[1,81] L'ancienne et illustre maison des Princes d'Ateste, où d'Este éprouva un sort bien différent. Dans le même temps que les souverains Pontifes élevaient si haut la famille des Médicis, ils firent tous leurs efforts pour ruiner celle-là. Alfonse, Prince de cette maison, avait épousé Lucrèce, fille d'Alexandre VI, dans la vue de se maintenir par cette alliance. Mais Jules II, successeur d'Alexandre, se déclarant le plus cruel ennemi d'Alfonse, lui enleva Modène et Reggio, villes dépendantes de l'Empire, mais que Jules prétendait appartenir au saint Siège. Alfonse eut bien de la peine à conserver le duché de Ferrare et il ne lui resta que cette seule Principauté, pour soutenir l'éclat de sa naissance. Après la mort de Jules et l'exaltation de Léon X au pontificat, ce prince infortuné, qu'on avait dépouillé de la meilleure partie de ses états, fut plusieurs fois sur le point de perdre la vie. Tant que ce Pape vécut, il évita les pièges qu'on lui tendait et échappa aux sourdes intrigues du Pontife, plutôt par la fidélité de ses domesliques que par le courage de ses soldais. Mais Léon étant mort et le saint Siège étant vacant, il reprit Reggio, Rubiera et quelques autres places, qui étaient sans défense, avant qu'Adrien eut été élu. Durant le règne de ce Pape, il eut encore de grands démêlés à ce sujet mais quand Clément VII eut pris sa place, Alfonse, qui était toujours demeuré neutre dans les différends de la Cour de Rome avec l'Empereur, fit un traité avec ce Prince, pour se soutenir contre les entreprises du nouveau Pape. Ce fut lui qui conseilla à Charles de Bourbon, qui commandait l'armée impériale contre le Pape, de quitter la Toscane et de marcher droit à Rome, l'assurant qu'il n'aurait pas de peine à se rendre maître d'une ville divisée par la faction des Colonnes. Déjà Bourbon avait pris la ville de Carpi, qui était sur son passage et l'avait rendue à Alfonse, à qui elle appartenait. Alfonse voyant que Rome était prise et que le Pape était assiegé dans le château Saint-Ange, se rendit maître de Modène, qu'il avait essayé de surprendre plus d'une fois, et qui craignait un siège dans les formes. Alfonse ayant ainsi recouvré ses états par la protection de l'Empereur, il ne lui restait plus qu'à chercher les moyens de se réconcilier avec le saint Siège. Il accéda donc avec joie au traité qui fut fait entre François I, le Marquis de Mantoue, et plusieurs Princes d'Italie, pour la délivrance du Pape, y étant encore engagé par Lautrec, qui le flatta d'une alliance illustre : cette alliance fut dans la suite heureusement conclue. Enfin la ligue ayant été rompue, il fut compris dans le traité de paix que le Pape fit avec l'Empereur. On convint qu'Alfonse recevrait du Pontife l'investiture du duché de Ferrare, que ses ancêtres avaient possédé si longtemps, en qualité de Vicaires du saint Siège, et qu'il garderait Modène et Reggio, que Charles déclara fiefs de l'Empire. On lui laissa aussi la ville de Carpi, qui avait été injustement enlevée aux seigneurs de la maison de Pio. Il demeura pareillement possesseur de la ville de Novi, que l'Empereur avoir donnée à Hercule d'Este, son fils, qui devait épouser la princesse sa fille; et comme ce mariage ne s'était pas fait, il fut arrêté qu'Alfonse garderait cette place, en payant une somme de soixante mille écus. [1,82] Au reste, Frédéric marquis de Mantoue, qui était entré dans la ligue des Princes d'Italie contre l'Empereur, comme nous l'avons dit, avait peu après renoncé à ses engagements, et s'était réconcilié avec Charles, avant même que ce Prince eût fait la paix avec le Pape. Ce fut environ en ce temps-là que l'Empereur revenant de Hongrie s'arrêta à Mantoue, où Frédéric le reçut avec de grands honneurs, et avec une magnificence digne d'un hôte aussi illustre, qui en récompense lui donna le titre de duc, et le combla encore de nouveaux bienfaits. Car Georges Paléologue, qui avait succédé à Boniface, marquis de Montserrat son neveu, étant mort sans enfants, Frédéric, qui avait épousé la soeur de Boniface, prétendit avoir cette principauté. Mais le duc de Savoye et le Prince de Saluces soutenant