[2,23] CHAPITRE XXIII. Objection d'un nouveau Stoïque. Vous trouvez peut-être encore quelque difficulté dans la question de votre Stoïcien, que j'ai vu longtemps demeurer dans la Pouille afin de pouvoir, après tant de veilles, de jeûnes, de travaux et de sueurs rapporter en France pour tout gain d'un si malheureux et inutile voyage les os de Virgile plutôt que l'esprit et le génie. Ce philosophe, il s'appelait Louis, demandait si vous pouviez faire quelque chose de celles que vous ne ferez point. Quand vous lui aviez accordé que oui, il vous offrait mille écus pourvu que vous le fissiez, et si vous n'en étiez content, il vous faisait conter une plus grande somme pour vous faire exécuter une chose si facile. Enfin il s'éclatait et s'emportait d'une risée impudente, n'entendant pas, ou méprisant la force de la conjonction des opposés et puis vous montrait au doigt comme un homme ridicule d'avoir gratuitement méprisé une si grande somme. Vous m'amasserez plusieurs objections de cette espèce qui ne me presseront pas de croire que toutes les choses sont nécessaires parce qu'elles sont sues ou que rien des contingents n'est su parce qu'ils ne sont pas nécessaires. Il me semble que je suis un peu plus docteur avec les Péripatéticiens que celui, qui pressé de cette difficulté, confesse dans les nuits attiques qu'il ne sait s'il n'est point une cigale. [2,24] CHAPITRE XXIV. Que les mathématiciens sont téméraires de soumettre toutes les choses à venir à leur jugement. Or bien que ces philosophes et moi ne soyons pas d'accord en plusieurs points, ils sont pourtant d'accord avec moi qu'ils ne sauent pas tout, encore qu'ils parlent aux astres, qu'ils tirent la verité du sein des corps célestes. Les plus modestes d'entre eux n'attribuent pas les effets de l'avenir à la puissance des astres et ne les astreignent pas à une nécessité inévitable par un arrêt de la disposition du destin mais parce qu'ils sont du ressort de la Nature et sont prononcés par de certains indices, ils ne craignent point de les prédire assurément. J'ai à répondre à cela, que si l'ordre des choses futures peut être changé, c'est une témérité de donner un jugement certain et définitif sur une chose incertaine et s'il ne peut être changé, que c'est perdre le temps de rechercher avec tant de curiosité ce qu'on ne saurait parer avec aucune adresse. Mais peut-être, quoique la chose puisse être autrement, elle n'est pas incertaine pour cela, et l'assurance que donnent les signes excuse la témérité qui le pourrait trouver dans ce jugement. Car quoique la chose puisse êre autrement, les signes manifestes nous assurent qu'elle sera ainsi. Et ne m'importe, dit le secrétaire des astres, que la chose puisse être autrement, pourvu que je sois assuré qu'elle sera ainsi. Mais quelleest cette certitude des signes ? le plus souvent une trompeuse expérience et un jugement difficile tiré de la signification des astres, qui est bien diverse, or la diversité cause l'ambiguïté, et c'est beaucoup hasarder que de définir les choses ambiguës. Mais je veux que les signes soient toujours de même, qui leur a révélé cette unique signification, et qui empêche qu'elle ne soit fausse? La nature, dites-vous : est-ce elle qui consiste dans les choses, ou celle qui et dans la volonté divine. Je n'ai rien à dire contre la dernière, sachant bien que Dieu a fait tout ce qu'il a voulu, s'il vous en apparaît cela va bien, vous pouvez dans cette lumière voir la lumière, et tirez des vérités de celui qui fermé pour tous les autres, et qui n'est ouvert que pour vous, dans lequel tous les trésors de la sagesse et de la science sont enfermés; j'avais oui dire que l'agneau seul, qui avait par sa propre vertu fait mourir la mort, avait le crédit de l'ouvrir. N'admirez plus désormais avec l'apôtre la profondeur des richesses de la science et de la sagesse de Dieu, vu que ses jugements se peuvent comprendre, et que par l'instruction des astres ses chemins deviennent accessibles, et que l'on peut nager dans l'abyme sans fonds de ses jugements. Si vous parlez de cette Nature, qui n'est autre chose que le cours ordinaire du monde, vous vous flattez en vain de la familiarité des astres, vu que plusieurs effets se détournent de leur chemin ordinaire et frappent nos sens d'un étonnement d'autant plus grand qu'ils ne semblent pas seulement extraordinaires, mais encore contraires à la Nature ; comme quand l'éclipse du soleil arrive durant la pleine lune, ou que la lune souffre une éclipse devant ou après son plein, et sans être parfaitement opposée au soleil. Car celui qui a donné des lois aux astres, qui modère le cours des temps par sa volonté, qui ajuste les choses avec le temps comme il veut et quand il veut, peut produire à l'étonnement de la créature un effet rare, ou tout nouveau, et le tirer des causes qui étant ainsi assemblées, ont accoutumé d'en engendrer un autre. Car qui a été son conseiller et qui lui demandera pourquoi le fais-tu ainsi : "Il est le Seigneur, il fera ce qui sera bon devant ses yeux". Celui seul, qui a disposé les choses, peut ajuster les temps selon la disposition et diversifier les choses par les temps. La Trinité s'est réservée à elle seule cet avantage, quoiqu'elle ait donné à sa créature, selon la mesure de son bon plaisir, la connaissance de beaucoup d'autres choses. Donc il connaît quand et combien de temps quelque chose doit êre, et lui, qui a fait les temps, dispose les parties du temps comme il lui plaît ; il le peint aussi avec les mouvements et la diversité des choses comme avec des couleurs, entourant la roue du temps qui tourne sans cesse de divers accidents, qui en sont comme les bordures, qui joignent en quelque façon les parties de sa fluidité et pour faire apercevoir à l'intelIect une chose malaisée à comprendre, il la veut embellir merveilleusement des propriétés des choses, comme si elles lui appartenaient. Les temps, dit Dieu aux hommes, ne sont pas de votre connaissance, pour savoir pleinement quand et combien de temps sera une chose, ni les moments, pour comprendre les façons et les variétés des choses qui seront. Voilà pourquoi c'est une témérité de soumettre à un jugement définitif l'avenir qui dépend de la volonté du Père éternel et non pas de la nécessité. Au reste les choses qui dépendent d'une puissance peuvent être de cette sorte, et n'être pas de cette sorte, comme au contraire il est nécessaire que celles qui sont attachées par la nécessité soient absolument d'une telle sorte.