[7,0] LIVRE VII - L'ACHAIE. [7,1] (1) Le pays qui est à l'orient vers la mer entre les Éléens et les Sicyoniens, est aujourd'hui nommé Achaïe par ses propres habitants; il se nommait autrefois l'Égiale, et ses habitants se disaient Égialéens du nom d'Égialeus ancien roi de Sicyone, à ce que disent les Sicyoniens. D'autres croient que cette contrée qui pour la plus grande partie est maritime avait pris son nom de sa situation, le mot "aigialos" en grec signifiant le rivage de la mer. (2) Quoi qu'il en soit, après la mort d'Hellen, son fils Xouthos chassé de Thessalie par ses frères, qui l'accusaient d'avoir pillé les trésors de leur père, se retira à Athènes où il épousa une fille d'Érechthée, dont il eut deux fils, Achaios et Ion, Érechthée étant mort, ses enfants qui disputaient à qui lui succéderait convinrent de prendre Xouthos pour juge de leur différend. Celui-ci décida en faveur de Cécrops qui était l'aîné. (3) Par là il s'attira la haine des autres, de sorte que chassé encore de l'Attique il vint s'établir dans l'Égiale, où il finit ses jours. Achaios l'aîné de ses fils ayant rassemblé quelques troupes composées d'Égialéens et d'Athéniens vint en Thessalie et remonta sur le trône de son père. Ion de son côté marchait déjà contre les Égialéens et contre Sélinous leur roi, lorsque celui-ci lui envoya offrir en mariage Héliké sa fille unique. Ion l'épousa, fut adopté par le Roi, et désigné son successeur. (4) Il eut en effet le bonheur de lui succéder. Il bâtit une ville qu'il nomma Héliké du nom de sa femme, et il voulut que de son propre nom ses sujets s'appellassent Ioniens. Ce ne fut pourtant pas tant un changement de nom, qu'un nouveau nom ajouté au leur; car ils furent appelés Égialéens-Ioniens. Et même le pays conserva son ancienne dénomination, comme il paraît par le dénombrement des troupes d'Agamemnon, où Homère fait mention de l'Égiale et de la ville d'Héliké. (5) Ion régnait dans ce pays, lorsque les Athéniens qui étaient en guerre avec les Éleusiniens lui donnèrent le commandement de leur armée; mais il mourut quelque temps après; et l'on voit encore sa sépulture dans le dème de Potamios en Attique. Ses descendants se maintinrent sur le trône jusqu'à ce qu'enfin ils furent chassés du pays, eux et leurs sujets par les Achéens, qui eux-mêmes avaient été chassés d'Argos et de Lacédémone par les Doriens. (6) Je raconterai tout ce qui se passa entre les Ioniens et les Achéens; mais il faut qu'auparavant j'explique pourquoi les peuples de Lacédémone et d'Argos avant le retour des Doriens, étaient les seuls du Péloponnèse qui portassent le nom d'Achéens. Archandros et Architélès, tous deux fils d'Achaios, se transplantèrent de la Phtiotide à Argos. Danaos leur fit épouser deux de ses filles, Automaté à Architélès, et Scaia à Archandros. Une preuve qu'ils n'étaient point originaires d'Argos, et qu'ils étaient venus s'y établir, c'est qu'Archandros imposa à son fils le nom de Métanastès, comme si on disait, "qui s'est transplanté d'un lieu en un autre". (7) Les enfants d'Achaios s'étant rendus puissants à Argos et à Lacédémone, il arriva que les Argiens et les Lacédémoniens prirent insensiblement le nom d'Achéens, ce qui n'empêchait pas que les Argiens ne fussent aussi appelés Danaéens d'un nom qui leur était propre et particulier. Mais dans la suite les Doriens chassèrent d'Argos et de Lacédémone la postérité d'Achaios. Après ce premier succès ils envoyèrent aux Ioniens un héraut pour leur dire qu'ils eussent à les recevoir dans leur pays, et à les recevoir à l'amiable sans qu'il fût besoin d'employer la force. Les Ioniens furent fort alarmés de ce compliment; ils craignirent avec raison que s'ils recevaient ces Doriens déjà unis avec les Achéens, ils ne voulussent être gouvernés par leur roi Tisaménos fils d'Oreste, que sa valeur et la noblesse de son sang rendaient en effet fort illustre. (8) Au lieu donc d'accepter la proposition, ils marchèrent contre les Achéens. Tisaménos fut tué des premiers dans le combat; cependant les Achéens eurent l'avantage et poussèrent les Ioniens jusqu'à Héliké, où ceux-ci se voyant près d'être forcés, furent obligés de capituler et eurent la liberté de se retirer où ils voudraient. Les Doriens enterrèrent Tisaménos à Héliké; mais dans la suite les Lacédémoniens avertis par l'oracle de Delphes transportèrent ses os à Sparte. On y voit encore aujourd'hui son tombeau dans le lieu même où les Lacédémoniens font ces repas qu'ils appellent du nom de Pheiditia. (9) Quant aux Ioniens ils se réfugièrent en Attique. Les Athéniens et leur roi Mélanthos fils d'Andropompos les reçurent à bras ouverts par considération pour la mémoire d'Ion, et pour ses grands services. D'autres disent qu'il y eut aussi de la politique à cet acte de générosité, et que si les Athéniens recueillirent ces fugitifs, ce fut moins par amitié pour eux, que pour se fortifier de leur secours contre les Doriens qu'ils commençaient à appréhender. [7,2] (1) Quelques années après, la discorde se mit entre Médon et Neileus les deux aînés des fils de Codros. Chacun d'eux voulait régner. Neileus méprisait son frère parce qu'il était boiteux, et jurait qu'il ne lui obéirait jamais. L'affaire ayant été portée à l'oracle de Delphes, la Pythie prononça en faveur de Médon et lui adjugea le royaume d'Athènes. Neileus et les autres fils de Codros ne pouvant digérer cette préférence résolurent d'aller chercher fortune ailleurs. Ils furent suivis de quelques Athéniens de bonne volonté et de la plupart des Ioniens. (2) Ce fut la troisième colonie qui sortit de Grèce, composée d'une multitude étrangère et commandée par un chef étranger. Car longtemps auparavant Iolaos Thébain, neveu d'Hercule, avait mené une colonie d'Athéniens et de Thespiens en Sardaigne. Et environ un siècle avant que les Ioniens quittassent Athènes, Thèras autre Thébain fils d'Autésion, à la tête d'une troupe de Lacédémoniens et de Minyens que les Pélasges avaient chassés de Lemnos, alla s'établir dans cette île que l'on nommait alors Callisté, et qui depuis fut appelée l'île Théra. (3) La troisième peuplade fut donc celle de ces Ioniens que conduisirent les fils de Codros, et dont l'origine n'avait rien de commun avec la leur, puisque ces chefs du côté de leur père et de leur aïeul, Codros et Mélanthos, étaient Messéniens, originaires de Pylos, et Athéniens du côté de leur mère. Mais plusieurs autres Grecs se joignirent aux Ioniens. Premièrement il y eut des Thébains sous la conduite de Philôtas petit-fils de Pènéléôs. En second lieu des Orchoméniens Minyens, à cause de l'affinité qu'ils avaient avec les fils de Codros. (4) Troisièmement des Grecs de tous les endroits de la Phocide, excepté de Delphes. Quatrièmement des Abantes de l'île d'Eubée. Philogénès et Damon Athéniens, tous deux fils d'Euctèmon, donnèrent aux Phocéens des vaisseaux pour passer la mer, et en prirent eux-mêmes le commandement. Tous ces aventuriers firent voile en Asie, se répandirent sur la côte, et s'emparèrent les uns d'une ville, les autres d'une autre. Neileus avec sa troupe se rendit maître de Milet. (5) Si l'on veut savoir l'origine des Milésiens, voici ce qu'eux-mêmes en racontent. Le pays qu'ils occupent s'appelait Anactoria sous le règne d'Anax qui en était originaire, et sous celui de son fils Astérios. Des Crétois abordèrent à cette côte; ils avaient pour chef Milètos qui donna son nom à la ville et à tout le territoire qui en dépend; ce Milètos était sorti de Crète avec tous ceux de son parti, pour se dérober à la vengeance de Minos fils d'Europe. Cette partie de l'Asie était pour lors habitée par les Cariens, qui reçurent les Crétois dans leur ville et ne firent plus qu'un peuple avec eux. (6) Mais les Ioniens s'étant rendus maîtres de Milet, ils exterminèrent tout ce qu'il y avait d'hommes, à la réserve de ceux qui voyant la ville prise cherchèrent leur salut dans la fuite. Les femmes et les filles furent épargnées, et les Ioniens s'allièrent ensuite avec elles. Ce qui est de certain, c'est que l'on voit encore le tombeau de Neileus assez près de la porte, et à la gauche du chemin qui mène à Didymes. Le temple et l'oracle d'Apollon subsistaient à Didymes longtemps avant la transmigration des Ioniens. La Diane d'Éphèse est aussi beaucoup plus ancienne que cette époque. (7) Et Pindare semble n'avoir pas connu l'antiquité du temple de cette déesse, lorsqu'il a dit que les Amazones l'avaient bâti en allant faire la guerre aux Athéniens et à Thésée. Car ces Amazones vinrent des rives du Thermôdon pour sacrifier à Diane d'Éphèse dans son temple, dont elles avaient connaissance, parce que quelque temps auparavant défaites par Hercule, et précédemment encore par Bacchus, elles s'y étaient réfugiées comme dans un asile. Ce temple n'a donc point été bâti par les Amazones, mais par Corèsos et Éphésos. Corèsos était originaire du pays; Éphésos passait pour être fils du Caÿstre; et cet Éphésos donna son nom à la ville. (8) Le pays d'Éphèse était pour lors occupé par des Lélèges peuples de Carie, et encore plus par des Lydiens. Des fugitifs de tous pays, et surtout ces femmes que l'on nomme Amazones, vinrent habiter les environs du temple. Tel était l'état d'Éphèse lorsqu'Androclos fils de Codros y fit une descente avec les Ioniens qui suivaient ses enseignes. Il chassa d'abord les Lélèges et les Lydiens qui tenaient la ville haute. Ceux qui demeuraient autour du temple lui ayant prêté serment de fidélité ne furent troublés en aucune façon; ensuite il prit Samos et en chassa les habitants. Les Éphésiens, j'entends les Ioniens nouvellement établis à Éphèse, possédèrent quelque temps Samos avec toutes les îles voisines. (9) Après quelques années les Samiens étant rentrés dans leur ville, Androclos alla secourir ceux de Priène contre les Cariens. Les Grecs demeurèrent victorieux, mais Androclos fut tué dans le combat; les Éphésiens rapportèrent son corps à Éphèse où il fut inhumé. On voit encore aujourd'hui sa sépulture sur le chemin qui mène du temple de Diane au temple de Jupiter Olympien près de la porte de Magnésie; ce tombeau est remarquable par la figure d'un homme armé qui est dessus. (10) Les Ioniens s'établirent ensuite à Myonte et à Priène, et poussant leurs conquêtes ils dépouillent peu à peu les Cariens de toutes leurs villes. Kyarètos un des fils de Codros repeupla Myonte. À l'égard de Priène, comme parmi les Ioniens il y avait des Thébains, Philôtas petit-fils de Pèneléôs, et Aipytos fils de Neileus furent les chefs de la colonie qui y entra. Cette ville éprouva bien des malheurs, premièrement de la part du Perse Taboutos, et en second lieu de la part d'Hiéron un de ses propres citoyens; cependant elle subsiste encore et est de la dépendance des Ioniens. Pour Myonte, ses habitants ont été obligés de l'abandonner par l'accident que je vais dire. (11) Il y avait dans le voisinage de cette ville un petit golfe; le Méandre qui passe auprès, à force d'élargir son lit et de se répandre, jeta tant de limon dans ce golfe, que l'eau ne communiquant plus avec la mer et venant à croupir forma un marais dont les exhalaisons engendrèrent une si grande quantité de cousins et de moucherons qu'il fallut déserter. Les gens du pays se retirèrent à Milet en emportant avec eux tous leurs effets et jusqu'aux statues de leurs dieux. Aussi n'ai-je rien vu de beau à Myonte qu'un temple de Bacchus qui est de marbre blanc. La même chose arriva aux gens d'Atarnée qui sont au- dessous de Pergame. [7,3] (1) Les Colophoniens ont à Claros un temple et un oracle d'Apollon qu'ils disent être d'une grande antiquité. Voici, selon eux, les révolutions qu'ils ont souffertes. Dans le temps que les Cariens possédaient ce canton, les premiers Grecs qui y abordèrent furent des Crétois. Ils avaient pour chefs Rhakios qui avec la nombreuse troupe qu'il avait débarquée se rendit maître de la côte et s'y établit. Quelque temps après, Thersandros fils de Polynice et les Argiens prirent Thèbes. Ils y firent beaucoup de prisonniers qu'ils envoyèrent à l'oracle de Delphes. Parmi eux était Mantô qui venait de perdre Tirésias son père, mort en allant à Haliarte. (2) La réponse de l'oracle fut que ces prisonniers eussent à chercher des terres étrangères. Aussitôt ils équipent une flotte, passent en Asie et vont descendre à Claros. Les Crétois voyant débarquer ces étrangers prennent les armes, marchent à eux, les enveloppent et les mènent à Rhakios. Celui-ci ayant su de la jeune Mantô quels étaient ses compagnons et ce qui les amenait en Asie, il les associe aux Crétois, les reçoit dans sa ville, et pour Mantô, il l'épouse. De ce mariage naquit Mopsos qui dans la suite chassa les Cariens de toute cette côte. (3) Cependant les Ioniens firent alliance avec les Grecs qui s'étaient rendus maîtres de Colophon, et ces deux peuples fondus, s'il faut ainsi dire, en un, furent assujettis au même gouvernement et aux mêmes lois. Damasichton et Promèthos tous deux fils de Codros, de chefs de la colonie étaient devenus rois des Ioniens. Mais bientôt la mésintelligence se mit entre ces deux frères; Promèthos tua Damasichton et s'enfuit à Naxos où il mourut. On rapporta son corps dans ses états, où les fils de Damasichton le reçurent et l'inhumèrent; sa sépulture se voit encore dans un lieu nommé Polyteichidès. (4) En parlant de Lysimaque j'ai déjà dit qu'il détruisit la ville de Colophon; la raison pourquoi il la traita ainsi, c'est que de tous les Grecs qui avaient débarqué à Éphèse, les Colophoniens furent les seuls qui prirent les armes contre lui et contre les Macédoniens. Ceux de Smyrne se joignirent à eux. Plusieurs des uns et des autres périrent dans le combat; leur sépulture est à gauche du chemin qui mène à Claros. (5) Pour la ville de Lébédos, Lysimaque la ruina uniquement afin d'en transférer les habitants à Éphèse, et de repeupler cette grande ville. Le terroir de Lébédos est très fertile, quoique sur le bord de la mer il abonde en sources d'eau douce, et ces mêmes eaux sont fort salutaires. Ce canton était anciennement occupé par les Cariens; Andraimon fils de Codros et chef d'une colonie ionienne les en chassa. Quand on est sorti de Colophon et que l'on a passé le fleuve Calaous, on trouve le tombeau d'Andraimon à la gauche du chemin. (6) Les Orchoméniens Minyens de leur côté s'établirent à Téos sous la conduite d'Athamas petit-fils, à ce que l'on dit, de cet Athamas qui eut Éole pour père. Téos fut une des villes où les Grecs et les Cariens surent vivre ensemble. Apoicos arrière-petit-fils de Mélanthos y amena aussi des Ioniens qui ne troublèrent en rien ni les Orchoméniens, ni les naturels du pays; et quelques années ensuite il y vint encore un essaim d'Athéniens et de Béotiens. Les premiers étaient commandés par Damasos et par Naoclos, tous deux fils de Codros, les seconds par Gérès qui était aussi de Béotie: ces nouveaux venus furent reçus avec amitié par Apoicos. (7) Quant aux Érythréens, suivant leur tradition ils vinrent autrefois de Crète avec Érythros fils de Rhadamanthe, lequel Érythros donna son nom à la ville qu'ils habitent aujourd'hui. Mais ils n'étaient pas les seuls habitants. Il se mêla parmi eux des Lyciens, des Cariens, et des Pamphyliens; des Lyciens à cause de leur ancienne consanguinité avec les Crétois, car ils étaient originaires de Crète, et descendaient de ces anciens Crétois qui quittèrent le pays avec Sarpédon; des Cariens, comme ayant été autrefois liés d'amitié avec Minos; des Pamphyliens enfin comme sortis aussi de race grecque; je veux dire de ces Grecs qui après la prise de Troie furent longtemps errants avec Calchas. À ces peuples se joignit encore un certain nombre d'hommes, que Cléopos autre fils de Codros tira de chaque ville d'Ionie, et qu'il fit entrer dans Érythrées. (8) Pour les Clazoméniens et les Phocéens, ils n'avaient aucune ville en Asie avant l'arrivée des Ioniens. En effet quelques-uns de ces Ioniens, après avoir longtemps erré de côté et d'autre s'avisèrent de venir demander un chef aux Colophoniens, qui leur donnèrent Parphoros. Sous les auspices de ce chef ils bâtirent une ville au pied du mont Ida; mais bientôt après ils l'abandonnèrent, et s'en étant retournés dans la nouvelle Ionie ils fondèrent Skyppiom vers les confins de la Colophonie. (9) Ils s'en dégoûtèrent encore, et en étant sortis ils se fixèrent enfin dans le pays où ils sont aujourd'hui et bâtirent la ville de Clazomènes en terre ferme; la peur qu'ils eurent des Perses fit même qu'ils passèrent dans l'île qui est située vis-à-vis. Ensuite Alexandre voulut joindre l'île à la ville par le moyen d'une chaussée, ce qui en aurait fait une péninsule. Clazomènes ne fut pas seulement habitée par des Ioniens, il y vint aussi des gens de Cléonées, de Phlionthe, et plusieurs autres qui après le retour des Doriens dans le Péloponnèse, furent obligés de quitter leur première demeure, les uns par une raison, les autres par une autre. (10) À l'égard des Phocéens d'Asie, ils descendent originairement de ceux qui occupent encore de nos jours la Phocide auprès du mont Parnasse. Ils passèrent en Asie sous le commandement de Philogénès et de Damon Athéniens, et s'établirent dans le lieu où ils sont, non par voie de conquête, mais du consentement des Cuméens. Les Ioniens ne voulurent ni faire alliance avec eux, ni les admettre dans l'assemblée des états, qu'à condition qu'ils obéiraient à des rois du sang de Codros. C'est pourquoi ils prirent chez les Érythréens et chez ceux de Téos trois princes de cette maison, savoir Déoitès, Périclos et Abartos. [7,4] (1) Les Ioniens possèdent plusieurs autres villes dans les îles. Ils ont Samos au-dessus de Mycale, et Chios vis-à-vis du mont Mimas. Si nous en croyons le poète Asios de Samos fils d'Amphiptolémos, Phénix épousa Périmèdé fille d'Oineus, et en eut deux filles, Astypalaia et Europe. Astypalaia fut aimée de Neptune; et de ce commerce naquit Ancaios, qui régna sur ces peuples que l'on nommait Lélèges. Ancaios épousa Samia fille du Méandre; il en eut quatre fils, Périlaos, Énoudos, Samos, Alithersès, et une fille qui eut nom Parthénopé: cette fille plut à Apollon et lui donna un fils qui