au contraire qu'elle leur était dévolue, l'Empereur mit en séquestre ces pays litigieux, fit entrer des garnisons dans les places, et prononça ensuite en faveur du duc de Mantoue. [1,83] Pour ce qui est de la famille de la Rovère, elle était originaire de Savone, et avait eu des commencements assez obscurs. Sixte IV la fit d'abord connaître, Jules II l'éleva, mais les Pontifes ses successeurs n'omirent rien pour la détruire. Car François Marie, fils de Jean Marie et petit-fils de Raphaël, frère du Pape Sixte IV, étant devenu duc d'Urbin, à cause de sa mère, qui était soeur de Jean Guido-Baldo de Feltro, seigneur de cette principauté, il eut à essuyer de grandes persécutions de la part de Leon X, qui fut son plus cruel ennemi. Il vêcut un peu plus tranquille sous Adrien et sous Clément VII et fut même sous le pontificat de ce dernier déclaré général de l'armée des alliés en Italie. Il crut alors devoir profiter de cette occasion, qui se présentait d'elle-même, pour joindre au duché d'Urbin, Camerino qui était à sa bienséance. Jean Marie, le dernier de la famille des Varano, ne laissa en mourant qu'une fille de Catherine Cibo son épouse. François Marie de la Rovère la fit épouser à son fils Guido-Baldo et n'eut pas de peine à l'obtenir de sa mère, qui craignait pour sa fille et pour elle-même, et avoir de la peine à défendre son petit état contre la puissance de Sciarra Colonna, beau-père de Matthias Varano, bâtard de cette maison. C'est ainsi que le duc d'Urbin acquit un droit légitime sur Camerino. Il jouit paisiblement de cette principauté, jusqu'à ce que Paul III, qui avait une passion extraordinaire d'élever sa famille et d'agrandir ses enfants, la lui redemanda, comme relevant du saint Siège, et comme ayant été usurpée. On était prêt d'en venir à une guerre ouverte : le duc d'Urbin, qui s'était si longtemps signalé dans les guerres, et qui avait bien osé résister à toute la puissance de Leon X, n'était pas d'humeur à céder cette place à un vieillard faible et mourant ; mais ce Prince étant mort, Guido-Baldo son fils, qui n'avait ni la valeur, ni la fermeté de son père, voyant que ni les Vénitiens, ni Côme, nouveau duc de Florence, ne lui envoyaient point les secours qu'ils lui avaient promis, abandonna Camerino, pour conserver ses autres états. Aussitôt Paul III, père tendre et ambitieux, fit don de cette principauté à Ottavio Farnèse, son petit-fils, et tournant ses armes contre Ascagne Colonne, il lui ôta la ville de Palliano, et toutes les autres places qu'il avait en Italie. [1,84] Il est maintenant à propos de parler de ce qui se passa dans les Indes. Deux ans après les voyages de Christophe Colomb {1497 ?} et d'Améric Vespuce {1499} aux Indes occidentales, Alvares Cabral, commandant de la flotte Portugaise, qui allait sur ces mers pour la seconde fois, ayant été battu par une furieuse tempête, arriva le quinzième de mai au Brésil, grande province du nouveau Monde. Douze ans après, Jean Ponce de Leon découvrit la Floride, le jour même {dimanche des rameaux} que se donna la fameuse bataille de Ravenne. Huit autres années après et la seconde de l'empire de Charles V, Ferdinand Magellan, Portugais, ayant eu quelque mécontentement du roi Emmanuël, se mit au service de l'Empereur, et navigant vers les Moluques, du côté du couchant, passa un détroit qui fut depuis appelé de son nom. Il périt en ce voyage avec toute sa flotte, excepté un seul vaisseau, qui ayant fait le tour du monde, arriva enfin à Séville au bout de deux ans, le huitième jour d'octobre. Or, parce que ceux, qui accompagnaient Magellan, avaient remarqué vers le couchant plusieurs terres, où l'on voyait des feux allumés, cela a donné lieu aux géographes de placer sur les cartes une suite de pays, qu'ils appellent la Terre de Feu. Cette même année est mémorable par les premières victoires de Fernand Cortez, qui prit durant l'espace de 20 ans une infinité de villes, découvrit des pays immenses, et soumit la fameuse ville de Mexico, après avoir fait mourir le roi Montezuma. [1,85] Dans ce même temps, le royaume du Pérou sut subjugué par Guttierès de Vargas, évêque de Placentia