[9,0] LIVRE IX. [9,1] (1) La Béotie confine à l'Attique, du côté d'Athènes même, et par d'autres endroits. Car Éleuthérai, par exemple, et Platées sont limitrophes. Les Béotiens, pour parler de la nation en général, ont pris leur nom de Béotus, que l'on croit avoir été fils d'Itonus et de la nymphe Mélanippe; à l'égard d'Itonus, on tient qu'il était fils d'Amphictyon. Plusieurs villes de Béotie portent des noms d'hommes; mais d'autres, en plus grand nombre portent des noms de femmes. Ainsi les Platéens, que je crois originaires de la terre qu'ils habitent, tiennent leur nom de Platéa, qui était, dit-on, fille d'un fleuve. (2) Il est certain que dans les premiers temps, ces peuples obéissaient à des rois; car le gouvernement monarchique était autrefois établi par toute la Grèce, et le démocratique ou républicain n'est venu qu'après. Cependant les Platéens ne peuvent citer que deux de leurs rois, savoir Asopus, et Cithéron qui régnait avant lui. L'un donna son nom à un fleuve, et l'autre donna le sien à une montagne. Je serais fort tenté de croire que Platéa, dont la ville de Platées tire sa dénomination, était fille d'Asopus, et non d'un fleuve, comme on le dit; (3) quoiqu'il en soit, nous ne connaissons aucun exploit militaire des Platéens avant le combat de Marathon. Ils secondèrent parfaitement bien les Athéniens en cette occasion, et après la descente de Xerxès en Grèce, ils eurent le courage de monter sur la flotte des mêmes Athéniens; ensuite dans leur propre pays, ils taillèrent en pièces Mardonius, fils de Gobryas, et général de l'armée des Perses. Deux fois ils furent chassés de leur ville, et deux fois ils furent rétablis. (4) Car dans la guerre du Péloponnèse, les Lacédémoniens assiégèrent Platées et la prirent. Mais, quelque temps après, le Spartiate Antalcidas ayant ménagé la paix entre les Grecs, par l'entremise du roi de Perse, les Platéens qui s'étaient réfugiés à Athènes, rentrèrent dans leur patrie, où bientôt néanmoins ils se virent exposés à de nouveaux malheurs. En effet, quoiqu'ils ne fussent point en guerre avec les Thébains, qu'au contraire, il protestassent qu'ils voulaient observer le traité à leur égard, et que pour preuve de leur bonne foi ils n'eussent en rien participé à l'entreprise des Lacédémoniens sur la Cadmée; (5) cependant, comme ceux-ci avaient surpris cette citadelle, les Thébains s'en prenaient à tous ceux qui étaient compris dans le traité, et qui auraient dû, à ce qu'il leur semblait, empêcher cette infraction. De sorte que les Platéens se voyant suspects, et ayant tout à craindre de la part des Thébains, se précautionnaient en tenant une forte garnison dans Platées. Ceux qui avaient des métairies hors la ville n'y allaient pas même indifféremment à toutes les heures du jour. Ils observaient le temps que les Thébains étaient assemblés pour délibérer sur leurs affaires, ce qui leur arrivait souvent, et alors les bourgeois de Platées sortaient pour aller visiter leur bien à la campagne. (6) Mais le Thébain Néoclès, qui pour lors était archonte, voyant la défiance et la précaution des Platéens, résolut de les attraper. Il commanda aux Thébains de se trouver en armes à l'assemblée du peuple, et au lieu de tenir conseil, il les mena brusquement à Platées, non par le droit chemin qui est à travers la plaine, mais par Hysies, du côté d'Éleuthérai et de l'Attique, par où il était bien sûr de n'être pas découvert. Sa marche fut si bien conduite, qu'ils se virent avant midi sous les murs de la ville. (7) C'était l'heure que la plupart des Platéens, croyant les Thébains assemblés à leur ordinaire, s'étaient répandus dans la campagne, après avoir fermé sur eux la porte par où ils étaient sortis. Néoclès entra par une autre, se rendit maître du reste des habitants, et toute la grâce qu'il leur fit, ce fut qu'ils auraient la vie sauve, et qu'ils sortiraient de la ville avant le coucher du soleil, les hommes avec un habit, les femmes avec deux. Il arriva aux Platéens en cette occasion tout le contraire de ce qui leur était arrivé, lorsqu'ils furent assiégés par les Lacédémoniens, sous la conduite d'Archidame; car alors les Lacédémoniens les resserrèrent dans leur ville par un double mur de circonvallation, de sorte qu'ils n'en pouvaient sortir; et lorsque les Thébains les surprirent, ils les empêchèrent d'y rentrer. (8) Platées fut prise pour la seconde fois, trois ans avant le combat de Leuctres, Astéüs étant pour lors archonte à Athènes. Les Thébains rasèrent entièrement la ville, à l'exception des temples. Les circonstances de ce malheur tournèrent dans la suite à l'avantage des Platéens; car, chassés de leur ville, ils furent encore une fois reçus à bras ouverts par les Athéniens; et Philippe ayant remporté la victoire à Chéronée, non seulement il mit garnison dans Thèbes, mais pour susciter un ennemi aux Thébains et hâter leur ruine, il rétablit les Platéens dans leur patrie. [9,2] (1) Aux environs de Platées, sous le mont Cithéron, si vous prenez un peu à droite, vous apercevrez les ruines d'Hysies et d'Érythes, qui étaient autrefois deux villes de la Béotie. Même parmi les restes d'Hysies vous verrez un temple d'Apollon, qui n'est bâti qu'à demi. Près de ce temple est un puits sacré dont l'eau avait une vertu prophétique; car, si l'on en croit les Béotiens, ceux qui en buvaient prédisaient l'avenir. (2) Rentré dans le grand chemin, vous avez à votre droite le tombeau de Mardonius; c'est ainsi qu'ils l'appellent, quoiqu'il passe pour constant que le corps de ce général ne se trouva point sur le champ de bataille, et que l'on puisse nommer aucun Béotien qui ait pris soin de l'enterrer. Aussi dit-on seulement qu'Artonte, fils de Mardonius, fit de riches présents à Dionysophane d'Éphèse, et à quelques autres Ioniens, parce qu'ils avaient été soigneux de donner la sépulture à son père. (3) Le chemin dont je parle est celui qui conduit d'Éleuthérai à Platées. Si vous prenez celui de Mégare, vous trouverez sur la droite une fontaine, et un peu plus loin une roche, dite la roche d'Actéon, parce qu'Actéon, après s'être fatigué à la chasse, venait se reposer en ce lieu, d'où il pouvait aisément voir Diane, lorsqu'elle se baignait dans la fontaine voisine. Le poète Stésichore dit que la déesse le couvrit d'une peau de cerf, et qu'elle le fit mettre en pièces par ses chiens, pour le punir de ce qu'il voulait épouser Sémélé. (4) Mais sans recourir à aucune divinité, je croirais pour moi que ces chiens devinrent enragés, et que ne connaissant plus leur maître, ils se jetèrent sur lui et le déchirèrent. Nul ne sait en quel endroit du mont Cithéron, Penthée, fils d'Échion, porta la peine due à sa témérité, ni où Œdipe, enfant, fut exposé. Pour ce qui est de ce chemin qui fourche, et où, devenu grand, il tua son père, on sait que c'est un endroit de la Phocide, et on le connaît. Le mont Cithéron est consacré à Jupiter Cithéronius; j'en parlerai plus au long, lorsque la suite de ma narration m'y aura conduit. (5) Près des murs de Platées, on voit la sépulture de ceux qui périrent en combattant contre les Perses. Les autres Grecs ont une sépulture commune; mais les Lacédémoniens et les Athéniens en ont une à part avec des épitaphes en vers élégiaques, faites par Simonide. Non loin du tombeau commun à tous les Grecs, il y a un autel dédié à Jupiter le Libérateur; le tombeau est de bronze, l'autel et la statue du dieu sont de marbre blanc. (6) Les Platéens célèbrent encore à présent tous les cinq ans des jeux, où le prix de la course surtout est fort considérable. On court tout armé devant l'autel de Jupiter. À quinze stades de la ville, vous verrez le trophée que les Grecs érigèrent après la victoire remportée sur les Perses; (7) et dans la ville même, du côté de Jupiter Éleutherius ou le Libérateur, on vous montrera le monument héroïque de Platéa. J'ai déjà dit ce que je pensais de cette Platéa, et ce qu'en pensent ces peuples. Ils ont un temple de Junon, qui mérite d'être vu, tant pour sa grandeur que pour les statues dont il est orné. En entrant on voit une Rhéa qui présente à Saturne une pierre enveloppée de langes, comme si c'était un enfant qu'elle eût mis au monde. La divinité du temple, c'est Junon adulte; elle est représentée toute droite; c'est une statue d'une grandeur extraordinaire. L'une et l'autre sont de marbre du mont Pentélique, et de la façon de Praxitèle. Il y a dans le même temple une autre Junon, qui est couchée; celle-ci est un ouvrage de Callimachus. Il la nomment Junon l'épousée pour la raison que je vais dire. [9,3] (1) Junon se fâcha un jour contre Jupiter; on ne sait pas pourquoi; mais on assure que de dépit elle se retira dans l'Eubée. Jupiter n'ayant pu venir à bout de la fléchir, vint trouver Cithéron qui régnait alors sur Platées. Cithéron était l'homme le plus sage de son temps. Il conseilla à Jupiter de faire faire une statue de bois, de l'habiller en femme, de la mettre dans un chariot attelé d'une paire de bœufs que l'on traînait par la ville, et de répandre dans le public que c'était Platéa, la fille d'Asopus, qu'il allait épouser. (2) Son conseil fut suivi. Aussitôt la nouvelle en vient à Junon, qui part dans le moment, se rend à Platées, s'approche du chariot, et dans sa colère, voulant déchirer les habits de la mariée, trouve que c'est une statue. Charmée de l'aventure, elle pardonna à Jupiter sa supercherie et se réconcilia de bonne foi avec lui. En mémoire de cet événement, ces peuples célèbrent une certaine fête qu'ils appellent les Dédales, parce qu'anciennement toutes les statues de bois étaient appelées des dédales. Je crois même ce nom plus ancien que Dédale l'Athénien, fils de Palaemon, et je me persuade que Dédale fut surnommé ainsi, à cause des statues qu'il faisait, et que ce n'était pas son vrai nom. Un savant du pays, que j'avais pris pour m'en montrer les curiosités, m'assura que cette fête venait tous les sept ans; mais il se trompait, elle vient plus tôt; cependant, quand nous voulûmes supputer au juste temps d'une fête à l'autre, nous ne pûmes en venir à bout. Voici maintenant les cérémonies que l'on y observe. (4) Près de la ville d'Alalcomène est le plus grand bois qu'il y ait dans toute la Béotie; on y voit de vieux chênes aussi anciens que le temps. C'est là que les Platéens s'assemblent; ils apportent avec eux des morceaux de viande cuite, les jettent dans ce bois, et les défendent autant qu'ils peuvent contre les corbeaux, qui sont en grand nombre; ils s'embarrassent peu des autres oiseaux, parce qu'ils ne sont pas si voraces. Mais si, malgré leur vigilance, quelque corbeau vient à emporter un morceau de viande, pour lors ils observent soigneusement sur quel arbre il va se percher, et c'est du bois de cet arbre qu'ils font un dédale, ou, pour parler plus clairement, une statue. (5) Les Platéens célèbrent cette fête en leur particulier, et alors ce sont les petits dédales. Les grands sont accompagnés de plus de solennité: tous les Béotiens y assistent en corps; mais la fête ne se fait que tous les soixante ans, parce qu'elle fut discontinuée durant tout ce temps, à cause de l'exil des Platéens. Aux petits dédales, on porte en procession quarante statues; car toutes celles que l'on fait chaque année sont réservées pour le jour de la fête; (6) et il y a huit villes qui tirent au sort à qui aura l'honneur de porter ces statues, Platées, Coronée, Thespies, Tanagra, Chéronée, Orchomène, Lébadée et Thèbes. En effet, après que Thèbes eût été rétablie par Cassandre, fils d'Antipater, toutes ces villes s'étant réconciliées avec les Platéens, voulurent être associées à la cérémonie des dédales, et faire chacune à son tour les frais du sacrifice. Les villes de moindre considération s'unissent ensemble et contribuent à la dépense selon leurs forces. Or voici de quelle manière la fête se passe. (7) Ces peuples, ainsi assemblés, portent une statue de femme sur les rives de l'Asope; ils la mettent sur un chariot, et une jeune mariée se place à côté d'elle; puis ils tirent au sort entre eux pour voir qui aura le pas et réglera la marche. Après ces préliminaires, ils conduisent le chariot depuis l'Asope jusqu'au haut du mont Cithéron, du côté de Thèbes. Là ils trouvent un autel tout préparé, fait de pièces de bois coupées en carré et emboîtées les unes dans les autres, comme pour un ouvrage de maçonnerie. Cet autel est couvert d'un monceau de sarment, en sorte qu'il n'y a plus qu'à y mettre le feu. (8) Les villes considérables sacrifient une vache à Junon, et un taureau à Jupiter, après avoir versé du vin et brûlé des parfums sur ces victimes; on range en même temps tous les dédales sur l'autel. Les particuliers qui sont riches, se piquent de faire comme les villes; les autres immolent des victimes de moindre prix. Tout ce que l'on offre en sacrifice est consumé par le feu avec l'autel, et la flamme est si grande, que je la vis de fort loin. (9) Sur le même coteau où ils élèvent cet autel, environ quinze stades au-dessous, on voit l'antre des nymphes eithéronides; ils appellent ce lieu Sphragidium et ils assurent qu'autrefois ces nymphes avaient le don de prophétie. [9,4] (1) Les Platéens ont aussi un temple de Minerve Aréa, qu'ils disent avoir bâti des dépouilles remportées au combat de Marathon, desquelles les Athéniens leur firent part. La statue de la déesse est dorée, à la réserve du visage, des mains et des pieds, qui sont du plus beau marbre; elle est presque aussi grande que la Minerve de bronze qui est dans la citadelle d'Athènes, et que les Athéniens consacrèrent comme les prémices des mêmes dépouilles; mais la Minerve des Platéens est un ouvrage de Phidias. (2) On voit de fort belles peintures dans le temple; d'un côté, Ulysse, maître chez lui, après avoir tiré vengeance de ces insolents qui aspiraient à épouser sa femme; de l'autre, la première expédition des Argiens contre Thèbes. Le premier tableau est de Polygnote, le second d'Onatas. Ces peintures sont sur les murs du parvis. Aux pieds de la statue de Minerve vous voyez Arimneste, qui commandait les Platéens à la journée de Marathon, et depuis au combat qui fut donné contre Mardonius. (3) Outre le temple de Minerve, vous pourrez voir une chapelle de Cérès Éleusienne, et le tombeau de Léius; ce Léius fut le seul de tous les chefs de Béotiens qui revint du siège de Troie. On vous montrera aussi la fontaine Gargaphia, dont on dit que Mardonius infecta l'eau, parce que les Grecs, qui étaient campés auprès, n'en avaient pas d'autre à boire. Depuis, les Platéens l'ont fait nettoyer. (4) Sur le chemin qui mène de Platées à Thèbes, vous trouverez le fleuve Péroé; on assure qu'Asopus eut une fille de ce nom. Avant que de passer l'Asope, si en suivant son cours, et en descendant, vous voulez faire quelque quarante stades, vous verrez les ruines de la ville de Scolum, parmi lesquelles s'est conservé un temple non encore achevé de Cérès et de Proserpine, avec deux bustes de ces déesses. L'Asope sépare encore aujourd'hui, comme autrefois, le territoire des Platéens de celui des Thébains. [9,5] (1) On croit que les premiers peuples qui ont habité la Thébaïde, étaient les Ectènes, et qu'ils avaient pour roi, Ogygus, qui était lui-même enfant de la terre, c'est-à-dire originaire du pays. De là vient que la plupart des poètes donnent à Thèbes le surnom d'Ogygies. On dit que tout ce peuple périt de la peste, et qu'aux Ectènes succédèrent les Hyantes et les Aoniens, peuples, comme je crois, de la Béotie, et nullement étrangers. (2) Ensuite Cadmus étant venu de Phénicie avec une armée, il livra combat aux Hyantes, et les défit; ces peuples se voyant subjugués s'enfuirent durant la nuit et allèrent chercher une retraite ailleurs. Mais les Aoniens se soumirent au vainqueur, qui leur permit de rester dans le pays, en sorte qu'ils ne firent plus qu'un peuple avec les Phéniciens; ils gardèrent donc les habitations qu'ils avaient dans les villages. Cadmus bâtit une ville, qui du nom de son fondateur s'appelle encore aujourd'hui Cadmée. Mais cette ville s'étant accrue avec le temps, ce que l'on appelait Cadmée, ne fut plus qu'une citadelle par rapport à la ville basse que l'on bâtit depuis. Le mariage de Cadmus fut fort illustre, s'il est vrai qu'il épousa la fille de Mars et de Vénus, comme les Grecs le disent: et de ce mariage sortirent deux filles qui ne furent pas moins célèbres, Sémélé, qui donna un fils à Jupiter, et Ino, qui fut mise au nombre des divinités de la mer. (3) Sous le règne de Cadmus, ces hommes, à qui l'on a donné le nom de Spartes, se rendirent fort puissants, Chthonius, Hypérénor, Pélorus et Udéüs; car pour Échion, qui les surpassait tous en courage, Cadmus le choisit pour en faire son gendre. Je n'ai pu rien découvrir de certain, touchant la race de ces hommes extraordinaires; c'est pourquoi je m'en tiens à la fable, qui dit qu'ils furent appelés Spartes, à cause de la manière étrange dont ils naquirent. Après que Cadmus se fut encore transplanté en Illyrie, et qu'il eut fixé son domicile chez les Enchéléens, son fils Polydore occupa le trône. (4) Penthée, fils d'Échion, pouvait beaucoup, tant par sa naissance que par sa faveur auprès du prince. Mais devenu insolent et même impie jusqu'à profaner les mystères de Bacchus, il éprouva la vengeance du dieu, et reçut le châtiment qu'il méritait. Polydore avait un fils en bas âge, nommé Labdacus; se sentant près de la fin, il recommanda le royaume et son fils à Nyctée. (5) Ici il faut se souvenir de ce que j'ai dit dans l'histoire des Sicyoniens; car j'y ai raconté comment Nyctée mourut, et de quelle manière son frère Lycus eut la tutelle du jeune prince avec l'administration du royaume. Quand Labdacus fut en âge de gouverner par lui-même, Lycus lui remit le timon de l'état; mais il ne le garda pas longtemps, car il mourut peu d'années après; de sorte que Lycus se vit encore une fois tuteur d'un jeune roi, qui était Laïus, fils de Labdacus. (6) Ce fut durant cette tutelle, qu'Amphion et Zéthus, à la tête d'une armée, envahirent le pays. Ceux à qui l'on avait confié l'éducation de Laïus, commencèrent par mettre en sûreté cet unique et précieux rejeton de la race de Cadmus; précaution qui fut fort sage, car les deux fils d'Antiope livrèrent bataille à Lycus et remportèrent la victoire. S'étant donc emparés du royaume, ils joignirent ce que l'on appelait Cadmée à la ville basse, à laquelle ils donnèrent le nom de Thèbes, pour faire honneur à Thébé, leur tante maternelle. (7) Homère nous apprend qu'ils fermèrent la ville de Thèbes par sept bonnes portes, et qu'ils élevèrent des tours d'espace en espace; sans quoi, dit- il, tout redoutable qu'ils étaient, ils n'eussent pu habiter sûrement cette grande ville. Le poète ne dit pas un mot de la voix merveilleuse d'Amphion, ni des murs de Thèbes, bâtis au son de sa lyre. Pour moi, je crois qu'Amphion ne fut réputé si grand musicien, que parce qu'étant parent de Tantale, il avait appris la musique des Lydiens, qu'il en avait transporté l'harmonie chez les Grecs, et qu'aux quatre cordes que la lyre avait déjà, il en avait ajouté trois autres. (8) Cependant l'auteur du poème sur Europe dit qu'Amphion apprit de Mercure à jouer de la lyre, et que par la douceur de ses accords, il se faisait suivre des bêtes sauvages et des pierres mêmes. Myron de Byzance, qui a fait des vers héroïques et des élégies, rapporte qu'Amphion fut le premier qui érigea un autel à Mercure, et que le dieu, pour récompenser son zèle, lui fit présent d'une lyre. D'autres disent qu'il est puni dans les enfers, pour s'être aussi moqué de Latone et de ses enfants. (9) Il est parlé de son supplice dans ce poème qui a pour titre, la Minyade, où le poète met Amphion et le Thrace Tamyris au même rang. Quoi qu'il en soit, après que la peste eut moissonné toute la maison d'Amphion, et que Zéthus, au désespoir de la mort de son fils, tué par sa propre mère, je ne sais pour quel crime, eut succombé à son chagrin, les Thébains remirent Laïus sur le trône. (10) Ce prince ayant épousé Jocaste, fut averti par un oracle de Delphes, que s'il avait un fils de ce mariage, ce fils lui ôterait la vie. C'est pourquoi Œdipe en étant né, Laïus prit le parti de l'exposer. Sa précaution fut inutile. Œdipe, devenu grand, tua son père, et épousa ensuite sa propre mère. Mais il n'en eut point d'enfants: Homère le déclare dans l'Odyssée; car Ulysse, après avoir dit qu'il vit aux enfers le mère d'Œdipe, la belle Épicaste, qui moins criminelle qu'imprudente, avait épousé son propre fils, en sorte que le malheureux Œdipe se trouvait tout à la fois l'assassin de son père et le mari de sa mère; Ulysse, dis-je, ajoute en parlant d'Épicaste ou de Jocaste: (11) "Mais aussitôt les dieux précipitant ses jours, De cet affreux inceste arrêtèrent le cours." En effet, comment les dieux auraient-ils arrêté le cours de cet inceste abominable, si Œdipe avait eu