[5,0] PAUSANIAS ou VOYAGE HISTORIQUE, PITTORESQUE ET PHILOSOPHIQUE DE LA GRECE. LIVRE CINQUIEME. VOYAGE DE L'ÉLIDE. PREMIÈRE PARTIE. [5,1] CHAPITRE PREMIER. Ceux qui divisent le Péloponnèse en cinq parties seulement, sont obligés de reconnaître que l'une de ces parties est commune aux Arcadiens et aux Eléens ; que la seconde est possédée par les Achéens, et que les Doriens occupent les trois autres. Or, parmi les différens peuples du Péloponnèse, il n'y a que les Arcadiens et les Achéens qui en soient originaires. Ceux-ci chassés de leur première demeure par les Doriens, ne quittèrent pas pour cela le Péloponnèse ; mais ayant chassé à leur tour les Ioniens, ils habitèrent ce canton que l'on nommait autrefois l'Egiale, et qui depuis a été nommé l'Achaïe, du nom de ses nouveaux habitants. Pour les Arcadiens, ils ont toujours conservé leur première habitation. Tous les autres sont étrangers : car, premièrement, les Corinthiens sont tout nouveaux venus dans le Péloponnèse. Ils ne comptent pas plus de deux cent dix-sept ans d'antiquité, puisque ce fut César qui envoya une colonie à Corinthe pour la repeupler. En second lieu, on sait aussi que les Dryopes sont venus du mont Parnasse où ils habitèrent, et les Doriens du mont Œta. Enfin, les Eleens, dont j'écris présentement l'histoire, sont sortis de Calydon et des autres endroits de l'Etolie, pour venir s'établir dans le Péloponnèse. Je vais rapporter ce que j'ai pu apprendre de leur origine et de leur ancienneté. On tient qu'Aëthlius est le premier qui ait régné sur ces peuples; il était fils de Jupiter et de Protogénie, fille de Deucalion, et fut père d'Endymion. La fable dit qu'Endymion fut aimé de la Lune, et qu'il en eut cinquante filles. Mais une opinion plus probable, c'est qu'il épousa Astyrodie, d'autres disent Chromie, fille d'Itonus, et petite-fille d'Amphictyon, d'autres Hypéripné, fille d'Arcas, et qu'il eut trois fils, Péon, Epéus et Etolus, et une fille nommée Eurycyde. Endymion proposa dans Olympie un prix de la course aux trois princes, ses enfants ; ce prix était le royaume : Epéus remporta la victoire, régna après son père, et ses sujets furent appelés Epéens. On dit que son frère Etolus demeura avec lui dans le pays; mais que Péon, inconsolable d'avoir été vaincu dans une occasion de telle importance, alla chercher fortune loin de sa patrie, et que s'étant arrêté sur les bords du fleuve Axius il donna son nom à cette contrée, qui depuis s'est appelée la Péonie. Les Eléens et les Héracléotes ne s'accordent pas sur la mort d'Endymion; car les Eléens montrent son tombeau dans la ville d'Olympie, et les Héracléotes, qui sont voisins de Milet, disent qu'Endymion se retira sur le mont Latmus. En effet, il y a un endroit de cette montagne, que l'on nomme encore aujourd'hui la grotte d'Endymion. Epéus épousa Anaxiroé, fille de Coronus : il en eut une fille, qui eut nom Hyrmine, et il ne laissa point d'enfants mâles. Ce fut de son temps que Pélops, Lydien, venu d'Asie, tua Oenomaus, roi de Pise, que la fable et les poètes font fils de Mars, et que je crois plutôt fils d'Alxion. Pélops s'étant emparé du royaume de Pise, y joignit Olympie, ville voisine, qu'il avait conquise sur Epéus. Les Eléens disent que Pélops fut le premier qui bâtit un temple à Mercure dans le Péloponnèse, et qui y sacrifia pour appaiser ce dieu, qu'il avait irrité par le meurtre de Myrtile. Epéus étant mort, son frère, Etolus, lui succéda ; mais peu de temps après, se voyant poursuivi en justice par les enfants d'Apis, il fut obligé de quitter le Péloponnèse. Apis, fils de Jason, était né à Pallantium, ville d'Arcadie. Un jour que l'on célébrait des jeux funèbres sur le tombeau d'Azan, Etolus, ayant trop poussé ses chevaux, Apis qui se trouva malheureusement sur son chemin, fut jeté par terre et blessé si dangereusement qu'il en mourut ; cet accident fut cause qu'Etolus s'enfuit, et qu'il alla s'établir dans ce continent que le fleuve Achélous arrose; d'où il arriva que les habitants du pays furent appelés Etoliens, du nom de ce fils d'Endymion. Eléus prit aussitôt sa place et fut roi des Epéens. On dit qu'il était fils de Neptune et d'Eurycyde, fille d'Endymion. Quoi qu'il en soit, Eléus donna son nom aux Epéens, qui depuis n'ont pas été nommés autrement qu'Eléens. On croit qu'il fut père d'Augée ; cependant ceux qui veulent faire honneur à Augée, abusant du nom, le disent fils, non d'Eléus, mais d'Elius, c'est-à-dire, du soleil. Cet Augée avait une si prodigieuse quantité de boeufs et de chèvres, que toutes les terres du pays étaient couvertes du fumier de ses troupeaux et qu'elles en devenaient incultes : il engagea Hercule à nettoyer le pays, et lui promit une partie de l'Elide, ou telle autre récompense qu'il lui plairait, s'il en venait à bout. Hercule trouva le moyen de faire passer le Minyée par l'Elide; et ce fleuve venant à se déborder, emporta tous les fumiers qui infectaient la campagne. Mais Augée, après un si grand service, manqua de parole à Hercule, sous prétexte que l'art et l'industrie y avaient eu plus de part que le travail et la peine; il chassa même Phyléüs, son fils aîné, parce qu'il blâmait son ingratitude. Ensuite, appréhendant le ressentiment d'Hercule, il se précautionna contre lui au cas qu'il voulût entrer en Elide avec une armée; il fit alliance avec les fils d'Actor et avec Amaryncée, homme fort entendu au métier de la guerre. Amaryncée était fils de Pyttius, et thessalien de nation. Augée l'ayant attiré en Elide, partagea son autorité avec lui ; il associa aussi au gouvernement Actor et ses fils, qui étaient originaires du pays ; car Actor était fils de Phorbas et d'Hyrminé, fille d'Epéus, et petit-fils de Lapithas : il avait même bâti en Elide la ville d'Hyrminé, ainsi appelée du nom de sa mère. [5,2] CHAPITRE II. HERCULE ayant déclaré la guerre à Augée, ne put exécuter aucune entreprise considérable, parce que les fils d'Actor, qui étaient à la fleur de leur âge et pleins de courage, rendaient tous ses desseins inutiles. Environ ce temps-là, les Corinthiens indiquèrent leurs jeux isthmiques avec promesse de sûreté pour tous ceux qui voudraient y assister; les fils d'Actor se mirent en chemin pour s'y rendre : Hercule, qui en fut averti, alla les attendre auprès de Cléone, et leur dressa une embuscade où ils périrent. Leur mort fut bientôt sue, mais l'auteur en était ignoré; Molione, leur mère, fit tant qu'elle le découvrit. Aussitôt les Eléens envoyèrent prier les Argiens d'en faire justice; ils s'adressaient aux Argiens, parce qu'Hercule demeurait alors à Tirynte. Ceux-ci ayant laissé le crime impuni, Ies Eléens supplièrent les Corinthiens d'interdire les jeux isthmiques à tous les Argiens, pour les punir de ce qu'ils protégeaient un criminel qui en avait violé les franchises et les privilèges. Mais les Corinthiens n'ayant pas eu plus d'égards à leurs prières, on dit que Molione frappa de sa malédiction tous ceux de ses citoyens, qui à l'avenir oseraient assister aux jeux isthmiques, et la crainte d'encourir cette malédiction, eut tant d'empire sur l'esprit des Eléens, qu'encore à présent ceux d'entr'eux qui s'exercent pour disputer le prix aux jeux de la Grèce, s'abstiennent des jeux isthmiques. Cependant on attribue cette espèce d'interdit à deux autres causes; car, selon quelques auteurs, Cypselus, tyran de Corinthe, ayant dédié une statue d'or à Jupiter dans la ville d'Olympie, et étant mort avant que d’y mettre son nom, les Corinthiens prièrent les Eléens de trouver bon que la dédicace se fît au nom de la ville de Corinthe; les Eléens ne le voulurent pas souffrir ; les Corinthiens leur en surent si mauvais gré, que pour se venger, ils les exclurent à perpétuité des jeux isthmiques ; mais il ne paraît pas vraisemblable que les Corinthiens eussent été admis aux jeux olympiques, s'ils avaient les premiers interdit les jeux isthmiques aux Eléens. C'est pourquoi d'autres auteurs content le fait autrement. Ils disent que Prolaüs était un Eléen très distingué, qui avait eu de sa femme, Lysippe, deux fils, Philantus et Lampus; que ces jeunes enfants étant allés aux jeux isthmiques pour disputer le prix du pancrace et de la lutte avec d'autres enfants de leur âge, ils avaient été étranglés ou tués d'une autre façon par leurs antagonistes avant que de combattre, et que Lysippe, leur mère, en avait eu un tel déplaisir, que sur le champ elle avait donné sa malédiction aux Eléens, si jamais il leur arrivait d'assister à ces jeux. Mais nous avons une preuve de la fausseté de cette opinion ; car l'on voit à Olympie la statue d'un Eléen, nommé Timon, qui avait remporté le prix du pentathle presque à tous les jeux de la Grèce. Au-dessous de cette statue est une inscription en vers élégiaque, qui marque les victoires de ce fameux athlète, et qui dit que les jeux isthmiques étaient les seuls où il n'avait pas été couronné, parce que les mânes vengeurs des Molionides ne permettaient pas aux Eléens de prendre part à ces spectacles. Voilà un point de critique suffisamment discuté ; revenons à Hercule. [5,3] CHAPITRE III. Il leva une armée nombreuse, composée d’Argiens, de Thébains et d'Arcadiens, vint assiéger Elis, la prit et la saccagea. Les Eléens avaient pour alliés ceux de Pise et ceux de Pylos en Elide. Hercule châtia ces derniers, et se préparait à faire le même traitement à ceux de Pise; mais il en fut détourné par un oracle qui l’avertissait que Jupiter protégeait Pise, ainsi qu'Apollon protégeait Delphes. Pise fut redevable de son salut à cet oracle. Hercule, après avoir conquis toute l'Elide, la donna à Phyléüs, moins pourtant par amitié que par honneur : il lui rendit aussi tous les prisonniers qu'il avait faits, et voulut bien lui sacrifier son ressentiment, en pardonnant à Augée. Les femmes des Eléens voyant tout leur pays dépeuplé d'hommes, firent un voeu à Minerve, pour obtenir de la déesse qu'elles pussent concevoir dès la première fois qu'elles auraient commerce avec leurs maris. Elles furent exaucées, et bâtirent un temple, qui fut dédié, par cette raison, à Minerve, mère des hommes. Ensuite, les hommes et Ies femmes, pour conserver la mémoire d'un événement si heureux, donnèrent le nom de Badu, non seulement au lieu où ils s'étaient rencontrés, mais encore au fleuve qui passe auprès ; car badu est un mot de leur pays, qui marque le plaisir qu'ils avaient eu à se trouver ensemble. Phyléüs, après avoir mis ordre aux affaires de l'état, alla s'établir à Dulichium ; et Augée étant mort de vieillesse, Agasthène, son second fils, prit possession du royaume conjointement avec Amphimaque et Thalphius : car les deux fils d'Actor ayant épousé les deux filles de Dexamène roi d'Olène, l'un avait eu Amphimaque de sa femme Théronice, et l'autre de Théraphone avait eu Thalphius. Mais ni Amaryncée ni son fils Diorès ne menaient pas pour cela une vie privée. Homère le témoigne assez dans le dénombrement des Eléens, quand il dit que toute leur flotte était de quarante navires, dont vingt étaient commandés par Amphimaque et par Thalphius ; dix par Diorès, fils d'Amaryncée, et les dix autres par Polyxenus, fils d'Agasthène. Polyxenus, à son retour de Troye, eut un fils qu'il nomma aussi Amphimaque, à cause, comme je crois, de la liaison qu'il avait eue avec un Amphimaque fils de Ctéatus, qui avait péri devant Troye. Amphimaque, fils de Polyxenus fut père d'Eléus. Ce fut sous le règne d'Eléus que les Doriens, avec les fils d'Aristomaque, ayant équipé une flotte, tentèrent de revenir au Péloponnèse. Les commandants de la flotte furent avertis par un oracle de prendre trois yeux pour guides de leur expédition. Comme ils cherchaient le sens de ces paroles, il vint à passer par hasard un homme monté sur un mulet qui était borgne. Chresphonte, selon sa prudence, comprit que ce pouvaient être là les trois yeux désignés par l'oracle ; c'est pourquoi ils associèrent cet homme à leur entreprise. Celui-ci leur conseilla de passer par mer au Péloponnèse, et les détourna de marcher par l'isthme de Corinthe. Il s'embarqua même avec eux, et les mena de Naupacte au cap Molycrie. Ensuite ayant demandé l'Elide pour récompense de ses services, les Doriens convinrent de la céder. Cet homme se nommait Oxylus; il était fils d'Hémon, et petit-fils de Thoas, qui avait eu l'honneur d'accompagner les fils d'Atrée au siège de Troye, et qui descendait d'Etolus, fils d'Endymion, par six degrés de génération. Mais les Héraclides et les rois d'Etolie étaient encore parents d'une autre manière; car la mère de Thoas, fils d'Andrémon, et la mère d'Hyllus, fils d'Hercule, étaient soeurs. Oxylus avait été obligé de quitter l'Etolie, parce qu'en jouant au palet, il avait malheureusement tué un homme : les uns disent que celui qu'il tua était Thermius, son propre frère; et les autres, que c'était Alcidocus, fils de Scopius. [5,4] CHAPITRE IV. Quelques-uns ont dit qu'Oxylus appréhenda que les fils d'Aristomaque, s'ils voyaient une fois l'Elide, qui est un beau et bon pays, ne voulussent la garder, et que par cette raison il mena les Doriens au Péloponnèse, non par 1'Elide, mais par l'Arcadie. Quoi qu'il en soit, lorsqu'il crut s'en rendre maître sans combat, il se trompa ; car Dius, qui en était le possesseur, ne jugea pas à propos de la lui abandonner. Cependant, au lieu d'exposer toutes leurs forces au risque d'une bataille, ils convinrent de choisir un Etolien et un Eléen, qui, par un combat singulier terminassent la querelle des deux princes. Leur résolution ayant été approuvée, Degménus, archer, fut choisi de la part des Eléens, et Pyrechmès, frondeur, de la part des Etoliens. Pyrechmès remporta la victoire, et aussitôt Oxylus fut reconnu pour roi. Il épargna les anciens Epéens, qui en furent quittes pour recevoir les Etoliens, et pour partager leurs terres avec eux. Ensuite il rendit à Jupiter le culte prescrit par les lois, même à tous les héros du pays, de qui la mémoire était en vénération, et particulièrement à Augée, en l'honneur de qui il institua des cérémonies qui se pratiquent encore aujourd'hui. On dit qu'ayant attiré dans sa capitale une grande quantité d'hommes qui demeuraient dans les villages circonvoisins, il agrandit Elis à proportion, et en fit une ville très florissante et très peuplée. Un jour qu'il consultait l'oracle de Delphes, le dieu lui ordonna de choisir un descendant de Pélops, et de l'associer à l'empire. Oxylus, après y avoir bien pensé, jeta les yeux sur Agorius, fils de Damosius, petit-fils de Penthile, et arrière-petit-fils d'Oreste : il le fit venir d'Hélice, ville d'Achaïe, avec un petit nombre d'Achéens choisis, et lui donna part aux affaires du gouvernement. La femme d'Oxylus se nommait, dit-on, Piéria; c'est tout ce que l'on en sait. Il en eut deux fils, Etolus et Laïas. Etolus mourut jeune, et fut inhumé sous la porte de la ville par où l'on sort pour aller au temple de Jupiter à Olympie ; on lui éleva un tombeau en cet endroit, à cause d'un oracle qui avait ordonné qu'on ne l'enterrât ni au-dedans ni au-dehors de la ville. On fait encore tous les ans son anniversaire dans le lieu d'exercice, et c'est le préfet du lieu qui en a soin. Oxylus étant mort, la couronne passa à son fils Laïas. Pour celui-ci, je ne vois pas que ses enfants lui aient succédé; ainsi je le passe sous silence, parce que cet endroit de ma narration ne regarde pas encore les personnes privées. Dans la suite, Iphitus, un des descendants d'Oxylus, et contemporain de Lycurgue, qui a donné des lois aux Lacédémoniens, rétablit les jeux olympiques, et indiqua des jours d'assemblée avec une espèce de foire franche pour la célébration de ces jeux ; car tout cela avait été interrompu : j'en dirai la raison lorsque j'en serai au détail de ce qui concerne Olympie. La Grèce gémissait, alors déchirée par des guerres intestines, et désolée en même temps par la peste. Iphitus alla à Delphes pour consulter l'oracle sur des maux si pressants. Il lui fut répondu par la Pythie que le renouvellement des jeux olympiques serait le salut de la Grèce; qu'il y travaillât donc lui et les Eléens. Aussitôt Iphitus ordonna un sacrifice à Hercule, pour apaiser ce dieu, que les Eléens croyaient leur être contraire. Si l'on s'en rapporte à une inscription qui est à Olympie, Iphitus était fils d'Hémon ; mais la plupart des Grecs l'ont cru fils de Proxonidas, à la réserve des Eléens, qui par d'anciens monuments, prétendent prouver que son père portait le même nom que lui. Quant aux Eléens, ils allèrent à la guerre de Troye, et contribuèrent ensuite à chasser les Perses qui avaient fait une invasion dans la Grèce. Je ne rapporte point ici toutes les guerres qu'ils eurent avec les Arcadiens et avec Pise, au sujet des jeux olympiques, dont ils voulaient toujours avoir la direction. Je dirai seulement qu'obligés de suivre le parti des Lacédémoniens, ils firent avec eux une irruption dans l'Attique ; mais peu de temps après, s'étant ligués avec les Athéniens, les Argiens et ceux de Mantinée, ils se déclarèrent contre Sparte ; et Agis étant entré avec une armée dans l'Elide, par la trahison de Xénias, ils remportèrent sur lui une grande victoire, auprès d'Olympie, dissipèrent son armée, et