s'appela Lycomède: voilà ce qu'Asios dit dans ses poésies. (2) Ce fut en ce temps-là que les Ioniens entrèrent dans Samos, et ils y furent reçus moins par amitié que par force. Ils avaient à leur tête Proclès fils de Pityreus; c'était un Épidaurien qui menait avec lui bon nombre de ses compatriotes que Dèïphontès et les Argiens avaient chassés de l'Épidaurie. Ce Proclès descendait d'Ion fils de Xouthos; il eut un fils nommé Léôgoros qui fut roi des Samiens après son père. Les Éphésiens sous la conduite d'Androclos lui firent la guerre, et l'ayant vaincu ils le chassèrent de son île, lui et les Samiens, sous prétexte qu'ils avaient voulu se liguer avec les Cariens contre les Ioniens. (3) Une partie de ces fugitifs alla s'établir dans cette île de la Thrace que l'on appelait autrefois Dardania, et qui depuis fut appelée de leur nom Samothrace, les autres suivirent Léôgoros, passèrent dans le continent qui est au-delà de Samos et y bâtirent une forteresse auprès d'Anaia, d'où onze ans après étant venus assiéger Samos, ils la reprirent et en chassèrent les Éphésiens à leur tour. (4) Quelques-fins disent que le temple de Junon qui est à Samos a été bâti par les Argonautes, et que ce sont eux qui y ont transféré d'Argos la statue de la déesse. L'opinion des Samiens est que Junon naquit dans leur île sur les bords du fleuve Imbrasus, et sous un saule qu'ils montrent encore aujourd'hui dans l'enceinte consacrée à la déesse. Son temple est fort ancien, à en juger surtout par sa statue qui est un ouvrage de Smilis d'Égine fils d'Eucleidès; car ce statuaire vivait du temps de Dédale, mais il était beaucoup moins illustre. (5) Pour Dédale, outre qu'il était né à Athènes, de race royale et de la famille des Mètionides, son art, sa fuite, ses voyages, ses malheurs mêmes, tout contribuait à le rendre célèbre. Coupable du meurtre de son propre neveu fils de sa soeur, et n'ignorant pas les lois de son pays sur l'homicide, il se réfugia en Crète auprès de Minos. Là il fit des ouvrages merveilleux pour Minos et pour ses filles, comme Homère nous l'apprend dans l'Iliade. (6) Mais convaincu d'un nouveau crime il fut mis avec son fils dans une étroite prison, d'où ayant trouvé le moyen de se sauver, il passa à Inycos ville de Sicile et alla implorer la protection du roi Côcalos. Minos le redemandant, et Côcalos ne voulant pas le livrer, il causa la guerre entre les deux Rois. Enfin les filles de Côcalos conçurent tant d'estime pour lui, et furent si charmées de la beauté de ses ouvrages, que pour conserver cet excellent homme, elles jurèrent la mort de Minos. (7) En un mot dans la Sicile et dans toute l'Italie rien n'était alors si fameux que le nom de Dédale, au lieu que Smilis n'était guère connu que des Samiens et des Éléens. Mais du moins passe-t-il pour constant chez ces peuples que la statue de Junon à Samos est de lui. (8) Quant à l'île de Chios, voici ce que nous apprend Ion poète tragique et historien. Neptune selon lui vint dans une île déserte, il y trouva une nymphe dont il devint amoureux. Il en eut un fils, et le jour que la nymphe le mit au monde, il tomba une si grande quantité de neige que le nom lui en demeura; il fut appelé Chios, parce que Chion en grec signifie de la neige. Neptune eut encore d'une autre nymphe deux fils, Agélos et Mélas; ce furent là les premiers habitants de l'île. Ensuite Oinopion y vint de Crète avec ses fils, Talos, Euanthès, Mélas, Salagos et Athamas; il y régna et ses enfants après lui. (9) De son temps les Cariens et les Abantes de l'île d'Eubée s'établirent aussi à Chios. Aux enfants d'Oinopion succéda Amphiclos; c'était un étranger d'Histiaia en Eubée, qui sur la foi de l'oracle de Delphes était venu chercher fortune à Chios. Hector un des descendants étant parvenu à la couronne fit la guerre aux Abantes et aux Cariens établis dans l'île. Une partie fut taillée en pièces, l'autre se rendit à discrétion et fut obligée d'évacuer le pays. (10) Hector après avoir pacifié l'île se souvint qu'il devait célébrer une fête et un sacrifice dans l'assemblée générale des Ioniens; il s'en acquitta, et ce fut dans cette assemblée que pour honorer sa valeur on lui décerna un trépied. Je sais que le poète Ion rapporte tous ces faits; mais il ne nous dit point pourquoi les habitants de Chios furent compris dans le dénombrement des Ioniens. [7,5] (1) Smyrne était dès lors habitée comme elle l'est présentement. C'était une des douze villes appartenant aux Éoliens. Les Ioniens ayant assemblé un corps de troupes à Colophon, assiégèrent Smyrne et la conquirent sur les Éoliens. Dans la suite ils donnèrent aux habitants le droit d'envoyer des députés à l'assemblée des états-généraux d'Ionie. Mais tout cela doit s'entendre de l'ancienne Smyrne; car celle qui subsiste aujourd'hui, c'est Alexandre fils de Philippe qui l'a bâtie sur une apparition qu'il eut en songe. (2) On dit que ce prince en chassant sur le mont Pagos fut conduit par la chasse même près du temple des Némésis; fatigué qu'il était et trouvant un platane sur le bord d'une fontaine il se coucha auprès et s'endormit. Là durant son sommeil les Némésis lui apparurent; elles lui ordonnèrent de bâtir une ville dans ce lieu même, et d'y transférer les habitants de Smyrne. (3) Ces peuples en ayant été avertis envoyèrent aussitôt à Claros pour consulter l'oracle sur ce qu'ils avaient à faire; la réponse fut qu'ils seraient infiniment heureux s'ils allaient habiter le mont Pagos au- delà du Mélès; c'est pourquoi ils changèrent volontiers de demeure. J'ai dit des Némésis, parce que ces peuples en reconnaissent plusieurs qui ont eu, disent-ils, la Nuit pour mère; de la même manière que les Athéniens croient l'Océan père de celle qu'ils honorent à Rhamnonte. (4) L'Ionie en général jouit du plus beau ciel du monde. La température de l'air y est extrêmement douce et agréable. On ne voit nulle part ailleurs de si beaux temples; celui de Diane d'Éphèse est le plus considérable par sa grandeur et par sa richesse. Apollon en a un à Branchides dans le territoire de Milet, et un autre à Claros près de Colophon; ces deux-là ne sont pas achevés. Les Perses ont voulu brûler celui de Junon à Samos, et celui de Minerve à Phocée; quoiqu'endommagés par le feu l'un et l'autre, ils causent encore de l'admiration. (5) Le temple d'Hercule à Érythrées et celui de Minerve à Priène vous feront beaucoup de plaisir; celui- ci par la beauté dont est la statue de la déesse; celui-là par son antiquité. La statue d'Hercule n'est ni dans le goût de celles d'Égine, ni même dans le goût de l'ancienne école d'Athènes. Si elle ressemble à quelque chose, c'est aux statues égyptiennes travaillées avec art. Le dieu est sur une espèce de radeau, et les Érythréens disent qu'il fut apporté ainsi de Tyr en Phénicie par mer. (6) Ils ajoutent que le radeau entré dans la mer Ionienne s'arrêta au promontoire de Junon, autrement dit le cap Mésaté, parce qu'en allant d'Érythrées à Chios on le trouve à moitié chemin. D'aussi loin que ceux d'Érythrées et de Chios aperçurent la statue du dieu, tous voulurent avoir l'honneur de la tirer à bord, et s'y employèrent de toutes leurs forces. (7) Un Érythréen nommé Phormion pêcheur de son métier, et qui avait perdu la vue par une maladie, fut averti en songe que si les femmes d'Érythrées voulaient couper leurs cheveux et que l'on en fît une corde, on amènerait le radeau sans peine. Pas une Érythréenne ne se mettant en devoir de déférer à ce songe, (8) des femmes de Thrace qui bien que nées libres servaient à Érythrées, sacrifièrent leur chevelure; par ce moyen les Érythréens eurent la statue du dieu en leur possession, et pour récompenser le zèle de ces Thraciennes, ils ordonnèrent qu'elles seraient les seules femmes qui auraient la liberté d'entrer dans le temple d'Hercule. Ils montrent encore aujourd'hui cette corde faite de cheveux, et la conservent soigneusement. À l'égard du pêcheur, ils assurent qu'il recouvra la vue et qu'il jouit de ce bienfait le reste de ses jours. (9) Il y a encore à Érythrées un temple de Minerve Poliade. Sa statue est de bois, d'une grandeur extraordinaire, assise sur une espèce de trône, et tenant une quenouille des deux mains; la déesse a sur la tête une couronne surmontée de l'étoile polaire. Je crois cette statue d'Endoios; j'en juge par plusieurs indices, mais surtout par la manière dont tout l'ouvrage est façonné, et encore plus par les Heures et les Grâces de marbre blanc, qui étaient exposées à l'air peu avant que j'arrivasse à Érythrées. Le temple d'Esculape que l'on voit à Smyrne a été fait de mon temps; il est bâti entre une montagne fort haute et un bras de mer, qui a cela de particulier qu'il ne mêle ses eaux avec aucune autre. (10) Mais l'Ionie outre la beauté du climat et la magnificence de ses temples a bien d'autres choses qui méritent qu'on en parle. Dans le territoire d'Éphèse vous avez le fleuve Kenchrios, le mont Pion ainsi nommé à cause de la fertilité de son terroir, la fontaine Halitaia, et aux environs de Milet la fontaine Biblis si célèbre par l'aventure de la malheureuse Biblis. À Colophon le bois sacré d'Apollon, où il y a des frênes d'une grande beauté, et près de ce bois le fleuve Alès, de tous les fleuves de l'Ionie le plus renommé pour la fraîcheur de ses eaux. (11) Lébédos est à voir pour ses bains également salutaires et magnifiques. Il y en a aussi dans le voisinage de Téos sur le promontoire Macria, et plusieurs, les uns creusés naturellement dans le roc sur le bord de la mer, les autres faits de main d'homme et fort ornés. Les Clazoméniens ont aussi les leurs, où ils rendent une espèce de culte à Agamemnon. Auprès est un antre qu'ils disent être l'antre de la mère de Pyrrhos, et ils font je ne sais quel conte de Pyrrhos berger. (12) Les Érythréens ont le territoire de Chalcis qui a donné son nom à leur troisième tribu; de ce côté-là vous voyez un promontoire qui avance dans la mer, et d'où sort une source d'eau, la meilleure et la plus saine qu'il y ait dans toute l'Ionie. (13) Les Smyrnéens ont dans leur pays la rivière de Mélès qui est une très belle rivière; à sa source est une grotte où l'on dit qu'Homère composait ses poèmes. À Chios l'on voit le tombeau d'Oinopion, digne de curiosité par lui-même, et par les grandes choses que l'on raconte de ce héros. À Samos, sur le chemin qui mène au temple de Junon l'on vous montrera la sépulture de Rhadiné et de Léontichos; il est assez ordinaire aux amants malheureux d'aller faire des voeux sur ce tombeau. En un mot l'Ionie est pleine de curiosités qui ne le cèdent guère à pas une de celles que l'on trouve dans les autres endroits de la Grèce. [7,6] (1) Après la migration des Ioniens, les Achéens partagèrent leur domaine entre eux, et le sort en décida; ce domaine consistait en douze villes qui sont connues de tous les Grecs: c'est à savoir Dymé, que l'on trouve la première en venant d'Élis, ensuite Olénos, Pharai, Tritaia, Rhypes, Aigion, Kérynéia, Boura, Héliké, Aigai, Aigeira, et Pellène qui est la dernière du côté de Sicyone. Les Achéens et leurs rois s'établirent dans toutes ces villes, qui auparavant étaient habitées par les Ioniens. (2) Les principaux rois des Achéens étaient Daiménès, Sparton, Tellis et Léontoménès, tous fils de Tisaménos; car leur aîné Comètès était déjà passé en Asie. Ces quatre princes avec Damasias leur cousin germain fils de Penthilos et petit-fils d'Oreste avaient toute l'autorité; cependant Preugénès et Patreus son fils, souverains de ces Achéens qui avaient été chassés de Lacédémone, furent associés aux autres princes. On leur donna en souveraineté une ville qui depuis du nom de Patreus fut nommée Patras. (3) Il me faut maintenant parler des exploits militaires de ces peuples. Au temps de la guerre de Troie, lorsque les Achéens étaient encore maîtres de Sparte et d'Argos, ils faisaient une partie considérable des Grecs et ils eurent grande part à cette expédition. Mais dans la guerre des Perses, ils ne se trouvèrent ni au défilé des Thermopyles où Léonidas fit une action si mémorable, ni au combat naval qui fut donné par Thémistocle général des Athéniens entre Salamine et l'île d'Eubée; car il n'est fait aucune mention d'eux dans le dénombrement soit des Lacédémoniens, soit des Athéniens. (4) Ils n'arrivèrent même à Platées qu'après que le combat fut fini; c'est la raison pourquoi vous ne voyez point le nom des Achéens sur le monument que les Grecs consacrèrent à Jupiter Olympien en action de grâce de leur victoire. Je crois qu'alors ils ne se mettaient en peine que de défendre leur pays; peut-être aussi qu'enflés d'avoir autrefois conquis le royaume de Priam ils n'aimaient pas à être commandés par les Lacédémoniens, qui étaient non plus de ces anciens Achéens, mais des Doriens; c'est même ce qui parut dans la suite. Car dans la guerre de Lacédémone contre Athènes ils donnèrent du secours à ceux de Patras, et favorisèrent toujours les Athéniens. (5) Mais depuis ce temps-là, lorsqu'il fut question de la cause commune des Grecs, comme à Chéronée où toute la Grèce était réunie contre les Macédoniens et contre Philippe, les Achéens firent leur devoir. S'ils ne marchèrent pas en Thessalie pour courir même fortune que les Athéniens dans la guerre Lamiaque, c'est qu'ayant été défaits en Béotie ils n'étaient pas remis encore de leurs pertes, du moins ainsi le disent leurs historiens. Dans le temps que j'étais à Patras, celui qui me montrait les curiosités du pays m'assura qu'il n'y eut qu'un seul Achéen qui se trouva à cette bataille; il le nommait Chilon et me disait que ce Chilon était un homme qui s'était fait de la réputation à la lutte. (6) Je sais pour moi qu'il y eut aussi un Lydien nommé Adraste qui par inclination s'attacha aux Grecs et voulut suivre leur sort. Les Lydiens lui érigèrent ensuite une statue de bronze, devant le temple de Diane Persique, avec une inscription qui porte que cet Adraste mourut en combattant pour les Grecs contre Léonnatos. (7) Quant à l'irruption que firent les Gaulois lorsqu'ils passèrent les Thermopyles, ni les Achéens, ni les autres peuples du Péloponnèse ne crurent pas devoir beaucoup s'en alarmer. Ils se persuadèrent qu'ils n'avaient qu'à fortifier l'isthme de Corinthe depuis la mer qui baigne Léchaion jusqu'à l'autre mer à Kenchrées, parce que ces barbares n'ayant point de flotte ils ne pouvaient pénétrer que par cet espace de terre qui est entre les deux mers; c'était le sentiment général de tous les Péloponnésiens. (8) Et lorsque ces mêmes Gaulois ayant par tout moyen rassemblé des vaisseaux furent passés en Asie, voici en quel état se trouva la Grèce. Aucune puissance n'était assez supérieure à l'autre pour entreprendre de lui donner l'exemple ou de lui faire la loi. Les Lacédémoniens avaient reçu à Leuctres une plaie qui saignait encore; d'ailleurs d'un côté les Arcadiens réunis contre eux dans la ville de Mégalèpolis, de l'autre les Messéniens à leurs portes et toujours prêts à les harceler ne leur permettaient pas de reprendre leur ancienne supériorité. (9) Thèbes détruite par Alexandre et rétablie peu d'années après par Cassandre n'avait pas eu le temps de se relever. Les Athéniens avaient à la vérité l'affection de la plupart des Grecs qui se souvenaient de l'état florissant où avait été Athènes; mais les Macédoniens ne leur donnaient pas le moindre relâche. [7,7] (1) Or en ce temps-là que les différents peuples de la Grèce peu touchés de l'intérêt commun de la nation, ne s'occupaient que de leur intérêt particulier, les Achéens l'emportaient sur tous les autres en force et en puissance. Car premièrement toutes leurs villes à l'exception de Pellène avaient été exemptes de la domination des tyrans; en second lieu la guerre et la peste les avaient beaucoup plus épargnées que toutes les autres parties de la Grèce. C'est pourquoi non seulement les états d'Achaïe étaient toujours assemblés, mais on y agitait sans cesse tout ce qui était du bien public. (2) Il avait plu aux Achéens de transférer ces états à Aigion, parce que de toutes leurs villes, depuis qu'Héliké avait été submergée, Aigion était la plus considérable et la plus riche. Les premiers qui envoyèrent leurs députés à cette assemblée furent les Sicyoniens. Les autres peuples du Péloponnèse suivirent l'exemple des Sicyoniens, les uns plus tôt, les autres plus tard, et enfin ceux même qui habitaient hors de l'isthme, attirés par le succès de cette espèce de confédération, voulurent aussi y entrer. (3) Les Lacédémoniens furent les seuls Grecs qui firent bande à part, et bientôt après ils déclarèrent la guerre aux Achéens. En effet Agis fils d'Eudamidas roi de Sparte prit Pellène, qui peu après fut reprise par Aratos général des Sicyoniens. À quelque temps de là Cléomène fils de Léonidas et petit-fils de Cléônymos, de l'autre maison royale, défit Aratos et les Achéens en bataille rangée auprès de Dymé, puis il fit la paix avec Antigonos et avec les Achéens. (4) Antigonos gouvernait alors la Macédoine sous le nom du jeune Philippe son pupille. Ce Philippe était fils de Démétrios, et Antigonos était cousin germain et beau-père du jeune prince. Cléomène qui venait de jurer la paix avec les Achéens, comptant pour rien de violer la foi des traités et de ses serments, alla tout aussitôt mettre à feu et à sang la ville de Mégalèpolis en Arcadie. Mais peu de temps après, lui et les Lacédémoniens furent taillés en pièces par Antigone à Sellasie, et cet événement fut regardé comme une juste punition de leur infidélité. Laissons-là Cléomène, nous reviendrons à lui quand nous en serons aux affaires d'Arcadie. (5) Cependant Philippe fils de Démétrios sorti de tutelle reçut le royaume de Macédoine des mains d'Antigone, qui le lui remit sans peine. Non seulement il ne descendait pas de Philippe fils d'Amyntas, mais ses pères avaient été sujets de ce prince. Néanmoins à la faveur de son nom et par l'ambition qu'il avait de marcher sur les pas du premier Philippe, il était déjà redouté par les Grecs. Comme lui, il ne plaignait point l'argent lorsqu'il s'agissait de se faire des créatures dans les villes grecques, et de gagner ceux qui préféraient leur