quatre enfants de Jocaste? Aussi, ne les eut-il pas d'elle, mais d'Euryganée, fille d'Hyperphas, comme le rapporte l'auteur du poème intitulé l'Œdipodie, ou les aventures d'Œdipe. C'est pourquoi dans un tableau d'Onatas, que l'on voit à Platées, Euryganée a un air triste et abattu, parce qu'elle attend l'issue du combat de ses fils. (12) Car, du vivant d'Œdipe, Polynice sortit de Thèbes dans la crainte d'encourir la malédiction dont son père l'avait frappé, lui et son frère. Il se réfugia à Argos, où il épousa la fille d'Adraste; et après la mort d'Œdipe, dont Étéocle lui donna avis, il revint à Thèbes; mais n'ayant pu s'accorder avec son frère, il en sortit une seconde fois, et puissamment aidé par son beau-père, il fit une tentative dont le succès fut malheureux. (13) Enfin, les deux frères s'étant défiés à un combat singulier, ils se battirent et périrent l'un et l'autre de leurs blessures. À Étéocle succéda son fils Laodamas, qui, encore jeune, fut mis sous la tutelle de Créon, fils de Ménécée. Lorsqu'il fut en âge de gouverner, les Argiens tentèrent une seconde expédition contre Thèbes. Les deux armées vinrent aux mains sur le bord du Glisante; Laodamas tua Aegialée, fils d'Adraste, dans le combat, mais il n'en perdit pas moins la bataille; c'est pourquoi, la nuit suivante, il se sauva en Illyrie, avec ceux qui voulurent le suivre. (14) Les Argiens, maîtres de Thèbes, mirent sur le trône, Thersandre, fils de Polynice. Quelque temps après, une partie de la flotte d'Agamemnon s'étant égarée en allant à Troie, et les Grecs qu'elle portait ayant été battus en Mysie, il arriva que Thersandre, qui s'était extrêmement distingué dans le combat, fut tué par Téléphus. On lui éleva un monument dans la ville d'Élée, vers les rives du Caïque, et l'on voit encore aujourd'hui dans la place publique de cette ville, une tombe en pierre exposée à l'air, sur laquelle les habitants vont tous les ans honorer sa mémoire. (15) Après la mort de Thersandre, les Grecs équipèrent un autre flotte, et prirent pour chef Pénélée, parce que le fils de Thersandre n'était pas en âge de les commander; mais Pénélée fut encore tué par Eurypyle, fils de Téléphus, et alors les Thébains reconnurent pour leur roi, Tisamène, fils de Thersandre et de Démonasse, qui était fille d'Amphiaraüs. Les furies, attachées au sang d'Œdipe et de Laïus, épargnèrent Tisamène; mais son fils Autésion en fut persécuté jusqu'à être obligé de se transplanter chez les Doriens par le conseil de l'oracle. (16) Après son départ les Thébains mirent à sa place Damasichton, fils d'Opheltès et petit-fils de Pénélée. À Damasichton succéda son fils Ptolémée, qui eut pour successeur, Xanthus, lequel fut tué dans un combat singulier, par Mélanthus, fils d'Andropompe, mais d'une manière qui ne fit point d'honneur à Mélanthus. Xanthus fut le dernier roi de Thèbes; après lui, les Thébains, las d'obéir à un seul homme, aimèrent mieux être gouvernés par plusieurs, et changèrent la forme de leur gouvernement en république. [9,6] (1) Quant à leurs entreprises militaires, soit heureuses, soit malheureuses, voici ce que j'ai trouvé de plus certain. Ils furent vaincus une première fois par les Athéniens, qui avaient pris le parti des Platéens dans la guerre qu'ils avaient contre Thèbes au sujet de leurs limites, et une seconde fois à Platées même par les mêmes Athéniens, lorsque Thèbes rechercha l'amitié du roi de Perse contre l'intérêt commun des Grecs; (2) faute qui ne doit pas être imputée à la nation, mais à un petit nombre de gens qui s'étaient emparé du gouvernement; car alors les lois de l'état et la première institution n'étaient plus en vigueur. Si les enfants de Pisistrate eussent encore exercé leur domination à Athènes, dans le temps que les Barbares firent leur irruption en Grèce, il ne faut pas douter que les Athéniens n'eussent été pareillement accusés de favoriser le roi de Perse. Mais revenons à notre sujet. (3) Dans la suite les Thébains eurent leur revanche; ils battirent les Athéniens à Delium, près de Tanagra; Hippocrate, fils d'Ariphon, qui commandait l'armée athénienne, perdit beaucoup de monde, et fut tué lui-même dans le combat. Depuis la retraite des Perses jusqu'à la guerre du Péloponnèse, les Lacédémoniens et les Thébains furent en assez bonne intelligence. Mais cette guerre étant finie, et la flotte d'Athènes ayant désarmé, peu de temps après les Thébains, ligués avec les Corinthiens, prirent les armes contre Sparte; (4) battus près de Corinthe et à Chéronée, ils remportèrent enfin à Leuctres la plus mémorable victoire que jamais les Grecs aient remportée sur d'autres Grecs. Ce fut alors qu'ils chassèrent les décurions que les Lacédémoniens avaient établis dans chaque ville, et ils chassèrent ces intendants spartiates, que l'on nommait Harmostes. Ensuite vint la guerre phocique ou sacrée, comme les Grecs l'appelèrent, qui dura dix ans sans interruption. (5) J'ai déjà dit dans mes mémoires sur l'Attique, que la bataille de Chéronée avait été fatale à toute la Grèce; mais les suites en furent fâcheuses, particulièrement pour les Thébains; car les vainqueurs mirent garnison dans Thèbes, et cette garnison y resta jusqu'à la mort de Philippe. Enfin, sous le règne d'Alexandre, les Thébains secouèrent le joug; mais aussitôt ils eurent un présage des maux dont ils allaient être accablés. (6) Car, à la veille de la bataille de Leuctres, les toiles que les araignées filaient au-dessus des portes du temple de Cérès législatrice, parurent toutes blanches, et lorsqu'Alexandre vint mettre le siège devant Thèbes, ces toiles d'araignées parurent toutes noires. On dit que par un pareil prodige, il plut de la cendre dans l'Attique, un an avant les calamités dont Sylla affligea les Athéniens. [9,7] (1) Les Thébains, chassés de leur ville par Alexandre, s'étant retirés à Athènes, furent dans la suite rétablis par Cassandre, fils d'Antipater. À dire le vrai, les Athéniens y contribuèrent de tout leur pouvoir, aussi bien que les Messéniens et les Mégalopolitains. (2) Je crois que ce qui porta Cassandre au rétablissement de Thèbes, ce fut la haine qu'il avait pour Alexandre; car il entreprit de détruire toute sa race. Il livra Olympias à ses plus cruels ennemis, qui la lapidèrent, et il empoisonna les deux fils de ce prince, Hercule et Alexandre qu'il avait eus, l'un de Barsine, l'autre de Roxane. Mais lui-même périt malheureusement; car plein d'une humeur aqueuse, il devint enflé, et les vers sortaient de toutes les parties de son corps. (3) Philippe, l'aîné de ses fils, après un règne fort court, mourut de phtisie. Antipater, le second, ayant succédé à son frère, fit mourir Thessalonice, sa propre mère, qui était fille de Nicasipolis, et le Philippe, père d'Alexandre le Grand. Il prit pour prétexte de son parricide, l'amour que cette malheureuse mère avait pour Alexandre, le plus jeune des fils de Cassandre. Mais le jeune prince ayant appelé Démétrius, fils d'Antigonus, à son secours, vengea la mort de sa mère en faisant périr son frère. Cependant, celui-là même qui avait été son défenseur, devint son assassin. (4) Ainsi, par une juste punition du ciel, toute la race de Cassandre fut éteinte. Sous son règne, comme je l'ai dit, Thèbes fut repeuplée; cependant les Thébains n'étaient pas pour cela à la fin de leurs misères. Car durant la guerre de Mithridate contre les Romains, ils se déclarèrent pour lui, sans autre raison, je crois, que l'affection qu'il portait au peuple d'Athènes. Mais à l'approche de Sylla, qui était entré en Béotie avec une armée, ils furent intimidés, et commencèrent à rechercher l'amitié des Romains. (5) Sylla, peu touché d'un repentir qui venait trop tard, ne songea qu'à les humilier, et entre autres moyens dont il s'avisa pour y parvenir, il confisqua la moitié de leurs terres; ce qu'il colora du prétexte que je vais dire. Dès le commencement de la guerre que Sylla eut à soutenir contre Mithridate, il se trouva dans un si grande disette d'argent, qu'il fut obligé de prendre à Olympie, à Épidaure et à Delphes, les richesses que la piété des particuliers avait consacrées aux dieux, et qui avaient pu échapper aux Phocéens. (6) Avec ce secours il fit subsister quelque temps ses troupes; et pour dédommager les dieux de ce qu'il leur avait ôter, il leur donna la moitié de toutes les terres que possédaient les Thébains. Dans la suite les Romains rendirent aux Thébains ce qui leur appartenait; mais à l'occasion de cette guerre de Mithridate, Sylla les réduisit à la dernière misère. Présentement toute la ville basse est en ruines, à l'exception des temples; il n'y a que la citadelle qui soit habitée, encore ne l'appelle-t-on plus la Cadmée, mais simplement Thèbes. [9,8] (1) Quand on a passé l'Asope, à dix stades de la ville, on trouve les ruines de Potnies, au milieu desquelles s'élève le bois sacré de Cérès et de Proserpine. Vous y voyez quelques statues que les gens du lieu nomment les déesses Potniades. Il y a un certain temps de l'année où ils leur font des sacrifices, et ils observent cet usage de laisser aller en quelques endroits du bois des cochons de lait, qui, si on les en croit, l'année suivante, à pareil temps, sont trouvés puissants dans la forêt de Dodone; mais le croie qui voudra. (2) Là se voit aussi un temple de Bacchus, surnommé Aigobolus, et voici la raison de ce surnom. Un jour que les Potniens sacrifiaient à Bacchus, s'étant enivrés, ils portèrent l'insolence jusqu'à tuer le prêtre du dieu. Aussitôt frappés de la peste, ils envoyèrent consulter l'oracle, sont la réponse fut que, pour apaiser Bacchus, il fallait lui immoler un jeune garçon qui eût atteint l'âge de puberté. Mais on dit que peu d'années après, le dieu lui-même substitua une chèvre à la place du jeune home qu'il allaient égorger; de là le surnom d'Aigobolus. À Potnies on vous montre un puits, dont on prétend que l'eau rend les cavales furieuses quand elles en boivent. (3) Sur le chemin de Potnies à Thèbes, vous verrez sur votre droite une petite enceinte fermée par une espèce de colonnade; ce fut-là, disent-ils, que la terre s'ouvrit pour engloutir Amphiaraüs; ils croient rendre le fait plus croyable, en ajoutant que, depuis ce temps-là, jamais on n'a vu aucun oiseau du ciel venir se reposer sur ces colonnes, ni aucun animal, soit domestique ou sauvage, venir brouter l'herbe qui croît en ce lieu-là. (4) La ville de Thèbes, dans son ancien circuit, avait sept portes, qui subsistent encore à présent; j'en rapporterai les noms. Il y a la porte Électride, du nom d'Électre, sœur de Cadmus; la porte Proetide, du nom d'un Proetus, qui était originaire du pays; mais il n'est pas aisé de dire en quel temps il vivait, ni de qui il descendait; la porte Nétide, ainsi nommée de ce qu'Amphion, à ce que l'on dit, imagina sous cette porte d'ajouter à la lyre une nouvelle corde qu'ils appelèrent Nété; c'est celle dont le son est le plus aigu. D'autres disent que Zéthus, frère d'Amphion, eut un fils nommé Néis, qui donna son nom à cette porte. (5) La quatrième est la porte Crénéa, ainsi dite à cause de la fontaine Dircé qui est de ce côté là; de même qu'ils appellent la cinquième la porte du Très-haut, parce que le temple de Jupiter le Très-haut est auprès. Enfin, il y a la porte Ogygie, et la porte Homoloïde; le nom de celle-ci est aussi récent que le nom de celle-là est ancien. (6) Après que les Thébains eurent été défaits par les Argiens, sur les bords du Glisante, plusieurs d'entre eux accompagnèrent Laodamas, fils d'Étéocle, dans sa fuite; mais plusieurs autres voyant qu'il gagnait l'Illyrie, ne voulurent pas le suivre; ils aimèrent mieux tourner du côté de la Thessalie, où ils occupèrent le mont Homoloé, qui est très fertile, et où l'on a de l'eau abondamment. (7) Quelques années ensuite, rappelés par Thersandre, fils de Polynice, ils revinrent à Thèbes, et en mémoire du mont Homoloé, qui leur avait servi de retraite, ils donnèrent ce nom à la porte par laquelle ils rentrèrent: voilà d'où vient cette dénomination. En venant de Platées, c'est par la porte Électride que l'on entre. On raconte que Capanée, fils d'Hipponoüs, voulant escalader les murs de ce côté-là, tomba mort d'un coup de foudre. [9,9] (1) Cette guerre des Argiens contre les Thébains est, autant que j'en puisse juger, la plus considérable qu'il y ait eu parmi les Grecs durant tous ces temps que l'on appelle héroïques. Car la guerre des Éleusiniens contre les autres peuples de l'Attique, celle même des Thébains contre les Myniens, fut presque aussitôt finie que commencée. Les armées n'avaient pas beaucoup de chemin à faire pour se joindre; une bataille décidait la querelle, et aux hostilités succédait bientôt ou la trêve ou la paix. (2) Mais l'armée des Argiens vint du fond du Péloponnèse, dans le cœur de la Béotie, et Adraste tirait de l'Arcadie et de la Messénie ses troupes auxiliaires, tandis que les Thébains étaient obligés de tirer les leurs de la Phocide et de la Minyade, d'où les Phlégyens vinrent à leur secours. Le combat se donna sur le bord de l'Ismène; les Thébains, dès le premier choc, lâchèrent le pied, et mis en fuite ils regagnèrent leurs remparts. (3) Les Argiens, comme tous les peuples du Péloponnèse, s'entendaient fort mal à faire un siège; leurs attaques étaient brusques et vives, mais nullement conduites avec art. Aussi les Thébains en tuèrent-ils un grand nombre de dessus leurs murailles, et ensuite faisant une sortie à propos, ils les culbutèrent dans leurs lignes, les taillèrent en pièces, et remportèrent sur eux une victoire si complète qu'Adraste fut le seul qui leur échappa. Mais cette victoire leur coûta cher, et ils perdirent tant de monde, que depuis elle a passé en proverbe; car pour dire un avantage remporté sur l'ennemi, mais acheté par beaucoup de sang, on dit que c'est une victoire à la Thébaine. (4) Quelque temps après, les fils de ces malheureux braves voulurent venger leurs pères, et marchant sous les enseignes de Thersandre, ils vinrent encore une fois attaquer les Thébains. Ce n'étaient plus seulement les Argiens, les Messéniens et Arcadiens, c'étaient aussi les Corinthiens et les Mégaréens. Quant aux Thébains, ils avaient engagé tous leurs voisins dans leur querelle, et ils en étaient puissamment aidés. Les deux armées en virent aux mains sur le bord du Glisante; le combat fut fort opiniâtre de part et d'autre; (5) mais enfin les Thébains ayant perdu la bataille, les uns s'enfuirent avec Laodamas, leur chef, les autres se jetèrent dans Thèbes, où ils furent bientôt forcés. Toute cette guerre a été écrite en vers; et Callinus, qui cite quelques- uns de ces vers, ne fait pas de difficulté de les attribuer à Homère, en quoi il a été suivi par plusieurs auteurs d'un grand poids. Pour moi j'avoue qu'après l'Iliade et l'Odyssée d'Homère, je n'ai point vu de plus belle poésie. Mais c'est assez parler de la guerre cruelle que les Argiens et les Thébains se firent si longtemps pour l'amour des fils d'Œdipe. [9,10] (1) Non loin des murs on voit la sépulture de ces braves citoyens qui périrent en combattant contre Alexandre, roi de Macédoine; et près de là on vous montrera le champ où l'on dit que Cadmus tua sur le bord d'une fontaine ce dragon, dont les dents semées sur la surface de la terre, produisirent autant d'hommes, s'il est possible de le croire. (2) La colline, à droite de la porte Homoloïde, est consacrée à Apollon; la colline et le dieu ont pris le nom d'Isménius, à cause du fleuve Ismène qui passe auprès. À l'entrée du temple vous voyez une Minerve et un Mercure de marbre; il semble que ces divinités soient là pour garder le vestibule, aussi le nom qu'elles portent répond-il à leur fonction; la statue de Mercure est un ouvrage de Phidias, celle de Minerve est de Scopas. De là on passe dans le temple. La statue du dieu est de la même grandeur que celle qui est à Branchides, et ne diffère en rien pour la forme; de sorte que qui a vu l'une et connaît la main de l'ouvrier, ne peut pas douter que l'autre ne soit aussi un ouvrage de Canachus; toute la différence qu'il y a, c'est que l'Apollon de Branchides est de bronze, et que l'Apollon Isménien est de bois de cèdre. (3) J'observai là une grosse pierre où l'on dit que Manto, fille de Tirésias, s'asseyait; cette pierre est devant le vestibule, et on l'appelle encore aujourd'hui la chaise de Manto. À la droite du temple on voit deux statues de marbre. On me dit que c'étaient Héniocha et Pyrrha, les deux filles de Créon, qui fut régent du royaume durant la minorité de Laodamas, fils d'Étéocle. (4) Une coutume que les Thébains pratiquent encore à présent, c'est de choisir tous les ans un jeune enfant de bonne maison, de figure agréable et de taille avantageuse, pour le revêtir du sacerdoce d'Apollon; on lui donne le nom de Porte-Laurier, parce qu'en effet il porte une couronne de laurier sur la tête. Je ne sais pas bien si durant le sacerdoce ils sont tous obligés de consacrer un trépied de bronze à Apollon; je ne le crois pas, car je ne remarquai qu'un petit nombre de trépieds; mais les enfants dont les pères sont riches n'y manquent point. Le plus curieux de tous ces trépieds, soit pour son ancienneté, soit pour la qualité de celui qui l'a donné, c'est celui qui fut consacré par Amphitryon, lorsqu'Hercule exerçait le sacerdoce du dieu, et qu'il était par conséquent Porte-Laurier. (5) Au-dessus du temple d'Apollon Isménien on trouve une fontaine que l'on dit consacrée au dieu Mars, et qu'il faisait garder par un dragon. Près de là est le tombeau de Caanthus, qui, si on les en croit, était fils d'Océan, et frère de Mélie. Son père l'envoya chercher Mélie, qui avait été enlevée; Caanthus ayant su qu'elle était en la puissance d'Apollon, et ne l'en pouvant tirer, de dépit mit le feu au bois Isménien; mais Apollon lui décocha une flèche, dont il le tua, (6) et sa sépulture est, comme j'ai dit, au-dessus du temple. On dit qu'Apollon eut deux enfants de Mélie, Tenérus et Isménius. Il donna au premier l'art de prédire l'avenir, et pour faire honneur à l'autre, il voulut qu'un fleuve portât son nom; ce n'est pas que ce fleuve n'en eût un auparavant, car on le nommait le Ladon. [9,11] (1) À la gauche de la porte Électride, on vous montre les ruines de la maison qu'Amphitryon vint habiter, lorsqu'il fut obligé de quitter Tirynthe pour avoir tué Électryon. Parmi ces ruines on voit encore la chambre nuptiale d'Alcmène, que les Thébains disent avoir été faite par Trophonius et par Agamède; ils allèguent une vieille inscription qui portait qu'Amphitryon voulant épouser Alcmène, fit faire une chambre nuptiale par Trophonius et par Agamède, les deux plus célèbres architectes de son temps; (2) ils prétendent que la sépulture d'Amphitryon est quelque part là. Ils me firent aussi remarquer le tombeau des enfants qu'Hercule eut de Mégara, mais ils ne conviennent pas de tout ce qui est rapporté de leur mort dans les poésies de Stésichore et de Panyasis. D'un autre côté ils ajoutent qu'Hercule, devenu furieux, allait tuer Amphitryon, sans un coup de pierre qu'il reçut. Étourdi du coup il s'endormit et changea de dessein; aussi, selon eux, ce fut Minerve qui le frappa, et cette pierre fut nommée la pierre de bon conseil. (3) Au même endroit vous voyez sur une espèce de piédestal fort grossier, quelques statues de femmes, qui sont si anciennes que la figure en est presque effacée; ils les appellent les Enchanteresses; ce sont, à ce qu'ils racontent, des femmes que Junon envoya pour mettre obstacle à l'enfantement d'Alcmène, lorsqu'elle accoucha d'Hercule; mais Historis, fille de Tirésias, rendit leur dessein inutile; car d'un lieu d'où l'on pouvait aisément entendre, elle se mit à crier que, grâce au ciel, Alcmène était heureusement délivrée; ces femmes ne doutant point que cela ne fût vrai, s'en allèrent aussitôt, et Alcmène accoucha ensuite sans aucun trouble ni empêchement. (4) De ce côté-là on voit un temple d'Hercule, où le dieu est en marbre blanc; ils lui donnent le surnom de Promachus; cette statue est un ouvrage de Xénocrite, de Thèbes; car pour une autre de bois d'un goût fort ancien, les Thébains la croient de Dédale, et je n'ai pas de peine à le croire aussi. On dit qu'après s'être sauvé de Crète, il consacra cette statue à Hercule, comme une marque de sa reconnaissance. En effet, Dédale, pour préparer sa fuite, fit lui-même deux bâtiments fort légers, l'un pour lui, l'autre pour son fils Icare; et pour se dérober à la poursuite des vaisseaux de Minos qui n'allaient qu'à la rame, voyant le vent favorable, il imagina de mettre une voile au sien, chose dont on ne s'était pas avisé avant lui. Par ce moyen, il arriva heureusement; (5) mais il n'en fut pas de même d'Icare. N'ayant su gouverner son vaisseau, il fit naufrage et se noya. Le flot apporta son corps dans une île voisine de Samos, qui pour lors n'avait point de nom. Hercule s'étant