chassèrent de l'enceinte du temple bon nombre de Lacédémoniens qui s'y étaient refugiés; ensuite ils firent la paix aux conditions que j'ai dites, lorsque j'ai traité des affaires de Lacédémone. Durant les troubles que Philippe ne cessa de causer à la Grèce, les Eléens, qui pour lors étaient fort affaiblis par leur propre division, ne purent s’empêcher de se joindre aux Macédoniens; cependant ils ne voulurent jamais combattre contre les Grecs, à la bataille de Chéronée ; ils agirent seulement de concert avec Philippe, lorsqu'il attaqua les Lacédémoniens, en quoi ils ne firent que suivre la haine invétérée qu'ils avaient contre Sparte ; mais après la mort d'Alexandre ils se réunirent avec les Grecs, contre Antipater et contre les Macédoniens. [5,5] CHAPITRE V. Quelques années ensuite, Aristotime, fils de Damaret et petit-fils d'Étymon, soutenu d'Antigonus, fils de Démétrius, roi de Macédoine, se fit le tyran de l'Elide. A peine avait-il joui six mois de sa domination que Chillon, Hellanicus Lampis et Cylon, soulevèrent le peuple contre lui : il se refugia à l'autel de Jupiter Sauveur; mais Cylon, sans respect du lieu, l'y poignarda. Voilà une légère mention des principaux exploits de ces peuples. Il me faut maintenant parler de quelques singularités du pays. La plus considérable est cette plante qui porte de la soie ; car elle ne croît point dans tout le reste de la Grèce. Une autre merveille, c'est que les juments qui sont couvertes par des ânes, n'engendrent point en Elide, quoiqu'elles engendrent dans les pays voisins, ce que l'on attribue à l'horreur que les Eléens ont pour ce mélange des deux espèces. Quant à leur soie, elle n'est pas moins fine que celle des Hébreux, mais elle est moins jaune. Sur les confins de l'Elide, vers la mer, on trouve Samicon, et un peu au-dessus à droite, est la province de Triphylie, où l'on peut voir entre autres la ville de Lépreos. Les Lépréates se disent aujourd'hui Arcadiens ; mais il est certain qu'autrefois ils faisaient partie de l'Elide : tous ceux d'entr'eux qui remportaient la victoire aux jeux olympiques, étaient proclamés par le héraut et qualifiés Eléens, natifs de Lépreos. Aristophane témoigne aussi que Lépreos était une petite ville d'Élide. On va de Samicon à Lépreos, en laissant le fleuve Anigrus à gauche : un autre chemin mène à Olympie, un autre à Elis ; et le plus long n'est que d'une journée. On dit que cette ville a pris son nom d'un certain Lépreos, par qui elle a été bâtie ; il était fils de Pyrgée. On conte de lui qu'un jour il voulut parier contre Hercule qu'il mangerait autant que lui; et que l'un et l'autre ayant tué un boeuf en même temps, ils se mirent à le manger. Lépreos après s'être montré aussi grand mangeur qu'Hercule, eut la hardiesse de le défier au combat ; mais il fut vaincu et tué par Hercule. On prétend que son tombeau est à Pyrgalie; cependant les Pyrgaliens ne le sauraient montrer. D'autres disent que c'est de Léprea, fille de Pyrgée, que les Lépréates tirent leur origine, et d'autres veulent que ce nom leur soit venu de ce qu'autrefois ils étaient fort sujets à la lèpre. Si l'on en croit les habitants, ils avaient anciennement un temple de Jupiter Leucéus, le tombeau de Lycurgue, fils d'Aléus, et plusieurs autres sépultures, entr'autres celle de Caucon, où l'on vovoit une figure d'homme qui tenait une lyre ; mais aujourd'hui l'on ne voit à Lépreos aucun monument considérable, ni même aucun temple, excepté celui de Cérès; encore est-il d'une brique qui n'a point été au four, et l'on n'y voit aucune statue. La fontaine Aréné n'est pas loin de la ville : on dit que cette fontaine a été ainsi appelée du nom d'une princesse qui était femme d'Apharéus. Si vous revenez tout droit à Samicon, vous trouverez bientôt l'embouchure du fleuve Anigrus : son cours est souvent retardé par la violence des vents ; outre qu'à l'endroit où il se jette dans la mer, il s'amasse du sable, qui arrête ses eaux; et ce sable continuellement humecté d'un côté par l'eau de la mer, et de l'autre par l'eau du fleuve, devient un sable mouvant qui est très dangereux, non seulement pour les chevaux, mais même pour les gens de pied. Ce fleuve sort du mont Lapithas, en Arcadie, et dès sa source l'eau en est fort puante : aussi n'y voit-on point de poisson, jusqu'à ce que la rivière Acidas ait mêlé ses eaux avec celles du fleuve; et même le poisson que cette rivière y apporte, de bon qu'il était, devient mauvais. J'ai ouï dire à un homme d'Ephèse, que l'Acidas se nommait anciennement le Jardan ; mais je n'en ai pu trouver aucune preuve. Pour la mauvaise odeur de l'Anigrus, je crois qu'elle vient de la qualité de la terre où ce fleuve prend sa source, comme par la même raison, au-dessus de l'Ionie, il y a des eaux si infectes, que leur exhalaison est mortelle. Cependant les Grecs disent que Chiron, ou Polénor, ayant été blessé par Ies flèches d'Hercule, l'un ou l'autre Centaure lava sa plaie dans l'eau du fleuve Anigrus, et que le venin de l'hydre, dont ces flèches étaient empoisonnées, corrompit tellement l'eau, qu'elle en contracta la mauvaise odeur qui la rend encore si désagréable. D'autres croient que Mélampus, fils d'Amithaon, après avoir guéri les filles de Prétus du violent transport qui les agitait, jeta dans l'Anigrus l'espèce de charme dont il s'était servi, et que c'est ce qui a rendus l'eau de ce fleuve si infecte. A Samicon, près du fleuve, on voit un antre, que les gens du pays nomment l'antre des nymphes Anigrides : ceux qui ont des dartres viennent faire leurs prières à ces nymphes, leur promettent un sacrifice, et s'imaginent ensuite qu'ils n'ont qu'à se frotter et à passer le fleuve à la nage, pour être non seulement sains de corps, mais nets de toute tache. [5,6] CHAPITRE VI. Au-delà du fleuve, sur le chemin d'Olympie, on trouve à droite une hauteur qui se nomme le mont Samique. Sur son sommet est la ville de Samia, qu'on dit avoir autrefois servi de forteresse à l'Etolien Polysperchon, pour défendre l'entrée du pays aux Arcadiens. Mais aucun Eléen ni Messénien n'a su me dire où était Arène. Il y a plusieurs conjonctures touchant la situation de cette ville : ceux qui disent que dès avant les temps héroïques, le mont Samique s'appelait Arène, me paraissent les mieux fondés. Aussi allèguent-ils le témoignage d'Homère, qui dit que le fleuve Minyéüs se jetait dans la mer auprès d'Arène. En effet, on voit encore des ruines qui sont fort près du fleuve Anigrus; et les Arcadiens croient que l'Anigrus était le Minyéüs des anciens, quoiqu'ils ne conviennent pas que le mont Samique fût Arène. Du reste, il est aisé de voir qu'au temps que les Héraclides revinrent dans le Péloponnèse, le fleuve Nedès, vers son embouchure, servait de limites aux Eléens et aux Messéniens. Quand on a côtoyé quelque temps l'Anigrus, et que l'on a passé des sables où l'on ne trouve que quelques pins sauvages, on voit, sur la gauche, les ruines de Scillunte. C'était une ville de la Triphylie, que les Eléens détruisirent, parce que durant les guerres qu'ils eurent contre les Piséens, elle s'était déclarée ouvertement pour ceux-ci, et les avait aidés de toutes ses forces. Ensuite les Lacédémoniens la prirent sur les Eléens, et la donnèrent à Xénophon, fils de Gryllus, qui alors était banni d'Athènes, pour avoir servi sous Cyrus, ennemi juré des Athéniens, contre le roi de Perse, qui était leur allié : car Cyrus étant à Sardes, avait donné de l'argent à Lysander, fils d'Aristocrite, pour équiper une flotte contre les Athéniens. Par cette raison, ceux-ci exilèrent Xénophon, qui, durant son séjour à Scillunte, consacra un temple et une portion de terres à Diane l'Ephésienne. Les environs de Scillunte sont fort propres pour la chasse ; on y trouve des sangliers et des cerfs en quantité. Le pays est arrosé par le fleuve Sélinus. Les Eléens les plus versés dans leur histoire, m'assurèrent que Scillunte avoit été reprise, et que l 'on avait fait un crime à Xénophon de l'avoir acceptée des Lacédémoniens; mais qu'ayant été absous dans le sénat d'Olympie, il eut la permission de se tenir à Scillunte tant qu'il voudrait. En effet près du temple de Diane on voit un tombeau, et sur ce tombeau une statue de très-beau marbre; et les gens du pays disent que c'est la sépulture de Xénophon. En allant de cette ville à Olympie, avant que d'arriver au fleuve Alphée, on trouve un rocher fort escarpé et fort haut, qu'ils appellent le mont Typée. Les Eléens ont une loi par laquelle il est ordonné de précipiter du haut de ce rocher (mont Typée) toute femme qui serait surprise assister aux jeux olympiques, ou qui même aurait passé l'Alphée les jours défendus ; ce qui n'est jamais arrivé, disent-ils, qu'à une seule femme que les uns nomment Callipatire, et les autres Phérénice. Cette femme étant devenue veuve, s'habilla à la facon des maîtres d'exercice, et conduisit elle-même son fils, Pisidore, à Olympie. Il arriva que le jeune homme fut déclaré vainqueur : aussitôt sa mère, transportée de joie, jette son habit d'homme, et saute par-dessus la barrière qui la tenait renfermée avec les autres maîtres. Elle fut connue pour ce qu'elle était; mais on ne laissa pas de l'absoudre en considération de son père, de ses frères, et de son fils, qui tous avoient été couronnés aux jeux olympiques. Depuis cette aventure, il fut défendu aux maîtres d'exercice de paraître autrement que nus à ces spectacles. [5,7] CHAPITRE VII. A Olympie, l'Alphée paraît dans toute sa largeur, et dans toute sa beauté, comme ayant été grossi de plusieurs autres fleuves considérables; car, et l'Hélisson qui passe par la ville de Mégalopolitains, et le Gortynius qui coule auprès de Gortyne, où il y a un temple d'Esculape, et le Buphagus, qui après avoir passé par Mélénée, prend son cours à travers le territoire de Mégalopolis et celui d'Hérée, et le Ladon qui vient de chez les Clitoriens, et l'Erymanthe, qui sort d'une montagne de même nom, tous ces fleuves passent par l'Arcadie, et viennent tomber dans l'Alphée. Il reçoit aussi le Cladée qui coule dans l'Elide, quoiqu'il ait sa source en Arcadie, non en Elide. Si nous en croyons la fable, Alphée était un grand chasseur, passionnément amoureux d'Aréthuse, qui n'ayant, elle, de passion que pour la chasse, et ne voulant pas épouser Alphée, pour se dérober à ses poursuites, passa dans l'isle Ortygie, près de Syracuse, où elle fut changée en fontaine; et Alphée, à cause de l'excès de son amour, fut métamorphosé en fleuve. Voilà ce que dit la fable. Mais que ce fleuve après avoir passé la mer, aille tomber dans la fontaine d'Aréthuse, je n'ai pas de peine à le croire, sachant surtout que cette opinion a été confirmée par l'oracle de Delphes ; car le Dieu en ordonnant au Corinthien Archias de conduire une colonie à Syracuse: Vous trouverez, lui dit-il, au-dessus de la Sicile, une isle au milieu de la mer : cette isle se nomme Ortygie; et c'est-là que l'Alphée s'unit à la belle Aréthuse. Je crois même que c'est ce mélange des eaux du fleuve avec celles de la fontaine qui a donné lieu à la fable de l'amour d'Alphée pour Aréthuse. En effet, tout ce qu'il y a de Grecs et d'Égyptiens qui ont voyagé en Ethiopie du côté de Siène ou de Méroé, disent que le Nil passe à travers un lac, comme il passerait à travers des terres, et qu'ensuite il continue son cours par la basse Ethiopie, puis par l'Egypte, et qu'il va tomber dans la mer auprès de l'isle du Phare. Et moi-même, dans le pays des Hébreux, j'ai vu le fleuve du Jourdain qui entre dans le lac Tibériade, et qui ensuite va se perdre dans une espèce de lac qu'ils nomment la mer morte. Les eaux de cette mer sont d'une nature toute différente de celle des autres ; car dans la mer morte, tout ce qui est animé surnage, et ce qui est mort va au fond : aussi n'y voit-on point de poissons, parce que le poisson qui fuit toujours le danger, et qui par cette raison ne veut pas se montrer, cherche des eaux qui lui soient plus convenables. En Ionie, il y a un fleuve qui est connu par la même singularité que l'Alphée ; car sorti du mont Mycale, il se précipite dans la mer qui n'en est pas loin, puis reparaît à Branchides vers le port Panorme. Quant aux jeux olympiques, voici ce que j'en ai appris de quelques Eléens, qui m'ont paru fort profonds dans l'étude de l'antiquité. Selon eux, Saturne est le premier qui ait régné dans le ciel, et dès l'âge d'or il avait un temple à Olympie. Jupiter étant venu au monde, Rhéa, sa mère, en confia l'éducation aux Dactyles du mont Ida, autrement appelés Curètes. Ces Dactyles vinrent ensuite de Crète en Elide, car le mont Ida est en Crète. Ils étoient cinq frères, savoir Hercule, Péonéüs, Epimède, Iasius et Ida. Hercule, comme l'aîné, proposa à ses frères de s'exercer à la course, et de voir à qui en remporterait le prix, qui était une couronne d'olivier; car l'olivier était déjà si commun, qu'ils en prenaient les feuilles pour en joncher la terre, et pour dormir dessus. Hercule apporta le premier cette plante en Grèce, de chez les Hyperboréens. Le poéte Olen de Lycie, dans une hymne qu'il a faite pour les Achéens, nous apprend que les Hyperboréens étaient une nation qui habitait sous le nord, et qu'Hercule était venu delà à Délos et en Achaïe. Après Olen, Mélanopus de Cumesa a fait un cantique en l'honneur d'Opis et d'Hécaergé, où il dit que ces déesses étaient aussi venues du pays des Hyperboréens en Achaïe et à Délos. Pour Aristias, le Proconnésien, il s'est contenté de faire une légère mention des Hyperboréens, quoiqu'il eût pu nous en apprendre plus de particularités qu'un autre, ayant voyagé chez les Issédons, comme il le dit lui-même dans ses vers. C'est donc Hercule Idéen qui a eu la gloire d'inventer ces jeux, et qui les a nommés olympiques. Et parce qu'ils étaient cinq frères, il voulut que ces jeux fussent célébrés tous les cinq ans. Quelques-uns disent que Jupiter et Saturne combattirent ensemble à la lutte dans Olympie, et que l'empire du monde fut le prix de la victoire : d'autres prétendent que Jupiter ayant triomphé des Titans, institua lui-même ces jeux, où Apollon, entr'autres, signala son adresse, en remportant le prix de la course sur Mercure, et celui du pugilat sur Mars. C'est pour cela, disent-ils, que ceux qui se distinguent au pentathle, dansent au son des flûtes, qui jouent des airs pythiens, parce que ces airs sont consacrés à Apollon, et que ce Dieu a été couronné le premier aux jeux olympiques. [5,8] CHAPITRE VIII. Cinquante ans après le déluge de Deucalion, Clyménus, fils de Cardis, et l'un des descendants d'Hercule Idéen, étant venu de Crète, célébra ces jeux à Olympie ; ensuite il consacra un autel aux Curètes, et nommément à Hercule, sous le titre d'Hercule protecteur. Endymion, fils d'Aéthlius, chassa Clyménus de l'Elide, s'empara du royaume, et le proposa à ses propres enfants, pour prix de la course. Mais Pélops qui vint quelque trente ans après Endymion, fit représenter ces mêmes jeux en l'honneur de Jupiter, avec plus de pompe et d'appareil qu'aucun de ses prédécesseurs. Ses fils n'ayant pu se maintenir en Elide, et s'étant répandus en divers lieux du Péloponnèse, Amythaon, fils de Créthéüs, et cousin germain d'Endymion, car on dit qu'Aëthlius, était fils de cet Eole qui eut le surnom de Jupiter ; Amythaon, dis-je, donna ces jeux au peuple. Après lui, Pélias et Nelée les donnèrent à frais communs. Augée les fit aussi célébrer, et ensuite Hercule, fils d'Amphytrion, lorsqu'il eut pris l'Elide. Le premier qu'il couronna fut Iolas, qui pour remporter le prix de la course du char, avait emprunté les propres cavales d'hercule: car en ces temps-la, on empruntait sans façon les chevaux qui étaient en réputation de vitesse. Nous voyons dans Homère, qu'aux jeux funèbres de Patrocle, Ménélas avait attelé avec un de ses chevaux, une cavale d'Agamemnon. D'ailleurs, Iolas était l'écuyer d'Hercule. Il remporta donc le prix de la course du char, et Iasius, arcadien, remporta celui de la course des chevaux de selle. Les fils de Tyndare furent aussi victorieux; Castor à la course, et Pollux au combat du ceste. On prétend même qu'Hercule eut le prix de la lutte et du pancrace. Mais, depuis Oxylus, qui ne négligea pas non plus ces spectacles, les jeux olympiques furent interrompus jusqu'à Iphitus, qui les rétablit. On en avait même presque perdu le souvenir ; peu-à-peu on se les rappela, et à mesure que l'on se souvenait de quelqu'un de ces jeux, on l'ajoutait à ceux que l'on avait déjà retrouvés. Cela paraît manifestement par la suite des olympiades dont on a eu soin de conserver la mémoire ; car dès la première olympiade, on proposa un prix de la course, et ce fut Coroebus, éléen, qui le remporta. Il n'a pourtant point de statue à Olympie, mais on voit son tombeau sur les confins de l'Elide. En la quatorzième olympiade, à cette première sorte de combat on ajouta la course du stade doublé. Hypénus de Pise, vainqueur, eut une couronne d'olivier, et l'olympiade suivante, Acanthus, lacédémonien, fut couronné. En la dix-huitième olympiade, on se ressouvint du combat de la lutte, et même du pentathle : ils furent renouvellés ; Lampis et Eurybates, tous deux Lacédémoniens, eurent