber aux mains de Nothocrate, qui l'avait soudainement attaquée, envoyèrent des ambassadeurs à Eumène pour lui demander du secours au nom de leur alliance. (2) Ce prince chargea Léon de cette expédition, et le fit partir avec trois cents hommes. (3) Les Cydoniates livrèrent les clefs de leur ville à cet officier, et s'abandonnèrent à sa discrétion. [28,16] XVI. Lorsque Antiochus eut ainsi entamé l'Égypte, Comane et Cinéas, qui tinrent conseil avec Ptolémée, ouvrirent l'avis de composer une assemblée des principaux chefs pour délibérer sur les affaires présentes. (2) Cette assemblée résolut de députer tous les ambassadeurs du peuple grec auprès d'Antiochus pour traiter de la paix. (3) Il y avait alors deux ambassades venues de l'Achaïe, l'une pour renouveler amitié, composée d'Alcithe, fils de Xénophon, d'Égium, et de Pasidas, l'autre pour célébrer les antigonies. (4) Les Athéniens avaient, à la même époque, chargé Démarate d'offrir quelques présents à Ptolémée, et lui avaient adjoint deux théories, l'une pour les panathénées, sous la conduite de Callias, l'autre pour les mystères, et dont Cléostrate était le chef et l'orateur. (5) Milet aussi avait député Eudème et Icésius, Clazomène, Apolonide et Apollonius. (6) Le roi envoya avec ces députés Tlépolème et le rhéteur Ptolémée. (7) Ils se rendirent, en remontant le Nil, auprès d'Antiochus. [28,17] XVII. Lorsqu'ils furent arrivés, Antiochus les reçut avec bienveillance et les convia le premier jour à un magnifique festin. (2) Le lendemain, il leur donna audience et les invita à lui exposer l'objet de leur mission. (3) Les députés achéens parlèrent les premiers, puis Démarate d'Athènes et Eudème de Milet. (4) Tous envoyés dans les mêmes circonstances et pour le même motif, ils tinrent tous un langage à peu près semblable. (5) Ils imputèrent à Euléus seul ce qui s'était passé, alléguèrent en faveur de Ptolémée sa jeunesse, et invoquèrent pour conjurer la colère du roi les liens du sang qui les unissaient. (6) Antiochus approuva ces discours, y ajouta même ; puis, commençant à parler de la justice de sa cause, il essaya de démontrer que la Célésyrie était le domaine légitime des rois de Syrie. (7) Il établit d'abord fortement qu'elle avait appartenu à Antigone, premier roi de Syrie, et produisit les actes mêmes de la cession qu'en avaient faite les rois de Macédoine à Séleucus, après la mort d'Antigone. (8) Ensuite il insista sur la conquête de cette province par son père durant la dernière guerre. (9) Enfin il nia l'existence du traité que les ambassadeurs égyptiens alléguaient, et qu'ils disaient avoir été conclu à Alexandrie, entre le dernier Ptolémée et Antiochus, lequel aurait donné la Célésyrie à Ptolémée, comme dot de Cléopâtre, mère du roi actuel. Lorsque, par ces explications, (10) Antiochus eut fait passer dans ceux qui l'entouraient la conviction qu'il avait lui-même de son bon droit, il quitta les députés et se rendit à Naucratis. (11) Il en traita les habitants avec une grande douceur, donna à tous les Grecs qui y étaient établis une pièce d'or, et se dirigea sur Alexandrie. (12) Là, il promit de donner réponse aux ambassadeurs, aussitôt qu'Aristide et Théris, (13) qu'il avait envoyés à Ptolémée, seraient de retour, parce qu'il voulait rendre les députés grecs témoins de tout ce qu'il ferait. XVIIa. Ce fut l'eunuque Euléus qui lui conseilla de livrer, par cette retraite, son royaume à l'ennemi, et de se retirer dans cette île avec ses biens ; (2) nouvel exemple qui prouve bien que rien n'est plus funeste que la société des méchants ! (3) Que Ptolémée, en effet, encore hors de danger et séparé de l'ennemi par de grandes distances, n'ait rien osé entreprendre; que pourvu de tant de ressources, maître de tant de pays et de tant de peuples, il se soit aussitôt dépouillé lui-même, sans combat, d'une couronne si illustre et si brillante, n'est-ce pas la marque incontestable d'une âme efféminée et corrompue ? (4) Si Ptolémée l'eût reçue telle de la nature, c'est elle qu'il faudrait accuser, sans l'imputer à qui que ce fût. (5) Mais puisque dans d'autres circonstances elle se justifia par ses actions en montrant Ptolémée ferme et brave dans le péril, il est évident qu'on doit attribuer aux honteux conseils de cet eunuque cette lâcheté soudaine et cette retraite à Samothrace. [28,18] XVIII. Aussitôt qu'il eut cessé d'assiéger cette ville, il adressa des députés à Rome, (2) c'étaient Méléagre, Sosiphane et Héraclide. (3) Il leur remit cent cinquante talents ; cinquante pour les Romains, le reste était destiné à quelques villes grecques. [28,19] XIX. Dans ces mêmes jours, débarqua l'ambassade envoyée par les Rhodiens à Alexandrie pour y négocier la paix, et dont Pratéon était le chef. Elléus se rendit au camp d'Antiochus, (2) et, admis en sa présence, Pratéon prononça un long discours, où il rappela les sentiments de bienveillance dont Rhodes était animée à l'égard des deux royaumes, les liens qui unissaient les deux princes, et les avantages que leur procurerait la paix. (3) Mais Antiochus interrompit l'ambassadeur et lui dit que plus de paroles était inutile ; (4) que le royaume appartenait, en effet, à Ptolémée l'aîné; que depuis longtemps il était en relations d'amitié avec lui, et en pourparlers pour le rétablissement de la paix ; que si les Alexandrins voulaient le rappeler, il ne s'y opposait pas. (5) Antiochus tint sa promesse.