trouvé là, par hasard, reconnut le corps d'Icare, et lui donna une sépulture. On voit encore aujourd'hui un petit tertre sur un promontoire qui avance dans la mer Égée; c'est le lieu où il fut enterré. L'île et la mer qui l'environne ont pris depuis ce temps-là le nom du malheureux Icare. (6) À la voûte du temple sont représentés la plupart des douze travaux d'Hercule. Praxitèle, qui a fait cet ouvrage de sculpture pour les Thébains, n'a omis que les oiseaux du lac Stymphale, et les terres des Éléens nettoyées par l'entreprise de ce héros; son combat contre Antée tient la place de ces deux travaux. Vous verrez encore, dans ce temple, une Minerve et un Hercule de figure colossale, l'une et l'autre de la façon d'Alcmène, et posés sur des piédestaux du mont Pentélique; (7) le gymnase et le stade portent le nom d'Hercule, et tiennent tous les deux au temple. Ces deux statues furent données par Thrasibule et par ces illustres exilés qui le secondèrent dans le projet de délivrer Athènes de ses trente tyrans. Ils firent cette offrande aux dieux tutélaires des Thébains, parce qu'ils étaient partis de Thèbes pour cette expédition, qui fut suivie de leur rappel. Au-dessus de cette pierre miraculeuse dont j'ai parlé, il y a un autel dédié à Apollon Spodios, et cet autel est fait de la cendre des victimes. Là se pratique une espèce de divination, tirée de tout ce que l'on a pu apprendre, soit par la renommée, soit autrement. Cette manière de prédire l'avenir est en grand crédit, surtout chez les Smyrnéens, qui sous les murs de leur ville en dehors, ont une chapelle uniquement destinée à cet usage. [9,12] (1) Anciennement les Thébains sacrifiaient un taureau à Apollon Spodios; mais un jour à la fête du dieu, comme ceux qui étaient chargés d'amener la victime n'arrivaient point, et que le temps pressait, un chariot attelé de deux bœufs étant venu à passer par hasard, dans le besoin où l'on était, on prit un de ces bœufs pour l'immoler, bœuf qui avait été sous le joug. D'ailleurs voici une de leurs traditions. Ils disent que Cadmus étant parti de Delphes pour venir dans la Thébaïde, y fut conduit par une vache qu'il avait achetée des pâtres de Pélagon; c'était une belle vache, qui avait d'un et d'autre côté une marque blanche en forme de pleine lune, (2) et suivant un certain oracle, Cadmus avec sa troupe devait s'établir dans l'endroit où cette vache, lasse de fatigue, se reposerait. Ils montrent encore le lieu où elle se coucha. On y voit un autel exposé à l'air avec une statue de Minerve consacrée, dit-on, par Cadmus. Cette statue peut servir à désabuser ceux qui se persuadent que Cadmus était d'Égypte et non pas de Phénicie; car elle est appelée Onga en langue phénicienne et pas Sais comme en langue égyptienne. (3) Les Thébains disent aussi que Cadmus avait sa maison à l'endroit où est aujourd'hui le marché de la citadelle. Ils vous montrent encore les restes de deux chambres nuptiales, l'une d'Harmonie, la femme de Cadmus, et l'autre de Sémélé, dont ils ne laissent approcher personne. Quelques auteurs grecs rapportent que les Muses elles-mêmes avaient chanté un épithalame aux noces d'Harmonie; les Thébains semblent confirmer ce fait, en ce que dans la place publique de Thèbes, ils montrent l'endroit où ils prétendent que ces déesses chantèrent. (4) Ils assurent que lorsque Sémélé fut frappée de la foudre, il tomba en même temps du ciel un morceau de bois que Polydore enchâssa dans du bronze, et qu'il nomma Bacchus le Cadméen. Près de là est un Bacchus de bronze massif, fait par Onasimède; quant à la statue de Cadmus, elle est des fils de Praxitèle. (5) Là vous verrez aussi une statue de Pronomos; c'était un célèbre joueur de flûte, qui avait surtout l'art de charmer le peuple. Avant lui on se servait de trois sortes de flûtes, suivant les trois modes ou genres de musique, le dorien, le phrygien et le lydien. Il inventa une flûte avec laquelle il exécutait toute sorte d'airs, dans quelque mode qu'ils fussent composés. (6) On dit qu'il était aussi excellent acteur, et qu'il plaisait infiniment sur le théâtre, par son geste, par sa démarche, et par toute son action. Nous avons encore de lui un cantique qu'il mit en musique pour les habitants de Chalcis sur l'Euripe, lorsqu'ils allèrent à Délos dans l'intention de rendre leurs hommages aux dieux du pays. Les Thébains lui ont donc érigé une statue dans le lieu que j'ai dit, et auprès est celle d'Épaminondas, fils de Polymnis. [9,13] (1) Épaminondas était d'une maison fort illustre; mais si pauvre, que son père se trouva confondu avec les citoyens des plus bas étages. Cependant il donna une excellente éducation à son fils et ne voulut pas qu'il ignorât rien de tout ce que les Thébains les plus qualifiés faisaient apprendre à leurs enfants. Dès qu'Épaminondas eut atteint un certain âge, il se porta de lui-même à aller prendre des leçons de Lysis le Tarentin, célèbre philosophe de la secte de Pythagore. Il fit ses premières armes dans la guerre que les Lacédémoniens eurent contre ceux de Mantinée, s'étant enrôlé parmi les troupes que les Thébains envoyaient au secours de Sparte. Et dans cette campagne, voyant son ami Pélopidas renversé par terre et dangereusement blessé, il eut le bonheur de lui sauver la vie en courant lui-même un très grand risque de la sienne. (2) Quelques années après il fut envoyé en ambassade à Sparte; c'était dans le temps que les Lacédémoniens voulaient faire jurer à tous les Grecs cette paix que l'on nommait la paix d'Antalcidas. L'ambassadeur thébain, interrogé par Agésilas, si les Thébains feraient ratifier le traité à toutes les villes de la Béotie: "Oui, Seigneur", lui dit-il, "quand toutes les villes voisines ou alliées de Sparte l'auront ratifié, mais non pas auparavant". (3) Dans la suite, la guerre s'étant allumée entre les Lacédémoniens et les Thébains, Épaminondas eut une partie de l'armée sous son commandement, avec l'ordre de s'opposer aux Lacédémoniens, qui comptant sur leurs forces et sur celles de leurs alliés, marchaient droit à Thèbes. Pour lui il alla se porter au-dessus du marais Céphise, ne doutant pas que les troupes du Péloponnèse ne débouchassent par là. Mais Cléombrote, roi de Sparte, prit son chemin par Ambrosse, ville de la Phocide; et après avoir passé sur le ventre de Chéréas, qui gardait le passage de ce côté-là avec quelques troupes, il vint camper à Leuctres, dans la Béotie. (4) Là Cléombrote et son armée eurent un présage du malheur qui les attendait. C'était la coutume des rois de Sparte, quand ils allaient à la guerre, de mener avec eux un troupeau de moutons, afin d'avoir toujours des victimes toutes prêtes pour les sacrifier, surtout lorsqu'ils imploraient les secours du ciel avant que de livrer bataille. À la tête du troupeau marchaient des chèvres, qui en étaient comme les guides; il arriva que les loups s'étant jetés sur le troupeau, épargnèrent les moutons et mangèrent les chèvres. (5) D'ailleurs les Lacédémoniens irritèrent les dieux par l'attentat qu'ils commirent contre les filles de Scédasos, l'un des habitants du lieu. Ce Scédasos avait deux filles, Molpie et Hippo, toutes deux belles et déjà nubiles. Deux Lacédémoniens, Phrourarchidas et Parthénios, furent assez impies pour les violer; ces jeunes filles ne pouvant survivre à un tel affront, s'étranglèrent elles-mêmes; et le père n'ayant pu obtenir justice à Sparte, revenu chez lui, se tua de désespoir. (6) Épaminondas rendit au père et aux filles tous les honneurs que l'on peut rendre aux morts, et jura qu'il ne combattrait pas plus pour le salut de tous les Thébains, que pour venger cette malheureuse famille. Mais les chefs de l'armée béotienne n'étaient pas d'accord sur le parti qu'il y avait à prendre, et ils pensaient même fort différemment; car Épaminondas, Malgis et Xénocrate voulaient qu'on livrât bataille aux Lacédémoniens, et tout au plus tôt. Damoclidas, Damophilos et Simangelos étaient d'un avis contraire; ils opinaient qu'il fallait pourvoir à la sûreté des femmes et des enfants, en les envoyant à Athènes, et faire tous les préparatifs nécessaires pour soutenir un long siège. (7) Ainsi les sentiments de ces six chefs se trouvaient partagés. Mais le septième, nommé Branchylidès, qui gardait les défilés du côté du mont Cythéron, étant venu au camp, et ayant été de l'avis des premiers, tous les autres s'y rendirent, et il fut résolu que l'on tenterait le hasard d'une bataille. (8) Cependant Épaminondas se défiait de quelques Béotiens de son armée, et en particulier des Thespiens. Il craignait, avec raison, que ces troupes mal intentionnées ne le trahissent durant le combat. Pour éviter cet inconvénient, il fit proclamer qu'il ne retenait personne par force, et que ceux qui aimeraient mieux s'en retourner chez eux, pouvaient le faire en toute liberté. Aussitôt les Thespiens prirent leur congé avec quelques autres Béotiens peu affectionnés aux Thébains. (9) Lorsque les deux armées furent aux mains, les Lacédémoniens, qui n'avaient pas pris la même précaution, se virent abandonnés de plusieurs de leurs alliés, qui déclarèrent la haine secrète qu'ils avaient contre eux, les uns en quittant leurs rangs, et les autres en prenant la fuite, dès que l'ennemi tournait de leur côté. Mais ce qui rendait la partie égale, c'est que les Lacédémoniens avaient une grande expérience dans l'art militaire, jointe à la noble ambition de soutenir la gloire de Sparte, et que les Thébains comprenaient fort bien qu'il ne s'agissait de rien de moins pour ceux, que le salut de leur patrie, de leurs femmes et de leurs enfants. (10) Enfin, lorsque Cléombrote eut été tué avec les principaux officiers de son armée, les Lacédémoniens furent encore obligés de demeurer sur le champ de bataille, parce que de toutes les choses la plus honteuse pour des Spartiates, c'est de laisser le corps de leur roi à la merci de l'ennemi. (11) Mais malgré leurs efforts, les Thébains furent vainqueurs, et jamais Grecs ne remportèrent une si belle victoire sur d'autres Grecs. Le lendemain les Lacédémoniens voulant enterrer leurs morts, envoyèrent aux Thébains un héraut pour leur en demander la permission. Épaminondas, qui savait combien cette nation était habile à dissimuler ses pertes, répondit que les Lacédémoniens enterreraient leurs morts, après que leurs alliés auraient enterré les leurs. (12) Cela s'étant exécuté ainsi, il arriva que parmi les alliés de Sparte, les uns avaient perdu fort peu de monde, et les autres n'avaient fait aucune perte, de sorte que le plus grand nombre des morts fut manifestement reconnu pour appartenir aux Lacédémoniens, qui en effet perdirent plus de mille hommes à cette journée. Les Thébains et leurs alliés n'en perdirent pas plus de quarante- sept. [9,14] (1) Après le combat Épaminondas ordonna que toutes les troupes du Péloponnèse s'en retournassent en leur pays, à la réserve des Lacédémoniens, qu'il tint enfermés dans Leuctres. Mais ayant appris que les Spartiates accouraient en foule au secours de leurs concitoyens, il laissa aller ceux-ci sous certaines conditions qu'il leur imposa; et voulant bien rendre compte de sa conduite aux siens, il leur dit qu'il valait mieux éloigner la guerre de leurs frontières, et la porter dans le centre de la Laconie. (2) Cependant les Thespiens qui craignaient également et la haine invétérée des Thébains et leur fortune présente, jugèrent à propos d'abandonner leur ville et de se retirer à Ceresse. C'est un très fort château dans le territoire de Thespies, où, longtemps auparavant ils s'étaient défendus contre une armée de Thessaliens, qui étaient venus envahir leur pays. Ces Thessaliens, après un long siège, désespérant de les forcer, envoyèrent consulter l'oracle de Delphes, (3) dont la réponse fut telle: "Leuctres et Alésium sont des lieux que j'aime; les filles infortunées de Scédasos, qui habitent cet agréable canton, sont aussi sous ma protection: quelque jour il se donnera là un combat qui vous coûtera bien des larmes. Nul n'en aura connaissance qu'après que les Doriens auront perdu la fleur de leur jeunesse, et que le moment fatal sera venu. Alors, je ne réponds plus du fort de Céresse, mais jusque-là en vain l'attaquera-t-on". (4) Épaminondas, après avoir pris Céresse et en avoir chassé les Thespiens, ne songea plus qu'à aller mettre ordre aux affaires du Péloponnèse, et parce que les Arcadiens souhaitaient sa présence, il se transporta d'abord chez eux. À son arrivée, il accepta les offres que lui firent les Argiens, d'embrasser l'alliance des Thébains. Agésipolis avait dispersé les Mantinéens en plusieurs villages, Épaminondas les rassembla dans leur ancienne ville, et il conseilla aux Arcadiens d'abandonner un grand nombre de bicoques qui ne se pouvaient défendre par elles-mêmes, pour se réunir tous dans une même ville qu'il leur fit bâtir, et que l'on appelle encore aujourd'hui Mégalopolis ou la grande ville. (5) Sur ces entrefaites, sa préture vint à expirer; c'était un crime capital chez les Thébains que de la prolonger au-delà du terme. Mais Épaminondas croyant devoir passer par-dessus la loi dans une conjoncture où il s'agissait de l'intérêt de l'état, continua d'exercer son autorité. S'étant donc mis en marche avec ses troupes, il s'avança jusqu'aux portes de Sparte; mais voyant qu'Aségilas se tenait renfermé, et qu'il évitait le combat, il tourna toutes ses pensées au rétablissement de Messène. Car c'est Épaminondas que les Messéniens d'aujourd'hui regardent comme leur restaurateur, et il le fut en effet, ainsi que je l'ai suffisamment expliqué dans l'histoire de la Messénie. (6) Pendant qu'il était tout occupé de cette entreprise, ses troupes s'étant débandées, firent des courses dans la Laconie, et ravagèrent toute la campagne; ce qui obligea Épaminondas de rassembler son armée et de la reporter en Béotie. Il avait déjà gagné le Léchée, et il allait passer les défilés qui sont de ce côté- là, lorsque Iphicrate, à la tête de quelque infanterie légère et d'autres troupes athéniennes, lui tomba sur les bras. (7) Épaminondas le mit en fuite, et l'ayant poursuivi jusqu'aux portes d'Athènes, demeura là quelque temps pour le défier au combat. Mais Iphicrate s'étant toujours tenu sur la défensive, Épaminondas reprit le chemin de Thèbes. Il n'y fut pas plutôt arrivé, qu'il se vit citer en justice pour avoir retenu le commandement de l'armée au-delà du temps marqué par la loi; cependant il évita la mort, aucun de ses juges n'ayant osé le condamner. [9,15] (1) Quelque temps après, Alexandre, tyran de Thessalie, ayant, sous ombre d'amitié et comme allié des Thébains, attiré chez lui Pélopidas, eut la hardiesse et la mauvaise foi de le retenir prisonnier. Les Thébains, pour venger cet affront, mirent sur pied une armée dont ils donnèrent la conduite à Cléomène, et ils voulurent que le préteur de Béotie fût soumis aux ordres de ce général. Épaminondas n'était donc que simple volontaire en cette armée. (2) Quand on fut arrivé au pas des Thermopyles, voilà Alexandre qui sort tout à coup d'un lieu où il s'était embusqué, et qui fait mine de vouloir attaquer les Thébains. Alors toute l'armée se croyant perdue, déféra le commandement à Épaminondas, et les officiers-généraux furent les premiers à le prier de l'accepter. Alexandre voyant qu'Épaminondas se mettait à la tête des troupes, n'osa pas hasarder une bataille, et rabattant de son audace, il renvoya Pélopidas. (3) Cependant les Thébains, en l'absence d'Épaminondas, avaient chassé les Orchoméniens de leurs demeures; il en eut un extrême déplaisir quand il l'apprit, jugeant cette hostilité très contraire au bien de l'état, et il ne put s'empêcher de dire que s'il avait été présent, il n'aurait jamais souffert que les Thébains fissent une si grande faute. (4) Comme son successeur n'était point encore nommé, il mena une seconde fois son armée dans le Péloponnèse, et tailla en pièces les Lacédémoniens au Léchaion, quoiqu'ils eussent reçu un renfort d'Achéens de la ville de Pellène, et un corps de troupes athéniennes, commandées par Chabrias. Lorsque les Thébains faisaient des prisonniers de guerre, c'était leur coutume de les renvoyer moyennant une rançon; mais si parmi ces prisonniers il se trouvait des déserteurs béotiens, on ne leur faisait point de quartier, ils étaient condamnés à mort. Épaminondas ayant pris Phoibie, petite ville appartenant aux Sicyoniens, et pleine de transfuges de la Béotie, il ne crut pas devoir user de cette sévérité; dans le dénombrement qu'il fit de ces transfuges, il affecta de ne les pas reconnaître pour Béotiens, et lui-même, à mesure qu'ils passaient en revue devant lui, il les disait de quelque autre pays. (5) Enfin, cet illustre Thébain remporta encore une victoire à Mantinée; mais cette victoire coûta cher à ses concitoyens, car ils l'achetèrent par la perte de leur général, qui fut tué de la main d'un Athénien. Dans ce combat de cavalerie qui est représenté à Athènes, on voit Grylos portant un coup mortel à Épaminondas. Grylos était fils de Xénophon, celui-là même qui accompagna Cyrus dans son expédition contre Artaxerxès, et qui du fond de l'Asie, ramena les Grecs jusqu'à la mer. (6) Au bas de la statue d'Épaminondas, il y a une inscription en vers élégiaques, dont voici à peu près le sens: "Dans ses chers citoyens Messène renaissante, / De Sparte au désespoir la fierté gémissante, / Dans Mégalopolis vingt bataillons armés, / Tout prêts à secourir les Thébains alarmés, / De puissants alliés Thèbes à jamais pourvue, / Aux Grecs assujettis la liberté rendue, / Sont d'Épaminondas les exploits immortels, / Qui pourraient lui valoir un culte et des autels." [9,16] (1) Un peu plus loin est un temple d'Ammon. La statue du dieu est un ouvrage de Calamis, consacré par Pindare. Ce poète envoya aux Ammoniens, en Libye, des hymnes faites en l'honneur d'Ammon, et de mon temps on voyait encore une de ces hymnes gravée sur une colonne de figure triangulaire, près d'un autel élevé à Jupiter Ammon, par Ptolémée, fils de Lagos. À quelques pas de là on vous montre le lieu où Tirésias observait le vol des oiseaux et en tirait ses augures. Le temple de la Fortune est tout auprès. (2) Les Thébains disent que c'est Xénophon l'Athénien, qui a fait le visage et les mains de la déesse, et que le reste est de Callistonicos, un de leurs citoyens. La déesse tient Ploutos entre ses bras sous la forme d'un enfant, et c'est une idée assez ingénieuse, de mettre le dieu des richesses entre les mains de la Fortune, comme si elle était sa nourrice ou sa mère. Céphisodote n'imagina pas moins heureusement, lorsque faisant une statue de la Paix pour les Athéniens, il la représenta tenant le petit Ploutos dans son sein. (3) Les Thébains ont aussi plusieurs statues de Vénus, et si anciennes qu'ils prétendent que c'est Harmonie qui les a consacrées, et qu'elles furent faites des éperons de ces navires qui avaient amené Cadmus, lesquels éperons étaient de bois et non de fer. Quoi qu'il en soit, l'une de ces statues est Vénus Ouranie ou la Céleste, l'autre Vénus la Vulgaire, et la troisième est Vénus surnommée Apostrophia; ce fut Harmonie elle- même qui leur imposa ces noms pour distinguer les trois sortes d'amours; (4) l'un céleste, c'est-à-dire chaste et dégagé du commerce des sens; l'autre vulgaire, qui s'attache au sexe et aux plaisirs du corps; le troisième désordonné, qui porte les hommes à des unions incestueuses et abominables. Il y avait donc une Vénus dite Apostrophia ou Préservatrice, parce que c'était à elle que l'on adressait ses vœux pour être préservé de ces désirs déréglés. Harmonie, sans doute, n'ignorait pas que chez les Grecs et chez les Barbares l'amour avait allumé dans le cœur des hommes les passions les plus odieuses, comme celles qui depuis ont fait tant de bruit, et qui ont déshonoré la mère d'Adonis, Térée, roi de Thrace, et Phèdre, fille de Minos. (5) On croit que le temple de Cérès Thesmophore ou Législatrice, était autrefois la maison de Cadmus et de ses descendants. On ne voit de la statue de la déesse que la partie supérieure et ce que nous appelons le buste; le reste est caché. On garde dans ce temple des boucliers d'airain, que l'on dit être ceux des principaux officiers de l'armée lacédémonienne, qui furent tués à Leuctres. (6) Le théâtre est du côté de la porte Proitide, et près du théâtre il y a un temple de Bacchus, surnommé Lysios, parce que des Thraces ayant emmené quelques Thébains captifs, lorsqu'ils furent arrivés au pays des Haliartiens, le dieu fit tomber les chaînes des Thébains et endormit les Thraces, ce qui donna aux prisonniers le moyen de tuer leurs gardes, et de regagner Thèbes. Dans ce temple, outre la statue de Bacchus, on en voit une que les Thébains disent être de Sémélé; mais on n'ouvre le temple que certains jours de l'année. (7) Près de là on vous montrera les ruines de la maison de Lycos, et le