l'honneur de la victoire. Le combat du ceste fut remis en usage en la vingt-troisième olympiade, Onomastus, de Smyrne, en remporta le prix ; Smyrne était déjà censée ville d'Ionie. La vingt-cinquième olympiade fut remarquable par le rétablissement de la course du char, attelé de deux chevaux d'un bon âge, et ce fut Pagondas, thébain, qui eut la victoire. La vingt-huitième vit renouveller le combat du pancrace, et la course avec des chevaux de selle. La cavale de Crauxidas, natif de Cranon, passa toutes les autres ; et Lygdamis de Syracuse terrassa tous ceux qui combattirent contre lui. Son tombeau est à Syracuse, auprès des carrières: je ne sais pas si réellement il égalait Hercule en force de corps, mais du moins les Syracusains le disent ainsi. Ensuite les Eléens s'avisèrent d'instituer des combats pour les enfants, quoiqu'il n'y en eût aucun exemple dans l'antiquité. Ainsi, en la trente-septième olympiade, il y eut des prix proposés aux enfants pour la course et pour la lutte. Hippostène, lacédémonien, fut déclaré vainqueur à la lutte, et Polynice, éléen, à la course. En la quarante-unième, les enfants furent admis au combat du ceste, et Philétas, sybarite, surpassa tous les autres. La soixante-cinquième olympiade introduisit encore une nouveauté : des gens de pied, tous armés, disputèrent le prix de la course; ils parurent dans la carrière avec leurs boucliers, et Démarat d'Hérée remporta la victoire. Cet exercice fut jugé très convenable à des peuples belliqueux. En la quatre-vingt-treizième olympiade, on courut avec deux chevaux de main dans la carrière; Evagoras, éléen, fut vainqueur. En la quatre-vingt-dix-neuvième, on attela deux jeunes poulains à un char, et ce nouveau spectacle valut une couronne à Sybariade, lacédémonien. Quelque temps après on s'avisa d'une course de deux poulains menés en main, et d'une course de poulain, monté comme un cheval de selle. A la première, Bélistiche, femme née sur les côtes de Macédoine, remporta le prix; à la seconde, Tlépoleme, lycien, fut couronné; celui-ci, en la cent trente-unième olympiade, Bélistiche, en la cent vingt-huitième. Enfin, en la cent quarante-cinquième, les enfants furent aussi admis au combat du pancrace, et Phédime, éolien, d'une ville de la Troade, demeura victorieux. [5,9] CHAPITRE IX. Comme les Eléens introduisaient de nouveaux combats, aussi les abolissaient-ils lorsqu'ils ne réussissaient pas à leur gré. Ainsi, après avoir permis le pentathle aux enfants en la trente-huitième olympiade, qu'Entélidas, lacédémonien, eut une couronne d'olivier, ils jugèrent à propos de le leur interdire à l'avenir. Et après avoir imaginé la course de l'Apéné en la soixante et dixième olympiade, et la course du Calpé l'olympiade suivante quelque cinquante ans après en la quatre-vingt-quatrième olympiade, ils proscrivirent l'une et l'autre. Thersius, de Thessalie, avait été couronné à la première, et Patécus, achéen, de la ville de Dyme, à la seconde. La course du Calpé se faisait avec deux juments ; sur la fin de la course, on se jetait à terre, on prenait les juments par le mors, et l'on achevait ainsi la carrière; ce que pratiquent encore de nos jours ces écuyers à qui l'on donne le nom d'Anabates. Toute la différence qu'il y avait entre ceux qui faisaient la course du Calpé et les Anabates, c'est que ceux-ci ont une marque particulière qui les distingue, et qu'ils montent des chevaux et non des juments. Pour l'Apéné, c'était un char attelé de deux mules; invention moderne, et qui ne produisait pas un fort bel effet; outre que les mules et les mulets sont en horreur aux Eléens, qui par cette raison n'en élèvent point chez eux. Quant à l'ordre et à la police des jeux olympiques, voici ce qui s'observe aujourd'hui. On fait d'abord un sacrifice à Jupiter ; ensuite on ouvre par le pentathle. La course à pied vient après, puis la course des chevaux : cela fut ainsi réglé en la soixante-dix-septième olympiade; auparavant, les hommes et les chevaux combattaient le même jour ; d'où il arrivait que le rang du pancrace ne venait que sur le soir, parce que tout le jour se passait à voir les courses de chevaux, et surtout le pentathle. En cette olympiade, Callias, athénien, eut le prix du pancrace. Mais depuis on changea l'ordre de ces jeux, et l'on en rejeta une partie à un autre jour, afin d'empêcher que les uns ne nuisissent aux autres. La direction du spectacle et le nombre des juges, ont aussi varié : car Iphitus, qui fut le restaurateur des jeux olympiques, y présida seul. Oxylus et ses successeurs conservèrent le même privilège. Mais en la cinquantième olympiade, tous les Eléens tirèrent au sort, et l'administration de ces jeux échut à deux particuliers qui en prirent soin dans la suite. Il n'y eut que deux directeurs pendant longtemps, et jusqu'à la cent cinquième olympiade, que l'on créa neuf juges, dont trois devaient connaître de la course des chevaux, trois du pentathle, et les trois autres des autres sortes de combats. Deux olympiades après, on ajouta un dixième juge. En la cent troisième olympiade, les Eléens furent distribués en douze tribus, et chaque tribu nomma un juge. Mais ensuite, la nation ayant eu du dessous dans la guerre contre les Arcadiens, et plusieurs tribus étant tombées en la puissance des ennemis, de douze il n'en resta plus que huit; et par-là, en la cent troisième olympiade, les directeurs ou juges des jeux olympiques, furent réduits à pareil nombre de huit. Enfin, en la cent huitième olympiade, le nombre de dix fut rétabli, et c'est celui qui subsiste à présent. [5,10] CHAPITRE X. La Grèce est certainement pleine de merveilles, qui causent de l'admiration à ceux qui les voient ou qui en entendent parler ; mais il n'y en a point que la religion ait consacrées avec tant de pompe que les mystères de Cérès à Eleusis, et que les jeux qui se célèbrent en l'honneur de Jupiter, à Olympie. Le bois sacré du dieu est appelé Altis, ancien mot dont Pindare s'est servi dans cette signification, en louant un de ses héros, qui avait été vainqueur aux jeux olympiques. Le temple et la statue de Jupiter, sont le fruit des dépouilles que les Eléens remportèrent sur les Pisans et leurs alliés; car ils vainquirent ces peuples et saccagèrent Pise. La statue du dieu est un ouvrage de Phidias, comme en fait foi l'inscription que l'on voit aux pieds de Jupiter, et qui est telle : "Phidias, fils de Charmidas, athénien, ma fait." Le temple est d'une architecture dorique : il est tout environné de colonnes par dehors, en sorte que la place où il est bâti, forme un beau péristyle. On a employé à cet édifice des pierres du pays, mais qui sont d'une nature et d'une beauté singulière. La hauteur du temple, depuis le rez-de-chaussée jusqu'à la couverture, est de soixante-huit pieds, sa largeur est de quatre-vingt-quinze, et sa longueur de deux cent trente. Libon, originaire et natif du pays, en a été l'architecte. Ce temple est couvert, non de tuiles, mais d'un beau marbre tiré des carrières du mont Pentélique, et taillé en forme de tuiles. On 'en attribue l'invention à Bysès de Naxi, dont on dit qu'il y a plusieurs statues dans cette isle, avec une inscription qui porte que ces statues ont été faites par Bysès natif du pays, qui le premier a trouvé l'art de tailler le marbre en facon de tuile. On prétend que ce Bysès florissait dans le temps qu'HaIyatte était roi de Lydie, et qu'Astyage, fils de Cyaxare, régnait sur les Mèdes. Deux chaumières dorées sont suspendues à la voûte, l'une à un bout, l'autre à l'autre. Du milieu de la voûte pend une Victoire de bronze doré, et au-dessous de la Victoire est un bouclier d'or, sur lequel est une tête de la Gorgone Méduse. L'inscription du bouclier porte que ce sont les Tanagréens, alliés de Sparte, qui ont fait ces riches présents à Jupiter, en lui consacrant la dîme des dépouilles qu'ils avaient remportées sur les Athéniens, les Argiens et les Ioniens, auprès de Tanagre. J'ai fait mention de ce combat dans mon premier livre, en parcourant les tombeaux qui se voient à Athènes. Par dehors, au-dessus des colonnes, il règne un cordon tout au tour du temple. A ce cordon sont attachés vingt-un boucliers dorés, qui furent autrefois consacrés à Jupiter par Mummius, général des Romains, après qu'il eut défait l'armée des Achéens, pris Corinthe, et chassé tous les habitants qui avaient embrassé le parti des Doriens. Sur le fronton de devant, on a représenté le combat de Pélops et d'Œnomaüs. Il semble que ces deux héros soient tout prêts à entrer dans la lice, pour se disputer l'honneur de cette fameuse course de chevaux. Jupiter occupe le milieu du fronton ; à la droite du dieu est OEnomaüs, qui a la tête dans un casque ; auprès de lui est sa femme Stérope, une des filles d'Atlas. Au-devant du char et à la tête des chevaux qui sont au nombre de quatre, on voit Myrtil, l'écuyer d'Œnomaüs; derrière lui sont deux autres hommes dont on ne sait point le nom, mais qui paraissent être là pour avoir soin des chevaux. Dans le coin, vous voyez le fleuve Cladée ; qui, après l'Alphée, est celui que les Eléens honorent le plus. A la gauche de Jupiter, Pélops et Hippodamie tiennent le premier rang. L'écuyer de Pélops est auprès de ses chevaux, accompagné de deux palfreniers. En cet endroit, le fronton se rétrécit, et c'est-là que l'on a placé le fleuve Alphée. L'écuyer de Pélops, si l'on en croit les Thrœzéniens, s'appelait Sphérus; mais à Olympie, mon antiquaire le nommait Cilla. Toutes ces figures sont l'ouvrage d'un Péonien, originaire de Mende, ville de Thrace. Le fronton de derrière a été sculpté par Alcamène, contemporain de Phidias, et le meilleur statuaire qu'il y eût après lui. Ce fronton nous présente le combat des Centaures et des Lapithes, à l'occasion des noces de Pirithoüs. Ce prince occupe tout l'espace du milieu. Près de lui est Eurytion, qui enlève la nouvelle épouse malgré Cénéus, qui fait ses efforts pour l'en empêcher. De l'autre côté, c'est Thésée qui fait un horrible carnage des Centaures avec sa hache. Parmi les Centaures qui ont échappé à ses coups, l'un veut ravir une jeune vierge, l'autre un beau garçon qu'il trouve à son gré. Je crois qu'Alcamène a choisi ce sujet, parce qu'il avait appris, par les poésies d'Homère, que Pirithoüs était fils de Jupiter : il savait aussi que Thésée descendait de Pélops par quatre degrés de génération. Au-dedans du temple, on a représenté une bonne partie des travaux d'Hercule. Sur les portes on voit la chasse du sanglier d'Erymanthe, et les exploits d'Hercule, soit contre Diomede, roi de Thrace, soit contre Géryon dans l'isle Erythée. Dans un autre endroit, ce héros s'apprête à soulager Atlas de son fardeau ; dans un autre, il nettoie les étables d'Augée et les champs des Eléens. Sur les portes de derrière, Hercule combat une amazone et lui arrache son bouclier. Tout ce que l'on raconte de la biche et du taureau de Gnosse, de l'hydre de Lerna, des oiseaux du fleuve Stymphale, et du lion de la forêt de Némée, est là gravé sur l'airain ; car les portes du temple sont d'airain. En entrant, vous voyez à droite une colonne contre laquelle Iphitus est adossé avec sa femme Ecéchiria, qui lui met une couronne sur la tête : les noms de l'un et de l'autre sont marqués dans une inscription en vers élégiaques. Dans le temple il y a deux rangs de colonne qui soutiennent des galeries fort exaucées, sous lesquelles on passe pour aller au trône de Jupiter. On a aussi pratiqué un escalier en coquille, par où l'on peut monter jusqu'au toit. [5,11] CHAPITRE XI. Le dieu est représenté assis sur un trône : il est d'or et d'ivoire, et il a sur la tête une couronne qui imite la feuille d'olivier. De la main droite, il tient une Victoire, qui est elle-même d'or et d'ivoire, ornée de bandelettes et couronnée; de la gauche, un sceptre d'une extrême délicatesse, et où reluisent toutes sortes de métaux. L'oiseau qui repose sur le bout de son sceptre est un aigle. La chaussure et le manteau du dieu sont aussi d'or : sur le manteau sont gravés toute sorte d'animaux, toute sorte de fleurs, et particulièrement des lys. Le trône du dieu est tout brillant d'or et de pierres précieuses : l'ivoire et l'ébène y font par leur mêlante une agréable variété; la peinture y a mêlé aussi divers animaux et d'autres ornements. Aux quatre coins, il y a quatre Victoires qui semblent se donner la main pour danser, et deux autres aux pieds de Jupiter. Les pieds du trône par devant sont ornés de sphynx qui arrachent de tendres enfants du sein des Thébaines; et au-dessous des sphynx, c'est Apollon et Diane qui tuent à coup de flêches les enfans de Niobé. Entre les pieds du trône, il y a quatre traverses qui vont d'un bout à l'autre. La première, et celle que l'on voit en entrant, est chargée de sept figures: il y en avait une huitième, mais on ne sait ce qu'elle est devenue. Ces figures sont un monument des anciens jeux olympiques, avant que les jeunes gens y fussent admis; mais du temps de Phidias, on les y admettait. C'est pourquoi vous verrez aussi la figure d'un jeune homme qui a la tête ceinte d'un ruban, et qui, à sa beauté, paraît être Pantarcès, jeune Eléen que Phidias aimait. Ce Pantarcès, en la quatre-vingt-sixième olympiade, remporta le prix de la lutte dans la classe des jeunes gens. Sur les autres traverses, vous voyez Hercule avec sa troupe, prêt à combattre contre les amazones. Le nombre des combattants de part et d'autre, est de vingt-neuf, et Thésée se fait remarquer parmi les compagnons d'Hercule. Ce ne sont pas seulement les pieds du trône qui les soutiennent, on y a ajouté de distance en distance des colonnes de pareille hauteur, et le trône porte aussi dessus. Si j'avais pu approcher de plus près et voir le dessous du trône, comme on voit celui du trône d'Apollon à Amyclès, j'en rendrais compte de même : mais le trône de Jupiter à Olympie est entouré de balustres en manière de petits murs qui en défendent l'entrée. Le balustre de devant, vis-à-vis de la porte, et seulement peint en couleur de bleu céleste : pour les autres, ils sont enrichis d'excellentes peintures faites par Panénus. On voit, sur le premier, Atlas qui soutient le ciel et la terre, et auprès de lui Hercule qui va, ce semble, porter le même fardeau ; ensuite, c'est Thésée avec Pirithoüs. Dans un autre endroit, le peintre a représenté la Grèce, et en particulier la ville de Salamine, qui d'une main tient un de ces ornements que l'on met à la poupe des vaisseaux. Le second balustre nous présente le combat d'Hercule contre le lion de Némée, l'attentat d'Ajax sur Cassandre ; ensuite Hippodamie avec sa mère ; en dernier lieu, Prométhée enchaîné, et Hercule qui le regarde; car on dit que la délivrance de Prométhée, attaché au mont Caucase, et sans cesse dévoré par une aigle, fut aussi l'un des travaux d'Hercule. Dans le premier tableau du dernier balustre, c'est Penthésilée mourante, et Achille qui la soutient : dans le second, ce sont deux Hespérides qui apportent les pommes d'or confiées à leurs soins. Panénus, qui a fait ces belles peintures, était frère de Phidias, c'est lui qui a peint aussi le combat de Marathon, que l'on voit dans le Poecile d'Athènes. A l'endroit le plus élevé du trône, au-dessus de la tête du Dieu, Phidias a placé d'un côté les Grâces, et de l'autre les Heures, les unes et les autres au nombre de trois. La poésie fait aussi les Heures filles de Jupiter : mais Homère, dans l'Iliade, nous les représente comme les gardiennes du ciel, qui en ouvrent et qui en ferment les portes ainsi que d'un palais. Sur la base qui est au-dessous des pieds de Jupiter, vous voyez des lions dorés, et le combat de Thésée contre les Amazones, cette expédition célèbre où les Athéniens signalèrent pour la première fois leur courage contre des troupes étrangères. Le piédestal ou scabelon, qui soutient toute cette masse, est enrichi de divers ornements qui donnent encore de l'éclat à la statue. Phidias y a gravé sur or, d'un côté, le soleil conduisant son char, de l'autre, Jupiter et Junon ; à côté de Jupiter est une des Grâces ; après elle c'est Mercure, et Vesta ensuite. Vénus paraît sortir du sein de la mer; elle est reçue par l'Amour, et couronnée par la déesse Pitho. Apollon et Diane n'ont pas été oubliés sur ce bas-relief, non plus que Minerve et Hercule. Au bas du piédestal, dans un coin, on voit Amphitrite et Neptune: dans un autre, la Lune paraît galoper à cheval ; les Eléens disent, sur un mulet, à cause de je ne sais quelle fable d'un mulet, qui a cours parmi le peuple. Je sais que plusieurs ont donné les dimensions de la statue de Jupiter, mais il ne faut pas s'en rapporter à eux, car on trouve la hauteur et la largeur bien au-dessus de leur estimation, quand on en juge par ses propres yeux. Pour moi, je dirai seulement que l'habileté de l'ouvrier eut Jupiter même pour approbateur ; car Phidias, après avoir mis la dernière main à sa statue, pria le Dieu de marquer par quelque signe si cet ouvrage lui était agréable ; et l'on dit qu'aussi-tôt le pavé du temple fut frappé de la foudre, à l'endroit où l'on voit encore une urne de bronze avec son couvercle. Devant la statue, le temple est pavé de marbre noir, avec un