intérêt particulier à l'intérêt commun de leur patrie. Mais, ce qui ne tomba jamais dans l'esprit au fils d'Amyntas, en buvant familièrement avec les grands de son royaume il savait fort bien empoisonner ceux qui lui étaient suspects; ce crime ne lui coûtait rien, et il regardait comme une bagatelle de se défaire d'un homme par le poison. (6) Il tenait garnison macédonienne dans trois places qui lui ouvraient toute la Grèce; aussi se vantait- il d'en avoir les clefs. L'une de ces places était Corinthe dans le Péloponnèse, et il eut grand soin d'en bien fortifier la citadelle. La seconde était Chalcis sur l'Euripe, qui lui servait de rempart contre les Grecs de l'île d'Eubée, de la Béotie et de la Phocide. La troisième était Magnésie sous le mont Pélion; cette dernière était une barrière contre les Thessaliens et contre les Étoliens. De plus, Philippe harcelait continuellement les peuples de l'Attique et de l'Étolie soit en tenant la campagne, soit par des détachements qui ravageaient leurs terres et se retiraient immédiatement après. (7) J'ai dit dans mon premier livre que les Grecs et les barbares s'unirent avec les Athéniens contre ce prince, et j'ai raconté aussi de quelle manière les Athéniens et leurs alliés épuisés par la longueur de la guerre furent enfin obligés d'implorer le secours des Romains. Peu de temps auparavant les Romains avaient fait marcher quelques troupes moins pour secourir l'Étolie, que pour observer les desseins des Macédoniens. (8) Mais dans le pressant besoin où se trouva Athènes, ils envoyèrent en Grèce une bonne armée sous la conduite d'Otilius, c'était le nom de famille de ce consul; car les Romains n'ajoutent pas le nom de leurs pères au leur propre comme font les Grecs, mais ils ont chacun trois noms, et plutôt plus que moins. Otilius avait ordre seulement de défendre les Athéniens et les Étoliens contre les armes de Philippe. (9) Il passa ses ordres. Hestiaia en Eubée, et Antikyra dans la Phocide s'étaient soumises à Philippe ne pouvant faire autrement; Otilius assiégea ces deux villes, les prit et les saccagea. Ce fut, autant que j'en puis juger, la raison pourquoi les Romains le rappelèrent et mirent Flaminius en sa place. [7,8] (1) Ce nouveau général ne fut pas plutôt arrivé que passant sur le ventre à un corps de Macédoniens qui couvrait Érétrie, il prit cette place et l'abandonna au pillage. Ensuite il alla mettre le siège devant Corinthe où il y avait garnison macédonienne, et en même temps il députa aux Achéens pour les prier de venir joindre leurs forces avec les siennes, suivant les engagements qu'ils avaient pris avec les Romains, et la bonne volonté des Romains pour les Grecs. (2) Mais les Achéens ne se pressèrent pas; ils ne pouvaient pardonner à Flaminius, ni à son prédécesseur, d'avoir détruit d'anciennes villes grecques qui n'avaient manqué en rien aux Romains et dont tout le crime était d'avoir cédé à la nécessité en recevant la loi du vainqueur. D'ailleurs ils prévoyaient que les Romains après avoir chassé Philippe et les Macédoniens prendraient leur place, et assujettiraient à leur tour l'Achaïe et toute la Grèce. Ces raisons furent agitées avec beaucoup de chaleur dans le conseil des Achéens; mais les partisans des Romains l'emportèrent, et il fut arrêté que les Achéens aideraient Flaminius de toutes leurs forces; de sorte que Corinthe fut bientôt obligée de se rendre. (3) Les Corinthiens se voyant délivrés du joug des Macédoniens se liguèrent aussitôt avec les Achéens, comme ils avaient déjà fait, lorsque Aratos général des Sicyoniens avait chassé de la citadelle de Corinthe la garnison qu'Antigone y avait mise, et tué Persée qui en était le commandant. Depuis la prise de Corinthe les Achéens furent regardés comme les bons et fidèles alliés des Romains, et en effet durant un temps ils se montrèrent tout dévoués à leurs volontés; car ils allèrent avec eux en Macédoine faire la guerre à Philippe, ensuite ils les accompagnèrent dans leur expédition contre les Étoliens, et enfin ils marchèrent en Syrie sous leurs enseignes pour combattre Antiochos et les Syriens. (4) Dans la guerre qu'ils firent aux Macédoniens et aux Syriens ils ne suivirent que l'inclination qu'ils avaient pour les Romains. Mais dans la suite ils se déclarèrent contre les Lacédémoniens, et en cela ils satisfirent leur ressentiment particulier; car depuis longtemps ils avaient plus d'un grief contre eux. C'est pourquoi après que le tyran Nabis homme cruel et sanguinaire eut été tué, ils songèrent aussitôt à se venger d'eux, (5) ils les assujettirent aux résolutions du conseil d'Achaïe, leur firent rendre un compte sévère de toutes leurs injustices, et enfin rasèrent les murs de Sparte. Ces murs avaient été faits assez à la hâte pour défendre la ville contre l'armée de Démétrios et ensuite contre celle de Pyrrhos qui en formèrent le siège. Depuis, Nabis les rebâtit et il n'épargna rien pour les rendre d'une bonne défense. Les Achéens les démolirent, et abolissant la discipline de la jeunesse lacédémonienne, contenue dans les lois de Lycurgue ils y accoutumèrent leur propre jeunesse. (6) Mais je traiterai tout cela plus au long, lorsque j'en serai aux affaires d'Arcadie. Cependant les Lacédémoniens lassés d'un joug aussi pesant que celui des Achéens eurent recours à Métellus et à ses collègues qui étaient venus de Rome. On les envoyait non pour déclarer la guerre à Philippe, avec qui au contraire les Romains avaient fait la paix, mais pour connaître des plaintes que les Thessaliens et les Épirotes faisaient de ce prince. (7) Il était extrêmement affaibli de ses pertes, car après avoir eu le dessous dans plusieurs escarmouches il voulut donner bataille à Flaminius auprès de Cynoscéphales, et taillé en pièces, non seulement il perdit la meilleure partie de son armée, mais il n'obtint la paix qu'à condition qu'il évacuerait toutes les places qu'il occupait dans la Grèce. (8) Encore cette paix qui lui coûta bien cher ne fut-elle qu'un vain nom, puisqu'au fond il se mit pour ainsi dire les fers aux pieds et devint comme l'esclave des Romains. Ainsi l'on vit arriver ce que la Sybile, sans doute inspirée d'en haut, avait prédit longtemps auparavant, que l'empire de Macédoine après être parvenu à un haut point de gloire sous Philippe fils d'Amyntas tomberait en décadence et en ruine sous un autre Philippe. Car l'oracle qu'elle rendit était conçu en ces termes: (9) "Macédoniens qui vous vantez d'obéir à des rois issus des anciens rois d'Argos, apprenez que deux Philippes feront tout votre bonheur et votre malheur. Le premier donnera des maîtres à de grandes villes et à des nations; le second vaincu par des peuples sortis de l'Occident et de l'Orient vous perdra sans ressource et vous couvrira d'une honte éternelle". En effet les Romains par qui le royaume de Macédoine fut renversé étaient au couchant de l'Europe, et ils furent secondés par Attale roi de Mysie et par les Mysiens qui étaient à l'orient. [7,9] (1) Mais je reprends le fil de ma narration. Métellus et ses collègues ayant égard aux plaintes des Lacédémoniens, prièrent les Achéens de convoquer les états-généraux de la nation, afin que les Lacédémoniens y pussent défendre leurs intérêts et obtenir un traitement moins dur. À cela les Achéens répondirent que ni Métellus ni les autres n'étaient en droit de demander la convocation des états, qu'au préalable ils n'eussent montré leurs ordres, et qu'ils ne fussent autorisés par un décret du Sénat. Les ambassadeurs romains prirent ce refus pour une injure faite à leur caractère, et s'en retournèrent à Rome, où ils n'oublièrent rien pour rendre les Achéens odieux, exagérant leurs torts même aux dépens de la vérité. (2) Areus et Alcibiadas se déchaînèrent encore plus contre ces peuples; c'étaient deux Lacédémoniens qui étaient en grande estime parmi leurs compatriotes, mais fort injustes envers les Achéens; car ayant été chassés de Sparte par Nabis ils se retirèrent en Achaïe, et après la mort du tyran les Achéens les ramenèrent en leur patrie et les y firent recevoir malgré l'opposition du peuple. (3) Cependant ces ingrats introduits dans le Sénat à Rome noircirent les Achéens encore plus que n'avaient fait les ambassadeurs. Aussi dès qu'on sut en Achaïe qu'ils étaient sortis de Rome et qu'ils revenaient, on ne manqua pas de leur faire leur procès et de les condamner à mort. Quant aux Romains ils envoyèrent Appius avec d'autres députés pour juger équitablement le différend qui était entre les Achéens et les Lacédémoniens. Mais leur arrivée ne fut pas agréable aux Achéens, parce qu'ils amenaient avec eux Areus et Alcibiadas qui s'étaient déclarés leurs ennemis. Ce qui acheva d'irriter les esprits, ce fut que dans l'assemblée des états les députés de Rome parlèrent d'un ton fort haut, nullement propre à persuader. (4) Dans cette assemblée Lycortas de Mégalèpolis tenait son rang; c'était un Arcadien qui ne le cédait à pas un autre en mérite et en dignité, et l'amitié de Philopoimen lui enflait encore le courage. Il entreprit la défense des Achéens, parla avec beaucoup de liberté, et tança la conduite des Romains par son discours. Les députés s'en moquèrent, ils soutinrent qu'Areus et Alcibiadas n'avaient fait aucun tort aux Achéens, et permirent aux Lacédémoniens de députer à Rome; quoique par un traité fait entre les Achéens et les Romains il fût expressément dit que les états-généraux pourraient envoyer à Rome des députés, mais qu'aucune des villes confédérées ne le pourrait faire en son propre et privé nom. (5) Les Achéens souffrant ce qu'ils ne pouvaient empêcher, ne surent faire autre chose que d'envoyer aussi des députés de leur côté. Les uns et les autres furent écoutés dans le Sénat; après quoi les Romains renvoyèrent les mêmes commissaires en Grèce avec plein pouvoir de terminer cette querelle en la manière qu'ils jugeraient la plus convenable. Appius et ses collègues ne furent pas plutôt arrivés, qu'ils rappelèrent à Sparte tous ceux que les Achéens en avaient bannis. Plusieurs avaient été condamnés à de grosses amendes, pour s'être absentés et avoir voulu décliner le jugement des Achéens; les commissaires leur remirent les peines qu'ils avaient encourues. Véritablement ils ne tirèrent pas les Lacédémoniens de la dépendance du conseil d'Achaïe; mais ils ordonnèrent que les causes capitales seraient à l'avenir portées au Sénat de Rome, laissant du reste aux Achéens la liberté de faire droit sur les causes moins importantes. Enfin ils permirent aux Spartiates d'entourer leur ville d'une bonne muraille. (6) Les bannis de retour à Sparte ne songèrent qu'à faire de la peine aux Achéens; pour y réussir ils persuadent à plusieurs Messéniens chassés de leur pays comme complices de la mort de Philopoimen, et à tout ce qu'il y avait d'Achéens exilés; ils leur persuadent, dis-je, d'aller porter leurs plaintes à Rome, et pour les appuyer ils y vont avec eux. Là ils trouvent Appius qui ne manque point de prendre le parti des Lacédémoniens contre les Achéens, et qui tourne l'esprit du Sénat comme il lui plaît, de sorte qu'il obtient sans peine le rappel des exilés. Aussitôt le Sénat fait expédier pour Athènes et pour l'Étolie des lettres circulaires, par lesquelles il les informe de son décret, leur enjoint de tenir la main à son exécution, et de faire rétablir dans leurs biens tous les Messéniens et les Achéens qui avaient été bannis. (7) Cette violence chagrina fort les Achéens; ce n'était pas la première injustice qu'ils avaient reçue de la part des Romains, et leurs services passés n'étaient payés que d'ingratitude; car après avoir fait la guerre à Philippe, aux Étoliens, et à Antiochos pour l'amour des Romains, ils se voyaient sacrifiés à des bannis et à des scélérats; cependant ils jugèrent à propos de se soumettre, et ils cédèrent à la nécessité. [7,10] (1) Il était donc aussi de la destinée des Achéens de se voir plongés dans les derniers malheurs, par la perfidie de ces hommes corrompus qui pour leur intérêt particulier sont toujours prêts à livrer leur patrie et leurs concitoyens. À dire le vrai depuis que cette peste eut une fois pénétré en Grèce, elle ne cessa point de l'affliger; car en premier lieu du temps de Darius fils d'Hystaspe roi de Perse, les affaires des Ioniens furent presque entièrement ruinées par la trahison de ceux qui commandaient les galères de Samos, et qui passèrent du côté de l'ennemi à l'exception de onze seulement. (2) Après la défaite des Ioniens les Perses saccagèrent Érétrie, et ce fut encore par la perfidie de Philagros fils de Kynéas, et d'Euphorbos fils d'Alkimachos, qui tenaient un rang considérable dans la ville. Lorsque Xerxès fit une invasion dans la Grèce, Aleuadès lui ouvrit la Thessalie, et Thèbes fut livrée par deux de ses principaux citoyens, Attaginos et Timègénidas. Durant la guerre du Péloponnèse Xénias Éléen n'entreprit-il pas d'introduire Agis et les Lacédémoniens dans Élis? (3) Et sous Lysandre ensuite ceux que l'on appelait ses hôtes furent-ils en repos qu'ils ne l'eussent rendu maître de leurs propres villes? Sous Philippe fils d'Amyntas on ne trouvera que la seule ville de Sparte qui n'ait pas connu les noirs complots et la perfidie; toutes les autres furent plus infectées de trahison qu'elles ne l'avaient été de la peste quelque temps auparavant. Alexandre fils de Philippe dut encore cet avantage à sa fortune, que de son temps il n'y eut point d'exemple de pareille lâcheté, du moins qui mérite qu'on en parle. (4) Mais après la malheureuse journée de Lamia, comme Antipatros se hâtait de porter la guerre en Asie, qu'en partant il n'était pas fâché de donner la paix aux Athéniens, et qu'il ne croyait pas que ce fût contre la politique de laisser Athènes et toute la Grèce libre, Démade et les autres traîtres persuadèrent à ce prince qu'il ne fallait pas avoir tant de douceur pour les Grecs, et après avoir intimidé le peuple d'Athènes, ils furent cause que cette ville et plusieurs autres reçurent garnison macédonienne. (5) Une preuve que le mal était au-dedans, c'est que les Athéniens firent une plus grande perte en Béotie, ayant eu mille hommes tués et deux mille faits prisonniers, et cependant ils ne se soumirent pas à Philippe; au lieu qu'après l'affaire de Lamia où ils ne perdirent que deux cent hommes, ils subirent le joug des Macédoniens. On voit par ce détail que les traîtres dans tous les temps furent comme une autre peste qui désola toutes les villes de la Grèce. Les Achéens n'en furent pas exempts; la méchanceté de Callicrate les assujettit enfin aux Romains. Le commencement de leurs maux fut une suite de la défaite de Persée, et du renversement de l'empire de Macédoine. (6) Car Persée fils de Philippe étant en paix avec les Romains, au lieu d'observer le traité fait entre eux et son père, attaqua Abroupolis roi des Sapéens qui était allié du peuple Romain, et il le chassa de ses états. Les Sapéens sont des peuples dont il est parlé dans les ïambes d'Archiloque. (7) Les Romains pour venger leurs alliés firent la guerre à Persée, conquirent la Macédoine, et y envoyèrent ensuite dix commissaires pour y régler toutes choses conformément aux vues du Sénat. Dès que ces commissaires furent en Grèce, Callicratès leur fit sa cour et n'oublia rien pour leur plaire; il remarqua qu'il y en avait un qui n'était pas fort porté pour la justice; il s'attacha surtout à le gagner, et lui persuada qu'il pouvait prendre séance dans le conseil d'Achaïe. (8) Le commissaire y vint en effet, et là en pleine assemblée il se plaignit de ce que les plus puissants de la nation avaient entretenu des pratiques avec Persée et l'avaient assisté contre les Romains; il demanda qu'on prononçât peine de mort contre ces malintentionnés, et dit qu'ensuite il les nommerait tous par leur nom. Sa proposition parut fort étrange; on lui dit que s'il connaissait de ces personnes, il devait commencer par les nommer, et que la justice ne permettait pas qu'on les condamnât sans les entendre, encore moins sans les connaître. (9) Alors le commissaire se voyant blâmé de tout le monde, eut la hardiesse de soutenir que les Officiers-généraux des Achéens étaient tous en faute, et qu'ils avaient favorisé Persée et les Macédoniens contre les intérêts des Romains; il parla ainsi à l'instigation de Callicratès. Xénon homme de considération parmi les Achéens prenant la parole: «Je répondrai, dit-il, à l'accusation intentée. J'ai commandé les troupes des Achéens, mais je n'ai jamais eu de liaison avec Persée, ni n'ai offensé les Romains en quoi que ce soit; je suis prêt à prouver mon innocence, soit dans le conseil d'Achaïe, soit dans le Sénat de Rome si l'on veut». (10) Cette parole qui n'était que le témoignage d'une bonne conscience ne tomba pas à terre; le commissaire la releva, et s'en prévalant à propos il ordonna que tous ceux qui étaient accusés allassent à Rome pour y être jugés. C'est ce que la Grèce n'avait point encore vu; car ni Philippe fils d'Amyntas, ni Alexandre, les deux plus puissants rois de Macédoine, quand ils avaient à se plaindre de quelques Grecs, ne les traduisaient point à leur tribunal, mais ils souffraient que ces sortes d'affaires fussent portées devant les amphictyons. (11) Il plut aux Romains d'en user autrement; ils firent un décret par lequel tous ceux que Callicratès avait dénoncés étaient cités à Rome. On y amena plus de mille Achéens, qui regardés comme gens déjà condamnés au conseil d'Achaïe furent mis en prison et distribués dans toutes les villes de l'Étrurie. Les Achéens envoyèrent en vain députés sur députés pour obtenir leur grâce ou leur jugement. (12) Enfin au bout de dix-sept ans on les crut assez punis, et on rendit la liberté à ces malheureux qui se trouvèrent réduits à moins de trois cents, les autres avaient péri de misère. Pour ceux qui tâchaient de se sauver lorsqu'on les conduisait à Rome, ou qui s'enfuyaient de leur prison, si on les attrapait il n'y avait point de miséricorde pour eux, on les faisait mourir. [7,11] (1) Les Romains sachant que les Lacédémoniens et les Argiens étaient en différend sur leurs limites, envoyèrent encore un commissaire du corps des