tombeau de Sémélé. Celui d'Alcmène ne se trouve point; aussi prétendent-ils qu'elle fut changée en pierre après sa mort, ce qui ne s'accorde pas avec ce que l'on en dit à Mégare; mais il y a bien d'autres choses sur quoi les Grecs ne sont pas d'accord entre eux. Là se voit aussi la sépulture des enfants d'Amphion. Les hommes sont d'un côté et les femmes de l'autre. [9,17] (1) Dans le même quartier vous avez encore le temple de Diane Eucléa; c'est Scopas qui a fait la statue de la déesse. On dit que les filles d'Antipoinos, Androclée et Alcis, ont leur sépulture dans ce temple, et voici ce que l'on raconte de ces deux illustres personnes. Les Thébains sous la conduite d'Hercule, étant à la veille de livrer bataille aux Orchoméniens, furent avertis, par un oracle, que le citoyen le plus distingué par sa naissance, qui voudrait se donner la mort, procurerait infailliblement la victoire à son parti. Antipoinos était sans contredit le plus qualifié de tous ses concitoyens, mais il n'était pas d'humeur à mourir pour le salut de sa patrie; ce qu'il ne voulut pas faire, ses filles le firent: s'étant donc immolées courageusement, elles reçoivent aujourd'hui les honneurs qui leur sont dus. (2) Devant le temple de Diane Eucléa, il y a un lion de marbre, qu'Hercule consacra, dit-on, après avoir vaincu les Orchoméniens et leur roi Erginos, fils de Clymenos. Près de là est un Apollon, surnommé Boëdromios, et un Mercure Agoraios; cette dernière statue est un présent de Pindare. Le bûcher des enfants d'Amphion est éloigné de leur sépulture d'environ un demi-stade; on voit encore des cendres dans ce bûcher. (3) Auprès de la statue d'Amphitryon vous voyez deux statues de Minerve, dite Zostéria, parce qu'Amphitryon s'arma en ce lieu-là pour aller combattre Chalcodon et les Eubéens; car les anciens disaient ceindre les armes pour dire s'armer. Et quand Homère dit qu'Agamemnon, par sa ceinture, ou par la manière dont il était ceint, ressemblait au dieu Mars, il veut dire par son armure. (4) Amphion et Zéthus ont un tombeau en commun; c'est un petit tertre qui n'a rien de remarquable. Tous les ans, lorsque le soleil est dans le signe du taureau, les habitants de Tithorée, dans la Phocide, sont fort soigneux de venir dérober de la terre de ce tombeau, pour la répandre sur le sépulcre d'Antiope s'imaginant rendre par là leurs terres beaucoup plus fertiles, et nuire en même temps à celles des Thébains. C'est pourquoi les Thébains, durant ce temps-là, ont grand soin de défendre leur tombeau. (5) Ces peuples se sont mis cette chimère dans l'esprit, sur un certain oracle rapporté par Bacis, dont voici le sens: "lorsque Tithorée, invoquant Amphion et Zéthus, fera des libations en leur honneur, et que le soleil sera dans le signe du taureau, alors la ville sera menacée d'une grande stérilité. Malheur à vos moissons, si vous souffrez que l'on emporte de la terre du tombeau de ces deux frères, pour la mettre sur la sépulture de Phocos". (6) Par la sépulture de Phocos, Bacis a entendu celle d'Antiope pour la raison que je vais dire. Dircé, femme de Lycos, honorait singulièrement Bacchus. Les fils d'Antiope ayant fait mourir Dircé avec la cruauté que tout le monde sait, le dieu s'en vengea sur Antiope; car les peines que l'on inflige aux coupables, quand elles sont excessives, irritent les dieux. On dit donc qu'Antiope perdit l'esprit, et que hors d'elle-même, elle courut toute la Grèce. Phocos, fils d'Ornytion, et petit-fils de Sisyphe, l'ayant rencontrée par hasard, la guérit et l'épousa ensuite. (7) De là vient qu'ils eurent une commune sépulture. Quant à ces pierres que l'on voit au bas du tombeau d'Amphion, et qui ne sont ni polies ni taillées, on dit que ce sont des pierres qu'il attirait par la douceur de son chant, comme Orphée, par les charmes de sa lyre, se faisait suivre des bêtes sauvages. [9,18] (1) En sortant de Thèbes par la porte Proitide, on va droit à Chalcis. Sur le chemin on trouve le tombeau de Mélanippus, un des plus grands capitaines que les Thébains aient jamais eu. Lorsque les Argiens assiégeaient Thèbes, il tua de sa main Tydée et Mécistée, un des frère d'Adraste; mais il fut tué lui- même par Amphiaraüs. (2) Près de ce tombeau vous voyez trois grosses pierres; ceux qui croient connaître les antiquités du pays disent que c'est le lieu de la sépulture de Tydée qui fut inhumé là par Méon, et ils se fondent sur un vers de l'Iliade d'Homère, qui dit que ce guerrier "trouva sa sépulture aux campagnes thébaines". (3) Les tombeaux des fils d'Œdipe sont sur la même ligne. Je n'ai pas assisté aux sacrifices qui s'y font; mais des gens dignes de foi m'ont dit deux choses, l'une que les Thébains sacrifient à plusieurs autres héros, mais particulièrement à ceux-ci; l'autre, que dans le temps qu'ils font rôtir les victimes immolées à ces frères irréconciliables, la flamme et la fumée se séparent visiblement en deux. Si quelque chose peut rendre ce fait croyable, c'est ce que j'ai vu moi-même ailleurs. (4) Dans cette partie de la Mysie, qui est au-dessus de Caïque, il y a une petite ville nommée Pionie, du nom de Pionis, son fondateur, qui était, dit-on, un des descendants d'Hercule. Lorsque les habitants vont sacrifier sur le tombeau de ce Pionis, il en sort une fumée assez épaisse, et je l'ai vu de mes propres yeux. Les Thébains vous montreront aussi le tombeau de Tirésias, qui est à quinze stades ou environ de la sépulture des fils d'Œdipe. Cependant, comme ils conviennent eux-mêmes que Tirésias mourut à Haliartie, ils ne regardent ce tombeau que comme un cénotaphe. (5) Enfin ils se vantent d'avoir aussi le tombeau d'Hector, fils de Priam, et ils le montrent près de cette fontaine que l'on nomme la fontaine d'Œdipe. Car ils disent que les cendres de ce fameux Troyen furent apportées à Thèbes, en conséquence d'un certain oracle conçu en ces termes: "Peuples qui habitez la célèbre ville de Cadmus, voulez-vous jouir d'un bonheur durable? Allez recueillir les cendres d'Hector, le généreux fils de Priam, apportez-les d'Asie chez vous, et qu'à l'avenir elles soient honorées comme elles doivent l'être; c'est la volonté de Jupiter". (6) La fontaine porte le nom d'Œdipe, parce que ce fut dans ses eaux qu'il se purifia du meurtre de son père. Près de cette fontaine on voit le tombeau d'Asphodicus; les Thébains disent que cet Asphodicus tua Parthénopée, fils de Talaüs, dans le combat qui fut donné sous les murs de Thèbes contre les Argiens. Mais ces vers de la Thébaïde, où il est parlé de la mort de Parthénopée, en donnent tout l'honneur à Périclymène. [9,19] (1) Sur cette route on trouve le village de Teumesse, où l'on dit que Jupiter tint Europe cachée. On fait aussi un conte sur un renard de Teumesse, qui servait d'instrument à la vengeance de Bacchus irrité contre les Thébains. Ce renard, dit-on, allait être pris par un chien que Diane avait donné à Procrys, fille d'Érecthée, lorsque le chien et le renard furent changés en pierres. À Teumesse on voit un temple de Minerve Telchinia, où il n'y a aucune statue. On peut croire que le surnom de Telchinia vient de ces Telchiniens qui habitèrent autrefois l'île de Chypre, et dont plusieurs passèrent dans la Béotie, où apparemment ils bâtirent ce temple à Minerve. (2) À sept stades de Teumesse, en tirant sur la gauche, on trouve les ruines de Glisas; et sur la droite on voit une petite éminence couverte d'arbres sauvages et d'arbres fruitiers. On tient que c'est la sépulture de ces Argiens qui suivirent Égialée, fils d'Adraste, dans son expédition contre Thèbes; car plusieurs des chefs y périrent, et entre autres Promachus, fils de Parthénopée. Quant à Égialée, en parlant des curiosités de Mégare, j'ai déjà dit qu'il y avait son tombeau à Pages. (3) Sur le chemin de Thèbes à Glisas, vous verrez une enceinte fermée par une balustrade de pierres; les Thébains nomment ce lieu la tête du serpent, parce qu'un gros serpent avait autrefois là son repaire, et que Tirésias, dans le temps que ce reptile levait la tête, la lui coupa avec son sabre. Au-dessus de Glisas s'élève une montagne nommée le haut lieu, parce que Jupiter le Très- Haut y a un temple et une statue. De là tombe un torrent qu'ils appellent le Thermondon. Si vous revenez gagner le chemin de Chalcis vers Teumesse, vous verrez le tombeau de Chalcodon, tué par Amphitryon, dans le combat qui se donna entre les Thébains et les Eubéens. (4) On voit ensuite les ruines d'Harma et de Mycalèse. La première de ces villes est ainsi nommée, parce que selon les Tanagréens, ce fut là qu'Amphiaraüs fut englouti avec son char, et non dans l'endroit que disent les Thébains. Pour Mycalèse, on convient qu'elle a pris son nom, de ce que la vache qui servait de guide à Cadmus et à ses troupes, se mit à beugler dans le lieu où la ville a été bâtie. Ses malheurs sont décrits dans mes mémoires sur l'Attique. (5) Du côté de la mer, il y a dans cette ville un temple de Cérès Mycalésia. Les gens du pays disent que toutes les nuits Hercule ferme et rouvre ce temple; mais, selon eux, c'est Hercule le Dactycle Idéen. Voici un autre miracle qu'ils racontent. On apporte aux pieds de la déesse toutes sortes de fruits qui se cueillent en automne, et ces fruits se conservent toute l'année aussi frais que s'ils venaient d'être cueillis. (6) En tirant vers l'Euripe, du côté qu'il sépare l'Eubée de la Béotie, à la droite du temple de Cérès Mycalésia, si vous avancez un peu vous entrerez dans l'Aulide, ainsi appelée, à ce que l'on prétend, du nom d'une fille d'Ogygus. On y voit un temple de Diane et deux statues de marbre blanc, dont l'une représente la déesse un flambeau à la main, l'autre avec un arc et des flèches. On dit que les Grecs, selon l'oracle de Calchas, étant sur le point de sacrifier Iphigénie sur l'autel de Diane, la déesse substitua elle-même une biche en sa place. Les gens du lieu conservent encore dans le temple une partie du tronc de ce platane dont Homère fait mention dans l'Iliade. (7) Une de leurs traditions est aussi que les Grecs furent arrêtés longtemps en Aulide par les vents contraires, et que tout à coup les vents étant devenus favorables, chacun sacrifia aussitôt en action de grâces la première victime qu'il put rencontrer, soit mâle, soit femelle; que de là est venue la coutume, qui s'observe encore dans le pays, d'immoler à Diane toute sorte de victimes, sans distinction de sexe. On vous montrera la fontaine sur le bord de laquelle était le platane d'Homère, et l'on vous fera remarquer sur une petite éminence, un seuil de cuivre qui était devant la tente d'Agamemnon. (8) Autour du temple, il y a des palmiers dont le fruit n'est pas fort bon, non plus que ceux de la Palestine; mais encore est-il meilleur que les dattes qui viennent en Ionie. L'Aulide n'a qu'un très petit nombre d'habitants, qui pour la plupart travaillent en poterie. Les terres sont cultivées par les habitants des villes voisines, Tanagra, Mycalèse et Harma. [9,20] (1) Sur les confins des Tanagréens, du côté de la mer, est la ville de Délium, où, pour toute curiosité, vous voyez une statue de Diane et une de Latone. Quant aux Tanagréens, ils rapportent leur origine à Poimandros, fils de Chérésilaos, petit-fils d'Iasus, et arrière-petit-fils d'Éleuther, qui, si on les en croit, était issu d'Apollon et d'Aithusa, fille de Neptune. Poimandros épousa Tanagra, qu'ils disent fille d'Éole, contre l'opinion de Corinne, qui dans ses vers l'a faite fille de l'Asope. (2) Ils ajoutent que Tanagra eut une vie si longue, que ses voisins ne la nommaient plus autrement que Gréa, c'est-à- dire la vieille, nom qui passa à la ville, et qui est demeuré si longtemps qu'Homère ne lui en donne point d'autre dans son dénombrement. Mais dans la suite elle reprit son nom. (3) À Tanagra on voit le tombeau d'Orion, et le mont Cérycion, où l'on vous dit que Mercure a pris naissance, et l'endroit nommé Polos, où, dit-on, Atlas avait coutume de se retirer pour observer le ciel et pour s'enfoncer dans l'étude de la nature; ce qui a donné à Homère l'occasion d'en parler d'une manière si magnifique. (4) Dans le temple de Bacchus on voit une très belle statue du dieu; elle est de marbre de Paros, et de la façon de Calamis. Mais il y a un Triton qui est encore plus admirable, et les Tanagréens donnent à cette statue une origine qui mérite d'être rapportée. Ils disent que les femmes les plus considérables de Tanagra étaient initiées aux mystères de Bacchus; qu'un jour étant descendues sur le rivage de la mer pour se purifier, comme elles étaient dans l'eau, un Triton se jeta sur elles; que dans ce pressant danger elles adressèrent leurs vœux à Bacchus, qui aussitôt vint à leur secours, combattit le Triton et le tua. (5) Cependant d'autres racontent le fait d'une autre manière, qui le rend à la vérité moins merveilleux, mais plus probable. Selon eux un Triton caché sous l'eau, se jetait sur les bestiaux qui venaient boire ou paître en ce lieu; il attaquait même les pêcheurs dans leurs barques. Les Tanagréens s'avisèrent de mettre une cruche de vin sur le bord de la mer; le Triton, attiré par l'odeur, ne manqua pas de venir boire ce vin, dont les fumées lui portant à la tête, l'endormirent, et en dormant, il se laissa tomber du haut d'une falaise. Un Tanagréen qui se trouva là par hasard l'ayant vu, lui coupa la tête avec sa hache; de là vient qu'il est représenté sans tête; et parce que l'ivresse avait été cause de sa mort, on imagina que c'était Bacchus qui l'avait tué. [9,21] (1) Parmi les curiosités de la ville de Rome j'ai vu aussi un Triton, mais plus petit que celui qui est à Tanagra. Voici maintenant comment les Tritons sont faits quant à la figure. Ils ont une espèce de chevelure d'un vert d'ache de marais et tous leurs cheveux se tiennent, de manière qu'on ne peut les séparer. Le reste du corps est couvert d'une écaille aussi fine et aussi forte que celle du poisson lime. Ils ont des nageoires au-dessous des ouïes, et des narines d'hommes, l'ouverture de la bouche fort large, avec des dents extrêmement fortes et serrées. Leurs yeux, autant que je l'ai pu remarquer, sont verdâtres. Ils ont aussi des mains, des doigts et des ongles, qui ressemblent à l'écaille supérieure d'une huître; enfin, vous leur voyez sous l'estomac et sous le ventre des pattes comme aux dauphins. (2) J'ai vu plusieurs autres animaux extraordinaires, comme des taureaux d'Éthiopie, autrement appelés rhinocéros, parce que sur chacune des narines ils ont une corne, et une autre plus petite au-dessus, sans en avoir à la tête; des taureaux de Péonie, qui ont de grands poils sur le corps, particulièrement sous la gorge et sur l'estomac; des chameaux des Indes qui sont de la même couleur que les léopards, (3) enfin un animal qui naît dans le pays des Celtes, et que l'on nomme alkè; c'est une espèce qui semble tenir du cerf et du chameau. Cette bête est la seule qui sache se dérober à la connaissance et aux poursuites des chasseurs. Elle sent un homme de loin, et se cache aussitôt dans son fort, qui est si profond et si épais que l'on ne saurait y pénétrer. Aussi ne la prend-on jamais que par hasard, et en chassant d'autres bêtes. On investit tout un canton, soit plaine, soit montagne, et on l'entoure de filets; chaque chasseur garde exactement son poste; tous ensuite se rapprochent peu à peu, en sorte que le cercle qui est d'abord fort grand devient toujours plus petit, jusqu'à ce que toutes les bêtes enfermées dans cette enceinte se trouvent prises. Parmi ces bêtes, celle dont je parle se rencontre quelquefois; il n'y a que cette seule manière de la pouvoir prendre. (4) Ctésias, dans son histoire des Indes, parle d'une bête appelée, par les Indiens, la mantichore, et par les Grecs l'andropophage; je crois pour moi que ce n'est autre chose qu'un tigre. Suivant Ctésias, cet animal a trois rangs de dents à chaque mâchoire; l'extrémité de sa queue est hérissée de pointes, avec lesquelles il se défend contre ceux qui l'approchent, et qu'il darde même au loin contre ceux qui le poursuivent. Mais la peur que les Indiens ont de cet animal pourrait bien avoir quelque part à la peinture qu'ils en font; (5) car ils se trompent jusque dans la couleur qu'ils lui attribuent; ils le croient rouge, parce qu'au soleil il leur paraît tel, ou parce que l'extrême agilité de cet animal, qui pourtant ne court jamais, et le danger de l'approcher ne leur permettent pas de discerner sa véritable couleur. Si quelqu'un se donnait la peine d'aller aux Indes, ou en Libye, ou en Arabie, pour y chercher toutes les espèces d'animaux qui sont en Grèce, je suis persuadé qu'il ne les y trouverait pas toutes, et que parmi celles qu'il y trouverait, plusieurs lui paraîtraient d'une forme différente; (6) car ce n'est pas seulement l'homme qui tire de la diversité de l'air, ou du climat, ou de la terre des qualités différentes; la même chose arrive aux autres animaux. En effet, nous savons qu'en Libye les aspics, quant à la couleur, sont tout semblables aux aspics d'Égypte, et que ceux d'Éthiopie sont noirs comme les hommes qui naissent en cette contrée. C'est pourquoi quand on entend parler de quelque merveilleuse production de la nature, on ne doit ni croire légèrement, ni aussi se montrer incrédule. Je n'ai jamais vu de serpents ailés; cependant je ne puis douter qu'il ne s'en trouve, depuis que je sais qu'un Phrygien apporta en Ionie un scorpion qui avait des ailes comme une sauterelle. [9,22] (1) Près du temple de Bacchus à Tanagra, il y a trois autres temples, l'un consacré à Thémis, l'autre à Vénus, le troisième à Apollon; dans ce dernier Diane et Latone ont aussi leurs statues. Mercure a deux temples dans cette ville, l'un sous le nom de Criophoros ou Porte-Bélier, l'autre sous celui de Promachos, c'est-à-dire le défenseur. Le premier surnom vient de ce que les Tanagréens étant affligés de la peste, Mercure détourna d'eux ce fléau en portant un bélier sur ses épaules autour des murs de la ville; c'est la raison pourquoi Calamis qui a fait sa statue, l'a représenté de la sorte. Et en mémoire de ce bienfait, tous les ans le jour de la fête du dieu ils choisissent le plus beau jeune homme d'entre eux pour faire la même cérémonie. (2) Le second surnom est fondé sur une autre marque de protection que ce dieu leur a donnée, car ils racontent que les Érétriens s'étant embarqués à Eubée pour venir assiéger Tanagra, Mercure à la tête des jeunes gens de la ville, lui-même sous la forme d'un jeune homme et armé d'une étrille, attaqua brusquement les ennemis, surtout les Eubéens, et les mit en fuite. Dans le temple de Mercure Promachos, on conserve encore les restes d'un arbre, sous lequel on prétend que ce dieu fut nourri. Non loin du temple est le théâtre, et près du théâtre un portique. Les Tanagréens m'ont paru plus religieux que tous les autres peuples de la Grèce, en ce qu'ils ont bâti leurs temples dans un lieu séparé du commerce des hommes, où il n'y a point de maison, et où l'on ne va que pour adorer les dieux. (3) Ils ont choisi l'endroit le plus apparent de la ville pour y placer le tombeau de Corinne, le seule femme de Tanagra qui ait fait des odes et des cantiques. Ils ont aussi mis son portrait dans le lieu d'exercice; elle est représentée la tête ceinte d'un ruban pour marque du prix de poésie qu'elle remporta à Thèbes sur Pindare. Je crois que le prix ne lui fut adjugé qu'à cause du dialecte dont elle s'était servie; car ses vers n'étaient pas en langage dorien comme ceux de Pindare, mais en un langage que les Éoliens pouvaient entendre plus aisément; et d'ailleurs c'était la plus belle femme de son temps, à en juger par son portrait. (4) J'ai vu à Tanagra des coqs de deux espèces, les uns qui aiment à se battre comme les coqs ordinaires, et les autres que l'on nomme des merles. Ces derniers sont de la grosseur de ces oiseaux de Lydie; ils ont la chair noire comme le corbeau, la crête et les barbes de couleur d'anémone, l'extrémité du bec et de la queue marquetée de blanc. Voilà à-peu-près comme ils sont faits. (5) Dans cette partie de la Béotie qui est à la gauche de l'Euripe, il y a le mont Messapius, et au bas, Anthédon, ville maritime, qui a pris son nom ou de la nymphe Anthédon, ou d'un certain Anthès qui exerçait son empire sur toute cette côte, et que l'on croit avoir été fils de Neptune et d'Alcyone, fille d'Atlas. On voit au milieu de la ville un temple des Cabires, et près de là un bois sacré de Cérès, avec un temple de Proserpine, où la déesse est en marbre blanc. (6) Bacchus a aussi son temple et sa statue devant la porte de la ville, du côté de la terre ferme. Là vous verrez le tombeau des enfants d'Aloée et d'Iphimédie; ils furent tués par Apollon à Naxos, au-dessus de Paros, comme Homère et Pindare le racontent; mais leur sépulture est à Anthédon. Du côté de la mer vous remarquerez un endroit que l'on nomme le saut de Glaucos. (7) On