rebord de marbre de Paros, qui fait un cercle tout alentour. Ce rebord sert à contenir l'huile, dont on arrose continuellement le pavé du temple auprès de la statue, pour défendre l'ivoire contre l'humidité de la terre ; car, et l'Altis et le temple de Jupiter à Olympie, sont dans un lieu fort marécageux. Au contraire, dans la citadelle d'Athènes, la statue de Minerve, ou de la Vierge, comme on l'appelle, se conserve par l'eau dont on a soin d'arroser le pavé du temple. C'est que ce lieu étant fort sec, à cause de son élévation, la statue de la déesse, qui est d'ivoire, a besoin d'humidité pour se défendre contre la sécheresse. Je me souviens qu'étant à Epidaure, je demandai aux sacristains du temple d'Esculape pourquoi ils n'arrosaient ni d'huile, ni d'eau, le pavé du temple ; ils me répondirent qu'il y avoit un puits sous le trône et la statue du dieu. [5,12] CHAPITRE XII. A propos de l'ivoire, si quelqu'un s'imagine que ce que l'on voit dans la bouche de l'éléphant et qui sort en dehors, soit des dents et non des cornes, il se trompe; je le prie d'en juger par cette espèce d'animal, qui est commun chez les Celtes, et par les boeufs d'Ethiopie. En effet, l'espèce d'animal dont je parle, a des cornes au-dessus des sourcils. Je dis le mâle, car les femelles n'ont point de cornes ; et aux boeufs d'Ethiopie, il en vient sur le nez. Est-ce donc une grande merveille qu'il y ait un animal avec des cornes qui lui sortent par la bouche ? Mais voici sur quoi j'appuie mon sentiment. Les cornes viennent aux animaux au bout d'un certain temps, elles tombent aussi régulièrement, et il en revient d'autres à la place; c'est ce qui arrive aux cerfs, aux daims et aux éléphants. En second Iieu, nous ne voyons point que quand les dents tombent à un animal qui a atteint un certain âge de perfection, il en renaisse d'autres. Si donc l'ivoire était une dent et non une corne, par quel privilège particulier repousserait-il des dents aux éléphants ? D'ailleurs, on sait que les dents résistent au feu, et que l'art ne saurait les mettre en oeuvre ; au contraire, la corne, soit de boeuf, soit d'éléphant, amollie par le feu, obéit à l'ouvrier, qui la tourne comme il lui plaît. Il est vrai que les défenses des sangliers, et les dents des hippopotames, sortent de leur mâchoire d'en bas, et nous ne voyons point que les cornes d'aucun animal naissent de la machoire. Mais aussi je ne prétends pas que les cornes des éléphants poussent de leur mâchoire ; elles prennent naissance de plus haut, descendent le long des tempes, et, sortant par la mâchoire, se jettent en dehors. Ce que j'en rapporte n'est pas fondé sur un oui-dire, mais sur l'inspection d'un crâne d'éléphant que j'ai vu dans la Campanie, en un temple de Diane, qui n'est qu'à trente stades de Capoue, capitale de cette province. Les cornes ne poussent donc point à l'éléphant de la même manière qu'aux autres animaux : cet animal est singulier par-là comme par la masse énorme de son corps, et par sa figure. Au reste, rien à mon avis ne marque mieux la piété des Grecs et leur profusion, où il s'agit de décorer les temples, que la prodigieuse quantité d'ivoire qu'ils ont tirée des Indes et de l'Ethiopie, pour faire les statues de leurs dieux. Le voile de laine que l'on voit dans le temple de Jupiter à Olympie, est teint en pourpre de Phénicie, et magnifiquement brodé à la mode des Assyriens: c'est un présent du roi Antiochus, qui a aussi donné l'égide d'or qui se voit au-dessus du théatre à Athènes, et où il y a une tête de Gorgone. Mais les Eléens au lieu de relever le voile jusqu'à la voûte, comme dans le temple de Diane d'Ephèse, le tiennent toujours abaissé jusqu'à terre. A l'égard des autres présents que l'on conserve dans le vestibule, ou dans le temple, vous verrez en premier lieu le trône d'Ariumnus; roi des Étrusces qui le premier entre les étrangers s'est distingué, par cette offrande à Jupiter Olympien ; ensuite des chevaux de bronze consacrés par Cynisca, comme un. monument de la victoire qu'elle remporta aux jeux olympiques. Ces chevaux, plus petits que nature, sont placés à l'entrée du temple à main droite. Là est aussi un trépied de bronze sur lequel on mettait les couronnes destinées aux vainqueurs, avant que l'on eut fait faire une table exprès pour cela.Vous verrez encore plusieurs statues de marbre de Paros, dont les unes ont été érigées à l'empereur Hadrien, par ces villes qui composaient l'état d'Achaïe, et les autres à Trajan, par toute la nation grecque. Cet empereur soumit à son obéissance, les Gètes, qui habitent au-dessus de la Thrace, et fit la guerre contre Osroès, petit-fils d'Arsace, et roi des Parthes. La ville d'Olympie lui est redevable de plusieurs ouvrages, dont les principaux sont des bains qui portent son nom ; un amphithéatre d'un fort grand circuit; un lieu pour les courses de. chevaux, qui a bien deux stades de long ; et un sénat pour les magistrats romains, lequel entr'autres ornements est tout plafonné de bronze. On y voit deux statues posées sur des piédestaux fort délicats; l'une d'ambre, de l'empereur Auguste; l'autre d'ivoire, de Nicomède, roi de Bithynie, qui a donné son nom à la plus grande ville de ce royaume; car Nicomédie s'appelait auparavant Astaque. On croit que son premier fondateur a été Zypoetès, Thrace de nation autant que l'on en peut juger par son. nom. L'ambre se trouve parmi le sable que roule l'Eridan ; mais il est très rare, et à cause de cela fort estimé : il semble, au reste, que l'ambre n'est autre chose qu'un mélange de l'or et de l'argent. On vous montrera encore dans le temple de Jupiter plusieurs couronnes qui ont été données par Néron : il y a surtout la troisième et la quatrième qui imitent parfaitement; l'une la feuille d'olivier, l'autre la feuille de chêne. Au même endroit vous verrez vingt-cinq boucliers d'airain, pour ceux qui courent tout armés dans la carrière. Je ne parle point d'un grand nombre de colonnes qui sont dans ce temple; mais il y en a surtout une où est gravé le serment, par lequel les Eléens confirmèrent le traité d'alliance qu'ils avaient fait avec les Athéniens, les Argiens, et ceux de Mantinée, pour cent ans. [5,13] CHAPITRE XIII. Dans l'Altis, il y a aussi un temple et un espace de terre consacré à Pélops; car les Eléens mettent autant Pélops au-dessus des autres héros qu'ils mettent Jupiter au-dessus des autres dieux. Ce temple est au nord, à droite du temple de Jupiter, et de la porte par où l'on y entre. Il en est assez éloigné pour que l'espace d'entre-deux puisse contenir plusieurs statues, et divers monuments de la piété des peuples ; car il s'étend depuis le milieu du grand temple jusqu'à la porte de derrière. Un mur de pierres sèches défend tout ce terrein, qui est planté d'arbres, et orné de statues; l'entrée est au couchant. On dit que c'est Hercule, fils d'Amphytrion, qui a consacré cette portion de terres à Pélops, ce qui est d'autant plus probable qu'Hercule descendait de Pélops par quatre degrés de génération. L'on dit aussi qu'il sacrifia à Pélops sur le bord d'une fosse, où tous les ans les archontes, encore à présent, ne manquent pas de faire un sacrifice avant que d'entrer en charge. Ils immolent un bélier noir, et leur sacrifice a cela de particulier, que l'on ne fait aucune part de la victime au devin: on se contente, suivant l'ancien usage, d'en donner le col à celui qui fournit le bois; car, parmi les ministres du temple de Jupiter, il y en a un qui a soin de faire provision de bois, et d'en fournir pour un certain prix, soit aux villes, soit aux particuliers qui viennent faire des sacrifices, et ce bois est du peuplier blanc. Que si quelqu'un, soit Eléen ou étranger, mangeait des chairs de la victime immolée à Pélops, l'entrée du temple de Jupiter lui serait interdite. La même chose se pratique à Pergame, sur le Caïque : ceux qui sacrifient à Téléphus, et qui transgressent les lois du sacrifice sont obligés de se purifier avant que d'entrer dans le temple d'Esculape. Quant à Pélops, voici ce que l'on en raconte, La guerre de Troye traînant en longueur, les devins avertirent les Grecs qu'ils ne prendraient point la ville, qu'auparavant ils n'eussent envoyé chercher les flêches d'Hercule, et l'un des os de Pélops. Aussitôt on donna cette commission à Philoctète, qui étant allé à Pise, en remporta l'omoplate de Pélops ; mais le vaisseau en revenant joindre les Grecs, fit naufrage à la hauteur de l'isle Eubée; de sorte que l'os de Pélops fut perdu dans la mer. Plusieurs années après la prise de Troye, un pêcheur, nommé Démarmène, de la ville d'Érétrie, ayant jeté son filet dans cette mer, en retira un os. Surpris de la grosseur prodigieuse dont il était, il le cacha sous le sable, et remarqua bien l'endroit. Ensuite il alla à Delphes pour savoir de l'oracle ce que c'était que cet os, et quel usage il en ferait. Par un coup de la Providence, il se rencontra que des Eléens consultaient en même temps l'oracle sur les moyens de faire cesser la peste qui désoloit leur pays. La Pythie répondit à ceux-ci qu'ils tâchassent de recouvrer les os de Pélops ; et à Demarmène, qu'il restituât aux Eléens ce qu'il avait trouvé, et qui leur appartenait. Le pêcheur rendit aux Eléens cet os, et en reçut la récompense. Il eut surtout le privilège pour lui et pour ses descendants, de garder à l'avenir cette relique, qui pourtant ne subsiste plus; c'était l'omoplate de Pélops. Il y a bien de l'apparence que cet os, qui avait été enfoncé dans le sable de la mer, fut carié par l'humidité, ou du moins par le temps qui détruit tout. Que Tantale et Pélops aient demeuré parmi nous, il y en a des preuves encore subsistantes aujourd'hui, telles que sont le port Tantale et le tombeau de ce héros qui est assez connu. On voit le trône de Pélops au haut du mont Sipyle, immédiatement au-dessus de la chapelle dédiée à la mère des dieux. A Temnos, au-delà du fleuve Hermus, on montre une statue de Vénus, faite du bois d'un myrte femelle. La tradition est que Pélops consacra cette statue par une dévotion particulière pour la déesse, et afin qu'elle lui fût favorable dans le dessein qu'il avait d'épouser Hippodamie. L'autel de Jupiter Olympien est placé à une égale distance du temple de Pélops et de celui de Junon, en face de l'un et de l'autre. Les uns disent qu'il a été élevé par Hercule Idéen, les autres par des héros du pays, environ deux générations après Hercule. Quoi qu'il en soit, cet autel est fait de la cendre des victimes offertes à Jupiter. Il y en a un de même à Pergame, un autre à Samos, érigé à Junon, et qui n'est guère plus propre que ces foyers sacrés faits à la hâte, que l'on voit dans l'Attique. L'enceinte où l'on présente les victimes est fermée par une balustrade, qui a pour le moins cent vingt-cinq pieds de circuit. Depuis cette balustrade jusqu'à l'autel, il y a trente-deux marches : l'autel a vingt-deux pieds de hauteur. On amène les victimes jusqu'à la balustrade : là, on les égorge. On en prend les cuisses, et on les porte en haut pour les faire rôtir sur l'autel. On arrive à cette balustrade par des marches de pierres qui sont aux deux côtés. De-là jusqu'au haut de l'autel, ce sont des marches faites avec la cendre des victimes. Les femmes et les filles peuvent approcher jusqu'à la balustrade aux jours qu'il leur est permis d'être à Olympie ; mais il n'y a que les hommes qui puissent monter jusqu'à l'autel. Les étrangers sont reçus tous les jours à faire des sacrifices, sans qu'il soit besoin d'attendre les jours plus solennels, comme les temps de foires. Pour les Eléens, il ne se passe point de jour qu'ils ne sacrifient à Jupiter Olympien. Chaque année, le dix-neuf' de Mars, les devins apportent de la cendre du prytanée; ils la délayent dans de l'eau du fleuve Alphée, et en font une espèce de mortier dont ils enduisent l'autel; ce mortier ne se peut faire avec d'autre eau. C'est pourquoi l'Alphée passe pour être de tous les fleuves le plus agréable à Jupiter. A Didymes, ville du ressort de Milet, il y a un autel érigé, dit-on, par Hercule de Thèbes, et construit avec du mortier délayé dans le sang des victimes; mais cet autel étant devenu moins célèbre, les sacrifices ont diminué, et l'autel en est moins bien entretenu. [5,14] CHAPITRE XIV. Une autre merveille que l'on raconte de l'autel de Jupiter à Olympie, c'est que les milans qui de tous les oiseaux de proie sont les plus carnaciers, respectent le temps du sacrifice. Si par hasard un milan se jetait sur les entrailles ou sur la chair des victimes, on en tirerait un mauvais augure. On raconte aussi qu'Hercule, fils d'Alcmène, sacrifiant un jour à Jupiter, dans Olympie, fut si incommodé des mouches, que sur le champ, soit de son propre mouvement, soit par le conseil de quelqu'un des assistants, il immola une victime à Jupiter Apomyius ; et le sacrifice ne fut pas plutôt achevé, que l'on vit toutes les mouches s'envoler au-delà de l'Alphée. Depuis ce temps-là, les Eléens ont coutume de faire tous les ans un sacrifice, pour être délivrés de l'importunité des mouches durant les jours de fêtes qui sont consacrés à Jupiter. Et dans tous les sacrifices qu'ils font à ce dieu, ils observent inviolablement de ne brûler que du peuplier blanc. Je crois que la raison de cette préférence, est qu'Hercule a le premier apporté cet arbre de la Thesprotie, en Grèce, et qu'il ne se servait pas d'un autre bois pour faire rôtir les cuisses des victimes. Il trouva cet arbre sur les bords de l'Achéron, et l'on croit que c'est pour cela qu'Homère en parlant du peuplier blanc, le nomme le chêne de l'Achéron ; car de tout temps les rivières et les fleuves ont produit différentes sortes d'herbes et de plantes. La bruyère se plaît sur les rives du Méandre ; l'Asope, fleuve de Béotie, pousse des joncs d'une hauteur extraordinaire ; et l'arbre de Persée ne vient que sur les bords du Nil. Il n'y a donc pas à s'étonner si le peuplier blanc a crû d'abord sur les rives de l'Achéron, comme l'olivier sur les bords de l'Alphée, et le peuplier noir chez les Celtes, dans les lieux qui sont arrosés de l'Eridan. Après avoir parlé du grand autel, il est bon de parcourir aussi les autres suivant l'ordre que les Eléens eux-mêmes observent dans leurs sacrifices. Car ils ont premièrement six autels érigés en l'honneur des douze dieux, dans le temple même de Jupiter ; en sorte que l'on sacrifie à deux divinités tout à la fois sur le même autel. A Jupiter et à Neptune sur le premier ; à Junon et à Minerve sur le second ; à Mercure et à Apollon sur le troisième ; aux Grâces et à Bacchus sur le quatrième ; à Saturne et à Rhéa sur le cinquième; à Vénus et à Minerve Ergané sur le sixième. Les descendants de Phidias sont chargés du soin de nettoyer la statue de Jupiter, et de la tenir toujours dans une grande propreté. Avant que de se mettre à l'ouvrage, ils font un sacrifice à Minerve Ergané. Minerve a encore un autre autel auprès du temple : celui qui suit, est l'autel de Diane ; quarré par en bas, il se rétrécit insensiblement à mesure qu'il s'élève, et il se termine en pointe. Après ces autels, vous en trouverez un qui est commun à Diane et à Alphée. Pindare en donne la raison dans une de ses odes; et je la donnerai moi-même dans un endroit de cet ouvrage, où il sera parlé de la ville de Létrines. Un peu plus loin, Alphée a un autel qui lui est consacré uniquement : Vulcain a le sien auprès. Quelques Eléens disent pourtant que c'est l'autel de Jupiter Aréus : car ils prétendent qu'Œnomaüs avait coutume de sacrifier sur cet autel à Jupiter Aréus, toutes les fois qu'il entreprenait un combat contre ceux qui recherchaient sa fille Hippodamie en mariage. Ensuite vous voyez cet autel dont j'ai parlé, qui est dédié à Hercule Parastatès, et quatre autres dédiés à ses frères, Epimede, Ida, Péonéus et Iasus ; cependant, l'autel d'Ida est nommé par quelques-uns l'autel d'Acésidas. Dans la place où était le palais d'Œnomaüs, il a deux autels qui ont été élevés à Jupiter, l'un sous le titre de Jupiter Hercéus, par Œnomaüs, même selon toute apparence; l'autre sous le titre de Jupiter Ceraunius, qui après la mort de ce prince, lorsque sa maison eut été frappée de la foudre. J'ai suffisamment parlé du grand autel de Jupiter, autrement dit l'autel de Jupiter Olympien : tout auprès, c'est l'autel des dieux inconnus. On trouve ensuite l'autel de Jupiter Catharsius, et celui de la Victoire : l'autel de Jupiter, surnommé Cthonius ou le terrestre : un autre consacré à tous les dieux : un autre en l'honneur de Junon Olvmpienne, fait de la cendre des victimes, et élevé par Clymenus, à ce que l'on croit. Suit l'autel d'Apollon et de Mercure : il est commun à l'un et à l'autre, parce que les Grecs regardent Mercure comme l'inventeur de la lyre, et Apollon comme l'inventeur de la cythare. L'autel de la Concorde vient après, puis celui de Minerve, et celui de la mère des dieux. Auprès du stade, on voit deux autels; l'un dédié à Mercure Enagonius, l'autre au dieu de l'Opportunité. Je connais une hymne du poete Ion, où il fait le dieu de l'Opportunité fils de Saturne et le dernier de ses fiIs. Près du trésor des Sicyoniens, on voit l'autel d'Hercule, soit que cet Hercule