[3] JACQUES. — Allons! il n'est pas difficile de bien élever de telles âmes; mais, comme si tout le monde avait de pareilles dispositions, entreprenons l'éducation de l'enfance d'abord, ensuite celle de l'adolescence. PAUL. — Hé quoi! si les autres y apportent un naturel moins facile et moins bien disposé? JACQUES. — Vous vous rappelez, je pense, ce que votre poète favori a dit du travail ? PAUL. — Vous voulez sans doute parler du passage où il affirme qu'un travail opiniâtre vient à bout de tout? (Virgile, Géorgiques, I, v. 146) JACQUES. — Je le dis aussi, et j'ajoute, d'après un proverbe bien connu, que l'habitude devient une seconde nature. PAUL. — En effet, c'est ce qu'on dit, et c'est encore mieux. JACQUES. — Pourtant retenez ceci : quoique avec du travail et des soins on puisse, à la vérité, vaincre la résistance du caractère le moins facile, au point qu'un individu, quel qu'il soit, s'il est soumis à une bonne discipline, devienne moins dangereux, et ne soit noté d'infamie pour rien d'extraordinaire; personne ne peut acquérir la beauté, l'ornement d'une rare vertu, s'il n'en a reçu les principes de la nature, s'il n'en a en lui comme les semences naturelles. Puisqu'il en est ainsi, et que nous devons souhaiter à l'enfant dans lequel domine le pouvoir de la nature et non le nôtre, un bon caractère, qui nous empéche de désirer qu'il l'ait excellent? Il faut en dire de même de la naissance, de la fortune et de la condition de celui que nous devons élever : qu'il ait une naissance distinguée, des parents honnêtes, une famille riche; qu'il soit né d'un légitime mariage, non parce que le chemin de la vertu est interdit à ceux qui sont privés de tous ces avantages, mais parce qu'il est plus libre, plus facile pour ceux qui partent de ces principes. Aussi un poète grec dit-il sagement que, si la base de la naissance est mal établie, la lignée est déshonorée. En effet, ce qu'il y a dans notre âme d'élevé, de fier et de libre se contracte et s'abaisse, lorsqu'il est noté d'infamie dans les auteurs mêmes de notre naissance. Donc l'enfant étant né, car tant qu'il est dans le sein de la mère, quoiqu'il puisse étre donné d'utiles conseils sur les exercices qu'elle doit faire, sur le régime alimentaire qu'elle doit suivre; cependant, comme la grossesse n'est-pas la même pour toutes les femmes, que les unes sont plus faibles que d'autres, c'est à la nature qu'il faut laisser le soin de ce temps, plutôt qu'au père; donc l'enfant étant né, le père doit veiller à ce qu'il soit allaité par la mère, tant à cause des liens du sang, que de la vive affection qui en est le résultat; car plus elle souffre en commençant, plus, quand la chose est faite, elle l'aime. Mais si, par quelque accident, on a besoin d'une nourrice, il faut n'en prendre qu'une, qui soit de moeurs chastes et prévoyante par caractère. Car de même que nons voyons non-seulement notre corps, mais encore notre esprit subir l'influence de la nourriture que nous prenons chaque jour, de même le lait puisé à un corps que gouverne un esprit modéré, apporte dans le naturel de l'enfant les qualités mêmes de cet esprit. Mais il faut prendre garde que, dans sa conduite envers l'enfant, la nourrice ne soit ni trop sévère ni trop complaisante; car l'habitude qui provient d'un usage non seulement de chaque jour, mais encore presque de chaque heure, de chaque instant, s'insinue dans le naturel de l'enfant, au point d'abattre son âme effrayée par la sévérité, et de lui faire contracter une timidité servile; ou bien, s'il est corrompu par trop de complaisance, de l'empêcher d'avoir dans la suite la moindre consistance dans la volonté. Mais comme, dès le commencement même de la vie, nous sommes tous nés pour les pleurs et les vagissements, la nature nous présageant en quelque sorte le sort de la condition humaine qui est pleine de misères, il n'y a pas de doute que, par les yeux et les oreilles qui ignorent, pour ainsi dire, toutes choses, et ne sont habitués absolument à rien, il n'arrive à l'esprit de l'enfant, même pendant le sommeil, des sensations qui l'agitent et l'épouvantent; parce que, comme nous l'avons dit, tout ce qui n'est pas dans nos habitudes nous est presque toujours