sénateurs pour accommoder la querelle entre ces deux peuples. Ce fut Gallus; il agit et parla avec hauteur, et pour dire ce qui en est, il se moqua également des uns et des autres. (2) Car ces deux villes si célèbres, Sparte et Argos, qui avaient autrefois soutenu si glorieusement la guerre, pour le même sujet, et qui eurent ensuite Philippe fils d'Amyntas pour médiateur; ces villes, dis-je, ne parurent pas à Gallus dignes de son attention, il renvoya l'affaire à Callicratès, de tous les Grecs l'homme le plus insolent et le plus corrompu. (3) Les Étoliens de Pleuron qui étaient soumis aux Achéens, vinrent prier Gallus de les affranchir de cette domination. Il leur permit d'envoyer en leur nom des députés à Rome pour demander cette grâce qui leur fut accordée; et en même temps vint un ordre à Gallus de désunir de la ligue d'Achaïe tout autant de villes qu'il pourrait, ce qu'il eut grand soin d'exécuter. (4) Sur ces entrefaites il arriva que le peuple d'Athènes plus par nécessité que volontairement, pilla Oropos ville de la dépendance de cette république. Car à dire vrai, les Athéniens qui avaient été fort malmenés par les Macédoniens, se trouvaient réduits à la dernière misère; mais ceux d'Oropos portèrent leurs plaintes au Sénat de Rome, qui désapprouvant la violence et l'injustice des Athéniens, donna ordre aux Sycioniens de les obliger à payer des dommages et intérêts proportionnés au tort qu'ils avaient fait. (5) Les Sycioniens après avoir cité ceux d'Athènes, voyant qu'ils ne comparaissaient point, les condamnèrent à cinq cents talents de dommages et intérêts. Les Athéniens en appelèrent au Sénat qui modéra cette somme à cent talents; encore ne les payèrent-ils point; car non seulement ils adoucirent les Oropiens par de magnifiques promesses et par des présents, mais ils les engagèrent à recevoir garnison athénienne dans leur ville, et à donner des otages pour sûreté de cette garnison, à condition que si on leur faisait quelque nouvelle injure, les Athéniens retireraient aussitôt leurs troupes, et rendraient les otages. (6) Peu de temps après, quelques soldats de la garnison ayant de nouveau maltraité les habitants, ceux-ci députèrent aux Athéniens pour les prier de retirer cette garnison, et de renvoyer les otages, suivant que l'on en était convenu de part et d'autre: mais les Athéniens n'en voulurent rien faire, disant que la faute de quelques soldats ne devait pas s'imputer au peuple d'Athènes, et qu'ils châtieraient les coupables. (7) Les Oropiens voyant qu'on se moquait d'eux, implorèrent le secours des Achéens; et comme ils savaient que les Achéens étaient liés d'amitié avec Athènes, ils s'adressèrent à Ménalkidas de Sparte qui commandait alors l'armée d'Achaïe, et lui promirent dix talents, s'il pouvait engager les Achéens à prendre leur querelle. Ménalkidas comprit qu'il fallait gagner Callicratès que l'amitié des Romains rendait tout-puissant dans le conseil d'Achaïe; il va donc le trouver, et offre de partager les dix talents avec lui. (8) Callicratès accepte la proposition, et détermine les Achéens à secourir ceux d'Oropos. La nouvelle en étant venue à Athènes, les Athéniens sans perdre de temps fondent sur Oropos, en enlèvent le peu qui avait échappé au premier pillage, et emmènent la garnison avec eux; ainsi les Achéens arrivèrent trop tard: alors Ménalkidas et Callicratès voulurent leur persuader de ravager l'Attique; mais les Athéniens ayant tiré du secours de toute part, et surtout de Lacédémone, il convint aux Achéens de s'en retourner. [7,12] (1) Quoique la protection de Ménalkidas n'eût de rien servi aux Oropiens, il ne laissa pas d'exiger les dix talents qui lui avaient été promis; et quand il les eut, il ne se pressa pas d'en faire part à Callicratès; il l'amusa durant quelque temps, puis il leva le masque, et déclara ouvertement qu'il ne lui voulait rien donner, (2) ce qui vérifia le proverbe qui dit qu'il y a loups et loups, puisque Callicratès qui passait pour le plus méchant homme qu'il y eût dans la Grèce, en trouva un encore plus méchant et plus infidèle que lui. Cependant Callicratès qui ne pouvait digérer de se voir trompé, et de s'être attiré la haine des Athéniens sans aucun fruit, voyant Ménalkidas sorti de charge, prend le parti de le poursuivre criminellement: il l'accuse d'avoir accepté une députation à Rome contre les intérêts des Achéens, d'avoir procuré aux Spartiates de ne plus dépendre du gouvernement d'Achaïe, et conclut à ce qu'il soit condamné à mort. (3) Ménalkidas alarmé du danger où il se trouvait, met dans ses intérêts Diaios de Mégalèpolis qui lui avait succédé; et pour se l'assurer, il lui donne trois talents des dix qu'il avait reçus des Oropiens. Diaios gagné par ce présent fait absoudre Ménalkidas presque en dépit des Achéens: ensuite sentant le tort que cette affaire lui faisait dans l'esprit de sa nation, en habile homme il songe à faire diversion, et n'entretient les Achéens que de grands projets et d'espérances flatteuses. (4) Les Lacédémoniens avaient pris le Sénat de Rome pour arbitre de leur différend avec les Argiens au sujet de leurs limites; mais le Sénat avait répondu que tout ce qui n'était pas affaire criminelle devait être renvoyé au conseil d'Achaïe, et par conséquent celle-ci comme les autres. Diaios imposa aux Achéens par un mensonge, et leur fit accroire que le Sénat leur abandonnait aussi les matières criminelles. (5) Sur ce fondement les Achéens voulaient être juges des Lacédémoniens, lors même qu'il s'agissait d'infliger peine de mort: les Lacédémoniens s'y opposaient, ils accusaient Diaios de mensonge, et disaient qu'ils enverraient à Rome des députés pour savoir la volonté du Sénat; on leur répliquait que les villes qui étaient du ressort de l'Achaïe pouvaient députer à Rome en commun, mais qu'aucune ne le pouvait en son particulier. (6) Ces contestations, s'étant échauffées de part et d'autre, causèrent enfin une rupture ouverte entre les deux peuples. Cependant les Lacédémoniens se voyant fort inférieurs aux Achéens, députèrent à chaque ville de cet état et à Diaios même, pour détourner les maux dont ils étaient menacés; la réponse des villes fut qu'ayant eu ordre d'armer, elles ne pouvaient s'empêcher d'obéir. Pour Diaios, il répondit qu'il n'en voulait point à Sparte, et qu'il ne prétendait faire la guerre qu'à ceux qui mettaient le trouble et la dissension dans cette ville. (7) Sur quoi les sénateurs de Sparte lui ayant demandé quels étaient donc ces ennemis du repos public, il leur envoya les noms de vingt-quatre personnes, qui étaient justement ceux qui avaient le plus de part aux affaires. Alors Agasisthénès ouvrit un avis digne de sa réputation, et qui lui fit beaucoup d'honneur: c'était que ces vingt-quatre s'exilassent volontairement pour ne point attirer la guerre à leur patrie; il ajoutait qu'ils n'avaient qu'à s'aller plaindre à Rome, et qu'ils seraient bientôt rétablis par les Romains. (8) Son avis ayant été suivi, les vingt-quatre s'absentèrent, et comme si les Spartiates avaient désapprouvé leur évasion, ils instruisirent leur procès, et les condamnèrent à mort par contumace: en même temps les Achéens envoyèrent à Rome Diaios et Callicratès avec ordre de poursuivre auprès du Sénat la condamnation des vingt-quatre. Callicratès tomba malade à Rhodes, et y mourut: on ne peut pas dire si au cas qu'il fût allé jusqu'à Rome il eût servi les Achéens, ou s'il n'eût point tramé quelque nouvelle intrigue contre eux. Quoi qu'il en soit, Diaios eut à soutenir les intérêts des Achéens contre Ménalkidas envoyé de la part des Lacédémoniens. (9) L'un et l'autre s'étant dit beaucoup d'injures en plein Sénat, ils eurent pour toute réponse que le Sénat enverrait des commissaires sur les lieux pour accommoder ce différend. Il y eut en effet des commissaires de nommés, mais ils ne se pressèrent pas de partir, de sorte que les deux députés eurent le temps d'arriver avant eux, et de tromper l'un les Achéens, l'autre les Lacédémoniens: car Ménalkidas fit accroire à ceux-ci que par concession du Sénat ils ne relevaient plus de l'Achaïe, et Diaios assura les Achéens que Sparte serait toujours soumise à leur domination. [7,13] (1) Ce faux exposé jeta ces peuples dans l'erreur et leur mit encore une fois les armes à la main. Damocrite nouveau préteur d'Achaïe, leva des troupes, et se disposa à marcher contre les Spartiates. Dans ce temps-là même le consul Métellus marchait en Macédoine avec une armée, pour réduire Andriscos fils de Persée qui s'était soulevé contre les Romains. (2) Comme il était empêché à cette guerre qui pourtant devait bientôt finir, il donna ordre à des officiers que l'on envoyait en Asie d'interposer leur autorité auprès des Achéens, pour les obliger à mettre les armes bas, et à attendre les commissaires que le Sénat avait nommés. (3) Ces officiers exécutèrent leurs ordres; mais voyant que Damocrite allait se mettre en campagne, et qu'ils ne gagnaient rien sur son esprit, ils firent voile en Asie: les Lacédémoniens de leur côté comptant plus sur leur courage que sur leurs forces, prirent les armes, et marchèrent au-devant de l'ennemi pour défendre l'entrée de leur pays; mais battus dans un combat, et ayant perdu plus de mille hommes de leurs meilleures troupes, ils se retirèrent avec précipitation au-dedans de leur ville. Il est certain que si les Achéens les eussent poursuivis, ils auraient pu entrer dans Sparte pêle-mêle avec les fuyards. (4) Damocrite manqua l'occasion, et au lieu d'aller ensuite assiéger Sparte il aima mieux faire des courses dans le pays et en enlever du butin. (5) La campagne finie, il fut accusé de trahison, et condamné à cinquante talents d'amende; comme il n'avait pas le moyen de les payer, il s'enfuit secrètement, et quitta le Péloponnèse. Diaios ayant été nommé général en sa place, Métellus lui députa aussitôt pour le prier d'accorder une trêve jusqu'à ce que les commissaires Romains fussent arrivés. (6) Diaios y consentit; mais durant ce temps-là il s'avisa d'une ruse qui lui fut fort utile: il gagna toutes les villes au milieu desquelles Sparte était enclavée, et y mit garnison; par-là les Lacédémoniens étaient extrêmement resserrés, et les Achéens pouvaient fondre sur eux de toutes parts. (7) Cependant Ménalkidas que les Spartiates venaient d'élire pour général, rompit la trêve, et voulut tenter une entreprise. Il fit des courses jusqu'aux portes d'Iasos, ville située sur les confins de la Laconie, mais qui pour lors appartenait aux Achéens; il l'emporta d'emblée et la saccagea. (8) Par cette hostilité il attira la guerre aux Lacédémoniens dans un temps où ils n'avaient ni troupes ni argent, et où leurs terres étaient même demeurées incultes. Après cette témérité, prévoyant bien qu'il ne pouvait éviter leur ressentiment, il prit le parti de s'empoisonner: ainsi finit Ménalkidas, homme également fatal aux Lacédémoniens et aux Achéens; aux uns par son ignorance dans le métier de la guerre, et aux autres par sa perfidie. [7,14] (1) Sur ces entrefaites arrivent en Grèce les commissaires que le Sénat de Rome avait nommés, et dont le principal était Orestès. Dès qu'il fut à Corinthe, il manda tous ceux qui avaient quelque autorité dans chaque ville d'Achaïe, entre autres Diaios; et quand ils furent venus, il leur déclara de la part du Sénat que ni les Lacédémoniens, ni Corinthe même ne dépendraient plus à l'avenir des états d'Achaïe. Il en démembra encore Argos, Héraclée qui est près du mont Oeta, et les Orchoméniens qui sont en Arcadie, alléguant pour raison que ces peuples n'étaient point Achéens d'origine; et à l'égard des villes d'Argos et d'Héraclée, qu'elles ne faisaient partie du corps Achaïque que depuis peu de temps. (2) Diaios et les autres magistrats entendant ce discours, sans donner à Orestès le temps d'achever, sortent brusquement de la salle d'audience, et vont sur le champ convoquer le peuple, qui n'eut pas plutôt appris l'ordre du Sénat, qu'il entra en fureur, se jeta sur les Spartiates qui se trouvèrent à Corinthe, et leur fit mille avanies: tout ce qu'il y eut de Lacédémoniens que l'on put soupçonner seulement à leur nom, ou reconnaître pour tels, soit à la chevelure, soit à la chaussure, soit à l'habit, tout fut traité de même, sans respect pour la maison d'Orestès, d'où l'on tira par force tous ceux qui s'y étaient réfugiés. (3) En vain les députés de Rome firent leurs efforts pour apaiser cette multitude; ils eurent beau dire que c'était lever l'étendard, et s'attaquer aux Romains même; toutes leurs remontrances furent inutiles. Quelques jours après, les Achéens mirent en prison tous les Lacédémoniens qui avaient été pris, et relâchèrent seulement ceux qui n'étaient pas de cette nation; ensuite ils députèrent à Rome Théaridas avec quelques autres de leurs principaux magistrats. Théaridas s'étant mis en chemin, rencontra de nouveaux commissaires que le Sénat envoyait à la place des premiers, ce qui l'obligea à s'en revenir. (4) Diaios était sorti de charge, et Critolaos lui avait succédé: celui-ci le plus inconsidéré des hommes brûlait d'envie de faire la guerre aux Romains. Sachant donc que de nouveaux commissaires arrivaient, il alla à leur rencontre jusqu'à Tégée ville d'Arcadie, sous prétexte de s'aboucher avec eux, mais au fond pour empêcher que l'on n'assemblât les états d'Achaïe: cependant comme les commissaires en demandaient la convocation, il en expédia l'ordre aux présents; mais par des lettres furtivement écrites à toutes les villes d'Achaïe il donnait en même temps un contre-ordre. (5) De sorte qu'au jour marqué il ne se trouva personne, ainsi les commissaires ne purent pas douter de l'artifice; mais ils en furent encore plus persuadés, quand ils virent que Critolaos les priait d'attendre une seconde convocation qu'il indiquait à six mois de là, disant au reste que de lui-même il ne pouvait rien conclure avec eux. Après une tromperie si grossière, ces commissaires ne pouvant demeurer dans le pays avec bienséance, s'en retournèrent à Rome; aussitôt Critolaos tient les états à Corinthe, et persuade aux Achéens non seulement de prendre les armes contre Sparte, mais de déclarer la guerre aux Romains. (6) Qu'une République ou un roi entreprennent une guerre, et qu'ils y succombent, c'est ce qui arrive tous les jours, moins par la faute de ce roi ou de cette République, que par je ne sais quelle fatalité qui préside aux combats; mais que sans aucune force on ait la témérité d'attaquer une puissance formidable, alors cette témérité n'est plus malheur; c'est fureur, c'est manie: voilà pourtant ce qui perdit et Critolaos et les Achéens. Un Béotien nommé Pythéas qui commandait pour lors dans Thèbes, y contribua de sa part en irritant encore les Achéens contre les Romains, et en leur promettant le secours des Thébains. (7) En effet les Thébains ayant ravagé les terres des Phocéens, des Eubéens, et des habitants d'Amphissa, Métellus les avait condamnés à des dommages et intérêts envers ces peuples. Piqués de cet affront ils n'épiaient que l'occasion de se déclarer contre les Romains, et l'ayant trouvée ils ne la manquèrent pas. [7,15] (1) Cependant les Romains informés de la conduite des Achéens par les lettres de Métellus et par leurs députés, résolurent de ne pas laisser tant d'injures impunies; Mummius venait d'être fait consul: on lui donne une flotte avec des troupes, et on le charge du soin d'aller faire la guerre en Achaïe. D'un autre côté Métellus apprenant que Mummius venait avec une armée, n'oublia rien pour avoir l'honneur de finir lui-même cette guerre avant que son successeur fût arrivé. (2) Il dépêche donc aux Achéens, pour leur dire qu'ils eussent à rétablir les Lacédémoniens dans leurs droits, et toutes les villes qui s'étaient mises sous la protection du peuple romain; qu'à cette condition tout le passé leur serait pardonné. En même temps qu'il envoyait ces ordres, lui-même se mit à la tête des troupes qu'il avait en Macédoine, et prit son chemin par la Thessalie le long du golfe Maliaque: mais Critolaos bien loin d'écouter aucune proposition de paix, voyant qu'Héraclée s'était soulevée contre les Achéens, il alla l'assiéger, et s'en rendit maître. (3) Cependant ayant appris par ses coureurs que Métellus avait déjà passé le Sperchéios, il songea à se retirer à Scarphée ville des Locriens. Les défilés qui sont entre Héraclée et les Thermopyles, ces lieux si célèbres par les prodiges de valeur que les Lacédémoniens et les Athéniens y firent autrefois, les uns contre les Perses, les autres contre les Gaulois; (4) ces lieux, dis-je, ne furent pas capables de rassurer le général achéen; il voulut pousser jusqu'à Scarphée; mais Métellus l'ayant joint avant qu'il y pût entrer, il le tailla en pièces, et fit plus de mille prisonniers. Après le combat Critolaos ne fut trouvé ni parmi les vivants, ni parmi les morts; on n'a jamais su ce qu'il était devenu; s'il prit la fuite par ces marais que les eaux de la mer forment sous le mont Oeta, on ne doit pas s'étonner qu'il y soit péri. (5) Cependant sa mort a donné lieu à d'autres conjectures. Quoi qu'il en soit, une troupe d'élite de mille Arcadiens s'étant sauvée de la déroute, gagna Élatée dans la Phocide, et y fut reçue en considération de l'ancienne confraternité qu'il y avait entre ces peuples; mais depuis, les Phocéens ayant appris la défaite de Critolaos et des Achéens, ils ne jugèrent pas à propos de se compromettre en gardant chez eux des gens qui avaient pris les armes contre les Romains. (6) Ces fugitifs, contraints de se retirer par le Péloponnèse, ne purent éviter de rencontrer Métellus auprès de Chéronée; l'armée romaine fit main-basse sur eux, et aucun n'échappa; ainsi le ciel permit que les Arcadiens fussent punis par les Romains dans le lieu même où ils avaient lâchement abandonné les Grecs, lorsqu'ils combattaient contre Philippe roi de Macédoine. (7) Critolaos étant mort, Diaios reprit les fonctions de général, et crut remédier à tout en faisant ce que Miltiade et les Athéniens avaient fait dans la conjoncture du combat de Marathon. Il donna la liberté aux esclaves, en enrôla la plus grande partie, fit prendre les