fût un des Curètes, comme veulent quelques-uns, ou que ce fût le fils d'Alcmène, comme d'autres prétendent. Dans la partie qui est consacrée à la Terre, il y a son autel qui est aussi tait de la cendre des victimes. Les Eléens disent que de tout temps la déesse a rendu là ses oracles. Sur le Stomium, c'est un endroit qu'ils appellent ainsi, Thémis a son autel. Près de-là est aussi celui de Jupiter, surnommé Catebatès ; il est environné d'un mur, et fort peu distant du grand autel. Au reste, en parcourant tous ces autels, j'avertis le lecteur que j'ai suivi l'ordre, non de leur situation, mais des sacrifices que les Eléens ont accoutumé d'y faire. A côté du temple de Pélops, on voit encore un autel consacré à Bacchus et aux Grâces. Entre deux, c'est l'autel des Muses, et celui des Nymphes ensuite. [5,15] CHAPITRE XV. Au-delà de l'Altis est un édifice que l'on nomme l'atelier de Phidias ; c'est dans cette maison qu'il a fait la statue de Jupiter : vous y trouverez un autel dédié à tous les dieux. En revenant au bois sacré, on a devant soi le palais Léonidas. C'est un édifice hors de l'enceinte du temple : il a été consacré à Jupiter, par Léonidas, éléen, et il donne sur le chemin que l'on tient pour aller au temple les jours de cérémonie. Aujourd'hui il sert à loger les magistrats romains, qui ont leurs départements en Grèce. Cette maison n'est séparée du chemin que par une espèce de cul-de-sac. Si vous prenez ensuite à gauche dans l'Altis, vous verrez l'autel de Vénus, puis celui des Heures. Sur le derrière du grand temple il y a un olivier que l'on nomme par excellence l'olivier aux belles couronnes ; parce qu'en effet on se sert de ses rameaux pour couronner les vainqueurs. Auprès est un autel dédié aux Nymphes, et ces Nymphes s'appellent aussi les Nymphes aux belles couronnes. Dans l'Altis ou bois sacré, à droite du palais Léonidas, vous avez l'autel de Diane Agoréa, puis l'autel de cette divinité que les Grecs ne nomment point autrement que la Maîtresse. Je dirai ce que c'est quand j'en serai à la description de l'Arcadie. Vous trouverez ensuite l'autel de Jupiter Agoréüs ; et devant le lieu où s'assemblent les sénateurs, l'autel d'Apollon Pythius. Plus loin, c'est un autel de Bacchus, que l'on dit avoir été érigé il n'y a pas long-temps par des particuliers. Sur le chemin qui mène aux barrières, on voit un autel avec cette inscription : "Au conducteur des Parques". On ne peut pas douter que ce ne soit un surnom de Jupiter ; car lui seul commande aux Parques, et sait ce que le destin réserve aux hommes. L'autel des Parques est presque attenant, et s'étend en long ; celui de Mercure suit de près. Ensuite on en voit deux autres, dédiés à Jupiter le très-haut. Dans cet espace que l'on nomme les barrières, vers le milieu, Neptune et Junon, représentés à cheval, ont chacun un autel tout découvert. Près, de là il y a une colonne, contre laquelle est adossé l'autel des Dioscures; et à l'entrée de la lice, pas loin de ce qu'ils appellent l'Éperon, Mars et Minerve, tous deux à cheval hors de la barrière, ont aussi leur autel, l'un d'un côté, l'autre de l'autre. Au-dedans, près de l'Epéron, c'est l'autel de la bonne Fortune ; ensuite celui de Pan et celui de Vénus. Plus loin c'est l'autel de ces nymphes qu'ils nomment invincibles. En revenant du portique d'Agaptus, ainsi appelé du nom de son architecte, vous avez à votre droite l'autel de Diane ; et en rentrant dans le bois sacré par le chemin que l'on tient aux jours solemnels, vous voyez derrière le temple de Junon deux autels dédiés, l'un au fleuve Cladée, l'autre à Diane. Un peu au-delà, il y en a trois autres, dont le premier est consacré à Apollon, le second à Diane, surnommée Coccoca, et le troisième à Apollon, dit Thermius, surnom que l'on entend aisément, sa signification étant la même chez les Eléens que chez les Athéniens. Pour celui de Coccoca, qu'ils donnent à Diane, je n'en ai pu savoir la raison. Devant le Théécoléon, comme ils l'appellent, il y a un édifice, et dans un coin de cet édifice un autel de Pan: le prytanée est dans le bois sacré de Jupiter, auprès du gymnase, où l'on s'exerce à la course et à la lutte. Devant la porte du prytanée, on voit un autel de Diane chasseresse ; et dans le prytanée même, près du lieu où est le foyer sacré, il y a encore un autel dédié à Pan. Ce foyer sacré est fait de cendres, et l'on y entretient soigneusement du feu jour et nuit toute l'année. On en prend la cendre, qui sert plus que toute autre à faire cette espèce de mortier dont on répare, ou dont l'on entretient l'autel de Jupiter, ainsi que je l'ai raconté. Chaque mois les Eléens sacrifient sur tous les autels dont j'ai fait mention. Ils couvrent l'autel de feuilles d'olivier, brûlent de l'encens et de la farine de froment pétrie avec du miel, et usent de vin dans leurs libations, excepté lorsqu'ils sacrifient aux Nymphes, ou à cette divinité qu'ils nomment la Maîtresse, ou à tous les dieux en général ; car alors ils ne se servent point de vin. Le soin de ces sacrifices est confié au prêtre qui est en tour de présider, car chacun a son mois d'exercice. Il est assisté des devins, de ceux à qui il appartient d'apporter les libations, des interprêtes, d'un joueur de flûte, et de celui qui fournit le bois. Quant aux paroles qu'ils prononcent en faisant les libations dans le prytanée, et aux hymnes qu'ils chantent, je me crois dispensé de les rapporter dans ces mémoires. Non seulement les Eléens font des libations aux dieux de la Grèce, mais ils en font encore à Jupiter Ammon, à Junon Ammonia, et à Parammon : Parammon est un surnom de Mercure. On voit que de tout temps ils ont eu recours à l'oracle de Lybie : des autels consacrés par les Eléens dans le temple de Jupiter Ammon en font foi ; l'inscription marque et la nature des choses sur quoi ils consultaient l'oracle, et la réponse de l'oracle, et les noms de ceux qu'ils avaient envoyés le consulter. Ils font aussi des libations en l'honneur de leurs héros et des femmes de ces héros. Dans ce nombre ils comprennent les héros d'Etolie comme ceux d'Elide. Tout ce qui se chante dans le prytanée est écrit en langue dorique ; mais ils ne savent pas eux-mêmes qui est l'auteur de ces cantiques. Enfin, ils ont dans le prytanée une salle pour les festins publics, vis-à-vis de l'endroit où ils gardent le feu sacré; et c'est-là que sont traités ceux qui remportent la victoire aux jeux olympiques. [5,16] CHAPITRE XVI. Il me faut maintenant parler du temple de Junon, et de ce qu'il contient de plus remarquable. Les Eléens disent que ce sont les Scilluntiens, peuples de Triphylie, qui ont bâti ce temple la huitième année du règne d'Oxylus. L'architecture en est dorique, une colonnade règne tout alentour, et des deux colonnes qui soutiennent la partie de derrière, il y en a une qui est de bois de chêne. Ce temple a soixante-trois pieds de longueur : on ne sait point qui en a été l'architecte. Seize matrones sont commises pour broder un voile que l'on consacre à Junon tous les cinq ans; et ce sont elles aussi qui font célébrer des jeux en l'honneur de la déesse. Ces jeux consistent à voir les filles disputer le prix de la course entr'elles. Pour cela on les distribue toutes en trois classes : la première est composée des plus jeunes; la seconde, de celles d'un âge au-dessus; la troisième, des plus âgées ; et il y a un prix pour chaque classe. Quand elles courent, elles ont les cheveux flottants, la tunique abaissée jusqu'au dessous du genou, l'épaule droite toute nue et débarrassée jusqu'au sein. Elles font aussi preuve de leur légéreté dans le stade d'Olympie; seulement on abrège la carrière de la sixième partie pour l'amour d'elles, Les victorieuses remportent une couronne d'olivier, et reçoivent une portion de la génisse qui a été immolée à Junon; même il est permis d'appendre leurs portraits pour éterniser leur nom et leur gloire. Les seize matrones président à ces jeux avec un pareil nombre d'associées, qui jugent avec elles. Les Eléens prétendent que cette institution est fort ancienne; ils l'attribuent à Hippodamie, qui voulant remercier Junon du bonheur qu'elle avait eu d'épouser Pélops, choisit seize de ses compagnes, et de concert avec elles, institua ces jeux en l'honneur de la déesse. Ils disent que Clitoris fut la première qui remporta la victoire, et que cette Clitoris, fille d'Amphion, était restée seule d'un grand nombre d'enfants avec un de ses frères. J'ai rapporté dans mon voyage d'Argos, tout ce que je savais de cette malheureuse race de Niobé. Quant aux seize matrones qui jugent du prix de la course, on en raconte encore une autre origine. On dit que Démolition, tyran de Pise, fit des maux infinis aux Eléens, et qu'après sa mort, comme les Piséens n'avaient point été complices de sa méchanceté, les Eléens voulurent bien s'en rapporter à eux du dédommagement qu'ils demandaient. Il v avait alors seize villes dans toute l'Élide. Les deux peuples pour terminer leur différend à l'amiable, convinrent de choisir dans chaque ville une femme respectable par son âge; par sa naissance et par sa vertu. On nomma donc seize graves matrones, qui, par leur prudence règlèrent les prétentions des Eléens, et rétablirent la bonne intelligence entre les deux peuples. Dans la suite, on leur confia la direction des jeux qui se célèbrent en l'honneur de Junon, et le soin de faire le voile de la déesse. Elles sont aussi chargées de l'entretien de deux choeurs de musique, dont l'un est nommé le choeur de Physcoa, l'autre le choeur d'Hippodamie. Physcoa, suivant ce qu'ils en disent, était une fille de la basse Elide, et de la tribu d'Orthia : elle fut aimée de Bacchus, dont elle eut un fils qui eut nom Narcée. Ce fils, devenu grand, fit la guerre à ses voisins, se rendit fort puissant, et bâtit un temple à Minerve, sous le nom de Minerve Narcéa. Il institua le premier des sacrifices à Bacchus; et en l'honneur de Physcoa, il institua ce choeur de musique qui porte encore son nom ; pour ne rien dire de beaucoup d'autres honneurs qu'il lui fit rendre. Les Eléens conservent toujours le même nombre de matrones ; mais ce n'est plus à cause de leurs seize villes, c'est qu'étant aujourd'hui partagés en huit tribus, ils élisent deux femmes chaque tribu. Ces seize matrones, ainsi que les directeurs des jeux olympiques, au nombre de dix, n'entrent point en fonction qu'elles ne se soient purifiées par le sacrifice d'un porc, et avec de l'eau de la fontaine Piera, qui est dans la plaine par où l'on va d'Olympie à Elis. Toutes ces choses me sont connues telles que je les rapporte. [5,17] CHAPITRE XVII. Dans le temple de Junon la déesse est assise sur un trône, Jupiter est auprès: il est représenté debout, la tête dans un casque, avec de la barbe au menton. Le trône et les statues sont d'un goût fort ancien, pour ne pas dire grossier : les Heures sont aussi assises sur des trônes, et leur mère, Thémis, auprès. C'est Emilus d'Egine qui a fait les Heures. Pour la statue de Thémis, c'est un ouvrage de Doryclidas, lacédémonien, disciple de Dipoene et de Scyllis. Les cinq Hespérides que l'on voit ensuite, sont de Théoclès, aussi lacédémonien, fils d'Hegylus, et élève des mêmes maîtres. La Minerve qui suit, armée d'un casque, d'une pique et d'un bouclier, passe pour être de Médon, autre lacédémonien, qui était, dit-on, frère de Doryclidas, et sorti de la même école. Cérès et Proserpine sont couchées vis-à-vis l'une de l'autre. Apollon et Diane sont aussi l'un d'un côté, l'autre de l'autre, mais débout. On voit ensuite une Latone, une Fortune, un Bacchus, et une Victoire avec des ailes. On ne sait point de qui sont ces statues; elles m'ont paru fort anciennes. Toutes celles dont j'ai parlé jusqu'ici, sont d'or et d'ivoire. Mais il y en a plusieurs d'un goût plus moderne, entr'autres un Mercure de marbre, qui porte le petit Bacchus entre ses bras ; une Fortune de Praxitèle, une Vénus de bronze, faite par Cléon, sicyonien, disciple d'Antiphane, qui avoit eu pour maître Périclète, élève de Praxitèle d'Argos. Aux pieds de la Vénus est assis un enfant nu ; c'est une petite statue de bronze doré, que 1'on attribue à Boëthus de Carthage. Pour les statues d'Olympias et d'Euridice que l'on voit ensuite, et qui sont d'or et d'ivoire, elles ont été transférées de la rotonde de Philippe dans le temple de Junon. Mais une des raretés les plus considérables du temple, c'est un grand coffre de bois de cèdre, dont le dessus est orné de figures d'animaux, les unes d'or, les autres d'ivoire, et les autres gravées sur le cèdre même. On dit que la mère de Cypsélus étant accouchée de lui, et sachant que les Bachiades cherchaient cet enfant pour le faire périr, s'avisa de le cacher dans ce coffre. C'est le même Cypsélus qui depuis fut le tyran de Corinthe. Les Cypsélides, ses descendants, consacrèrent ce coffre à Junon Olympienne, en action de grâces de ce que l'auteur de leur nom avait été si heureusement sauvé. Le nom même de Cypsélus vient d'un mot grec, dont les Corinthiens se servaient pour signifier un coffre. Quoi qu'il en soit, il y a sur ce coffre plusieurs inscriptions en caractères fort anciens ; les unes sont composées de lignes qui vont toujours de gauche à droite, selon l'ordre naturel et communément suivi ; les autres de lignes qui vont en rétrogradant comme par sillons, à la manière dont les boeufs labourent la terre, ou dont nous voyons que le stade se double à la course : quelques-unes même sont écrites en lettres dont les traits sont si brouillés et si confus, qu'il n'est pas possible de les déchiffrer. Si vous considérez ce coffre depuis le bas jusqu'en haut, vous serez surpris de la quantité de figures que l'on a gravées dessus. Premièrement, en bas, sur le devant vous voyez Œnomaüs qui poursuit Pélops fuyant avec Hippodamie. Ils ont chacun un char attelé de deux chevaux ; mais les chevaux de Pélops ont des ailes. Ensuite vous voyez le palais d'Amphiaraüs, et une vieille qui porte dans ses bras le jeune Amphiloque. Devant la porte du palais vous distinguez Eryphile avec son collier, elle est debout, ayant à côté d'elle ses filles, Eurydice et Démnonasse, avec le petit Alcméon, qui est représenté nu. On a oublié Alcmène, s'il est vrai, comme le poète Asius le dit, qu'elle fut fille d'Amphiaraüs et d'Eryphile. Baton, l'écuyer d'Amphiaraüs, tient les rênes de ses chevaux d'une main, et une lance de l'autre. Amphiaraüs a déjà un pied sur son char : il tient son épée nue, et tourné vers sa femme ; on voit qu'il s'emporte contre elle, et que peu s'en faut qu'il ne la perce. Derrière le palais d'Amphiaraüs on célèbre des jeux funèbres en l'honneur de Pélias. Il y a une foule de spectateurs, au milieu desquels est Hercule assis sur un trône. Derrière lui est une femme qui joue de la flûte phrygienne, et l'inscription la fait connaître. Pisus, fils de Piériérès, et Astérion, fils de Cométas, montés chacun sur un char, poussent leurs chevaux dans la carrière : on dit qu'Astérion fut du nombre des Argonautes. Pollux, Admète et Euphème disputent le même prix. Si l'on en croit les poètes, cet Euphème était fils de Neptune, et il accompagna Jason à l'expédition de la Colchide. Quoi qu'il en soit, on voit que c'est lui qui remporte la victoire. D'un autre côté Admète et Mopsus, fils d'Ampyx, sont aux prises et soutiennent le combat du ceste. Au milieu d'eux est un homme qui joue de la flûte, comme il se pratique encore de notre temps, pour animer les pentathles au combat du saut. Le combat de la lutte se passe entre Jason et Pélée ; ils paraissent de force égale. Eurybote est dans la posture d'un homme qui jette son palet. Cet Eurybote, quel qu'il soit, s'est rendu célèbre dans cette espèce de combat. Mélanion, Néothée, Phalarée, Argius et Iphiclus, sont les cinq qui paraissent avoir disputé le prix de la course à pied : Iphiclus remporte le prix, et Acaste lui met une couronne sur la tête. Cet Iphiclus était le père de Protésilas qui alla au siége de Troye. On voit dans le même tableau plusieurs trépieds pour les vainqueurs. Les filles de Pélias assistent à ces jeux ; l'une d'elles est nommée dans l'inscription, c'est Alceste. Iolas, le compagnon volontaire des travaux d'Hercule, remporte le prix de la course du char à quatre chevaux, et c'est par-là que finissent les jeux funèbres de Pélias. On voit encore Hercule qui tue à coup de flêches l'hydre de la fontaine d'Amymone, et Minerve auprès de lui : aucune inscription n'indique ni le héros, ni l'entreprise ; parce que l'on ne peut s'y méprendre. La dernière peinture de ce tableau représente Phinée, roi de Thrace, et les fils de Borée qui chassent les harpies. [5,18] CHAPITRE XVIII. La face du côté gauche n'est pas moins remplie ni moins diversifiée. Vous y voyez une femme qui tient deux enfants dans ses deux bras, l'un d'un côté, l'autre de l'autre; l'un blanc, l'autre noir; l'un qui dort, l'autre qui semble dormir, tous les deux ont les pieds contrefaits. Une inscription les fait connaître : mais indépendamment de toute inscription, qui peut douter que l'un de ces enfants ne soit le Sommeil, l'autre la Mort, et que la femme qui les tient ne soit la Nuit, qui est comme la