désagréable. De là leurs pleurs continuels. Le remède à cela, c'est que les nourrices les portent, les promènent, leur chantent et les habituent aux visages et aux paroles des personnes de la maison. La promenade principalement est sous tous les rapports salutaire. Elle fortifie le corps de l'enfant, délivre son esprit de ces spectres qui l'effrayent; car le mouvement externe dissipe les émotions intérieures, amortit l'impulsion des sens. C'est pour cette raison qu'on inventa le berceau, la nature indiquant en quelque sorte elle-meme oe qu'il convenait de faire, et qu'on prit l'habitude de porter les enfants dans les bras. Il faut donc avoir soin, autant que cela se peut, que les femmes qui nourrissent les enfants, les fassent, pour ainsi dire, naviguer sans cesse. D'un autre côté, telle est la force du chant, que non seulement elle apaise les esprits troublés, mais souvent encore la fureur, comme le prouve l'exemple des Corybantes. Lorsque l'âge sera venu où l'enfant commence déjà à comprendre les paroles, et à écouter plus attentivement la conversation de ceux qui parlent près de lui, le père devra surtout alors prendre garde, et faire observer dans sa famille que rien de honteux ou d'impie envers la Divinité n'arrive aux oreilles de l'enfant, et qu'aucun geste indécent ne frappe ses regards. Ce soin regarde aussi principalement la mère; car l'enfant se colle sans cesse à son sein et à son visage, et c'est d'elle qu'il apprend à marcher et à parler. C'est pourquoi elle devra elle-même le conduire et le porter aux églises, aux divines cérémonies, à ses entretiens, à ses entrevues avec les dames de sa famille, afin que l'enfant apprenne à connaître et à aimer ses parents et ses alliés, et qu'il puisse les distinguer non seulement à leurs visages; mais même à leurs noms. Et cependant elle ne doit l'introduire dans aucune maison où ne règne pas une chaste et grave discipline; car de même que l'air est sain qui vient des lieux salubres de toutes parts, de même des moeurs, sous tous les rapports, intègres et saintes, devra s'insinuer dans l'esprit de l'enfant le souffle d'une bonne discipline. Cependant les années avancent, l'enfant devient de jour en jour assez vigoureux d'esprit et de corps pour qu'on puisse jeter en lui quelque semence, comme dans un champ propre à la recevoir. Il n'y en a pas de préférable, de plus belle, qui produise des fruits plus abondants et plus utiles pour le bonheur de la vie, que d'introduire dans les sentiments intimes de son âme le nom et la pensée d'un Dieu tout-puissant, pour qu'il commence à l'aimer et à le vénérer, en entendant dire chaque jour que par lui toutes choses lui arrivent et lui sont données : ce qui est un devoir commun au père et à la mère. En les voyant eux-mêmes l'adorer et le remercier de ses bienfaits , implorer son secours et sa protection, avec un visage et une posture de suppliants, dans les choses fàcheuses qui leur arrivent, il concevra que Dieu est un être beaucoup plus grand, par sa puissance et par sa nature, que les hommes qu'il connaît. Il le concevra surtout si, quand il désirera quelque chose qu'il demandera avec importunité, comme c'est l'ordinaire, par exemple, une bulle, une robe prétexte; ou tout autre objet semblable concernant le vètement qui indique la condition et la noblesse de la famille, si toutes les fois qu'on le lui donnera, on lui inculque dans l'esprit que ce présent lui vient de Dieu ; afin que, dès le principe, il apprenne à aimer Celui qu'il est nécessaire aussi de craindre, non d'une crainte servile, car celle-là n'est ni agréable à Dieu ni profitable à l'innocence et à la véritable vertu; mais de cette crainte si intimement unie à l'amour, qu'on ne puisse l'en séparer, et dont il est si divinement dit dans les saintes Écritures : "La crainte du Seigneur est le commencement de toute sagesse". Et véritablement celui dont le coeur est occupé par l'amour de Dieu, ou bien par la crainte de Dieu, puisque nous disons que l'un et l'autre sont unis et mêlés ensemble, on ne doit jamais avoir peur que celui-là, quel qu'il soit, se livre entièrement à de mauvaises habitudes. On doit principalement s'efforcer que cette bonne racine, qui doit fructifier pour