[1,0] LETTRE I : A Fulbert, évêque de Chartres. A mon vénérable et saint seigneur Fulbert, mon très cher frère, mon frère dans le sacerdoce, Frère Odilon, salut. [1,1] Mon très cher frère, à quoi bon la demande que m'apporte l'un de vos fidèles clercs ? A l'entendre, votre paternité désire que, malgré mon indignité, je me fasse le juge de votre vie, et vous me mandez de vous marquer par écrit ce que je pense de votre conduite, qui, autant qu'on peut le dire, est irréprochable. Mais des yeux qu'obscurcissent d'épaisses ténèbres ne peuvent fixer d'un regard pénétrant la splendeur du firmament ni les globes qui scintillent dans les cieux. Splendeur du firmament, étoile du matin, ainsi vous nommerai-je, pour employer l'expression du prophète Daniel : « Ceux qui auront été savants brilleront comme la splendeur du firmament, et ceux qui en auront instruit plusieurs dans la justice luiront comme des étoiles dans des éternités sans fin ». Eh quoi ! un homme de votre qualité, d'une éminence au-dessus de la portée de mon esprit, vous voulez le soumettre à notre appréciation, à notre jugement ! Mais certes, enveloppés que nous sommes dans les ténèbres de l'ignorance, nous ne pouvons nous connaître nous-mêmes ; comment pourrions-nous nous constituer l'arbitre de la vie des justes ? Aussi bien, aux yeux de tous votre mérite est tel qu'il est plus facile de l'admirer que de l'exprimer. La faiblesse de notre esprit succomberait sous le poids de votre question, si le souvenir des paroles divines ne nous venait à la pensée. Pour donner l'exemple à ses fidèles, l'auteur de la vie et du salut, vous le savez mieux que personne, vous dont la vie est tout évangélique, étant venu à Philippe de Césarée, fit cette question à ses disciples : « Qu'est-ce que les hommes disent que je suis, moi le fils de l'homme ? » Et un instant après : « Vous-mêmes qui dites-vous que je suis? » Si donc il interroge, Lui que nul ne connaît et qui connaît tout, ce n'est point ignorance, c'est pour apprendre par son exemple aux prélats de son Eglise à demander ce que l'on pense d'eux-mêmes. Voilà pourquoi quiconque occupe une charge dans l'Eglise doit s'enquérir auprès de ceux qui lui sont soumis de ce que l'on dit et de ce que l'on pense de lui. S'il entend dire quelque chose de bien, qu'il en rende grâces à Dieu, source de tout bien, afin de faire par sa grâce de nouveaux progrès et de s'élever de vertus en vertus. Si, au contraire, il apprend quelque chose de défavorable, qu'il se repente et travaille à se corriger. Mais si l'autorité du Fils de Dieu vous engage à vous examiner vous-même à l'exemple des docteurs, pour nous, nous ne pouvons que louer l'éclat de votre sagesse, la pureté de votre foi, la droiture de votre prudence ; c'est la vérité qui m'oblige à parler ainsi. [1,2] {Sans traduction française}