en Espagne et par François Pizarro. La ville la plus considérable de ce royaume est Cusco, résidence des anciens Incas, ou Princes du pays, qui avaient forcé les armes à la main toutes les provinces voisines de reconnaître leur puissance. Le roi Atabalipa, chef des Incas, étant tombé entre les mains de Pizarro, il pilla ses trésors et fit cruellement mourir ce prince infortuné, contre la parole qu'il lui avait donnée. Mais Dieu ne permit pas qu'un crime si énorme demeurât impuni. Car Ferdinand frère de Pizarro ayant condamné à mort Almagro son prisonnier, Diego fils de ce dernier, excita une sédition, où François Pizarro périt. Mais Charles V, ayant depuis envoyé aux Indes Vaca de Castro, ce gouverneur fit couper la tête à Diego. Peu après Vaca fut tué par Gonsalo Pizarro, frère de François. Ensuite Blasco Nugnez ayant été envoyé dans les Indes en qualité de vice-roi, Gonsalo lui fit la guerre, le prit dans un combat et le fit mourir. Cependant les anciens habitants de ces vastes pays, asservis à des maîtres impitoyables, étaient employés comme des bêtes à porter de lourds fardeaux, à creuser la terre pour en tirer les métaux, ou à pêcher des perles au fond de la mer. L'Empereur, ayant appris ces indignes traitements, envoya aux Indes Barthélemi de las Casas, pour s'informer de l'état de toutes choses, et fit ensuite par son conseil des lois très sévéres, pour réprimer la cruauté des Espagnols, pour enjoindre aux gouverneurs de protéger les Indiens, et leur faire espérer une servitude plus douce à l'avenir. Peu après Gonsalo Pizarro, s'étant encore révolté, et ayant excité de grands troubles, le jurisconsulte Pedro de la Gasca fut envoyé en ce pays là, avec le titre modeste de Président. Cet homme fit, par son adresse et sa sage conduite, ce que les autres n'avaient pu faire les armes à la main et revêtus du titre éminent de vice-roi. Ayant promis aux chefs une amnistie du passé, il les fit presque tous rentrer dans le dëvoir et sut se les attacher. Cependant Gonsalo, ayant perdu une bataille dans la vallée de Xaquixaguana, où combattaient sous lui François Carjaval, homme détesté pour ses cruautés, et Jean Acosta, ses principaux chefs, il fut abandonné de tous ses soldats, pris et livré au Président avec tous ses officiers, qui seuls ne l'abandonnèrent point dans sa défaite, et ils furent tous condamnés au dernier supplice. [1,86] Après avoir publié les ordonnances de l'Empereur et établi de sages règlements pour le soulagement des Indiens, Pedro de la Gasca {évêque espagnol, diplomate et vice-roi du Pérou de 1546 à 1549, envoyé en Amérique par l'empereur Charles Quint} quitta l'Amérique et apporta en Espagne une grande quantité d'or et d'argent. Du reste, il ne se réserva rien pour lui. Son train fut le même qu'il avait avant que d'aller aux Indes ; il en rapporta le même manteau, mais que le voyage avait un peu usé. On ne pouvait voir sans admiration cet homme, qui, ayant fait de si grandes choses en si peu de temps et mis tant de richesses dans le trésor royal, n'avait rien changé dans sa manière de vivre et conservait la modestie et la simplicité de son premier état. C'est ainsi que Gasca sut éteindre en quelque sorte dans le sang des Espagnols cette soif de l'or, dont ils étaient si fort altérés. Tandis que ces cruels tyrans s'égorgeaient les uns les autres durant l'espace de vingt années, les malheureux Indiens étaient en proie à l'avarice, ou à la débauche de ces nouveaux maîtres, et payaient de leur or et de leur sang la connaissance de la religion qu'on leur annonçait. Quoique je {Jacques-Auguste de Thou} sois persuadé qu'on ne peut acheter trop cher le véritable culte et que la vie même n'est pas d'un trop grand prix pour cette sainte acquisition, il y a néanmoins tout lieu de croire, que cette manière d'annoncer la parole de Dieu est contraire à ses lois puisqu'il a voulu que son évangile s'établit non par la violence et le fer à la main mais par la charité et la douce persuasion. On doit craindre qu'une prédication si étrange, qui n'a point eu dans son commencement la gloire de Jésus-Christ pour objet, ne tienne toujours de son