le bonheur de la vie, se développe le plus tôt et le plus solidement possible dans l'âme de l'enfant, tant que la place est vide, et que sa jeune et neuve intelligence n'est pas occupée par des pensées étrangères, ou même contraires. Lorsque ces semences y ont été tout d'abord largement répandues, elles s'y enracinent solidement, et ne sont pas encore forcées de se resserrer par une forêt d'autres plantes. Telle est, à la vérité, la nature humaine, qu'on ne peut l'empêcher d'errer et de tomber quelquefois; cependant, si cette piété envers Dieu, si cette religion sainte a grandi comme un arbre dans le coeur de l'homme, de même qu'il arrive que, dans les lieux ombragés, la mauvaise herbe nuit peut-étre et parfois grandit, mais ne mûrit certainement pas, et porte difficilement du fruit, de méme tous les vices qui seraient capitaux finiront par périr à cette ombre, en quelque sorte, de la religion. On devra donc avoir soin d'abord, et avant toute chose, que ce que nous venons de dire de Dieu et de la religion envers Dieu, l'enfant le comprenne comme ne devant concerner rien moins que la vie entière; car certainement toute verité, toute dignité, toute espérance d'une vie douce et heureuse reposent principalement sur notre unique désir de ne jamais cesser d'aimer et de craindre Dieu. Vient ensuite un autre soin pour cultiver cette âme enfantine, à la vérité, postérieur à celui dont nous venons de parler, mais devant de beaucoup précéder tous les aùtres : c'est que le père qui désire que l'éducation fasse de son fils un homme de bien par excellence, doit se montrer à lui tel qu'il veut que son fils devienne. Il n'y a pas de discipline supérieure à celle-là. Ce n'est pas à dire pour cela qu'on doive négliger d'ajouter chaque jour à l'éducation des enfants beaucoup de choses qui font l'ornement de la vie, et que le père ignore peut-être; comme, par exemple, l'étude et la connaissance des lettres, et de ce que nous appelons les beaux-arts; la science du droit civil et pontifical, et, à l'occasion, les exercices des armes et de la guerre; car il peut arriver que le père, par la faute de ses parents, ou même de la fortune, n'ait pas toutes ces connaissances, qui doivent pourtant être données à son fils. Or la nature a mis, pour l'ordinaire, dans le coeur de tous les parents le désir de rendre leurs enfants meilleurs et plus distingués qu'ils ne sont eux-mêmes; ce qui provient de cet amour naturel qu'on a non pas tant pour un fils que pour soi-même, à cause du besoin intime et inné que nous sentons de prolonger notre vie, besoin qui nous entraîne au désir de l'immortalité. En effet, il semble à un père qu'il vit dans son fils, et qu'il se transmet lui-même dans sa propre image. Mais quoique nous laissions en partie de côté les choses qu'il n'est pas encore temps d'exposer davantage, cependant elles ont toutes pour base l'habitude du bien et de la justice, et une discipline constante et grave dans la maison, ce dont nous devons sommairement parler. Et c'est ici le lieu d'en faire la matière d'un discours suivi, puisque, d'après l'ordre que nous venons d'adopter, nous devons traiter en second lieu de ce qui regarde les lettres et les autres connaissances libérales. PAUL. — En vérité, c'est juste; car il sera facile de revenir aux premières années de l'enfance s'il en est besoin. Quant à moi, j'aime beaucoup cette peinture de la vertu des parents, et celle de la vertu des enfants qui en est comme le portrait, soit parce que la chose est par elle-méme belle et digne d'attention, soit parce que ceux dont j'ai reçu l'éducation et la naissance m'en ont fait faire en grande partie l'expérience en moi-méme. JACQUES. — Que ce soit donc là la première loi que suivront les parents à l'égard des enfants auxquels ils veulent faire produire les plus excellents fruits de vertu : qu'ils se montrent aux enfants tels qu'ils désirent que les enfants deviennent. Et ce précepte que nous donnons là n'est pas encore si facile à suivre, parce que celui qui en a la volonté doit connaître et tenir dans les choses un juste milieu, dont l'usage a toujours été très difficile, mais le résultat excellent. Que si un père n'est pas suffisamment propre à diriger lui-même