armes à tout ce qu'il y avait de gens capables de les porter, soit en Achaïe, soit en Arcadie, et mit sur pied une armée de vingt mille hommes, parmi lesquels on comptait plus de six mille chevaux. (8) Mais il manqua de prudence en tout le reste: car bien qu'il eût devant les yeux le malheur de Critolaos, qui avec toutes ses forces n'avait pu résister aux Romains, il affaiblit son armée par un détachement de quatre mille hommes qu'il envoya à Mégare sous la conduite d'Alcaménès, avec ordre de défendre cette ville, et de s'opposer à Métellus, s'il tentait l'entrée du Péloponnèse par ce côté-là. (9) Mais le général romain après avoir défait le corps d'Arcadiens dont j'ai parlé, marcha droit à Thèbes. Les Thébains avaient fait le siège d'Héraclée conjointement avec les Achéens, et s'étaient trouvés au combat de Scarphée; ils avaient perdu beaucoup de monde en ces deux occasions, de sorte qu'à l'approche de Métellus presque tous prirent la fuite, hommes et femmes; aimant mieux être errants dans les plaines de Béotie, ou sur les montagnes, que de s'exposer à la fureur des Romains en soutenant un siège. (10) Métellus entré dans Thèbes eut soin de contenir le soldat, et d'empêcher qu'on ne brûlât les temples, qu'on n'abattît les maisons, et qu'on ne maltraitât aucun Thébain, ni de ceux qui étaient restés dans la ville, ni des autres. Il ordonna seulement que si l'on prenait Pythéas, on le lui amenât: on le prit en effet, et il fut condamné à perdre la vie. L'armée romaine s'étant ensuite approchée de Mégare, Alcaménès en sortit avec son détachement, et se retira au camp des Achéens sous Corinthe. (11) Les Mégaréens se rendirent aussitôt. Métellus ayant pénétré dans l'isthme, envoya encore offrir la paix aux Achéens; il brûlait d'envie de terminer deux grandes guerres comme celle d'Achaïe et celle de Macédoine, mais Diaios fut assez perdu de sens pour y mettre obstacle en rejetant ses propositions. [7,16] (1) Cependant arrive Mummius; il amenait avec lui Orestès que le Sénat avait ci-devant nommé arbitre entre les Lacédémoniens et les Achéens. La première chose que fit le nouveau général, ce fut de renvoyer Métellus en Macédoine avec ses troupes. Pour lui, il se tint dans l'isthme, jusqu'à ce qu'il eût rassemblé toutes ses troupes. Son armée était composée de vingt-trois mille hommes d'infanterie et de trois mille cinq cents chevaux, sans compter quelques archers crétois qui l'étaient venus joindre, et un corps de troupe qu'Attalus lui envoyait de Pergame sur le Caïque, et qui était conduit par Philopoimen. (2) À douze stades de là il avait encore un corps de troupes auxiliaires tirées de toutes )es villes d'Italie, et qui servaient comme de gardes avancées pour la sûreté du camp: mais ces troupes par trop de confiance faisant fort mal la garde, les Achéens tombèrent dessus brusquement, en tuèrent bon nombre, et poussèrent les autres jusqu'au camp; ils prirent en cette occasion près de cinq cents boucliers. Fiers de ce succès ils n'avaient qu'un cri pour le combat. Cependant Mummius rangeait son armée en bataille. (3) Sitôt qu'il eut donné le signal, la cavalerie romaine attaqua celle des ennemis, et la mit en fuite. Leur infanterie quoiqu'un peu découragée par cet exemple, ne laissa pas de faire une fort belle résistance. Accablée par le nombre et percée de coups elle se défendait toujours, jusqu'à ce qu'enfin se voyant prise en flanc par une troupe de mille hommes choisis que Mummius avait détachés du corps de bataille, elle lâcha pied, et s'enfuit en déroute. (4) Si Diaios se fût retiré à Corinthe, et que là il eût recueilli les débris de son armée, peut-être que le général romain pour éviter les longueurs d'un siège, lui eût fait bonne composition: mais dès qu'il vit les siens plier, il ne songea plus qu'à lui, et gagna Mégalèpolis le plus vite qu'il put; bien différent de Callistratos l'illustre fils d'Empédos, qui en pareille occasion eut le courage de se sacrifier pour sauver les Athéniens qu'il avait l'honneur de commander. (5) Car ce brave homme à la tête d'une troupe de cavalerie athénienne, et de quelques volontaires, ayant été battu près du fleuve Asinaros en Sicile, forma un escadron de ce qui lui restait de monde, se fit jour à travers les ennemis, et arriva à Catane avec sa troupe; ensuite prenant la résolution de rebrousser chemin par Syracuse, il alla fondre sur ceux qui pillaient le camp des Athéniens, en fit un grand carnage, tua cinq hommes de sa main; enfin criblé de coups, et ayant eu son cheval tué sous lui, il mourut glorieusement après avoir donné aux siens le moyen d'échapper et de s'en retourner chez eux, comblés de gloire. (6) Diaios vaincu, au lieu de suivre un si bel exemple, porta aux Mégalèpolitains la première nouvelle du malheur qui les menaçait; et de peur que sa femme ne tombât en la puissance de l'ennemi, il la tua de sa propre main, et s'empoisonna lui-même ensuite, imitateur de Ménalkidas par la circonstance de sa fin, comme il l'avait été par son insatiable avarice. (7) Les Achéens qui après le combat s'étaient retirés à Corinthe, en sortirent à la faveur de la nuit, et la plupart des habitants avec eux. Mummius ayant trouvé les portes ouvertes, ne se pressa pas pour cela d'y entrer; il craignait quelque embûche: mais au troisième jour il prit la ville et la brûla. (8) Tout ce qui s'y trouva d'hommes fut passé au fil de l'épée; les femmes et les enfants furent vendus à l'encan; les esclaves à qui les Achéens avaient donné la liberté pour les enrôler dans leurs troupes, et que la guerre avait épargnés, eurent le même sort. Mummius dépouilla les places publiques et les temples des dieux de leurs ornements les plus considérables, pour les envoyer à Rome; ce qui était d'un moindre prix, il le donna à Philopoimen qui commandait les troupes du roi Attale; et lorsque j'étais à Pergame, on y voyait encore ces riches dépouilles des Corinthiens. (9) Ensuite il démantela toutes les villes qui avaient fait la guerre aux Romains, et il désarma les habitants: voilà ce qu'il fit de son autorité avant que les Romains lui eussent composé un conseil; mais lorsque les sénateurs qui devaient l'assister de leurs lumières furent arrivés, il abolit tout gouvernement républicain, et confia l'administration des affaires aux principaux citoyens dans chaque ville. Il imposa un tribut à la Grèce, il défendit aux riches de s'agrandir en acquérant des terres, et il interdit toute assemblée d'états aux peuples de l'Achaïe, de la Béotie, et de la Phocide. (10) Quelques années après, les Romains eurent pitié des Grecs. Ils permirent aux différents peuples qui composent cette nation, de s'assembler en corps comme auparavant, et rendirent aux particuliers la liberté de faire des acquisitions dans l'étendue de leur pays. Mummius avait condamné quelques villes à de grosses amendes; ainsi les Béotiens et les Eubéens devaient payer cent talents à ceux d'Héraclée, et les Achéens deux cents aux Lacédémoniens; toutes ces sommes furent remises aux débiteurs. Mais la Grèce fut réduite en province dépendante de l'empire romain, et l'on y envoie de Rome encore tous les ans un préteur que l'on nomme le préteur d'Achaïe et non de Grèce, parce que les Grecs furent subjugués dans le temps que les Achéens l'emportaient sur tous les autres en autorité et en puissance. La guerre d'Achaïe fut terminée sous la magistrature d'Antithéos à Athènes, en la cent soixantième olympiade qui fut remarquable par la victoire de Diodore de Sicyone aux jeux olympiques. [7,17] (1) Ainsi la Grèce gangrénée, pour ainsi dire, dans toutes ses parties, et conduite depuis longtemps à sa perte par son mauvais génie, se trouva pour lors si faible, qu'il fallut succomber. Car premièrement Argos qui avait été si florissante et si renommée dans les temps héroïques, en passant sous la domination des Doriens perdit sa fortune et son lustre. (2) Athènes épuisée par la guerre du Péloponnèse et par les ravages de la peste, respirait à peine, que peu d'années après elle se vit opprimée par la puissance des Macédoniens. La colère d'Alexandre vint fondre aussi du fond de la Macédoine sur Thèbes dans la Béotie. Épaminondas Thébain porta à Sparte un coup dont elle ne put jamais se relever. Enfin la nation achéenne, comme un rejeton qu'un reste de sève pousse d'un tronc déjà affecté, semblait croître et fleurir, lorsque tout d'un coup la malice et l'incapacité de ses chefs ruinèrent ses espérances. (3) Plusieurs siècles ensuite Néron rendit à la Grèce sa première indépendance; et pour dédommager les Romains de ce démembrement, il leur assujettit en même temps la Sardaigne. Certes quand je considère cette action dans un si méchant empereur, je trouve que Platon a eu raison de dire que les grands forfaits ne se commettent point par des hommes médiocres, mais qu'ils partent d'une âme forte et généreuse, quoique corrompue par une mauvaise éducation. (4) Mais les Grecs ne surent pas mettre à profit le bienfait de Néron. Vespasien parvenu à l'empire fut encore obligé de les punir de leurs divisions domestiques; c'était en eux comme un vice de tempérament. Il les fit donc encore une fois tributaires des Romains, et leur donna un préteur pour les gouverner, disant que les Grecs avaient désappris à user de la liberté. Telle fut la destinée des Achéens. (5) Ces peuples sont séparés des Éléens par le fleuve Larisos, sur le bord duquel on voit un temple de Minerve dite Larisaia. À quatre cent stades plus loin est Dymé, de toutes les villes qui obéissaient aux Achéens la seule qui suivit le parti de Philippe fils de Démétrios dans la guerre qu'il eut avec ces peuples. Ce fut pour cela que Sulpicius l'ayant prise, il l'abandonna au pillage. Auguste la réunit depuis au domaine de Patras. (6) Dymé s'appelait anciennement Paléia; elle changea de nom dès le temps qu'elle était sous la domination des Ioniens: je ne sais pas bien si celui qu'elle prit vient, comme on dit, d'une femme du pays nommée Dymé, ou de Dymas fils d'Aigimios. Quoi qu'il en soit, il ne faut pas se laisser tromper par les vers qui sont au bas de la statue d'Oibôtas à Olympie. Cet Oibôtas remporta le prix du stade en la septième olympiade, et n'eut une statue qu'en la quatre-vingtième après un certain oracle rendu à Delphes: voici ce que porte l'inscription: (7) "À la course Oibôtas remporta la victoire, / Et l'antique Paléia en vit croître sa gloire". Sur la foi de ces vers on pourrait croire que Dymé s'appelait alors Paléia; mais on se tromperait: car il faut savoir que les anciens noms sont ordinairement plus propres en poésie, et que par cette raison les poètes grecs s'en servent plus volontiers. C'est ainsi qu'ils donnent à Amphiaraos et à Adraste le nom de Phoronéides, et qu'au lieu de dire Thésée, ils disent l'Érechthéide. (8) Avant que d'arriver à la ville, on trouve sur sa droite le tombeau de Sostrate. C'était un jeune homme du pays, que l'on dit avoir été aimé d'Hercule. Après sa mort Hercule qui vivait encore, lui fit élever un tombeau, et se coupa les cheveux sur sa sépulture. De mon temps on voyait sur une petite hauteur un cippe avec une statue d'Hercule adossée contre, et j'appris que les gens du lieu rendaient tous les ans des honneurs à Sôstratos comme à un héros. (9) On voit à Dymé un temple et une statue de Minerve, qui sont l'un et l'autre d'une grande antiquité: on y voit aussi un temple consacré à la Mère Dindymèné et à Attès; ce que c'était qu'Attès, c'est un mystère que l'on tient si secret, que je n'en ai pu rien apprendre; mais voici ce qu'Hermèsianax poète élégiaque en a écrit. Selon lui, Attès était fils d'un Phrygien nommé Calaos, et naquit impuissant. Quand il fut grand, il alla en Lydie, et il y enseigna le culte et les cérémonies de la mère des dieux; ce qui le rendit si cher à cette déesse, que Jupiter en fut indigné, et qu'il suscita un sanglier qui ravagea les terres des Lydiens, tua une infinité de personnes et Attès même. (10) Les Galates qui habitent Pessinonte, semblent confirmer cette tradition, en ce que dans leurs sacrifices ils n'immolent jamais ni porc, ni sanglier. Mais du reste la fable qu'ils débitent sur Attès est bien différente de ce qu'en dit le poète Hermèsianax. Si on les en croit, Jupiter eut un songe impur; la terre mouillée du sang de ce dieu devint féconde et produisit un génie de figure humaine, qui avait les deux sexes. On le nomma Agdistis. Les dieux épouvantés de ce monstre ne lui laissèrent que le sexe féminin, et du retranchement de l'autre naquit l'amandier. (11) Cet arbre ayant porté du fruit dans la saison, une nymphe fille du fleuve Sangarios voulut en manger; elle cueillit des amandes et les mit dans son sein; aussitôt les amandes disparurent et la nymphe se sentit grosse; elle accoucha d'un fils que l'on exposa dans les bois et qui fut nourri par une chèvre. Il eut nom Attès; cet enfant prit croissance et parut d'une beauté plus qu'humaine; Agdistis l'ayant vu, conçut une violente passion pour lui. Dans la suite les parents d'Attès l'envoyèrent à Pessinonte pour lui faire épouser la fille du Roi. (12) Déjà l'on chantait l'hyménée lorsqu'arrive Agdistis, qui par ses enchantements troubla tellement l'esprit d'Attès et du roi son beau-père, que tournant l'un et l'autre leurs mains contre eux-mêmes ils se rendirent eunuques. Agdistis au désespoir d'un événement si malheureux obtint de Jupiter que nulle autre partie du corps d'Attès ne pût jamais se corrompre ni se flétrir. Telle est la fable que l'on débite à Pessinonte. (13) Aux environs de Dymé on voit une statue d'Oibôtas. Ce fut le premier Achéen qui se distingua à Olympie. On dit que ses compatriotes n'ayant honoré sa victoire d'aucun monument public, il en fut si indigné qu'il fit des imprécations contre tous ceux qui disputeraient le prix après lui, et l'on prétend qu'un dieu l'exauça. Les Achéens s'en aperçurent enfin, lorsque surpris de ce qu'aucun d'eux n'était jamais couronné aux jeux olympiques, ils envoyèrent consulter l'oracle de Delphes pour en apprendre la raison. (14) Alors ils firent ériger une statue à Oibôtas dans Olympie, et lui décernèrent plusieurs autres marques d'honneur. Immédiatement après Sôstratos de Pellène fut proclamé vainqueur dans la classe de la jeunesse. Les Achéens qui veulent se signaler aux jeux olympiques observent encore aujourd'hui cette coutume, de commencer par honorer Oibôtas sur son tombeau, et de couronner ensuite sa statue lorsqu'ils sont victorieux. [7,18] (1) À quarante stades au-delà de Dymé est l'embouchure du Peiros. Olénos ville d'Achaïe fut autrefois bâtie sur les bords de ce fleuve. Les poètes grecs qui ont écrit la vie d'Hercule en vers n'ont pas été peu embarrassés à rechercher qui était ce Dexaménos roi d'Olénos qui reçut Hercule chez lui, et quels étaient les présents dont il accompagna cet acte d'hospitalité. Ce qui est de certain, c'est qu'Hermèsianax dans une élégie sur le centaure Eurytion témoigne qu'Olénos n'était au commencement qu'une bicoque, et l'on assure que dans la suite ses habitants à cause de sa petitesse furent obligés de l'abandonner pour se retirer à Peirai et à Eurytéiai. (2) Du Peiros à Patras on compte environ quatre-vingt stades. Le Glaucos a son embouchure auprès. Suivant les historiens qui ont traité des antiquités de la ville de Patras, Eumèlos originaire du pays fut le premier qui s'y fit un établissement considérable, il régna même sur le peu d'habitants qui s'y trouvèrent. Triptolème venu d'Attique lui apprit à semer du blé et à bâtir des villes. La première qu'il bâtit fut appelée Aroé du nom même que les Grecs donnent à la culture des terres. (3) Anthéias fils d'Eumèlos pendant que Triptolème dormait s'avisa d'atteler des dragons à son char, et de courir le pays semant du blé. Mais le jeune homme tomba malheureusement et se tua. Eumèlos et Triptolème pour honorer sa mémoire bâtirent à frais communs une ville qu'ils nommèrent Anthéia. (4) Bientôt après ils en fondèrent une troisième entre Aroé et Anthéia, et cette dernière à cause de sa situation fut nommée Mésatis. Quant à ce que ceux de Patras racontent de Bacchus, qui fut élevé, disent-ils, dans la ville de Mésatis, et qui par les embûches des dieux Pans courut un danger manifeste, je ne m'amuse point à les contredire, et je les laisse exalter la gloire de leur ville comme il leur plaît. (5) Dans la suite des temps les Achéens ayant conquis le pays sur les Ioniens, Patreus fils de Preugénès et petit-fils d'Agènor, fit défense aux Achéens d'habiter Anthéia ni Mésatis; il agrandit Aroé, l'entoura d'un nouveau mur, et voulut que de son nom elle fût appelée Patras. Agènor père de Preugénès était fils d'Areus et petit-fils d'Ampyx, qui eut Pélias pour père. Pélias naquit d'Aiginètès, Aiginètès de Dèreitas, Dèreitas d'Harpalos, Harpalos d'Amyclas, et Amyclas de Lakédaimon: tels furent les ancêtres de Patreus. (6) Après un long espace de temps ceux de Patras, seuls entre les Achéens et de leur propre mouvement, s'embarquèrent pour aller secourir leurs anciens amis les Étoliens, qui étaient en guerre avec les Gaulois. Ils remportèrent d'abord quelque avantage; mais ensuite ils furent entièrement défaits et réduits à la dernière misère. C'est pourquoi ceux qui regagnèrent leur pays, au lieu de rentrer dans Patras, se dispersèrent pour la plupart dans la campagne afin de gagner leur vie, ou allèrent habiter les petites villes des environs, comme Anthéia, Mésatis, Boliné, Argyra et Arba. (7) Dans la suite Auguste, soit parce que Patras lui parut être un fort bon mouillage, soit pour quelqu'autre raison, voulut que toute cette multitude retournât en son ancienne demeure; il détruisit même une petite ville d'Achaïe nommée Rhypes, et en transplanta les habitants à Patras. Enfin il prit cette ville tellement en affection, que ce fut la seule de toute l'Achaïe qu'il laissa jouir de sa liberté, et il la distingua toujours comme une colonie du peuple romain. (8) Dans la citadelle de Patras, il y a un temple de Diane Laphria; ce surnom est étranger et la statue de la déesse est aussi étrangère. Car Auguste ayant dépeuplé Calydon et toute l'Étolie pour en transférer les habitants à Nicopolis