[1,2] Je ne fus pas plutôt arrivé en ce pays que je me trouvai en une ville fort peuplée. Je m'en allai droit au palais, où (à mon avis) je devais rencontrer des personnes qui me donneraient le couvert, pour être le lieu le plus célèbre de l'univers et où l'on tenait qu'il y avait des gens qui étaient obligés d'être sages à cause qu'ils étaient reçus en survivance aux offices de leurs pères. Je n'y fus pas (dis-je) plutôt que j'aperçu quantité de personnes autour de moi ; les uns se moquaient de ma façon, les autres admiraient ma simplicité, à cause que j'étais vêtu de toile. Entre tous ceux-là était un certain beau-fils bien peigné et bien frisé. Ce mignon, ayant relevé son manteau et mis superbement sa main au côté, me demanda qui j'étais, et quelle affaire m'amenait en ce pays. Je lui répondis qu'il était aisé de voir à ma façon que j'étais un étranger que, comme un homme nouvellement arrivé, je m'étais transporté en ce lieu, pour voir si de tant d'honnêtes gens, il n'y aurait personne qui me fit offre de sa maison; que j'avais besoin de repos, à cause des fatigues de la mer, et du long chemin que j'avais fait depuis que j'étais sorti du vaisseau. J'ajoutai que l'occasion, qui m'avait amené en ce pays, était la curiosité que la plupart des hommes ont de voir et d'apprendre les choses dont la nature leur ôte la connaissance. Je n'eus pas lâché la parole qu'il me convia humainement de venir en son logis. Je l'y accompagne. Nous entrons dedans une maison belle et bien meublée. Le couvert était dans une salle, il y avait une quantité de viandes que l'on devait mettre sur table, aussitôt que ceux, pour qui elles étaient apprêtées, seraient retournés de leurs affaires. Quand je me vis assuré d'un gîte, j'en remercie affectueusement celui qui m'y avait conduit et, sans me douter du malheur qui me devait bientôt arriver, je me promettais déjà les plus belles choses du monde. Ce qui se voit parmi les étrangers, a je ne sais quel éclat qui nous le fait priser beaucoup plus que ce qui nous est plus connu et familier. Après avoir mangé un morceau et m'être un peu reposé, je me fais conduire en attendant le souper, par les plus belles rues de cette ville. Celui que j'avais pris pour cet effet me fit voir les grandes places. J'entrai dans des Temples magnifiques. Il me mena voir le théâtre. Entre autre je vis une maison grande et spacieuse véritablement, mais les portes en étaient si mauvaises et si pourries, que j'avais peur qu'elles ne tombassent dessus moi. Elles donnaient entrée à une salle que certains jeunes hommes, assis çà et là, remplissaient plutôt de leurs voix tumultueuses, que de leurs personnes ; si parfois ils se taisaient, c'était pour faire entendre je ne sais quel vieillard qui discourait dans une chaire un peu relevée. Il avait pris pour son sujet, le titre des affranchis latins, selon la loi, "Iunia Norbana". Il traitait aussi de ceux que l'on appelait "Dedititii", dont la condition était si misérable que les Anciens (encore qu'ils fussent grandement sévères) faisaient conscience de la recevoir. Mais (disait-il) on parle si peu et toutes ces choses maintenant que l'on ne sait plus qui elles étaient, ni à quoi ces gens étaient tenus. Le nom seulement en est demeuré. Vous n'ignorez-pas, mes chers auditeurs, que selon que les hommes ont changé d'opinion, quantité de lois que nos pères approuvaient, ont été, sans y penser, généralement désapprouvées par ceux qui sont venus après eux. Témoin en est le livre qui a pour titre, "LES ORDONNANCES ABROGÉES". Je le trouve beau, mais il est imparfait en une chose qu'il ne parle point de beaucoup de lois qui me semblent grandement considérables. J'ai de la peine de le voir défectueux comme il est et n'était que les hommes ont ce triste et déplorable privilège qu'ils peuvent faillir aucunes fois, je l'aurais déjà condamné de servir d'enveloppe dans les boutiques des épiciers. Il n'a point parlé de beaucoup de parties de Droit, dont on fait semblant que l'on ne se souvient point, à cause que l'on croit qu'elles sont encore en usage. Par exemple, c'était une loi observée de tout temps fort religieusement, DE VIVRE HONORABLEMENT, DE NE FAIRE TORT A PERSONNE ET DE RENDRE A CHACUN CE QUI LUI APPARTIENT. Je fus fâché qu'elle n’a été insérée en ce volume, puisque la vie des hommes est si débordée qu'il n'en est plus fait aucune mention. ...