son fils, et qu'il désire cependant en faire un homme distingué, qu'il cherche un maître plus capable que lui pour lui confier son éducation; car il vaut mieux que son fils soit bien élevé par les habitudes qui lui viennent du dehors, que dégénéré par celles de la maison. Nous n'avons pas seulement lu, mais encore vérifié que de très grands hommes en ont agi de la sorte; à moins qu'on ne trouve répréhensible la sagesse de Philippe, roi de Macédoine, qui, ayant conçu du caractère de son fils Alexandre l'espoir d'une très grande vertu que ses actions confirmèrent, en confia l'éducation, dès son enfance, au célèbre philosophe Aristote. Mais supposons un père capable d'élever et d'instruire son fils, parce qu'il arrive souvent, par une certaine ardeur de la volonté, que, n'ayant même pas assez réfléchi à la gravité, à la modération qui conviennent à ce genre de vie, un père se livre tout entier à l'éducation de son fils. Il doit donc, comme nous-l'avons dit, observer ce juste milieu, hors duquel rien ne peut avoir la forme de la beauté, ou bien, dans la pratique, être véritablement agréable. Quoique la philosophie donne seule la pleine et enfière connaissance de cette vertu, cependant lorsque, doué d'une bonne nature et d'un bon esprit, on s'est efforcé d'en acquérir la gloire, même sans la philosophie, on peut graver en soi les nobles traits de cette modération, souveraine maîtresse de toutes les vertus. Que le père soit de ce genre d'hommes, modéré par caractère, brûlant d'amour pour la vertu et pour l'honneur, afin qu'il cherche à s'insinuer tout entier, par les yeux et les oreilles de son enfant, dans son esprit et dans son coeur. En effet, aussitôt que l'enfant commence à pouvoir penser, il jette les yeux sur le père de famille, et il examine avec trop d'attention ce qu'il dit et ce qu'il fait pour qu'il ne faille pas grandement prendre garde de corrompre, par quelque défaut venant de nous, celui que nous désirons façonner et former à toute la beauté de la vertu. Et parce que le sens de la vue précède celui de l'ouïe, qu'il use le premier de la force que la nature lui a donnée, le père doit se présenter aux yeux de l'enfant sous les apparences d'un homme grave, dans les vétements, dans tous les mouvements du corps et de l'âme, ainsi que dans tout ce qui se fait chaque jour dans la maison. Il doit avoir l'habitude de s'habiller comme d'ordinaire fait le peuple, de manière à ne se montrer ni trop recherché dans sa mise, ce qui est d'un homme léger, ni négligé ou sordide, ce qu'on attribue quelquefois à un manque de soin, et le plus souvent l'avarice. Quant aux émotions et aux emportements qui proviennent de la colère, de quelque chagrin, de l'amour, de la haine, de l'espérance, d'un plaisir soudain, de la crainte de quelque mal, de quelque calamité, des nouvelles inattendues d'événements malheureux, de toutes les sensations qui ébranlent notre âme par des impulsions intérieures et s'efforcent de la faire sortir de son assiette, qu'il les supporte et les gouverne de manière à montrer à l'enfant qui le regarde que ces émotions, quoique excitées et rapides, sont néanmoins soumises à l'empire de la raison, et n'osent sortir de son âme qu'alors seulement et tout autant que la raison le commande. Il n'est rien dans la nature de plus divin qu'un semblable spectacle. Quoi de si admirable, en effet, de si magnifique, de si éminent en beauté et en dignité, que de contempler la vertu d'une âme maîtresse de ses mouvements et de ses passions, et les dirigeant selon la règle de la raison? Si dès le principe l'enfant s'est façonné à cette habitude dans son père, certainement il aura dans son coeur la semence de là plus belle des vertus. Mais une certaine gravité dans la démarche et dans les gestes accompagne cette modestie et cette modération de l'âme. Ce n'est ni lourdeur ni nonchalance, car ce serait alors le produit de la négligence et de la paresse, ou plutôt parfois de la stupidité et de la sottise; mais elle concorde avec cette gravité intérieure de l'âme qui lui lâche ou retient les mêmes rênes qu'à elle-même, de manière que, lorsque arrive parfois le besoin d'agir plus vivement et de faire de plus vigoureux efforts, il semble