dit que ce Glaucos était un pêcheur, et qu'ayant mangé d'une certaine herbe, il fut changé en un dieu marin. Plusieurs se persuadent qu'il prédit encore l'avenir, et tous les ans on voit des étrangers qui passent la mer pour le venir consulter; particularité que Pindare et Eschyle avaient apparemment apprise des Anthédoniens; car l'un en touche quelque chose dans une de ses odes, et l'autre l'a fait servir de fondement à une de ses pièces. [9,23] (1) À Thèbes, près de la porte Proitide, vous verrez un lieu d'exercice qui porte le nom d'Iolas, et ensuite un stade qui, comme à Olympie et à Épidaure, est une espèce de longue terrasse. Là on vous fera aussi remarquer le monument héroïque d'Iolas. Les Thébains même conviennent qu'Iolas périt en Sardaigne, avec les Athéniens et les Thespiens, qui s'étaient embarqués sous ses ordres. (2) Quand vous avez monté la terrasse qui sert de stade, vous trouverez à votre droite une lice pour les courses de chevaux, au milieu de laquelle est le tombeau de Pindare. On raconte de ce poète qu'étant encore dans la première jeunesse, un jour d'été qu'il allait à Thespies, il se trouva si fatigué de la chaleur, qu'il se coucha à terre près du grand chemin, et s'endormit. On ajoute que durant son sommeil des abeilles vinrent se reposer sur ses lèvres, et y laissèrent un rayon de miel; (3) ce qui fut comme un augure de ce que l'on devait un jour attendre de lui. Son nom devint bientôt célèbre dans toute la Grèce; mais ce qui mit le comble à sa gloire, ce fut la fameuse déclaration de la Pythie, qui enjoignait aux habitants de Delphes de donner à Pindare la moitié de toutes les prémices que l'on offrirait à Apollon. On dit que sur la fin de ses jours le poète eut une vision en songe. Proserpine s'apparut à lui, se plaignant d'être la seule divinité qu'il n'eût pas célébrée dans ses vers; mais, ajouta-t-elle, j'aurai mon tour; quand je vous tiendrai, il faudra bien que vous fassiez aussi un cantique en mon honneur. (4) Pindare ne vécut pas dix jours après ce songe. Il y avait à Thèbes une femme vénérable, parente du poète, et qui chantait fort bien ses odes. Une nuit qu'elle dormait, elle vit en songe Pindare qui lui chanta un cantique qu'il avait fait pour Proserpine; cette femme à son réveil se rappela le cantique et le mit par écrit. Le poète y donnait plusieurs surnoms à Pluton, mais entre autres celui de Chrysénios, qui sans doute doit s'entendre de l'enlèvement de Proserpine. (5) De là on va à Acréphnion par des plaines qui règnent sur une bonne partie du chemin. C'est une petite ville bâtie sur le mont Ptôon; on dit qu'elle était autrefois du ressort de Thèbes; ce qu'il y a de certain, c'est que plusieurs Thébains s'y retirèrent lorsque Thèbes fut détruite par Alexandre; car ceux qui ne se sentirent par assez de force pour suivre les autres jusqu'en Attique, prirent le parti de s'établir là. Il y a dans cette ville un temple et une statue de Bacchus qui méritent d'être vus. (6) Quinze stades au-delà vous trouverez le temple d'Apollon, surnommé Ptôos, parce que Ptôos, fils d'Athamas et de Thémisté, donna son nom et au temple et à la montagne, comme Asius le dit dans ses poésies. Avant l'expédition d'Alexandre contre les Thébains, et la ruine de Thèbes, le dieu rendait en ce temple des oracles qui ne trompaient jamais. On dit qu'un homme d'Europos, nommé Mys, étant venu de la part de Mardonius, pour consulter Apollon, il lui proposa ses questions dans la langue de son pays, et que le dieu répondit en langue barbare. (7) Quand vous aurez passé le mont Ptôon, vous verrez, sur le bord de la mer, Larymna, ville de Béotie. On croit que cette ville a pris son nom de Larymna, fille de Cynus, dont je donnerai la généalogie, lorsque je parlerai des Locriens. Cette ville était anciennement de la dépendance d'Opunte; mais les Thébains étant parvenus à un haut degré de gloire et de puissance, elle se soumit d'elle-même aux Béotiens. On y voit un temple de Bacchus, où le dieu est représenté debout. Près de la ville est un lac qui a cela de particulier que ses rives même sont d'une profondeur extraordinaire; et au-dessus ce sont des montagnes couvertes de bois, où l'on trouve quantité de sangliers. [9,24] (1) Au sortir d'Acréphnion vous trouverez un chemin qui vous mène droit au lac Céphise, autrement dit Copaïs, et vous passez par une plaine que l'on nomme la plaine d'Athamas, parce qu'Athamas y avait autrefois son habitation. Le lac Céphise est ainsi appelé à cause du fleuve Céphise qui s'y décharge; ce fleuve vient de Lilée, ville de Phocide; en le descendant vous allez jusqu'à Copai, petite ville située sur le bord du lac qu'Homère n'a pas oubliée dans son dénombrement. Cérès, Bacchus et Sérapis y ont chacun un temple. (2) Les Béotiens assurent qu'il y avait autrefois deux autres villes bâties sur ce lac, Athènes et Éleusis, et que le lac, grossi par la fonte des neiges, étant venu à déborder, ces villes furent submergées. Ce lac n'est pas plus poissonneux qu'un autre, mais on y trouve des anguilles d'une grosseur prodigieuse et d'un goût excellent. (3) Olmones est à douze stades de Copai sur la gauche, et Hyette est à sept stades d'Olmones; ce sont deux villages tels qu'ils ont toujours été; mais je les crois du territoire des Orthoméniens, aussi bien que la plaine d’Athamas. C’est pourquoi, dans l’article où je me réserve à parler de ces peuples, je raconterai ce que j’ai ouï dire d’un Argien, nommé Hyettus, et d’un fils de Sisyphe, qui avait nom Olmos. Du reste, le village d’Olmones ne mérite pas de nous arrêter plus longtemps; mais à Hyette il y a un temple d’Hercule, où les malades vont chercher leur guérison. La statue du dieu n’est nullement travaillée; c’est une grosse pierre toute brute comme au vieux temps. (4) D’Hyette à Cyrtones on compte vingt stades; c’est une petite ville qui se nommait autrefois Cyrtonè; elle est bâtie sur une montagne fort haute; on y voit un temple d’Apollon et un bois sacré; Apollon et Diane y sont représentés debout. Une source d’eau froide qui sort d’une roche, forme une fontaine, près de laquelle est une chapelle consacrée aux nymphes, et un petit bois, ou, pour mieux dire, un verger planté d’arbres fruitiers. (5) Passé Crytones, vous achevez de monter la montagne, et vous trouvez une autre petite ville nommée Corsées. Au bas et à un demi-stade c’est un bois sacré au milieu duquel on voit une petite statue de Mercure exposée à l’air. Quand vous êtes dans la plaine vous voyez le fleuve Platanius, qui bientôt après va se jeter dans la mer. À la droite du fleuve vous avez pour frontière de la Béotie, la petite ville d’Halè, près d’un bras de la mer qui sépare la Locride de l’Eubée. [9,25] (1) Je reviens encore à Thèbes. Près de la porte Néïtide on vous fera remarquer le tombeau de Menécée, fils de Créon, qui se tua lui-même en conséquence d’un certain oracle de Delphes, lorsque Polynice, à la tête d’une armée d’Argiens, vient assiéger Thèbes. Vous verrez sur son tombeau un grenadier dont le fruit se fend quand il est mûr, et semble jeter du sang; cet arbre est venu de lui-même, et s’est toujours conservé par des rejetons qu’il pousse de temps en temps. Si l’on en croit les Thébains, c’est aussi chez eux que l’on a vu le premier cep de vigne, mais ils ne sauraient le prouver par aucun monument. (2) À quelques pas de la sépulture de Menécée, on vous montre l’endroit où les malheureux fils d’Œdipe se battirent l’un contre l’autre, et s’entre-tuèrent. Pour monument de ce funeste combat, on a élevé une colonne, et l’on y a attaché un bouclier de marbre. Vous y verrez aussi un endroit où l’on dit que Junon, trompée par Jupiter, donna elle-même à téter au petit Hercule. Tout ce quartier est nommé le trajet d’Antigone, parce qu’Antigone n’ayant pas eu la force de porter le corps de son frère Polynice, elle prit le parti de le traîner jusqu’au bûcher où l’on brûlait le corps d’Étéocle. (3) Au-delà du fleuve Dircé, ainsi appelé du nom de cette Dircé, femme de Lycos, qui ayant maltraité Antiope fut immolée à la vengeance de ses deux fils, on voit les ruines de la maison de Pindare, et une chapelle bâtie par ce poète en l’honneur de Cybèle. La statue de la déesse est un ouvrage de deux Thébains, Aristodème et Socrate. On n’ouvre cette chapelle qu’un seul jour dans l’année; m’étant trouvé à Thèbes ce jour-là, j’eus la liberté d’y entrer et de voir cette statue; elle est de marbre du mont Pentélique, et le piédestal aussi. (4) En sortant de Thèbes par la porte Néïtide, on trouve un temple de Thémis, où il y a une statue de marbre blanc. Les Parques et Jupiter Agoréüs ont aussi les leurs de ce côté-là. Le dieu est en marbre, mais les Parques n’ont point de statues. Un peu plus loin vous voyez en pleine campagne une statue d’Hercule, surnommé Rhinocolustès, parce qu’il fit couper le nez aux hérauts des Orchoméniens, qui venaient demander le tribut aux Thébains. (5) Vingt-cinq stades au-delà, on vous fera remarquer le bois sacré de Cérès Cabiria et de Proserpine, où nul ne peut entrer s’il n’est initié aux mystères de ces déesses. Le temple des Cabires n’en est qu’à sept stades. Le lecteur me pardonnera si je ne satisfais pas sa curiosité sur les Cabires, ni sur les cérémonies de leur culte et de celui de Cybèle. (6) Tout ce qu’il m’est permis d’en dire, c’est que l’origine de ces mystères est telle que les Thébains la racontent. Leur tradition porte qu’il y avait autrefois une ville en ce lieu, et des hommes appelés Cabires; que Prométhée, l’un d’eux, et son fils Etnéüs, ayant eu l’honneur de recevoir Cérès, la déesse leur confia un dépôt: ce que c’est que ce dépôt et l’usage qu’on en fait, voilà ce que je ne puis divulguer. Mais du moins peut-on tenir pour certain que les mystères des Cabires sont fondés sur un présent que Cérès leur fit. (7) Lorsque les Épigones eurent pris Thèbes, les Cabires ayant été chassés par les Argiens, le culte de Cérès Cabiria, demeura interrompu pendant quelque temps. Dans la suite, Pélargé, fille de Potnéüs et Isthimas, son mari, le rétablirent, mais en même temps ils le transférèrent dans un lieu nommé Alexiarès, hors des anciennes limites où il avait été institué. Aussitôt Telondès et les autres Cabires, que la guerre avait dispersés, se rassemblèrent en ce lieu. (8) Quelque temps après, en vertu d’un oracle de Dodone, on décerna les honneurs divins à Pélargé, et il fut arrêté entre autres choses qu’on ne lui sacrifierait point autrement qu’avec une victime qui eût été couverte par le mâle, et qui serait pleine. Au reste, la religion des Cabires et la sainteté de leur cérémonies n’ont jamais été violées impunément, comme je pourrais le prouver par plusieurs exemples. (9) Quelques particuliers de Naupacte ayant voulu pratiquer dans leurs villes les mêmes cérémonies qui se pratiquent à Thèbes, dans le moment ils furent punis de leur témérité. Tandis que Mardonius commandait l’armée de Xerxès, ses soldats qui avaient leurs quartiers en Béotie, entrèrent un jour dans le temple des Cabires, croyant y trouver de grandes richesses, et peut-être aussi par mépris de ce saint lieu; mais aussitôt frappés de frénésie, les uns se jetèrent dans la mer, et les autres se précipitèrent du haut des rochers. (10) Alexandre, après la prise de Thèbes, mit tout à feu et à sang; quelques Macédoniens n’ayant pas plus épargné le temple des Cabires que le reste du pays, tous périrent par le feu du ciel. [9,26] (1) Tant ce lieu a toujours été saint et vénérable! À droite du temple des Cabires est une plaine, dite la plaine de Ténéros, du nom d'un devin qui était fils d'Apollon et de Méfia. On y voit un temple d'Hercule surnommé Hippodète, parce que l'armée des Orchoméniens étant venue en ce lieu-là, Hercule, pendant la nuit, attacha leurs chevaux à des chars et les embarrassa si bien, que le lendemain les ennemis ne purent s'en servir. (2) En avançant un peu vous verrez la montagne, où l'on dit que la Sphinx, faisait ses ravages, tuant impitoyablement tous ceux qui ne pouvaient deviner son énigme. D'autres disent que ce monstre avait d'abord infesté toute cette mer qui est du côté d'Anthédon, et qu'ensuite ayant occupé la montagne il désolait tout ce canton, jusqu'à ce qu'Oedipe, parti de Corinthe à la tête d'une nombreuse armée, attaqua le monstre dans son retranchement et le tua. (3) Mais il y en a qui prétendent que Sphinx était une fille naturelle de Laïus, et que comme son père l'aimait beaucoup, il lui avait donné connaissance de l'oracle que Cadmus avait apporté de Delphes. Or en ce temps-là les rois dans les affaires les plus importantes s'en rapportaient à l'oracle, et ne tenaient pour certain que ce qui leur venait de cette part. Après la mort de Laïus ses enfants s'entre-disputèrent le royaume, car outre ses fils légitimes il en avait laissé plusieurs de diverses concubines. Mais le royaume, suivant l'oracle de Delphes, ne devait appartenir qu'aux enfants de Jocaste. Tous s'en rapportèrent à Sphinx, qui pour éprouver ceux de ses frères qui avaient le secret de Laïus, leur faisait à tous des questions captieuses; (4) et ceux qui n'avaient point connaissance de l'oracle, elle les condamnait à mort, comme n'étant pas habiles à succéder. Œdipe instruit de l'oracle par un songe, s'étant présenté à Sphinx, fut déclaré successeur de Laïus. (5) À quinze stades de la montagne dont je viens de parler, on voit les ruines d'Oncheste, où l'on dit qu'habitait autrefois Onchestos, fils de Neptune. Quoique cette ville soit détruite, on ne laisse pas d'y voir encore un temple et une statue de Neptune Onchestos, et un bois sacré qu'Homère a célébré dans son Iliade. Voilà à-peu-près tout ce qu'il y a à voir sur la droite du temple des Cabires. (6) Si vous prenez sur la gauche, vous n'aurez pas fait cinquante stades que vous arriverez à Thespies, ville située au bas du mont Hélicon, et que l'on croit avoir pris son nom de Thespia, l'une des filles de l'Asope. D'autres disent que Thespius étant venu d'Athènes en ce lieu, il donna son nom à la ville, et ils font ce Thespius fils d'Erecthée. (7) Quoi qu'il en soit, vous verrez à Thespies, une statue de bronze de Jupiter Sauveur. La tradition des habitants est que leur ville étant désolée par un horrible dragon, Jupiter leur ordonna de faire tirer au sort chaque année tous les jeunes gens de la ville, et d'exposer au monstre celui sur qui le sort tomberait. Il en périt ainsi plusieurs, dont les noms sont ignorés. Enfin le sort étant tombé sur Cléostrate, Ménestrate, qui l'aimait passionnément songea à le sauver; (8) il lui fit faire une cuirasse d'airain, garnie de crocs en dehors. Le jeune homme ayant endossé la cuirasse, se livra de bonne grâce au danger, et véritablement il y périt comme les autres; mais le monstre périt aussi. Voilà ce qui a donné lieu au surnom de Jupiter Sauveur. Outre cette statue vous verrez un Bacchus, une Fortune, une Hygéïa, et une Minerve Ergané, qui a Ploutos à côté d'elle. [9,27] (1) Les Thespiens, de toute ancienneté, ont eu Cupidon en singulière vénération. Sa statue comme dans les premiers temps, est une pierre informe qui n'a jamais été mise en oeuvre. J'ignore de qui ils tiennent le culte de ce dieu; mais je sais que les habitants de Paros, sur l'Hellespont, ne l'honorent pas moins. Ces peuples, originairement Ioniens et sortis d'Érythres, jouissent aujourd'hui du droit de bourgeoisie romaine. (2) Le vulgaire s'imagine que Cupidon est le plus jeune des dieux, et le croit fils de Vénus. Cependant Olen qui a composé pour les Grées des hymnes d'une grande antiquité, dans une hymne en l'honneur de Lucina, fait Lucina mère de ce dieu. Pamphus et Orphée, qui vinrent après Olen, firent aussi, en l'honneur de Cupidon, des hymnes, que les Lycomides ont coutume de chanter dans la célébration de leurs mystères; et le Porte-Flambeau de Cérès Éleusine m'en communiqua quelques-unes dans la conversation que j'eu avec lui; mais je ne puis en faire part au public. On sait aussi qu'Hésiode ou celui qui a supposé la Théogonie, donne le premier rang d'ancienneté au Chaos, le second à la Terre, le troisième au Tartare, et le quatrième à l'Amour. (3) Car pour Sapho, qui dans ses poésies a dit de l'Amour beaucoup de choses qui ne s'accordent pas trop bien ensemble, je ne la cite point. Mais pour revenir aux Thespiens, Lysippe fit pour eux un Cupidon de bronze, et Praxitèle auparavant leur en avait fait un de ce beau marbre du Mont Pentélique. J'ai raconté dans un autre endroit par quelle ruse Phryné vint à bout de savoir le cas que Praxitèle faisait lui-même de cette statue. Les Thespiens disent qu'elle leur fut enlevée par Gaius, empereur des Romains; qu'ensuite Claudius la leur renvoya, et que Néron les en dépouilla encore, et la fit transporter à Rome, (4) où elle fut consumée par le feu. Mais l'impiété de ces deux empereurs ne demeura pas impunie; on sait que l'un en donnant le mot du guet à un officier, avec la bouffonnerie et les obscénités qui lui étaient ordinaires, fut tué par cet officier-là même. Pour Néron, qui ne connaît pas sa cruauté envers sa mère, ses attentats sur la pudicité des femmes, ses fureurs, enfin tous ses crimes et sa fin tragique? Le Cupidon que l'on voit aujourd'hui à Thespies, est un ouvrage de Ménodore, Athénien, qui a imité celui de Praxitèle. (5) Mais on y voit aussi une Vénus et une Phryné en marbre, qui sont l'une et l'autre de Praxitèle même. Dans un autre quartier de la ville, vous verrez un temple de médiocre grandeur, consacré à Vénus Mélénis; ensuite la place publique et le théâtre qui sont d'une grande beauté. La place est ornée d'une statue d'Hésiode en bronze. Près de là est une Victoire aussi en bronze, et une chapelle consacrée aux Muses, où chacune a sa petite statue de marbre. (6) Les Thespiens ont aussi un temple d'Hercule, dont la prêtresse fait vœu de chasteté perpétuelle. La raison qu'ils en donnent est qu'Hercule en une même nuit débaucha les cinquante filles de Thespios, à la réserve d'une, qui ne voulut point condescendre à ses volontés. Hercule piqué de ses refus, la condamna à demeurer vierge toute sa vie, et cependant il l'honora de son sacerdoce. (7) J'ai ouï dire à d'autres que toutes ces cinquante filles s'étaient laissées débaucher par Hercule, et qu'elles lui avaient donné autant d'enfants mâles; que même l'aînée et la cadette étaient accouchées de deux jumeaux. Mais c'est un conte qui n'a rien de vraisemblable. Je ne vois nulle apparence ni qu'Hercule eût abusé des filles de Thespius, qui était son ami, ni que lui qui passait sa vie à réparer les injustices, à punir les scélérats, à venger les injures faites aux hommes et aux dieux, se fût donné de son vivant pour un dieu, jusqu'à vouloir avoir un temple et une prêtresse. (8) D'ailleurs le temple dont il s'agit est trop vieux pour avoir été consacré à Hercule, fils d'Amphitryon. Je croirais donc que c'est d'Hercule, l'un des Dactycles Idéens, que les Thespiens veulent parler; car je sais que les Érythréens, peuple d'Ionie, et les Tyriens ont bâti des temples à cet Hercule; et l'on ne peut pas douter que les Béotiens ne le connaissent, puisque, selon leur propre témoignage, ce fut cet Hercule qui eut la garde du temple de Cérès Mycalésia. [9,28] (1) L'Hélicon est de toutes les montagnes de Grèce la plus fertile, celle où il y a le plus d'arbres de toutes espèces, et où croît surtout le meilleur pourpier. Ceux qui l'habitent assurent que l'on n'y trouve aucune herbe, aucune racine vénéneuse, et que par cette raison les serpents n'y sont pas dangereux; de sorte que quand par hasard on en est piqué, on ne s'en embarrasse pas plus que si l'on était sûr d'avoir à point nommé quelqu'un de la race des Psylles, ou d'excellente thériaque. (2) Ailleurs il y a des serpents dont les piqûres sont mortelles non seulement aux hommes, mais aux autres animaux; à quoi la qualité des sucs de la terre, et la nature des herbes peuvent beaucoup contribuer. Un Phénicien, que j'ai connu, m'a assuré que dans les montagnes de Phénicie, les vipères sont furieuses, quand elles ont mangé d'une certaine racine. Il me contait aussi qu'un homme se voyant poursuivi par une vipère, monta au haut d'un arbre, que la vipère ne pouvant l'atteindre, jeta son venin contre l'arbre, et que dans le moment il avait vu l'homme expirer. (3) Au contraire, je sais que dans le pays des Arabes, les vipères qui ont leurs trous auprès des arbres d'où coule le baume, ne font aucun mal. Ces arbres sont de la grosseur des nôtres, et leurs feuilles ressemblent assez à celles de notre marjolaine. Les vipères se plaisent fort sous ces arbres, elles en aiment 1'ombre et encore plus le suc ou l'espèce de gomme qui fait le baume. (4) Lorsque le temps est venu de recueillir ce suc, les Arabes viennent avec deux baguettes de bois à la main, et en frappant de ces baguettes l'une contre l'autre, ils font du bruit pour chasser les vipères; car