nourrice de l'un et de l'autre ? Une autre femme, de figure gracieuse, en tient une laide par le col, et de la main droite lève le bâton sur elle: c'est la Justice qui reprime et châtie l'Injustice. Deux autres femmes pilent quelque chose dans des mortiers; apparemment qu'elles étaient versées dans la pharmacie ; c'est tout ce que l'on en petit dire faute d'inscription. Mais on ne saurait être trompé à la figure qui suit. Le graveur a eu soin de marquer que c'est la belle Marpesse qu'Apollon avoit ravie à Idas, et qui d'elle-même vient retrouver son mari. Vous voyez ensuite un homme vêtu d'une tunique qui tient une coupe d'une main, et un collier de l'autre: il les présente à Alcmène, qui les reçoit; ce qui a peut-être du rapport à ce que disent les poètes grecs, que Jupiter prit la ressemblance d'Amphytrion pour tromper Alcmène. Plus loin c'est Ménélas en cuirasse, qui, l'épée à la main, poursuit Hélène, comme on dit qu'il fit après la prise de Troye. Médée est assise sur un trône, ayant Jason à sa droite, et Vénus à sa gauche. Un vers hexamètre écrit au-dessous, fait connaitre les personnages : "Médée est à Jason, Vénus ainsi l'ordonne." On voit aussi les Muses qui se disposent à chanter, et Appollon qui leur donne le ton ; l'inscription le marque par ce vers : "Au concert des neuf soeurs Apollon préludant." Dans le tableau suivant c'est Atlas qui porte le ciel et la terre sur ses épaules, comme le dit la fable. Il tient en ses mains les pommes d'or des Hespérides. L'inscription ne dit point qui est celui qui s'approche d'Atlas avec une épée à la main; mais on conjecture aisément que c'est Hercule. Après Atlas vous voyez Mars armé, qui emmène Vénus : l'inscription marque seulement le nom du dieu. Ensuite c'est la jeune Thétis: Pélée veut l'embrasser, mais Thétis un serpent à la main menace Pélée. Ce tableau finit par les soeurs de Méduse, qui poursuivent Persée dans les airs; car elles ont des ailes aussi bien que lui ; il n'est parlé que de Persée dans l'inscription. Le derrière du coffre vous présente une image de guerre. Vous voyez deux gros d'infanterie avec quelques chefs qui sont sur des chars. Une partie de ces troupes semble vouloir en venir aux mains, et vous diriez que les autres les reconnaissent et sont prêts à les embrasser. Les interprêtes ne sont pas d'accord sur le sujet de ce tableau. Les uns disent qu'il représente les Etoliens sous la conduite d'Oxylus, et rangés en bataille contre les anciens Eléens : que ces peuples se souvenant qu'ils étaient tous sortis de la même origine, mettent bas les armes, et d'ennemis qu'ils étaient deviennent amis. Les autres veulent que ce soient les Pyliens et les Arcadiens qui vont se livrer bataille auprès de Phigàlée sur le Jardan. Mais je n'approuve pas le sentiment de quelques autres, qui prétendent que l'aïeul maternel de Cypsélus, qui était Corinthien, et qui possédait ce riche coffre, eut ses raisons pour ne pas choisir un sujet tiré de l'histoire de Corinthe, et qu'il aima mieux faire graver quelque événement étranger qui d'ailleurs n'eût rien de fort mémorable. Pour moi, je hasarderai aussi ma conjecture. Cypsélus, en remontant jusqu'à la sixième génération, se trouvait originaire de Genuse, petite ville au-dessus de Sicyone. Dans mes mémoires sur Corinthe j'ai dit que Mélas, fils d'Antasus, était venu avec quelques troupes pour s'établir à Corinthe, mais qu'Aletès, à cause de je ne sais quel oracle, ne l'avait pas voulu recevoir: dans la suite Mélas fit si bien sa cour à Aletès qu'après beaucoup d'importunités, il fut enfin revu dans la ville, lui et ses troupes. C est, je crois, cet évènement que l'on a voulu représenter. [5,19] CHAPITRE XIX. Il me reste à décrire l'autre côté du coffre; c'est-à-dire, le quatrième, en prenant par la gauche. Vous voyez premièrement Borée, qui enlève Orithye : il a des queues de serpents en guise de pieds. Hercule combat contre Géryon, et l'on voit comme trois Géryons dans un même corps. Thésée qui suit, semble jouer de la lyre; Ariadne est à côté de lui et tient une couronne. Vous avez ensuite le combat d'Achille et de Memnon; ces deux héros ont leurs propres mères pour témoins de leur valeur. Celui qui suit c'est Mélanion: près de lui est Atalante, qui tient un faon. Hector et Ajax, après s'être défiés, en viennent aux mains; la Discorde se fait voir au milieu d'eux, et la figure en est hideuse. C'est cette Discorde que Calyphon de Samos a copiée lorsque dans le temple de Diane à Ephèse, il a voulu peindre le combat des Grecs auprès de leurs vaisseaux. Ensuite sont représentés les Dioscures l'un de ces frères n'a point encore de barbe ; Hélène est au milieu d'eux, et à ses pieds, Ethra, fille de Pitthéüs en habit de deuil. L'inscription est telle : "Hélène avec Ethra d'Athènes ramenée". Iphidamas, fils d'Anténor est couché par terre, et Coon, pour le venger, se bat contre Agamemnon. La Terreur est figurée par une tête de lion sur le bouclier dece prince. On lit deux inscriptions, dont l'une est ainsi conçue : "Coon venge la mort du brave Iphidamas." Et l'autre sur le bouclier d 'Agamemnon est en ces termes : "Le ferme appui des Grecs et l'effroi des mortels." A droite on voit Mercure qui présente les trois déesses à Paris, fils de Priam, pour être jugées sur leur beauté, et c'est ce que dit l'inscription. Diane vient après, tenant un léopard d'une main et un lion de l'autre; elle a des ailes aux épaules, et je n'en devine pas la raison. La peinture suivante représente Cassandre embrassant la statue de Minerve, et Ajax qui l'en arrache; voici l'inscription : "Cassandre implore en vain les secours de Minerve." Vous distinguez. ensuite les malheureux fils d'OEdipe ; on voit Polynice tombé sur ses genoux et son frère Etéocle qui lui met le pied sur la gorge; Derrière Polynice est une femme qui à ses dents aiguisées, et à ses ongles crochus paraît un monstre cruel. L'inscription dit que c'est la Mort, cette parque impitoyable, pour faire entendre que Polynice cède à la force de son destin, et qu'Etéocle est justement puni. Enfin vous voyez Bacchus couché tout de son long dans une grotte : il a de la barbe au menton ; il tient une coupe d'or à la main, et une Iongue tunique lui descend jusqu'aux talons : des ceps de vigne, des pommiers et des grenadiers tapissent l'entrée de la grotte. Le dessus du coffre est sans aucune inscription; il faut deviner le dessein de l'ouvrier par la nature des sujets qu'il a traités. Le premier qui se présente c'est un homme et une femme couchés ensemble sur un lit dans un antre; on comprend aisément que s'est Ulysse et Circé; le nombre des femmes qui attendent leur maîtresse à la porte, et l'ouvrage qu'elles font, n'en laissent pas douter; car elles sont quatre, et leur occupation est telle qu'Homère la décrit. On voit ensuite un Centaure avec des pieds d'homme par devant, et des pieds de cheval par derrière. Près de lui sont des chars attelés, et des femmes dedans. Les chevaux sont ailés, et leurs aîles sont dorées. Une de ces femmes reçoit une armure de la main d'un homme. Il y a toute apparence que cela regarde la mort de Patrocle; car je croirais que ces femmes sont des Néréides, dont l'une, qui est Thétis, reçoit de Vulcain les armes qu'il avait fabriquées pour Achille. En effet, celui qui présente ces armes paraît n'être pas bien ferme sur ses pieds, et celui qui le suit a tout l'air d'un forgeron ; il tient même des tenailles. On peut aussi croire que Centaure n'est autre que Chiron, qui déjà passé d'une vie à l'autre et mis au nombre des dieux, vient donner quelque consolation à Achille. Pour les deux filles qui suivent portées sur une espèce de char par des mulets, et dont l'une tient les rênes, l'autre a un voile sur la tête, on croit que c'est Nausicaé, fille d' Alcinoüs qui va au lavoir avec une de ses femmes. Quant à celui qui décoche des flêches contre des Centaures, et qui en tue un grand nombre, on ne peut douter que ce ne soit Hercule, et l'un de ses travaux que l'on a voulu représenter. Au reste, je n'ai jamais pu savoir ni même deviner qui a fait ce coffre. Pour les inscriptions, je puis me tromper; mais je les crois d'Eumélus de Corinthe : j'en juge par plusieurs autres de ses ouvrages, et surtout par une hymne qu'il a faite pour le dieu de Délos. [5,20] CHAPITRE XX. Dans le temple de Junon, il y a bien d'autres offrandes faites à la déesse, et dignes de curiosité. On voit entr'autres un petit lit garni d'ivoire, le palet d'lphitus, et une table sur laquelle on met les couronnes réservées aux vainqueurs. On prétend que le lit était un bijoux d'Hippodamie. A l'égard du palet d'Iphitus, les Eléens s'en servent pour indiquer les jeux olympiques avec le temps de trêve et les franchises dont ils sont toujours accompagnés. Ces lois sont écrites sur le palet, non en lignes droites comme il se pratique ordinairement, mais tout alentour et en rond. La table est d'or et d'ivoire : c'est un ouvrage de Colotes, qui était, dit -on, un descendant d'Hercule. Cependant ceux qui ont recherché l'origine des fameux ouvriers, font celui-ci natif de Paros, et disciple de Pasitèle. On voit aussi plusieurs statues de divinités ; un Jupiter, une Junon, une mère des dieux, un Apollon et une Diane. Dans la partie la plus reculée du temple, il y a une description des jeux olympiques. A l'un des côtés, vous trouvez un Esculape et un Hygéia, une statue de Mars avec la représentation d'un combat : de l'autre côté, vous voyez Pluton, Proserpine, Bacchus et deux nymphes, dont l'une tient une boule, l'autre une clef; car la clef est le symbole du dieu des enfers, et lui-même ferme si bien la porte de ces lieux souterrains, que nul de ceux qui 'y sont une fois entrés, n'en peut sortir. Je ne cois pas omettre ici ce qu'Aristarque, mon antiquaire, me conta comme une chose arrivée de son temps, et dont il avait été témoin. Lorsque les Eléens firent réparer le temple de Junon, dont la voûte menaçait ruine, on trouva entre la voûte et la couverture, le cadavre d'un homme armé en guerre et mort de ses blessures : c'était apparemment un de ces Eléens qui soutinrent le siège contre les Lacédémoniens dans l'Altis ; car ils se retirèrent dans les temples pour combattre l'ennemi de plus haut et avec avantage; cet homme percé de coups, s'était traîné là et y avait rendu l'âme. Quoi qu'il en soit, depuis tant d'années, son corps s'était conservé en entier, par la raison, comme je crois, que dans cette cache, n'étant exposé ni au chaud ni au froid, il avait peu souffert de l'impression de l'air. Aristarque me dit que ce corps avait été transporté hors de l'Altis, et inhumé avec ses armes. En allant du grand autel au temple de Jupiter, on trouve une colonne de bois, que les Eléens appellent la colonne d'Oenomaüs; c'est à gauche. Quatre autres colonnes soutiennent le plafond de ce côté-là, et servent aussi d'appui à la colonne de bois, tellement cariée de vétusté, qu'on a été obligé de la revêtir de cercles de fer. On dit que c'était autrefois une colonne du palais d'Oenomaüs, et que ce fut tout ce qui en resta, lorsque ce palais fut brûlé par le feu du ciel ; des vers gravés sur une lame de cuivre, attestent cette particularité : "Seule d'un grand palais à la flamme échappée, pour un plus simple emploi je fus ici portée. Les fers succédèrent à mon premier malheur, Mais je fais de ces fers ma gloire et mon bonheur." Dans le temps que j'étais à Olympie, un sénateur romain ayant remporté le prix aux jeux olympiques, voulut placer sa statue avec une inscription, pour laisser un monument de sa victoire. En creusant la terre auprès de la colonne d'Œnomaüs, on trouva des débris de chars, de morts, de boucliers et d'armes de toute sorte, que j'eus tout le temps de considérer. Je ne dois pas oublier un grand temple dont l'architecture est dorique. Les Eléens disent que c'est un temple de la mère des dieux, quoique l'on n'y voie aucune statue de cette déesse; car, pour moi, je n'y ai vu que des statues d'empereurs romains. Le temple est dans l'Altis, tout auprès d'une chapelle que l'on nomme la rotonde de Philippe, parce qu'en effet elle est bâtie en rotonde. Un gros pavot de bronze sert de lien et de clef à la voûte. Cette chapelle est à l'extrêmité de l'Altis, et à gauche du prytanée : elle est de briques, et soutenue de tous côtés par des colonnes. Philippe la fit bâtir après cette grande victoire qu'il remporta sur les Grecs à Chéronée. On y voit de magnifiques statues d'or et d'ivoire faites par Léocharès ; ce sont les statues de Philippe, d'Alexandre et d'Amyntas, père de Philippe : Olympias et Eurydice y avaient aussi les leurs. [5,21] CHAPITRE XXI. Il me faut maintenant parler de plusieurs autres monuments qui sont consacrés dans l'Altis ; quoique le nombre en soit grand, je tacherai d'éviter la confusion : car il n'en est pas comme de la citadelle d'Athènes, où tout ce que l'on voit est également consacré aux dieux. Dans l'Altis, parmi les divers monuments dont il est rempli, les uns sont faits en vue d'honorer les dieux, les autres se rapportent aux hommes, à qui l'honneur d'une statue tient lieu de récompense. Je parlerai des uns et des autres ; mais il faut commencer par ce qui regarde les dieux. En allant du temple de la mère des dieux au stade, quand on est au pied de la montagne de Saturne, on trouve sur la gauche une balustrade de pierre, d'où le terrain s'élève insensiblement jusqu'à la montagne, par des marches faites de main d'homme. Là sont placées six statues de Jupiter, qui toutes six sont de bronze, et qui ontété faites du produit des amendes auxquelles ont été condamnés des athlètes qui avaient usé de fraude et de supercherie pour remporter le prix aux jeux olympiques. Ces statues sont nommées en langage du pays les six Zanès : elles furent posées en la quatre-vingt-dix-huitième olympiade; car ce fut en ce temps-là qu'Eupolus, thessalien, corrompit ceux qui se présentaient avec lui pour le combat du ceste ; savoir, Agétor, d'Arcadie; Prytanis, de Cysique; et Phormion, d'Halicarnasse, qui, l'olympiade précédente, avait été couronné. Ce sont les premiers, à ce que l'on dit, qui ont introduit la fraude dans les jeux olympiques, et les premiers aussi que les Eléens ont condamnés à l'amende : Eupolus pour avoir donné de l'argent, et les trois autres pour en avoir reçu. De ces six statues, Cléon de Sicyone en a fait deux; les quatre autres, je ne sais de qui elles sont. La troisième et la quatrième n'ont point d'inscription; aux autres il y a des vers élégiaques. Ceux de la première avertissent que le prix des jeux olympiques s'acquiert, non par argent, mais par légèreté des pieds et par la force du corps. Ceux de la seconde disent que la statue a été érigée à Jupiter par un motif de religion, et pour faire craindre aux athlètes la vengeance du dieu, s'ils osent violer les loix qui leur sont prescrites. L'inscription de la cinquième est un éloge des Éléens, surtout pour avoir noté d'infamie ceux qui avaient voulu tromper au combat du ceste. Les vers qui sont au bas de la sixième, disent que la consécration de ces statues avertit les Grecs que ce n'est pas par des largesses qu'il faut chercher à vaincre dans les combats institués en l'honneur de Jupiter Olympien. Depuis la condamnation d'Eupolus, on dit que Calippe, athénien, acheta des antagonistes le prix du pentathle : cela arriva en la cent deuxième - olvmpiade. Les Eléens ayant mis à l'amende Callippe et ses complices, Nypéride, député des Athéniens, vint demander grâce pour les coupables. Sur le refus des Eléens, les Athéniens défendirent à Calippe de payer cette amende, et furent exclus des jeux olympiques, jusqu'à ce qu'ayant envoyé consulter l'oracle de Delphes, il leur fut déclaré que le dieu n'avait aucune réponse à leur rendre, qu'au préalable ils n'eussent donné satisfaction aux Eléens. Alors ils se soumirent à l'amende dont on eut six autres statues de Jupiter, avec des inscriptions en vers, qui n'étaient pas moins sévères que les précédentes. La première portait que ces six statues avaient été érigées à Jupiter en conséquence d'un oracle de Delphes, qui confirmait l'arrêt rendu par les Eléens contre la fraude et la mauvaise foi des pentathles. La seconde et la troisième contenaient un éloge de la sévérité des Eléens. La quatrième disait que c'était par le mérite et non par les richesses, qu'il fallait disputer le prix des jeux olympiques. La cinquième exposait à quelle occasion les six statues avaient été placées, et la sixième renfermait l'oracle de Delphes tel qu'il avait été rendu aux Athéniens. Outre ces six statues, il y en a encore deux, où il est fait mention d'une amende imposée pour cause de prévarication dans le combat du palet : ni mes antiquaires, ni moi, n'avons pu savoir le nom des prévaricateurs, quoique ces deux statues aient aussi des inscriptions. Par la première, on voit que les Rhodiens ont été taxés à une somme d'argent, pour expier le crime d'un de leurs citoyens, qui avait voulu gagner le prix du palet en corrompant ses adversaires; et par la seconde, que la statue avait été faite aux dépens de ceux qui ne pouvant vaincre au palet par la force et par l'adresse, avaient eu la témérité