qu'il avait bâtie sous le promontoire d'Actium, (9) il orna cette ville d'une infinité de statues qu'il avait enlevées aux Étoliens et aux Acarnaniens; en même temps il donna à ceux de Patras une partie des dépouilles de Calydon, et nommément la statue de Diane Laphria, que ces peuples gardent encore précieusement dans leur citadelle. Quant au surnom de la déesse, quelques-uns le tirent du nom d'un Phocéen; car ils prétendent que ce fut Laphrios, fils de Castalios, fils de Delphos, qui consacra à Diane cet ancien monument. (10) Mais d'autres veulent que Diane ait été surnommée Laphria, du mot grec "elaphros", qui signifie "doux, léger", parce que la colère qu'elle avait fait sentir à Oineus s'apaisa avec le temps, et que les Calydoniens lui devinrent moins odieux. Quoi qu'il en soit, cette statue est d'or et d'ivoire et représente la déesse en habit de chasse; c'est un ouvrage de deux fameux statuaires de Naupacte, Ménaichmos et Soïdas, que l'on ne croit guère moins anciens que Canachos de Sicyone et que Callon de l'île d'Égine. (11) Les habitants de Patras célèbrent tous les ans une fête en l'honneur de Diane, et ils observent religieusement les cérémonies qu'ils ont reçues de leurs pères. Ils arrangent en rond tout autour de l'autel des pièces de bois vert de la longueur de seize coudées, et au milieu de ce circuit ils mettent une pareille quantité de bois sec. La veille de la fête ils apportent de la terre molle, dont ils font des gradins afin de pouvoir monter à l'autel. (12) Ensuite la cérémonie commence par une procession où l'on porte la statue de la déesse avec toute la pompe imaginable; une vierge qui exerce le sacerdoce paraît la dernière, portée sur un char attelé de deux cerfs. Le lendemain on prépare le sacrifice, et tous y assistent avec autant de dévotion que d'allégresse. Entre la balustrade et l'autel il y a un grand espace où l'on jette toute sorte d'animaux tout en vie, premièrement des oiseaux bons à manger; en second lieu des victimes plus considérables, comme des sangliers, des cerfs, des chevreuils, des louveteaux, des ourseaux, même des loups et des ours; troisièmement des fruits de toute espèce. (13) Ensuite on met le feu au bûcher. Alors ces animaux qui sentent la chaleur de la flamme deviennent furieux, ainsi que j'en ai été témoin; quelques-uns même s'élancent par dessus la balustrade et cherchent à s'échapper; mais on les reprend et on les ramène à l'autel; ce qu'il y a de particulier, c'est qu'au rapport de ces peuples il n'en arrive point d'accident, et que jamais personne n'a été blessé en cette occasion. [7,19] (1) Entre le temple de Diane Laphria et l'autel dont je viens de parler on voit le tombeau d'Eurypyle. Je dirai qui était Eurypyle et par quelle aventure il vint à Patras; mais auparavant il est bon d'exposer en quel état se trouvaient les habitants du pays lorsqu'il y arriva. Les Ioniens étaient encore maîtres d'Aroé, d'Anthéia et de Mésatis; ces trois villes possédaient en commun un certain canton avec un temple consacré à Diane, et par cette raison la déesse était surnommée Triclaria. Là ces peuples célébraient tous les ans une fête en l'honneur de Diane, et la nuit qui précédait cette fête passait en dévotion. La prêtresse de Diane était toujours une vierge, qui était obligée de garder la chasteté jusqu'à ce qu'elle se mariât, et pour lors le sacerdoce passait à une autre. (2) Or il arriva qu'une jeune fille d'une grande beauté nommée Comaithô étant revêtue du sacerdoce, Mélanippe le jeune homme de son temps le mieux fait et le plus accompli devint amoureux d'elle. Voyant qu'il en était aimé réciproquement, il la demanda en mariage à son père. Le naturel des vieillards est de s'opposer toujours à ce que souhaitent les jeunes gens, et d'être surtout fort peu touchés de leurs amours. Par cette raison Mélanippe ne put obtenir de réponse favorable ni des parents de la fille, ni des siens propres. (3) On vit en cette occasion comme en bien d'autres, que quand une fois l'amour nous possède, toutes les lois divines et humaines ne nous sont plus de rien. Mélanippe et Comaithô satisfirent leur passion dans le temple même de Diane, et ce saint lieu allait être pour eux comme un lit nuptial, si la déesse n'avait bientôt donné des marques terribles de sa colère; car la profanation de son temple fut suivie d'une stérilité générale, en sorte que la terre ne produisait aucun fruit, et ensuite des maladies se déclenchèrent, d'un caractère inhabituel, qui emportaient une infinité de monde. (4) Ces peuples ayant eu recours à l'oracle de Delphes, la Pythie leur apprit que l'impiété de Mélanippe et de Comaithô était la cause de tous leurs maux, et que le seul moyen d'apaiser la déesse était de lui sacrifier à l'avenir tous les ans un jeune garçon et une jeune fille qui excellassent en beauté sur tous les autres. De ce barbare sacrifice le fleuve qui passe auprès du temple de Diane Triclaria fut nommé Ameilichos, car jusque-là il était demeuré sans nom. (5) Ainsi pour le crime de ces deux amants on voyait périr des jeunes filles et des jeunes hommes qui en étaient très innocents; leur sort et celui de leurs proches était bien cruel, tandis que Mélanippe et Comaithô, les seuls coupables, paraissaient moins malheureux; car du moins avaient-ils contenté leurs désirs, et les amants se trouvent heureux de pouvoir se satisfaire même aux dépens de leur vie. (6) Voici maintenant comme on raconte que cessa cette barbare coutume de sacrifier des hommes à Diane Triclaria. Les habitants d'Aroé en consultant l'oracle d'Apollon, avaient appris qu'un prince étranger leur apporterait un jour une divinité étrangère, et qu'aussitôt on cesserait de répandre le sang humain à l'autel de Diane. Après la prise de Troie, dans le partage qui fut fait du butin, il échut à Eurypyle fils d'Évaimon un coffre où l'on avait renfermé une statue de Bacchus, faite à ce que l'on croyait par Vulcain, et dont Jupiter avait fait présent à Dardanos. (7) Les uns disent qu'Énée prit la fuite si précipitamment qu'il laissa ce coffre, et d'autres assurent que Cassandre le cacha exprès, sachant bien que quelque Grec l'emporterait et qu'il s'en trouverait mal. En effet Eurypyle ne l'eut pas plutôt ouvert qu'à la vue du simulacre de Bacchus, son esprit s'aliéna de sorte que la raison ne lui revenait que par intervalles. Dans cet état, au lieu de faire voile en Thessalie, il prit la route de Kirrha par le golfe de ce nom, et alla droit à Delphes pour savoir de l'oracle par quel moyen il pourrait guérir d'une maladie si fâcheuse. (8) La réponse fut qu'à l'endroit où il trouverait des hommes occupés d'un sacrifice qui lui paraîtrait étrange, il eût à déposer le coffre fatal qu'il avait enlevé, et à y fixer sa demeure. Les vents ayant porté sa flotte jusques dans la rade d'Aroé, il y débarqua, et en mettant pied à terre il vit un jeune homme et une jeune fille que l'on conduisait à l'autel de Diane. Le seul appareil lui fit juger que c'étaient deux victimes que l'on allait immoler. Les habitants de leur côté voyant un prince qu'ils n'avaient jamais vu se souvinrent de la prédiction qui leur avait été faite, et lorsqu'ils aperçurent un grand coffre, ils jugèrent qu'il pouvait bien renfermer cette divinité étrangère qui devait mettre fini leurs maux; c'était en effet l'accomplissement de l'oracle. (9) Eurypyle recouvra son bon sens, on cessa d'égorger des hommes à l'autel de la déesse, et le fleuve changeant de nom suivant l'événement s'appela Meilichos, et non plus Ameilichos. Quelques auteurs attribuent cette aventure non à Eurypyle le Thessalien, mais à un autre Eurypyle fils de Dexaménos, qui fut roi d'Olénos, et qui ayant accompagné Hercule dans son expédition de Troie reçut de lui ce coffre pour présent; pour le reste ils adoptent l'histoire avec toutes ces circonstances. (10) Pour moi, j'ai peine à croire qu'Hercule pût ignorer ce qu'il y avait dans ce coffre, et qu'en ayant connaissance il eût fait un si funeste présent à un prince à qui il avait obligation. Quoi qu'il en soit, ceux de Patras ne connaissent point d'autre Eurypyle que le fils d'Évaimon, et ils l'honorent encore tous les ans sur son tombeau immédiatement après la fête de Bacchus. [7,20] (1) Le dieu que l'on garde dans ce coffre est surnommé Aisymnètès. Le peuple choisit parmi les plus honnêtes gens de la ville neuf hommes et autant de femmes pour être les ministres de son culte. Sa fête se célèbre tous les ans, et la nuit qui la précède le prêtre du dieu apporte ce coffre et en tire la statue. Voici la cérémonie qui se pratique ensuite: tous les enfants du pays se rendent sur le bord du fleuve Meilichos couronnés d'épis de blé, et dans l'appareil de ces victimes que l'on immolait à Diane. (2) Mais aujourd'hui ils déposent seulement leurs couronnes aux pieds de la déesse, ensuite ils se lavent dans l'eau du fleuve, reprennent des couronnes de lierre, et s'en vont au temple de Bacchus Aisymnètès. Dans l'enceinte du temple de Diane Laphria il y a une chapelle de Minerve surnommée Panachéenne, dont la statue est d'or et d'ivoire. (3) En descendant à la ville basse on trouvé le temple de la Mère Dindymèné où Attès est honoré, quoiqu'il n'ait point de statue; du moins il n'en paraît aucune. Pour la déesse Dindymèné, sa statue est de marbre. Dans la place publique on voit un temple de Jupiter Olympien; le dieu est sur un trône, ayant Minerve à côté de lui. Près de ce temple est celui de Junon. Apollon a aussi le sien; le dieu est représenté nu, à l'exception des pieds qui sont chaussés, et dont il tient l'un sur le crâne d'une génisse, (4) pour marquer que cet animal lui était agréable comme vous le témoigne Alcée dans un hymne qu'il a fait sur Mercure, et où il raconte comment Mercure déroba des vaches à Apollon. Mais avant Alcée Homère nous avait appris qu'Apollon sur l'espoir d'une certaine récompense voulut bien garder les troupeaux du roi Laomédon; car voici les paroles que le poète met dans la bouche de Neptune: (5) "De la superbe Troie, architecte nouveau, / Prenant moi-même en main l'équerre et le cordeau, / Je bâtissais les murs, j'élevais les défenses. / Apollon cependant de plaisirs et de danses / Follement occupé, conduisait des troupeaux". Il y a bien de l'apparence que l'ouvrier avait vu ces témoignages des poètes, lorsqu'il a présenté ainsi Apollon, tenant un pied sur le crâne d'une génisse. Vous verrez encore dans la place publique une statue de Minerve, qui est sans abri. Tout devant est le tombeau de Patreus. (6) Le lieu destiné à la musique tient à la place; on y voit une statue d'Apollon d'une grande beauté, et qui fut faite des dépouilles remportées sur l'ennemi, après que ceux de Patras, seuls entre les Achéens, eurent marché au secours des Étoliens, qui étaient attaqués par les Gaulois. Cette espèce de salon destiné à la musique est le plus riche et le plus beau qu'il y ait dans toute la Grèce, après celui d'Athènes qu'Hérode Atticus a fait construire en l'honneur de sa femme et qui surpasse de beaucoup tous les autres en grandeur et en magnificence. Je n'en ai rien dit dans ma description de l'Attique, parce que ce superbe ouvrage n'était pas encore achevé. (7) En sortant de la place par le côté où est le temple d'Apollon vous trouvez une porte de la ville, et sur cette porte des statues dorées qui représentent Patreus, Preugénès et Athérion. Vis-à-vis de la place et du même côté, vous avez le temple de Diane Limnatis, avec un grand espace consacré à cette déesse. (8) On dit que les Doriens s'étant rendus maîtres d'Argos et de Lacédémone, Preugénès fut averti en songe d'enlever de Sparte la statue de Diane Limnatis, et qu'il en vint à bout par le moyen d'un esclave dont il avait éprouvé la fidélité. On garde cette statue à Mésoa, parce que ce fut-là que Preugénès jugea à propos de la déposer. Mais tous les ans le jour de la fête de Diane un des ministres de la déesse a soin d'apporter sa statue à Patras, et de la remporter ensuite. (9) Sur le terrain qui est consacré à Diane il y a plusieurs chapelles où l'on va par dessous une galerie; dans l'une on voit une statue d'Esculape qui est de marbre, à l'exception de l'habit; dans une autre on voit une Minerve d'or et d'ivoire. Devant cette chapelle de Minerve est la sépulture de Preugénès, où l'on rend tous les ans des honneurs à ce héros dans le temps de la fête de Diane Limnatis. Près du théâtre sont deux autres chapelles dédiées l'une à Némésis, l'autre à Vénus avec des statues de marbre blanc plus grandes que nature. [7,21] (1) Dans le même quartier vous verrez encore le temple de Bacchus surnommé Calydonien, parce que la statue du dieu a été apportée de Calydon. Du temps que cette ville subsistait, entre les prêtres de Bacchus il y en avait un appelé Corèsos, que l'amour rendit le plus malheureux de tous les hommes. Il aimait une jeune fille nommée Callirhoé: mais plus sa passion augmentait pour elle, plus il en était rebuté. (2) Après avoir mis en oeuvre tout ce que l'amour suggère aux amants, soins, prières, supplications, voyant que tout était inutile, enfin il eut recours à Bacchus, et embrassant sa statue, il le pria de lui être favorable. Le dieu exauça son ministre: aussitôt les Calydoniens furent frappés d'une espèce d'ivresse qui les mettait hors d'eux-mêmes, et qui en faisait mourir plusieurs. Ils envoyèrent consulter l'oracle de Dodone; car en ce temps-là tous les peuples de cette contrée, je veux dire les Étoliens, leurs voisins les Acarnaniens, et les Épirotes avaient grande foi aux réponses qui sortaient du creux d'un certain chêne, ou que rendaient quelques colombes de la forêt de Dodone. (3) L'oracle consulté répondit que le malheur des Calydoniens venait de la colère de Bacchus, et que pour la faire cesser il fallait que Corèsos immolât à son autel Callirhoé, ou quelqu'un qui voudrait mourir pour elle. Cette jeune personne n'ayant trouvé ni parent, ni ami qui l'aimât assez pour vouloir lui conserver la vie aux dépens de la sienne propre, se voyait condamnée à mourir. (4) Déjà on la conduisait à l'autel, et tout était prêt pour la sacrifier; Corèsos attendait de pied ferme sa victime. Mais il ne la vit pas plutôt, qu'oubliant son ressentiment et n'écoutant plus que son amour, il s'immola lui-même et mourut pour elle, laissant aux hommes un exemple mémorable de l'amour le plus constant et le plus infortuné que l'on eût encore vu parmi eux. (5) Callirhoé au désespoir de la mort de Corèsos, et honteuse d'avoir si mal payé tant d'amour, alla se tuer sur le bord d'une fontaine qui n'est pas loin du port de Calydon, et que l'on appelle encore aujourd'hui la fontaine Callirhoé. (6) Je ne dois pas oublier qu'à Patras près du théâtre il y a un lieu sacré qui appartenait autrefois à une femme de la ville, et où l'on garde à présent plusieurs statues de Bacchus, qui tirent leurs noms des différentes villes d'Achaïe. Ainsi vous y voyez un Bacchus Mésateus, un Bacchus Antheus, un Bacchus Aroeus; et le jour de la fête du dieu on porte toutes ces statues dans le temple de Bacchus Aisymnètès, qui est à l'extrémité de la ville sur le bord de la mer, et à la droite du chemin par où l'on vient de la place. (7) Au sortir de ce temple vous en trouvez un autre dédié à la déesse Salus qui a une statue de marbre. On croit que ce fut Eurypyle qui bâtit ce dernier, lorsqu'il eut recouvré son bon sens. Le temple de Neptune est tout contre le port; la statue du dieu est de marbre et toute droite. Outre les divers surnoms que les poètes donnent à Neptune sans autre vue que de rendre leurs vers plus harmonieux et plus beaux, il en a encore plusieurs autres tirés de la dénomination même de chaque pays où il est honoré. Mais on le surnomme plus généralement Pélagaios, Asphalios, et Hippios. (8) Quant à cette dernière appellation, quoique l'on en puisse rendre plus d'une raison, je la crois particulièrement fondée sur ce que Neptune est le premier qui a trouvé l'art de dompter un cheval. C'est pourquoi Homère, dans la description d'une course de chevaux, nous représente Ménélas exigeant de son adversaire que, la main sur ses chevaux, il jure par Neptune qu'il n'a usé d'aucune supercherie pour embarrasser son char. (9) Et Pamphos qui a fait pour les Athéniens des hymnes très anciens appelle Neptune, le dieu qui a donné aux hommes des chevaux et des navires. Je suis donc persuadé que c'est pour cette raison que Neptune est surnommé Hippios, comme qui dirait le Cavalier. (10) Près du temple de ce dieu, Vénus a le sien où l'on voit entre autres une statue de la déesse, qui vingt-cinq ou trente ans avant mon voyage fut trouvée dans la mer par des pêcheurs. Mars et Apollon sont en bronze immédiatement devant le port, et sur le port même on voit un temple de Vénus avec une statue dont le visage, les pieds et les mains sont de marbre, et le reste est de bois. (11) Il y a sur le bord de la mer un bois où l'on s'exerce à la course, et qui durant l'été fournit des promenades délicieuses; ce bois est orné de deux temples consacrés à Apollon et à Vénus, où ces deux divinités sont en marbre. Le temple de Cérès n'en est pas loin. Cérès et Proserpine y sont debout, mais la Terre est assise. (12) Devant ce temple il y a une fontaine qui du côté du temple même est fermée par un mur de pierres sèches; en dehors on a pratiqué un chemin qui y descend. On prétend que cette fontaine rend des oracles qui ne trompent jamais; elle est consultée non sur toutes sortes d'affaires, mais seulement sur l'état des malades. On attache un miroir au bout d'une ficelle, et on le tient suspendu au-dessus de la fontaine, en sorte qu'il n'y ait que l'extrémité qui touche à l'eau. Ensuite on fait des prières à la déesse, on brûle des parfums en son honneur, et aussitôt en regardant dans le miroir on voit si le malade retrouvera la santé ou s'il mourra; cette espèce de divination ne s'étend pas plus loin. (13) Mais à Cyanées en Lycie il y a un oracle d'Apollon Thyrxeus qui est plus universel; car en regardant dans une fontaine consacrée à ce dieu on y voit représenté tout ce que l'on a envie de savoir. Vous verrez encore à Patras près du même bois deux temples de