ils se donnent bien garde de les tuer, les regardant comme sacrées et comme les génies tutélaires de ces arbres. S'il arrive que quelqu'un en soit piqué, vous diriez d'une blessure faite avec la pointe d'une épée; mais il ne faut pas craindre qu'il y ait rien de venimeux, parce que tout le venin de ces animaux est tempéré et comme émoussé par l'odeur et la vertu du précieux baume dont ils se nourrissent. [9,29] (1) Ce que je dis est un fait connu. On tient que ce sont Éphialtès et Otus qui ont sacrifié les premiers aux Muses sur le mont Hélicon, et qui leur ont consacré cette montagne. On croit aussi que ce sont eux qui ont bâti Ascra. Hégésinous nous l'apprend dans son poème sur l'Attique, lorsqu'il dit que Neptune ayant eu les bonnes grâces de la belle Ascra, il eut d'elle un fils nommé Oioclos, qui de concert avec les fils d'Aloée, bâtit la ville d'Ascra au pied de l'humide Hélicon. (2) Ce poème était perdu avant que je fusse au monde; ainsi je ne l'ai jamais 1u; mais Callippos de Corinthe, dans son histoire des Orchoméniens, cite l'endroit que je rapporte, et c'est de lui que je l'ai emprunté. La ville d'Ascra n'a rien aujourd'hui de remarquable, si ce n'est une tour qui s'est conservée. Les fils d'Aloée instituèrent le culte de trois Muses seulement, et nommèrent ces trois Muses Melétè, Mnémè et Aoidè. (3) On dit que dans la suite Piérus, un Macédonien, celui-là même qui donna son nom à une montagne de Macédoine étant venu à Thespies, il établit le nombre de neuf Muses, et imposa à toutes les neuf les noms qu'elles ont aujourd'hui; soit qu'il fût inspiré par sa propre sagesse, ou guidé par quelque oracle, soit qu'il eût pris ces connaissances de quelque Thrace; car de tout temps les Thraces ont été plus savants que les Macédoniens, et plus soigneux des choses divines. (4) D'autres disent que ce Piérus avait neuf filles, et qu'il leur donna les mêmes noms dont on appelait les Muses, d'où il est arrivé que ses petits-fils ont passé dans l'esprit des Grecs pour être les enfants des Muses. Cependant Mimnerme, qui a écrit en vers élégiaques le combat des Smyrnéens contre Gygès, roi de Lydie, nous apprend dès l'entrée de son poème, que les Muses les plus anciennes sont filles du Ciel, et qu'il y en a d'autres d'une moindre antiquité, qui sont filles de Jupiter. (5) En allant au bois sacré des Muses, vous trouverez sur la gauche la fontaine Aganippè, ainsi appelée du nom d'une fille du Permesse, car le Permesse coule autour du mont Hélicon. Si vous reprenez ensuite le chemin du bois, vous verrez une statue de marbre d'Euphémè, qui fut, dit-on, la nourrice des Muses. (6) Près de cette statue est celle de Linus, dans une niche de rocaille, creusée en manière de grotte. On croit que Linus était fils d'Uranie et d'Amphimaros, fils de Neptune. Il fut le plus excellent musicien que l'on eût encore vu; mais Apollon le tua pour avoir osé se comparer à lui. Les habitants du mont Hélicon font tous les ans son anniversaire avant que de sacrifier aux Muses. (7) Linus fut pleuré des nations les plus barbares, au point que les Égyptiens ont une chanson que l'on pourrait intituler Linus, ou Regrets sur la mort de Linus, et qu’ils appellent eux Maneros en leur langue. Mais les poètes grecs ont parlé de cette chanson comme d'une chanson grecque, et Homère, qui savait la malheureuse aventure de Linus, dit que Vulcain avait gravé sur le bouclier d'Achille, entre plusieurs autres ornements, un jeune musicien qui chantait la mort de Linus sur sa lyre. (8) Pamphus qui a fait pour les Athéniens les plus anciennes hymnes dont nous avons connaissance, voyant que les regrets de la mort de Linus se renouvelaient tous les jours de plus en plus, les exprima par un seul mot, en appelant Linus Oitolinus, comme qui dirait le malheureux Linus. Et Sapho de Lesbos, employant le même mot après Pamphus, chanta tout à la fois Oitolinus et Adonis. Les Thébains assurent que Linus avait sa sépulture dans leur ville, et que Philippe, fils d'Amyntas, après la bataille de Chéronée, qui fut si fatale aux Grecs, sur la foi d'un songe, fit transporter ses os en Macédoine, (9) d'où ensuite, averti par un autre songe, il les renvoya à Thèbes; mais que le temps a tellement effacé ce tombeau, qu'il n'est plus possible de le reconnaître. Ils disent aussi qu'il y a eu un autre Linus moins ancien, fils d'Isménius, qu'Hercule dans sa jeunesse eut pour maître de musique, et qui fut tué par son disciple. Mais ni le premier Linus, ni le second n'ont jamais fait de vers, ou s'ils en ont fait, leurs vers n'ont point passé à la postérité. [9,30] (1) Les statues des trois premières Muses sont de la façon de Céphisodote. Un peu plus loin vous en voyez trois autres qui sont encore de lui. Les trois qui suivent sont de Strongylion, de tous les statuaires celui qui réussissait le mieux à représenter des chevaux et des bœufs. Olympiosthène a fait les trois dernières. Mais le mont Hélicon est orné de bien d'autres statues. Vous y verrez un Apollon en bronze, et un Mercure; ces dieux se disputent une lyre. Le Bacchus est un ouvrage de Lysippe. Il y en a un autre debout qui este Myron, et la plus belle statue qui soit sortie de ses mains après l'Érechthée qui est à Athènes; c'est un présent de Sylla, non qu'il l'ait fait faire à ses dépens, mais il l'enleva aux Orchoméniens de Minyes, pour la donner aux Thespiens; ce que les Grecs appellent honorer les dieux avec l'encens d'autrui. (2) On voit aussi les statues de quelques poètes et de quelques musiciens célèbres, entre autres Thamyris déjà frappé d'aveuglement, et voulant encore jouer de sa lyre, toute cassée qu'elle est. Arion, le Méthymnéen, est assis sur un dauphin. Mais celui qui a fait la statue de Sacadas d'Argos, pour n'avoir pas entendu le commencement d'une ode de Pindare, où il est parlé de ce joueur de flûte, l'a représenté si petit, que sa flûte est aussi grande que lui. (3) Hésiode est aussi représenté assis, tenant une cithare sur ses genoux, quoique la cithare ne soit pas le symbole de ce poète, car lui-même nous apprend qu'il chantait ses vers une branche de laurier à la main. Je n'ai rien oublié pour tâcher de savoir en quel temps Hésiode et Homère ont vécu; mais comme je sais que plusieurs écrivains ont traité cette question avec beaucoup de chaleur, et particulièrement ceux qui, de nos jours se sont appliqués à la poésie, je m'abstiens de rapporter mon sentiment, pour ne pas entrer clans cette querelle. (4) Orphée, de Thrace, a une statue de Télétè à côté de lui; il est environné de bêtes féroces, qui sont toutes en bronze ou en marbre. Entre les fables que les Grecs débitent comme des vérités, on peut mettre celle-ci, qu'Orphée était fils de Calliope, j'entends la Muse de Calliope et non une fille de Piérus; que par la douceur de son chant il attirait les bêtes sauvages après lui; que même il descendit vif aux enfers, et qu'ayant charmé Pluton et les divinités de ces lieux souterrains, il en retira sa femme. Ce sont autant de fictions au travers desquelles je crois démêler qu'Orphée fut un grand poète, fort supérieur à tous ceux qui avaient été avant lui, qui se rendit respectable en enseignant aux hommes les cérémonies de la religion, et en leur persuadant qu'il avait trouvé le secret d'expier les crimes, de purifier ceux qui les avaient commis, de guérir les maladies, et d'apaiser la colère des dieux. (5) On dit que des femmes de Thrace lui dressèrent des embûches pour le faire périr, fâchées de ce que leurs maris les abandonnaient pour le suivre. La crainte retint ces femmes durant quelque temps, mais s'étant enivrées elles s'enhardirent, et exécutèrent enfin leur mauvais dessein; de là, dit-on, la coutume qu'ont les Thraces de n'aller au combat que chauds de vin. Suivant une autre tradition, Orphée fut tué d'un coup de foudre, et ce fut une punition des dieux, parce qu'il avait révélé à des profanes les mystères les plus secrets. (6) On dit aussi qu'ayant perdu sa femme, il alla dans un lieu de la Thesprotie, que l'on nomme Aornos où anciennement il y avait un oracle qui rendait ses réponses en évoquant les morts. Là Orphée vit sa chère Eurydice et s'étant flatté qu'elle le suivrait, quand il vint à regarder derrière lui, il fut si affligé de ne la plus voir que de désespoir il se tua lui-même. Les Thraces disent que les rossignols qui ont leurs nids aux environs du tombeau d'Orphée, chantent avec plus de force et de mélodie que les autres. (7) Mais les habitants de Dion, ville de Macédoine, près du mont Piéria, prétendent qu'Orphée fut tué dans leur pays par des femmes, et qu'il y a sa sépulture. En effet, à quelque vingt stades de la ville, vers la montagne, on trouve sur la droite une colonne qui soutient une urne de marbre, où les gens du pays assurent que l'on a renfermé les cendres d'Orphée. (8) Le fleuve Hélicon qui passe auprès, continue son cours l'espace de soixante et quinze stades; puis disparaissant tout à coup, il reparaît vingt-deux stades plus loin, non plus sous le nom d'Hélicon, mais sous celui de Baphyra, et pour lors devenu navigable, il va enfin se jeter dans la mer. Les habitants de Dion disent qu'autrefois l'Hélicon conservait son lit sans changer de nom, depuis sa source jusqu'à son embouchure, mais que les femmes qui tuèrent Orphée, ayant voulu se purifier dans ce fleuve, il rentra sous terre pour ne pas faire servir ses eaux à cet usage. (9) Ceux de Larissa ont une autre tradition que je tiens d'eux et que je vais rapporter. Sur le mont Olympe, du côté que cette montagne touche à la Macédoine, il y avait anciennement la ville de Libéthra, et non loin de cette ville était la sépulture d'Orphée. Les Libéthriens ayant envoyé à l'oracle de Bacchus en Thrace pour savoir quelle serait la destinée de leur ville, la réponse du dieu fut qu'aussitôt que le soleil verrait les os d'Orphée, Libéthra serait détruite par ce que l'on appelle en grec Sus. Les habitants crurent que l'oracle voulait dire un sanglier. Au reste, persuadés qu'il n'y avait point de bête au monde capable de renverser une ville comme la leur, et que le sanglier était un animal qui avait plus d'impétuosité que de force, ils demeurèrent tranquilles et ne tinrent pas compte de l'oracle. (10) Cependant, lorsqu'il plut au dieu d'exécuter ses desseins, voici ce qui arriva. Un berger, sur l'heure de midi, s'étant couché auprès du tombeau d'Orphée, s'endormit, et tout en dormant, se mit à chanter des vers d'Orphée, mais d'une voix si douce et si forte qu'on ne pouvait l'entendre sans être charmé. Chacun voulut voir une chose si singulière; les bergers des environs et tout ce qu'il y avait de gens répandus dans la campagne accourent en foule; ce fut à qui s'approcherait le plus près du berger. À force de se pousser les uns les autres, ils renversèrent la colonne qui était sur le tombeau; l'urne qu'elle soutenait tombe et se casse. Le soleil vit donc les os d'Orphée. (11) Dès la nuit suivante il y eut un orage effroyable; le Sus, un des torrents qui tombent du mont Olympe, grossi des eaux du ciel, se déborde, inonde la ville de Libéthra, en jette à bas les murs, les temples, les maisons, gagne enfin de rue en rue avec tant de précipitation et de violence, que cette misérable ville, avec tout ce qu'elle renfermait d'habitants, fut ensevelie sous les eaux. Ainsi fut accompli l'oracle, qui par le mot de Sus, n'entendait pas un sanglier, comme les Libéthriens se l'étaient imaginé, mais un torrent qui portait ce nom. Mon hôte de Larissa m'ajouta qu'après ce désastre, les Macédoniens qui habitent à Dion, transportèrent chez eux les cendres d'Orphée. (12) Quant à ses hymnes, ceux qui ont étudié les poètes, n'ignorent pas qu'elles sont fort courtes et en petit nombre. Les Lycomides les savent par cœur, et les chantent en célébrant leurs mystères. Du côté de l'élégance, elles n'ont que le second rang, celles d'Homère vont devant. Mais la religion a adopté les hymnes d'Orphée, et n'a pas fait le même honneur à celles d'Homère. [9,31] (1) Revenons encore un fois au mont Hélicon. Vous y verrez la statue de cette Arsinoé que Ptolémée épousa, quoiqu'il fût son propre frère. Elle est à cheval sur une autruche de bronze; c'est une espèce d'oiseau qui a des ailes, mais qui ne vole point, parce qu'il est si gros qu'il ne peut s'élever en l'air. (2) On voit au même lieu une biche qui allaite le petit Téléphus, fils d'Hercule; ensuite un bœuf, et un peu plus loin une statue de Priape, qui mérite l'attention des curieux. Ce dieu est particulièrement honoré de ceux qui nourrissent des troupeaux de chèvres, ou de brebis, ou de mouches à miel; mais le peuple de Lampsaque lui est plus dévot qu'à pas une autre divinité, et le croit fils de Bacchus et de Vénus. (3) On vous montrera aussi plusieurs trépieds, parmi lesquels il y en a un fort ancien, qu'Hésiode, dit-on, remporta, pour prix de poésie, à Chalcis sur l'Euripe. Tous les environs du bois sacré sont habités. Les Thespiens y célèbrent chaque année une fête en l'honneur des Muses, et une autre en l'honneur de Cupidon. Dans ces fêtes il y a des prix, non seulement pour les musiciens, mais aussi pour les athlètes qui se distinguent le plus. Vingt stades au-dessus du bois on trouve la fontaine du cheval, ou l'Hippocrène, ainsi appelée parce que le cheval de Bellérophon la fit sortir en frappant du pied contre terre. (4) Les Béotiens, qui ont leur demeure autour du mot Hélicon, disent que c'est une ancienne tradition parmi eux, qu'Hésiode n'a fait d'autre ouvrage que celui qui a pour titre, les œuvres et les jours; encore en retranchent-ils l'exorde ou l'invocation aux Muses; prétendant que ce poème commence à l'endroit où il est parlé des différentes sortes d'ambition qui travaillent les hommes. Ils me montrèrent même près de la fontaine un rouleau de plomb, où tout l'ouvrage est écrit, mais en caractères que le temps a effacés pour la plupart. (5) Ce sentiment est bien différent de celui qui attribue à Hésiode un si grand nombre d'ouvrages, comme un poème sur les femmes en général, un autre sur les femmes illustres de l'Orient, un autre en l'honneur du devin Mélampus, un autre dont le sujet est la descente de Thésée et de Pirithoüs aux enfers, la Théogonie, une exhortation à Achille sous le nom de Chiron, son gouverneur, enfin les œuvres et les jours. Les mêmes Béotiens ajoutent qu'Hésiode apprit des Acarnaniens l'art des devins, et l'on cite en effet comme de lui sur la divination, des vers que j'ai lus, avec une explication de plusieurs prodiges qui y sont racontés. (6) On n'est pas d'accord sur les circonstances de la mort de ce poète; car on convient bien que les fils de Ganyctor, Ctimène et Antiphus, pour avoir tué Hésiode, furent obligés de s'enfuir de Naupacte à Molycria, et que là, ayant violé la sainteté du temple de Neptune, ils payèrent la peine due à leur impiété; mais les uns disent que la sœur de ces deux jeunes hommes ayant été déshonorée, on en soupçonna injustement Hésiode; et les autres disent qu'effectivement il en était coupable. Ainsi les sentiments ont toujours été fort partagés et sur sa personne et sur ses ouvrages. (7) Le Lamos, fleuve peu considérable, a sa source au haut du mont Hélicon; et du côté de Thespies, il y a un lieu nommé Donacon, où l'on voit la fontaine de Narcisse, célèbre par une aventure fort extraordinaire. Ce Narcisse, à ce que l'on dit, se mirait sans cesse dedans, et ne comprenant pas que ce qu'il voyait n'était autre chose que son ombre, devenu amoureux de sa propre personne sans le savoir, il se laissa consumer d'amour et de désirs sur le bord de cette fontaine. Mais c'est un conte qui me paraît peu vraisemblable. Quelle apparence qu'un homme soit assez privé de sens pour être épris de lui-même, comme on l'est d'un autre, et qu'il ne sache pas distinguer l'ombre d'avec le corps? (8) Aussi y a-t-il une autre tradition, moins connue à la vérité, mais qui a pourtant ses partisans et ses auteurs. On dit que Narcisse avait une sœur jumelle qui lui ressemblait parfaitement; c'était même air de visage, même chevelure, souvent même ils s'habillaient l'un comme l'autre, et chassaient ensemble. Narcisse devint amoureux de sa sœur, mais il eut le malheur de la perdre. Après ce douloureux événement, livré à la mélancolie, il venait sur le bord d'une fontaine, dont l'eau était comme un miroir, où il prenait plaisir à se contempler, non qu'il ne sût bien que c'était son ombre qu'il voyait, mais en la voyant il croyait voir sa sœur, et c'était une consolation pour lui. Voilà comme le fait est raconté par d'autres. (9) Quant à ces fleurs, que l'on appelle des narcisses, si l'on en croit Pamphus, elles sont plus anciennes que cette aventure: car longtemps avant que Narcisse le Thespien fût né, ce poète a écrit que la fille de Cérès cueillait des fleurs dans une prairie, lorsqu'elle fut enlevée par Pluton; et selon Pamphus, les fleurs qu'elle cueillait, et dont Pluton se servit pour la tromper, c'était des narcisses et non des violettes. [9,32] (1) À Creusis est l’arsenal des Thespiens, il n’y a aucun monument public qui mérite qu’on en parle. Je vis seulement dans la maison d’un particulier, un Bacchus en plâtre, peint de diverses couleurs. Pour venir du Péloponnèse à Creusis par mer, il faut faire un trajet qui n’est ni fort droit, ni fort sûr; car on est obligé de se détourner pour éviter des promontoires qui avancent dans la mer, et l’on est exposé aussi à des vents très violents qui soufflent du côté des montagnes. (2) Si vous vous embarquez à Creusis, et que vous longiez la côte de la Boétie, vous arriverez bientôt à Thisbé. C’est une ville située entre deux montagnes, dont la première est sur le bord de la mer. Quand vous avez passé celle-ci, vous trouvez une plaine, ensuite une autre montagne au bas de laquelle est la ville. Tout ce qu’il y a de terres entre deux serait continuellement inondé et deviendrait comme un lac, si par le moyen d’une bonne digue on n’avait soin de retenir les eaux d’un côté, afin de pouvoir cultiver les terres qui sont de l’autre. Dans la ville on voit un temple d’Hercule, où le dieu est debout en marbre; on y célèbre tous les ans les Héraclées, c’est-à-dire une fête en l’honneur d’Hercule. (3) Thisbé, au rapport des habitants, était une nymphe du pays, laquelle donna son nom à la ville. (4) Si vous reprenez votre chemin le long de la côte, vous verrez sur le bord de la mer une autre petit ville nommée Tipha. Hercule y a un temple, et sa fête s’y célèbre tous les ans comme à Thisbé. Les Thiphéens se vantent d’être de tous les peuples de la Béotie, ceux qui ont toujours le mieux entendu la marine; ils disent que Tiphys, à qui l’on confia la conduite du navire Argo, était de Tipha, et ils montrent hors de la ville un endroit où ils prétendent que ce navire aborda en revenant de Colchide. (5) Mais si après Thespies, au lieu de longer la côte, vous entrez bien avant dans les terres, vous trouverez Haliarte. Je n’examinerai point ici par qui Haliarte et Coronée ont été bâties; c’est un point que je traiterai plus commodément dans l’histoire des Orchoméniens, et qui n’en doit pas être séparé; je vais donc rapporter quelques autres particularités. Durant la guerre des Perses, Haliarte s’étant montrée fort fidèle et fort affectionnée aux Grecs, les troupes de Xerxès y entrèrent et mirent tout à feu et à sang. On voit en cette ville le tombeau de Lysandre. Ce général des Lacédémoniens s’étant approché de la place pour en faire le siège, les Athéniens et les Thébains qui la défendaient, firent une sortie qui donna occasion à un grand combat où Lysandre fut tué. (6) On peut dire de lui qu’il mérita beaucoup de louanges et beaucoup de blâme. Car dans le temps qu’il commandait l’armée navale du Péloponnèse, il donna des preuves de beaucoup d’habileté, en ce qu’il sut profiter de l’absence d’Alcibiade, et que par sa manœuvre il fit croire à Antiochus, qui montait la capitane de la flotte athénienne, qu’il était pour le moins égal en force aux Lacédémoniens; d’où il arriva que ce présomptueux accepta le combat auprès de Colophon, et qu’il fut entièrement défait. (7) Lysandre ayant eu une seconde fois le commandement des galères de Sparte, il sut si bien gagner les bonnes grâces de Cyrus, que ce prince lui fournissait abondamment, et à point nommé, tout l’argent dont il avait besoin pour l’entretien de sa flotte. Les Athéniens prétendaient tenir la mer avec cent vaisseaux de guerre qu’ils avaient à Aigospotamos; Lysandre épia le temps que leurs matelots étaient allés chercher de l’eau et des vivres et fondant tout à coup sur cette flotte, il s’en rendit le maître. Il ne signala pas moins sa justice dans une occasion que je vais rapporter. (8) Autolycus, fameux athlète dont j’ai vu la statue dans le prytanée d’Athènes, était en procès avec un Spartiate nommé Étéonique, pour quelque intérêt. Le Spartiate, désespérant d’obtenir