principe, et ne tourne un jour à la honte du Christianisme. [1,87] Les Portugais ne firent pas de moindres progrès dans les Indes orientales. Leur entreprise même me paraît plus grande, puisque leur navigation fut bien plus longue et bien plus difficile. Mais la valeur et l'intrépidité de leurs généraux surmonta tous les obstacles. François Almeida défit la flotte de Campson, sultan d'Egypte. Alfonse d'Albuquerque prit Goa et y établit la résidence des vice-rois des Indes ; puis ayant pris Malaca, capitale de la Péninsule d'or, il bâtit un fort à Calécut. Il eut pour successeurs Lopez Suarel, Jaques Lopez de Sigueyra, qui avait auparavant parcouru l'île de Ceylan, et Edouard Menesez, sous le roi Emanuel. Après la mort de Menesez, Vasquez Gama fut vice-roi des Indes sous Jean III et fut le premier qui doubla le Cap de Bonne Espérance. Après lui Henri de Menesez, Lopez de Sampaio, Nugno de Cugna et Gratien de Norogna gouvernèrent ces pays conquis. Ensuite Jean de Castro se signala au siège de la citadelle de Diou, qu'il défendit contre les Turcs ; et par la victoire qu'il remporta contre le roi de Cambaye, il affermit la puissance des Portugais dans l'Orient. Depuis ce siège qui se fit en l'année 1529. les Portugais navigérent librement dans ces pays, quoiqu'il se fût élevé quelque temps auparavant entre le roi Jean et l'Empereur, au sujet des Moluques, un différend, qui n'avait pas été décidé. Au reste le gouvernement des Portugais en Orient fut doux et humain, et toujours exempt de rapines, de brigandages, et de guerres domestiques. Ce qu'on peut attribuer à la sage vigilance des rois de Portugal, qui donnaient tous leurs soins au gouvernement de ces pays conquis. Ils n'avaient de guerres à soutenir qu'en Afrique, et ils y attaquaient plutôt leurs ennemis, qu'ils n'en étaient attaqués. Au contraire les vice-rois des Indes occidentales, voyant l'Empereur engagé en Europe dans de grandes guerres, ne reconnaissaient plus de maître en ces pays éloignés, et se livraient à. une ambition sans bornes, et à de continuelles discordes, qui ne pouvaient s'éteindre, tant qu'ils avaient devant leurs yeux une riche proie, objet éternel de leurs dissensions. [1,88] Tel était l'état de toutes choses dans l'univers entier ; tels étaient les desseins et les forces des princes, lorsque la paix fut conclue à Crépi entre François I et Charles V, qui se préparait déja à la guerre d'Allemagne. Toute l'Europe en ressentit une grande joie. Les conditions de cette paix furent qu'on observerait religieusement de part et d'autre les traités de Madrid et de Cambrai, et que, comme le Milanais, que le roi disait appartenir à ses enfants et ne pouvoir céder, avait occasionné la guerre, l'Empereur donnerait dans deux ans au duc d'Orleans sa fille en mariage et pour dot l'État de Milan ; mais que si cette alliance ne se pouvait faire, il donnerait au fils du roi sa nièce, fille de Ferdinand, avec les Pays-Bas. On rendit de part et d'autre toutes les villes prises depuis le commencement de la guerre; entre autres Stenay, qui fut restitué au duc de Lorraine, après qu'on en eut démoli les fortifications. Cet article du traité fut très désavantageux à la France par rapport aux conquêtes d'Italie. Car on ne nous rendit que la seule ville de Montdevis, que le Marquis du Guast nous avait prise et nous fumes obligés de restituer Alba, Quieras, Antignan, Saint Damien et plusieurs autres places et pays, dont nous étions les maîtres avant la bataille de Cérisoles {11 avril 1544}. [1,89] Cependant les Anglais pressaient vivement la ville de Boulogne, que défendait courageusement Philippe Corse, sous les ordres de Jaques de Coucy-Vervins, gendre du Maréchal de Biez. Mais Corse ayant été tué d'un coup de canon, Vervins, qui avait peu d'expérience à la guerre, et qui n'avait ni assez de courage, ni assez d'habileté pour soutenir un siège si considérable, commença à parler de se rendre. Les bourgeois s'opposaient à une proposition aussi honteuse et déclarèrent que, si Vervins voulait sortir de la place, ils se croyaient en état de la pouvoir défendre. Ce qui encourageait ces malheureux citoyens, qui