de tenter de mauvaises voies. Les autres statues, à ce que me dirent les antiquaires, ont été consacrées en la cent soixante-dix-huitième olympiade, à l'occasion d'Eudélus, qui avait recu de l'argent de Philostrate, pour lui laisser remporter le prix du pancrace et de la lutte; et selon eux, ce Philostrate était de Rhodes. Mais cela ne s'accorde pas avec les registres publics, où les Éléens ont soin de marquer les noms de tous ceux qui ont été vainqueurs aux jeux olympiques : car suivant ces registres, que j'ai vus, ce fut Straton d'Alexandrie, qui, en cette olympiade, eut le prix du pancrace et de la lutte dans un même jour. Alexandrie est une ville bâtie par Alexandre, fils de Philippe, auprès de cette bouche du Nil, qui est près de Canope ; mais avant Alexandre, les Egyptiens avaient dans le même lieu, une petite ville qu'ils appelaient Rhacotis. Avant Straton, trois athlètes avaient été victorieux au combat du pancrace et de la lutte, et trois autres le furent après lui. Le premier fut Caprus, éléen ; le second, Aristomène, de Rhodes, ou de cette partie de la Grèce qui est au-delà de la mer Egée; le troisième, Protophane de Magnésie; le quatrième fut Straton lui-même. Ensuite il y eut Marion d'Alexandrie; Aristée, de Stratonice, ville autrefois nommée Chrysaoris; et enfin Nicostrate, de la côte de Cilicie, lequel pourtant n'avait de Cilicien que le langage : car ce Nicostrate, d'une naissance assez distinguée, avait été amené tout jeune de Prymnesse, ville de Phrygie, par des corsaires qui le vendirent à un homme d'Egées. Cet homme, quelque temps après, eut un songe où il lui semblait voir un jeune lionceau couché sous le lit du petit Nicostrate, présage de ce qui devait arriver un jour à cet enfant car devenu grand, il fut un fameux athlète, qui remporta plusieurs fois le prix du pancrace et de la lutte aux jeux olympiques. En la deux cent soixante et dix-huitième olympiade, les Eléens mirent à l'amende plusieurs athlètes, et entr'autres un qui voulait disputer le prix du pugilat. C'était Apollonius d'Alexandrie, surnommé Ranthi, car les Alexandrins prennent volontiers des surnoms. Il fut le premier Egyptien que les Eléens condamnèrent, non pour avoir donné ou reçu de l'argent, mais pour ne s'être pas rendu à Olympie dans le temps porté par la loi : il eut beau dire qu'il avait été retenu aux Cyclades par les vents contraires. Héraclide, son compatriote, fit voir la fausseté de cette excuse, et qu'Apollonius n'était arrivé trop tard que pour s'être voulu trouver aux jeux publics d'Ionie, et y gagner de l'argent; c'est pourquoi les Eléens l'exclurent des jeux olympiques, lui et tous ceux qui étaient dans le même cas, et ils décernèrent à Héraclide une couronne qui ne lui coûta aucune peine. Dans le temps qu'il la mettait sur sa tête, Apollonius, piqué de cet affront, tout armé qu'il était pour le combat du pugilat, courut sur lui et le poursuivit jusques dans les sièges des juges, attentat dont il fut bien puni dans la suite. Il y a encore deux statues qui ont été mises de nos jours; car en la deux cent vingt-sixième olympiade on surprit deux athlètes qui s'entendaient ensemble pour le prix de la lutte : on les condamna à une grosse amende, et de cette amende on fit faire deux statues de Jupiter, dont l'une est à gauche, l'autre à droite sur le chemin qui mène au stade. L'un des athlètes avait nom Didas, et l'autre, qui avait donné l'argent, s'appelait Garapammon ; ils étaient tous deux Egyptiens du gouvernement de l'Arsinoïde. On peut trouver surprenant que des étrangers respectassent assez peu la majesté suprême de Jupiter Olympien, pour oser ainsi violer les lois des jeux olympiques ; mais il est encore plus étrange que des Eléens les violassent eux-mêmes : c'est néanmoins ce qui arriva en la cent quatre-vingt-douzième olympiade. Le jeune Polyctor, fils de Damonique, éléen, et le jeune Sosandre, fils de Sosandre de Smyrne, devaient lutter l'un contre l'autre. Damonique souhaitant passionnément que son fils pût être couronné, gagna le jeune Sosandre par des présents, et l'engagea à se laisser vaincre. Les juges, informés de cet indigne trafic, punirent, non les enfànts, mais les pères, comme coupables de cette supercherie ; et l'amende qu'ils payèrent servit à avoir les deux statues dont je parle. L'une est placée dans le lieu d'exercice des Eléens, l'autre dans l'Altis, devant un portique qu'ils nomment encore le Pécile, à cause des peintures qui y étaient autrefois; d'autres l'appellent le portique de l'écho, parce qu'il y a un écho qui rend les paroles jusqu'à sept fois. Enfin, en la deux cent unième olympiade, un pancratiaste d'Alexandrie, nommé Sérapion, eut si grande peur de ses antagonistes, que la veille du combat il s'enfuit. C'est le seul que les Eléens aient été obligés de punir pour un pareil sujet. Au reste, toutes les statues dont j'ai parlé jusqu'ici, ont été érigées pour les causes que j'ai dites. [5,22] CHAPITRE XXII. Mais on voit plusieurs autres statues de Jupiter, qui ont été faites tant aux dépens des villes que des particuliers. Dans l'Altis, près du chemin par où l'on va au stade, est un autel qui ne sert jamais aux sacrifices : il est fait pour les joueurs de flûte et pour les hérauts qui se placent là et disputent entr'eux le prix de leur art. Auprès de cet autel il y a un Jupiter haut de six coudées sur un scabelon de bronze. Le dieu tient de ses deux mains un foudre. Cette statue a été donnée par les Cynéthéens : celle qui suit est un Jupiter, que l'on a représenté dans la première jeunesse avec un collier et sans barbe : c'est un présent de Cléolas de Phliasie. Près de la chapelle d'Hippodamie on voit un très beau piédestal de marbre, en ferme de demi-cercle. Au milieu du piédestal est un Jupiter entre l'Aurore et Thétis, qui implorent l'assistance du dieu pour leurs enfants. Sur les côtés de la base quatre Grecs et quatre Barbares en posture de combattants sont tournés les uns vers les autres; savoir, Hélénus et Ulysse comme les deux plus sages de l'une et de l'autre année; Pâris et Ménélas à cause de leur ancienne haine ; Enée et Diomède; Ajax, fils de Télamon et Deiphobe; ces statues sont de Lycius, fils de Myron. Une inscription, qui est aux pieds du Jupiter, apprend qu'elles ont été consacrées par les habitants d'Apollonie, ville bâtie par Apollon sur le bord de la mer Ionienne, et que ces peuples y ont employé la dixième partie des dépouilles qu'ils avoient remportées sur les Abantes et sur la ville de Thronium. Par la ville de Thronium et par les Abantes dont il est parlé, on entend une ville et des peuples de la Thesprotie d'Épire vers les monts Cérauniens : car la flotte des Grecs, en revenant de Troye, ayant été dispersée par la tempête, les Locriens de Thronium, sur le fleuve Boagrius, et les Abantes de l'isle Eubée, avec leurs huit vaisseaux, échouèrent à la côte des monts Cérauniens. Là ils bâtirent une ville qu'ils appelèrent aussi Thronium, et ils donnèrent le nom d'Abantide au pays qu'ils occupèrent. Dans la suite ils furent chassés par les Apolloniates leurs voisins. Apollonie, selon d'autres, est une colonie de Corcyréens, et selon quelques-uns, c'est une colonie de Corinthiens, qui ayant chassé les anciens habitants, profitèrent de leurs dépouilles. Un peu plus loin on trouve un autre Jupiter tourné vers le soleil levant : il a une couronne de lys sur la tête, et tient une aigle d'une main, et un foudre de l'autre. C'est une offrande des Métapontins. L'ouvrage est de la façon d'Aristonoüs de l'isle d'Egine : je ne sais ni qui a été le maître de ce statuaire, ni même en quel temps il a vécu. Les Phliasiens ont aussi consacré plusieurs statues qui représentent Jupiter, les filles d'Asopus et Asopus lui-même. Voici l'ordre dans lequel ces statues sont rangées. La première est Némée, l'aînée des filles d'Asopus ; ensuite Egine, et auprès d'elle Jupiter qui la caresse; suit Harpine qui, si l'on en croit les Eléens et les Phliasiens, fut aimée du dieu Mars et eut de lui Œnomaüs, qui régna à Pise. Après Harpine c'est Corcyre, qui est suivie de Thébé; et en dernier lieu, Asopus. On dit que Neptune devint amoureux de Corcyre, et Pindare nous fait entendre que Thébé ne fut pas indifférente à Jupiter. Des Léontins ont aussi érigé une statue à Jupiter Olympien, non au nom de leur ville, mais au leur propre. Jupiter haut de sept coudées tient une aigle de la main gauche et un javelot de la droite, suivant les idées des poètes; ces Léontins furent Hippagoras, Phrynon, et Enésidème ; mais je crois que cet Enésidème est différent de celui qui devint le tyran de Léontium. [5,23] CHAPITRE XXIII. Quand on a passé le chemin qui mène au sénat, on trouve un Jupiter qui est sans aucune inscription. Si vous tournez ensuite du côté du septentrion, vous verrez encore un Jupiter qui regarde le soleil levant. Cette statue fut dédiée par tous les peuples de la Grèce qui avaient combattu à Platée contre Mardonius général de l'armée des Perses. Les noms de ces peuples et de toutes les villes qui eurent part à cette glorieuse journée, sont gravés sur la surface du piédestal qui est à main droite. Les Lacédémoniens sont les premiers, ensuite les Athéniens, puis les Corinthiens et les Sicyoniens, en cinquième lieu les Eginètes. Après les Eginètes viennent les Mégaréens et Ies Epidauriens. Parmi les peuples d'Arcadie on nomme les Tégéates et les Orchoméniens, ensuite les Phliasiens, ceux de Throezène et ceux d'Hermioné. Des confins d'Argos il n'y a que les Tirynthiens de nommés, comme de tous les peuples de la Béotie il n'y a que ceux de Platée. Parmi les Argiens, ceux de Mycènes sont aussi les seuls. Entre les insulaires on nomme ceux de Chio et ceux de Milet. Les Ambraciotes étaient venus de la Thesprotie d'Epire : on nomme aussi ceux de Ténos les Lépréates sont les seuls de la Triphylie. Mais des peuples qui habitent les environs de la mer Egée et les Cyclades, ceux de Ténos ne sont pas les seuls; car on nomme encore ceux de Naxi et ceux de Cythnos. Il est même fait mention des Styréens, peuples de l'Eubée. Ensuite on vient aux Eléens, à ceux de Potidée, aux Anactoriens ; ceux de Chalcis sur l'Euripe sont les derniers. Du nombre des villes qui ont place dans cette inscription, plusieurs sont aujourd'hui détruites: car les Argiens rasèrent Mycènes et Tirynthe, incontinent après que les Perses eurent été chassés de Grèce. Les Ambraciotes et les Anactoriens, qui étaient des colonies de Corinthiens, furent transférés à Nicopolis, sur le promontoire d'Actium, par Auguste. Pour ceux de Potidée, après avoir été chassés deux fois de leur ville, la première par les Athéniens, la seconde par Philippe, fils d'Amyntas, ils furent rétablis par Cassander; mais la ville changea de nom et s'appela Cassandrie, du nom de son restaurateur. Cette statue fut donc faite et posée dans le bois sacré de Jupiter â Olympie, aux dépens et au nom de tous ces peuples. C'est un ouvrage d'Anaxagore d'Egine, dont pourtant ceux qui ont écrit l'histoire de Platée ne font aucune mention. Devant la statue de Jupiter il y a une colonne de bronze, sur laquelle est gravé un traité d'alliance entre les Athéniens et les Lacédémoniens pour l'espace de trente ans. Les Athéniens firent ce traité après avoir conquis pour la seconde fois toute l'Eubée, la troisième année de l'olympiade où Grison d'Himéra remporta le prix du stade. Le traité porte que la ville d'Argos n'est point comprise dans les conditions, mais que cependant les Athéniens et les Argiens auront la liberté de faire alliance entr'eux, s'ils le jugent à propos. Près du char de Cléosthène, dont il sera parlé dans la suite, on voit encore une statue de Jupiter, qui a été donnée par les Mégaréens, et faite par deux frères, Thylacus et Onéthus, et par leurs enfants. Je n'ai pu savoir en quel temps ils vivaient, ni de quel pays ils étaient, ni sous quel maître ils avaient appris leur art. Auprès du char de Gélon il y a un Jupiter debout qui tient un sceptre. Cette statue est d'un goût fort ancien : on dit que c'est un présent des Hybléens. Pour moi, je connais deux villes d'Hybla en Sicile, l'une surnommée Galéotis, l'autre la Grande, parce qu'en effet c'était la plus grande. Toutes deux conservent encore leur nom; mais l'une bâtie aux environs de Catane, est aujourd'hui entièrement déserte, et l'autre qui n'en était pas loin, n'est plus qu'un village, où néanmoins il s'est conservé un temple célèbre dans la Sicile, dédié à la déesse Hybléa : je croirais que ce sont les habitants de cette dernière, qui ont autrefois transporté à Olympie la statue dont je parle; et ce qui me le fait croire, c'est que Philippe, fils d'Archoménide, nous représente ces peuples comme versés dans l'interprétation des songes et des prodiges, et comme beaucoup plus religieux que les autres barbares de la Sicile. Après ce monument de la piété des Hybléens, vous trouvez un prodigieux scabelon de bronze, sur lequel est une statue colossale de Jupiter, haute, à ce qu'il m'a paru, de dix-huit pieds. Une inscription en vers élégiaques dit que les Clitoriens ayant pris plusieurs villes, consacrèrent à Jupiter la dixième partie de leurs dépouilles, en lui offrant cette statue, faite par Télétas et par Ariston, qui étaient frères. Je crois que ces deux statuaires, Spartiates de nation, n'étaient pas fort célèbres en Grèce ; car les Eléens m'en auraient parlé, et encore plus les Lacédémoniens, qui ne se seraient pas tus sur le mérite de leurs compatriotes. [5,24] CHAPITRE XXIV. On trouve ensuite un autel consacré à Jupiter et à Neptune, l'un et l'antre surnommés Plébéens ou amis du peuple. Près de cet autel est un Jupiter de bronze, sur un piédestal de même matière; c'est une offrande du peuple de Corinthe, et un ouvrage de Musus : ce Musus ne m'est pas autrement connu. Si du sénat vous allez au grand temple, vous verrez sur votre gauche un autre Jupiter qui tient un foudre de sa main droite. Il a sur la tête une couronne qui imite fort bien les fleurs : cette statue est d'Ascarus de Thèbes, élève d'un célèbre Sicyonien. On dit que les Thessaliens firent ce présent à Jupiter après la guerre qu'ils eurent contre les Phocéens, et que ce fut une portion des dépouilles remportées sur l'ennemi. Cette guerre arriva avant que Xerxès vint en Grèce ; ainsi ce n'est pas de la guerre sacrée, comme on l'a nommée, que je prétends parler. A quelques pas de-là, autre statue de Jupiter, donnée par les Psophidiens, après l'heureux succès d'un combat, comme on l'apprend par l'inscription. Près du grand temple, à droite, vous voyez un Jupiter qui est tourné vers l'orient; il a douze pieds de haut. Cette statue fut consacrée par les Lacédémoniens, lorsque les Messéniens, qu'ils avoient domptés, secouèrent le joug pour la seconde fois : ces deux vers qui servent d'inscription en font foi : "Puissant fils de Saturne accepte cet hommage, Soit favorable à Sparte et soutien son courage." Nul Romain que je sache, ni patricien, ni plébéien, n'avait encore fait d'offrandes dans aucun temple des Grecs avant Mummius. Ce fut Mummius, qui le premier, des dépouilles remportées sur les Achéens, consacra une statue de bronze à Jupiter dans Olympie. Cette statue est à gauche de celle des Lacédémoniens, tout contre la première colonne du temple. Mais de toutes les statues de bronze qui sont dans l'Altis, la plus grande est un colosse de Jupiter de vingt-sept pieds de hauteur, posé par les Éléens après la guerre qu'ils eurent contre les Arcadiens. Près du temple de Pélops, on voit une colonne de hauteur médiocre. Sur cette colonne est une petite statue de Jupiter avec une main avancée. Vis-à-vis on a placé de suite plusieurs statues, parmi lesquelles vous en voyez une de Jupiter et une de Ganymède. Homère dit dans l'Iliade, que Ganymède fut enlevé par les dieux pour servir à boire à Jupiter, et qu' en récompense Jupiter donna de fort beaux chevaux à Tros, père du jeune échanson. C'est un Thessalien, nommé Gnothis, qui a dédié ces deux statues, et c'est Aristocle, fils et disciple de Cleoetas, qui les a faites. Là même est un Jupiter encore jeune et sans barbe : il fait partie de plusieurs autres présents attribués à Smicythus. Je dirai dans la suite qui était ce Smicythus, et pourquoi il a fait tant de riches offrandes à Jupiter. Sur le même chemin, en avançant un peu, vous trouvez encore un Jupiter sans barbe : c'est un don des Elaïtes, peuples qui des bords du Caïque, sont descendus vers la mer, et ont occupé l'Eolie. Cette statue est suivie d'une autre. L'inscription porte que ce sont les Gnidiens, habitants de la Chersonèse, qui en érigeant ce monument, ont voulu consacrer à Jupiter une partie du butin qu'ils avaient fait sur leurs ennemis. Ils ont mis auprès de Jupiter, d'un côté Pélops, de l'autre le fleuve Alphée. Gnide, ville de Carie, est pour la plus grande partie dans le continent, et la Chersonèse est une isle jointe par un pont au continent de la Carie. Je crois donc que ce sont les insulaires qui ont fait présent de cette statue à Jupiter, comme ces Ephésiens qui habitent Corèse en ont donné une en leur propre et privé nom. Près des murs de l'Altis, vous verrez un Jupiter tourné vers