justice, parce que la ville d’Athènes était alors en la puissance des Trente, et voulant se prévaloir de la présence de Lysandre, s’emporta contre son adversaire jusqu’à le frapper; ensuite, bon gré mal gré, il le mena à Lysandre auprès de qui il espérait trouver toute sorte de faveur. Mais Lysandre condamna Étéonique comme coupable de violence, le tança rudement, et lui fit toute la honte qu’il méritait. (9) Ces actions acquirent beaucoup de gloire à ce général; mais en voici d’autres qui ternirent sa réputation. Il fit mourir Philoclès, un des généraux de la flotte d’Athènes, avec quatre mille Athéniens, qui auprès d’Aigospotamos, s’étaient rendus à discrétion, et il eut l’inhumanité de leur refuser la sépulture, quoique les Athéniens l’eussent accordée aux Perses qui périrent à la journée de Marathon, et les tués au combat des Thermopyles. Il rendit sa nation encore plus odieuse, en établissant dans toutes les villes alliées de Sparte des décurions et intendants lacédémoniens. (10) Avant lui on méprisait les richesses à Sparte, et l’on y respectait un ancien oracle qui disait qu’il n’y avait que l’amour de l’argent qui pût faire périr Sparte; Lysandre inspira cette dangereuse passion à ses concitoyens. Par ses raisons, et à le peser dans la balance même des Perses, j’estime que Lysandre a fait plus de mal que de bien à sa patrie. [9,33] (1) Après son tombeau, on voit le monument héroïque de Pandion, fils de Cécrops. Le mont Tilphussion et la fontaine Tilphussa ne sont qu'à cinquante stades d'Haliarte. C'est une tradition reçue en Grèce, que les Argiens qui suivirent les fils de Polynice dans son expédition contre Thèbes, après la prise de cette ville, allèrent à Delphes, et qu'ils y voulurent conduire Tirésias avec les dépouilles qu'ils avaient remportées sur leurs ennemis, mais que ce devin pressé de la soif, ayant bu en chemin de l'eau de la fontaine Tilphussa, mourut aussitôt. On voit encore sa sépulture près de la fontaine. (2) On dit que les Argiens consacrèrent sa fille Manto à Apollon; qu'ensuite par ordre exprès du dieu, elle passa en Ionie, et d'Ionie à Colophon, où elle épousa Rhacius, de l'île de Crète. Je ne rapporte point ce que quelques auteurs ont écrit du nombre des années qu'a vécu Tirésias, ni la métamorphose qui se fit en sa personne, et par laquelle de femme qu'il était, il devint homme, ni le témoignage d'Homère qui parle de ce devin, comme du seul sage qu'il y eût aux enfers; ce sont toutes choses rebattues que personne n'ignore. (3) Les Haliartiens ont au milieu des champs près du mont Tilphussion une chapelle dédiée à des déesses qu'ils nomment Praxidices. Ils vont jurer sur leur autel dans les grandes occasions, et ce serment est toujours inviolable. Il y a dans la ville plusieurs temples, mais sans aucune statue, et même sans toit; je n'ai pu savoir à quelles divinités ces temples avaient été dédiés. (4) Le pays est arrosé par le fleuve Lophis. On dit qu'autrefois il manquait d'eau entièrement, et qu'un des principaux habitants étant allé consulter l'oracle de Delphes sur ce malheur, la Pythie lui ordonna de tuer le premier homme qu'il rencontrerait en rentrant dans Haliarte. On ajoute qu'ayant rencontré Lophis, fils de Parthénomène, il lui passa son épée au travers du corps. Le jeune homme, quoique mortellement blessé, ne laissa pas de se traîner un bout de chemin, et partout où la terre était arrosée de son sang, il en sortait de l'eau, d'où se forma un fleuve, qui, à cause de cet accident, fut nommé le Lophis. (5) Alalcoménai est un petit village situé au pied d'une montagne qui n'est pas très haute; il est ainsi appelé, selon quelques-uns, du nom d'un homme du pays qui fut, dit-on, le père nourricier de Minerve, et selon d'autres, du nom d'une fille d'Ogygus, que l'on appelait Alalcoménie. Près de ce village, dans une plaine, on voit un temple de Minerve, où il y avait une statue d'ivoire fort ancienne, (6) qui fut enlevée par Sylla. Car il ajouta cette impiété à toutes les cruautés qu'il avait exercées premièrement contre les Athéniens, et ensuite contre les Thébains et contre les Orchoméniens; cruautés plus dignes d'un barbare que d'un Romain. Mais après avoir poursuivi avec tant de fureur les villes et les dieux de la Grèce, attaqué de la plus humiliante de toutes les maladies, il se vit livré tout vivant aux vers et à la pourriture. Voilà où aboutit sa fortune et ce rare bonheur qui avait secondé toutes ses entreprises. Le temple de Minerve ayant perdu sa divinité, fut bientôt négligé, (7) et de nos jours un autre accident a achevé sa destruction. Un grand lierre, en serpentant le long de cet édifice, s'est si bien insinué dans les joints des pierres, qu'il n'y en a pas une qui tienne. Il passe là un petit torrent que les gens du pays nomment le Triton, parce qu'ils ont ouï dire que Minerve était née sur les bords du Triton, comme s'ils ignoraient que cela doit s'entendre, non d'un fleuve de la Béotie, mais du Triton, fleuve d'Afrique, qui est formé par les eaux du lac Tritonis, et qui va se jeter dans la mer de Libye. [9,34] (1) Sur le chemin d’Alalcoménai à Coronée, on trouve le temple de Minerve Itonia, ainsi appelée du nom d'Itonos, fils d'Amphictyon. C'est là que se tiennent les États de la Boétie. On voit dans ce temple une Minerve et un Jupiter en bronze; ce sont deux statues d’Agoracrite, élève de Phidias, et l’objet de ses amours. Les statues des Grâces sont modernes, et y ont été mises de mon temps. (2) On dit qu’Iodama étant prêtresse de Minerve, entra de nuit dans le temple; que la déesse s’apparut à elle portant sur sa robe la tête de la Gorgone Méduse, et qu’Iodama n’eut pas plutôt jeté les yeux dessus, qu’elle fut pétrifiée. Depuis ce temps-là une femme a soin de mettre tous les jours du feu sur l’autel d’Iodama, en criant par trois fois en langage du pays, qu’Iodama est vivante, et qu’elle-même demande du feu. (3) À Coronée, on voit dans le marché un autel de Mercure Épimélios, un autre autel consacré aux vents, et un peu plus bas un temple de Junon, où il y a une statue fort ancienne, faite par Pythodore, de Thèbes. La déesse porte des Sirènes sur sa main; car on dit que ces filles de l’Achéloüs, encouragées par Junon, prétendirent à la gloire de chanter mieux que les Muses et osèrent les défier au combat; mais que les Muses les ayant vaincues, leur arrachèrent les plumes des ailes, et s’en firent des couronnes. (4) Le mont Libéthrion est à quelques quarante stades de Coronée; les Muses et les Nymphes dites Libéthrides, y ont leurs statues. On y voit deux fontaines, dont l’une se nomme Libéthrides, et l’autre simplement la Roche; toutes deux sortent d’une grosse roche dont la figure imite le sein d’une femme, de manière à ce que l’eau semble couler de deux mamelles comme du lait. (5) Il n’y a au plus que vingt stades de Coronée au mont Laphystion, et une enceinte consacrée à Jupiter, surnommé aussi Laphystios; le dieu y est en marbre. On dit qu’Athamas étant tout prêt à immoler Phrixus et Hellè sur cette montagne, Jupiter envoya à ces malheureux enfants ce fameux bélier à la toison d’or, sur lequel étant monté, ils se sauvèrent. Un peu plus haut vous voyez le temple d’Hercule, surnommé Charops; les Béotiens disent qu’Hercule monta par là, lorsqu’il emmena avec lui le chien du dieu des enfers. Sur le chemin par où l’on descend du mont Laphystion au temple de Minerve Itonia, on trouve la rivière Phalare, qui se jette dans le lac Céphise. (6) Au-delà de cette montagne, c’est Orchomène, ville autrefois aussi illustre et florissante qu’il y en ait eu dans le reste de la Grèce; mais son destin a été à-peu-près le même que celui de Mycènes et de Délos. Je vais rapporter ce que l’histoire nous apprend de plus considérable. On dit que le premier qui vint s’établir en cette contrée, fut Andrée, fils du fleuve Pénée; c’est pourquoi du nom de ce premier homme elle fut appelée l’Andréïde. Athamas y étant venu ensuite, Andrée lui donna tout le pays qui est aux environs du mont Laphystion, avec le canton où Haliarte et Coronée ont été bâties. Athamas croyait qu’il ne lui restait plus d’enfants mâles; lui-même avait trempé ses mains dans le sang de Léarque et de Mélicerte; Leucon, son troisième fils, était mort de maladie; enfin il ignorait que Phrixus vécût encore ou qu’il eût des enfants. Se croyant donc sans postérité masculine, il adopta ses petits-neveux Coronus et Haliartus, fils de Thersandre, et petit-fils de Sisyphe; car Athamas était propre frère de Sisyphe. Cependant, quelque temps après, Phrixus, selon quelques-uns, revint de Colchide, et, selon d’autres, Presbon son fils, qu’il avait eu d’une fille d’Aiétès. Les enfants de Thersandre voyant des héritiers légitimes à Athamas, en la personne de Phrixus ou de Presbon, crurent devoir le délier de son engagement, et abandonner l’espérance de régner après lui. Athamas, de son côté, voulant les bien traiter, leur céda une partie du pays qu’il possédait, où dans la suite, ils bâtirent Coronée et Haliarte. Mais avant que Phrixus fût de retour, Andrée, du consentement d’Athamas, avait épousé Évippé, fille de Leucon, dont il avait eu Étéocle; ce qui n’empêcha pas que parmi ses concitoyens, Étéocle ne passât pour être le fils du fleuve Céphise, et de là vient que quelques poètes lui ont donné cette qualité. Étéocle ayant succédé à son père souffrit que le pays retînt son premier nom; il établit seulement deux tribus, dont il nomma l’un Céphissiade, et l’autre l’Étéoclée. Il donna à Halmus, fils de Sisyphe, un petit canton, où celui-ci bâtit quelques villages qui furent nommés les Halmons; mais dans la suite ce nom est resté à un seul village. [9,35] (1) Les Béotiens disent qu’Étéocle est le premier qui se soit avisé de sacrifier aux Grâces; ils prétendent qu’il en reconnaissait trois, mais ils ignorent les noms qu’il lui plut de leur imposer. Les Lacédémoniens, au contraire, n’en connaissent que deux, dont ils attribuent la consécration à Lacédémon, fils de Taygète, lequel, à ce qu’ils disent, les nomma Clita et Phaenna, (2) dénomination fort convenable aux Grâces aussi bien que celle que les Athéniens leur donnent. Car de toute ancienneté ces peuples ont aussi connu deux Grâces sous les noms d’Auxo et d’Hégémone. Pour le nom de Carpo, c’est le nom d’une heure, je veux dire d’une saison de l’année, et nullement d’une Grâce. L’autre heure, ou pour mieux dire, l’autre saison est honorée par les Athéniens, conjointement avec Pandrose, sous le nom de la déesse Thallo. (3) Présentement, à l’imitation d'Étéocle l’Orchoménien, nous honorons trois Grâces. De là vient que ces célèbres statuaires Angélion et Tictéüs, qui ont fait l’Apollon de Délos, et que d’autres même, qui ont fait des statues de Bacchus, ont représenté ces dieux portant trois Grâces sur leur main. On voit aussi à l’entrée de la citadelle d’Athènes trois Grâces, dont le culte est accompagné de cérémonies que l’on cache au vulgaire. (4) Pamphus est le premier poète que je sache qui ait chanté les Grâces, mais sans déterminer le nombre de ces déesses, et sans les appeler par leurs noms. Homère en parle aussi, et fait de l’une d’elle la femme de Vulcain. Dans un autre endroit il feint le sommeil amoureux de Pasithée, l’une des Grâces, et lui fait dire que Junon lui a promis en mariage la belle Pasithée, la plus jeune des Grâces; d’où quelques-uns ont pris occasion de penser qu’Homère connaissait deux sortes de Grâces, les unes plus anciennes, les autres plus modernes. (5) Hésiode, dans sa Théogonie, car je veux bien que l’on lui attribue cet ouvrage, fait les Grâces filles de Jupiter et d’Eurynome, et les nomme Euphrosynè, Aglaé et Thalie. Onomacrite dit la même chose dans ses poésies; Antimaque n’en marque ni le nombre, ni les noms; il dit seulement qu’elles sont filles du Soleil et d’Aéglé. Enfin, Hermésianax, poète élégiaque, met la déesse Pitho au nombre des Grâces, par un sentiment qui lui est particulier. (6) Mais quelques recherches que j’aie faites, je n’ai pu découvrir quel est le premier statuaire, ou le premier peintre qui a imaginé de représenter les Grâces toutes nues. Car à Smyrne, dans le temple des Némésis, entre plusieurs statues, on voit celle des Grâces qui sont d’or, et que l’on sait être de Bupalus; et dans le lieu destiné à la musique, on voit une Grâce peinte par Apelle. C’est aussi Bupalus qui a fait les Grâces que l’on voit à Pergame, dans la chambre d’Attalus. (7) Pour celles qui sont peintes dans le temple d’Apollon Pythius, elles sont de Pythagore de Paros. J’ai déjà parlé de celles que l’on a mises à l’entrée de la citadelle d’Athènes, et qui ont été faites par Socrate, fils de Sophronisque. Or, dans tous ces monuments de l’antiquité, les Grâces sont vêtues. Je ne sais donc pas pourquoi les peintres et les sculpteurs qui sont venus depuis, ont changé cette manière; car aujourd’hui, et depuis longtemps, les uns et les autres représentent les Grâces toutes nues. [9,36] (1) Étéocle étant mort, le royaume passa aux descendants d'Halmus. Mais Halmus lui-même, n'avait eu que deux filles, Chrysogoné et Chrysè. On dit que de celle-ci et de Mars, naquit un fils nommé Phlégyas, et ce fut lui qui succéda à Étéocle, mort sans enfants. Alors toute la contrée changea de nom et, comme elle s'appelait auparavant l'Andréide, elle fut nommée depuis la Phlégyade. (2) Andrée avait déjà bâti une ville qui portait le nom de son fondateur, Phlégyas y ajouta une autre, à laquelle il donna le sien, et il la peupla de tout ce qu'il put ramasser de plus brave dans toutes les parties de la Grèce. Il s'en forma un peuple audacieux et inconsidéré, qui dans la suite voulant faire un corps à part, et qui s'étant séparé du reste des Orchoméniens, ne songea qu'à s'agrandir aux dépens de ses voisins. Ce peuple porta même son audace jusqu'à marcher contre Delphes, et à vouloir piller le temple d'Apollon. Philammon vint au secours des habitants avec une troupe d'Argiens choisis; mais lui et les siens furent tués dans un combat qui se donna sous les murs de Delphes. (3) Aussi Homère nous représente-t-il les Phlégyens comme un peuple fort belliqueux; c'est dans cet endroit de l'Iliade où le poète parle du dieu Mars, et de la Terreur, qui a ce dieu pour père; il met les Phlégyens et les Éphyriens dans le même rang pour la valeur; par ceux-ci je crois qu'il entend les peuples qui habitent la Thesprotie d'Épire. Quant aux Phlégyens, ils furent enfin exterminés par le feu du ciel, par des tremblements de terre continuels, et par la peste: il ne s'en sauva qu'un petit nombre qui passa dans la Phocide. (4) Phlégyas mourut aussi sans enfants, et eut pour successeur Chrysès, fils de Neptune et de Chrysogoné, fille d'Halmus. Chrysès laissa un fils nommé Minyas, qui donna son nom aux peuples sur lesquels il régnait, nom qu'ils conservent encore aujourd'hui. Ce prince eut des revenus si considérables, qu'il surpassa tous ses prédécesseurs en richesses; c'est le premier roi dont nous ayons connaissance, qui ait bâti un édifice pour y déposer son trésor. (5) Il faut que les Grecs aient toujours plus admiré les merveilles étrangères que celles de leur propre pays, puisque leurs plus célèbres historiens ont décrit les pyramides d'Égypte avec la dernière exactitude, et qu'ils n'ont rien dit du trésor royal de Minyas, ni des murs de Tirynthe, qui n'étaient pas moins admirables que ces pyramides. (6) Minyas eut pour fils Orchomène. Ce fut sous le règne de celui-ci que la capitale prit le nom d'Orchomène, et que les habitants furent appelés Orchoméniens; mais ils gardèrent aussi le nom de Minyens, pour se distinguer de ces autres Orchoméniens qui allèrent s'établir en Arcadie. Hyettus, contraint de fuir d'Argos, pour avoir tué Molouros, fils d'Arisbas, qu'il avait surpris en adultère avec sa femme, vint se refugier auprès d'Orchomène, qui, touché de son malheur, lui donna ce petit canton où est aujourd'hui le village Hyettus, avec quelques terres adjacentes. (7) Cet événement est raconté dans ses poésies qui ont pour titre les femmes illustres de l'Orient. Il y est dit qu'Hyettus après avoir tué Molouros, l'adultère de sa femme, obligé de quitter Argos, se retira auprès d'Orchomène, fils de Minyas; que ce héros le reçut avec bonté, et lui fit part du riche empire qu'il possédait. (8) C'est le premier exemple que nous ayons d'un adultère puni. Car Dracon, le législateur des Athéniens, vint longtemps après. Pour lui, durant sa magistrature, il fit d'utiles ordonnances pour la réformation des mœurs, et réprima l'adultère par des lois très sévères. Les Orchoméniens étaient déjà montés à un si haut degré de puissance et de gloire, que Nélée, fils de Créthée, roi de Pylos, vint à Orchomène pour y épouser Chloris, fille d'Amphion, et petite-fille d'Iasius. [9,37] (1) La postérité d'Halmus ne régna pas longtemps. Orchomène n'ayant point laissé d'enfants, le royaume passa à Clyménus, fils de Presbon, et petit-fils de Phrixus. Ce prince eut cinq fils, Erginos, Stratios, Arrhon, Pyléos et Azée. Il périt malheureusement; car un jour que l'on célébrait la fête de Neptune Onchestius, il fut tué par des Thébains avec qui il avait pris querelle pour un fort léger sujet. Erginos, l'aîné de ses fils, lui succéda, (2) et voulant venger la mort de son père, il leva une armée avec ses frères, vint attaquer les Thébains, les tailla en pièces, et ne mit les armes bas qu'à condition qu'ils lui paieraient tous les ans un tribut par manière de satisfaction. Mais bientôt après vint Hercule, qui s'étant fait le protecteur des Thébains, ne tarda pas à les affranchir de ce honteux tribut, battit les Orchoméniens et les poussa à outrance. (3) Erginos voyant ses sujets réduits à la dernière extrémité, fit la paix avec Hercule. Ensuite uniquement occupé du soin de rétablir ses affaires, et de recouvrer son ancienne opulence, il se trouva vieux qu'il n'avait pas encore songé à se marier. Enfin après avoir amassé de grandes richesses il voulut avoir des enfants, et dans ce désir (4) il alla consulter l'oracle de Delphes. La Pythie lui répondit en termes énigmatiques qu'il s'en avisait bien tard, mais que cependant il pouvait beaucoup espérer d'une jeune femme. Conformément à cet oracle, il épousa une jeune personne, et il en eut deux fils, Trophonius et Agamède. (5) Quelques-uns néanmoins ont cru que Trophonius était fils d'Apollon; je serais moi-même assez porté à le croire, et c'est une pensée fort naturelle à quiconque a vu l'antre où il rend ses oracles. Quoi qu'il en soit, on dit que Trophonius et Agamède excellèrent l'un et l'autre dans l'architecture, et qu'ils s'entendaient surtout admirablement bien à bâtir des temples pour les dieux, et des palais pour les rois. Ce furent eux qui bâtirent le temple d'Apollon à Delphes et le trésor d'Hyriée. Quant à ce dernier édifice, en le construisant, ils y pratiquèrent un secret dont eux seuls avaient connaissance, et par le moyen duquel, en ôtant une pierre, ils pouvaient entrer sans que l'on s'en aperçût. Hyriée y ayant mis son argent, chaque nuit ils en dérobaient quelque chose. (6) Le trésor paraissait toujours bien fermé, on ne voyait aucune fracture ni aux serrures, ni aux portes, et cependant l'or et l'argent d'Hyriée diminuaient sans cesse, ce qui le mettait fort en peine. Enfin, il s'avisa de tendre un piège auprès des grands vases qui contenaient ses richesses. Agamède étant entré à son ordinaire fut pris au piège; Trophonius voyant ce malheur arrivé, ne sut faire autre chose que de couper la tête à son frère et de l'emporter, afin qu'on ne pût reconnaître le corps, et de crainte qu'Agamède ne fût le lendemain appliqué à la question, et n'avouât que Trophonius était complice du vol. Telle fut la fin d'Agamède. (7) Pour Trophonius, on dit que la terre s'étant ouverte sous ses pieds, il fut englouti tout vivant dans cette fosse que l'on nomme encore aujourd'hui la fosse d'Agamède, et que l'on voit dans le bois sacré de Lébadée, avec une colonne que l'on a élevée au-dessus. Ascalaphos et Ialménos régnèrent après eux. On assure qu'ils étaient fils de Mars et d'Astyoché, fille d'Actor, petite-fille d'Azée, et arrière-petite-fille de Clyménus. Ce fut de leur temps et sous leur conduite que les Orchoméniens allèrent au siège de Troie. (8) Et lorsque les fils de Codros firent voile en Ionie pour y aller établir des colonies grecques, les Orchoméniens eurent aussi part à cette expédition. Ensuite chassés d'Orchomène par les Thébains, ils y furent rétablis par Philippe, fils d'Amyntas. Mais depuis ils ont toujours eu la fortune contraire. [9,38] (1) Ces peuples ont un temple de Bacchus, et un autre fort ancien, consacré aux Grâces. Ils conservent avec beaucoup de religion, je ne sais quelles pierres qu'ils disent être tombées du ciel, et avoir été ramassées par Étéocle. Car pour les statues de marbre que l'on y voit, elles y ont été mises de mon temps. (2) Ils ont