7. Voici le sujet qui avait animé Sélénisse contre Timoclée. Sélénisse s'était aperçue que la princesse était sensible au service que cette dame avait rendu à Poliarque. Elle craignit que ces commencements, qui, par le droit de nouveauté, pouvaient flatter davantage la princesse, ne l'emportassent sur une ancienne amitié. Transportée de jalousie, elle se livra toute entière à ces haines artificieuses si connues dans les cours ; elle n'osa s'avancer ouvertement contre cette dame, prévoyant que si Argénis découvrait quelque chose de ses sentiments, ses ruses ne produiraient aucun effet; elle croyait déservir plus aisément Timoclée, si elle n'était point regardée comme son ennemie. Ce n'était donc que par ces raisons de bienséance et de politique qu'elle cherchait à engager la princesse à ne lui témoigner aucune reconnaissance du service qu'elle en avait reçu et à remettre à un autre temps à lui en donner des preuves. Quoi, disait-elle, vous témoignerez à Timoclée plus d'amitié, parce qu'elle a sauvé Poliarque ? Le secret ménagé entre Poliarque et vous, cette foi jurée mutuellement avec tant de mystère viendra donc à la connaissance de tout le monde ? J'ose vous présenter qu'il y aurait de l'indiscrétion dans ce procedé. Proportionnez vos faveurs à celle que vous voulez en honorer, faites-lui sentir que c'est moins par reconnaissance que par grâce que vous l'obligez. Laissez la chez elle : l'attirer auprès de vous, c'est donner lieu à différents soupçons. Car en supposant (ce que je souhaiterais) que personne ne dût savoir qu'elle a retiré Poliarque dans sa maison, que pensez-vous d'Arcombrote ce jeune étranger ? Il sait ce que Timoclée a fait pour Poliarque, ne connaîtra-t-il pas par les effets trop précipités de votre reconnaissance, quel en est le véritable motif? 8. Sélénisse, qui en apparence prenait les intérêts d'Argénis, écoutait sa seule passion ; elle craignait qu'un autre ayant la confiance de la princesse, elle ne fût elle-même sacrîfiée à cette nouvelle amitié mais elle se conduisait avec tant d'artifice, qu'elle semblait uniquement dévouée à sa maîtresse. Ce mal est ordinaire et funeste aux grands, leurs favoris, sous le prétexte de quelques conseil qu'ils semblent ne leur donner que par le motif d'un véritable attachement, satisfont leur jalousie, et hasardent quelquefois une louange sur le compte d'un ennemi, pour mieux faire recevoir le mal qu'ils ont à en dire. Sélénisse avait secrètement insinué à Méléandre que Timoclée était une femme suspecte; que dans plusieurs circonstances elle avait parue portée pour Licogène : qu'on ignorait encore quels étaient ses sentiments dans cette conjoncture : qu'Argénis cependant, qui ne s'en défiait point lui faisait part de ce qu'elle avait de plus secret. Elle retournait ensuite auprès d'Argénis, faisait valoir le service que Tiimoclée avait rendu à Poliarque, et parmi les louanges qu'elle lui donnait laissait toujours à entendre à la princesse qu'il y avait du danger à lui en témoigner sa reconnaissance. Ce qu'avançait Sélénisse, avait trop de vraisemblance, Argénis s'y laissait aisément surprendre ; elle ne témoignait plus la même amitié à Timoclée, quelquefois cependant elle ne pouvait s'empêcher de reprendre avec elle cette première familiarité, elle lui témoignait les mêmes sentiments qu'auparavant, elle lui faisait des présents, elle en cherchait même les occasions.