voyaient qu'une capitulation allait livrer tous leurs biens à l'ennemi, c'est qu'on avait appris que le Dauphin était sur le point de venir au secours de la ville et que d'Albon Saint-André, jeune seigneur passionné pour la gloire et favori du Dauphin, les avait assurés qu'il jetterait par mer du secours dans leur ville. Mais les vents contraires empêchant Saint André de pouvoir approcher et le Dauphin n'arrivant point, Vervins rendit la place aux Anglais malgré les habitants et contre l'avis de tous les officiers de la garnison. Cette lâcheté pensa dans la suite lui couter la vie. [1,90] La ville de Montreuil était assiégée dans le même temps par le capitaine Talbot, qui était soutenu de l'armée Anglaise commandée par Thomas de Norfolk. Ce général voyant que l'armée de France s'approchait, que campant entre Boulogne et Montreuil elle eût pu s'opposer à sa retraite, et que les troupes de l'Empereur avaient été rappellées, se retira vers Calais. D'autre côté, les Français ayant tenté vainement de surprendre Boulogne, renvoyèrent les Suisses, et se retirèrent en quartier d'hiver, redoutant cette saison, qui est fort rigoureuse en ce pays là. Le roi d'Angleterre repassa la mer, laissant pour son lieutenant général en France Edouard Semer, comte de Sommerset, son beau-frère et oncle du prince Edouard, son fils. Cependant le Maréchal de Biez gouverneur du Boulonnais s'approcha de Porter à la tête d'une armée. Ce lieu n'est éloigné que d'environ une lieue de Boulogne et en est séparé par une riviere, où remonte le flux de la mer et où il y a un pont de brique. Comme le Maréchal se préparait à bâtir au-delà de cette rivière un Fort, qui put commander le port de Boulogne et en défendre l'entrée aux vaisseaux Anglais, il fut attaqué plutôt qu'il ne pensait, par le Comte de Surrey, fils du Duc de Norfolk, et se vit contraint de se retirer en deçà de la rivière et d'abandonner son ouvrage, après avoir couru un grand danger. Le roi lui avait commandé de bâtir aussi un château auprès d'une tour appelée la tour d'Ordre, qui domine Boulogne, pour empêcher les vaisseaux Anglais d'entrer dans le port et pour s'opposer aux secours qui pourraient venir par terre de Calais. [1,91] Le Maréchal s'était fait fort de bâtir ce château avant le mois d'août; ce qui avait fait prendre au roi le dessein de porter l'année suivante la guerre en Angleterre, afin que les ennemis, assez occupés chez eux, donnassent le temps à Biez de perfectionner son ouvrage. Ce prince devait aussi assiéger en personne la ville de Guines dans le même temps, pour serrer de près la ville de Boulogne, lui couper les secours, et l'obliger enfin à se rendre. Dans ces vues ayant équipé une flotte, dont il donna le commandement à l'Amiral d'Annebaut, qui gouvernait alors avec le cardinal de Tournon les affaires de l'état, depuis la retraite du connétable de Montmorenci, il partit de Romorantin en Berri, où il avait passé l'hiver, vint par Argentan et se rendit à Touques en Normandie. Ce bourg est bâti près de la mer sur une des rives de la rivière de Seine, et n'est éloigné de Honfleur que d'environ trois lieues. Il était arrivé à Honfleur vingt-cinq galères commandées par le capitaine Poulin baron de la Garde. Le roi les avait fait venir de Provence et leur avait fait passer le détroit de Gibraltar. Elles étaient plus capables de donner de l'étonnement et de la terreur que de servir avec utilité sur l'Océan, où leur construction plate ne pouvoir résister aux tempêtes et aux vents qui agitent cette mer. La flotte du roi était en tout de cent trois navires, qui portaient huit mille soldats. Boutières, qui avait acquis tant de gloire dans les guerres d'Italie, commandait la droite et Curton commandait la gauche. Annebaut était au centre, monté sur l'Amiral, avec trente navires de front. Le baron de la Garde prit le devant avec ses galères, pour inquiéter les ennemis. Les Français prirent d'abord l'île de Wigth, qui est vis-à-vis Porthmouth, ville considérable d'Angleterre. C'était à la hauteur de cette ville qu'était la flotte Anglaise, qui ne pensait qu'à se défendre et à empêcher la descente.