aussi une très belle fontaine où il faut descendre pour puiser de l'eau. Quant au trésor de Minyas, c'est une des merveilles de la Grèce, et un édifice aussi superbe qu'il y en ait dans tout le reste du monde. Il est tout de marbre; c'est une espèce de rotonde dont la voûte se termine insensiblement en pointe, et l'on dit que la pierre la plus exhaussée de l'édifice, est celle qui en règle toute la symétrie et la proportion. (3) On voit aussi à Orchomène le tombeau de Minyas, et celui d'Hésiode, dont ces peuples ont recueilli les cendres par ordre de l'oracle. Car la peste ayant causé dans leur pays une grande mortalité parmi les hommes et parmi les bestiaux, ils envoyèrent consulter l'oracle par des gens de confiance, à qui la Pythie répondit que le seul remède à leurs maux, était de transporter chez eux les os d'Hésiode, qui étaient sans honneur dans un coin de terre près de Naupacte, qu'ils eussent donc à les chercher, et qu'une corneille leur indiquerait l'endroit où ils étaient. (4) Ces envoyés étant allés du côté de Naupacte, ils aperçurent assez près du grand chemin une corneille sur une roche; ne doutant pas que ce ne fût le lieu de la sépulture d'Hésiode, ils creusèrent la terre sous cette roche, et trouvèrent en effet les os d'Hésiode, qu'ils apportèrent à Orchomène, où ils furent mis dans un tombeau et honorés d'une épitaphe dont voici le sens: "la fertile Ascra fut la patrie d'Hésiode, et les braves Orchoméniens sont ceux qui ont recueilli ses cendres. Quiconque a du discernement et du goût connaît le mérite de ce poète, dont le nom est célèbre dans toute la Grèce". (5) Si nous en croyons les Orchoméniens, on voyait autrefois le fantôme d'Actéon sur une roche, et ce spectre causait beaucoup de mal et d'effroi dans le pays. Pour en être délivrés, ils consultèrent l'oracle de Delphes, qui leur conseilla de chercher quelque reste de la dépouille mortelle d'Actéon et de le couvrir de terre. Il leur conseilla aussi de faire faire en bronze l'image de ce spectre, et de l'attacher à la roche avec des liens de fer. Ils suivirent ce conseil, et j'ai vu cette statue qui représente le spectre d'Actéon, attaché à une grosse roche. (6) Sept stades au-delà d'Orchomène, on voit un temple d'Hercule, où il y a une statue de grandeur médiocre. La rivière de Mélas a sa source en ce lieu-là; cette rivière se jette dans le lac Céphise, qui couvre une grande étendue de pays, et qui même l'hiver, surtout par le vent du midi, inonde toute la campagne. (7) Les Thébains disent qu'autrefois le fleuve Céphise allait tomber dans la mer par des routes souterraines qu'il s'était faites sous les montagnes; ils ajoutent qu'Hercule boucha ces conduits, ce qui fit refluer le fleuve dans le pays des Orchoméniens. Mais Homère connaissait un lac Céphise, qui ne pouvait être l'ouvrage d'Hercule quand il parle des Orchoméniens, c'est, dit-il, un peuple qui habite aux environs du lac Céphise. (8) D'ailleurs, quelle apparence que les Orchoméniens eussent laissé subsister un ouvrage qui leur était si préjudiciable, et que ne pouvant faire reprendre au fleuve Céphise son premier cours, ils ne l'eussent pas fait? Car dès le temps de la guerre de Troie, ils étaient assez puissants pour venir à bout de cette entreprise. Nous en avons une preuve dans la réponse d'Achille aux députés d'Agamemnon, lorsqu'il leur dit: "Non, quand vous m'offririez tout ce qui s'apporte de richesses à Orchomène". D'où l'on peut juger que ces peuples ne manquaient pas d'argent. (9) Asplédon était une autre ville du pays; on dit qu'elle fut abandonnée par ses habitants à cause de la disette d'eau; elle était ainsi appelée du nom d'Asplédon, fils de Neptune et de la nymphe Midée, comme le témoigne Chersias, poète, natif d'Orchomène. (10) Il y a longtemps que les poésies de Chersias ne subsistent plus; mais Callippos, dans son histoire des Orchoméniens, nous a conservé quelques-uns de ses vers, qui confirment ce que je dis. On lui attribue aussi l'épitaphe qui est sur le tombeau d'Hésiode. [9,39] (1) Du côté des montagnes les Orchoméniens confinent aux Phocéens, et du côté de la plaine ils s'étendent jusqu'à Lébadée. Cette ville était autrefois sur une hauteur, et s'appelait Midée, du nom de la mère d'Asplédon. Un Athénien, nommé Lébadus étant venu en cette ville, persuada aux habitants de descendre dans la plaine, et leur bâtit une ville à laquelle il donna son nom. Du reste on ne dit point qui était son père, ni pourquoi il était venu dans ce pays; on sait seulement que sa femme s'appelait Nicé. (2) Lébadée est une ville aussi décorée qu'il y en ait dans toute la Grèce. Le bois sacré de Trophonius n'en est que fort peu éloigné. On dit qu'un jour Hercyne, jouant en ce lieu avec la fille de Cérès, laissa échapper une oie qui faisait tout son amusement; cette oie alla se cacher dans un antre, sous une grosse pierre; Proserpine, ayant couru après, l'attrapa, et de dessous la pierre où était l'animal, on vit aussitôt couler une source d'eau, d'où se forma un fleuve qui, à cause de cette aventure, eut aussi nom Hercyne. (3) On voit encore aujourd'hui sur le bord de ce fleuve un temple dédié à Hercyne, et dans ce temple la statue d'une jeune fille qui tient une oie avec ses deux mains. L'antre où ce fleuve a sa source est orné de deux statues qui sont debout, et qui tiennent une espèce de sceptre avec des serpents entortillés à l'entour; de sorte qu'on les prendrait pour Esculape et Tygéïa mais peut-être que c'est Trophonius et Hercyne, car les serpents ne sont pas moins consacrés à Trophonius qu'à Esculape. On voit aussi, sur le bord du fleuve, le tombeau d'Arcésilaos, dont on dit que les cendres furent rapportées de Troie par Léitus. (4) Dans le bois sacré voici ce qu'il y a de plus curieux à voir; premièrement le temple de Trophonius avec sa statue, qui est un ouvrage de Praxitèle; cette statue, aussi bien que la première dont j'ai parlé, ressemble à celle d'Esculape. En second lieu le temple de Cérès, surnommée Europè, et une statue de Jupiter le pluvieux, qui est exposée aux injures du temps. En descendant, et sur le chemin qui conduit à l'oracle, on trouve deux temples, l'un de Proserpine Conservatrice, l'autre de Jupiter Roi; celui-ci est demeuré imparfait, soit à cause de son excessive grandeur, soit à cause des guerres qui sont survenues, et qui n'ont pas permis de l'achever; dans l'autre on voit un Saturne, un Jupiter, et une Junon. Apollon a aussi là son temple. (5) Voici maintenant ce que l'on observe quand on va consulter l'oracle de Trophonius. Quiconque veut descendre dans son antre est obligé de passer quelques jours dans une chapelle dédiée au bon Génie et à la Fortune. Il emploie ce temps à se purifier par l'abstinence de toutes les choses illicites, et par l'usage du bain froid; car le bain chaud lui est interdit; il ne peut se laver que dans l'eau du fleuve Hercyne. Il se nourrit de la chair des victimes, qui ne lui est pas épargnée, et dont il fait lui-même les frais; car il est obligé de sacrifier à Trophonius et à ses enfants, de plus à Apollon, à Saturne, à Jupiter Roi, à Junon Héniocha, et à Cérès, surnommée Europè, que l'on dit avoir été la nourrice de Trophonius. (6) Un devin, sur l'inspection des entrailles, juge si Trophonius agrée le sacrifice, et s'il est disposé à rendre ses oracles. Mais les entrailles les plus sûres sont celles d'un bélier que l'on immole sur la fosse d'Agamède, la nuit même que 1'on veut descendre dans l'antre. Les autres victimes, quelque espérance que l'on en ait conçue, sont comptées pour rien, si ce bélier n'est tel que l'on en puisse tirer un augure aussi favorable. Alors, on descend sans crainte et l'on se promet un heureux succès. Voici néanmoins quelques cérémonies qui se pratiquent auparavant. (7) Cette même nuit on vous mène sur le bord du fleuve Hercyne; là deux enfants de la ville, âgés de treize ans, vous frottent d'huile, vous lavent et vous nettoient; on les nomme des Mercures; ces jeunes ministres vous rendent tous les services nécessaires autant qu'ils en sont capables. Ensuite viennent des prêtres qui vous conduisent auprès de deux fontaines voisines l'une de l'autre. (8) L'une se nomme la fontaine de Léthé, et l'autre la fontaine de Mnémosyne. On vous fait boire d'abord à la première, afin que vous perdiez le souvenir de tout le passé; puis à la seconde, afin que vous puissiez conserver la mémoire de tout ce que vous devez voir ou entendre dans l'antre. Après ces préparations on vous montre la statue du dieu faite par Dédale; car c'est un privilège réservé uniquement à ceux qui viennent consulter l'oracle. Vous faites vos prières devant cette statue, et ensuite vous marchez vers l'antre, vêtu d'une tunique de lin ornée de bandelettes, et chaussé à la manière du pays. (9) Cet antre est dans une montagne au-dessus d'un bois sacré; une balustrade de marbre blanc règne tout à l'entour; cette balustrade n'a pas deux coudées de haut et l'espace contenu au-dedans forme une très petite place. On a élevé sur la balustrade des obélisques de bronze qui sont comme attachés par un cordon de même métal. La porte d'entrée est au milieu des obélisques. Au-dedans de l'enceinte il y a une ouverture qui ne s'est pas faite d'elle-même, comme il arrive quelquefois, mais que l'art a pratiquée avec beaucoup d'industrie, et avec une sorte de proportion; (10) car vous diriez un four creusé sous terre. Cette espèce de four peut avoir environ quatre coudées de largeur ou de diamètre, et quelque huit coudées de hauteur; mais il n'y a point de marches pour y descendre. Quand vous y voulez entrer, on vous apporte une échelle fort étroite et fort légère. Vous descendez premièrement dans une fosse qui est entre le rez-de-chaussée et la caverne. Cette fosse a deux empans de largeur, et un empan de hauteur. (11) Vous tenez en la main une espèce de pâte pétrie avec du miel, et vous vous glissez dans la fosse en y passant d'abord les pieds, puis les genoux, et lorsqu'à force de peine vous avez enfin passé tout le corps, vous vous sentez emporté dans le fond de l'antre avec autant de rapidité que si c'était un grand fleuve qui vous entraînait. C'est alors que l'avenir vous est révélé en plus d'une manière; car ou vous voyez, ou vous entendez. Lorsque votre curiosité est satisfaite, vous remontez par le même chemin et avec la même peine en passant les pieds les premiers comme vous avez fait pour descendre. (12) On dit que, de tous ceux qui jusqu'ici sont descendus dans l'antre de Trophonius, aucun n'y est mort, si ce n'est un satellite de Démétrius qui avait négligé les cérémonies usitées en l'honneur du dieu, et de plus était venu moins pour consulter l'oracle, que leur emporter l'or et l'argent qu'il croyait trouver par ce lieu. Son corps fut jeté hors de l'antre, non par cette ouverture sacrée par laquelle on descend, mais par une autre issue. On raconte bien d'autres choses de cet impie, mais je m'en tiens à ce qui m'a paru de plus vraisemblable. (13) Quand vous êtes sorti de l'antre, les prêtres vous font asseoir sur le trône de Mnémosyne, qui est auprès, et vous demandent ce que vous avez vu ou entendu, et après que vous leur en avez rendu compte, ils vous mettent entre les mains de gens commis pour avoir soin de vous. Ces gens vous reportent dans la chapelle de la bonne fortune et du bon génie. Vous êtes là quelque temps à reprendre vos esprits; car au sortir de l'antre vous êtes si troublé, qu'il semble que vous ayez perdu toute connaissance; mais peu à peu vous revenez à vous, et vous vous retrouvez dans votre état naturel. (14) Ce que j'écris ici n'est pas fondé sur un simple ouï-dire; je rapporte ce que j'ai vu arriver aux autres et ce qui m'est arrivé à moi-même; car pour m'assurer de la vérité, j'ai voulu descendre dans l'antre et consulter l'oracle. Tous ceux qui vont le consulter sont obligés, à leur retour, d'écrire sur un tableau tout ce qu'ils ont vu ou entendu. J'ai déjà dit que l'on garde dans cet antre le bouclier d'Aristomène, et je n'ai rien laissé à dire sur cet article. [9,40] (1) L'oracle de Trophonius était autrefois ignoré dans la Béotie, et voici comment il devint célèbre. Le pays fut affligé d'une si grande sécheresse, qu'en deux ans il n'y était pas tombé une goutte de pluie. Dans cette calamité, les Béotiens envoyèrent à Delphes des députés de chaque ville, pour consulter l'oracle d'Apollon. Ces députés étant venus demander du remède à leurs maux, la Pythie leur répondit que c'était de Trophonius qu'il en fallait attendre, et qu'ils allassent le chercher à Lébadée. (2) Ils obéirent; mais comme ils ne pouvaient trouver d'oracle en cette ville, Saon, le plus âgé d'entre eux tous, aperçut un essaim de mouches à miel, et observa de quel côté il tournait. Il vit que ces abeilles volaient vers un antre; il les y suivit, et il découvrit ainsi l'oracle. On dit que Trophonius l'instruisit lui-même de toutes les cérémonies de son culte, et de la manière dont il voulait être honoré. (3) Les Béotiens ont deux statues faites par Dédale; savoir, un Hercule qui est à Thèbes, et le Trophonius que l'on voit à Lébadée. Il y en a deux autres en Crète, une Britomartis qui est à Olunte, et une Minerve qui est à Gnosse, où l'on conserve aussi ce choeur de danses dont il est parlé dans l'Iliade d'Homère, et que Dédale fit pour Ariane; c'est un ouvrage en marbre blanc. Je connais encore à Délos une Vénus du même ouvrier; c'est une petite statue de bois, dont la main droite est fort endommagée par le temps, et qui se termine en gaine, car elle n'a point de pieds. (4) Je crois qu'Ariane avait reçu de Dédale cette statue, et qu'elle l'apporta avec elle lorsqu'elle suivit Thésée. Les habitants de Délos disent que Thésée, après avoir perdu sa maîtresse, consacra cette statue à Apollon, de crainte qu'en la portant à Athènes, elle ne lui rappelât sans cesse le souvenir d'Ariane, et ne le rendît malheureux. Voilà toutes les statues qui nous sont restées de Dédale. Car pour ces monuments qui furent consacrés par les Argiens dans le temple de Junon, et ces autres qui avaient été transférés d'Omphace, ville de Sicile, à Géla, le temps les a entièrement détruits. (5) Chéronée est la ville la plus proche de Lébadée. Elle s'appelait autrefois Arnè, du nom d'une fille d'Éole, qui bâtit encore une autre ville de son nom en Thessalie; mais Chéron, dans la suite, donna le sien à la première, qui depuis s'est toujours appelée Chéronée. On dit que ce Chéron était fils d'Apollon et de Théro, fille de Phylas; et c'est ce que témoigne aussi l'auteur du poème sur les femmes illustres de l'Orient. (6) "Phylas, dit-il, épousa la fille du grand Iolaos, la charmante Léïpéphilé qui égalait les déesses en beauté. Il en eut deux enfants, Hippotès et Théro, qui, belle comme Diane, sut charmer Apollon, d'où naquit Chéron, si célèbre en l'art de dompter un cheval". Je suis persuadé que du temps d'Homère, les villes de Chéronée et de Lébadée s'appelaient déjà ainsi; mais ce poète, qui ne l'ignorait pas, a pourtant mieux aimé les appeler par leurs anciens noms, de la même manière que pour dire le Nil, il a dit le fleuve d'Égypte. (7) Dans la plaine de Chéronée, on voit deux trophées qui ont été érigés par les Romains et par Sylla pour une victoire remportée sur Taxile, général de l'armée de Mithridate. Quant à Philippe, fils d'Amyntas, il n'en a érigé aucun, ni à Chéronée, ni ailleurs, pour quelque victoire que ce fût. Ce n'était pas la coutume des Macédoniens d'attester leurs victoires par cette sorte de monuments; (8) leurs annales nous apprennent même que Caranus, l'un de leurs rois, après avoir défait Cisséus, petit prince dont l'état était voisin de la Macédoine, fit élever un trophée à l'exemple des Argiens et qu'aussitôt un lion, sorti de la forêt du mont Olympe, était venu le renverser. (9) L'histoire ajoute que Caranus comprit par là qu'il n'avait pas agi sagement en donnant aux barbares de son voisinage un juste sujet de le haïr à jamais, et que depuis ce temps-là, Caranus et ses successeurs s'étaient bien gardés d'ériger aucun trophée, dans la crainte de se faire un ennemi irréconciliable d'un peuple vaincu. Ce qui confirme cette remarque, c'est la conduite d'Alexandre qui, ni pour ses victoires remportées sur Darius, ni pour ses conquêtes dans les Indes, n'éleva jamais aucun trophée. (10) Près de Chéronée vous verrez la sépulture de ces braves Thébains qui périrent en combattant contre Philippe. Ils n'ont point d'épitaphe; on s'est contenté de mettre un lion sur leur tombeau, apparemment pour marque de leur courage, et l'on y a point mis d'épitaphe, parce que la fortune n'avait pas secondé leur valeur. (11) La principale divinité des Chéronéens est ce sceptre célébré par Homère, que Vulcain avait fait pour Jupiter, et qui passa de Jupiter à Mercure, de Mercure à Pélops, de Pélops à Astrée, d'Astrée à Thyeste, de Thyeste à Agamemnon. Ils révèrent particulièrement ce sceptre, et le nomment la lance. On est tenté de croire qu'il a en effet quelque chose de divin, quand on considère la gloire qui a rejailli sur ceux par les mains de qui il a passé. (12) Les Chéronéens assurent qu'il fut trouvé avec beaucoup d'or entre Chéronée et Panope, ville de la Phocide, sur les confins des deux états, et qu'ils abandonnèrent volontiers l'or aux Phocéens, à condition que le sceptre leur demeurerait. Il y a bien de l'apparence qu'il fut apporté dans la Phocide, par Électre, fille d'Agamemnon. On n'a point bâti de temple public à cette espèce de divinité; mais chaque année un prêtre a soin de garder ce sceptre dans sa maison, où tous les jours on lui fait des sacrifices, et on lui offre toute sorte de viandes et de confitures. [9,41] (1) De tous les ouvrages de Vulcain vantés par les poètes et la renommée, il n'y en a certainement point de si célèbre, ni qui mérite tant d'honneur que le sceptre dont je viens de parler. Les Lyciens prétendent avoir dans le temple d'Apollon à Patares, une coupe de bronze qu'ils disent être un présent de Téléphus et un ouvrage de Vulcain. Il ne faut pas s'étonner qu'ils ignorent que ce sont Théodore et Rhoicus, tous deux de Samos, qui les premiers ont trouvé l'art de fondre ce métal. (2) Les habitants de Patra, dans l'Achaïe, attribuent aussi à Vulcain un certain coffre qu'ils gardent, disent-ils, et qu'Eurypile apporta de Troie; mais ce coffre, ils ne le montrent point. À Amathunte, ville de Chypre, il y a un ancien temple de Vénus et d'Adonis, où l'on conserve un collier fait, dit-on, par Vulcain, et qui fut donné en premier lieu à Harmonie, bien qu'on l'appelle communément le collier d'Ériphyle, parce que celle-ci l'accepta, et que gagnée par ce présent, elle se porta à trahir son mari. Les fils de Phégéüs firent de ce collier une offrande à Apollon dans le temple de Delphes. Comment il tomba entre leurs mains, c'est ce que j'ai suffisamment expliqué dans mes mémoires sur l'Arcadie. Il fut ensuite enlevé par les tyrans de la Phocide, qui pillèrent le temple. (3) Mais pour moi, je ne crois point que le collier qui était dans le temple d'Adonis à Amathunte, fût le collier d'Ériphyle; car celui d'Amathunte était en pierres précieuses garnies d'or, et Homère parle de l'autre, comme d'un collier purement d'or: "cette cruelle", dit- il, "sacrifia son mari pour un collier d'or". On ne peut pas dire que ce poète ignorait qu'il y eût des colliers de plusieurs façons, les uns tout unis, les autres enrichis de pierres précieuses. (4) Car lui-même dans l'entretien qu'Ulysse a avec Eumée, avant que Télémaque fût revenu de Pylos, il met ces paroles dans la bouche d'Eumée: "un marchand phénicien, homme fin et adroit, entra dans le palais de mon père, comme pour vendre un beau collier d'ambre, garni d'or". (5) Et quand il parle des présents faits à Pénélope par ses amants, il dit qu'Eurymaque entre autres, lui donna un collier d'un rare artifice, où l'ambre et l'or brillaient comme le soleil. Mais pour le collier d'Ériphyle, il ne dit point qu'il fût d'or et de pierres précieuses. D'où je conclus que de tous les ouvrages de Vulcain, le sceptre que l'on garde à Chéronée, est le seul qui nous soit resté. (6) Au-dessus de la ville il y a un endroit fort escarpé, qu'ils nomment Pétrarque, et où ils disent que Rhéa trompa Saturne, en lui présentant une pierre au lieu du petit Jupiter qu'elle avait mis au monde. On voit sur le sommet de la montagne une statue de Jupiter de moyenne grandeur. (7) Il se fait à Chéronée une espèce d'onguent, composé de roses, de lys, de narcisse et d'iris, qui est très bon pour les douleurs de rhumatisme. Il s'en fait encore un autre avec des roses, qui défend le bois contre les vers et contre la pourriture; et l'on en frotte les statues pour les conserver. L'iris est une plante qui naît dans les marécages; elle est à-peu-près de la grandeur du lys, mais la fleur n'en est ni si blanche, ni d'une odeur si forte.