que la nature ne nous interdit ni la promptitude dans les mouvements des mains, des pieds, du visage, ni la vivacité de la voix, mais que tout cela a été réservé intérieurement par la raison et la réflexion pour des usages nécessaires. Cette faculté, l'ornement de la vie elle-méme, qui la décore et l'embellit, et qui consiste à connaltre dans chaque chose ce qui convient, le temps et la mesure de ce qui convient, c'est surtout la'philosophie, qui, comme je l'ai dit, s'en occupe et la perfectionne, qui seule fait qu'elle soit dans toutes ses parties, et pendant toute la vie, d'accord avec elle-même. Mais l'âge et une grande expérience des choses lui viennent puissamment en aide, ainsi que l'observation attentive de ce qui s'est passé et se passe le plus souvent dans les événements humains. Cette observation fournit à la philosophie elle-méme la matière et l'instrument; elle peut, même toute seule, donner à un homme d'une nature intelligente et bonne, l'apparence d'un homme sage, mais nullement la sagesse dans toute sa plénitude et sa perfection. Or le père de famille doit d'autant plus étre toujours maître de lui, que, s'il lui arrive en présence de son fils, quelque chose dont il semble devoir être ému, il se souviendra d'appeler le conseil de la raison, de faire non-seulement ce qui convient, mais encore avec une certaine dignité, afin que ces nobles formes s'insinuent le plus possible dans l'âme de l'enfant. Dès qu'elles y auront fixé leur demeure, obtenu l'usage et le droit de domicile, elles ne souffriront en aucune manière que d'autres formes viles et dégradantes s'en approchent, ou y séjournent trop longtemps. Que le père, ayant ce genre de vie convenu, soit pieux et honorant Dieu ; qu'il soit poli avec ses égaux, sans flatterie pour les grands, et sans ostentation pour lui-même; plutôt doux que sévère envers ses serviteurs et domestiques. Mais pour garder la gravité du commandement, et se faire obéir en tout, qu'il parle peu dans sa maison ; que sa voix ait de la douceur et du calme, et ses paroles de la force; qu'il ne recherche pas trop souvent les approches et les entretiens de ses serviteurs. Quand ils viennent à lui, et lui demandent quelque chose, qu'il les reçoive avec affabilité, et leur réponde brèvement ce qui est juste et convenable. Pour qu'ils soient-d'accord entre eux et vivent en paix, qu'aucune injure ne soit faitè à personne ; qu'il secoure lui-même ceux qui souffrent de besoin, ou mèmè ceux qu'accable la maladie, avec une certaine sollicitude, en leur témoignant sa bienveillance par des paroles et même quelquefois aussi par des actes d'une bienfaisance plus effective. Certes ce soin-là ne doit pas être des derniers pour le père de famille qui vaut conserver l'affection de ses serviteurs, et les maintenir dans une grande crainte de perdre ses bonnes grâces, qui leur seront, s'il les traite de la sorte, souvent plus chères que la vie. Et cependant il y a dans toute cette manière de faire une certaine gravité, une certaine autorité de commandement, donnant la preuve d'une rare dignité, qui servira à augmenter la grandeur dans les âmes. Or cette élévation et cette droiture qu'il faut faire naître dans l'âme et le caractère des enfants, qui empêchent de manquer de gravité en honorant ses supérieurs, et de mansuétude en commandant à ses inférieurs, si la pratique en est très-belle, elle est aussi très-difficile. Et cependant par l'imitation de son exemple, le père doit en graver les premiers traits dans le coeur de son fils; l'âge ensuite les embellira, l'expérience les affermira, et la philosophie leur donnera la perfection. Nous avons, dans notre entretien, parcouru ce sujet, non pour former l'éducation du père de famille, ce qui serait une plus grande affaire et exigerait plus de soin, mais pour montrer combien de bonnes habitudes peuvent émaner de lui vers son fils par cette imitation d'une certaine image de la vertu et de la dignité, encore qu'on les représente et qu'on les trace comme avec un léger pinceau dans une âme neuve et tendre, pour que, pareille aux lettres gravées sur l'écorce encore molle d'un arbrisseau, cette image de la vertu augmente enfin, s'affermisse et se durcisse avec le temps.