l'occidént. La statue est sans inscription; mais on croit que c'est Mummius qui a fait encore ce présent, après avoir heureusement terminé la guerre d'Achaïe. Dans le sénat il y a un Jupiter Horcius ; qui a un air terrible et tout propre à donner de la crainte aux perfides et aux méchants. Il tient un foudre de l'une et de l'autre main. C'est en sa présence que tous les athlètes, leurs pères leurs frères et leurs maîtres d'exercice jurent solemnellementqu'ils ne commettront aucune fraude dans la poursuite du prix des jeux olympiques. On immole un porc, on le met en pièces, et c'est sur les membres de la victime que l'on fait prêter ce serment. Les athlètes jurent aussi qu'ils ont employé dix mois entiers à apprendre l'espèce d'exercice et de combat pour lequel ils se présentent. Ceux qui sont établis pour examiner les enfants qui doivent combattre, et les jeunes poulains dont on veut se servir, jurent qu'ils ne se laisseront point corrompre, que rien. ne les empêchera de décider selon la justice et la conscience, et qu'ils garderont le secret sur les raisons qui leur auront fait approuver les uns et rejeter les autres. Je ne songeai point à demander à mes antiquaires ce que l'on faisait de la victime après ce serment. Je sais seulement en général que c'est une très ancienne coutume que de ne point manger d'une victime sur laquelle on a fait un serment. Homère nous en fournit une preuve, lorsqu'il dit que le héraut Talthybius jeta dans la mer ce porc sur lequel Agamemnon jura qu'il n'avait jamais pris aucune familiarité avec Briséis. C'était l'usage de l'ancien temps. Sous les pieds de Jupiter Horcius est un quadre de bronze, où l'on a gravé des vers élégiaques, qui contiennent des imprécations contre ceux qui se parjurent. Voilà un détail très exact de toutes les statues de Jupiter qui se voient dans l'Altis car pour celle qui est auprès du grand temple, c'est un Corinthien qui l'a consacrée, non pas un Corinthien de l'ancienne Corinthe, mais depuis que la ville a été rétablie et repeuplée par César ; et sous la forme de Jupiter, c'est Alexandre, fils de Philippe, que l'on a voulu représenter. [5,25] CHAPITRE XXV. Il me faut aussi faire mention des statues qui ont quelque rapport à Jupiter, non immédiatement par leur ressemblance avec le dieu, mais seulement par le motif de religion qui les a fait ériger. Car je distingue celles-là des statues dont la consécration se rapporte uniquement à la gloire des hommes, et dont je parlerai aussi en donnant la liste des célèbres athlètes. Ces Messéniens qui habitent près du détroit de Sicile, ayant envoyé, suivant leur coutume de temps immémorial, une troupe de trente-cinq enfants, avec leur maître de musique et un joueur de flûte, pour assister à une fête que ceux de Rhegium célèbrent tous les ans avec beaucoup de solemnité, il arriva que le vaisseau qui les portait périt sans qu'il s'en pût sauver un seul. Ce bras de mer est en effet très dangereux; les vents qui soufflent de la mer Adriatique d'un côté, et de la mer Tyrrhénienne de l'autre, soulevant les flots du détroit, y excitent de furieuses tempêtes. Et lors même que les vents sont tombés, ce bras de mer reste si agité, d'ailleurs, il est si plein de monstres marins, que les passagers qui y font naufrage, perdent toute espérance de salut. Si Ulysse fit naufrage dans ce détroit, il ne se sauva et n'aborda en Italie que par le secours des dieux, dont la protection peut aisément nous tirer des plus grands dangers. Les Messéniens pleurèrent la mort de ces enfants, et entr'autres honneurs qu'ils rendirent à leur mémoire, ils érigèrent une statue de bronze à chacun d'eux dans le bois sacré de Jupiter à Olympie, sans oublier ni le maître de musique, ni le joueur de flûte. Une vieille inscription porte que c'est un monument des Messéniens qui habitent près du détroit. Dans la suite des temps, Hippias, qui était en grande réputation de sagesse parmi les Grecs, fit une autre inscription en vers élégiaques. Ces statues sont de Callon, éléen. En Sicile, vers le promontoire Pachynum, qui est au midi et qui regarde la Lybie, il y a une ville nommée Motye, qui est peuplée de Phéniciens et de Libyens. Les Agrigentins avant fait la guerre à ces barbares et pris leur ville, employèrent une partie des dépouilles à représenter en bronze de jeunes enfants qui tendent les bras comme pour implorer le secours du ciel; puis ils consacrèrent ces statues à Jupiter Olympien : elles sont le long des murs du bois sacré; je les crois de Calamis, et elles passent pour telles. Quant à la Sicile, elle est peuplée de plusieurs nations, grecques et barbares. Les nations barbares sont : les Sicaniens et les Sicules, qui y sont descendus d'Italie; les Phrigiens, qui y sont venus des rives du Scamandre et de la Troade ; les Phéniciens et les Libyens, qui ont aussi passé dans cette isle, lorsque les Carthaginois y envoyèrent une colonie. Les Grecs sont des Doriens, des Ioniens, avec quelque mélange de Phocéens et d'Athéniens. Ce monument des Agrigentins est placé auprès des murs de l'Altis avec deux statues d'Hercule, jeune et tout nu : l'une le représente, tuant à corps de flêches le lion de la forêt de Némée. L'Hercule et le lion sont de Nicodamus, et c'est Hippotion de Tarente qui en a fait présent ; l'autre a été donnée par Anaxippe de Mende. Les Eléens l'ont transportée en ce lieu ; car autrefois elle était au bout du chemin qui mène d'Elis à Olympie, et que l'on nomme la voie sacrée. Tous les peuples d'Achaïe, à frais communs, ont consacré à Jupiter autant de statues qu'il y eut de Grecs qui tirèrent au sort pour voir à qui combattrait contre Hector, qui leur avait fait un défi. Ces illustres Grecs sont rangés sur un même piédestal près du grand temple : ils sont armés de piques et de boucliers. Vis-à-vis est Nestor sur un piédestal à part, qui jette leur nom dans un casque; car ils furent neuf qui tirèrent au sort, mais il ne paraît que huit statues, parce que Néron, à ce que l'on prétend, transporta celle d'Ulysse à Rome. Agamemnon est le seul dont le nom soit marqué, et son nom est écrit contre I'ordre naturel de la droite à la gauche. Celui sur le bouclier de qui l'on voit un coq pour symbole, c'est Idoménée, petit-fils de Minos, et qui par sa mère Pasiphaé, descendait du soleil ; car le coq est regardé comme un oiseau consacré au soleil, parce qu'il annonce le lever de cet astre. Deux vers élégiaques, gravés sur le bronze, disent que ce sont les Achéens, peuples descendus du divin Pélops, fils de Tantale, qui ont fait présent de ces belles statues à Jupiter; et deux autres nous apprennent que c'est le célèbre Onatas d'Egine, fils de Mycon, qui les a faites. Près de ce monument des Achéens, on voit un Hercule qui combat pour un bouclier contre une amazone représentée à cheval. Evagoras de Zancle, a donné cet Hercule, et c'est un ouvrage d'Aristocle Cydoniate : cet AristocIe est au nombre des plus anciens statuaires; on ne peut pas même dire en quel siècle il florissait. On sait seulement que cette statue a été posée avant que Zancle eut le nom de Messène, comme elle l'a aujourd'hui. Ceux de Thase ont aussi fait don d'un Hercule de bronze avec son piédestal. Ces peuples sont originairement Phéniciens; car, sortis de Tyr et des autres endroits de la Phénicie, ils s'embarquèrent avec Thasus, fils d'Agénor, pour aller chercher Europe. L'Hercule qu'ils ont dédié à Jupiter Olympien, est haut de dix coudées : il tient de la main droite une massue, et de la gauche un arc. J'ai ouï dire à Thase, que du commencement, l'Hercule qu'ils honoraient était l'Hercule de Tyr; mais que dans la suite, ayant eu commerce avec les Grecs, ils avaient aussi honoré leur Hercule, fils d'Amphytrion. Quoi qu'il en soit, deux vers élégiaques qui servent d'inscription à la statue, ne laissent pas douter que ce ne soit un ouvrage d'Onatas, fils de Micon, et natif d'Egine . c'était un excellent statuaire, que je ne crois inférieur à aucun de ceux qui ont paru depuis Dédale, ou qui sont sortis de l'école d'Athènes, [5,26] CHAPITRE XXVI. Vous verrezencore une statue de la Victoire posée sur une colonne ; elle est de la façon de Péonius de Mende: c'est un monument de ces Messéniens descendus des Doriens, qui reçurent Naupacte de la libéralité d'Athènes. Je le crois fait des dépouilles remportées sur les Acarnaniens et les Oeniades mais si l'on s'en rapporte aux Messéniens, c'est le tribut qu'ils payèrent à Jupiter après la victoire par eux remportée dans l'Isle Sphactérie ; et la preuve qu'ils en donnent c'est que s'il s'était agi des Acarnaniens et des Œniades, ils n'auraient pas hésité à marquer le nom de ces peuples, sans craindre de les offenser; au lieu que s'agissant d'ennemis tels que les Lacédémoniens, ils ont voulu les ménager, et ont mieux aimé ne point mettre d'inscription à la statue. Enparcourant le bois sacré, j'y ai trouvé des présents de Smicythus, épars de tous côtés : mais après la statue d'Iphitus et celle d'Ecéchiria, qui de sa main couronne ce héros, vous voyez de suite plusieurs statues données par ce même Smicythus, une Amphytrite, un Neptune, une Vesta, tous ouvrages de Glaucus d'Argos ; et sur la gauche du grand temple, une Proserpine, une Vénus, un Ganymède, une Diane, Homère et Hésiode; l'élite des poètes, ensuite un Esculape et une Hygeia; enfin le dieu Agon que vous reconnaissez à deux contre-poids d'athlètes qu'il porte entre ses mains. Ces contre-poids sont faits en manière de demi-cercle, non parfaitement rond, mais un peu ovale, et au défaut du cercle il a un endroit par où l'on passe les doigts comme entre les courroies d'un bouclier. Après le dieu Agon, est un Bacchus, un Orphée, et ce Jupiter dont j'ai déjà parlé. Toutes ces statues sont de Denys d'Argos. On prétend que Smicythus en avait donné plusieurs autres, que Néron a enlevées. On ne dit point de quelle école étaient ces deux statuaires d'Argos, Dionysius et Glaucus : pour le temps où ils ont vécu, on en peut juger par le temps du pieux et riche personnage qui les a employés : car Hérodote nous apprend que Smicythus fut premièrement domestique d'Anaxilas, tyran de Rhegium; qu'ensuite il devint son intendant, et qu'après la mort de son maître, il se retira à Tégée. On voit, par plusieurs inscriptions, qu'il était fils de Choerus, qu'il naquit à Rhegium, et que Messine, sur le détroit, fut le lieu de son domicile : par d'autres, on voit qu'il demeurait à Tégée. La plupart de ses riches présents n'étaient que l'accomplissement d'un voeu qu'il avait fait à Jupiter pour obtenir la guérison de son fils, malade de phtisie. Les dons qu'il a faits, sont de deux espèces, les uns plus considérables, de la façon de Glaucus d'Argos, les autres moins, de la main de Denys. Auprès des premiers, on a placé une Minerve qui a son casque et son égide. Cette statue est une offrande des Eléens, et c'est Nicodamus de Ménale qui l'a faite. A côté de Minerve est une Victoire donnée par ceux de Mantinée, après une guerre dont le succès fut heureux : l'inscription ne dit point quelle guerre c'était. Cette Victoire passe pour être de Calamis, qui ne lui a point donné d'ailes, ayant pris pour modèle celle qui est à Athènes et qui n'est point ailée. Auprès des seconds, on voit une partie des travaux d'Hercule, son combat contre le lion néméen, et contre l'hydre, son entreprise sur le cerbère, et sa victoire sur le sanglier qui infestait les bords du fleuve Erymanthe. Tontes ces statues d'Hercule furent données par les Héracléotes, après qu'ils eurent ravagé le pays des Mariandyniens, qui étaient des barbares limitrophes. Héraclée est une ville sur le Pont-Euxin, bâtie par une peuplade de Mégaréens et de Tanagréens, qui vint s'établir la. Vis-à-vis de ces dernières statues, vous en voyez un grand nombre d'autres qui se suivent ; elles sont au midi et tout contre le temple de Pélops. [5,27] CHAPITRE XXVII. Les plus dignes de curiosité sont celles qui ont été consacrées par Phormis. C'était un Ménalien, qui, ayant passé en Sicile, s'attacha à Gélon, fils de Dinoène; puis à Hiéron, frère de Gélon: il acquit beaucoup de gloire à la guerre, sous ces deux princes; et parvenu à une grande fortune, il fit de riches présents, non seulement à Jupiter Olympien, mais aussi à Apollon de Delphes. On voit entr'autres à Olympie, deux beaux chevaux de bronze; ils ont chacun un palfrenier qui les tient par la bride. Denys d'Argos, a fondu l'un, et Simon d'Egine a fondu l'autre. Sur le flanc du premier on a grave une inscription qui porte que c'est Phormis, arcadien, natif de Ménale, et présentement Syracusain, qui a offert ces chevaux à Jupiter. Les Eléens sont persuadés que l'on a versé dans un de ces chevaux ce dangereux philtre qu'on appele hippomane, et tout autre peut croire que quelque magicien; par un effet de son art, a donné à cette statue la vertu surprenante qu'elle a d'attirer les chevaux. Car, quoique ce ne soit pas le plus beau cheval de bronze qu'il y ait dans l'Altis, et que même il ait la queue coupée, ce qui le rend un peu difforme, cependant les chevaux entiers, non seulement au printemps, mais durant toute l'année, sont si épris de cette statue, que rompant leurs licous, ils s'échappent de l'écurie, courent tout le bois sacré, et viennent pour monter sur ce cheval, comme si cétait une belle cavale qui eût vie. Il est vrai que leurs pieds glissent sur le bronze; mais ils ne se rebutent pas pour cela ; au contraire, ils redoublent leurs efforts, ils écument, ils hennissent; et pour les faire cesser, il faut les éloigner à grands coups de fouets et de fourches. J'ai vu en Lydie une autre merveille, à la vérité d'espèce différente, mais où je crois que la magie a part aussi. Ces Lydiens, que l'on surnomme Persiques, ont deux villes, Hiérocésarée et Hypépas, dont chacune a un temple, dans chaque temple est une chapelle avec un autel, et sur cet autel il y a toujours de la cendre qui pour la couleur ne ressemble à nulle autre. Le mage qui a soin de la chapelle met du bois sec sur l'autel ; il prend sa thiare, il invoque je ne sais quel Dieu, par des oraisons tirées d'un livre en langue barbare, et inconnue aux Grecs ; ensuite le bois s'allume de lui-même sans feu, et la flamme en est très claire ; c'est ce que j'ai vu de mes propres yeux. Parmi les offrandes cle Phormis, on voit sa propre statue. Il est représenté combattant l'ennemi, et se battant seul contre trois. L'inscription porte que ce brave soldat est Phormis de Ménale, et que c'est Lycortas, de Syracuse, qui a consacré cette statue. Sans doute que ce Lycortas était un ami de Phormis; mais les Grecs, confondant les présents de l'un avec les présents de l'autre, les attribuent tous indistinctement à Phormis. Quant au Mercure qui porte un bélier sous son bras, la tête dans un casque, et vêtu d'une tunique et d'un manteau, il n'est pas au nombre des statues données par Phormis: ce sont les Phénéates, peuples d'Arcadie, qui l'ont consacré à Jupiter, et l'inscription dit que c'est un ouvrage d'Onatas et de Callitèle. Ce Callitele, autant que j'en puis juger, était ou fils ou élève d'Onatas. Après ce Mercure, vous en voyez un autre qui tient un caducée : suivant l'inscription, c'est Glaucia, de Rhegium, qui l'a donné, et Callon, éléen, qui La fait. On voit aussi deux vaches de bronze consacrées, l'une par ceux de Corcyre, l'autre par ceux d'Erétrie, et toutes deux de la façon de Philésius d'Erétrie. Dans mes mémoires sur la Phocide, je ne manquerai pas de dire pourquoi les Corcyréens ayant fait faire deux vaches de bronze, donnèrent l'une à Jupiter Olympien, et l'autre à Apollon de Delphes: cependant, voici une particularité que j'ai ouï raconter de celle qui est à Olympie. Un enfant qui s'était couché sous le ventre de cette statue, après s'être amusé quelque temps à jouer, voulut se lever, et en se levant il se heurta si rudement la tête contre le bronze, qu'au bout de quelques jours il en mourut. Les Eléens voulant punir la statue comme coupable de meurtre, furent sur le point de la mettre hors du bois sacré ; mais l'oracle de Delphes les en empêcha, en les avertissant qu'ils devaient se contenter des purifications que les Grecs ont accoutumé de pratiquer pour expier un meurtre involontaire. Vers le milieu de l'enceinte du bois sacré, vous trouvez un trophée sous des platanes. Une inscription gravée sur un bouclier, porte que ce trophée a été érigé par les Eléens vainqueurs des Lacédémoniens. Je ne doute point que ce ne soit après le combat dont j'ai parlé, et où fut blessé cet Eléen, dont on trouva le corps en réparant la voûte du temple de Junon. Près de-là est une statue dédiée par ceux de Mende en Thrace. Je la pris d'abord pour une statue d'athlète, parce qu'elle est auprès de celle d'Anauchidas, éléen, qui tient deux contre-poids d'athlète dans ses mains; mais par une inscription gravée sur la cuisse du Thrace, on apprend que ceux de Mende s'était rendus maîtres de Siptée, en consacrèrent les dépouilles à Jupiter. Siptée était apparemment quelque ville ou quelque forrteresse de Thrace. Pour ceux de Mende, ils sont originairement Grecs et même Ioniens, et ils habitent cette côte maritime de la Thrace où est la ville de Sané.