Sérapis; dans l'un est le tombeau d'Aigyptos fils de Bèlos. Car ces peuples prétendent qu'Aigyptos se réfugia à Arroé, inconsolable de la mort de ses fils et ne pouvant plus souffrir le séjour, ni même le nom d'Argos, où il avait tout à craindre de Danaos. (14) Enfin Esculape a aussi son temple dans la ville un peu au-dessus de la citadelle et près de la porte par où l'on sort pour aller à Mésatis. Il y a deux fois plus de femmes que d'hommes à Patras, et les femmes y sont plus enclines à l'amour qu'en aucun lieu du monde. La plupart gagnent leur vie à faire des résilles, et d'autres étoffes avec cette espèce de soie que j'ai dit qui croît en Élide. [7,22] (1) Pharai est une autre ville d'Achaïe qu'Auguste a réunie au domaine de Patras. On compte de l'une à l'autre cent cinquante stades, et de la mer au continent on en compte environ soixante et dix. Le fleuve Piéros passe fort près des murs de Pharai; c'est le même, à ce que je crois, qui baigne les ruines d'Olénos, et qui est appelé Peiros du côté de la mer. On voit sur ses rives comme une forêt de platanes; ces arbres sont si vieux, que vous les trouvez creux pour la plupart, et ils sont en même temps d'une si prodigieuse grosseur que plusieurs personnes y peuvent manger et dormir comme dans un antre. (2) La place publique de Pharai est bâtie à l'antique et son circuit est fort grand. Au milieu vous voyez un Mercure de marbre, qui a une grande barbe; c'est une statue de médiocre grandeur, de figure carrée, qui est debout à terre sans piédestal. L'inscription porte que cette statue a été posée là par Simylos Messénien, et que c'est Mercure Agoraios ou le dieu du marché. On dit que ce dieu rend là des oracles. Immédiatement devant sa statue il y a une Vesta qui est aussi de marbre. La déesse est environnée de lampes de bronze attachées les unes aux autres et soudées avec du plomb. (3) Celui qui veut consulter l'oracle fait premièrement sa prière à Vesta, il l'encense, il verse de l'huile dans toutes les lampes et les allume; puis s'avançant vers l'autel il met dans la main droite de la statue une petite pièce de cuivre, c'est la monnaie du pays; ensuite il s'approche du dieu, et lui fait à l'oreille telle question qu'il lui plaît. Après toutes ces cérémonies il sort de la place en se bouchant les oreilles avec les mains dès qu'il est dehors il écoute les passants, et la première parole qu'il entend lui tient lieu d'oracle. (4) La même chose se pratique chez les Égyptiens dans le temple d'Apis. Une autre curiosité de la ville de Pharai, c'est un vivier que l'on nomme Hermès et qui est consacré à Mercure avec tous les poissons qui sont dedans; c'est pourquoi on ne le pêche jamais. Près de la statue du dieu il y a une trentaine de grosses pierres carrées, dont chacune est honorée par les habitants sous le nom de quelque divinité; ce qui n'est pas fort surprenant; car anciennement les Grecs rendaient à des pierres toutes brutes les mêmes honneurs qu'ils ont rendus depuis aux statues des dieux. (5) À quinze stades de la ville les Dioscures ont un bois sacré tout planté de lauriers; on n'y voit ni temple, ni statue; mais si l'on en croit les habitants, il y a eu autrefois dans ce lieu nombre de statues qui ont été transportées à Rome; présentement il n'y reste qu'un autel qui est bâti de très belles pierres. Au reste je n'ai pu savoir si c'est Pharès fils de Phylodameia et petit-fils de Danaos qui a bâti la ville de Pharai, ou si c'en est un autre. (6) Tritaia autre ville d'Achaïe en terre ferme est encore de la dépendance de Patras; Auguste l'a voulu ainsi. De Pharai à Tritaia il n'y a guère que six-vingt stades. Avant d'entrer dans la ville on voit un magnifique tombeau de marbre blanc, plus précieux encore par les peintures de Nicias, que par les ouvrages de sculpture dont il est orné. Une jeune personne d'une grande beauté est représentée assise dans une chaise d'ivoire; à côté d'elle est une de ses femmes qui lui tient une espèce de parasol sur la tête. (7) De l'autre côté c'est un jeune garçon qui n'a point encore de barbe; il est vêtu d'une tunique et d'un manteau de pourpre par-dessus; près de lui est un esclave qui d'une main tient des javelots, et de l'autre des chiens de chasse qu'il mène en laisse. On ne put pas me dire les noms de ces figures, mais je compris sans peine que c'était le tombeau d'un mari et d'une femme. (8) Quant à la ville de Tritaia, les uns lui donnent pour fondateur Kelbidas originaire de Kymé, dans le pays des Opiques. D'autres disent que Tritaia fille du fleuve Triton après avoir été prêtresse de Minerve fut aimée du dieu Mars, et que de ce commerce naquit Mélanippe qui bâtit une ville, et du nom de sa mère l'appela Tritaia. (9) Quoi qu'il en soit, vous verrez dans cette ville un temple que les gens du pays nomment le temple des plus grands dieux; leurs statues ne sont que de terre; on célèbre leur fête tous les ans avec toutes les mêmes cérémonies que les Grecs ont coutume de pratiquer à la fête de Bacchus. Minerve y a aussi un temple avec une statue de marbre; mais cette statue est d'un goût moderne; les habitants prétendent qu'anciennement il y en avait une autre qui a été portée à Rome. Ces peuples observent religieusement de sacrifier tous les ans au dieu Mars et à Tritaia. Voilà toutes les villes d'Achaïe que l'on trouve en terre ferme. (10) Si vous allez de Patras à Aigion par mer, à la hauteur de cinquante stades vous trouverez le cap Rhion. Quinze stades au-delà c'est le port Panormos, et quinze autres stades plus loin c'est ce que l'on appelle les murs de Minerve. De ces murs à Érinéos qui est un port de mer on compte quatre-vingt-dix stades, et de ce port à Aigion on en compte soixante; par terre le chemin est plus court d'environ quarante stades. (11) À quelque distance de Patras vous avez le fleuve Meilichos et le temple de Diane Triclaria, où il n'est resté aucune statue; ce temple est sur le chemin à droite. Un peu plus loin c'est un ruisseau que l'on nomme Charadros. On a remarqué que les animaux qui au printemps boivent de l'eau de ce ruisseau engendrent pour l'ordinaire des mâles. C'est pourquoi ceux qui gardent les troupeaux ont soin de les faire boire ailleurs, excepté les vaches; parce que le mâle de cette espèce est plus propre pour la culture des terres et pour les sacrifices. Mais en toute autre espèce de bétail la femelle est plus estimée. [7,23] (1) Quand on a passé le Charadros on aperçoit quelques ruines de l'ancienne ville d'Argyra, et à main droite du grand chemin on trouve une fontaine qui porte encore ce nom. Le fleuve Sélemnos a son embouchure auprès; ce qui a donné lieu à un conte que font les gens du pays et que je vais rapporter. Selon eux Sélemnos fut autrefois un beau jeune berger qui plut tant à la nymphe Argyra, que tous les jours elle sortait de la mer pour le venir trouver. (2) Cette passion ne dura pas longtemps; il semblait à la nymphe que le berger devenait moins beau, elle se dégoûta de lui, et Sélemnos en fut si touché qu'il mourut de déplaisir. Vénus le métamorphosa en fleuve; mais tout fleuve qu'il était il aimait encore Argyra, comme on dit qu'Alphée, pour être devenu fleuve, ne cessa pas d'aimer Aréthuse; la déesse ayant donc pitié de lui encore une fois lui fit perdre entièrement le souvenir de la nymphe. (3) Aussi croit-on dans le pays que les hommes et les femmes pour oublier leurs amours n'ont qu'à se baigner dans le Sélemnos, ce qui en rendrait l'eau d'un prix inestimable, si l'on pouvait s'y fier. (4) Le fleuve Bolinaios est à une médiocre distance des ruines d'Argyra, et sur sa rive était autrefois la ville de Bolina. On dit qu'une jeune fille de ce nom voyant Apollon amoureux d'elle se jeta dans la mer pour éviter ses poursuites, et que le dieu touché de son malheur la rappela à la vie et la rendit immortelle. Vous trouverez ensuite un promontoire qui avance dans cette mer. C'est là, dit-on, que Saturne jeta la faux avec laquelle il avait mutilé le Ciel son père; c'est pourquoi on a donné le nom de Drépanon à ce promontoire. Un peu au-dessus du grand chemin vous verrez les ruines de Rhypes, et vous n'aurez pas fait trente stades que vous serez à Aigion. (5) Ce pays est arrosé de deux fleuves, le Phoinix et le Meiganitas qui tous deux vont tomber dans la mer au-dessous d'Aigion. Près de la ville on voit un portique bâti pour Straton, fameux athlète qui en un même jour remporta le prix du pancrace et de la lutte à Olympie; on bâtit ce portique afin que ce fût pour lui un lieu d'exercice. Entre les diverses curiosités de la ville d'Aigion il y a premièrement un vieux temple de Lucine; la déesse est ouverte d'un voile fort fin depuis la tête jusqu'aux pieds. Sa statue est de bois à la réserve du visage, des mains et des pieds, qui sont de beau marbre du mont Pentélique. (6) Elle a une main étendue, et de l'autre elle tient un flambeau, apparemment pour signifier ou que les douleurs de l'enfantement sont cuisantes comme le feu, ou que c'est la déesse elle-même qui fait jouir les enfants de la lumière du jour; cette statue est un ouvrage de Damophon Messénien. (7) Près du temple de Lucine est un lieu consacré à Esculape, où vous voyez une statue d'Hygie et une autre d'Esculape même; des vers ïambes gravés sur le piédestal vous apprennent que ces statues sont encore de la main de Damophon. Je me souviens que dans ce temple j'eus une dispute avec un homme de Sidon, qui prétendait que les Phéniciens l'emportaient de beaucoup sur les Grecs dans la connaissance des choses divines et humaines; et pour preuve de cela, disait-il, les Phéniciens font Esculape fils d'Apollon, mais ils se gardent bien de lui donner pour mère une mortelle comme les Grecs, (8) parce qu'ils savent qu'Esculape n'est autre chose que la bonne température de l'air, principe de la santé soit pour l'homme, soit pour les animaux. À l'égard d'Apollon qui est le soleil même, il est dit à bon droit le père d'Esculape; parce qu'en fournissant sa course tous les ans il règle les saisons, et donne à l'air ce juste tempérament qui en fait la salubrité. Je lui répondais qu'il avait raison, mais que là-dessus les Grecs pensaient tout comme les Phéniciens, et la preuve que je lui en donnais c'est qu'à Titané en Sicyonie une même statue représente Esculape et la Santé. Et que le soleil soit le père de la vie, c'est une chose, lui disais-je, qui est connue de tout le monde, même des enfants. (9) En second lieu vous verrez à Aigion un temple de Minerve, et un bois consacré à Junon. Minerve a deux statues de marbre blanc; pour la statue de Junon, personne ne la voit, qu'une femme qui exerce le sacerdoce de la déesse. Bacchus a son temple près du théâtre; il est représenté sans barbe. Dans la place publique il y a un temple et tout un canton dédiés à Jupiter sauveur; en entrant vous trouvez à gauche deux statues de bronze; l'une représente le dieu sans barbe, et celle-là m'a paru la plus ancienne. (10) Si vous allez tout droit, vous trouverez une chapelle où il y a un Neptune, un Hercule, un Jupiter et une Minerve de bronze; on appelle ces dieux, les dieux d'Argos, soit parce qu'ils ont été fabriqués à Argos, comme le disent les Argiens eux-mêmes, soit parce qu'ils ne sont à Aigion qu'à titre de dépôt comme les habitants le prétendent. (11) Car ils racontent que les Argiens déposèrent ces divinités chez eux, exigeant en même temps qu'ils leur fissent des sacrifices tous les jours. Comme cela aurait été d'une trop grande dépense, ceux d'Aigion s'avisèrent d'immoler plusieurs victimes à la fois, et d'en faire ensuite des repas publics; ainsi il n'y avait rien de perdu et ces sacrifices ne coûtaient pas beaucoup. Dans la suite les Argiens redemandèrent leur dépôt; ceux d'Aigion dirent qu'ils étaient tout prêts à le rendre, mais qu'ils voulaient être payés de leurs frais; la somme qu'ils demandaient étant exorbitante, on aima mieux leur laisser les statues. [7,24] (1) Près de la place Apollon et Diane ont un temple en commun, et dans la place même Diane a le sien en particulier, où la déesse est représentée tirant de l'arc. On y voit aussi le tombeau du héraut Talthybios, ce qui n'empêche pas que les Spartiates ne se vantent de l'avoir chez eux sur une petite éminence; l'une et l'autre ville lui rendent des honneurs funèbres tous les ans. (2) Du côté de la mer il y a quatre temples consacrés, l'un à Vénus, l'autre à Neptune, le troisième à Proserpine, et le quatrième à Jupiter dit Homagyrios; dans ce dernier Jupiter, Vénus et Minerve ont des statues. Le surnom d'Homagyrios vient de ce qu'Agamemnon assembla dans ce lieu-là les troupes dont il avait besoin pour son expédition de Troie; et une des choses qui ont fait le plus d'honneur à ce prince, c'est qu'il prit si bien ses mesures, que l'armée qu'il mit alors sur pied lui suffit pour prendre Troie et toutes les villes voisines, sans qu'il fût obligé de faire de nouvelles levées en Grèce. (3) Après le temple de Jupiter Homagyrios est celui de Cérès Panachéenne. Sur le même rivage de la mer vous verrez une source abondante dont l'eau est douce et fort bonne à boire. Près de là est le temple de la déesse Salus dont la statue n'est vue que de ses prêtres; dans les sacrifices qu'ils font à la déesse ils observent entre autres cérémonies de jeter dans la mer un morceau de pâte qu'ils envoient, disent-ils, à Aréthuse en Sicile. (4) On voit à Aigion plusieurs autres statues de bronze, comme un Jupiter enfant, et un jeune Hercule qui n'a point encore de barbe; ce sont des ouvrages d'Agéladas d'Argos. Tous les ans on nomme à ces divinités des prêtres qui ont soin de garder leurs statues chez eux; autrefois on élisait le plus bel enfant de tout le pays pour prêtre de Jupiter, et quand il avait atteint l'âge de puberté on lui donnait un successeur. Tel était l'ancien usage de ces peuples. Les états-généraux d'Achaïe se tiennent encore aujourd'hui à Aigion, comme le conseil des Amphictyons se tenait aux Thermopyles ou à Delphes. (5) En avançant plus loin vous trouvez le fleuve Sélinous, et à quarante stades d'Aigion est le bourg d'Héliké sur le bord de la mer. C'était autrefois une ville où les Ioniens avaient un temple célèbre dédié à Neptune Hélicônios. Ils disent que le culte de ce dieu s'est perpétué chez eux, depuis que chassés par les Achéens ils se retirèrent à Athènes, et qu'ensuite ils allèrent chercher fortune vers les côtes d'Asie. En effet aux environs de Milet, sur le chemin de la fontaine de Biblis tout devant la ville, on voit un autel de Neptune Hélicônios, et à Téos on en voit un autre fermé par une balustrade et d'un ouvrage exquis. (6) Il est même parlé dans Homère et d'Héliké et de Neptune Hélicônios. Après un long espace de temps il arriva que les Achéens qui habitaient Héliké manquant de parole à de pauvres suppliants qui s'étaient réfugiés dans le temple de Neptune, les égorgèrent; la colère du dieu ne tarda pas à éclater sur eux par un tremblement de terre qui non seulement renversa leurs maisons, mais anéantit leur ville au point qu'il n'en resta pas le moindre vestige. (7) Pour l'ordinaire ces tremblements de terre qui bouleversent de temps en temps certaines contrées sont annoncés par des pronostics qui les précèdent, comme sont des pluies continuelles, ou de longues sécheresses, ou un dérèglement de saisons qui fait sentir le chaud en hiver, ou le disque du soleil qui tantôt s'obscurcit et tantôt paraît tout en feu, (8) ou le dessèchement subit des fontaines, ou des tourbillons de vent qui déracinent les plus gros arbres, ou des feux célestes qui parcourent le vaste espace des airs, laissant après eux une longue traînée de lumière, ou de nouveaux astres qui paraissent tout à coup et nous remplissent d'effroi, ou des vapeurs pestilentielles qui sortent du sein de la terre; tels sont les signes dont le ciel se sert pour avertir les hommes. (9) Quant aux tremblements mêmes, ceux qui ont étudié la nature en distinguent de plusieurs sortes. Le plus léger de tous, s'il y a rien de léger dans un si grand mal, est celui où lorsqu'un édifice par une première secousse vient à pencher, une secousse contraire le redresse et le rétablit. (10) Dans cette espèce d'ébranlement on voit des colonnes prêtes à tomber se remettre comme d'elles-mêmes sur leur base, des murs s'entrouvrir et se rejoindre, des poutres se déplacer et rentrer dans leur assiette naturelle, des gouttières et des tuyaux qui servent à la conduite des eaux, après avoir été dérangés, reprendre leur place et s'y ajuster comme si la main de l'ouvrier y avait passé. La seconde sorte est celle où les secousses sont si continuelles et si violentes que les plus solides édifices s'écroulent et tombent, comme s'ils étaient battus par des machines de guerre. (11) Le plus dangereux de tous est comparé à ce feu intérieur qui agite quelquefois le corps humain; car comme la fièvre se manifeste par plusieurs symptômes et surtout par le battement de l'artère du bras, de même des vents ou des feux souterrains venant à se combattre dans le sein de la terre, poussent vers sa superficie tout ce qui leur fait obstacle, à peu près comme ces taupes, qui en travaillant sous la terre l'élèvent et la font boursoufler. C'est alors que la terre ébranlée jusques dans ses fondements et s'ouvrant tout à coup, on voit tout ce qui est bâti dessus, fondre et s'abîmer, sans qu'il en demeure aucun vestige. (12) Et ce fut ainsi que périt Héliké. Au tremblement de terre on dit qu'il se joignit un autre malheur causé par la saison, un débordement de la mer qui inonda la ville et tout le pays d'alentour; le bois sacré de Neptune fut tellement submergé qu'à peine voyait-on la cime des arbres; de sorte que le courroux du dieu, armant pour ainsi dire ces deux éléments tout à la fois contre cette misérable ville, elle fut engloutie avec tous ses habitants. (13) Un pareil accident fit disparaître autrefois la ville de Sipyle dans une faille; et quand la montagne fut rompue, de l'eau s'en écoula et la faille devint un lac appelé Saloé. On voyait les ruines d'une ville au milieu de ce lac, avant que l'eau les eut couvertes de limon; et les ruines d'Héliké paraissent encore