[2,26] CHAPITRE XXVL Que Dieu peut rétracter les arrêts, encore que son conseil soit immuable. Que sa volonté est la première cause de tout. Que l'astrologie judiciaire est le chemin de l'enfer. Les oracles des étoiles errantes demeureront-ils immobiles, tandis que la sentence immuable de Dieu sera sujette au mouvement? Ne le croyez pas, le conseil du Seigneur demeure éternellement. Quel signe voulez-vous plus certain du conseil et de la volonté de Dieu, que son commandement et sa défense ? Ne semble-t-il pas avec raison qu'il veut ce qu'il commande? Il commanda à Abraham d'immoler son fils unique Isaac, qu'il lui avait donné après tant de promesses. Le patriarche obéit-il exactement à cette volonté ? il l'accomplit certes de point en point et, parce que le précepte est le signe très certain de cette volonté, qui est la première cause de toutes choses, et qui n'est jamais frustrée de son effet : elle est tellement la première cause, que si l'on demande touchant quelque événement pourquoi il est arrivé ainsi, l'on peut dire sans faillir, c'est que celui qui a fait tout selon sa volonté l'a ainsi voulu mais si l'on presse sur le pourquoi, la question est impertinente, car c'est chercher la cause de sa volonté, qui est la cause première, et qui n'a point de cause au-dessus d'elle. C'est une vérité reçue de tout le monde que le prince peut adoucir la rigueur des lois, attendu que celui qui a fait une loi a le pouvoir de l'abroger ou de lui déroger. Et vous voulez que le roi du ciel n'ose contredire à la loi que votre Figulus a établie. Le seul prince a droit et obligation de regarder une affaire disputée entre le droit et l'équité, c'est-à-dire, quand les lois portent une chose et que l'équité en veut une autre, il faut demander l'interprétation du prince dans une affaire publique; il faut savoir le dessein de l'auteur, quand ses écrits ne sont pas clairs, et que l'on doute du jugement qu'il a porté. Qui vous a donc établi l'interprétation des choses célestes? d'où avez-vous appris qu'un tel événement soit nécessaire? par quelle témérité donnez-vous les oeuvres d'autrui a vos étoiles? qu'ai-je dit les vôtres ? elles sont à Dieu. Car je sais bien ce subtil argument dont vous faites bouclier, "Mars toujours furieux, de qui la violence Brûlant le Scorpion sur nos têtes s'élance : De quel triste accident menaces-tu les tiens?" {Lucain, La guerre civile, I,658-660} Mais le père du mensonge qui vous enseigne d'attribuer cette puissance aux corps célestes, joue de finesse et de tromperie avec vous, afin, qu'ayant donné ces marques à la créature, il en déshonore l'auteur. Enfin c'est une malicieuse folie de tenir ainsi les faibles âmes suspendues par le vent de l'orgueil, après les avoir misérablement abusées avec les prédictions du futur inévitable, ou c'est une fureur de les précipiter dans un abîme de désespoir. C'est le fruit qu'apportent les tireurs d'Horoscope, dont l'erreur est plus grande que celle de leurs planètes, en ce qu'ils s'exorbitent de la science de la piété par la longue poursuite de leurs signes pour descendre vivants en enfer avec celui qui paraissait entre les anges, comme l'étoile du matin paraît entre les astres et pour traîner après eux des malheureux compagnons de leur ruine. Mais que faites-vous avec toutes ces objections et ces propositions embrouillées? Vous riez à gorge déployée et vous vous moquez de la simplicité de la foi, recourant toujours au sein de la Providence, ou comme d'autres Anthées vous pensez reprendre vos forces en vous plongeant dans ce gouffre qu'on ne saurait sonder. Vous vous réfugiez dans cette lumière inaccessible, et cependant vous impugnez la rusticité de la foi, comme si le donjon de la vérité devait servir d'arsenal à vos erreurs. Mais passons outre, je ne saurais assoupir cette vieille plainte de la Providence ; je ne suis pas assez habile pour dissoudre tous les noeuds de ces difficultés. Qui des hommes serait assez sage pour satisfaire, je ne dis pas à toutes vos questions, mais seulement à celles d'un ignorant et d'un paysan? Je confesse franchement que je sais bien peu de choses, mais si je ne suis pas capable d'accorder le différent de la Providence et du franc-arbitre ; si je ne puis ajuster la répugnance des destins et la mutabilité de la nature, les choses en sont-elles pour cela moins véritables ? Comme dans le droit ciuil la cause de l'accusé est toujours la plus favorable; ainsi dans les recherches philosophiques il y a certaines questions où le parti de l'auteur semble le meilleur, et je pense que cela arrive de notre défaut. Car la portée de l'entendement finit aux premiers principes, dans le nombre desquels je compte la Providence, la matière première, et plusieurs articles de notre foi. Quand vous satisfaites à une plainte qu'on vous fait de la Providence, il en renaît autant de questions qu'il faisait de têtes à l'hydre. Si nous entrons un peu avant dans la forêt de la matière, toutes nos pensées sont semblables à celles d'un homme qui songe entre quelqu'une et nulle substance. Si vous cherchez l'origine de l'âme, l'entendement vous la viendra présenter, comme passant d'une matière dans une autre. Enfin si la foi ne vous guide, comment recevrez-vous la trinité des personnes dans la substance diuine, sans vous empêtrer dans les filets d'Arrius. Si vous admettez une simple et indivisible substance de la divinité, qui vous tirera du labyrinthe de Sabellius que la conduite de la foi ? Toutes les questions qui peuvent embrouiller ces articles ne les rendent pas moins véritables. Et quoique la sagesse de Dieu se soit rendu visible aux hommes, elle n'est néanmoins pas si palpable à notre entendement, qu'il puisse avec elle parcourir tous les secrets et qu'il sache quelle est sa longueur, sa largeur, sa hauteur, et sa profondeur. Au reste, si le procédé des mathématiciens était si louable, le grand saint Augustin ne se fût pas tant repenti d'avoir suivi leurs consultations. Davantage, un des plus doctes des saints pères, j'entends Grégoire le Grand, qui par la pluie sacrée de sa prédication arrosa toute la terre et l'entoura du torrent de son éloquence, ne bannit seulement pas la judiciaire de la cour, mais encore jeta dans le feu "Les écrits qu'Apollon gardait au Capitole", {Horace, Épîtres I,3,17} dont les principaux étaient ceux qui s'emblaient révéler l'intention des dieux, et les oracles du Ciel. Quoi plus, vous suffit-il pas que l'église universelle déteste cette vanité, en châtiant par des supplices légitimes ceux qui l'osent désormais exercer? Mais de peur qu'on ne nous accuse de suivre plutôt l'erreur des judiciaires que de la poursuivre, passons au reste; car il est certain que ceux qui s'attachent à cette curiosité sont aussi peu véritables que ceux, qui affectent les premières places à la table et qui font tous les jours festin, peuvent être sobres. En un mot, j'en ai entendu parler de plusieurs, et j'en ai connu quantité, mais il ne me souvient point qu'aucun ait persévéré longtemps dans cette erreur, sur qui la main de Dieu n'ait exercé une équitable vengeance.