aujourd'hui, quoiqu'à demi rongées par les eaux de la mer. [7,25] (1) L'ire du Ciel a ainsi éclaté plusieurs fois contre ceux qui avaient manqué de foi et d'humanité vers les malheureux. Combien d'exemples en pourrais-je rapporter! On sait l'oracle que Jupiter de Dodone rendit aux Athéniens du temps d'Apheidas; par cet oracle ils étaient avertis de respecter toujours l'asile de l'aréopage et l'autel des Euménides; qu'un jour les Lacédémoniens vaincus s'y réfugieraient, et qu'ils se donnassent bien de garde de les maltraiter, parce que tout suppliant est sacré. (2) Les Grecs se souvinrent de cet avis, lorsque sous le règne de Codros fils de Mélanthos le Péloponnèse conjura contre Athènes. Car l'armée des Péloponnésiens ayant appris la mort de Codros et la manière dont il s'était dévoué pour sa patrie, ne songea qu'à se retirer à cause de l'oracle de Delphes qui ne lui permettait plus d'espérer la victoire; mais quelques Lacédémoniens qui étaient déjà entrés dans la ville se voyant abandonnés des leurs, furent très embarrassés; tout ce qu'ils purent faire fut de se cacher à la faveur des ténèbres de la nuit; et le jour venu, pour éviter de tomber entre les mains des Athéniens ils se sauvèrent dans l'aréopage aux pieds de ces déesses que l'on appelle les Vénérables. (3) Là ils furent respectés, et ils s'en retournèrent sains et saufs en leur pays. Quelques années ensuite les magistrats d'Athènes ayant massacré Cylon et ses complices dans le temple même de Minerve, attirèrent la colère de la déesse sur eux et sur toute leur postérité. Les Lacédémoniens coupables d'un pareil crime en reçurent aussi le châtiment; ils avaient fait mourir de pauvres suppliants qui s'étaient réfugiés dans un temple de Neptune bâti sur le promontoire de Ténare. Sparte fut affligée d'un tremblement de terre si violent, que pas une seule maison n'y demeura debout. (4) Quant à la ville d'Héliké, elle fut détruite pendant qu'Astéios était archonte à Athènes la quatrième année de la cent-unième olympiade en laquelle Damon de Thourioi fut proclamé vainqueur pour la première fois à Olympie. Tous les habitants ayant péri sous ses ruines, ceux d'Aigion s'emparèrent de tout le territoire des environs et le possèdent encore. (5) Après Héliké en quittant le rivage de la mer et en prenant à droite vous arrivez bientôt à Kérynéia, petite ville bâtie sur une montagne au-dessus du grand chemin. Elle a été ainsi appelée du nom ou de quelque petit souverain, ou du fleuve Kérynitès, qui tombe du mont Kérynéia en Arcadie et prend son cours par les terres d'Achaïe les plus voisines. Cette ville servit autrefois de retraite à ceux de Mycènes, dans la nécessité où ils furent d'abandonner le pays d'Argos. (6) Car les Argiens voulant prendre Mycènes, et n'en pouvant venir à bout à cause de la solidité de ses murs, qui aussi bien que ceux de Tirynthe avaient été bâtis par les Cyclopes, ils prirent le parti de l'affamer, ce qui obligea les habitants d'en sortir. Les uns se retirèrent à Cléonées, d'autres en plus grand nombre se réfugièrent en Macédoine auprès du roi Alexandre, celui-là même que Mardonios fils de Gobryas députa vers les Athéniens, et d'autres vinrent s'établir à Kérynéia, qui par cet accroissement de citoyens devint beaucoup plus riche et plus considérable qu'elle n'était. (7) On voit en cette ville un temple des Euménides que l'on croit avoir été fondé par Oreste, et l'on dit que si la curiosité y attirait quelqu'un qui eût commis un meurtre, ou qui fût coupable de quelqu'autre crime ou d'impiété, aussitôt la frayeur lui troublerait l'esprit; c'est pourquoi on n'y laisse pas entrer tout le monde indifféremment. Les statues de ces déesses sont de bois et d'une grandeur médiocre. Dans le parvis du temple vous voyez des statues de marbre d'un goût merveilleux; et si l'on en croit les habitants, ce sont des femmes qui ont été autrefois prêtresses des Euménides. (8) En revenant de Kérynéia si vous reprenez le grand chemin et que vous avanciez un peu, vous trouverez au second détour un sentier qui vous mènera droit à Boura, petite ville qui a la mer à droite et qui est bâtie sur la cime d'une montagne. On dit qu'elle a pris son nom d'une fille d'Ion, fils de Xouthos, et d'Héliké, qui s'appelait Boura. Le même tremblement de terre qui engloutit la ville d'Héliké se fit tellement sentir à celle-ci, que toutes les anciennes statues des dieux furent brisées dans les temples, (9) et qu'il n'y eut de citoyens sauvés que ceux qui étaient ou à l'armée, ou en voyage; et ce furent eux qui rebâtirent ensuite la ville. Cérès, Vénus, Bacchus et Lucine ont chacun un temple à Boura. Leurs statues sont de marbre du mont Pentélique et de la façon d'Euclidas Athénien; celle de Cérès est habillée. Isis y a aussi un temple. (10) Sur le chemin qui descend à la mer vous voyez le fleuve Buraicos, et dans une grotte voisine on vous montrera une petite statue d'Hercule surnommée aussi Bouraicos. Là il y a un oracle qui rend ses réponses avec des dés; celui qui le consulte fait premièrement sa prière au dieu devant sa statue, ensuite il prend quatre dés, car il y en a toujours là en quantité, et il les jette sur une table. Chaque dé est marqué de plusieurs façons, et chaque marque est expliquée sur la table. (11) D'Héliké à la grotte d'Hercule on compte environ trente stades. Un peu plus loin vous trouvez un beau fleuve dont le cours est toujours égal, et qui sorti d'une montagne d'Arcadie va tomber dans la mer. Le fleuve et la montagne se nomment Crathis, d'où le Crathis fleuve d'Italie a pris son nom. (12) Sur les bords du Crathis d'Achaïe était autrefois la ville d'Aigai, que ses habitants ont dans la suite été obligés d'abandonner, à cause, dit-on, de la faiblesse et de la misère où elle était réduite. Homère fait mention de cette ville dans le discours que Junon tient à Neptune. En effet Neptune était particulièrement honoré dans ces deux villes. (13) En nous éloignant un peu du fleuve et en prenant à droite vous trouverez un tombeau sur lequel est une figure équestre à demi effacée. Il n'y a que trente stades de là à Gaios, un sanctuaire de la Terre surnommée Eurysternos; sa statue est de bois et des plus anciennes. On nomme pour sa prêtresse une femme qui dès ce moment est obligée de garder toujours la chasteté; encore faut-il qu'auparavant elle n'ait été mariée qu'une fois, et pour être assuré de la vérité on lui fait subir une épreuve, qui est de boire du sang de taureau; si elle est coupable de parjure, ce sang devient pour elle un poison mortel. Lorsque plusieurs femmes demandent ce sacerdoce, alors c'est le sort qui en décide. [7,26] (1) De la grotte d'Hercule au port d'Aigeira on compte environ soixante-douze stades. La côte d'Aigeira n'a rien de remarquable. Le port de même nom que la ville en est éloigné de douze stades. (2) Cette ville est appelée par Homère Hypérèsia, et n'a pris le nom d'Aigeira que depuis que les Ioniens sont venus s'y établir: voici à quelle occasion elle changea de nom. Les Sicyoniens ayant mis une armée sur pied, entrèrent tout à coup dans le pays des Hypérèsiens; ceux-ci n'étant égaux ni en force, ni en nombre, s'avisèrent de rassembler toutes les chèvres du pays, et de leur attacher des fascines aux cornes; ensuite pendant une nuit fort obscure ils mirent le feu à ces fascines. (3) Les ennemis crurent que c'était du secours qui arrivait aux Hypérèsiens, et s'en retournèrent chez eux; depuis cette aventure la ville prit le nom d'Aigeira, d'un mot grec qui signifie des chèvres; et dans le lieu même où une belle chèvre qui conduisait le troupeau s'était couchée, les Hypérèsiens bâtirent un temple à Diane sous le titre de Diane Agrotéra, persuadés que le stratagème dont ils s'étaient servis pour tromper l'ennemi leur avait été inspiré par cette déesse. (4) Cependant le nom d'Hypérèsia subsista quelque temps, et c'est ainsi qu'Ôréos dans l'île d'Eubée s'appelle encore quelquefois Hestiaia, qui est son ancien nom. Les curiosités de la ville d'Aigeira consistent premièrement en un temple de Jupiter, où le dieu est représenté assis; c'est une statue de marbre du mont Pentélique, faite par Euclidès. On voit dans le même temple une Minerve en bois, dont le visage, les mains et les pieds sont d'ivoire; le reste de la statue est doré, et peint de diverses couleurs. (5) Secondement en un temple de Diane avec une statue de la déesse qui est d'un goût fort moderne; ce temple est desservi par une jeune fille qui exerce le sacerdoce jusqu'à ce qu'elle soit nubile. Vous y verrez une autre statue d'un goût très ancien, que les gens d'Aigeira disent être d'Iphigénie fille d'Agamemnon; si cela est, on peut croire que ce temple a d'abord été dédié à Iphigénie. (6) Celui d'Apollon est à voir pour son ancienneté qui paraît surtout aux ornements de la voûte; la statue du dieu est fort ancienne; c'est une statue de bois toute nue, et d'une grandeur prodigieuse: les gens du pays ne savent pas eux-mêmes qui en a été l'ouvrier; mais quiconque a vu l'Hercule de Sicyone jugera aisément que ces deux statues sont de la même main, et par conséquent de Laphaès célèbre sculpteur de Phlionte (7) Vous y verrez aussi d'un côté quelques statues d'Esculape qui sont toutes droites; de l'autre un Sérapis et une Isis, les unes et les autres de ce beau marbre du mont Pentélique. Vénus Ourania est en singulière vénération chez ces peuples; il n'est pas permis aux hommes d'entrer dans son temple; ils n'entrent même qu'à certains jours dans le temple de la déesse de Syrie; car ainsi l'appelle-t-on, et ce n'est qu'après s'être préparés par des purifications et par des jeûnes. (8) J'ai vu encore à Aigeira une petite chapelle où il y a une Fortune qui tient la corne d'Amalthée à la main, et auprès est l'Amour avec des ailes, apparemment pour donner à entendre qu'en amour la fortune fait plus que la beauté. Pour moi je n'ai pas de peine à croire ce que dit Pindare dans une de ses odes, que la Fortune est une des Parques, et celle de toutes qui a le plus de pouvoir. (9) Je remarquai dans la même chapelle un tableau qui représente un homme en cuirasse, déjà âgé, et qui jette les hauts cris; près de lui trois femmes qui ôtent leurs bracelets, et trois jeunes hommes qui paraissent fort affligés: quelques Achéens me dirent que c'était un citoyen d'Aigeira qui avait été tué à la guerre après avoir donné de grandes preuves de valeur; les trois jeunes hommes étaient ses frères qui vinrent apporter la nouvelle de sa mort à Aigeira, et les trois femmes étaient ses soeurs qui pour marquer leur douleur jetèrent aussitôt leurs ornements: les gens du pays n'appellent point autrement ce vieillard que le père pitoyable, parce qu'en effet la pitié est peinte sur son visage. (10) D'Aigeira, ou plutôt du temple de Jupiter à Phelloé, il y a quelque quarante stades, et vous avez un chemin qui vous y mène à travers les montagnes. Phelloé est une petite ville de peu de réputation, et qui n'a pas toujours été habitée, même du temps que les Ioniens étaient les maîtres du pays; le terroir d'alentour est un assez bon vignoble: la partie la plus montagneuse est couverte de bois, où vous trouvez beaucoup de bêtes fauves, comme des cerfs et des sangliers. (11) S'il y a dans la Grèce un lieu qui abonde en ruisseaux et en sources c'est Phelloé; Bacchus et Diane y ont chacun un temple: Diane est en bronze, tirant une flèche de son carquois; Bacchus a le visage peint de vermillon. Quand vous êtes descendus d'Aigeira au port, si vous avancez quelques pas, vous verrez le temple de Diane Agrotéra; c'est justement l'endroit où les habitants disent que la chèvre qui était à la tête des autres se reposa. (12) Les gens de Pellène sont limitrophes de ceux d'Aigeira; ils sont situés à l'extrémité de l'Achaïe entre Sycione et le pays d'Argos; si l'on s'en rapporte à eux, ils ont pris leur nom de Pallas qui était un des Titans; mais si l'on en croit les Argiens, leur fondateur a été Pellen d'Argos fils de Phorbas, et petit-fils de Triopas. (13) Entre Aigeira et Pellène vous avez la petite ville de Donoussa qui appartient aux Sicyoniens, et dont ils prétendent qu'Homère a voulu parler dans le dénombrement des vaisseaux, lorsqu'il a dit: "Sortis d'Hypérèsia, ou du roc de Donaessa". Pisistrate qui a recueilli les poésies d'Homère éparses de côté et d'autre, ou quiconque lui a aidé, a bien pu faire ce léger changement ou par mégarde, ou par ignorance. Le port de Pellène se nomme Aristonautai; il est à six-vingt stades de la partie maritime d'Aigeira, et l'on en compte soixante du port d'Aigeira à Pellène. (14) Le nom d'Aristonautai vient, à ce qu'ils disent, de ce que les Argonautes mouillèrent à ce port. [7,27] (1) Pe1lène est sur une montagne qui s'élève en pointe, et dont le sommet ne saurait être habité; ainsi les maisons au lieu d'être continues suivent la disposition du terrain, et sont bâties des deux côtés sur le penchant de la colline. En allant à Pellène on trouve un Mercure qui le surnom de Dolios, et l'opinion est que ce dieu exauce toutes les prières qu'on lui fait; il est de figure carrée avec une grande barbe, et une espèce de chapeau sur la tête. (2) Sur le même chemin est un temple de Minerve, bâti de pierres du pays; la statue de la déesse est d'or et d'ivoire; on croit que c'est un ouvrage de Phidias, et qu'il fit cette Minerve avant celle qui est dans la citadelle d'Athènes, et celle qui est à Platées. Les gens de Pellène disent que sous le piédestal de la statue il y a une fosse fort profonde, d'où s'élèvent sans cesse des vapeurs qui ne contribuent pas peu à conserver l'ivoire. (3) Au-dessus du temple de Minerve est un bois consacré à Diane Sôteira, et fermé de murailles: on jure dans le pays par cette divinité aux grandes occasions; nul ne peut entrer dans ce bois que les prêtres de la déesse, et ce sacerdoce n'est confié qu'à des gens du pays, et à des personnes de la plus illustre naissance. Vis-à-vis du bois sacré c'est le temple de Bacchus, qui à cause des illuminations que l'on fait à sa fête est surnommé Lampter, et l'on appelle cette fête Lamptèria; en effet on allume durant la nuit un grand nombre de flambeaux, et le vin coule dans toutes les rues. (4) On voit aussi à Pellène un temple d'Apollon surnommé Théoxénios, où le dieu est en bronze; il se célèbre des jeux en son honneur, le prix est une somme d'agent, et il n'y a que les citoyens de Pellène qui soient reçus à concourir: ces jeux se nomment Théoxénia. Près du temple d'Apollon est celui de Diane; la déesse est représentée en chasseresse qui tire de l'arc. Dans la place publique il y a un réservoir où l'eau vient par un aqueduc: on ne se sert que de l'eau du ciel pour les bains publics, parce que les fontaines d'eau douce sont en petit nombre, et au bas de la ville; le lieu où elles sont s'appelle Glykéiai. (5) Là vous verrez un ancien gymnase où les jeunes gens apprennent leurs exercices, et l'on n'admet personne au gouvernement de la république, qu'il n'ait fait ses exercices dans sa jeunesse. Promachos de Pellène, fils de Dryon, a dans ce lieu une belle statue; c'était un célèbre athlète qui remporta le prix du pancrace trois fois aux jeux Isthmiques, deux fois aux Néméens, et une fois aux Olympiques: ses concitoyens pour honorer sa mémoire lui érigèrent une statue de bronze à Olympie, et une de marbre dans le gymnase dont j'ai parlé. (6) On dit que ce Promachos, à un combat qui se donna entre Pellène et Corinthe, tua de sa main nombre d'ennemis: on dit aussi qu'il remporta la victoire sur Poulydamas, lorsque celui-ci renvoyé par le roi de Perse dans sa patrie voulut combattre une seconde fois aux jeux Olympiques; mais les Thessaliens nient que Poulydamas ait jamais eu le dessous dans aucun combat; ils en apportent plusieurs preuves, et entre autres cette inscription en vers qui est au bas de sa statue: "L'heureux Poulydamas eut toujours la victoire; / Scotoussa, tu lui dois ta fortune et ta gloire". (7) Quoi qu'il en soit, les gens de Pellène ont un grand respect pour la mémoire de Promachos. À l'égard de Chairon qui se rendit célèbre aussi par plusieurs victoires qu'il remporta aux jeux Olympiques, ils ne prononcent pas son nom volontiers, sans doute parce qu'il abolit chez eux le gouvernement républicain; car il se laissa corrompre par Alexandre fils de Philippe qui lui offrit le pouvoir souverain dans sa patrie, et il en devint le tyran. (8) Ces peuples ont encore un temple de Lucine, bâti dans le quartier de la ville le moins considérable. Le temple de Neptune, ou le Poséidion, comme ils le nomment, est après le gymnase; c'était autrefois une bourgade, et même le siège d'une tribu, mais aujourd'hui c'est un endroit désert qui passe pourtant toujours pour être consacré à Neptune. (9) À soixante stades de Pellène vous trouvez le Mysaion, qui est un temple de Cérès Mysienne, bâti, à ce que l'on croit, par Mysios d'Argos, que les Argiens disent avoir eu l'honneur de loger Cérès chez lui. Près du temple est un bois sacré, planté de toute sorte d'arbres, et arrosé de plusieurs ruisseaux. (10) La fête qui est instituée en l'honneur de Cérès, dure sept jours; au troisième jour tous les hommes sortent du temple; les femmes restées seules sacrifient durant la nuit, et observent toutes les cérémonies prescrites par la loi; elles chassent non seulement les hommes, mais même les chiens: le lendemain les hommes reviennent voir les femmes dans le temple, ce qui donne lieu à beaucoup de plaisanteries de part et d'autre. (11) Le temple d'Esculape n'est pas loin du Mysaion; ils le nomment le Kyros; là il se fait beaucoup de guérisons: c'est un lieu plein de fontaines, dont la principale est ornée de la statue du dieu. Il sort plusieurs fleuves des montagnes qui sont au-dessus du Pellène, entre autres le Crios qui prend son cours du côté d'Aigeira; on croit que ce fleuve est ainsi appelé du nom de Crios l'un des Titans, (12) de même qu'un autre fleuve de même nom, qui sort du mont Sypile, et va se jeter dans l'Hermos. Du côté que les Pelléniens confinent aux Sicyoniens, ils ont encore un fleuve qui va tomber dans la mer de Sicyone; c'est le dernier des fleuves de l'Achaïe.